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liberté

  • Nombres 21. Le Christ en croix est le repère que Dieu a élevé pour être vu de tous

    pour le dimanche 7 juin

    Nombres 21

    Le Christ en croix est le repère que Dieu a élevé pour être vu de tous

    Nombres 21 : 4-9.      Ephésiens 5 : 1-2.       Jean 3 : 7-15

    télécharger le texte : P-2020-06-07.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dimanche dernier, dimanche de Pentecôte, nous avons vu comment — par le don de l'Esprit saint — Dieu a manifesté sa volonté de faire de nous des fils, ou des filles, et non des esclaves dans notre relation avec lui. Ce rang de fils, auquel Dieu nous élève, nous place comme héritiers et cogestionnaires du monde avec Dieu. Ce rang de fils, ou de fille, nous dit également à quelle communion, avec Lui, Dieu nous invite. En nous faisant fils, il reconnaît notre liberté, notre autonomie à diriger notre vie, à choisir notre chemin de vie.

    J'avais utilisé l'image du voilier, à ce propos, parce que le voilier peut prendre toutes sortes de routes sur l'eau pour parvenir à la destination qu'il s'est fixée, selon les vents qui soufflent. Dieu ne nous fixe pas la route à prendre, mais il nous invite à choisir une destination : aller à Lui pour trouver la vraie vie.

    Pour aller vers cette destination, Dieu a placé un repère — comme un phare qui guide le voilier dans la nuit — c'est le Christ qui a été élevé sur la croix.

    Presque tous les jours, nous entendons dans les médias que notre société est déboussolée, qu'elle est sans repères, que nos jeunes n'ont plus de repères et partent à la dérive. Oui, c'est vrai — mais en partie seulement. Si nos jeunes manquent de repères, c'est que notre génération n'ose plus leur dire où on en trouve. Ou pire, c'est que notre génération a perdu ses repères, mais n'ose pas le dire et reporte la faute sur ses enfants.

    Or les repères sont toujours-là, mais on ne les trouve plus attrayants parce qu'apprendre à les connaître, les assimiler, les intégrer cela demande un effort sur soi-même, cela demande des changements d'attitudes, des transformations et — mot tabou — des renoncements. Suivre un repère, se tenir à une ligne de conduite, ce n'est pas facile, cela demande des efforts.

    C'est exactement ce qui se passe avec les Israélites qui se trouvent avec Moïse dans le désert. Ils posent la question : "Pourquoi nous avoir fait sortir d'Egypte ?" Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert ?" (Nbr 21:5).

    La voie de la liberté n'est pas toujours plus facile que de rester dans le confort de l'esclavage où tout est décidé, tracé pour vous. Il y a des moments où le malheur ne semble pas plus effrayant que le changement.

    Max Frisch avait cette phrase superbe et effrayante :

    "Quand on a encore plus peur du changement que du malheur,
    comment éviter le malheur?"

    C'est la situation des Israélites au désert, c'est la situation de Nicodème face à Jésus. Il y a souvent des situations comme cela dans nos vies, où le changement nous fait plus peur que le malheur.

    Dans cette situation, Dieu dit à Moïse de faire un serpent en bronze et de le fixer en haut d'une perche, bien visible, avec cette promesse :

    "Quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve !" (Nbr 21:8)

    Dieu ne propose pas un antidote, un vaccin ou un sérum au venin du serpent, il commande à Moïse de placer bien en vue la cause du malheur et de le regarder pour être sauvé. Est-ce à dire qu'il faut regarder le malheur bien en face pour en sortir ? Pourquoi pas ? C'est peut-être en regardant lucidement en face le mal, la souffrance, l'échec, que nous pouvons recevoir le vrai désir et l'énergie de lui préférer le changement.

    Ce qui est plus étonnant encore, c'est que l'évangéliste Jean reprend cette image du serpent sur la perche et y substitue Jésus élevé sur la croix ! Jésus, le Christ en croix, est le repère que Dieu a élevé pour être vu de tous, pour que nous puissions nous diriger d'après lui vers notre destination qui est une vie pleine, une vie en abondance, une vie riche en relations, ce que l'Evangile appelle la vie éternelle.

