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amour - Page 11

  • Reconstituer l’équipe des Douze apôtres

    Actes 1

    26.8.2018

    Reconstituer l’équipe des Douze apôtres

    Deutéronome 1 : 9-15      1 Corinthiens 15 : 3-11     Actes 1 : 15-26

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres raconte les débuts de l’Eglise, à la suite de l’Ascension de Jésus. Dans ses dernières paroles, Jésus annonce aux disciples qu’ils recevront bientôt l’Esprit saint et qu’ils seront ses témoins : à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’au bout de la terre.

    C’est la mission de la première Eglise et le livre des Actes va dépeindre cette extension géographique de Jérusalem jusqu’à Rome.

    Après avoir défini la mission de l’Eglise, l’auteur des Actes — qu’on nomme Luc, puisque les Actes font suite à l’Évangile selon Luc — s’emploie à décrire ceux qui composent cette première Eglise. Elle est composée des disciples que Jésus a choisis, entourés d’une petite foule de croyants, évaluée ici à 120 personnes.

    Pour ceux d’entre vous qui ont les événements de la Passion en tête, l’équipe des disciples n’y a pas particulièrement brillé. L’un des Douze — Judas — a livré Jésus à ses bourreaux. Un autre — Pierre — a renié trois fois son maître. Tous les autres se sont enfuis. Il ne restait que les femmes au pied de la croix.

    Il y a donc quelques histoires à reprendre pour repartir d’un bon pied. C’est Pierre qui se lève dans le groupe. Il reprend l’initiative, il ne baisse pas les bras. Il faut régler la défection de Judas, reconstituer le groupe des Douze.

    Pierre part du constat que Judas avait reçu sa part de service : il doit être remplacé pour que l’équipe soit au complet, pour que la mission puisse être remplie. Pierre ne s’attarde pas sur Judas, la façon dont il est mort révèle le jugement porté sur lui. La page est tournée. Pierre regarde l’avenir et la mission. Reconstituer les Douze, c’est affirmer la permanence des promesses divines.

    Le chiffre Douze a une signification symbolique. On a vu Moïse (Deut. 1:9-15) demander à chaque tribu d’Israël de nommer des représentants pour juger et administrer. Douze disciples, cela fait un représentant pour chaque tribu d’Israël. Cela manifeste que le message de Jésus est destiné — en premier lieu — au peuple d’Israël tout entier. Il ne doit pas manquer un seul témoin, comme dans la parabole de la brebis ou de la drachme perdue. Personne n’est abandonné, n’est laissé sur le côté du chemin. La bonne nouvelle est inclusive.

    L’équipe des Douze doit donc être complète. Et Luc énumère deux critères pour choisir la bonne personne, plus précisément pour être apôtre.

    a) il faut avoir accompagné Jésus de son baptême à son ascension. Il faut donc le connaître et avoir entendu son enseignement, avoir vécu la montée à Jérusalem et les événements de la Passion.

    b) il faut « être témoin de la résurrection ». Cette expression fait problème dans sa concision. La résurrection  elle-même a eu lieu dans le secret du tombeau et les Evangiles n’en font pas le récit. Par contre, ils nous relatent des temps où Jésus apparaît à ses disciples. Il faut donc comprendre cette expression comme la capacité à attester de l’identité — il est le même — du Jésus terrestre et du Christ ressuscité.

    Le candidat doit donc connaître Jésus, dans son ministère terrestre et dans ses manifestations de Ressuscité. C’est nécessaire pour avoir le titre d’apôtre et pour entrer dans le cercle des Douze et remplacer Judas.

    Dans cette définition d’apôtre — avoir suivi Jésus et vu le Christ ressuscité — Luc n’envisage pas de succession apostolique. Une seule génération — les témoins directs du Jésus terrestre — peut remplir ce rôle d’apôtre.

    La définition d’apôtre n’a pas toujours été aussi restrictive, puisque Paul se désigne lui-même comme apôtre — le moindre des apôtres, mais apôtre quand même, alors que Paul n’a pas suivi Jésus. D’une part il était trop jeune, d’autre part, il était dans le camp des persécuteurs de l’Eglise. Il se désigne cependant comme « apôtre » au sens étymologique du terme, parce que le Christ ressuscité lui est apparu sur le chemin de Damas et parce qu’il s’est reconnu comme « envoyé » (signification d’apostolos - apôtre) du Christ.

    Les Onze disciples choisissent deux candidats, ils prient en demandant à Dieu de choisir, puis ils tirent au sort. Le tirage au sort était fréquent pour les fonctions du Temple de Jérusalem — Zacharie avait été tiré au sort (Luc 1:9) pour entrer dans le sanctuaire où il reçu la révélation de la naissance de Jean Baptiste.

    D’habitude, dans l’Eglise, c’est l’Esprit saint qui fait des choix, sans tirage au sort. Mais, là, Luc est cohérent, le saint Esprit sera donné à la Pentecôte, il est trop tôt pour qu’il intervienne.

    Le sort tombe sur Matthias. Les Douze sont à nouveau au complet, la mission va pouvoir être entreprise et réalisée.

    Aujourd’hui, le souci d’avoir des équipes complètes à la tête de l’Eglise (des Régions et des Paroisses) est le même. C’est au printemps prochain que toutes les autorités de notre Eglise (vaudoise) seront renouvelées, à commencer par les Conseils paroissiaux et les bureaux des Assemblées paroissiales en mars 2019, puis les Conseils régionaux, les délégués aux Assemblées régionales et au Synode, puis finalement en juin l’élection du Conseil synodal par ce nouveau Synode.

    Nous serons à la recherche de personnes qui connaissent Jésus à travers les Ecritures et la prière, et qui peuvent témoigner de la vie que Dieu nous donne.

    Nous avons besoin de l’appui de toute l’Eglise pour discerner les dons et les charismes de chacun pour avoir à chaque place la bonne personne. Aucun don, aucune compétence n’est négligeable ; aucun appui n’est superflu pour que l’Evangile puisse être annoncé et reçu par ceux qui en ont besoin. La mission de l’Eglise reste la même, annoncer l’amour de Dieu à tous ceux qui en ont soif.

    Amen

  • Que s’est-il passé après la résurrection ?

    Actes 1

    12.8.2018

    Que s’est-il passé après la résurrection ?

    1 Thess 4 : 13-18      Actes 1 : 1-8       Actes 1 :9-14

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres s’ouvre par une dédicace à un certain Théophile (prénom qui signifie « celui qui aime Dieu ») exactement comme l’Évangile selon Luc (Lc 1:1). En fait, ces deux livres, Luc et Actes, sont l’œuvre en deux parties d’un même auteur, que la tradition a le nommé « Luc ». Après avoir récolté les éléments pour écrire son Évangile, il fait une œuvre novatrice en rassemblant les événements qui suivent.

    En effet, que s’est-il passé après la résurrection ? Seul le livre des Actes nous le dévoile par un récit. Les lettres de Paul et des autres apôtres nous ouvrent aussi une fenêtre sur cette période, mais de manière indirecte et discontinue. C’est pourquoi le livre des Actes est si intéressant. Je vais y consacrer mes prédications des prochains mois.

    Comme vous l’avez entendu, Luc a choisi le récit de l’Ascension comme récit charnière entre ses deux livres. L’Évangile dépeint le temps de Jésus et les Actes racontent le temps de l’Eglise, ou plus précisément le temps du Saint Esprit. Il y a une insistance sur la transition, le passage, la transmission du témoin — de Jésus au Saint Esprit — dans ce début du livre des Actes, qui culmine avec le récit de la Pentecôte (Ac 2).

    Jésus s’en va, mais il est remplacé par la venue du Saint Esprit qui devient la présence actualisée de Jésus auprès des disciples. Luc partage ainsi l’histoire du salut en trois parties : (i) l’histoire d’Israël jusqu’à Jean-Baptiste ; (ii) le temps de Jésus, de sa naissance à l’Ascension ; (iii) le temps du Saint Esprit depuis la Pentecôte.

    La gestion du temps est une question qui préoccupe beaucoup les premiers chrétiens. C’est la question que les disciples posent à Jésus dans ce dernier dialogue. Quand Jésus leur annonce qu’ils vont recevoir bientôt le Saint Esprit, ils demandent : « Est-ce que ce sera à ce moment que tu établiras ton royaume en Israël ? » (Ac 1:6)

    La question qui préoccupe les premiers chrétiens c’est : « Quand est-ce que le Christ revient ? On appelle ce retour du Christ « la parousie ». Quand donc aura lieu la parousie ? Paul avait déjà dû répondre à cette question dans sa lettre aux Thessaloniciens (1Thess 4:13-18) : certains chrétiens sont morts avant le retour du Christ et cela inquiète. Pourquoi sont-ils morts alors que Paul annonce la résurrection ? Dans sa réponse, Paul dit en même temps qu’il n’y a pas à s’en faire pour ceux qui sont déjà morts, ils ressusciteront, et il dit aussi que certains de cette génération, dont lui-même, verront le retour du Christ avant de mourir. Paul écrit cette première lettre autour de l’an 50. Luc écrit le livre des Actes autour des années 90, quarante années ont passé. La position sur la parousie a évolué.

    La réponse de Jésus aux disciples est une fin de non recevoir : cette question du moment de la parousie ne doit pas être un sujet de préoccupation, la réponse — les temps et les moments — n’appartiennent qu’à Dieu.

