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Clamans - Page 23

  • Jean 12. « Marie l'a cru avant nous tous »

    Jean 12
    10.3.2002
    « Marie l'a cru avant nous tous »
    Romains 5 : 6-11     Jean 12 : 1-8

    Télécharger ici la narration biblique : P-2002-03-10.pdf

    Un serviteur avec son balai. Il balaye un peu et hume l'air.

    « L'odeur n'a jamais disparu...
    Cela fait pourtant des années...
    Combien de temps cela fait-il ?
    J'étais déjà au service de Madame Marthe depuis un an lorsque c'est arrivé. Cela doit bien faire quinze ans maintenant. Mais je m'en souviens comme si c'était hier.
    Oui, chaque fois que je reviens dans cette pièce je sens l'odeur de ce parfum et tout me revient, aussi nettement que si c'était hier.

    Ce soir-là, j'étais de service (comme tous les soirs d'ailleurs. On n'avait pas de congé à cette époque !) Je supervisais le travail des servantes, sous la direction de Madame Marthe, car il y avait du monde à servir ce soir-là. Poser le balai.
    Marthe et Marie recevaient beaucoup. Elles menaient grand train de vie avec leur frère Lazare.
    Ce soir-là, elles recevaient l'homme qui avait sorti leur frère Lazare de sa tombe. Une bien étrange histoire ! C'était Jésus, celui de Nazareth. Ce soir-là, il était revenu à Béthanie, avant de se remettre en route vers Jérusalem.
    C'était juste six jours avant la Pâque, et personne ne se doutait de ce qui allait se passer. Personne... sauf peut-être Marie, qui avait comme un sixième sens avec Jésus.
    Il faut dire qu'elle l'avait tant écouté, elle pouvait passer des heures assise à ses pieds à l'écouter (même que cela énervait sa soeur !). Elle enregistrait toutes les paroles de Jésus. Elle l'avait pris pour maître de pensée, elle était pendue à ses lèvres.

    Alors ce soir-là, il y avait beaucoup de monde autour de la table. Il y avait Jésus, avec ses douze compagnons, et puis il y avait Marthe et Marie et Lazare qui mangeait tout près de Jésus.
    Mais ce n'était pas un repas ordinaire, on sentait une tension dans l'air, c'était palpable, c'était pesant comme si un orage était sur le point d'éclater.
    La discussion était très vive entre les disciples, car Jésus venait d'annoncer qu'il allait monter à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
    Or chacun savait que les chefs des prêtres et les Pharisiens voulaient arrêter Jésus. Ils avaient déjà voulu arrêter Lazare à cause du tumulte que faisaient tous ceux qui voulaient voir "l'homme qui était sorti de sa tombe après quatre jour" !
    Dans la discussion j'entendais Jacques, le frère de Jésus, demander : "Pourquoi aller se jeter dans la gueule du loup ? Revenons l'an prochain à Jérusalem quand tout sera calmé"
    Mais Pierre répliquait : "Je ne laisserai pas Jésus être arrêté. J'ai quelques relations à Jérusalem, ou bien je me battrai et je défendrai mon maître !

    Jésus se tenait silencieux pendant cette discussion.

    Alors Judas pris la parole pour dire que, justement, il fallait que Jésus entre à Jérusalem. Son entrée serait un triomphe. Il voyait déjà la foule couper des rameaux aux arbres et les poser par terre pour faire un chemin, les autres étaler leurs manteaux comme un tapis rouge sous les pas de Jésus. Pour sûr, on pourrait même lui trouver un âne pour faire son entrée triomphale à Jérusalem, comme un vrai prophète.
    Une fois dans la ville, Judas se faisait fort de recruter une troupe d'hommes de main pour écraser la petite garnison de Ponce Pilate et prendre le pouvoir. Ce serait l'occasion de se débarrasser une fois pour toute des romains.
    Judas en rajoutait : "Je tiens la caisse, on a de l'argent pour recruter, et puis voyez ... — il montra un vase contenant un parfum précieux qui était posé dans le renfoncement de la fenêtre, le parfum qui avait été acheté après la mort de Lazare et qui devait servir à embaumer son corps, mais dont on ne s'était pas servi puisque Jésus l'avait sorti de sa tombe — ... voyez, ce parfum, on pourrait le vendre et cela nous procurerait encore 300 pièces d'argent avec lesquelles on pourrait recruter une bonne troupe de pauvres bougres qui se battraient pour nous."
    Judas s'était emporté, certains disciples criaient pour soutenir sa proposition, d'autres s'y opposaient, c'était un vrai tumulte, on ne s'entendait plus dans cette salle.

    Depuis où j'étais, je voyais que Marie aurait voulu dire quelque chose, mais comment un femme pourrait-elle se faire entendre dans un tel brouhaha ?
    (lentement) Alors, j'ai vu Marie s'approcher de la fenêtre, prendre le vase de parfum, s'approcher de Jésus, s'agenouiller devant lui et verser tout le parfum sur ses pieds.
    Personne n'avait remarqué les gestes de Marie, à part Jésus et moi. Mais l'odeur du parfum s'est répandu dans la pièce. Cela sentait tellement bon et tellement fort que le brouhaha s'est évanoui d'un coup et le silence s'est installé.

    Un silence que seul habitait encore le bruissement des cheveux de Marie sur les pieds de Jésus. Puis, comme elle relevait son visage, le silence fut rempli du regard que s'échangeaient Jésus et Marie. Le silence était complet, mais il était habité par ce regard et par cette odeur...

    C'est alors que j'ai compris ce que Marie devait avoir compris longtemps avant moi et que Jésus approuvait. J'ai compris quel devait être le destin de Jésus. Dans ce parfum, il y avait toute l'histoire que Jésus allait vivre dans les jours suivants.
    Ce parfum disait tout.
    Il disait la mort prochaine de Jésus.
    Il disait que Jésus acceptait cette mort. Jésus n'allait-il pas prendre la place de Lazare dans la tombe, puisqu'il recevait le parfum qui lui était destiné ?
    Jésus n'allait-il pas prendre la place de chacun de nous, dans la tombe qui nous était destinée, pour que nous vivions ?
    Ce parfum nous disait donc sa mort, une mort annoncée, une mort acceptée.

    Mais ce parfum répandu en ce jour, ce parfum — qui s'était écoulé sur les pieds de Jésus et répandu sur le sol de cette pièce qu'il embaume encore aujourd'hui — ce parfum ne pourrait plus servir pour prendre soin du corps de Jésus dans sa tombe !
    Qui l'a réalisé sur le moment même ?
    Marie sûrement, Marthe aussi. N'avait-elle pas entendu Jésus lui dire : "Je suis la résurrection et la vie" lorsqu'ils se trouvaient ensemble devant le tombeau de Lazare ?
    Le parfum, dans ce moment de silence intense, disait tout, la mort et la résurrection. Et Jésus l'acceptait. Et Jésus était reconnaissant envers Marie d'avoir fait cesser le tumulte de ses disciples qui essayaient de le détourner de son destin.
    Qui comprenait mieux Jésus que les femmes qui l'accompagnaient ?

    Voilà, chaque fois que j'entre dans cette pièce, l'odeur de ce parfum me rappelle tout cela.
    Le parfum avait dit vrai, Jésus est mort, mais Dieu l'a ressuscité des morts, la tombe ne l'a pas retenu.
    Jésus a donné sa vie pour nous, la mort ne peut retenir personne dans la tombe, et Marie l'a cru avant nous tous.

    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 19. L’heure de la naissance de l’Eglise est l’heure de la croix

    Jean 19
    18.4.2014
    L’heure de la naissance de l’Eglise est l’heure de la croix

