Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ruth 1. Après le deuil, le bonheur est-il possible ?

Ruth 1
6.8.2006
Après le deuil, le bonheur est-il possible ?
Rt 1 : 1-22

Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Pour ces prochains dimanches du mois d'août, j'ai choisi de vous parler de l'histoire de Ruth la Moabite. On a l'habitude de l'entendre comme une jolie histoire d'amour champêtre où la jeune et jolie Ruth s'éprend de (ou séduit) Booz, le riche propriétaire… et tout cela finit par un beau mariage.
Cette lecture — façon Collection Arlequin — risque cependant de nous faire perdre les aspects plus piquants, voire choquants, et plus dramatiques de l'histoire. Cette lecture romantique risque aussi de nous faire passer à côté des vraies leçons de vie du récit, et même de ses implications politiques. Je ferai donc trois lectures de ce récit : aujourd'hui une lecture plutôt psychologique, dimanche prochain une lecture théologique et finalement le dimanche 27 août, une lecture politique.
L'histoire de Ruth est une belle histoire, puisqu'elle finit bien. Ruth se marie avec l'homme qu'elle a choisi, elle enfante un fils, ce qui l'inscrit dans la lignée généalogique d'où sortira le roi David et le Christ. Voilà un destin merveilleux qui semble sortir tout droit d'un conte de fée.
Ce qui différencie ce récit du conte de fée cependant, c'est que ce bonheur s'est construit dans la douleur. Il n'y a pas de princesse, il a une veuve, Ruth — belle-fille d'une autre veuve — qui arrive comme étrangère dans un pays qu'elle ne connaît pas. Il n'y a pas de prince charmant, il y a deux hommes qui ont des droits sur Ruth et qui peuvent l'acheter sans qu'elle ait son mot à dire. Il n'y a pas de château, il y a la pauvreté qui oblige Ruth à aller glaner dans les champs, ramasser les restes négligeables abandonnés derrière les moissonneurs, moissonneurs qui ne manqueront pas de l'importuner, voire de la violenter si elle n'a pas de protecteur.
Comment donc, à partir de cette situation de départ, veuvage, dépendance, pauvreté, vulnérabilité, cette histoire peut-elle déboucher sur le bonheur ?
C'est justement à cause de cela, à cause de cette distance franchie entre le malheur et le bonheur que ce texte est un récit si attachant. Il pose en effet crûment la question : le bonheur est-il possible ? Et il répond oui, mais il ne le fait pas par des artifices merveilleux ou une atténuation de la dureté de la réalité.
Le récit part de situations réelles, fréquentes, banales. Le récit part de la réalité la plus pénible pour l'être humain : le deuil. Le récit ne nous présente donc pas un bonheur construit sur du bonheur, mais un bonheur qui sort, qui s'extirpe du malheur. Quand le malheur frappe, la route du bonheur n'est pas fermée ! Contrairement à ce qu'on croit d'habitude.
Comment voit-on cela dans le récit ? Nous sommes en présence de trois femmes, toutes veuves. Trois femmes blessées dans leur chair, dans leur relation conjugale. Trois femmes et trois chemins différents.
D'abord Noémi, partie avec son mari et ses deux fils pour fuir la famine et chercher un nouvel horizon, une nouvelle vie. Le pays qui devait leur apporter la prospérité se révèle le pays du deuil. Noémi perd son mari. Ses fils se marient, mais décèdent à leur tour. Noémi le dira elle-même : "Je suis partie les mains pleines et je reviens les mains vides" (Rt 1:16-17).
Elle quitte Moab et retourne dans son pays, retour au point de départ, retour vers ses racines, mais aussi pour elle retour en arrière. Elle voit sa situation comme pire qu'auparavant. On peut ajouter qu'elle ne voit que le négatif, elle ne remarque pas ce qu'elle a ou ce qu'elle a en plus : elle est à nouveau sur sa terre, dans son peuple; elle a gagné une belle-fille, Ruth.
L'écueil au bonheur que nous présente le caractère de Noémi, c'est de ne pas regarder tout le champ de la réalité, c'est de ne pas compter — à cause de sa souffrance — la partie positive de la réalité qui existe à côté de ses malheurs et de sa souffrance. Certes, le positif n'annule pas le négatif, mais il est là comme un terreau, une plate-forme où un nouveau bonheur peut prendre racine.
Ensuite, il y a Orpa, la première belle-fille de Noémi. Elle vit aussi le deuil de son mari, le fils de Noémi. Elle pense accompagner Noémi dans son retour en Israël, mais ne le fait pas, finalement. Elle est tentée par une nouvelle vie, ailleurs que dans le lieu de son malheur, mais elle renonce. Elle a sûrement de bonnes raisons. En restant sur sa terre, elle évite le statut d'étrangère qu'elle aurait en Israël. Elle évite de perdre son statut de femme libre (en terre de Moab, la société était matriarcale ! v.8 "rentrez chez votre mère" dit Noémi). Ainsi donc Orpa renonce au changement et préfère rester sur la terre de son deuil.
Cela me fait penser à la phrase de Max Frisch : "Quand on a plus peur du changement que du malheur, comment éviter le malheur ?"
Ruth, elle, va choisir le chemin du changement. elle veut quitter la terre du malheur. Elle préfère partir vers l'inconnu que rester dans le malheur. Elle prend des risques, ceux que sa belle-sœur n'a pas voulu affronter : être étrangère, perdre ses droits de femme libre. Elle fait le choix du départ et le choix de l'attachement. Ce départ n'est pas une fuite loin du malheur, c'est un acte de foi en la vie, en l'attachement à Noémi et à son Dieu. Avec eux elle peut affronter l'inconnu et la nouveauté.
Cette audace — « je change de pays, je change de parenté, je change de Dieu » — est bien ce qui caractérise Ruth. Elle n'est pas une jeune fille naïve qui se laisse aller aux hasards de la vie. C'est ce qu'on voit dans les chapitres suivants. Dans l'espace minuscule que lui laissent les contraintes sociales de son temps, elle prend sa vie en main (Rt 2:2), elle donne de petites impulsions pour faire basculer son destin dans les bras de l'homme qu'elle choisi (Rt 3:9).
Le bonheur de Ruth n'est pas construit sur des circonstances favorables et l'absence d'épreuves ou de malheurs. C'est au travers de sa confiance dans la vie — marquée par son attachement à Noémi et à Dieu — qu'elle arrive à voir les situations favorables et ainsi petit à petit faire basculer son destin.
Nous verrons dimanche prochain comment cette confiance en la vie, en la générosité de la vie, est confessée comme un don de Dieu dans le livre de Ruth.

...suite demain dans Ruth 2

© 2006, Jean-Marie Thévoz

Fait partie de la suite : Ruth 1 / Ruth 2 / Ruth 4 (il n'y a pas de Ruth 3)

Les commentaires sont fermés.