    Mais si le temps d’attente se prolonge… que faire de ce temps ? C’est à cette question que répond le livre des Actes. Que faire du temps entre le départ de Jésus et son retour, car Luc n’a pas renoncé à l’idée de retour, les deux messagers du ciel confirment que « celui qui a été enlevé reviendra de la même manière que vous l’avez vu partir » (Ac 1:11).

    Mais ce retour n’est pas daté, peut-être même pas proche, nous en savons quelque chose.

    Si cet intervalle s’allonge, alors il y a place pour des événements, pour une histoire, pour des histoires et l’Histoire avec un grand H. C’est cette Histoire que Luc nous a écrite, une histoire qui dépeint l’origine de l’Eglise et sa finalité.

    Le don de l’Esprit Saint est assorti d’une mission et c’est cette mission qui remplit l’intervalle entre le départ et le retour du Christ. C’est le début de cette mission que nous décrit Luc dans ce livre des Actes.

    La mission est formulée ainsi : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’au bout de la terre.» (Ac 1:8) Et c’est sur ce plan qu’est construit le livre des Actes. Les apôtres prêchent d’abord au Temple de Jérusalem (Ac 3; 4; 5:20). Lorsqu’ils en sont chassés, il partant en Samarie (Ac 8), puis à Antioche et Damas. Paul évangélise l’Asie Mineure (la Turquie actuelle) puis la Grèce. Finalement arrêté, Paul demande à comparaître devant l’empereur et il est emmené à Rome (Ac 28). L’Évangile est parvenu dans la capitale. De là, avec les témoins suivants, il pourra poursuivre son avancée jusqu’au bout de la terre.

    Luc, par son histoire des origines de l’Eglise, donne de l’importance au temps, au temps présent. Il montre comment l’action de Dieu s’inscrit concrètement dans la vie de tous les jours des communautés. L’Eglise n’est pas un petit groupe assis les yeux rivés sur le ciel. L’Eglise est une communauté qui bouge, qui voyage, qui témoigne dans toutes sortes de situations et devant toutes sortes de personnages, souvent les autorités.

    L’Eglise nous est présenté avec plusieurs facettes :

    1. a) Elle semble idéale quand on la lit unie, persévérante dans la prière et partageant ses bien entre tous (Ac 1:14 ;2:42,46 ;4:31-32 ;5:12,42).
    2. b) Elle est aussi persécutée (Ac 5; 7; 8; 12; 16; 19; 21), l’objet de revers (Ac 8:4; 14:50 ;17).
    3. c) Elle est aussi incrédule, freinant en face aux nouveautés. On le voit dans l’épisode de Pierre avec Corneille (Ac 10 et 11), où on dirait que Dieu dois mettre toute son énergie pour convaincre Pierre d’abord, puis le conseil de l’Eglise (Ac 15) que les païens peuvent entrer dans la communauté de l’Eglise. L’Eglise ne semblait pas prête à penser que tous les êtres humains sont accueillis impartialement par Dieu.
    4. d) Enfin l’Eglise que nous dépeint Luc est en croissance. Il le montre par l’expansion géographique, de Jérusalem à Rome, et l’expansion numérique (Ac 2:41). Mais l’expansion la plus importante est celle du son ouverture sociale universelle. Aucune catégorie sociale, économique, de genre, de race, de religion, d’origine etc. ne peut constituer une barrière à l’amour de Dieu.

    Cette vision de l’Eglise est bien dans la ligne de Jésus, accueillant et guérissant tous ceux qui venaient à lui.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 1. Trois idées fausses sur Dieu Créateur

    Genèse 1

    8.7.2018

    Trois idées fausses sur Dieu Créateur

    Genèse 1 : 1-10         Genèse 1 : 11-23       Genèse 1 : 24-31

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    La plupart de nos confessions de foi commencent en affirmant que nous croyons en Dieu « créateur du ciel et de la terre». Cette parole est enracinée dans le récit de Genèse 1 que vous venez d’entendre. Mais cette affirmation « Dieu créateur du ciel et de la terre » est très problématique aujourd’hui, parce qu’elle laisse entendre bien d’autres choses qui ne sont pas présentes dans le récit de Genèse 1.

    Dans « Dieu créateur du ciel et de la terre», aujourd’hui nous entendons trois choses qui ne cadrent ni avec le récit de Genèse 1, ni avec notre compréhension contemporaine du monde :

    1. a) La première chose, c’est que nous serions créationnistes.
    2. b) La deuxième, il s’agirait d’une création ex nihilo (à partir de rien).
    3. c) La troisième chose problématique, c’est l’affirmation de la toute-puissance de Dieu sur l’univers. Je reprends ses trois points.
    4. D’abord les Réformés ne sont pas créationnistes, c’est à dire que nous ne croyons pas que le récit de Genèse 1 est une description de l’émergence de l’univers et de la terre. Clairement, pour nous, ce récit est un poème, une poésie.

    La poésie a un autre rôle que le mode d’emploi de votre frigo et un autre rôle qu’un article scientifique. Un poème est une proposition d’éclairage sur la réalité. Quelqu’un parle et — si possible — quelqu’un écoute. On lit un poème non pas pour trouver une explication, mais pour vivre une émotion, être transporté dans un ailleurs qui nous fait découvrir de la beauté. Un poème est quelque chose qui évoque, qui invoque, qui est fragile, qui joue sur les mots, qui emporte. Ce premier récit de la création veut emporter son auditeur vers la beauté d’un monde organisé et habitable, vers la bonté voulue au cœur du monde.

    Il est intéressant d’imaginer la première récitation aux premiers auditeurs : nos chercheur en Ancien Testament pensent que ce récit a été écrit pendant l’Exil à Babylone. Imaginez une petite communauté d’exilés, de migrants, installés précairement dans des habitats de fortune dans un pays étranger, au milieu d’un monde hostile. Et voilà qu’on leur dit que leur Dieu — qui n’a pas pu leur éviter cet exil et cette précarité — ce Dieu dit à chaque étape d’organisation du monde, qu’on peut y voir du bon. Que la finalité de l’existence, c’est la vie, et une vie bonne. C’est de l’espoir au cœur d’une situation qui pourrait faire perdre tout espoir. Le récit met en avant la bonté du résultat bien plus que l’agir même de Dieu.

    1. La deuxième fausse croyance nous vient d’une contagion du monde grec : croire à une création ex nihilo. Le récit hébreu dit clairement qu’au commencement était le tohu-wa-bohu : un monde informe et vide. Le travail de Dieu n’est pas un travail de création (à partir de rien), mais un travail d’organisation à partir du donné. L’organisation du monde se fait par des séparations successives (haut-bas, sec-mouillé, jour-nuit, etc.) Trois jours sont consacrés à faire des habitats et trois jours pour y placer des habitants, parce que le monde doit être habitable. Mais toute la suite de la Bible va rappeler la fragilité de ces séparations, toujours provisoires. Voyez le récit du Déluge, où la séparation entre les eaux d’en haut et les eaux d’en-bas se brise et tout est inondé.

    Dieu a fait du bon (la qualification de « bon » revient six fois dans le texte, autant que de strophes du poème), mais ce bon repose en surface d’un monde souterrain qui reste dangereux, risqué et imprévisible. Il y a le danger des catastrophes naturelles. Il y a les risques inhérents à la vie (manger ou être mangé). Et il y a surtout le plus imprévisible, le plus aléatoire : l’être humain qui n’est ni une marionnette ni un robot.

    Si le monde créé est voulu bon, il n’est pas dépourvu de mal et de malheur, contre lesquels Dieu ne peut rien. Dans le récit biblique, Dieu n’a pas la puissance d’un créateur qui part de zéro et maîtrise tout. Postuler la création ex nihilo conduit à devoir penser un Dieu qui ne prévient pas le mal qu’il pourrait éviter : on est vite avec un Dieu cruel sur les bras !

    1. Troisièmement le récit de Genèse 1 ne pose pas l’affirmation d’un Dieu tout-puissant, mais plutôt — selon l’expression du théologien américain John D. Caputo — d’une « force faible de Dieu » *. Si vous avez remarqué, dans le poème de la création, Dieu n’agit pas, il ne fait rien. Il parle seulement. Il n’y a pas d’outil, de pelle et de pioche, pour façonner la terre. La seule force de Dieu, nous dit le poème, c’est de dire des mots, c’est d’en appeler à ce qu’il se passe quelque chose. Et comme le poète a tous les pouvoirs, des choses se passent dans le poème. Mais il y a un pas (entre le poème et la réalité) que seuls les créationnistes franchissent, ce que nous ne sommes pas.

    Le poème nous dit que la seule force dont Dieu dispose, c’est sa parole, ce sont des mots, c’est un appel à ce que le monde soit organisé ; un appel à ce que le monde soit bon et que cette bonté soit vue (et nous reconnaissons souvent la bonté du monde) ; un appel à ce que cette beauté soit préservée, et que cette beauté nous donne espoir.

    Lorsque le poème dit « cela était bon », il le dit comme la Déclaration des Droits Humains dit : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux ». Non pas parce que cela se voit et se vérifie partout et tout le temps, mais parce que cela doit être et qu’il faut travailler pour que la liberté et l’égalité se développent sur la terre.