    Jean 19 : 16-22     Jean 19 : 23-30
    Téléchargez la prédication ici : P-2014-0418.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons entendu le récit de la crucifixion, de la mort de Jésus dans l’Evangile selon Jean. Nous entendons souvent ces récits des évangiles, tirés tantôt d’un Evangile, tantôt d’un autre et pour nous ils racontent tous la même histoire. Oui, ils nous racontent la même histoire, le même événement, mais pas de la même façon. Pas avec la même interprétation, mais c’est plus difficile à percevoir.
    Je vais essayer de mettre en relief ce qui est propre à l’Evangile selon Jean, ce qui le différencie des évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc). Les différences ne se trouvent pas dans les événements relatés, mais dans la position de Jésus, dans son statut, dans son attitude.
    Matthieu et Marc nous présentent Jésus comme la victime dans son procès. Il subit son arrestation, son procès, sa mort. C’est une victime qui se croit abandonnée de Dieu, d’où cette parole sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ! » Ps 22:2 (dans Mt 27:46 et Mc 15:34).
    Pour Luc, Jésus est la figure du juste injustement persécuté et condamné. Il traverse cette injustice avec confiance, assurant le « bon larron » de le rejoindre au paradis (Lc 23:43).
    Comment Jean nous présente-t-il Jésus dans sa Passion ? Eh bien, Jésus porte lui-même sa croix, pas besoin de l’aide de Simon de Cyrène. Il est désigné par Pilate comme « le roi des juifs ». Il parle à sa mère et au disciple bien-aimé, pour leur dicter sa volonté. Il sait que tout est achevé et il demande à boire. Il affirme la fin de sa mission, de son mandat par une dernière parole et il remet son esprit, comme dernier acte de souveraineté.
    On voit donc que Jean nous présente à nouveau Jésus comme souverain, comme acteur de sa vie et de sa mort, comme celui qui sait ce qui lui arrive, qui sait ce qu’il fait et qu’il accomplit en toute conscience.
    Il me fait penser à ces épisodes de films de guerre où, dans une situation critique, un homme reste en arrière pour couvrir sa troupe poursuivie par l’armée ennemie. Cet homme-là va barrer le chemin pour sauver ses camarades, mais on sait comme spectateur, et le soldat le sait lui-même : il va mourir, mais c’est un héros parce qu’il donne sa vie pour sauver ses camarades. Il le fait en toute connaissance de cause, il l’a choisi, il l’a décidé, il sait pourquoi il le fait et il accomplit sa mission. Ce n’est pas une victime, c’est un héros.
    C’est ainsi que Jean nous présente Jésus montant au calvaire et sur la croix, en pleine maîtrise de son destin et de celui de ses disciples. Voyons cela dans le détail. Jésus dit trois paroles sur la croix.
    A. D’abord, les paroles à sa mère et au disciple bien-aimé. « Femme, voici ton fils » et « Voici ta mère » (Jn19:26-27) Concrètement, Jésus présente à sa mère son nouveau tuteur et au disciple bien-aimé il présente la personne dont il devient responsable. A cette époque, les femmes devaient dépendre d’un homme pour ne pas tomber dans la précarité. Mais le souci de l’évangéliste n’est pas la précarité de Marie, mais la succession de Jésus dans l’ordre de la révélation. Le souci de Jésus c’est « qui lui succède pour transmettre la parole du Père ? » Et ici, sur la croix, Jésus offre au disciple bien-aimé sa propre place de fils.
    Il fait du disciple bien-aimé le légataire de ses paroles, de son message. Le disciple bien-aimé devient le messager de Jésus, celui qui peut attester de la véracité de ses paroles, de son héritage théologique, héritage qui se transmet dans l’Evangile selon Jean. En faisant cela, Jésus organise symboliquement son Eglise, il la constitue, il la fonde. Et le lieu de la fondation de l’Eglise, c’est la croix, d’où Jésus prononce ces paroles.
    Ces paroles de Jésus fondent l’Eglise, mais elles la fondent sur le disciple bien-aimé qui devient responsable de Marie, la mère de Jésus, et non sur Marie qui deviendrait responsable des disciples comme le laisse entendre la mariologie catholique romaine. C’est le disciple bien-aimé qui accueille Marie chez lui, non l’inverse.
    Mais l’important ici, c’est que l’heure de la naissance de l’Eglise est l’heure de la croix, croix que Jean nous présente dans tout son Evangile comme l’heure de l’élévation du Fils, l’heure de l’élévation de l’Envoyé.
    B. La deuxième parole que Jésus prononce est «  J’ai soif » (v.28). Là encore, Jésus est acteur. Cette parole attire l’attention des soldats qui en réponse à cet appel trempent une éponge dans leur piquette pour la lui donner. Dans les autres évangiles, ce sont les soldats qui prennent l’initiative. Cette parole peut nous faire penser à la rencontre au puits de Jacob avec la samaritaine, mais elle fait plus certainement référence à la prière de Gethsémané sur la « coupe à boire », c’est-à-dire la mort à affronter.
    D’ailleurs lors de son arrestation, à laquelle Pierre veut s’opposer, Jésus s’exclame : « Crois-tu que je ne boirai pas la coupe que le Père m’a donnée ? » (Jn 18:11). Par cette parole «  J’ai soif » Jésus affirme qu’il assume totalement sa mission, c’est son choix, il en est le maître.
    C. La troisième parole est « Tout est accompli » (v.30) après quoi Jésus, encore souverain, baisse la tête et remet son esprit. Deux choses à remarquer.
    a) « Tout est accompli » il faudrait presque ajouter « ici ». C’est ici, sur la croix que tout s’accomplit. C’est enfin l’heure de l’accomplissement, c’est l’heure où tout se révèle. C’est la « déclaration de l’Envoyé parvenu au terme et au plein accomplissement de son mandat : sa mort est l’achèvement de sa vie. Par elle, elle prend son sens ultime. La croix n’est pas simplement un passage, mais le point culminant de la révélation. »*
    b) Ensuite Jésus remet son esprit. C’est une phrase à double, voir à triple sens. Le sens premier et concret, c’est que Jésus meurt. C’est sûr. Mais ce n’est pas tout. A qui remet-il son esprit ? La première idée, c’est qu’il remet son esprit à Dieu. Et c’est juste. Tout est accomplit et Jésus retourne à Dieu. Mais le texte laisse aussi penser qu’il donne (remettre est un composé du verbe « donner » en grec) son Esprit (avec majuscule) à ses disciples.
    C’est à partir de l’heure de la croix, lieu de l’élévation et de la glorification de Jésus que l’Esprit peut descendre sur les disciples (Jn 7:38-39).
    Par ces trois paroles, on voit comment la mort de Jésus fait naître l’Eglise. Jésus assure la transmission de sa révélation au disciple bien-aimé. Jésus assure que sa mort sur la croix est l’accomplissement de son mandat, de sa mission, la coupe de Dieu. Et Jésus assure — en son absence — sa nouvelle présence par le don de l’Esprit.
    C’est ainsi que l’événement — a priori — dévastateur, destructeur et absurde de la croix, devient un événement victorieux, fondateur d’une nouvelle communauté, fondateur d’un nouveau style de relations humaines, fondateur d’une vie nouvelle, vraie et en plénitude.
    Amen
    * Jean Zumstein, L’Evangile selon saint Jean (13—21), Commentaire du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2007, p.255.
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Le Requiem de Fauré entrecoupé de méditations

    Concert au Temple de Bussigny
    18.4.2014
    Le Requiem de Fauré (textes en italique) entrecoupé de méditations
    Pour écouter le Requiem, suivre les indications de temps donné pour chaque pièce.


    Francis Poulenc : Motet pour un temps de pénitence : timor et tremor (1939) : la crainte et l’effroi ont fondu sur moi, les ténèbres m’ont envahi, aie pitié de moi Seigneur… puisque mon âme te fait confiance. Mon Dieu exauce ma prière car tu es mon refuge et mon puissant secours. Je t’ai invoqué, je ne serai pas confondu.

    En ouverture, nous avons entendu chanter ces paroles du psalmiste : « La crainte et l’effroi ont fondu sur moi, les ténèbres m’ont envahi, aie pitié de moi Seigneur… » (Ps 55 :6). Ainsi pourrait aussi s’exprimer Jésus sur la croix. Ainsi s’exprime chaque humain, lorsqu’il est en proie à une détresse extrême.

    Après ce préambule de Poulenc, nous allons écouter le Requiem de Fauré. 
    Un Requiem exprime également l’angoisse devant l’obscurité et la mort. Un Requiem exprime l’angoisse que nos proches disparus souffrent encore et disparaissent à jamais. Un Requiem demande pour eux la paix et un accès au paradis. Un Requiem est une prière à Dieu pour changer la destinée des morts.
    Cela ne convient pas très bien à mon esprit protestant. Il me semble que nous ne pouvons plus rien pour les morts. Par contre, nous avons à nous préoccuper de notre vie et de notre destinée. Je vous invite à écouter cette musique non pas comme un appel pour d’autres, mais pour nous.
    Reconnaissons que nous sommes angoissés par la mort et que c’est nous qui avons besoin d’un apaisement. C’est nous qui avons besoin d’un repos maintenant. C’est nous qui avons besoin d’un répit maintenant. C’est nous qui avons besoin que quelqu’un mette un stop à nos inquiétudes, à nos angoisses. Pour cela nous pouvons prier Dieu avec les chanteurs : « Donne-nous, un répit, Seigneur, et que ta lumière brille à jamais sur nous. Aie pitié de nous, Seigneur. »

    Gabriel Fauré : Requiem, opus 48 (1893)
    00:00 - I. Introït et Kyrie (D minor)

    INTROÏT
    Donne-leur le repos éternel, Seigneur, et que la lumière brille à jamais sur eux .C’est de Sion que notre louange doit s’élever vers toi. 
C’est de Jérusalem qu’il faut offrir nos sacrifices. Exauce ma prière et tout être de chair parviendra jusqu’à toi.

    KYRIE
    Kyrie, eleison Christe, Kyrie eleison.

    Un tissu se déchire, une tasse se casse, la corde s’use, la fatigue s’installe, les mouvements deviennent plus lents, une perle tombe, un être s’en va, c’est la vie…
    Est-ce vraiment la vie ? Celle qu’on souhaite, celle qui nous est destinée ? N’y a-t-il rien n’y personne pour contester ce devenir ? Inch allah ! Il n’y a rien à faire. C’est la vie. Il faut accepter. Une page se tourne.
    N’y a-t-il personne pour se lever et dénoncer cette infortune ? La vie doit-elle être un enfer, devons-nous accepter de nous enliser dans un marécage sans fonds ? N’avons-nous qu’à accepter d’être guettés par la gueule du lion, engloutis par l’abîme, absorbé par la nuit de l’angoisse ?

    Quand le monde s’écroule autour de moi, quand mon patron me renvoie, quand mon meilleur ami me lâche, quand mon conjoint quitte la maison, quand mon plus proche est happé par la mort, vers qui puis-je crier ? Qui répond à mon cri ? Qui soulage mon angoisse ? Qui balaye mes soucis ? Qui va rallume mon espoir ? Qui fera le reste du chemin avec moi ?

    OFFERTOIRE 05:59 - II. Offertoire (B minor)
    Seigneur Jésus Christ, Roi de gloire, délivre les âmes de tous les défunts des peines de l’enfer et des marécages sans fond. / Seigneur Jésus Christ, Roi de gloire, délivre les âmes de tous les défunts de la gueule du lion ; qu’ils ne soient pas engloutis par l’abîme ; qu’ils ne tombent pas dans la nuit.
 Nous t’offrons, Seigneur, ce sacrifice et ces prières. Accepte-les pour ceux dont nous faisons mémoire : fais-les passer, Seigneur, de la mort à la vie, que jadis tu as promise à Abraham et à sa descendance.

    SANCTUS 14:24 - III. Sanctus (E-flat major)
    Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu des forces célestes. Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire.
 Hosanna au plus haut des cieux. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux.

    « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. »
    Un humain est venu s’asseoir à côté de moi. Il est resté silencieux. Il a pris le temps. Il a écouté mon souffle. Il a tendu l’oreille. Et il a attendu. Il a attendu jusqu’à ce que je puisse dire ma peine. Dire mon incompréhension. Dire ma révolte. Dire l’injustice du monde. Dire mon angoisse face à l’absurdité du monde, face à la méchanceté des humains et à la cruauté du destin. Il a écouté mon cri et recueilli mes pleurs. Il a entendu ma peur et accueilli mon angoisse. Il a écouté ma tristesse et recueilli mes larmes.

    Il a pris ma main dans la sienne. Elle était douce comme l’agneau. Il n’a rien expliqué, il avait simplement tout compris de ma vie. Il ne m’a pas donné d’interprétations, il a simplement ôté le poids qui écrasait mon dos et desserré l’étau de ma gorge. Il m’a redonné du souffle.
    Il était là, avec ses mains et ses pieds blessés, pour me donner du répit. Pour alléger ma charge. Pour apaiser mon âme. Il est là, pour moi, pour que je vive. « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. »

    PIE JESU  17:30 - IV. Pie Jesu (B-flat major)
    Pieux Jésus, Seigneur, donne-leur le repos. Donne-leur le repos éternel

    AGNUS DEI  21:02 - V. Agnus Dei et Lux Aeterna (F major)
    Agneau de Dieu qui enlève les péchés du
 monde, donne-leur le repos.
Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, 
donne- leur le repos, le repos éternel.

    Ecce Homo. Voici l’humain. Il s’est donné à l’humanité, pour s’asseoir à mes côtés.
    De quoi ai-je peur ? Qu’ai-je à perdre de me laisser embrasser par lui ?
    Pourquoi ai-je encore peur du jugement, annoncé comme ce « jour redoutable où le ciel et la terre seront ébranlés ; quand tu viendras éprouver le monde par le feu ».  « Voici que je tremble et que j’ai peur devant le jugement qui approche et la colère qui doit venir.
Ce jour là sera jour de colère, jour de calamité et de misère, jour mémorable et très amer. »

    De quoi ai-je peur ? Qu’ai-je à perdre de me laisser embrasser par le tout-humain ? Vais-je longtemps préférer mes angoisses et mes inquiétudes ? Vais-je vaincre tout seul ma peur de disparaître ? Qui me laisse penser que je peux apprendre à nager pour ne pas sombrer dans le néant ? Qui me fait croire que mes achats seront des bouées suffisantes contre le naufrage de la vieillesse ? Est-ce à eux que je veux m’accrocher ? Pourront-ils longtemps m’abuser de leurs illusions ?
    Vers qui me tourner en ce monde ? Qui peut verser un éclairage vrai sur ma vie et mes choix ?  Qui peut me promettre la vie ? Une vraie vie, faite de moments qui ne peuvent ni sombrer ni rouiller ?
    Ecce Homo. Voici l’humain. Il s’est donné à l’humanité, pour s’asseoir à mes côtés. C’est lui mon libérateur, celui qui sauvegarde ma vie à jamais.

