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amour - Page 12

  • Matthieu 18. Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 11.3.2018

    Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 : 21-34

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Depuis plusieurs mois nous racontons des paraboles aux enfants. Comme vous l’avez vu, nous nous sommes penchés sur cette parabole du « serviteur qui ne veut pas pardonner », c’est son nouveau nom. Autrefois on parlait du « serviteur impitoyable », ce qui était peut-être plus exact — il n’a pas pitié de son compagnon — mais peut-être moins politiquement correct.

    Le titre « le serviteur qui ne veut pas pardonner » est moins juste également parce qu’il gomme un décalage entre l’intervention de Pierre sur le pardon et le contenu de la parabole de Jésus. Pierre pose une question sur le pardon envers celui qui a péché contre lui. Dans sa parabole, Jésus ne mentionne jamais le péché, il ne parle que de dette et de remise de dette. Le serviteur est impitoyable en ce qui ne remet pas la dette de son compagnon, comme on la lui a remise. Il n’est pas question d’un serviteur qui ne pardonne pas.

    Pour parler de pardon — suite à la question de Pierre — Jésus raconte une parabole qui ne parle pas de pardon non plus. Jésus a besoin de faire un détour pour pouvoir recadrer la question du pardon à son prochain.

    Restons donc d’abord uniquement sur cette parabole. Comme souvent Jésus commence son récit en disant : « le Royaume des cieux est semblable à…». Les paraboles servent à expliquer ce qui ne peut pas se laisser expliquer, définir, cerner dans notre logique. Comme Dieu ne se laisse pas enfermer dans des définitions, alors Jésus l’évoque dans ces histoires que nous appelons des paraboles. De même le Royaume des cieux n’est pas une terre localisable, c’est plutôt le monde des relations et surtout des relations nouvelles que Dieu instaure et habite.

    Un des éléments fréquents dans les paraboles, c’est la démesure. Pensez à la petite graine de moutarde censée se développer en un arbre qui abrite les nids des oiseaux. Ou le levain qui fait lever toute la pâte.

    Ici, la démesure est entre les deux dettes. D’un côté 1'500 années de salaire, de l’autre 100 jours de salaire. Imaginez que vous deviez rembourser pour demain 1’500 fois votre salaire annuel, c’est l’énormité de la dette du premier serviteur. Et le serviteur de promettre qu’il remboursera tout, il a juste besoin d’un délai. Il en appelle à la patience de son maître ! Et voilà que le maître (à partir de là le texte dit « le Seigneur ») remet toute cette dette. Il libère totalement son serviteur de cette dette monstrueuse.

    Il y a dans beaucoup de paraboles ce type de retournement, comme dans la parabole des ouvriers de la onzième heure où le maître de la vigne paie la même chose aux derniers arrivés alors qu’on attend des comptes proportionnels au temps travaillé. On attend des comportements logiques, rationnels, habituels alors que les paraboles surprennent. La logique de Dieu est toute différente de la nôtre.

    C’est là que Jésus veut emmener Pierre. La logique du Royaume des cieux n’est pas semblable à notre logique économique, rationnelle. La logique de Dieu est tout autre, elle jette toute calculette aux orties.

    Jésus raconte cette parabole à Pierre (quand celui-ci s’interroge sur le pardon) pour le faire sortir de ses calculs. Dans cette parabole, Jésus nous dit que nous avons une dette impossible à rembourser à l’égard de la vie, que ce soit Dieu, nos parents, la société etc.

    Cette parabole nous invite à prendre conscience de tout ce que nous avons reçu — gratuitement. Nous avons reçu la vie, une famille, une éducation. Nous faisons partie d’un réseau qui fait que nous n’avons que quelques pas à faire pour acheter notre nourriture et nos effets. Nous dépendons du travail de tous les autres humains sur cette terre — et par moment pendant une tranche de notre vie, nous contribuons également.

    Jésus nous appelle à voir tout ce que nous avons reçu, à voir cela d’un côté comme une dette (impossible à rembourser) et de l’autre comme une dette effacée !

    Il n’y a rien de culpabilisant chez Jésus à propos de cette dette. Elle est là, mais elle est effacée. Mais il faut avoir conscience de ces deux faces pour réaliser que nous sommes appelés à la réciprocité. C’est ce que manque le serviteur impitoyable ! Comme il ne réalise pas ce qui lui arrive — l’effacement de sa dette — il ne peut pas accorder la réciproque à son compagnon. C’est parce que notre dette est effacée, que nous pouvons à notre tour effacer les dettes de nos prochains et sortir de relations calculées, comptées, comptabilisées.