    Le poème place au tout début de la Bible non pas un état de fait (un paradis perdu), mais un programme pour l’horizon de notre monde. Nous voyons en même temps que le monde et la nature sont beaux, mais en même temps que tant de choses vont mal.

    Dieu prononce des paroles comme un appel à organiser et à humaniser le monde et comme rappel que, toujours, Dieu veut du bien, du bon et du juste. La force de Dieu est dans cet appel transmis à l’humanité. La faiblesse de Dieu est dans cet appel transmis l’humanité, qui n’est qu’un appel qui attend notre adhésion. Cet appel — la parole de Dieu — est cette force faible de Dieu. Pas plus de force qu’une demande, qu’une prière, pas moins de force qu’une demande pressante à préserver la beauté du monde et la bonté de l’être humain.

    Quand nous confessons notre foi en Dieu, avec ses mots : « créateur du ciel et de la terre » nous devons renoncer à y voir une explication de l’origine du monde, nous devons renoncer y voir l’existence d’un monde parfait dépourvu de mal, et nous devons renoncer à y chercher une toute-puissance divine qui gérerait tout — en fin de compte — à notre place.

    Quand nous confessons un Dieu créateur, nous reconnaissons par contre que le monde n’est pas contre nous, qu’il recèle (au milieu des risques et de l’aléatoire) de la beauté et de la bonté. Nous reconnaissons que Dieu nous lance un appel à préserver et développer cette beauté et cette bonté qui sont l’horizon du monde.

    Amen

     

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • On peut être autonome sans couper la relation !

    Romains 8

    1.7.2018

    On peut être autonome sans couper la relation !

    Romains 8 : 12-17       Luc 11 : 9-13

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    Chers frères et sœurs en Christ, chère famille,

    Nous venons de vivre un baptême. Cela nous donne l'occasion de repenser à notre baptême et à sa signification, ou plutôt à ses significations. Si vous vous souvenez de la scène du baptême de Jésus, l'accent est mis sur deux choses : l'adoption par Dieu : "Celui-ci est mon fils bien-aimé"( Mc 1:11) et sur le don de l'Esprit saint "qui descend comme une colombe" sur Jésus (Mc 1:10). Ce double aspect est relevé par l'apôtre Paul dans le passage de la lettre aux Romains que vous avez entendu, avec cette phrase centrale : "L'Esprit saint fait de vous des enfants de Dieu" (Rm 8:16).

    Il y a dans le baptême un aspect passif et un aspect actif, de notre part. L'aspect passif est dans le fait de recevoir le baptême, recevoir quelque chose qui nous dépasse, que nous ne pouvons pas acquérir ou forcer, c'est l'action de Dieu. Dieu agit, il nous accueille, il nous reçoit, il reçoit cet enfant aujourd'hui, indépendamment de ce qu'il peut ou ne peut pas comprendre en ce jour. Le baptême, l'Esprit saint, nous sont donnés, cela nous dépasse, comme la vie nous a été donnée, sans que nous n'y soyons pour rien.

    Mais il y a aussi un côté actif, quelque chose que nous pouvons faire à partir de notre baptême : c'est d'abord d'accepter ce cadeau, cette adoption, cet amour que Dieu nous manifeste. Recevoir… Et puis, encore plus activement, nous pouvons décider de nous servir de ce que nous avons reçu. Il est inutile de recevoir un cadeau pour le laisser au fond d'un placard. Avec le baptême, Dieu nous donne le saint Esprit. Nous pouvons nous en servir, l'adopter : adopter la façon de penser qui vient de Dieu, se laisser inspirer par sa pensée, choisir Dieu comme source d'inspiration.

    Oui, mais qu'est-ce que Dieu pense ? L'apôtre Paul met en opposition nos désirs égoïstes et la vision de Dieu élargie au bien de tous. Elargir notre horizon… C'est ce que nous faisons dès que nous devenons parents. Nous ne pouvons plus ne tenir compte que de nous. Nous prenons en compte les besoins de nos enfants; et la vie, la vraie vie est dans cet élargissement. Il n'y a pas de bonheur tout seul. Et Dieu élargit son horizon (lui qui pourrait se suffire à lui-même), il l'élargit à toute l'humanité, en faisant de nous ses enfants, en décidant de devenir notre Père.

    La relation entre Dieu et nous est comme une relation de parents à enfants. Là, il y a quelques risques de mécompréhension, si on interprète cela dans un sens infantilisant. C'est vrai, nous n'avons pas envie d'être traités toute notre vie comme des enfants ! L'apôtre Paul a vu l'obstacle et le prévient en disant : "L'Esprit saint ne vous rend pas esclaves, mais enfants de Dieu." (Rm 8:15). Ce qui signifie que Dieu ne nous veut pas dans la soumission, mais dans une relation d'affection.

    Pour ceux qui ont des ados, vous avez sûrement dû vivre des échanges comme celui-ci : Le parent à l'ado :

    — Viens m'aider à mettre, débarrasser la table, faire la vaisselle ou vider la voiture.

    — Je ne suis pas ton esclave ! répond l’ado.

    On demande aux enfants de l'obéissance, mais le but de l'éducation n'est pas de les formater "soumis", c'est de les conduire à l'autonomie. Le but de l'éducation, c'est que les enfants, les adolescents puissent adopter des comportements adaptés, utiles, constructifs.

    Obéir à une règle peut être de la soumission si on ne le fait que par crainte des conséquences, par peur du gendarme. Mais obéir à une règle peut aussi être un choix lorsqu'on comprend le pourquoi de la règle, son sens, son utilité, le bien qui en découle ou la confiance qu'on a dans celui qui la pose.

    L'autonomie, c'est la capacité à choisir d'adopter les règles sociales. Et nous avons, comme parents, le souci de conduire nos enfants de l'obéissance à l'autonomie. Et Dieu a ce même souci de parent par rapport à nous. Il a posé certaines règles de vie — le Décalogue — et, comme Père, il souhaite que nous passions de la soumission à l'autonomie.

    Quelle autonomie voulons-nous pour nos enfants quand ils sont ou seront adultes ? Quelles relations voulons-nous avec eux comme adultes ?

    Est-ce que l'autonomie de nos enfants par rapport à nous doit signifier qu'ils n'ont plus besoin de nous, qu'ils nous quittent et qu'on ne les voit plus ? La liberté doit-elle signifier la distance ? Voir ses parents, passer du temps ensemble empiète-t-il sur la liberté des enfants ?

    Si vous répondez "non", comment expliquez-vous que la plupart des gens ne veulent plus rien avoir à faire avec Dieu parce qu'ils veulent être libres, ou parce qu'ils ont peur de devoir être soumis s'ils s'en rapprochent ?

    Dieu nous veut libres, autonomes, pensant par nous-même; mais il est triste de la distance que nous mettons entre lui et nous. Qu'est-ce qui nous empêche d'être adultes et proches de Dieu, libres et aimants, autonomes et reconnaissants ?

    Dans le baptême, Dieu nous offre une relation qui n'a pas pour but de nous enchaîner, de nous soumettre, mais d'élargir notre horizon, de nous donner une vie pleine, une vie remplie d'amour. N'ayons pas peur, faisons lui confiance et acceptons de devenir "enfants de Dieu" autonomes, mais en relation.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz

  • Lévitique 19. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

    Lévitique 19

    17.6.2018

    « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

    Lévitique 19 : 13-18      Matthieu 7 : 1-5      Matthieu 22 : 34-44

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous vivons ce dimanche, le dimanche des Réfugiés. Un dimanche indiqué pour revenir à la base, aux fondamentaux de notre foi et de ce que Dieu attend de nous. On trouve dans le livre du Lévitique cette phrase : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19:18)

    Cette phrase est certainement la phrase la plus connue de toute la Bible, une phrase connue par tous ceux qui n'ont jamais ouvert une Bible depuis 10, 20 ou 30 ans; une phrase connue de tous, même de ceux qui ne se souviennent de rien de leur catéchisme.

    Cette phrase est reprise par Jésus. Il l'a mise au même rang que le premier des commandements en disant : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est là le commandement le plus grand et le plus important. Et voici le second commandement, qui est d'une importance semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même !" (Mt 22 : 37-39).

    Cette phrase est — ou devrait être — à la base de l'action, des comportements de tous les chrétiens. Et pourtant, dans le christianisme et dans notre société, cette phrase, ce commandement est devenu une phrase insupportable à entendre ! Elle en est venue à illustrer un commandement déplacé (comme si l'amour se commandait — entend-on) ou un rêve idéaliste (comme si on pouvait aimer tout le monde) ou encore la perte de soi-même, de son identité (il faudrait se sacrifier soi-même se perdre dans les bonnes oeuvres). Ce commandement — que nous n'arrivons pas à mettre en pratique tellement nous l'avons étendu et idéalisé — devient contre nous une pesante accusation : "Tu n'arrives même pas à aimer, qu'est-ce que tu vaux ?"

    Oublions donc un moment tout ce que le Nouveau Testament a ajouté à cette phrase de l'Ancien Testament ! Faisons table rase de tout ce que nous avons ajouté à cette phrase. A l'origine, cette phase n'était pas au hit-parade des paroles bibliques, c'est même une petite phrase perdue dans une longue énumération de lois, des lois données au peuple d'Israël déporté à Babylone, en Exil.