    LIBERA ME   26:23 - VI. Libera Me (D minor)
    Délivre-moi, Seigneur, de la mort éternelle, en ce jour redoutable où le ciel et la terre seront ébranlés ; quand tu viendras éprouver le monde par le feu.
 Voici que je tremble et que j’ai peur devant le jugement qui approche et la colère qui doit venir.

    Ce jour là sera jour de colère, jour de calamité et de misère, jour mémorable et très amer.
    Quand tu viendras éprouver le monde par le feu.
 Donne-leur, Seigneur, le repos éternel,
 et que la lumière brille à jamais sur eux.

    La vraie vie n’est pas au bout du chemin, elle est le chemin. Un chemin parcourut par l’humanité. Un chemin parcourut avec celui qui s’est fait tout-humain pour marcher à nos côtés.
    Le vrai compagnon n’est pas au bout du chemin, il est le chemin. Un chemin cahoteux et chaotique, un chemin tantôt formidable, tantôt insoutenable. Mais un chemin qu’on n’est pas obligé de parcourir seul.
    Un homme, un humain nous tend la main pour prendre ce chemin et marcher avec nous. Il connaît le chemin de la vie, il l’a déjà parcouru, il l’a déjà traversé, il a déjà franchi tous les obstacles.
    Il est là pour nous accompagner, pour nous suivre quand nous voulons conduire ; pour nous conduire quand nous voulons le suivre. Il est là ; toujours il est là. Il est Dieu avec nous ; Emmanuel.
    Jusqu’au bout du monde, jusqu’au bout du chemin, jusqu’au bout de la vie, avec lui nous pouvons marcher apaisés et vivants.

    IN PARADISUM 30:57 - VII. In Paradisum (D major)
    Que les anges te conduisent au Paradis ; 
que les saints martyrs t’y accueillent et te guident jusqu’à la sainte cité de Jérusalem.
Que le choeur des anges te reçoive, et qu’avec Lazare, jadis si pauvre, tu connaisses le repos éternel.
    © Jean-Marie Thévoz, 2014 pour les textes de méditation.

  • Jean 13. Le lavement des pieds prépare les disciples au choc de la croix.

    Jean 13
    6.4.2014
    Le lavement des pieds prépare les disciples au choc de la croix.
    Jean 13 : 1-5       Jean 13 : 12-20
    Téléchargez ici la prédication : P-2014-04-06.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    L’Evangile selon Jean est le seul des quatre évangiles à nous raconter cet épisode du lavement des pieds. Jean nous dit que cela se passe juste avant la Pâque, que Jésus soupe avec ses disciples et que Judas se prépare à trahir Jésus. Trois indices suffisants pour comprendre que cet épisode se passe lors du dernier souper que Jésus passe avec ses disciples, le jeudi soir. Ce souper pendant lequel Jésus partage le pain et le vin et donne un nouveau sens à ces gestes. Gestes que nous commémorons, que nous vivons dans la Sainte-Cène.
     Mais l’évangéliste Jean remplace ici l’institution de la Cène par le lavement des pieds comme récit d’entrée dans le temps de la Passion. Voyons ce que l’évangéliste veut nous dire, nous signifier par là. Qu’est-ce que Jésus fait ici ?
    Laver les pieds était un acte relativement courant à l’époque, mais dans des circonstances précises. Lorsqu’un maître de maison lançait une invitation et que ses invités avaient dû marcher quelques kilomètres pour venir dans sa maison, il était « classe » d’avoir un esclave qui lavait les pieds des invités à leur arrivée. C’est un moment de détente offert pour se sentir bien ensuite. Surtout c’était une tâche considérée comme subalterne, voire dégradante, confiée à l’esclave le plus bas de l’échelle.
    C’est cette place-là que Jésus prend en lavant les pieds de ses disciples. En faisant cela, il fait quelque chose de tout à fait inconvenant, inconcevable, de complétement déplacé. Comment Jésus « le Seigneur et le maître » peut-il s’abaisser à un tel geste ? Il va y perdre toute considération.
    Ainsi, Jean place ici — en ouverture du temps de la Passion de Jésus — un acte incongru, déplacé, incroyable.
    Pourtant, dans tout son Evangile, Jean montre Jésus comme celui qui a autorité, comme celui qui choisit ce qu’il fait et quand il le fait, comme celui qui sait ce qui se passe dans l’esprit des gens, qui connaît leurs projets. Ici même, il sait où il en est, il sait où il va : « Jésus savait que l’heure était venue pour lui de quitter ce monde » (v.1) ainsi commence ce récit. Jésus sait ce qui se passe dans le cœur de Judas.
    Donc Jean nous montre un Jésus qui maîtrise sa vie, qui domine les éléments de son destin et qui a autorité sur ses disciples. Et pourtant, il s’abaisse à leur laver les pieds, à prendre la place de l’esclave le plus bas sur l’échelle sociale. Ce récit nous montre que ce geste incroyable ne remet pas en cause l’autorité de Jésus, mais bien plus, qu’il en est l’accomplissement.
    C’est l’enseignement que Jésus donne après son geste. Ce n’est pas une erreur, ce n’est pas une humiliation. Ce geste est l’accomplissement de sa mission. Ce geste est l’accomplissement de la révélation qu’il est venu faire au monde. Dieu s’abaisse. Dieu s’abaisse sans perdre son autorité. Au contraire, cet abaissement affirme la vraie nature de Dieu et de la relation qu’il veut développer avec tous les humains. 
    Dieu est venu renverser les valeurs humaines qui valorisent la grandeur, la richesse, le pouvoir. Dieu renverse ces valeurs en montrant que l’autorité de l’un ne s’accomplit pas dans la subordination, dans l’asservissement ou l’aliénation de l’autre. Non, c’est le contraire : c’est dans le service des uns envers les autres que se réalise le vrai bonheur. C’est dans le service envers l’autre que se réalise le plus grand amour.  
    Ce geste incongru, cet acte incroyable, contraire à toute pensée humaine, ne remet pas en cause l’autorité, la valeur, la pertinence du message de Jésus. Et en cela, le lavement des pieds est — ici en ouverture de la Passion — comme une métaphore, une image de la croix, de la mort de Jésus qui va survenir.
    De même que le lavement des pieds ne détruit pas la vérité du message de Jésus, de même la croix, la mort de Jésus ne détruit pas la vérité du message de Jésus. De même que le lavement des pieds est l’accomplissement de l’amour de Jésus pour ses disciples, de même la croix sera l’accomplissement de l’amour de Jésus pour ses disciples.
    C’est un avertissement de Jésus. C’est un enseignement de Jésus pour que les disciples comprennent le sens de sa mort. Il doit passer par un abaissement total, par un sort qui va ressembler à un échec total pour accomplir, pour achever sa mission sur la terre. Ne soyez pas troublés, semble dire Jésus, cela doit arriver, vous comprendrez après coup.
    C’est pourquoi Jésus explique le sens de son geste à ses disciples. C’est pourquoi il leur dit, il nous dit, de l’imiter, d’imiter ce nouveau type de relation aux autres. C’est en imitant ce type de relation, de service, de respect, que nous serons heureux c’est dans ces attitudes que se trouve le bonheur, pas dans la domination et l’aliénation des autres. 
    Et Jésus va plus loin encore lorsqu’il dit : « Recevoir celui que j’enverrai, c’est me recevoir moi-même, et me recevoir, c’est aussi recevoir celui qui m’a envoyé. » (v.20) Ceux que Jésus envoie, ce sont ses disciples. Il les envoie dans le monde et il les envoie comme il a été envoyé par le Père. Souvenez-vous ce que je vous ai dit dimanche dernier sur le rôle d’envoyé, d’ambassadeur. L’ambassadeur est celui qui représente le chef d’Etat, il peut négocier et signer pour celui qui l’envoie, il a tout pouvoir. Et nous avons vu que Jésus a reçu ce pouvoir de son Père.
    Ici, Jésus est juste en train de dire que « comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20:21). Ce qui signifie que Jésus nous transfert son pouvoir, son autorité, pour nous faire ses représentants, ses envoyés, ses ambassadeurs dans le monde.
    A nous d’être les dignes ambassadeurs de Jésus pour qui l’accomplissement d’une vie est dans le service. A nous — en tant que personne et en tant qu’Eglise — de montrer ce nouvel ordre de relation qui se vit dans le service, l’amour et le don de soi.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 5. Jésus, l’ambassadeur de Dieu auprès des humains