    Jésus sur la croix est celui qui porte tous nos malheurs, tous nos échecs et celui qui nous indique un chemin vers le bonheur. Lui qui a vécu le plus grand changement imaginable : mourir et revenir à la vie, lui nous invite à le regarder lorsque nous hésitons entre le malheur et le changement.

    Nous sommes invités à regarder le Christ, sa vie, son enseignement, sa mort et sa résurrection, pour naître de nouveau, pour naître par l'Esprit.

     

    Dans notre lassitude,

    regarder au Christ

    pour voir renaître notre énergie.

     

    Dans nos échecs,

    regarder au Christ

    pour retrouver l'espérance.

     

    Dans nos colères, notre énervement,

    regarder au Christ

    pour refaire provision de patience.

     

    Dans nos envies de vengeances,

    regarder au Christ

    pour recevoir le pardon et pardonner à notre tour.

     

    Lorsque l'ombre nous envahit,

    regarder au Christ

    pour voir resurgir la lumière.

     

    Lorsque le malheur semble gagner,

    regarder au Christ

    pour recevoir la vraie vie.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils

    pour le dimanche de Pentecôte

    Galates 4

    Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils

    Jean 14 : 25-29.       Actes 2 : 1-17.         Galates 4 : 1-7

    télécharger le texte : P-2020-05-31.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous vivons le dimanche de Pentecôte, jour où l'Eglise commémore le don de l'Esprit saint aux disciples et à l'Eglise toute entière. Jésus — nous l'avons entendu dans la lecture de l'Evangile de Jean — avait annoncé à ses disciples que l'Esprit saint serait envoyé une fois qu'il les aurait quittés.

    Luc — dans le livre des Actes — nous dépeint comment a pu se dérouler la première Pentecôte. Et Paul, finalement, explique à la jeune Eglise de Galatie pour quoi, dans quel but l'Esprit saint leur est donné : "Pour prouver que vous êtes bien ses fils, Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son fils, l'Esprit qui crie « Abba ! mon Père ! ». Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils." (Gal 4 : 6-7)

    L'Esprit qui est donné au croyant par Dieu crée un lien de filiation. Ce lien de filiation indique plusieurs choses (il est peut-être bon d'avoir ici en mémoire la parabole que Jésus a racontée sur le "fils prodigue", sans oublier le fils aîné de la parabole (Luc 15:11-32)) :

    a) la première chose que nous montre le lien de filiation, c'est la proximité. Père et fils sont proches, ils se côtoient, ils travaillent ensemble. L'idée de séparation est vue comme une anomalie, un échec de la relation.

    b) la deuxième chose qui vient avec la filiation, c'est la notion d'héritage. Chez nous on dit "Tel père, tel fils" ou bien "Le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre." Qu'il le veuille ou non, qu'il l'accepte ou se révolte, l'enfant hérite beaucoup de choses de ses parents en termes d'héritage psychologique, d'attitudes et de comportement.

    c) enfin, la filiation signifie aussi la copropriété de l'héritage (voyez le fils aîné de la parabole qui ne s'en doutait pas !). Il y a une communauté de gestion, communauté de biens. Ce qui appartient au père appartient aussi au fils. L'Esprit du Père est donné aux fils pour mener une oeuvre commune dans le monde !

    Paul définit le fils en l'opposant à l'esclave. C'est très important pour l'Eglise de Galatie qui avait la tentation de replonger dans une spiritualité fondée sur l'obéissance stricte à la Loi (avec le risque de devenir des pharisiens chrétiens) et pour nous aujourd'hui où le monde ne parle que de liberté : défendre le monde libre (contre le terrorisme); avoir plus de temps libre; lutter contre toutes les atteintes à la liberté, etc... Ça sonne bien et honni soit celui qui osera dire le contraire ! Mais de quelle liberté s'agit-il ? Celle de tous ou celle du petit groupe qui contrôle celle des autres ?

    Paul oppose l'esclavage à la filiation : "Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils." (Gal 4:7). La liberté, c'est Dieu qui la donne et la liberté n'est pas l'abandon de tout lien — comme s'il était possible de vivre sans lien, donc sans relations — mais l'attachement à un maître qui libère par opposition à un maître qui enchaîne et asservit.