    C’est là qu’on revient au pardon. Les mots « remettre» et « dette» sont les mêmes mots qui sont utilisés dans le Notre Père que Jésus enseigne à ces disciples dans le Sermon sur la Montagne (Mt 6:12) et qui sont traduits dans le Notre Père liturgique par : «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » littéralement : «remets-nous nos dettes, comme nous les remettons aussi à nos débiteurs. »

    Comme nous avons été libérés de notre énorme dette de vie, nous pouvons à notre tour remettre les dettes de temps, d’énergie, de soins à ceux qui nous entourent. De même, comme Dieu nous a effacé nos fautes, nos péchés — sans compter — nous pouvons pardonner sans compter à ceux qui nous ont offensés.

    Jésus souligne par cette parabole — pour Pierre et pour nous— que nous ne saurions faire ce pas du pardon et de la remise de ce que nous pensons que les autres nous doivent, que si nous mesurons tous ce que nous avons reçu gratuitement. C’est parce que nous sommes riches de tout cela, que nous ne nous appauvrissons en rien de donner ou pardonner à notre tour. Riche de ce cadeau immense nous pouvons offrir la réciprocité à nos compagnons de vie.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 45. Joseph, Jésus, des parallèles

    Genèse 45

    25.2.2018

    Joseph, Jésus, des parallèles

     

    Genèse 37 : 1-9        Genèse 45 : 1-15      Jean 13 : 1-5 + 12-15

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous voici à nouveau dans l’histoire de Joseph, le fils de Jacob. Cette histoire nous parle de la vie, de la vie réelle, avec ses hauts et ses bas, les relations difficiles, les chutes et les ascensions vertigineuses.

    Précisément, cette histoire nous parle de la jalousie dans une fratrie, de la haine et du rôle de bouc émissaire quand les frères veulent tuer Joseph, et finalement le vendent comme esclave. Cette histoire parle du travail qui fait progresser et de l’injustice qui fait chuter, quand Joseph se retrouve en prison. Cette histoire nous parle de compétence et de réseau social quand la capacité à interpréter les rêves fait sortir Joseph de prison et l’amène devant Pharaon qui le nomme premier ministre. Ce récit nous parle de relations familiales difficiles, de mise à l’épreuve pour sonder les intentions, de tentatives de réconciliation, de savoir s’il faut ou non montrer ses émotions, de remplacer la rancune par la générosité.

    Ce récit peut donc être lu comme un enseignement sur la vie, comme une histoire déployant une certaine sagesse, dont nous pouvons tirer des leçons pour notre vie. Mais cette histoire n’est pas seulement cela.

    Cette histoire peut également se lire à un deuxième niveau, en regardant ce qui donne la force à Joseph de tout supporter et de surmonter les événements contraires, les malheurs. Oui, comment supporter la haine de ses frères, comment supporter d’être injustement jeté en prison, comment rester zen à ce point ? Joseph peut le faire parce qu’il regarde ce qui lui arrive d’une façon différente de l’ordinaire.

    Reprenons les rêves d’adolescent que Joseph raconte à ses frères : les onze gerbes de blé et les onze étoiles figurent ses frères qui se prosternent devant lui. Les frères lisent cela au premier degré : Joseph veut devenir leur maître, il veut que ses frères, ses aînés, soient ses serviteurs. Et cela les rend fous et on les comprend.

    La lecture que Joseph fait de ces rêves n’a rien à voir avec la domination. La clé nous en est donnée dans le chapitre 45 de la Genèse, lorsque Joseph dit à ses frères : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de Pharaon. » (Gn 45 :8) En effet, ici le rêve de Joseph s’est réalisé, ses frères se sont prosternés devant lui pour obtenir du blé, mais c’est dans une perspective de salut et pas de domination.

    Joseph ajoute encore — laissant tomber toute rancune : « Ne vous faites pas de reproches pour m’avoir vendu ainsi. C’est Dieu qui m’a envoyé ici à l’avance, pour que je puisse vous sauver la vie. » (Gn 45:5).

    Joseph ne regarde pas la jalousie et la haine passée de ses frères, il voit la trame sous-jacente de sa vie, comment Dieu a tout organisé pour sauver sa famille. Joseph surmonte tous les obstacles parce qu’il fait pleinement confiance en Dieu, en un Dieu qui le soutient et le relève à chaque étape de sa vie.

    Joseph arrive à avoir et à garder ce regard sur sa vie. C’est le regard qu’essaient de nous donner les Evangiles en nous racontant la vie de Jésus. Un regard qui voit comment Dieu agit, quelles positions Dieu prend dans la vie, pour nous. Et c’est là que nous pouvons faire des parallèles entre la vie de Joseph et celle de Jésus, des parallèles qui viennent de la constance de l’action de Dieu, de sa position permanente.