    Jean 5
    30.3.2014
    Jésus, l’ambassadeur de Dieu auprès des humains

    Jean 5 : 1-30
    Téléchargez la prédication : P-2014-03-30.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Les Evangélistes ne sont pas des conteurs. Ils ne cherchent pas à nous raconter des histoires. S’ils nous transmettent des récits, c’est pour nous présenter une personne, pour nous faire découvrir la personne de Jésus, le Christ.
    Tous les récits, tous les épisodes, toutes les narrations, tous les discours des évangélistes sont orientés vers la présentation de la personne de Jésus, pour le faire découvrir et nous faire découvrir le lien qui l’unit à Dieu.
    C’est aussi ce que l’évangéliste Jean fait à travers ce récit autour de la guérison de cet homme à la piscine de Bethzatha. Un récit en trois parties (1-9 la guérison ; 10-18 la polémique ; 19-30 l’enseignement de Jésus).
    1) Premièrement donc, la rencontre et la guérison, qui ressemblent tout à fait aux guérisons qu’on trouve dans les autres évangiles. Jésus se préoccupe du sort d’un malheureux et il le guérit, grâce à la puissance divine que Dieu lui a confiée.
    2) Ensuite, comme souvent dans les autres évangiles, la polémique surgit parce que la guérison a eu lieu le jour du sabbat. Ici, cependant, ce n’est pas le fait que la guérison ait eu lieu le jour du sabbat qui pose problème : mais c’est le fait que l’homme guérit porte sa natte ! On retrouve toute l’ironie de l’évangéliste Jean. Voilà un homme relevé de son handicap après 38 ans de misère et on lui reproche de porter sa natte.
    Dans notre canton on dirait « c’est du pinaillage ! » C’est une perte totale de perspective. C’est une incapacité à faire la différence entre le détail et l’essentiel. Mais c’est bien ce que reproche Jésus aux autorités religieuses : pinailler sur les détails et manquer l’essentiel : « Malheur à vous pharisiens, vous payez la dîme sur la menthe et les herbes aromatiques, mais vous négligez la justice et l’amour de Dieu. » (Luc 11:42).
    A partir de là, la polémique glisse vers l’essentiel : qui est le vrai interprète de la volonté de Dieu ? Jésus dit aux pharisiens, à propos de cette guérison, « mon Père est continuellement à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre » (Jn 5:17). Jésus pose une similitude d’action entre le Père et lui. Aussitôt, il lui est reproché de se faire l’égal de Dieu — là le texte utilise le mot grec « iso » comme dans « isotherme » en météo qui dit des températures égales.
    3) C’est à ce moment que commence l’enseignement de Jésus : « En véritié, en vérité, je vous le dis… (v.19) tout ce que le Père fait, le Fils le fait également. » (v.20). Et là, le texte utilise le mot « homo » comme dans le mot « homogène » qui signifie que tous les éléments sont semblables ou équivalents. Ici, Jésus et Dieu sont équivalents.
    Ainsi, Jean passe de la similitude (v.17) à l’égalité (v.19) puis à l’identité (v.20) entre le Fils et le Père. Et c’est bien le message que l’évangéliste veut faire passer. Il y a identité entre le Fils et le Père.
    Cette identité, Jean l’affirme plus encore lorsqu’il écrit : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé. » (v.23). Deux éléments dans cette phrase : a) il y a identité de culte entre le Père et le Fils, honorer égale rendre un culte ; b) la relation entre le Père et le Fils est marquée par cet envoi. 
    On trouve 41 fois dans l’Evangile selon Jean le concept que Jésus est envoyé par le Père ou que Jésus est celui que le Père a envoyé. Pour comprendre cette relation Père - Fils comme en parle Jean, il faut comprendre ce que signifiait, au temps de Jésus, cette notion d’Envoyé.
    Il faut penser à un roi qui envoie un ambassadeur. Un ambassadeur à qui le roi a expliqué la mission et donné plein pouvoir pour négocier. Lorsque cet ambassadeur arrive dans l’autre pays, il est reçu avec les honneurs qui sont dus, non à son rang propre, mais au rang du roi qui l’envoie. Si on veut honorer le roi, on honore son ambassadeur.
    Lorsque l’ambassadeur parle, il transmet la parole du roi qui l’envoie. Si l’ambassadeur signe un traité, sa signature à valeur de signature du roi. L’ambassadeur et le roi ne sont pas les mêmes personnes, mais ce que demande le roi, l’ambassadeur le transmet, et ce que décide l’ambassadeur engage le roi. Il y a donc différence de personnes, mais identité de vue et de pouvoir.
    C’est cette analogie que l’évangéliste Jean met en avant chaque fois qu’il répète (41 fois) que Jésus est celui que Dieu a envoyé. Ainsi, Jésus dit les paroles de son Père, il accomplit les œuvres du Père (v.17,19,36), il fait la volonté de son Père (v.30). C’est pourquoi honorer Jésus, c’est honorer celui qui l’a envoyé (v.23). C’est pourquoi croire en Jésus, c’est croire en celui qui l’a envoyé (v.24) et par là, recevoir la vraie vie.
    Comme envoyé dans le monde, comme ambassadeur du roi des cieux, Jésus accomplit l’œuvre de Dieu. L’évangéliste Jean découpe l’activité de l’envoyé en trois étapes.
    A. Une première étape qu’on trouve dans le prologue de l’Evangile selon Jean (Jn 1) où l’envoyé existe auprès de Dieu et pré-existe à sa mission.
    B. Une deuxième étape où le Fils accomplit l’œuvre de Dieu. On a vu qu’il l’accomplit par des signes (comme le signe de Cana ou des guérisons), des signes qui marquent la bienveillance de Dieu à l’égard des humains et la volonté de leur donner la vraie vie. Nous verrons encore dimanche prochain, à travers l’épisode du lavement des pieds, comment Jésus accomplit l’œuvre de Dieu.
    C. Enfin, la troisième étape est l’élévation de l’envoyé, élévation que nous verrons s’accomplir lors de la Passion de Jésus pendant la semaine sainte.
    Après les noces de Cana qui illustraient la vraie vie que Dieu veut offrir aux humains, après les marchands chassés du Temple qui illustrait comment Jésus fait table rase de la religion ancienne et enfermante, Jésus se présente comme celui qui a été envoyé par Dieu pour nous guérir de toutes les entraves qui nous empêchent de marcher à sa suite et qui nous empêchent de croire qu’il est bien celui que Dieu nous a envoyé. « Celui qui honore le Fils, honore le Père » (v.23) « celui qui écoute ma parole, dit Jésus, et qui croit en celui qui m’a envoyé, celui-là reçoit la vraie vie » (v24).
    L’évangéliste Jean montre donc à ses lecteurs, nous montre à nous, le chemin qui conduit à Dieu. En apprenant à connaître son Envoyé, le Christ, nous découvrons Dieu lui-même. En croyant en Jésus, nous recevons la vraie vie de Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 2. Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    Jean 2
    23.3.2014
    Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    1 Corinthiens 3 : 5-11      Jean 2 : 13-22

    Téléchargez la prédication : P-2014-03-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous reprenons notre lecture de l’Evangile selon Jean. Après les noces de Cana, premier signe programmatique de l’Evangile, annonce d’une vie vraie, en plénitude, Jésus monte à Jérusalem et chasse les marchands du Temple. A mon avis, c’est un deuxième geste programmatique qui va donner sa couleur à tout l’Evangile.
    Ce geste de chasser les marchands du Temple est commun à tous les évangiles. Cependant, les évangiles synoptiques le placent tous après le ministère de Jésus en Galilée, comme acte d’ouverture du temps de la Passion. Ce geste de Jésus est interprété la plupart du temps comme ce qui a mis le feu aux poudres, ce qui a provoqué la colère des autorités juives et conduit à son arrestation. Ce qui est le début du temps de la Passion et le déclencheur du procès de Jésus, Jean le place au début du ministère de Jésus. Comme pour montrer que l’entier du ministère de Jésus est placé sous le signe de l’hostilité et du conflit.
    On ne peut pas dire — comme les synoptiques pourraient le laisser penser — qu’il y a une période où tout se passe bien pour Jésus, il prêche, il guérit, il attire les foules, il plaît ; et une période où tout bascule, où tout tourne mal. Un tournant qui aurait pu être évité, peut-être.
    Non, dès le départ, dès le début du ministère de Jésus, il y a des fronts irréductibles, irréconciliables. Le conflit est inévitable dès le début, parce que c’est le combat que Jésus est venu mener, pour que les êtres humains reçoivent la vie, la vraie vie.
    Le conflit se joue sur deux visions de Dieu incompatibles, sur deux formes de relations à Dieu qui s’opposent. Ces visions sont mises en scène dans ce récit qui se déroule dans le Temple. D’un côté, une vision de la relation à Dieu qui passe par le commerce des sacrifices pour acheter le bon vouloir de Dieu. De l’autre, une relation à Dieu qui passe par la gratuité et le don de soi, tel que Jésus la propose et l’annonce à ceux qui veulent l’écouter.
    Jésus s’attaque ici à la transformation d’une relation en commerce. Le problème n’est pas le profit (il ne parle pas de « maison de voleur » comme Matthieu ou Marc), mais le fait d’introduire la confusion entre ce qui s’achète et ce qui ne s’achète pas. Introduire la confusion entre ce qui est matériel et ce qui est spirituel. Introduire la confusion entre la religion et la spiritualité.
    Le business autour du Temple construit l’idée qu’on peut régler sa dette avec Dieu, qu’on peut s’arranger, qu’on peut obtenir ses bonnes grâces et être quitte. Ainsi, selon sa personnalité, on verse du côté de l’orgueil : je suis en ordre, c’est bon. Ou bien on verse du côté du scrupule, je n’en aurai jamais fait assez, et on désespère. D’un côté comme de l’autre, la relation n’est pas vraie et libre, ce n’est pas de l’amour. 
    Jésus vient apporter un autre type de relation avec Dieu. La rencontre avec Nicodème (Jn 3) puis avec la Samaritaine (Jn 4) vont donner deux modèles complémentaires de relation à Jésus et expliquer comment se construit une nouvelle relation à Dieu. Dans la rencontre avec Nicodème, la vraie relation passe par un renouveau complet, un renouvellement total du lien avec Dieu. Dans la rencontre avec la Samaritaine, c’est la découverte que Jésus nous connaît jusqu’au fond de nous-mêmes et qu’il continue à nous aimer ; que son regard est totalement bienveillant et accueillant.
    Ce récit de Jésus qui chasse les marchands du Temple est donc un avertissement : le ministère de Jésus va être conflictuel. Et on le voit dans les guérisons que Jésus va effectuer, à la piscine de Bethesda (Jn 5) ou auprès de l’aveugle-né (Jn 9) où le conflit tournera, comme dans les synoptiques, autour du respect du sabbat.
    Pour le moment, Jésus nettoie le Temple, nous nous montrer qu’il veut nettoyer notre relation à Dieu. Ce récit est violent, parce qu’il illustre un bouleversement, un changement radical initié par Jésus. Il s’agit de balayer les vieilles bases religieuses pour poser un nouveau fondement à la relation à Dieu.
    Le changement est au centre du récit et du malentendu entre Jésus et ses interlocuteurs. C’est un des procédés littéraires préféré de l’évangéliste Jean qui se déroule ici : parler d’une chose et en comprendre deux différentes. On parle de « ce Temple », mais chacun montre un objet différent. Les gardiens du Temple montrent les pierres. Jésus montre son corps. Le malentendu est inévitable : on ne parle pas de la même chose.
    Mais tout est là. Jésus parle d’un Temple vivant pour le Dieu vivant, alors que ses adversaires parlent d’un monument figé, fossilisé, qui ne peut ouvrir à la relation au vrai Dieu. Et la question est : lequel de ces deux Temples donne accès à la vraie présence de Dieu, lequel est porteur de la présence de Dieu ?
    En ce temps de Carême, nous avons aussi besoin — en tant que personne, mais aussi en tant qu’institution — de passer au nettoyage par Jésus. Qu’y a-t-il de figé, de fossilisé dans ma foi ? Qu’y a-t-il de vieux, d’usé, de pétrifié dans notre Eglise qui ne sert plus la présence de Dieu dans le monde ?  Comment, dans ma vie et dans mon Eglise, puis-je changer de Temple ? Passer du Temple de pierre au Temple du Christ et vivre une relation vivante avec Dieu ? Qu’est qui est calcul et commerce dans ma relation à Dieu ? Où puis-je introduire de la confiance et de la gratuité ?
    Dans le Temple de Jérusalem, Jésus balaie tout. C’est insupportable pour ceux qui le voient faire. C’est très violent pour nous aussi ! C’est une remise en question terrible. Qu’est-ce que Jésus veut ? Quelle sorte de culte attend-il de nous ? Comment nous attacher à lui et rien qu’à lui ?
    Notre temps de Carême, notre montée à Pâques peut être remplie de ce questionnement : qu’est-ce que la vraie relation à Jésus ? Quel christianisme Jésus attend-il de nous ?
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 2. Passer de la lettre au signe