    La liberté n'est pas l'abolition de toutes les lois, cela ne peut conduire qu'au rétablissement de la loi du plus fort. La liberté, c'est d'accomplir la loi (le double commandement d'amour) non par soumission scrupuleuse et par crainte d'une punition, mais par choix, parce qu'on a compris la bonté et l'utilité du commandement. Accomplir la loi, non par soumission comme l'esclave, parce que le maître l'a dit, mais par l'Esprit de Dieu, parce qu'on a compris où cela conduit.

    Par exemple, on m'a dit de ne pas tricher ni mentir. Le ferais-je parce que j'ai peur de la transgression ou parce que je comprends que sans cette règle je ne peux pas vivre de vraies relations avec quiconque ?

    L'Esprit de Dieu nous rend libre chaque fois qu'il nous aide à comprendre la visée d'une règle et nous conduit à l'adopter comme si c'était nous-mêmes qui l'avions inventée !

    Mais cette question de liberté n'est-elle pas devenue caduque dans notre société occidentale ? N'avons-nous pas toutes les libertés qu'il nous faut, même trop de liberté — comme on l'entend parfois ? Quel est cet esclavage dont nous parle Paul ? Que veut-il dire lorsqu'il écrit : "nous étions esclaves des forces spirituelles du monde" (Gal 4:3) ? Est-ce dépassé ou est-ce encore actuel ?

    Si je pose la question, c'est que je pense que c'est encore actuel. Il y a encore aujourd'hui un combat à mener pour la liberté contre les "forces spirituelles du monde". Simplement il faut actualiser le vocabulaire. On ne peut plus parler en termes de forces célestes, d'anges et de démons. Aujourd'hui le vocabulaire parle de pressions sociales, de modes, de tendances, de trends ou encore de conditionnements ou de pulsions. Et c'est vrai que ces luttes ne doivent plus être projetées sur l'écran du ciel, hors de nous.

    La lutte se mène en nous-mêmes et dans la société pour savoir à qui nous allons faire allégeance : sera-ce aux manipulateurs de l'opinion publique; aux endormeurs de conscience; aux charmeurs de nos égos; aux vendeurs de rêve qui se remplissent les poches ? Ou sera-ce à ce Dieu qui nous veut libres, libres de toute dépendance, libres de former notre opinion, libres de remplir nos caddies selon nos besoins et non selon les désirs des publicitaires ?

    Qu'est-ce qui fait un esprit libre dans les tempêtes du monde actuel ? Si nous sommes un voilier soumis aux vents de tous ceux qui veulent nous asservir, il faut choisir une destination. D'où que vienne le vent, un voilier peut voguer vers sa destination. Il peut y parvenir par une multitude de chemins.

    Lorsque Dieu nous donne son Esprit, pour faire de nous des Fils, il nous donne cette destination, ce but, et il nous donne la liberté de choisir notre voie pour y parvenir.

    Que l'Esprit de Dieu qui vous fait enfants de Dieu vous accompagne sur votre route.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • "Je suis la porte" dit Jésus

    pour le dimanche 22.3.2020

    Jean 10

    "Je suis la porte" dit Jésus

    Genèse 28 : 10-19.      Romains 5 : 1-5.    Jean 10 : 7-10

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    L'évangile de Jean nous rapporte plusieurs paroles de Jésus où il dit qui il est d'une manière très imagée :

    « Je suis le pain de vie » (Jn 6:35)

    « Je suis la lumière du monde » (Jn 8:12)

    « Je suis celui que je suis » (Jn 8:25 et 28) en écho à la révélation de Dieu à Moïse devant le buisson ardent (Ex 3:14).

    « Je suis le bon berger » (Jn 10:11 et 14)

    « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11:25) que Jésus dit à Marthe devant la tombe de son frère Lazare.

    « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 11:25)

    « Je suis la vraie vigne » (Jn 15: 1 et 5)

    Et voilà qu'il dit — dans le texte que nous avons entendu à l'instant —

    « Je suis la porte de l'enclos des brebis » (Jn 10:7)

    « Je suis la porte » Que devons-nous comprendre là ?