    En tant que petite population déportée en terre étrangère, ce peuple d'Israël doit trouver les moyens de garder sa cohésion et son identité. Il doit repenser ses coutumes, ses lois, pour ne pas se perdre et se dissoudre dans son environnement. A l'intérieur d'une petite communauté, dans un environnement hostile, il est primordial de rester soudés, d'éviter de se diviser, et donc d'entrer en conflits les uns avec les autres. Ces lois sont donc d'abord destinées "à l'interne" comme on dit aujourd'hui. C'est entre proche, entre gens vivant ensemble que le risque d'accrochage est le plus grand.

    Cela, on le voit bien aujourd'hui où le groupe qui doit se serrer les coudes s'est le plus souvent réduit au cercle familial. C'est maintenant dans ce cercle que se passent le plus souvent les disputes et que les familles éclatent et se décomposent.

    La phrase "Tu aimeras ton prochain, ton proche comme toi-même" s'inscrit dans ce contexte précis des relations courtes et d'un haut potentiel de conflit dû à cette proximité. Mais cette phrase n'est pas lâchée toute seule et encore moins comme un commandement, un ordre qui tomberait du ciel. Cette phrase arrive comme la conclusion de remarques sur les relations conflictuelles et sur la façon de s'en sortir. En tant que conclusion replacée dans son contexte cette phrase dit à chacun : "alors c'est ainsi que tu aimeras concrètement ton proche comme toi-même." Il est donc important de (re)voir ce qui précède, ce qu'il y a avant cette conclusion, qui n'a rien d'un commandement culpabilisant.

    Réécoutons ces deux versets : "N'aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n'hésite pas à reprendre ton compatriote pour ne pas te charger d'un péché à son égard. Ne te venge pas, et ne sois pas rancunier à l'égard du fils de ton peuple c'est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C'est moi le Seigneur." (Lév. 19 : 17-18 TOB)

    Nous sommes loin de relations idéales, idylliques. Il est question de haine, de vengeance et de rancune. Autant de sentiments qui mettent en danger la relation. Le texte ne nie pas que de tels sentiments puissent naître et se développer au fond de nous-mêmes.

    Le texte part de l'existence de ces émotions. Oui, cela arrive, il n'est possible ni de les éviter de naître en nous, ni de les faire disparaître en niant leur existence. Ces sentiments négatifs existent et souvent nous habitent. Reconnaissons-le ! C'est la première étape. Reconnaître ce qui est. A partir de là, on peut s'interroger sur les raisons, sur l'origine de ces sentiments. La piste que le texte nous ouvre, c'est qu'un frère, un proche est à cette origine. On a été blessé, on se sent victime, lésé, agressé.

    Eh bien ne nous laissons pas enfermer dans ce rôle en ruminant la rancune, en préparant la vengeance ! Non, l'idée est d'aller trouver ce frère, ce proche pour lui parler, "pour le reprendre / le réprimander" selon diverses traductions. L'important est de ne pas rester seul avec son sentiment négatif, avec sa blessure, ne pas doubler la rupture de la communication, de la communion, en ajoutant au mur de la blessure infligée par l'autre, le mur de sa propre haine, ou désir de vengeance.

    Il est essentiel de s'ouvrir à son frère, à son proche ou à d'autres. Le péché qui est évoqué ici c'est le mur, la rupture de la communication. Lorsque l'autre a brisé quelque chose dans la relation avec nous, ne nous chargeons pas d'une nouvelle rupture à son égard. Rien n'est perdu si nous ne tombons pas dans le piège de la réciprocité négative (le 2e mur). Il reste toujours à notre disposition d'user d'une réciprocité positive (j'enjambe le mur de l'autre pour lui proposer une réconciliation). C'est difficile, cela demande une emprise sur soi-même — reconnaître ses faiblesses et peut-être sa part de torts, la poutre qui est dans mon oeil — c'est difficile, mais cela est possible.

    S'ouvrir, sortir de l'enfermement dans lequel nous place le fait d'avoir été blessé, voilà qui constitue l'acte concret d'aimer. Chaque fois que nous y arrivons, alors nous aimons notre prochain comme nous-mêmes. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Tu aimeras ton prochain comme toi-même, chaque fois que tu reconnaîtras que tu as été blessé, que ça fait mal, mais que tu ne veux pas te laisser enfermer dans ta douleur, parce qu'il est plus important de restaurer la relation.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Un repas comme signe du Royaume

    Jean 21

    3.6.2018

    Un repas comme signe du Royaume

    Jean 6 : 28-35      Jean 21 : 1-14

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Au temps où les supports d’écriture (parchemin et papyrus) étaient rares et chers, il fallait condenser les écrits, mettre le plus de sens dans un minimum de mots. Dans le texte biblique, chaque mot compte, chaque mot été choisi, pesé pour dire le maximum. Un mot, une expression, un groupe de mots peut appeler à la mémoire un autre récit qui vient enrichir le texte présent.

    C’est le cas ici dans notre récit de la fin de l’Évangile selon Jean. Ce récit comprend plusieurs couches de sens, au moins quatre !

    A. La première couche, c’est le récit de la pêche miraculeuse, dont on trouve un parallèle en Luc 5. Les disciples ont pêché toute la nuit et sont revenus bredouilles. Pendant la journée suivante, Jésus les invite à retourner jeter leurs filets et ils reviennent avec abondance de poissons. Le récit veut signifier aux croyants que Jésus vient donner une vie nouvelle, abondante, de plénitude à ses disciples.

    B. Si Luc a placé cet épisode au début du ministère de Jésus, lorsqu’il cherche à recruter ses disciples, l’Évangéliste Jean en fait un épisode post-pascal. Jean fait de cet événement de la pêche miraculeuse un moment de la révélation du Christ ressuscité. La nuit de la pêche ratée exprime la nuit qui suit Vendredi-saint, la nuit de l’absence de Dieu. Puis vient l’aube — qui ne peut pas ne pas nous rappeler le matin de Pâques — une aube où Jésus se trouve sur le rivage, pas loin de ses disciples, mais encore non reconnaissable.

    C’est la deuxième couche du récit : un récit d’apparition, à la suite des apparitions successives à Marie de Magdala, à quelques disciples et à Thomas. La question qui se pose, après Pâques, c’est : à quoi peut-on reconnaître le Christ, dans la vie de tous les jours ? Les disciples sont retournés en Galilée, l’épisode se passe à la mer de Tibériade qui est le lac de Galilée, là où Jésus était venu chercher ses premiers disciples. Ils sont donc retournés à domicile et ont repris leur ancien métier de pêcheurs. Qui va reconnaître Jésus et comment ?

    C. Sur cet épisode de pêche miraculeuse et de récit d’apparition se greffe l’histoire de la communauté de l’Évangéliste Jean. C’est la troisième couche. On le voit dans les rôles respectifs que le texte attribue à Pierre et au disciple que Jésus aimait ou disciple bien-aimé.

    À cette époque du christianisme, la communauté johannique — l’Eglise dans laquelle ont été écrits l’Évangile selon Jean et les trois épîtres de Jean — s’était développée parallèlement et séparément des églises de Paul et de Pierre. Il y a eu le risque d’un schisme, mais qui a été évité grâce à une reconnaissance mutuelle de rôles différents. Dans le texte, on retrouve et le risque de déchirement qu’a frôlé ces Eglises et la répartition des rôles entre Pierre et le disciple bien-aimé.

    Dans notre récit on voit Pierre agir et prendre des initiatives. C’est lui qui décide quand on part à la pêche, c’est lui qui se jette à l’eau pour rejoindre Jésus sur le rivage, c’est lui qui tire le filet plein de poissons à terre. Il y a donc, ici, une reconnaissance de l’importance, voire de la primauté de Pierre dans l’action et la direction de l’Eglise.

    Mais le rôle du disciple bien-aimé n’est pas négligeable. C’est lui qui — le premier — reconnaît, en l’homme du rivage, le Christ, le Seigneur. C’est lui qui donne cette information à Pierre. Le disciple bien-aimé, avec son Évangile, est ainsi reconnu par l’Eglise tout entière, comme celui qui est capable de voir le Christ là où les autres ne le reconnaissent pas. Il est celui qui peut parler valablement du Christ et de la foi.

    Souvenez-vous également, lorsque Pierre et le disciple bien-aimé courent au tombeau le matin de Pâques, Pierre entre le premier dans le tombeau, mais c’est le disciple bien-aimé qui comprend la portée du tombeau vide et qui croit : « Il vit et il cru » nous dit l’évangile (Jn 20:8).

    Le disciple bien-aimé et son Évangile johannique apportent un éclairage et une révélation indispensable sur le Christ à l’Eglise. Aujourd’hui cela semble évident, mais au début du christianisme cela avait été un problème. L’Eglise a failli se déchirer à cette époque, mais le récit nous dit que, malgré le grand nombre de poissons (la diversité dans l’Eglise) le filet (sous-entendu l’Eglise) ne se déchirera pas.

    D. La quatrième couche de sens que comporte ce récit, c’est le repas qui suit la pêche. On a là une expression semblable au récit des témoins d’Emmaüs (Luc 24:30-31), où les gestes de Jésus à table révèlent son identité. Ici le repas dit la continuité entre le Jésus qui a présidé le dernier repas et le Christ ressuscité.