    16.2.2014
    Passer de la lettre au signe
    1 Rois 17 : 8-16       Jean 2 : 1-11
    Téléchargez la prédication : P-2014-02-16.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous poursuivons notre parcours dans l’Evangile selon Jean pour nous pencher ce matin sur l’épisode des noces de Cana. D’habitude, on lit ce récit pour lui-même, comme une attestation que Jésus partage les pouvoirs de Dieu lui-même, notamment ses pouvoirs sur la création : il a la capacité de passer outre aux lois de la nature.
    Je pense personnellement que cette interprétation habituelle n’est pas de nature à nous aider à croire, elle ne nous aide pas à approfondir notre foi. C’est pourquoi j’aimerais mettre ce récit dans son contexte, dans le fil du récit de l’Evangile selon Jean, pour comprendre ce que l’auteur du 4e Evangile veut dire à sa communauté.
    L’évangéliste dit clairement — dans le texte — pour quoi, en vue de quoi, il relate cet épisode : « Voilà comment Jésus fit le premier de ses signes, à Cana en Galilée ; il fit apparaître ainsi sa gloire, et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2:11).
    Trois affirmations dans ce verset : (i) c’est le commencement des signes de Jésus, (ii) Jésus manifeste ainsi sa gloire, (iii) le résultat, c’est que les disciples se mettent à croire. C’est donc le premier signe de Jésus, un signe qui révèle sa dimension divine, son origine divine et qui conduit ses disciples à la foi.
    Jean ne parle pas de « miracle » mais de « signe ». En effet, Jean n’utilise pas le même mot que les synoptiques pour parler des actions de Jésus. Jean parle de signes et c’est bien comme cela que Jean souhaite qu’on lise son texte. Lire le texte comme un signe, c’est chercher ce que nous signale le récit, ce qu’il veut nous révéler au-delà de sa littéralité, au-delà de sa factualité.
    Jean veut nous faire passer de la lettre au signe, de l’événement à la signification, des faits au sens.
    Les noces de Cana sont placées, ici — en ouverture des actes significatifs de Jésus. Elles ont donc un caractère programmatique. Elles annoncent la couleur du ministère entier de Jésus. Il est donc important de comprendre le sens de cet épisode.
    Quels sont les faits dont il faut trouver la signification ? Les faits énoncés sont les suivants : a) il y a une situation de manque : « ils n’ont plus de vin » (v.3). On est en situation de pénurie, de manque, une situation désagréable qui interrompt la fête, qui gâche les noces. C’est la situation basique, fondamentale, première de la condition humaine. La vie est précaire, marquée par la finitude, par le malheur, par le deuil, par le manque, par l’angoisse. L’être humain n’est jamais rassasié, ne se sent jamais assez aimé.
    b) La mère de Jésus pense qu’il peut faire quelque chose. Jésus précise que ce n’est pas encore son heure, c’est-à-dire le moment de révéler sa vraie nature. La mère de Jésus recommande que chacun fasse tout ce qu’il dira.
    (J’ouvre ici une parenthèse : nous avons là typiquement une phrase à double sens dont l’Evangéliste Jean est friand. Double sens, c’est-à-dire un sens littéral dans le récit, qui concerne les acteurs du récit, et un sens théologique qui concerne le lecteur du récit. « Faites tout ce qu’il vous dira » concerne les serviteurs du récit, mais nous concerne aussi en tant que lecteurs ou auditeurs de l’Evangile.)
    c) La transformation de l’eau en vin.
    Le récit nous offre — au niveau de la signification — une séquence en trois temps : pénurie ; application de la parole de Jésus ; transformation qui débouche sur l’abondance. Le récit ne nous dit donc pas que Jésus a des pouvoirs surnaturels, mais il nous dit que nous pouvons passer d’une situation de manque à une situation d’abondance en mettant en pratique les paroles de Jésus.
    Il n’y a pas un miracle de transgression des lois naturelles, mais une promesse de transformation, de transfiguration de l’existence, lorsqu’on suit Jésus.
    Et je n’ai pas encore parlé de l’eau et du vin. La fin du récit porte sur la réaction de l’échanson : « tout le monde sert d’abord le meilleur vin… » (v.10). C’est que le vin de Jésus est meilleur que tout ce qui a été servi jusqu’à présent.
    Le changement, la transformation que Jésus opère est qualitative. C’est la qualité de la vie qui change. Car c’est bien de la vie dont l’Evangéliste Jean nous parle ici à travers les images de l’eau et du vin. Il est question ici — en image, métaphoriquement — de la vie, de ce que Jésus appelle la « vie éternelle. » Ces mots n’apparaissent pas encore dans ce chapitre, on les trouvera dans le chapitre 3, mais les noces de Cana annoncent, signalent par le changement de l’eau ordinaire en vin extra - ordinaire, la saveur nouvelle et incomparable de la vraie vie.
    Ce que Jésus est venu transformer — et qui est programmatiquement annoncé ici — c’est la vie, c’est notre existence qui peut passer de « métro-boulot-dodo » à une vie « en conscience », à une vie relationnellement riche, remplie, pleine — en plénitude — abondante.
    C’est difficile de décrire cette vraie vie qui se cache sous le terme de « vie éternelle » dans Evangiles, tellement on la repoussée à l’au-delà. Mais Jésus l’annonce pour maintenant. Dans les synoptiques, Jésus dit « le royaume de Dieu s’est approché. » Chez Jean, il dit « celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jn 3:36).
    Les noces de Cana préfigurent l’entier du ministère de Jésus, les raisons de sa venue, le but de son action : transformer nos vies ordinaires en vie en plénitude. Tout le ministère de Jésus que va nous exposer l’Evangéliste Jean est orienté vers « nous donner la vie et la vraie vie. » Tous les prochains épisodes doivent être lus sous cet éclairage-là.
    La suite de l’Evangile selon Jean va développer cette transformation ; dire comment Jésus est l’agent transformateur et comment nous pouvons vivre cette transformation sous l’influence de Jésus, et entrer dans cette vraie vie, maintenant, sans attendre.
    C’est ce que promet l’Evangéliste Jean à sa communauté si elle continue la lecture de son Evangile. Il nous dit comment Jésus peut nous changer la vie. Et Jean va le faire en alternant les signes et les récits de rencontres pour nous montrer le chemin, le chemin vers Jésus, le chemin de notre transformation, le chemin de notre croissance dans la foi.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 1. Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun

    Jean 1
    2.2.2014
    Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun
    Jean 1 : 35-42       Jean 1 : 43-51
    Téléchargez ici le texte de la prédication : P-2014-02-02.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous poursuivons notre redécouverte de l’Evangile selon Jean, commencée dimanche dernier, avec ces récits des appels des disciples. Comme souvent, l’évangéliste Jean écrit un texte en deux parties, deux étapes qui ont des parallèles entre eux, mais qui montrent surtout une progression dans la révélation de Jésus au monde.
    Ces deux récits où Jésus rencontre, recrute de nouveaux disciples ont plusieurs similitudes. C’est chaque fois une rencontre et cette rencontre est la conséquence d’un témoignage. Jean Baptiste dit à ses propres disciples qui est Jésus « Voici l’agneau de Dieu » (Jn 1:36). André dit à son frère « Nous avons trouvé le Messie » (v.41). Philippe dit à Nathanaël « Nous avons trouvé celui dont Moïse et les prophètes parlent, c’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth » (v.45). La progression se voit dans le fait que le flambeau des témoignages passe des mains de Jean Baptiste dans les mains des disciples eux-mêmes.
     Dans chacun des récits, un disciple en amène un autre vers Jésus. Dans chacun des récits, on trouve la même phrase : « Venez et vous verrez » dit Jésus aux deux disciples. « Viens et tu verras » dit Philippe à Nathanaël qui est plutôt sceptique.
    La découverte de qui est Jésus, commence, certes, par un témoignage, une information, mais elle ne s’accomplit que dans un déplacement décidé et une observation personnelle. Il faut se décider une fois à aller voir, à aller observer, constater. Il faut un envie de découverte, ne serait-ce qu’un début de curiosité : « Où demeures-tu ? » ou le besoin de confronter son doute : « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » A partir de là, chacun doit pouvoir constater par lui-même. C’est la liberté que donne le Christ : faites l’expérience par vous-mêmes de ce que je donne, de ce que je révèle.
    La progression se marque par les paroles de Jésus à la première approche des disciples. Aux premiers il demande « Que cherchez-vous ? » Au second, il dit « Suis-moi ! »
    Le dernier parallélisme que je veux relever — et qui est le plus important et le plus marquant — ce sont les paroles transformantes de Jésus.
    Dans le premier récit, André amène son frère Simon à Jésus et le texte raconte : « Jésus le regarda et lui dit : — Tu es Simon, le fils de Jean, tu porteras le nom de Céphas, qui signifie Pierre. » (v.42) On sait de l’Evangile selon Marc (Mc 3:16) que Jésus a renommé Simon du nom de Pierre. Mais là, Jésus fait plus. Selon le récit, ils ne se sont jamais vus, mais Jésus regarde Simon et il lui dit qui il est et de qui il est le fils et il lui donne — j’ai envie de dire — un totem, un nom qui a une signification en rapport avec sa personne profonde. Jésus révèle à Simon qu’il est un rocher, un roc, une montagne de pierre. Il le révèle à lui-même, son être et sa vocation.
    Comment puis-je dire cela à partir de cette petite phrase ? Parce que c’est justement le même phénomène qui se passe avec Nathanaël dans la deuxième partie du récit. Un parallèle et une progression en même temps.
    « Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui et il dit à son propos : « Voici un véritable Israélite en qui il n’est point d’artifice. » « D’où me connais-tu ? » lui dit Nathanaël ; et Jésus de répondre : « Avant même que Philippe ne t’appelât, alors que tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » (v.47-48)
    Jésus a vu Nathanaël, il l’a regardé comme il a regardé Simon. Et Jésus a vu clair en lui. Jésus voit la vraie nature de Nathanaël et il le révèle au monde : « Voici un véritable israélite, il n’y a rien de faux en lui. » Nathanaël se reconnaît dans les paroles de Jésus, il en est bouleversé. Tout ça parce que Jésus l’a vu.
    Le texte dit « sous le figuier » et on a cherché plein de significations symboliques, moi aussi dans une prédication du 2.11.2008. Aujourd’hui, je vais prendre le texte au sens littéral. Sous le figuier, sous ton figuier, cela veut dire dans la cour de ta maison, chez toi, dans ta vie quotidienne, dans ton intimité. Jésus lui dit en quelque sorte : j’ai vu qu’entre ta vie personnelle et ta vie publique, là devant moi, tu ne changes pas, tu n’as pas de façade, tu n’as pas de secret, tu es authentique. Et Nathanaël se sent reconnu, accepté, compris. Peut-être même — maintenant que Jésus l’a dit — mieux qu’il ne le percevait auparavant de lui-même.
    Avec Simon, Avec Nathanaël — plus tard avec Nicodème et avec la Samaritaine — Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun. L’évangéliste Jean nous montre Jésus comme ayant une connaissance profonde, intime de chacun de ses disciples. Une connaissance qui ne s’accompagne d’aucun jugement, pas même pour les cinq maris de la Samaritaine.
    L’évangéliste Jean va plus loin dans sa façon de raconter, il montre que cette révélation du disciple à lui-même par Jésus conduit le disciple à reconnaître la vraie personne de Jésus. Le disciple se met à confesser sa foi en Jésus.
    Nathanaël, qui doutait que quoi ce soit de bon puisse sortir de Nazareth, en vient à confesser : « Maître, tu es le Fils de Dieu » ce qui est la confession de foi la plus parfaite pour l’évangéliste Jean.
    On voit donc que ces deux récits d’appel de disciples répondent à la question : « Comment devient-on chrétien ? » L’évangéliste répond qu’on devint un chrétien par un chemin qui passe par la mise en marche, par curiosité ou par quête (« Venez »), par l’observation et l’expérience (« Voyez »), mais surtout par la rencontre avec la personne de Jésus qui nous révèle à nous-mêmes dans notre vérité.
    Jésus se montre comme le Révélateur, de notre personne et du Père. Et parce qu’il peut nous révéler à nous-mêmes, il peut aussi nous révéler le Père. C’est le chemin que font les disciples. Ils reconnaissent en Jésus celui qui peut leur révéler les clés de leur existence, cette existence qui est tendue entre eux-mêmes et le Père.
    Jésus lui-même fait le lien entre la révélation de soi-même et la révélation du Père lorsqu’il dit à Nathanaël : « Parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes. » Et Jésus ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (v.50-51)
    La découverte de soi mène à la découverte du Père, et vice versa. Calvin l’avait bien compris puisqu’il ouvre son Institution de la Religion Chrétienne par ces mots : « Toute la (…) sagesse est située en deux parties : c’est qu’en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse. (IRC I, I, 1.)
    La foi naît de ce sentiment d’avoir été totalement compris par le Père et d’être dorénavant englobé dans sa vie et son amour. Alors le ciel s’ouvre et nous pouvons voir le Père à travers le Fils. Cette parole sur le ciel ouvert répond à celle qui termine le prologue « Personne n’a jamais vu Dieu. Mais le Fils unique (…) l’a fait connaître » (Jn 1:18).
    Le Fils unique est plus grand que Jacob sur qui montaient et descendaient les anges dans son songe (Gn 28:12) (allusion à la parole de la Samaritaine : « es-tu plus grand que Jacob ? » Jn 4:12). Par la foi, à travers le Fils de Dieu, le croyant a accès aux réalités divines et à la vraie vie. C’est ce que l’évangéliste Jean va exposer et développer dans tout son Evangile.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 1. L’Evangile selon Jean a pour but de nous ouvrir la porte d’accès à la Source de la vie