    Une interprétation facile est de glisser tout de suite vers le "gardien de la porte", celui qui assure la sécurité de l'enclos en ne laissant entrer que les ayant-droits, une sorte de cerbère qui filtre les entrées comme à la porte d'une discothèque.

    Mais Jésus n'est pas en train de dire que la vie — et la vie en abondance qu'il offre à tous (Jn 10:10) — c'est de vivre enfermé dans un enclos, même si l'on gagne en sécurité.

    Jésus est la porte pour que l'on puisse entrer et sortir et trouver sa nourriture, sous-entendu : à l'extérieur de l'enclos. Il faut se représenter un peu l'image que Jésus utilise : le troupeau est rentré la nuit dans un enclos qui peut être un petit cabanon ou une grotte. Il y a peu de place, les moutons sont serrés les uns contre les autres, c'est noir et inconfortable, mais c'est le seul moyen d'en assurer la sécurité.

    L'accent n'est donc pas mis sur l'enclos, mais sur cette possibilité d'aller et venir et de trouver une nourriture abondante. Jésus est la porte d'accès à une vie de liberté autant que de sécurité, à une vie que Dieu veut rendre belle et pleine.

    Jésus se présente donc comme l'accès à cela. Il est le pont jeté entre deux mondes que tout sépare. Entre la vie terrestre, faite d'aléatoire, de succès comme de malheurs, de moments de bonne santé comme de maladies qui surgissent et blessent; entre cette vie terrestre et la vie que Dieu veut nous offrir : une richesse relationnelle qui permet de dire : "malgré les aléas tristes et injustes de l'existence, la vie vaut la peine d'être vécue".

    Jacob, dans son rêve, avait eu la vision de cette possibilité, de cette réconciliation entre le monde terrestre et le monde céleste, lorsqu'il a vu cette échelle qui reliait le ciel et la terre. Une échelle, comme une passerelle, comme une porte ouverte entre le monde de Dieu et le monde des humains.

    Et Jacob ne s'y est pas trompé lorsqu'il a nommé ce lieu où il s'était endormi : la maison de Dieu (Bethel) et qu'il a ajouté, c'est ici la "porte du ciel". Il a vu là ce que l'évangile de Jean nous dit maintenant : Jésus est la porte qui nous ouvre sur le monde de Dieu, il est la porte à travers laquelle nous pouvons passer pour avoir accès au monde divin.

    « Je suis la porte » dit Jésus, il n'y en a pas d'autres qui ouvrent sur cette réalité divine. Aujourd'hui, pour les plus branchés (sur internet), on pourrait traduire : Jésus dit : « Je suis le portail » qui vous donne l'accès le plus rapide et le plus complet à tout ce qui concerne Dieu et le monde divin. Passez par moi pour accéder à Dieu, les autres ne sont que voleurs et brigands, des imposteurs qui vous baladent et vous dépouillent, mais ne vous apportent rien. Passez par moi pour assouvir votre quête de nourriture spirituelle et vous aurez la vie en abondance.

    C'est vrai qu'aujourd'hui se pose pour chacun la question de savoir à quelle source il alimente sa vie intérieure. A quelles offres (publicitaires) alléchantes répondre ? Qui offre quelque chose de vraiment nourrissant et bon pour moi ? Qui offre encore quelque chose de manière désintéressée, dans notre monde qui ne loue plus que le profit ? Cela concerne ce qui nous est offert de l'extérieur à notre consommation en quelque sorte.

    Mais à l'intérieur de nous-mêmes, quelle porte ouvrons-nous ? De qui écoutons-nous les messages, les voix qui s'expriment dans notre tête ? Nous laissons-nous empoisonner par des messages dévalorisants, hypercritiques, culpabilisants ? Ou bien ouvrons-nous la porte à la voix de Dieu qui nous dit son amour inconditionnel, sa confiance inébranlable en nous ? Cette voix qui nous dit : "Je suis venu pour que les humains aient la vie et l'aient en abondance." (Jn 10:10).