    Comme vous le savez, l’Évangile selon Jean ne raconte pas le dernier repas de Jésus. A la place se trouve le lavement des pieds. Par contre, au chapitre 6, il y a le récit de la multiplication des pains et des poissons, suivit d’un long discours sur le pain descendu du ciel. Dans ce discours Jésus dit : « le pain que je donne, c’est ma chair (ce qui veut dire ma présence), je la donne pour la vie du monde.» (Jn 6:51)

    Ici le récit de la multiplication des pains vient donner sens à la pêche miraculeuse. Si Luc insistait sur le caractère missionnaire de la pêche miraculeuse : « Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » (Luc 5:10), l’Évangile de Jean insiste sur la vie abondante que le Christ ressuscité apporte à l’Eglise et aux croyants. On retrouve cette idée dans le discours johannique de Jésus sur le bon berger : «Je suis venu pour que mes brebis aient la vie, la vie de plénitude, la vie en abondance.» (Jn 10:10)

    Cette vie nouvelle, cette nouvelle qualité de vie qui se marque par des relations riches, par l’ouverture les uns envers les autres, se vit dans le repas partagé au nom du Christ. Le premier signe des chrétiens, c’est la table ouverte, c’est de partager des repas avec des personnes de toutes conditions, de toutes origines, comme Jésus l’a fait.

    Le repas commun est ce qui a pu réunir ensemble les Eglises de Jean, les Eglises de Pierre et de Paul. Dans le repas partagé se révèle la présence de Jésus, le crucifié et le ressuscité, le visage du vrai Dieu. Que nos repas en commun soient à l’image du repas du Christ : une table ouverte, accueillante, généreuse et joyeuse.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Ce qui appartient au Père, appartient aux enfants.

    Galates 4

    27.5.2018

    Ce qui appartient au Père, appartient aux enfants.

    Gal. 4 : 1-7        Jean 14 : 25-29

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dimanche dernier nous fêtions la Pentecôte, jour où l'Eglise commémore le don de l'Esprit saint aux disciples et à l'Eglise toute entière. Jésus — nous l'avons entendu dans la lecture de l'Evangile de Jean — avait annoncé à ses disciples que l'Esprit saint serait envoyé une fois que lui les aurait quittés. C’est ce qu’ont vécu les premiers disciples, la première Eglise.

    C’est ainsi que Paul explique à la jeune Eglise de Galatie pour quoi, dans quel but l'Esprit saint leur est donné : "Pour prouver que vous êtes bien ses fils, Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son fils, l'Esprit qui crie « Abba ! mon Père ! ». Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils." (Gal 4 : 6-7)

    L'Esprit qui est donné au croyant par Dieu crée un lien de filiation. Ce lien de filiation indique plusieurs choses (il est peut-être bon d'avoir ici en mémoire la parabole que Jésus a racontée sur le "fils prodigue", sans oublier le fils aîné de la parabole (Luc 15:11-32))

    a) la première chose que nous montre le lien de filiation, c'est la proximité. Père et fils sont proches, ils se côtoient, ils travaillent ensemble. L'idée de séparation est vue comme une anomalie, un échec de la relation.

    b) la deuxième chose qui vient avec la filiation, c'est la notion d'héritage. Chez nous on dit "Tel père, tel fils" ou bien "Le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre." Qu'il le veuille ou non, qu'il l'accepte ou se révolte, l'enfant hérite beaucoup de choses de ses parents en termes d'héritage psychologique, d'attitudes et de comportement.

    c) enfin, la filiation signifie aussi la copropriété de l'héritage matériel (voyez le fils aîné de la parabole qui ne s'en doutait pas !). Il y a une communauté de gestion, communauté de biens. Ce qui appartient au père appartient aussi au fils. L'Esprit du Père est donné aux fils pour mener une oeuvre commune dans le monde !

    Paul définit le fils en l'opposant à l'esclave. C'est très important pour l'Eglise de Galatie — qui avait la tentation de replonger dans une spiritualité fondée sur l'obéissance stricte à la Loi (avec le risque de devenir des pharisiens chrétiens) — et pour nous aujourd'hui — où le monde ne parle que de liberté : défendre le monde libre (contre le terrorisme); avoir plus de temps libre; lutter contre toutes les atteintes à la liberté, etc... Ça sonne bien et honni soit celui qui osera dire le contraire ! Mais de quelle liberté s'agit-il ? Celle de tous ou celle du petit groupe qui contrôle celle des autres ?

    Paul oppose l'esclavage à la filiation : "Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils." (Gal 4:7). La liberté, c'est Dieu qui la donne et la liberté n'est pas l'abandon de tout lien — comme s'il était possible de vivre sans lien, donc sans relations — mais l'attachement à un maître qui libère par opposition à un maître qui enchaîne et asservit. La liberté n'est pas l'abolition de toutes les lois, cela ne peut conduire qu'au rétablissement de la loi du plus fort.

    La liberté, c'est d'accomplir la loi (le double commandement d'amour) non par soumission scrupuleuse et par crainte d'une punition, mais par choix, parce qu'on a compris la bonté et l'utilité du commandement. Accomplir la loi, non par soumission comme l'esclave, parce que le maître l'a dit, mais par l'Esprit de Dieu, parce qu'on a compris où cela conduit.

    Par exemple, on m'a dit de ne pas tricher ni mentir. Le ferais-je parce que j'ai peur de la transgression ou parce que je comprends que sans cette règle je ne peux pas vivre de vraies relations avec quiconque ?

    L'Esprit de Dieu nous rend libre chaque fois qu'il nous aide à comprendre la visée d'une règle et nous conduit à l'adopter comme si c'était nous-mêmes qui l'avions inventée ! Mais cette question de liberté n'est-elle pas devenue caduque dans notre société occidentale ? N'avons-nous pas toutes les libertés qu'il nous faut, même trop de liberté — comme on l'entend parfois ?

    Quel est cet esclavage dont nous parle Paul ? Que veut-il dire lorsqu'il écrit : "nous étions esclaves des forces spirituelles du monde" (Gal 4:3) ? Est-ce dépassé ou est-ce encore actuel ?

    Si je pose la question, c'est que je pense que c'est encore actuel. Il y a encore aujourd'hui un combat à mener pour la liberté contre les "forces spirituelles du monde". Simplement il faut actualiser le vocabulaire. On ne peut plus parler en termes de forces célestes, d'anges et de démons.

    Aujourd'hui le vocabulaire parle de pressions sociales, de modes, de tendances, de trends ou encore de conditionnements ou de pulsions. Et c'est vrai que ces luttes ne doivent plus être projetées sur l'écran du ciel, hors de nous. La lutte se mène en nous-mêmes et dans la société pour savoir à qui nous allons faire allégeance : sera-ce aux manipulateurs de l'opinion publique; aux endormeurs de conscience; aux charmeurs de nos égos; aux vendeurs de rêve qui se remplissent les poches ? Ou sera-ce à ce Dieu qui nous veut libres, libres de toute dépendance, libres de former notre opinion, libres de remplir nos caddies selon nos besoins et non selon les désirs des publicitaires ?

    Qu'est-ce qui fait un esprit libre dans les tempêtes du monde actuel ? Si nous sommes un voilier soumis aux vents de tous ceux qui veulent nous asservir, il faut choisir une destination. D'où que vienne le vent, un voilier peut voguer vers sa destination. Il peut y parvenir par une multitude de chemins.

    Lorsque Dieu nous donne son Esprit, pour faire de nous des Fils, il nous donne cette destination, ce but, et il nous donne la liberté de choisir notre voie pour y parvenir.

    Que l'Esprit de Dieu qui vous fait enfants de Dieu vous accompagne sur votre route.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Martin Luther King - Les trois dimensions d’une vie accomplie

    Apocalypse 21

    15.4.2018

    Martin Luther King - Les trois dimensions d’une vie accomplie

    Apocalypse 21 : 1-4+10-16 Luc 10 : 29-37

     

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Pour le message de ce jour, je me suis inspiré d'une prédication de Martin Luther King (1929-1968) — le pasteur afro-américain (on disait nègre à l'époque !) qui a lutté pour les droits civiques des noirs dans les années 60 aux Etats-Unis. Il a intitulé sa prédication : "Les trois dimensions d'une vie accomplie." *

    Martin Luther King part de ce passage de l'Apocalypse qui décrit la Jérusalem céleste, la ville parfaite. Martin Luther King en fait une lecture symbolique, où cette ville parfaite représente le modèle, l'exemple pour mener une vie accomplie, pour construire une vie achevée.

    La Jérusalem céleste est décrite comme un cube avec trois arrêtes égales : "la longueur, la largeur et la hauteur étaient égales" (Ap 21:16). Pour construire une vie accomplie, il faut aussi développer notre personnalité dans ces trois dimensions.

    A. Considérons d'abord la longueur de la vie. Cette première dimension, c'est la dimension égoïste de notre être. Oui, acceptons-le ! Il existe un intérêt personnel, sain et raisonnable à s'aimer soi-même. Cette dimension est nécessaire. On doit penser à soi-même, on doit avoir de la considération pour soi-même, pour exister, pour être un interlocuteur, pour être en relation.

    S'aimer soi-même signifie s'accepter soi-même. Il y a tant de gens qui voudraient être quelqu'un d'autre. Mais Dieu a donné à chacun quelque chose de significatif et d'unique. A chacun de le trouver et de le mettre en valeur. Et nous pouvons prier : "Seigneur, aide-moi à m'accepter quotidiennement, aide-moi à accepter mes capacités." A chacun de découvrir sa vocation particulière et à exercer ses talents avec application.