    Comme les frères de Joseph complotent pour le faire mourir, les prêtres et les pharisiens complotent contre Jésus pour le faire mourir.

    Comme Joseph est écarté, exclu de sa fratrie, Jésus est écarté, exclu de la société des hommes par sa condamnation à mort, « La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle » (Mt 21:42; Mc 12:10; Lc 20:17; Ac 4:11; 1 P 2:7). Comme Joseph devient le sauveur de ses frères, Jésus devient le sauveur de l’humanité.

    Dans les deux récits de vie, on voit la position que Dieu prend. Celui que les hommes écartent, Dieu lui donne une place de choix ; celui qui tombe, Dieu le relève. Et là, il est à noter que les évangiles utilisent deux mots pour parler de la résurrection, tantôt Dieu réveille Jésus, tantôt Dieu relève Jésus de la mort. Ainsi Dieu cherche toujours à nous relever de nos malheurs, de nos échecs, des injustices qui nous arrivent. Le Dieu de Joseph, auquel il fait confiance, est un Dieu qui recueille les exclus, les laissés pour compte, les méprisés.

    Dans l’Evangile selon Jean, nous voyons Jésus qui se met à laver les pieds de ses disciples. Il se met à la place du serviteur le plus humble pour une tâche qui était vue comme dégradante.

    Et Jésus dit alors à ses disciples : « Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13:13-14).

    Jésus — par son geste — renverse complètement les idées reçues sur Dieu comme sur la société. Dieu a une autre échelle de valeur que celle de notre société actuelle. L’importance ne dépend pas de la célébrité ou du nombre d’amis sur Facebook. La vraie grandeur se révèle dans le service et souvent dans le service le plus humble, le moins visible.

    Ah si notre société donnait plus de valeur à l’attention d’une maman pour chacun de ses enfants ! Ah si notre société donnait plus de valeur aux gestes de respect des uns envers les autres, on verrai moins d’incivilités ! Ah si notre société donnait plus de signes de reconnaissance à ceux qui exercent des fonctions publiques indispensables au bon fonctionnement de la société : enseignant, gendarmes, infirmières, voyers, caissières, personnel des EMS, etc…

    Ces fonctions de service, si souvent méprisées, Dieu les place en haut de l’échelle des valeurs et nous pouvons nous aussi leur donner une plus juste appréciation.

    Joseph a su voir, dans sa vie, la valeur que Dieu donne à ces services, à ces personnes méprisées et cela lui a donné la force de tenir, de surmonter le malheur, jusqu’au retournement de sa situation.

    Saurons-nous avoir le courage de lire la trace de Dieu dans nos vies, la valeur qu’il donne à chacun de nos gestes ? Saurons-nous voir comment il retourne les valeurs dans nos vies, comment il peut changer notre regard pour adopter la valeur que lui-même donne plutôt que le mépris qu’affiche la société ? Saurons-nous voir comment Dieu travaille à nous relever, à nous redonner vie et force pour avancer ? Saurons-nous être fiers d’être au service de la société, sachant que Dieu — à défaut des hommes — que Dieu apprécie à sa juste valeur ce que nous faisons et ce que nous sommes ?

    Amen.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 44. Joseph renonce au repas froid de la vengeance

    Genèse 44

    11.2.2018

    Joseph renonce au repas froid de la vengeance

    Gn 44 : 1-18 + 33-34       Gn 45 : 1-7

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le plan qu'a mis en place Joseph pour éviter la famine en Egypte, — après les rêves de vaches grasses et de vaches maigres du Pharaon — fonctionne à merveille. L'Egypte a des réserves. Le pays joue son rôle de grenier pour ses habitants, même pour ceux des pays voisins.

    C'est ainsi que les frères de Joseph viennent s'approvisionner en Egypte, par deux fois. Cependant, chaque fois, ils sont en butte à des tracasseries, ou même pire. Etrangers et vulnérables, loin de chez eux, ils sont accusés, d'abord d'être des espions, puis d'être des voleurs.

    Le récit souligne cependant deux choses à propos de ces accusations. - D'abord, qu'elles sont fausses. Les dix frères sont innocents, ils sont faussement accusés. - Ensuite ces accusations sont montées de toutes pièces par Joseph. C'est lui qui tire les ficelles. Il manipule ses frères. Alors, on peut se demander : Pourquoi Joseph fait-il cela ? Est-il sadique ? Cherche-t-il à se venger de ses frères ?