    Jean 1
    19.1.2014
    L’Evangile selon Jean a pour but de nous ouvrir la porte d’accès à la Source de la vie

    Jean 1 : 1-18     Jean 20 : 30-31

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pour comprendre L’Evangile selon Jean, il faut commencer par la fin. En effet, l’évangéliste a marqué la fin de son Evangile par deux phrases de conclusion. L’une disant le travail de choix et de tri qu’il a fait dans les épisodes de la vie de Jésus. La seconde phrase pour indiquer dans quel but il a fait ces choix et cette rédaction : il l’a fait pour amener sa communauté à croire que Jésus le Christ est le Fils de Dieu et qu’en croyant cela, on accède à la vraie vie. Il y a donc deux mouvements qui se suivent : croire et accéder à la vraie vie.
    L’Evangile selon Jean est donc le moyen, le chemin pour accéder à la foi et à la vraie vie. Ce chemin, je vous propose de l’emprunter — pas à pas — dans les dimanches qui viennent et dans le parcours d’Exploration biblique paroissial qui s’étendra de février à avril.
    C’est dans cette perspective de croire pour vivre vraiment que Jean écrit son Evangile. Il fait ce travail de rédaction alors que d’autres Evangiles, Marc d’abord, puis Matthieu et Luc circulent déjà. On appelle ces trois Evangiles (Matthieu, Marc et Luc) les Evangiles synoptiques parce qu’ils se ressemblent beaucoup dans leurs structures et le choix des épisodes de la vie de Jésus. Ainsi peut-on les « regarder ensemble » sur trois colonnes, d’où leur nom de « synoptiques ».
    Sachant que les Evangiles synoptiques existent, Jean peut faire un pas de plus dans l’explication du message de Jésus. Il n’a plus besoin de donner des informations sur la vie de Jésus, par contre, sa communauté a besoin d’explications pour comprendre sa situation actuelle.
    C’est la deuxième, voire la troisième génération de chrétiens, qui forme l’auditoire de Jean. Et Jésus n’est par revenu établir son règne ! Alors, que signifie l’annonce de la venue du Royaume de Dieu dans les synoptiques ? Jean va répondre à cette question.
    La communauté johannique (johannique signifie rassemblée autour de Jean) a été chassée des synagogues, il y a rupture totale avec le judaïsme, il y a même animosité, qu’est-ce que cela signifie ? Jean va répondre à cela.
    Paul prêchait la résurrection pour tous, mais voilà que la première génération de chrétiens, et maintenant la deuxième s’en va. On meurt encore ! Que faut-il en penser ? Qu’est-ce que Jésus est venu apporter ? Jean va répondre à cela.
    L’Empire romain était très tolérant envers les juifs (ils étaient établis dans toutes les grandes villes tout autour de la Méditerranée), mais maintenant l’Empire persécute les chrétiens. La vie de chacun est en danger. La prospérité diminue au profit de la précarité. Tout cela à cause de Jésus et de la foi en son nom ! Jésus est-il vraiment le messager de Dieu ? Jean va répondre à cela.
    Jean le fait dans son Evangile, dans la construction du plan de son Evangile, dans la construction de chaque récit et dans les formules littéraires qu’il utilise, nous verrons cela au fil des dimanches.
    L’Evangile selon Jean est fait de deux parties. La première (1—12) expose la révélation de Jésus devant le monde. La seconde partie (13—20) expose la révélation de Jésus devant les siens. L’Evangile selon Jean est écrit pour des croyants, pour une communauté, pour une Eglise. La communauté connaît déjà le Jésus des synoptiques, mais elle a besoin de plus. Elle a besoin d’approfondir sa foi. Elle a besoin de vivre sa foi dans la réalité. Elle a besoin de recevoir cette vie, cette vie nouvelle dans sa réalité.
    Peut-être est-ce aussi ce dont nous avons besoin ?
    Comment le message de Jésus transforme-t-il nos vies ? Qu’est-ce que le message de Jésus nous apporte-t-il ? Comment améliore-t-il nos vies ? C’est à ça que Jean veut répondre et c’est ce que nous allons découvrir au fur et à mesure qu’il le dévoile dans son Evangile.
    Ce matin, nous avons entendu le Prologue, l’ouverture de l’Evangile selon Jean. C’est un texte compliqué. Nous allons débrouiller un peu cela.
    Les cinq premiers versets se passent dans les sphères célestes, loin de nous : « Au commencement était la Parole, (ou le Verbe)… » (Jn 1:1). L’évangéliste utilise le mot « logos » en grec, qu’on retrouve dans les mots « logique » ou « biologie » en français. Traduit pour nous aujourd’hui, le logos des grecs, c’est le langage de l’univers, ce qui permet de le comprendre, c’est l’équation unifiée que cherchent les mathématiciens et les physiciens, c’est la clé numérique qui permet de comprendre l’univers, le code-source du cosmos. Et Jean nous dit que cette clé était Dieu et que cette clé était à la source de l’univers. Là, on est dans les grandes spéculations physiques et métaphysiques !
    Ensuite, Jean fait un glissement du logos vers la lumière. Le logos est la lumière et là il ne faut pas voir une ampoule au plafonnier, mais plutôt une ampoule dans la bulle d’une bande dessinée, lorsque le chercheur s’écrie Euréka ! La lumière, c’est ce qui permet de voir et de comprendre, de saisir le sens. Le logos nous éclaire puisqu’il nous révèle le sens des choses.
    Ici, Jean glisse que cette lumière va rencontrer l’opposition de l’obscurité. Le drame est annoncé. Il va y avoir du brouillage sur la ligne, mais c’est dit juste en passant.
    Ce qui est important — inédit et inouï — c’est que ce logos, cette clé de compréhension de l’univers est descendue sur terre, s’est incarnée dans un homme pour nous communiquer le contenu de cette clé. Ceux qui croient en celui qui porte la clé (Jn 1:12) ceux-là ont un accès à la source du sens et ils reçoivent la vie qui a du sens (v.13). Ils ne la reçoivent pas « naturellement / biologiquement », mais dans un autre ordre (d’en haut dira Jésus à Nicodème, Jn 3).
    Comme le disait Erasme : « On ne naît pas homme, on le devient. » Jean nous dit que devenir un être humain c’est possible à travers celui qui a accès à la source et qui est venu nous la faire connaître. Et c’est le but de l’Evangile de Jean : « Personne n’a jamais vu Dieu, mais le Fils unique, qui est Dieu et demeure auprès du Père, lui seul l’a fait connaître. »  (Jn 1:18). L’Evangile selon Jean a pour but de nous faire connaître la porte d’accès à la Source de la vie ; cette porte a été ouverte par Jésus Christ ; et nous sommes appelés à passer cette porte pour avoir accès à la vraie vie.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 2. Les mages chez Hérode : un roman d’espionnage

    Matthieu 2
    5.1.2014
    Les mages chez Hérode : un roman d’espionnage
    Jean 7 : 28-32     Matthieu 2 : 1-13