    Cela nous conduira à considérer la dignité de tout travail. Et Martin Luther King raconte que dans un magasin de chaussures, il avait vu un jeune homme qui cirait les chaussures avec tant d'application et de soin qu'il se disait : "Ce jeune homme est docteur en cirage de chaussure."

    B. Maintenant, si on s'arrête là, si on reste bloqué à cette première dimension, on va rester dans l'égoïsme. Il faut aussi considérer la largeur de la vie, qui est le souci externe du bien-être des autres. Et personne n'a commencé à vivre, tant qu'il ne dépasse pas les frontières étroites de ses propres soucis jusqu'à englober ceux de l'humanité tout entière.

    Pour nous faire comprendre cela, Jésus nous raconte l'histoire du bon Samaritain qui s'arrête auprès du blessé. Dans cette histoire, deux hommes passent sans s'arrêter. Pourquoi ? Ce que Martin Luther King pense, c'est qu'ils ne s'arrêtent pas parce qu'ils ont peur. Ils ont peur de ce qui va leur arriver s'ils s'arrêtent. "Que m'arrivera-t-il si je m'arrête et que j'aide cet homme ?"

    Le Samaritain qui passe par là renverse la question, il se demande : "Qu'arrivera-t-il à cet homme si je ne m'arrête pas pour lui venir en aide ?" C'est toute la grandeur de cette deuxième dimension de se demander : "Qu'arrivera-t-il à cet homme ?" et non pas "Que m'arrivera-t-il ?"

    Ce dont Dieu a besoin aujourd'hui, c'est d'hommes et de femmes qui se demandent : "Qu'arrivera-t-il à l'humanité si nous ne faisons rien ?" "Qu'arrivera-t-il à la planète si je ne fais rien?" "Qu'arrivera-t-il à mon canton, à mon pays si je ne vote pas ?" Quelque part sur notre route, nous devons apprendre qu'il n'y a rien de plus grand que d'agir pour autrui !

    C. Mais, ne nous arrêtons pas ici non plus. Vous savez, beaucoup de gens connaissent la vie dans sa longueur et dans sa largeur et s'arrêtent-là. Or pour nous accomplir, nous devons dépasser l'intérêt personnel, aller au-delà de l'humanité, en direction de Dieu ! Beaucoup de gens négligent cette troisième dimension, la hauteur.

    Or, nous avons besoin de Dieu. Nous ne pouvons plus croire que l'ultime de notre vie est de devenir célèbre ou d'avoir de l'argent à la banque. Nous avons besoin d'un vrai Dieu, d'un Dieu en rapport avec notre existence, notre être. Or voici que notre Dieu s'est présenté à Moïse en disant JE SUIS. Il dit à Moïse — pour que cela soit clair — "fait savoir à mon peuple que mon prénom et mon nom sont identiques : « Je suis qui je suis ». "Et dans l'univers, Dieu est le seul capable de dire JE SUIS et de faire suivre cette déclaration d'un point. JE SUIS point.

    Les philosophes et les théologiens ont donné toutes sortes de noms compliqués à Dieu. Mais nous n'avons pas besoin de tous ces termes qui sonnent bien. Nous avons à le connaître et le découvrir d'une autre façon, d'une façon personnelle. Un jour, vous devrez vous lever pour dire qui il est avec vos propres mots. - Les uns diront « Je le connais, il est le lys dans la vallée ». - Un autre « Il est la brillante étoile du matin.» - Un autre encore : « Il est l'ami pour celui qui n'en a pas. »

    Vous trouverez votre propre formule personnelle. Et si vous croyez en Lui et L'adorez, cela changera votre vie. Vous sourirez lorsque d'autres seront en pleurs. C'est le pouvoir de Dieu.

    Reprenons ces trois dimensions. Que faire pour accomplir votre vie ?

    A. Sortez aujourd'hui. Aimez-vous vous-mêmes, ce qui implique un intérêt personnel raisonnable et sain. Il faut le faire. C'est la longueur de la vie.

    B. Puis aimez votre prochain comme vous-mêmes. Il faut le faire. C'est la largeur de la vie.

    C. Et je vais terminer après vous avoir rappelé le premier et le plus grand commandement : « Aime le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force. » Je pense qu'un psychologue dirait « de toute ta personnalité ». Et lorsque vous le faites, vous avez atteint la hauteur de la vie.

    Et lorsque vous liez ces trois dimensions, vous aurez une vie accomplie, vous pouvez marcher et ne jamais vous épuiser. Vous pouvez lever les yeux et discerner le chant des étoiles du matin. Avec ces trois éléments réunis dans votre existence, vous pourrez avancer inébranlables dans la vie.

    Amen

     

    * "Les trois dimensions d'une vie achevée" in Martin Luther King, Minuit, quelqu'un frappe à la porte, Genève, Labor et Fides, 2000, pp. 133-147.


    Pour habiter cette prédication, j'ai repris et modifié les phrases de la traduction française de la prédication de Martin Luther King. Aussi ai-je décidé de ne pas mettre de guillemets pour différencier ses termes des miens. Il faut considérer que les idées sont celles de Martin Luther King et l'expression tantôt la mienne et tantôt la sienne.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Le miracle de Pâques, c’est que Jésus nous fait comprendre le sens de la croix

    1.4.2018

    Le miracle de Pâques, c’est que Jésus nous fait comprendre le sens de la croix

    Esaïe 53 : 7-12      Osée 5 : 15 — 6 : 3        Luc 24 : 33-48

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Aujourd'hui, nous rappelons, nous commémorons, mais surtout, nous voulons vivre, nous imprégner de la journée qui a changé la face du monde : le dimanche de Pâques. C'est pour les disciples le premier jour de la semaine après la fête de la Pâque. Une journée tout en contraste que nous allons suivre dans l'Evangile de Luc.

    La fête de la Pâque a dû être triste, douloureuse pour les disciples. Ils pleurent la mort de Jésus, arrivée le vendredi précédent, une mort ignominieuse pour leur maître et ami. En cette aube d'après sabbat, les femmes vont au tombeau pour s'occuper du corps de Jésus, les rites funéraires ne pouvant avoir lieu pendant le sabbat.

    Les femmes trouvent le tombeau vide et vont raconter leur découverte aux autres disciples. Pour eux, c'est du délire de bonnes femmes ! Seul Pierre va vérifier. Mais il en revient perplexe. Le tombeau vide ne fait pas l'effet d'une révélation.

    Deux compagnons quittent alors le groupe pour aller à Emmaüs. On connaît leur rencontre avec Jésus (Luc 24 : 13-35), qu'ils ne reconnaissent pas jusqu'au moment où Jésus rompt le pain avec eux, mais disparaît. C'est le soir, ils retournent cependant à Jérusalem témoigner de leur expérience. Là, ils trouvent les disciples qui ont aussi quelque chose à leur dire : « Le Seigneur est vraiment ressuscité ! Simon l'a vu ! » (Luc 24:34).

    C'est alors que Jésus se matérialise au milieu d'eux. J'utilise — moi — ce terme "se matérialise" parce qu'il rend bien l'ambiguïté de la situation. Luc — lui — dit : "Jésus se tint au milieu d'eux." C'est comme s'il n'était pas entré par la porte, c’est pourquoi les disciples le prennent pour un esprit, un fantôme. C'est pourquoi Jésus doit se faire reconnaître en montrant ses mains et ses pieds.

    Même là — encore — les disciples restent incrédules, nous dit Luc ! Jésus décide alors de leur demander à manger. Mais même cela ne suffit pas. Jésus doit leur "ouvrir l'intelligence en leur expliquant les Ecritures." (Lc 24:45)

    Il est intéressant de remarquer que pour Luc, les signes matériels ne sont pas convaincants, les signes matériels ne sont pas les éléments qui conduisent à la foi, à la reconnaissance de Jésus. Il est clair pour Luc — et pour les premiers chrétiens — que ces récits d'Evangiles ne posent pas la question de l'identité physique et biologique de Jésus, mais de son identité spirituelle ! Il ne s'agit pas de reconnaître un Jésus réanimé, revenu à la vie comme Lazare, mais de reconnaître "le Seigneur", "le Vivant."

    Cette reconnaissance ne passe pas par nos yeux, mais par la communion, le partage du pain et par la Parole, la compréhension de l'Ecriture. Il s'agit de reconnaître que dans la vie de ce Jésus qui a été crucifié se réalisait, s'accomplissait le plan de Dieu, la révélation de l'amour total de Dieu envers tous les humains. Dieu ne cherche pas à éblouir par un miracle — même le miracle de la résurrection — il cherche à être entendu et compris.

    Le miracle de Pâques, le miracle de la résurrection, c'est l'action de Dieu lorsqu'il ouvre l'intelligence des disciples pour qu'ils comprennent les Ecritures, pour que nous comprenions les Ecritures.

    Pâques doit nous amener à comprendre les récits de la Bible, les récits de personnages victimes de malheurs, de persécutions. Surtout comprendre que ces personnages ne sont pas poursuivis par Dieu, mais qu'au contraire, Dieu se tient à leurs côtés — même si c'est contre toutes les apparences !