    On connaît assez bien ce mécanisme aujourd'hui : où celui qui a été victime répète la même violence, - soit en retour contre les mêmes personnes, sous forme de vengeance ouverte, - soit contre d'autres personnes, sans même le savoir comme le font les victimes de violence ou d'abus. Ainsi — en filigrane — le récit attire notre attention sur le risque du phénomène de répétition : Joseph ne le fait-il pas deux fois, lors de chaque voyage ? C'est peut-être le côté sombre de Joseph ! Il ne peut s'empêcher d'être violent à son tour.

    Mais le texte ne s'arrête pas là. Ces pièges que dresse Joseph contre ses frères ont aussi une valeur de test. Joseph veut se rendre compte dans quelle mesure l'attitude de la fratrie est restée celle du temps de son expulsion, ou si cette attitude a changé. "Joseph soumet ses frères coupables [envers lui] en somme, à une tentation qu'ils connaissent bien puisqu'ils y ont déjà succombé [une fois], celle d'abandonner impunément le plus jeune et le plus faible d'entre eux."*

    Dans son deuxième piège, Joseph — d'abord par l'intermédiaire de son intendant, puis de sa propre bouche — propose une solution simple à ses frères pour s'en sortir : "le coupable seul deviendra mon esclave; les autres seront libres" (Gn 44:10 et 17)

    Les frères peuvent sauver leur peau, se sortir de cette situation périlleuse s'ils abandonnent leur jeune frère ! C'est là le test. Vont-ils choisir la lâcheté ou la solidarité ? D'un côté, il y a le chemin de la répétition du mal et de la culpabilité; de l'autre, il y a le difficile chemin de risquer de perdre sa liberté pour sauver l'unité de la fratrie, pour sauver la relation et la vérité de la relation.

    C'est Juda — au nom de tous ses frères probablement — qui affronte l'égal de pharaon et tente de sauver Benjamin. Il a choisi la voie de la solidarité. Il est prêt à prendre la place de Benjamin, comme esclave, plutôt que de l'abandonner en Egypte et provoquer la mort de leur père !

    Les paroles de Juda sont celles qu'attendait Joseph ! Ses frères ont changé, découvre-t-il. Ils ont renoncé à leur attitude passée, ils sont devenus une vraie fratrie, il ne reste qu'à y réintégrer Joseph lui-même. L'heure de la réconciliation a donc sonné, heure de la révélation, du dévoilement de l'identité de ce premier ministre.

    Maintenant, Joseph peut pardonner pleinement à ses frères et vivre une vraie réconciliation avec eux. Il peut évoquer le passé avec eux, sans ressentiment, sans rancune. La fraternité l'a emporté sur la haine. Joseph va faire lui-même une relecture de sa propre histoire, non pas en termes de victime, mais avec les yeux de Dieu :

    "Dieu m'a envoyé dans ce pays avant vous, pour que vous puissiez y avoir des descendants et y survivre; c'est une merveilleuse délivrance." (Gn 45:7)

    Pas facile de relire sa propre histoire, notre propre histoire — avec ses hauts et ses bas — comme l'histoire que Dieu lui-même a dessinée pour notre vie. Certaines choses restent longtemps incompréhensibles, et pourtant, notre vie a-t-elle plus de sens si nous n'y voyons pas la main de Dieu ?

    Combien de coïncidences, de rencontres, d'événements ne viennent-ils pas s'intégrer dans notre vie au bon moment, comme une réponse, comme un stimulant à avancer, à découvrir une nouvelle dimension, une nouvelle direction à notre vie ?

    Une personne me disait lors d'une visite à l'hôpital : "Quand je regarde ma vie, je vois la synchronisation que Dieu met dans mes rencontres... comment il me prépare à ce qui va arriver..." Il appelait cela de la synchronisation. Combien de choses viennent à point nommé ? Savons-nous les recevoir, les interpréter comme un signe de la Providence ? Voir comment Dieu agit dans nos vies, nous aide également à pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, comme Joseph le dit à ses frères :

    "Ne vous tourmentez pas et ne vous faites pas de reproches pour m'avoir vendu ainsi. C'est Dieu qui m'a envoyé ici à l'avance, pour que je puisse vous sauver la vie" (Gn 45:5)

    Traditionnellement, Joseph est vu comme une figure messianique, qui préfigure le Messie, le Christ. Joseph, fait figure de Messie en ceci : Il est d’abord rejeté (lorsqu’il est vendu par ses frères), puis abaissé (lorsqu’il est injustement envoyé en prison), ensuite, il devient le Messie qui sauve l'humanité de la mort, de la pénurie (lorsqu’il devient intendant du pharaon et gérant de toutes les récoltes du pays), enfin, ici, finalement (par d'étranges détours — des pièges au pardon —) il est celui qui inaugure une réconciliation fraternelle qui met fin à toute violence.