    Téécharger ici la prédication : P-2014-01-05.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Demain, 6 janvier, c’est la traditionnelle fête des Rois qui rappelle la venue des rois mages à la crèche pour adorer Jésus. Autour des rois mages s’est formée toute une tradition avec nombre de récits et de contes qui disent ensemble que le monde entier est venu se prosterner devant Jésus, qu’il a reçu mille cadeaux et que nous pouvons nous-mêmes nous joindre à ces adorants.
    J’ai moi-même aussi parlé dans ce sens, interprétant les trois cadeaux offert (24.12.2011) ou racontant divers contes (24.12.2009 - 13.12.2009 - 27.11.2011). Aujourd’hui, je vais vous emmener ailleurs, sans vouloir en rien déprécier les traditions autour des rois mages, vous me connaissez, vous savez combien j’aime généralement interpréter symboliquement les récits bibliques.
    Mais aujourd’hui, j’aimerais rester au plus près du récit biblique et de l’intention de Matthieu. Car Matthieu ne nous raconte pas un conte autour de la naissance de Jésus, loin de là ! Non, Matthieu commence ici un roman noir, un roman d’espionnage, qui va être parsemé de mensonges, de manipulations, de retournement d’espions et de cadavres. Oui, on est bien loin du folklore et du conte de Noël.
    Que nous dit Matthieu ? Il nous parle de mages (je vais continuer à les appeler de cette manière traditionnelle) qui sonnent à la porte du palais du roi pour demander s’il est au courant de la naissance de son futur légitime remplaçant, le Messie. (Le Messie est la personne qui est ointe de l’huile de la consécration à la royauté, comme Saül puis David l’ont été par le prophète Samuel. L’onction assure donc une légitimité divine à celui qui la reçoit).
    Inquiétude immédiate d’Hérode qui se sent menacé. Il met en route son enquête : où doit naître ce prétendant ?  Quand l’étoile qui l’annonce est-elle apparue ? Il mobilise les interprètes de la Bible pour avoir ces informations et il interroge les mages.
    Une fois qu’Hérode dispose de ces renseignements, il confie (sous le couvert du mensonge de vouloir lui aussi adorer le nouveau roi) il confie aux mages la mission de lui ramener la localisation exacte du Messie. Ainsi, sous un faux prétexte, Hérode transforme les mages en espions à son service, au service de ses funestes desseins comme on s’en doute.
    Toujours aussi naïfs et innocents, la tête dans les étoiles, les mages trouvent Jésus, l’adorent et lui donnent leurs cadeaux. Enfin, ils sont avertis de ne pas retourner voir Hérode. Toujours aussi peu à la page, mais obéissants, ils retournent chez eux par un autre chemin.
    Le plan d’Hérode est à moitié déjoué, en fait on a seulement gagné un peu de temps. Il faut maintenant fuir en Egypte. Joseph est averti, lui aussi en songe, de prendre l’enfant et Marie et de descendre se réfugier en Egypte en attendant que la menace s’estompe. Hérode, furieux, frappe à l’aveugle les nouveau-nés de Bethlehem, espérant ainsi anéantir le Messie.
    Dans ce récit, les mages ont finalement un rôle tout à fait secondaire, celui de relier Jésus et Hérode et de mettre en évidence leur confrontation inévitable. Ce qui est important, ce n’est pas le passage des mages, c’est l’inévitable confrontation entre le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel, entre l’obscurité et la lumière (dira l’évangéliste Jean, Jn 1:5), entre la corruption et la vérité, entre le péché et la grâce.
    Les mages relient Hérode et le Messie et mettent au jour leur inévitable confrontation. Les mages passent et ne se rendent pas compte des vagues qu’ils soulèvent sur leur passage. Mais Matthieu veut attirer notre regard sur ces vagues, sur cette tempête, sur cet affrontement et ses conséquences.
    La venue de Jésus a ouvert un conflit. La naissance du Messie est vue comme une menace par le pouvoir en place, surtout lorsqu’il est assis sur la violence et la corruption. L’obscurité craint la lumière. le malfaiteur craint la transparence. Hérode craint le Messie et lui déclare la guerre. Il veut à tout prix le retrouver et le tuer. Tout ce qui menace le pouvoir d’Hérode doit disparaître. C’est une guerre qui est déclarée contre le Messie et une guerre qui va se jouer en plusieurs manches.
    Première manche : la localisation du Messie. Malgré la défection finale des mages, le point est à Hérode. La sainte famille est obligée de s’enfuir.
    Deuxième manche : elle est gagnée aux points par Jésus puisque Hérode meurt. Il peut rentrer à Nazareth.
    Troisième manche : elle se joue pendant le ministère de Jésus. Il a le soutien de la foule. Le point et pour Jésus.
    Quatrième manche : les adversaires de Jésus réussissent à le faire condamner par Ponce Pilate. Victoire des violents par K.O.
    Jésus est mort. Tout est-il fini ? Les ténèbres ont-elles eu raison de la lumière ?
    Eh bien, quelques personnes racontent avoir vu Jésus vivant, ressuscité, et répandent ce message ! Il aurait finalement vaincu ! Quelle est la valeur de cette victoire secrète ?
    Nous en sommes ici de ce combat, de cette confrontation dont Matthieu a donné les premiers moments. Quelle est la valeur de cette victoire secrète ? Que croyons-nous ? Nous ? Qui a gagné ? Est-ce Jésus ou les hérodes de notre temps ?
    Le monde ne nous envoie pas de signal clair. En fait, le monde parie plutôt sur la victoire de l’obscurité sur la lumière. Et nous, sur qui parions-nous ? De quel côté nous plaçons-nous ?
    C’est bien la question de la foi. Croyons-nous en la résurrection, en la victoire — encore secrète, mais déjà adjugée — de Jésus, de la justice et de la vérité sur l’obscurité ? De quel côté nous plaçons-nous ? Comment allons-nous le manifester, le faire savoir ? La balle est dans notre camp.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz 2014.

  • Conte : Ce soir c’est Noël !

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    25.12.2013
    Conte : Ce soir c’est Noël !

    Jean 1 : 10-15    Phil 2 : 5-11
    Télécharger le texte ici : P-2013-12-25.pdf


    Il faisait froid, ce soir-là. Un fin grésil fouettait les troncs nus des platanes des avenues. Le vent glacé soulevait la neige à peine tombée. On ne voyait que des ombres traverser les lignes de lumières dessinées sur la chaussée par les fenêtres décorées.
    Les derniers passants pressaient le pas pour rentrer chez eux, des paquets à la main. Chacun n’avait qu’une envie, se retrouver vite chez soi, avec les siens, au chaud, si possible avec un feu crépitant dans la cheminée. Dans les maisons les tables étaient dressées, les bougies allumées. Un fumet délicieux sortait des cuisines et aiguisait l’appétit des convives. Tout était prêt pour le réveillon de Noël.
    Pendant ce temps, un homme marchait seul dans les rues. Le dos courbé, luttant contre le vent et le grésil aiguisé, il traversait la ville sans s’arrêter nulle part. Personne ne l’attendait : Riton —c’était son nom— n’avait ni famille, ni maison.
    Sans s’inquiéter des gens qui, çà et là, le regardaient passer de derrière leurs fenêtres illuminées, il poursuivait sa route dans la neige et le froid. Et tandis qu’il soufflait dans ses mains pour se réchauffer, les flocons qui tombaient se mêlaient à sa barbe. Mais le vieil homme n’était pas tout seul dans cette nuit glacée…
    Un petit chien le suivait dans ses traces. Ses pas étaient silencieux dans la neige. Si la neige n’avait pas été sale d’avoir été piétinée toute la soirée, on n’aurait même pas vu sa fourrure blanche s’y détacher. D’où venait-il ? Que faisait-il là ? Il semblait avoir fait un bien long voyage. Ce n’était pas un chien errant puisqu’il portait un collier, un beau collier même, avec une étoile qui brillait dans sa fourrure de neige. Riton se retourna en entendant un léger jappement. Et quand il aperçut le chien, son visage s’éclaira.
    — Tu t’es perdu, dit ? » Et Riton se baissa vers lui, lui prenant la tête entre les mains.
    — Salut toi, oui, bon chien, bon chien, toi. D’où tu viens ? Qu’est-ce que tu fais là tout seul par ce blizzard ? Oh, tu en as une belle étoile à ton collier ! Eh bien, viens avec moi, ne reste pas tout seul. » Le petit chien jappa tout en le regardant. Et il le suivit. Ensemble, ils reprirent leur marche dans le froid et le vent.
    Riton emmena le chien jusqu’à la cabane de planches et de tôles qui lui servait de refuge, en marge de la forêt sombre. Riton fit entrer le chien et ils s’installèrent, lui sur le tas de couvertures qui lui servait de lit, le chien par terre sur les morceaux de moquettes récupérées de droite et de gauche. Et là, Riton sortit de son sac de toile un morceau de pain et un bout de saucisson, il les partagea avec son nouveau compagnon.
    — Tiens ! dit-il. Voilà tout ce que j’ai pour notre réveillon ! Bon appétit quand même ! » Puis, comme c’était le soir de Noël, il raconta encore un conte d’autrefois, celui qu’il préférait quand il était petit.
    Le vent soufflait toujours, de plus en plus fort, de plus en plus froid. Des courants d’air froid passaient entre les planches.
    — Viens ! murmura Riton en remontant le col de son vieux manteau. Viens avec moi sur le lit, on se tiendra chaud. » Longtemps ils restèrent là, bien au chaud dans les couvertures.
    Mais soudain, une voix retentit :
    — N’aie pas peur, ne crains rien, écoute-moi… Je ne suis pas un chien, en fait. Je suis un magicien ! J’ai de grands pouvoirs. »
    — Toi ? Tu es magicien ? » s’étonna le vieil homme ? « Mais que fais-tu là, avec moi ce soir ? »
    — Je vais t’expliquer. J’ai pris ce soir l’apparence d’un chien pour offrir un merveilleux cadeau à celui qui m’accueillerait. Mais partout les portes étaient closes et les gens trop pressés. Toi seul t’es intéressé à moi, toi seul tu t’es montré bon avec moi. Toi seul tu as partagé ton repas de Noël avec moi. Alors, pour te remercier, je vais exaucer ton vœu le plus cher. Dis-moi ce que tu veux et je te le donnerai. »
    — Oh, j’ai la route devant moi, j’ai toute ma liberté, j’ai le ciel au-dessus de moi… je n’attends plus grand-chose d’autre. Je n’ai besoin de rien, répondit Riton.
    — Oh, ne me déçois pas, lui dit le magicien, il y a sûrement quelque chose que tu désires ?
    — Eh bien, vu que tu es là, eh bien… j’aimerais… j’aimerais bien avoir un chien comme toi. J’aimerais bien avoir un compagnon qui te ressemble. Si tu le peux, offre-moi un chien ! »
    Dehors, le vent se tut. Et dans le silence, Riton entendit la cloche de l’église, au loin, qui sonnait minuit. Il regardait le chien blanc, avec l’étoile de son collier qui scintillait. Il ne pouvait croire que ce chien était autre chose qu’un chien.
    De son côté le magicien avait la tête qui lui tournait. Allait-il accomplir le vœu de Riton ? Un chien pour compagnon… était-ce vraiment son désir le plus cher ? Il doit faire bon, sans doute, être l’ami de cet homme-là, pensa le magicien. Alors, tandis que résonnait le douzième coup de minuit, le magicien se décida. Il abandonna tous ses pouvoirs, à jamais.
    Et au lever du jour, le vieil homme repartit… et son chien blanc le suivait. Jamais l’étoile de son collier n’avait autant brillé, mais les yeux de Riton brillaient bien plus encore.
    - - - - - - -

    D’après le récit de la BD : Ce soir c’est Noël, Dominique Marchand et Albrecht Rissler - Editions Nord-Sud, 2000
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Conte : Adam réveille-toi !