    Comme le dit le Chant du Serviteur souffrant d'Esaïe : "Le Seigneur approuve son serviteur accablé et il rétablit celui qui avait offert sa vie à la place des autres." (Es 53:10) Et il en est ainsi à travers tout l'Ancien Testament. Dieu est aux côtés d'Abel, de Joseph, d'Urie, de Naboth, de Jérémie, de Daniel, de même qu'il sera aux côtés d'Etienne et de tous les martyrs chrétiens ultérieurs.

    La révélation, c'est que Jésus crucifié explique les Ecritures. Le récit de la mort et de la résurrection met en lumière tout ce qui se trouve déjà écrit. Et maintenant Jésus ouvre aussi notre intelligence, notre esprit, pour que nous puissions relire nos vies à sa lumière, à la lumière de Pâques, à la lumière de la résurrection.

    Le miracle de Pâques, c'est de pouvoir se retourner et voir dans nos vies la présence de Dieu, de voir ses pas à côté des nôtres, de voir qu'il était là pour nous guider, pour nous consoler, pour nous réjouir. La joie de Pâques, c'est de laisser notre esprit s'ouvrir à cette présence, d'avoir foi d'être accompagnés maintenant, d'être accompagnés toujours.

    Alors, Joyeuses Pâques à tous !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Le rideau du Temple est déchiré

    Matthieu 27

    30.3.2018

    Le rideau du Temple est déchiré

    Esaïe 53 : 1-12 Hébreux 10 : 19-24 Matthieu 27 : 35-38 + 45-53

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous avons entendu le passage biblique qui raconte la mort de Jésus. Lorsque je relis ce récit — comme l'ensemble du récit de la Passion — je suis frappé par la sobriété du récit. On aurait pu imaginer que les premières Eglises, dans un élan de mémoire et par vénération pour leur Seigneur, aient enjolivé le récit, rajouté toutes sortes d'éléments pour bien montrer le rôle exceptionnel de leur héros ! Non, rien de tout cela. Le récit est court, sobre, mesuré. On voit que chaque mot est pesé, pensé, porteur de sens, de signification, mais il n'y a pas de dérive vers le fantastique ou le miraculeux — au contraire, pourrait-on dire.

    Il y a comme la nécessité que ce récit soit un procès-verbal fidèle de ce qui s'est passé, dans son dépouillement, sa crudité, sa cruauté aussi. Le sens vient du compte-rendu et non de rajouts. Cela est possible par le fait que les mots utilisés pour rendre compte des événements sont autant de renvois à d'autres textes et récits pour l'auditeur averti.

    On pourrait dire que les évangélistes sont les inventeurs de ce qu'on appelle en langage informatique de l'hypertexte ! De l'hypertexte, c'est un mot qui s'affiche en couleur sur l'écran et sur lequel on peut diriger le curseur de la souris et cliquer. Du mot choisi surgira une nouvelle fenêtre sur laquelle on peut lire une information supplémentaire concernant ce mot.

    Pour le récit de la mort de Jésus, ces informations supplémentaires viennent de l'Ancien Testament. Ce n’est qu'au travers du message de l'Ancien Testament que la mort de Jésus a pu être comprise par les disciples.

    La relecture de la Passion passe donc par le Ps 22 (que nous avons antiphoné au début du culte 64-23) et par Esaïe 53 (que nous avons entendu). Dans ces deux textes se trouvent un grand nombre de paroles qui aident à comprendre la mort de Jésus, comme messie souffrant.

    Un mot dans le récit de la mort de Jésus a retenu mon attention cette semaine : "Jésus poussa un grand cri et mourut. A ce moment, le rideau suspendu dans le Temple se déchira, depuis le haut, jusqu'en bas" (Mt 27:50-51).

    Le rideau qui se déchire n'est pas une citation de l'Ancien Testament, ne se trouve ni dans le Ps 22, ni dans Esaïe 53, et pourtant les trois évangélistes le mentionnent ! C'est une phrase intrigante. Que veut-elle nous dire ? Cela se passe exactement au moment de la mort de Jésus. Cela signifie que la mort de Jésus provoque quelque chose à l'intérieur du Temple.

    Le rideau dont il est question sépare le lieu saint où sont apportées les offrandes par les prêtres, du lieu très saint ou devraient résider l'Arche de l'alliance et les Tables de la Loi (je dis "devraient" car elles ont disparu lors de la démolition du premier Temple en 587 avant J.-C.).

    Le lieu très saint est inaccessible aux hommes, sauf une fois par an, par le grand-prêtre, pour un rituel du pardon des péchés de tout le peuple. Le grand-prêtre doit en premier offrir (hors du saint des saints) un sacrifice pour ses propres péchés et accomplir un rituel de purification. Ensuite seulement, il peut entrer dans le lieu très saint, apportant à Dieu l'ensemble des péchés du peuple d'Israël.

    Il y a deux éléments dans cette partie rituelle, une aspersion de sang sur l'arche et le rituel du bouc émissaire qui sera ensuite envoyé dans le désert avec les péchés du peuple (voir Lév. 16).

    Ainsi le grand-prêtre doit se présenter devant Dieu sans péché et apporter tous les péchés de son peuple pour le grand pardon.

    Lorsque les évangélistes affirment que le rideau du Temple s'est déchiré de haut en bas au moment où Jésus meurt, ils déclarent en quelque sorte qu'à ce moment Jésus entre dans le lieu très saint. Il entre en tant que grand-prêtre sans péché et portant les péchés de tout le peuple, voire de la terre entière.

    Si le rideau est déchiré, c'est que cette entrée est faite une fois pour toute, définitivement et que le rideau n'a plus d'usage après cela. Ce qui devait séparer les humains de Dieu n'a plus lieu d'être dès que Jésus l'a franchi. Les rapports entre Dieu et les humains sont fondamentalement et définitivement changés. Il n'y a plus de séparation entre Dieu et les humains. Il n'y a plus de rideau. Il n'y a plus que le Christ qui fait le lien entre Dieu et les humains, entre les humains et Dieu.

    Dieu — en Jésus-Christ — prend sur lui d'ouvrir à tous son pardon, ce qu'aucun de nos efforts ne pouvait rendre possible, ce qu'aucun sacrifice ne pouvait rendre possible.

    Le rideau déchiré abolit la séparation, marque la réconciliation que Dieu offre aux humains.

    "Ainsi, frères — comme le dit la lettre aux Hébreux — nous avons la liberté d'entrer dans le lieu très saint, grâce au sang du sacrifice de Jésus. Il nous a ouvert un chemin nouveau et vivant au travers du voile (...). Approchons-nous donc de Dieu avec un cœur sincère et une foi pleine d'assurance (...). (Heb. 10:19-22).

    Voilà ce que Jésus accomplit pour nous aujourd'hui !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • A Vendredi-saint, une condamnation qui devient salut.

    Matthieu 27

    18.3.2018

    A Vendredi-saint, une condamnation qui devient salut.

    Exode 12 : 5-7 + 12-13      Matthieu 27 : 11.27

    télécharger le texte : P-2018-03-18.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous avançons dans le temps de la Passion, nous approchons de Pâques, dimanche prochain, ce sera déjà les Rameaux.

    La lecture choisie se trouve dans le récit de la Passion dans l'évangile de Matthieu. Depuis leur arrivée à Jérusalem, les disciples ont déjà vécu l'épisode de l'onction à Béthanie, le dernier repas avec Jésus où il a mystérieusement transformé le sens du repas de la Pâque. Puis il y a eu la soirée à Gethsémané, l’arrestation et le reniement de Pierre. Maintenant, nous en sommes au procès de Jésus intenté par les autorités religieuses de Jérusalem. Ces autorités en appellent maintenant à Pilate, le procurateur romain, l'autorité politique et religieuse la plus haute de la région.

    Jésus comparaît donc devant Pilate, qui représente toute la puissance de l'empire romain. Jésus ne paraît pas impressionné, plutôt indifférent. Jésus ne répond même pas aux accusations, il ne trouve même pas nécessaire de se défendre, de se justifier. Jésus est là, tranquille, il a l'air sûr de son destin, de son innocence, comme de sa condamnation. Il ne cherche ni à y échapper, ni à confondre ses accusateurs. Il semble savoir que malgré leurs accusations, leurs cris, les manipulations de la foule — en fait — ni Pilate, ni les grands-prêtres ne peuvent modifier son destin.

    Les évangélistes —Matthieu ici — ne font pas des rapports journalistiques des événements, ils ont écrit ces textes pour que nous comprenions la signification des événements.

    Ici, la première chose à comprendre, c'est que tout est entre les mains de Dieu, plutôt qu'en celles des hommes, qu'ils soient bons ou méchants. Tout est entre les mains de Dieu et le résultat sera différent de ce que les humains ont en vue ! Il y a à la fin de ce récit du procès, une phrase terrible : pour décider Pilate à condamner Jésus, le peuple déclare : "Que les conséquences de sa mort retombent sur nous et nos enfants." (Mt 27:25) Le peuple est prêt — dit-il — à assumer les conséquences de sa volonté, que le sang de Jésus retombe sur lui !

    Le sang dans la pensée juive est le siège de la vie. Très pratiquement, lorsque quelqu'un saigne beaucoup, il meurt. Au tout début de la Bible, le sang d'Abel réclame vengeance contre Caïn. Lorsque le sang coule, il doit y avoir vengeance, réparation, quelqu'un doit payer. Le peuple dit être prêt à en payer le prix. Voilà le sens premier de cette phrase, lue du point de vue de la culpabilité.