    Le repas des retrouvailles, de la paix et de l'entente peut avoir lieu, anticipation et actualisation du repas du Royaume auquel Dieu nous invite tous, sans exclusion.

    Amen

    * Citation de : René Girard, Je vois Satan tomber comme l'éclair, Paris, Grasset, 1999, p. 176-177.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 41. Le souci économique de Joseph est un souci de salut.

    Genèse 41

    28.1.2018

    Le souci économique de Joseph est un souci de salut.

    Genèse 41 : 14-38      Genèse 41 : 53-57

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans l’épisode précédent de la saga de Joseph, nous avons laissé Joseph alors qu'il était emmené comme esclave en Egypte. Aujourd'hui, nous le retrouvons en prison ! On dirait que le destin s'acharne contre lui. Chez son maître Potifar, Joseph a été injustement accusé (relisez le chap. 39) et jeté en prison. C'est comme une descente aux enfers, la situation de Joseph ne peut guère être pire. Et pourtant, il ne désespère pas, il fait confiance en Dieu.

    Cette confiance ne le place pas "en attente", comme si tout devait tomber du ciel. En fait, Joseph ne reste pas inactif, à se plaindre de son destin et à maudire le ciel. Dans toutes les circonstances, on le voit prendre les devants, prendre des initiatives. Esclave chez Potifar, il était devenu l'intendant de la maison. Ici en prison, il se fait remarquer par le chef de la garde et se voit confier la direction des travaux des prisonniers (Gn 39:22). Joseph sait tirer parti, faire ressortir ce qu'il y a de bon de toutes les circonstances, il sait apprendre de ses malheurs. Il est celui qui sait rebondir en toutes occasions.

    C'est en cela que l'histoire de Joseph est souvent considérée comme un petit traité de sagesse. Joseph est un sage, parce qu'en toutes circonstances — même les pires — il est capable d'apprendre quelque chose, de prendre des dispositions qui améliorent son sort, de témoigner de patience, tout en se laissant interpeller par la situation et les malheurs de ses compagnons d'infortune. C'est ainsi que Joseph est remarqué et se voit offrir des responsabilités.

    Dans les responsabilités qu'il obtient, Joseph fait l'apprentissage de la direction. Il est en contact avec de hauts personnages (l'échanson et le boulanger) et ne manque pas d'en tirer quelque chose, tout en se mettant à leur service, en exerçant son don d'interprétation des rêves.

    C'est ainsi qu'il va être tiré de sa prison, le jour où plus aucun magicien ne peut interpréter les rêves de Pharaon, ses rêves de vaches grasses et de gros et beaux épis. Dans le dialogue entre Pharaon et Joseph, il y a deux choses remarquables :

    1) Joseph refuse de s'octroyer le mérite de l'interprétation des rêves. S'il possède ce don, ce don vient de Dieu seul. Tout comme le rêve de Pharaon lui-même ! C'est Dieu qui agit, qui informe Pharaon de ce qui va se passer. Joseph est là l'instrument de Dieu pour que Pharaon comprenne le message et que des mesures soient prises.

    2) La deuxième chose remarquable, c'est que Joseph ne se contente pas de dire la signification des deux rêves, il prend l'initiative de dire au Pharaon ce qui peut être fait pour que le pays ne soit pas dévasté. Joseph a son plan, son projet pour l'Egypte, il en fait part à Pharaon et il attend.

    Joseph a là une attitude impressionnante. Il n'est ni inactif face à la crise qui s'annonce, ni réactif, attendant de voir si ce qui est annoncé se réalise (alors les années d'abondance auront passé et il sera trop tard pour agir). Il est ce que les psychologues appellent aujourd'hui "pro-actif". Joseph est pro-actif, ce qui signifie qu'il anticipe la situation et qu'il propose une mesure innovante pour éviter les effets catastrophiques de la famine avant que celle-ci ne s'installe.

    Nos politiciens feraient bien de s’en inspirer pour parer les crises qui s’annoncent, comme la crise du réchauffement climatique !

    Maintenant, ce que Joseph a appris dans la maison de Potifar, dans sa prison et plus tôt dans sa famille va lui servir ! Il est l'homme de la situation et Pharaon le remarque. C'est Joseph qui va tenir les rennes de l'économie de l'Egypte pendant deux septennats — un septennat d'abondance et un septennat de pénurie.

    Joseph va planifier ces 14 ans avec à coeur la problématique qu'il a emporté avec lui de sa famille : Comment les humains peuvent-ils vivre ensemble fraternellement, même en temps de crise ? C'est un véritable défi, car s'il est déjà souvent difficile de vivre pacifiquement quand tout va bien, qu'en est-il lorsque les tensions augmentent ?