    « Je suis la porte » dit Jésus, la porte de la vie et de la vie en abondance. Cette porte, ne la laissons pas fermée !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Le néo-libéralisme est le fruit de la moitié du Christianisme (I)

    1 Corinthiens 10

    25.8.2019

    Le néo-libéralisme est le fruit de la moitié du Christianisme

    1 Corinthiens 10 : 23-33        Marc 2 : 23-27

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    L'état de notre planète est devenu une thématique majeure de notre société dans son ensemble depuis environ une année. Beaucoup, mais qui étaient restés minoritaires, avaient cette préoccupation depuis plus longtemps. Dès 1990, le Conseil oecuménique des églises (COE) avait lancé une action intitulée « Paix, justice et sauvegarde de la Création » pour sensibiliser les Eglises à l'écologie. Dans notre Eglise, le mois de septembre a été choisi pour rappeler aux paroissiens le thème de la création.

    Aujourd'hui et les deux prochains dimanches, mes prédications porteront sur le thème de la sauvegarde de la création, de la planète. Je m'inspire d'un article que Jacques Ellul a écrit en 1983 déjà, intitulé « La responsabilité du Christianisme dans la nature et la liberté ».* Il y décrit comment le Christianisme a été un mouvement d'immense libération de l'être humain. L'être humain est libéré des pouvoirs (compris comme les tabous), de la Loi, de la morale sociologique et de la religion (comprise comme superstition) (p.547). L'Evangile est libération, mais ces libertés sont associées à l'amour, pour que la liberté soit constructive et non pas destructrice.

    Aujourd'hui, nous abordons la libération vis-à-vis de la Loi, de la loi divine. Dans la deuxième lecture, nous voyons Jésus transgresser le quatrième commandement du Décalogue, le sabbat avec ses disciples. Aux pharisiens qui le lui reprochent, il répond : « Le sabbat a été fait pour l'homme, non l'être humain pour le sabbat (Mc2:28).

    Une phrase par laquelle Jésus affirme que la loi divine n'a pas été donnée pour asservir l'être humain (le rendre obéissant), mais pour le libérer, pour le rendre responsable. A l'être humain de choisir ce qu'il faut faire, en toutes circonstances, pour répondre à l'appel de Dieu ou aux besoins de son prochain.

    Voilà une libération incroyable ! Les premiers croyants l'ont bien compris, ils en ont fait un slogan — peut-être pour l'évangélisation — « Chez nous tout est permis » ! L'apôtre Paul reprend ce slogan : Oui, tout est permis, mais ! Mais tout n'est pas constructif (1 Co 10:23), mais tout n'est pas utile (1 Co 6:12), mais tout n'aide pas mon prochain à grandir.

    Paul choisit le thème de la viande sacrifiée aux idoles — c'est-à-dire abattue dans les temples païens — comme exemple. Il est d'accord sur le fait que les idoles n'existent pas, ce sont seulement des statues de pierre. Donc elles n'ont aucun pouvoir et n'influencent pas la « qualité » de la viande ou le devenir du croyant. Le chrétien a cette connaissance et peut librement en manger.

    Mais Paul met une limite à cette liberté : le trouble que cela peut créer chez un chrétien moins avancé (1 Co 8:9-13), ou bien le contre-témoignage que cela pourrait apporter à un païen. Ce dernier pourrait croire que le chrétien honore aussi son idole.

    La limite à la liberté est donc posée par le risque d'atteinte à l'autre, au prochain ou à Dieu. Il n'y a pas de limite intérieure. La liberté intérieure est totale, mais elle n'abolit pas l'attention à l'autre, la sollicitude, l'amour.

    L'amour du prochain devient la mesure du comportement. Saint Augustin résumait cela en disant : « Aime, et fais ce que tu veux ! »

    Cette libération a créé une ouverture incroyable contre les tabous et les superstitions. Elle a permis l'exploration et la découverte du monde, l'explosion de la curiosité, les grandes découvertes avec la navigation autour du globe, l'amélioration de la médecine en ouvrant les corps à la dissection (même si l'Eglise y était plutôt opposée). Elle a permis l'explosion de l'exploitation des ressources du globe, les colonies, les industries, etc.