    Mais Matthieu nous fait également un clin d'œil ironique et paradoxal ! Pour le croyant ou le lecteur averti, le sang de Jésus a coulé pour le salut de tous les humains. C'est ce que Jésus nous a fait connaître dans la sainte Cène : en donnant la coupe de vin, Jésus dit : "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance qui est versé pour le pardon des péchés." (Mt 26:28)

    Le sang versé sur la croix, c'est le sang de l'agneau pascal, de la Pâque qui rappelle la libération d'Egypte après la dixième plaie contre le pharaon. A la Pâque, du temps de l'Exode, du sang de l'agneau a été appliqué sur les linteaux de la porte de la maison pour en interdire l'entrée à l'ange exterminateur. C'est une mesure qui sauve les habitants de la maison.

    Lorsque le peuple dit à Pilate : Que le sang de cet homme retombe sur nous et sur nos enfants", le peuple ne sait pas quelle vérité théologique il prononce. Il ne sait pas dans quelle mesure il participe, dans le savoir à l'établissement du salut.

    En une seule phrase, Matthieu exprime notre double destin à tous : tout ce que nous tentons, par nos propres efforts, ne sauraient nous rapprocher de Dieu suffisamment pour être sauvés; mais Dieu accepte et transforme nos tentatives pour accomplir sa volonté de salut.

    Dieu est le spécialiste des grands retournements, des grands renversements, des grandes conversions. Il nous surprend, il nous prend à rebrousse-poil, non pas pour nous contrarier, mais pour nous remettre dans la bonne direction, même s'il faut faire un demi-tour. C'est ainsi — et c'est le plus grand des retournements — qu'il ôte toutes nos misères, nos insuffisances et nos fautes, pour les placer sur la croix, où un innocent est pendu à notre place.

    Le procès de Jésus devant Pilate est écrit pour nous faire voir l'innocence de Jésus — l'agneau sans défaut. Il y a deux signes indirects : le silence de Jésus et l'absence de contenu aux accusations. Il y a aussi un signe direct : le message de la femme de Pilate à son mari : "N'aie rien à faire avec cet homme innocent".

    Dans les évangiles : Cherchez la femme ! C'est incroyable le nombre de fois où ce sont des femmes qui donnent la réponse vraie, le message de la foi. A Béthanie, c'est la femme au parfum qui porte témoignage du destin de Jésus. Avec Pierre, c'est une servante qui lui révèle sa vraie identité, sa vraie appartenance, malgré les circonstances difficiles et même si Pierre ne veut pas s'y reconnaître pour le moment. Ici, c'est la femme de Pilate. A Pâques, ce seront des femmes qui — les premières — découvriront le tombeau vide et comprendront l’extraordinaire de la situation.

    Ici, la femme de Pilate perçoit l’innocence de Jésus et en averti son mari qui a — en apparence — la vie de Jésus entre ses mains. Il a bien ce pouvoir « en apparence » comme tous les autres acteurs qui pensent maîtriser la situation.

    La phrase à double sens de Matthieu "Que le sang de cet homme retombe sur nous et nos enfants." (Mt 27:25) souligne que personne ne sait vraiment ce qui se passe et dans quel cercle de violence il est happé, en même temps acteur et victime. Seul Dieu voit le drame qui se déroule. Seul Dieu peut faire en sorte que le sang du malheur et de la vengeance devienne le sang du salut et de la vie. Encore une fois dans l’histoire de son peuple — cela se passe depuis Abel — Dieu va prendre le parti de la victime. Dieu va réhabiliter ce Jésus mort sur la croix en le ressuscitant.

    Cette phrase à double sens nous prépare et nous guide vers le plus grand retournement de toute l'histoire que Dieu opère : faire en sorte que celui qui était mort sur la croix ressorte vivant du tombeau.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 11.3.2018

    Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 : 21-34

    télécharger le texte : P-2018-03-11.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Depuis plusieurs mois nous racontons des paraboles aux enfants. Comme vous l’avez vu, nous nous sommes penchés sur cette parabole du « serviteur qui ne veut pas pardonner », c’est son nouveau nom. Autrefois on parlait du « serviteur impitoyable », ce qui était peut-être plus exact — il n’a pas pitié de son compagnon — mais peut-être moins politiquement correct.

    Le titre « le serviteur qui ne veut pas pardonner » est moins juste également parce qu’il gomme un décalage entre l’intervention de Pierre sur le pardon et le contenu de la parabole de Jésus. Pierre pose une question sur le pardon envers celui qui a péché contre lui. Dans sa parabole, Jésus ne mentionne jamais le péché, il ne parle que de dette et de remise de dette. Le serviteur est impitoyable en ce qui ne remet pas la dette de son compagnon, comme on la lui a remise. Il n’est pas question d’un serviteur qui ne pardonne pas.

    Pour parler de pardon — suite à la question de Pierre — Jésus raconte une parabole qui ne parle pas de pardon non plus. Jésus a besoin de faire un détour pour pouvoir recadrer la question du pardon à son prochain.

    Restons donc d’abord uniquement sur cette parabole. Comme souvent Jésus commence son récit en disant : « le Royaume des cieux est semblable à…». Les paraboles servent à expliquer ce qui ne peut pas se laisser expliquer, définir, cerner dans notre logique. Comme Dieu ne se laisse pas enfermer dans des définitions, alors Jésus l’évoque dans ces histoires que nous appelons des paraboles. De même le Royaume des cieux n’est pas une terre localisable, c’est plutôt le monde des relations et surtout des relations nouvelles que Dieu instaure et habite.

    Un des éléments fréquents dans les paraboles, c’est la démesure. Pensez à la petite graine de moutarde censée se développer en un arbre qui abrite les nids des oiseaux. Ou le levain qui fait lever toute la pâte.

    Ici, la démesure est entre les deux dettes. D’un côté 1'500 années de salaire, de l’autre 100 jours de salaire. Imaginez que vous deviez rembourser pour demain 1’500 fois votre salaire annuel, c’est l’énormité de la dette du premier serviteur. Et le serviteur de promettre qu’il remboursera tout, il a juste besoin d’un délai. Il en appelle à la patience de son maître ! Et voilà que le maître (à partir de là le texte dit « le Seigneur ») remet toute cette dette. Il libère totalement son serviteur de cette dette monstrueuse.

    Il y a dans beaucoup de paraboles ce type de retournement, comme dans la parabole des ouvriers de la onzième heure où le maître de la vigne paie la même chose aux derniers arrivés alors qu’on attend des comptes proportionnels au temps travaillé. On attend des comportements logiques, rationnels, habituels alors que les paraboles surprennent. La logique de Dieu est toute différente de la nôtre.

    C’est là que Jésus veut emmener Pierre. La logique du Royaume des cieux n’est pas semblable à notre logique économique, rationnelle. La logique de Dieu est tout autre, elle jette toute calculette aux orties.

    Jésus raconte cette parabole à Pierre (quand celui-ci s’interroge sur le pardon) pour le faire sortir de ses calculs. Dans cette parabole, Jésus nous dit que nous avons une dette impossible à rembourser à l’égard de la vie, que ce soit Dieu, nos parents, la société etc.

    Cette parabole nous invite à prendre conscience de tout ce que nous avons reçu — gratuitement. Nous avons reçu la vie, une famille, une éducation. Nous faisons partie d’un réseau qui fait que nous n’avons que quelques pas à faire pour acheter notre nourriture et nos effets. Nous dépendons du travail de tous les autres humains sur cette terre — et par moment pendant une tranche de notre vie, nous contribuons également.

    Jésus nous appelle à voir tout ce que nous avons reçu, à voir cela d’un côté comme une dette (impossible à rembourser) et de l’autre comme une dette effacée !

    Il n’y a rien de culpabilisant chez Jésus à propos de cette dette. Elle est là, mais elle est effacée. Mais il faut avoir conscience de ces deux faces pour réaliser que nous sommes appelés à la réciprocité. C’est ce que manque le serviteur impitoyable ! Comme il ne réalise pas ce qui lui arrive — l’effacement de sa dette — il ne peut pas accorder la réciproque à son compagnon. C’est parce que notre dette est effacée, que nous pouvons à notre tour effacer les dettes de nos prochains et sortir de relations calculées, comptées, comptabilisées.

    C’est là qu’on revient au pardon. Les mots « remettre» et « dette» sont les mêmes mots qui sont utilisés dans le Notre Père que Jésus enseigne à ces disciples dans le Sermon sur la Montagne (Mt 6:12) et qui sont traduits dans le Notre Père liturgique par : «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » littéralement : «remets-nous nos dettes, comme nous les remettons aussi à nos débiteurs. »

    Comme nous avons été libérés de notre énorme dette de vie, nous pouvons à notre tour remettre les dettes de temps, d’énergie, de soins à ceux qui nous entourent. De même, comme Dieu nous a effacé nos fautes, nos péchés — sans compter — nous pouvons pardonner sans compter à ceux qui nous ont offensés.

    Jésus souligne par cette parabole — pour Pierre et pour nous— que nous ne saurions faire ce pas du pardon et de la remise de ce que nous pensons que les autres nous doivent, que si nous mesurons tous ce que nous avons reçu gratuitement. C’est parce que nous sommes riches de tout cela, que nous ne nous appauvrissons en rien de donner ou pardonner à notre tour. Riche de ce cadeau immense nous pouvons offrir la réciprocité à nos compagnons de vie.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018