    Ici, en Egypte, le domaine économique devient un lieu d'enjeu de la fraternité humaine. Joseph sait bien qu'avec la famine, la crise et les tensions vont monter et faire augmenter dangereusement le risque de la désintégration de la société, le risque des exclusions, le risque de phénomènes de boucs émissaires, le risque de mort.

    De par son expérience personnelle, Joseph connaît tout cela de l'intérieur, et il a décidé d'anticiper, d'agir pour éviter ces catastrophes. Il dresse un plan social pour que la famine ne fasse pas de victimes.

    Je ne ferai pas l'apologie des moyens que Joseph utilise pour parvenir à ses fins. Je ne crois pas qu'ils soient transposables dans le temps, ni qu'ils soient proposés par le narrateur de l'histoire comme un idéal. En effet, ils conduisent à une nationalisation totale des biens de tous les égyptiens en faveur de Pharaon.

    Ce qui est important ici, c'est la préoccupation de Joseph pour le bien commun de tous. Le projet social de Joseph est de faire en sorte que tous puissent se nourrir, que tous puissent vivre, que l'abondance des premières années puisse profiter à tous dans les années de disette.

    Le maintien de la fraternité humaine passe par ce partage, par cette solidarité de tous pour tous. Sans cette attention au bien commun qui passe par l'attention aux plus fragiles, aux plus vulnérables, la cohésion de la société risque de disparaître et donc aboutir à un désastre social, un désastre humain, inhumain, faudrait-il dire !

    On a régulièrement vu dans le personnage de Joseph une figure messianique. Cette dimension messianique — c’est-à-dire porteuse d’une véritié divine, d’un rapprochement avec Dieu — se marque particulièrement dans ce souci du salut de tous. Ce salut n'est pas seulement celui de l'âme au-delà de la mort. Ce salut, c’est déjà une vie en plénitude dès maintenant. Pas une vie seulement pour soi seul, égoïstement, mais une vie assurée pour tous, sans exclus, sans laissés pour compte, sans personnes laissées sur le bord du chemin. Si les moyens mis en place par Joseph ne sont pas forcément un modèle à reprendre, le but — par contre — de ne laisser personne affamé, même dans les pays voisins, ce but d’un salut communautaire est dans la droite ligne de la volonté divine. La vie que Dieu veut voir changée est déjà celle que nous vivons ici et maintenant, sur cette terre et pour tous les habitants de la terre.

    C'est donc déjà ici et maintenant que nous pouvons avoir ce souci économique des moins bien lotis et marcher ainsi dans les pas de Joseph.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Jésus pratique la contamination positive.

    Marc 5

    21.1.2018

    Jésus pratique la contamination positive.

    Ex 15 : 1-21     Marc 5 : 21-43

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    La thématique pour cette semaine de l’Unité des Chrétiens et pour cette célébration œcuménique a été préparée par un groupe d’Eglises des Caraïbes. L’accent de ces Eglises est mis sur la libération, notamment par rapport à leur passé d’esclavage. Le récit de l’Exode et du passage de la mer, qui met une fin définitive à l’esclavage, trouve là-bas un grand écho. C’est un peu moins direct pour nous ici.

    Le livret de la semaine met en avant le verset suivant : « Ta main droite, Seigneur, est éclatante de puissance. » (Ex 15:6). Cette puissance de Dieu, qui réduit à néant les armées de Pharaon dans la mer, qu’a-t-elle à voir avec le message de Jésus, avec l’Evangile ?

    Jésus n’est-il pas mort sur la croix, sans armée d’anges pour le sauver, sans puissance pour le descendre de la croix ? Jésus n’a-t-il pas accepté cette impuissance ? N’est-ce pas même la force de son ministère et de son message : ne pas entrer dans le jeu des puissances et des autorités ?

    Jésus a accepté l’impuissance publique, politique et religieuse. Jésus recadre le lieu de la puissance en la plaçant dans les relations interpersonnelles et c’est ce que nous voyons dans le double récit de guérison de l’Evangile selon Marc que nous avons entendu.

    En toutes lettres, il est dit qu’une force (dunamis en grec) sort de Jésus au moment où la femme touche son vêtement. Et la femme perçoit tout de suite qu’elle est guérie, que cette force — qu’elle cherchait auprès de Jésus — a été efficace, plus efficace que celle de tous les médecins qu’elle avait consultés pendant douze ans.

    Dans le dialogue qu’il entretient avec cette femme, au milieu de la foule qui le presse, Jésus confirme la guérison, il valide le geste de cette femme en lui disant : « Ta foi t’a sauvée ! » (Mc 5:34) Qu’est-ce que cette foi et de quoi cette femme est-elle sauvée ?