     

    On voit que cette libération a permis plein de choses extraordinaires, mais aussi une masse de fléaux, de catastrophes. d'asservissement et d'esclavage. La terre a été considérée comme un supermarché en libre service pour les plus entreprenants et les plus téméraires, voir simplement les plus forts et les plus violents.

    La société occidentale — libérée de ses tabous et de sa crainte de Dieu — s'est emparée du slogan « Tout est permis » mais a abandonné, oublié, rejeté toute limite posée par le respect du prochain.

    Il a été décidé qu'il était plus important d'édifier des entreprises rentables et profitables que d'édifier des communautés humaines conviviales et sociales.

    Le néo-libéralisme est le fruit de la moitié du Christianisme : la liberté sans l'amour du prochain.

    Individuellement, nous pouvons être irréprochables dans notre respect et notre amour du prochain, malgré cela, nous participons à un système qui exploite les humains au nom de la liberté économique. Nous participons à un système qui exploite la planète — au point de ruiner la biodiversité et le climat — au nom de la liberté des entreprises et — pendant les campagnes de votations — au nom de l'emploi.

    Aussi vertueux que soient nos comportements individuels envers notre prochain et envers la planète, il n'y a pas d'issue sans un changement de système. Il est nécessaire de réintroduire la limite de l'attention, du respect du prochain. Réintroduire la composante humaine, le volet social. Pour plagier Jésus, il faut réaffirmer : l'économie a été faite pour l'homme, non l'être humain pour l'économie.

    C'est ce renversement qu'attendent et que veulent provoquer les jeunes, et les moins jeunes, qui manifestent pour le climat, parce qu'il s'agit le leur vie, de leur survie pour les 80 prochaines années qu'ils ont à vivre sur cette seule planète.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2019.

     

    * publié dans Jacques Ellul, Vivre et penser la liberté, Genève, Labor et Fides, 2019, pp.547-553.

     

     

  • Lévitique 19. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

    Lévitique 19

    17.6.2018

    « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

    Lévitique 19 : 13-18      Matthieu 7 : 1-5      Matthieu 22 : 34-44

    télécharger le texte : P-2018-06-17.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous vivons ce dimanche, le dimanche des Réfugiés. Un dimanche indiqué pour revenir à la base, aux fondamentaux de notre foi et de ce que Dieu attend de nous. On trouve dans le livre du Lévitique cette phrase : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19:18)

    Cette phrase est certainement la phrase la plus connue de toute la Bible, une phrase connue par tous ceux qui n'ont jamais ouvert une Bible depuis 10, 20 ou 30 ans; une phrase connue de tous, même de ceux qui ne se souviennent de rien de leur catéchisme.

    Cette phrase est reprise par Jésus. Il l'a mise au même rang que le premier des commandements en disant : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est là le commandement le plus grand et le plus important. Et voici le second commandement, qui est d'une importance semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même !" (Mt 22 : 37-39).

    Cette phrase est — ou devrait être — à la base de l'action, des comportements de tous les chrétiens. Et pourtant, dans le christianisme et dans notre société, cette phrase, ce commandement est devenu une phrase insupportable à entendre ! Elle en est venue à illustrer un commandement déplacé (comme si l'amour se commandait — entend-on) ou un rêve idéaliste (comme si on pouvait aimer tout le monde) ou encore la perte de soi-même, de son identité (il faudrait se sacrifier soi-même se perdre dans les bonnes oeuvres). Ce commandement — que nous n'arrivons pas à mettre en pratique tellement nous l'avons étendu et idéalisé — devient contre nous une pesante accusation : "Tu n'arrives même pas à aimer, qu'est-ce que tu vaux ?"

    Oublions donc un moment tout ce que le Nouveau Testament a ajouté à cette phrase de l'Ancien Testament ! Faisons table rase de tout ce que nous avons ajouté à cette phrase. A l'origine, cette phase n'était pas au hit-parade des paroles bibliques, c'est même une petite phrase perdue dans une longue énumération de lois, des lois données au peuple d'Israël déporté à Babylone, en Exil.