    Esaïe 9
    22.12.2013
    Conte : Adam réveille-toi !
    Esaïe 9 : 1-2+5-6     Esaïe 7 : 10-14     Esaïe 60 : 1-5

    Télécharger le texte ici : P-2013-12-22.pdf

    Dans le pays de l’ombre, il fait tout noir ! Dans la shéol, c’est comme dans une caverne lorsque la dernière torche s’est éteinte. Tout est noir, tout est immobile. Pourtant il y a du monde dans ce séjour souterrain puisqu’il rassemble tous ceux qui ont quitté la surface de la terre. Mais tout le monde est immobile, parce que — dans le noir — si on bouge on se cogne et on se fait mal. Alors tout le monde dort, d’un sommeil qui ne respire pas, d’un sommeil qui ne bouge pas, d’un sommeil qui pèse des milliers de tonnes. Pourtant, là-bas, au bord de la frontière, une femme se met à bouger... elle lève la tête... elle se redresse... et bouscule le compagnon qui partage sa couche :
    -    Adam ! Réveille-toi ! Réveille-toi !
    -    Oh ! Laisse-moi tranquille ! Voilà des siècles que je dors ! Je ne vais quand même pas me réveiller maintenant !
    -    Si ! Adam ! Réveille-toi !
    -    Oh ! Eve ! Tu ne vas pas me refaire le coup de la pomme ! Laisse-moi tranquille !
    -    Adam ! Je t’en prie ! Regarde là-bas, la lumière ! Tu ne vois pas ? C’est comme au matin du sixième jour, quand je t’ai découvert dans le jardin, il y avait cette lumière-là au fond de tes yeux...
    -    Tu as raison... la lumière de Dieu est en train de revenir... elle illumine ton visage...

    Dans le pays de l’ombre, il y a une mer, une mer très sombre, une mer qui a l’air de vouloir engloutir tous ceux qui l’approchent. Au bord de l’eau, un homme est figé, avec sa femme et ses trois fils. Comment est-il possible de dormir au bord de ces eaux qui secouent en furie leurs tentacules de mort ?... Et soudain, les eaux s’apaisent, peu à peu... Le bruit du silence réveille la dormeuse... elle secoue son compagnon :
    -    Noé ! Ecoute !
    -    Tu es folle, ma femme ! Il n’y a aucun bruit ! Par contre, je vois...
    -    Que vois-tu ? Tu es fou, Noé ! Tu sais bien que dans cette obscurité, il n’y a rien à voir !
    -    Si, regarde, là-bas ! Du rouge... rouge comme le couple de colibris entré dans l’arche au dernier moment...
    -    Oh ! Je vois de l’orangé... orange comme la petite grenouille à trois doigts qui sautait partout... et du jaune comme les plumes des canaris...
    -    Regarde, le vert... vert comme les feuilles du rameau d’olivier rapporté par la colombe... et aussi le bleu... un bleu profond comme celui des ailes de la libellule...
    -    Et du violet... violet comme l’étrange papillon posé sur le rebord de la fenêtre de l’arche...
    -    La lumière de Dieu est en train de revenir... Regarde ce bel arc-en-ciel... l’alliance se renouvelle.

    MUSIQUE

    Dans le pays de l’ombre, il y a un ciel, un ciel très noir, un ciel déprimé et déprimant. Pourtant, tout à coup, on entend un rire, un rire de femme, un rire clair jaillissant comme une source :
    - rire de femme
    -    Sarah ! Tais-toi ! Qu’as-tu à rire pareillement ? Notre fils est grand  depuis longtemps... Tu n’es tout de même pas enceinte une nouvelle fois ?
    -    Non, Abraham ! Non ! Mais lève les yeux au ciel ! Une étoile est revenue !
    -    Une étoile ? C’est impossible, pas ici.
    -    Si, une étoile comme toutes celles que Dieu t’avait fait voir pour t’indiquer que tu serais le père d’un grand peuple.
    -    Oui ! Le père de tous les croyants... Oui, je suis le père de tous les croyants... Mais cette étoile elle est toute seule ! Mais c’est vrai qu’elle est bien plus brillante que toutes celles que j’ai vues autrefois. Tu crois que Dieu veut nous annoncer une bonne nouvelle ?
    -    Serait-ce encore une naissance ?
    -    Tu es folle, Sarah ! Rien ne naît au pays de l’ombre !
    -    Attention, Abraham, si tu doutes, tu vas perdre ton titre de « père des croyants » !

        On ne peut pas sortir du pays de l’ombre. C’est un endroit complètement clos, fermé par les portes de la mort. Jacob, lui, a trouvé un moyen : il s’évade par le haut ! Il dort, avec une échelle à côté de lui. Quand il était vivant, il avait dormi ainsi à Béthel et il avait eu un songe... le songe de sa vie : pensez donc, il avait vu Dieu !
    Une échelle était dressée sur la terre et le sommet de cette échelle atteignait le ciel... Des anges montaient et descendaient... et Dieu lui avait parlé ! Il n’est pas interdit de refaire le même rêve plusieurs fois. Alors, Jacob ne se lasse pas. Il rêve qu’il monte en gravissant les échelons de son échelle. Il monte vers le ciel, il monte dans ce royaume de lumière...
    Mais ce soir, c’est différent. Il n’a pas l’impression de dormir et pourtant il voit des anges, comme à Béthel ! Il voit des anges qui descendent vers la terre, ils se préparent à chanter pour des bergers.
    -    C’est sûr, dit-il en se redressant, si je vois des anges descendre vers la terre, c’est que Dieu va parler une nouvelle fois ! Et il entend les anges chanter : « Gloire à Dieu et Paix sur la terre. »

    MUSIQUE

    Dans le pays de l’ombre, il fait froid et il est impossible de faire du feu. Çippora, glacée comme la mort, dort à côté de Moïse... Soudain, elle se réveille... surprise par une chaleur douce qui vient lui lécher les pieds...
    -    Moïse ! Regarde ! Des bergers qui gardent leurs troupeaux ! Ils ont allumé un feu pour se réchauffer ! Regarde ! Ils ont même un petit mouton noir... comme toi quand tu faisais paître le bétail de mon père dans le pays de Madiân... Moïse, il y a si longtemps que nous n’avons pas vu un bon feu !
    -    Oh, Çippora ! Ce feu a quelque chose d’extraordinaire ! Sa chaleur est si enveloppante !... Tu sais, il me rappelle un autre feu, celui que j’avais vu sur la montagne de l’Horeb, tu sais le feu dans le buisson... Serait-ce « Je suis » qui revient ? Dieu... le Dieu de nos pères... le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob...
    -    Moïse ! Ce feu a été allumé par des bergers... pas par Dieu !
    -    Oui, ma douce ! Mais tu sais que Dieu a un petit faible pour les bergers : Il a aimé l’offrande d’Abel, il a parlé en songe à notre père Jacob, il a donné une mission importante à son fils Joseph... et à moi ! Si tu as été réveillée, ma belle, de ce sommeil glacé, c’est que Dieu va venir !

    Dans le pays de l’ombre, personne ne chante. Il n’y a pas d’oiseaux, pas de cascades, pas de brise légère pour charmer les oreilles. Il n’y a pas de musique. Pourtant, dans un coin, il y a une cithare. Un homme a posé sa main dessus et dort ainsi, profondément. Cet homme n’est pas n’importe qui : il a gardé sur la tête une couronne... qui ne lui sert pas plus que la cithare à laquelle il s’accroche. Cet homme a d’abord été le petit David musicien qui s’occupait des moutons de son père. Puis il est devenu roi d’Israël... un grand roi.
    David, tout à coup, sort de son sommeil et se met à chanter :
    « La ténèbre n’est pas ténèbre devant toi, la nuit comme le jour est lumière. » (Ps 139:12)
    Puis David se met à danser en tournoyant comme le jour où il s’est installé à Jérusalem :
    -    « Mon âme, bénis l'Éternel! Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom!  Mon âme, bénis l'Éternel, Et n'oublie aucun de ses bienfaits ! » (Ps 103:1-2).

    MUSIQUE

    Dans le pays de l’ombre, personne ne parle. Les mots ont été tués. Il est interdit de s’exprimer. Il n’y a aucune place pour la parole venant du cœur. Quand Esaïe est arrivé dans ce pays-là, il a eu beaucoup de mal à se taire. Même couché là, au milieu des autres, il parle encore. Car Esaïe est un prophète, c’est-à-dire celui qui parle devant, au nom de Dieu. Alors, Esaïe parle en dormant... c’est à peine si on l’entend... de toutes façons, entend-on les prophètes, même quand ils sont réveillés ? Soudain, Esaïe se dresse et crie :
    -    « Pour l'amour de Sion je ne me tairai point, Pour l'amour de Jérusalem je ne prendrai point de repos. Jusqu'à ce que son salut paraisse, comme l'aurore, Et sa délivrance, comme un flambeau qui s'allume. » (Es 62:1)
    Jérémie, qui dort non loin de là le fait taire :
    -    Chut ! Esaïe ! Tu sais bien que Jérusalem passe ses nuits à pleurer, que les larmes couvrent ses joues. Personne ne la console, tous ses amis l’ont trahie.
    -    Non, Jérémie, je ne me tairai pas ! Le Seigneur vient : « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe, Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, Et elle lui donnera le nom d'Emmanuel. » (Es 7:14) 
Je vous le dit, à tous, à chaque habitant du pays de l’ombre : « Lève-toi, sois éclairé, car ta lumière arrive, Et la gloire de l'Éternel se lève sur toi. » (Es 60:1)

    Tandis que le prophète parlait « on entendit le bruit d’un grand remue-ménage » (Ez 37:7) et les habitant du pays de l’ombre « reprirent vie. Ils se dressèrent sur leurs pieds et ils formaient une foule nombreuse » (Ez 37:10) comme le dirait Ezéchiel.
    Et on vit Sarah et Abraham suivre une étoile, on vit Jacob écouter des anges, on vit Çippora et Moïse habillés en bergers s’avancer vers une pauvre étable avec leurs moutons.
    Et on vit Adam, Noé et David, habillés de riches vêtements et couronnés d’or apporter des cadeaux à un enfant couché dans une crèche.
    Et on entendait au loin Esaïe dire :
    - Viens Jérémie ! Je te l’ordonne ! Viens ! Tu ne vas quand même pas laisser passer la Lumière du monde sans te bouger !
    -    La Lumière du monde ?
    -    Oui ! Regarde ce bébé, là-bas, entre son père et sa mère ! Il est la Lumière du monde !
    -    Ce bébé ? Je ne comprends pas !
    -    Tu comprendras plus tard ! Viens ! Allons adorer l’enfant qui vient de naître !
    - - - - -
    d’après Marie-Françoise Chauveau, original sur : http://ursulines.union.romaine.catholique.fr/Adam-Reveille-toi
    © Jean-Marie Thévoz, 2013