    A. La foi de cette femme est d’avoir osé transgresser tous les tabous de son époque pour s’approcher de Jésus. Il faut se remettre dans le contexte des lois de pureté du Lévitique auxquels les pharisiens demandaient de se plier. Une femme est impure pendant tout le temps de ses règles et les sept jours qui suivent. Et quiconque la touche est impur jusqu’au soir (Lév. 15:19).

    Cela signifie que cette femme était considérée comme impure 365 jours par an et que personne ne pouvait avoir un contact physique avec elle — ne serait-ce une poignée de main ou recevoir d’elle le plat qui passe à table — sans être impur à son tour.

    Cette femme-là espère en Jésus, elle croit, elle est sûre du pouvoir guérisseur de Jésus. Elle s’octroie la permission de traverser une foule compacte jusqu’à Jésus et de le toucher au risque de le rendre impur. Cette incroyable impudence, ce toupet — après coup nous disons ce courage — Jésus le valide comme étant de la foi. Oui, c’est de la confiance dans le pouvoir libérateur de Jésus.

    Mais c’est plus que cela. C’est une véritable, une authentique adhésion au mode de pensée de Jésus lui-même. N’est-ce pas Jésus qui guérit un lépreu précédemment dans l’Evangile selon Marc (Mc 1:40-42) ? Dans ce récit, le lépreux formule ainsi sa demande : « Si tu le veux, tu peux me rendre pur. » (Mc 1:40).

    C’est exactement ce que pense cette femme. Elle est persuadée que Jésus peut la rendre pure, que ce n’est pas elle qui va contaminer Jésus, mais lui qui va la rendre pure. La foi de cette femme, c’est que Jésus a le pouvoir de renverser le processus de contamination.

    Le livre du Lévitique, et les pharisiens à sa suite, pensent que l’impur pollue le pur. Jésus affirme constamment le contraire dans sa façon d’être et de guérir. Jésus approche malades, handicaps, lépreux et possédés, tout l’arrière-ban de la société, tous les exclus qu’on ne veut pas approcher de peur d’être contaminé. Et bien, Jésus va vers eux et ôte leur pseudo-impureté.

    Jésus pratique la contamination positive. Jésus n’a pas été rendu impur par cette femme, c’est une force sortie de lui qui a transformé cette femme. Jésus est venu renverser les courants, les flux. A l’image des flux sanguins de ces deux récits, flux qui se sont renversés pour qu’il ne coule plus chez la femme et qu’il se remette à couler dans les veines de la fillette.

    Jésus remet de la vie là où la vie ne circulait plus. Jésus renverse les idéologies qui étiquettent les gens, les rendant impurs, aujourd’hui on dirait infréquentables.

    B. La foi qui sauve cette femme, c’est le renversement de la croyance sur le sens de la contamination. Jésus croit à la contamination positive et il nous invite à la foi, à le croire avec lui. Avec cette croyance — que la femme a commencé avant sa rencontre physique avec Jésus — la femme est sauvée de son isolement social. En ayant ce dialogue d’aveu public, Jésus la remet au milieu de son groupe social, au milieu de son village avec sa bénédiction. Plus personne ne pourra l’exclure sans se couper lui-même de Dieu.

    Jésus n’est pas venu imposer une puissance divine à la société. Il vient changer nos mentalités et nos relations les uns avec les autres pour qu’elles ne soient plus fondées sur la peur, la peur de l’autre, mais sur la confiance.

    Confiance dans la force positive du bien, dans la force de la contamination positive, dans la contagion de l’amour. A partir de ce regard de Jésus, nous pouvons nous regarder différemment les uns les autres. Avec cette femme, avec Jésus, osons abandonner la peur et opter pour la confiance.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 37. Joseph, un destin qui s’accomplit dans l’épreuve

    Genèse 37

    14.1.2018

    Joseph, un destin qui s’accomplit dans l’épreuve

    Genèse 37 : 2-11      Genèse 37 : 12-27+36       Marc 9 : 33-35

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Pendant ces prochaines semaines — en parallèle avec le programme des Etudes bibliques — je vous propose de faire un parcours dans la vie de Joseph, le fils de Jacob. Aujourd'hui, vous avez entendu les premiers passages de sa vie que nous présente le livre de la Genèse. Le premier passage (A) nous décrit la situation familiale dans la fratrie des fils de Jacob. Ensuite (B) nous avons entendu les rêves de Joseph puis (C) le complot que les frères préparent pour se débarrasser de lui.