    En tant que petite population déportée en terre étrangère, ce peuple d'Israël doit trouver les moyens de garder sa cohésion et son identité. Il doit repenser ses coutumes, ses lois, pour ne pas se perdre et se dissoudre dans son environnement. A l'intérieur d'une petite communauté, dans un environnement hostile, il est primordial de rester soudés, d'éviter de se diviser, et donc d'entrer en conflits les uns avec les autres. Ces lois sont donc d'abord destinées "à l'interne" comme on dit aujourd'hui. C'est entre proche, entre gens vivant ensemble que le risque d'accrochage est le plus grand.

    Cela, on le voit bien aujourd'hui où le groupe qui doit se serrer les coudes s'est le plus souvent réduit au cercle familial. C'est maintenant dans ce cercle que se passent le plus souvent les disputes et que les familles éclatent et se décomposent.

    La phrase "Tu aimeras ton prochain, ton proche comme toi-même" s'inscrit dans ce contexte précis des relations courtes et d'un haut potentiel de conflit dû à cette proximité. Mais cette phrase n'est pas lâchée toute seule et encore moins comme un commandement, un ordre qui tomberait du ciel. Cette phrase arrive comme la conclusion de remarques sur les relations conflictuelles et sur la façon de s'en sortir. En tant que conclusion replacée dans son contexte cette phrase dit à chacun : "alors c'est ainsi que tu aimeras concrètement ton proche comme toi-même." Il est donc important de (re)voir ce qui précède, ce qu'il y a avant cette conclusion, qui n'a rien d'un commandement culpabilisant.

    Réécoutons ces deux versets : "N'aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n'hésite pas à reprendre ton compatriote pour ne pas te charger d'un péché à son égard. Ne te venge pas, et ne sois pas rancunier à l'égard du fils de ton peuple c'est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C'est moi le Seigneur." (Lév. 19 : 17-18 TOB)

    Nous sommes loin de relations idéales, idylliques. Il est question de haine, de vengeance et de rancune. Autant de sentiments qui mettent en danger la relation. Le texte ne nie pas que de tels sentiments puissent naître et se développer au fond de nous-mêmes.

    Le texte part de l'existence de ces émotions. Oui, cela arrive, il n'est possible ni de les éviter de naître en nous, ni de les faire disparaître en niant leur existence. Ces sentiments négatifs existent et souvent nous habitent. Reconnaissons-le ! C'est la première étape. Reconnaître ce qui est. A partir de là, on peut s'interroger sur les raisons, sur l'origine de ces sentiments. La piste que le texte nous ouvre, c'est qu'un frère, un proche est à cette origine. On a été blessé, on se sent victime, lésé, agressé.

    Eh bien ne nous laissons pas enfermer dans ce rôle en ruminant la rancune, en préparant la vengeance ! Non, l'idée est d'aller trouver ce frère, ce proche pour lui parler, "pour le reprendre / le réprimander" selon diverses traductions. L'important est de ne pas rester seul avec son sentiment négatif, avec sa blessure, ne pas doubler la rupture de la communication, de la communion, en ajoutant au mur de la blessure infligée par l'autre, le mur de sa propre haine, ou désir de vengeance.

    Il est essentiel de s'ouvrir à son frère, à son proche ou à d'autres. Le péché qui est évoqué ici c'est le mur, la rupture de la communication. Lorsque l'autre a brisé quelque chose dans la relation avec nous, ne nous chargeons pas d'une nouvelle rupture à son égard. Rien n'est perdu si nous ne tombons pas dans le piège de la réciprocité négative (le 2e mur). Il reste toujours à notre disposition d'user d'une réciprocité positive (j'enjambe le mur de l'autre pour lui proposer une réconciliation). C'est difficile, cela demande une emprise sur soi-même — reconnaître ses faiblesses et peut-être sa part de torts, la poutre qui est dans mon oeil — c'est difficile, mais cela est possible.

    S'ouvrir, sortir de l'enfermement dans lequel nous place le fait d'avoir été blessé, voilà qui constitue l'acte concret d'aimer. Chaque fois que nous y arrivons, alors nous aimons notre prochain comme nous-mêmes. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Tu aimeras ton prochain comme toi-même, chaque fois que tu reconnaîtras que tu as été blessé, que ça fait mal, mais que tu ne veux pas te laisser enfermer dans ta douleur, parce qu'il est plus important de restaurer la relation.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018