    A. La famille de Jacob est plus compliquée qu'aucune des "familles recomposées" qu'on rencontre de nos jours. Imaginez : un père avec douze fils nés de quatre femmes différentes, dont deux sont sœurs et les deux autres leurs servantes. L'une de ces épouses, Rachel, la bien-aimée de Jacob est décédée. Cela fait un fils aîné, Ruben, le premier-né de la première femme (Léa) et trois autres fils premiers-nés des autres femmes qui peuvent chacun réclamer une prééminence. Ce sont Dan (fils de Bila), Gad (fils de Zilpa) et Joseph (fils de Rachel) le onzième fils de Jacob. Joseph est donc le cadet, c'est-à-dire l'avant-dernier fils, le dernier étant Benjamin, le benjamin de la famille.

    Pour tout compliquer, Joseph a un statut particulier en tant que fils tant attendu de Rachel, le premier amour de Jacob. Joseph est donc le préféré de son père, ce qui est manifesté ostensiblement par la robe — particulièrement riche — qu'il reçoit de son père. Cette fratrie est donc animée de rivalités qui tiennent aux rangs réels, numériques, de chacun dans la famille et à la jalousie qui vient de la prééminence que Jacob accorde à Joseph. Dans ce sens, Jacob n'a jamais guéri de ce que j'appellerai "sa haine contre le droit d'aînesse héréditaire." Il reporte sur ses propres enfants le problème qui l'habite !

    En même temps, cette "haine contre le droit d'aînesse héréditaire" est quelque chose que Dieu partage, parce que ce prétendu droit s'apparente trop souvent au simple "droit du plus fort". Ainsi cette fratrie sans chef évident ("de droit divin"!) ressemble en miniature à toute société humaine. Cette famille est l'image de toute société humaine avec ses luttes de clans, ses haines et ses jalousies, ses rivalités et ses envies d'exclusion et de meurtres.

    B. Là au milieu, il y a Joseph, que l'on peut voir péjorativement — comme le voient ses frères — comme l'homme aux rêves, aux songes, dans les nuages, ou positivement comme le visionnaire, celui qui a un projet pour cette société qu'est cette fratrie, comme — plus tard — il aura un projet pour l'Egypte, un projet social pour traverser la famine sans perdre un habitant du pays. La problématique qui traverse toute l'histoire de Joseph est celle de la vie fraternelle de toute l'humanité. Comment vivre tous ensemble en paix ?

    Joseph est le porteur de cette problématique, il va vivre dans son corps toutes les étapes qui feront de cette famille divisée par la haine, une famille réconciliée et sauvée de la mort. La vie de Joseph ressemble à une tragédie grecque. Son destin est énoncé dans ses rêves et toutes les tentatives faites autour de lui pour l'empêcher d'accomplir son destin, seront autant de pas en direction de cet accomplissement.

    C. Ainsi le complot des frères contre Joseph est un moment nécessaire à cet accomplissement. Ici, on peut commencer à observer les parallèles avec la Passion de Jésus. Pensez à la phrase : "ils complotèrent de le faire mourir" (Gn 37:18), phrase qu’on retrouve souvent dans les Evangiles (cf. Mt 26:4 et par.) Ou pensez aux annonces de la Passion de Jésus « il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup et qu’il soit rejeté » (Luc 17 :25)

    On trouve déjà dans ce récit de la Genèse ce côté nécessaire et inéluctable du déroulement des événements. Les frères n'en peuvent plus de voir Joseph tourner autour d'eux. Ils trouvent Joseph extrêmement désagréable, c'est vrai, il dénonce, il rapporte à son père, il est d'un orgueil plus qu'agaçant, il est toujours du côté de son père, en un mot, il trahit ses frères, il n'a aucune loyauté à leur égard : il faut donc l'éliminer — pensent-ils !!!

    On remarquera ici que c'est la première solution — la solution la plus primitive — que toute société envisage lorsqu'elle est confrontée à un problème : éliminer celui qui soulève le problème, désigner un bouc émissaire et l'exclure. Faire l’unité intérieure contre le corps étranger.

    Les frères ont pris une décision, reste à trouver le meilleur moyen de la mettre en oeuvre. Le meilleur moyen serait qu'un animal, une bête féroce, s'en charge ou de faire comme si un animal s'en était chargé. Cette simple mention montre que le meurtre dégrade l'homme de sa dignité humaine et le réduit au rang d'animal. Sur l'intervention de Ruben — l'aîné qui reprend de l'autorité — la vie de Joseph est épargnée. Joseph sera fnalement vendu comme esclave. Les frères devaient bien rire en eux-mêmes. Le prétentieux qui pensait les dominer tous, le voici réduit au rang d'esclave ! Mais c'est aussi ainsi que s'accomplit le destin de Joseph, ce destin qui le conduira à les dominer tous.

    Ce n'est pas sans raison qu'on prête à Joseph d'être une figure messianique. Il est — comme le sera Jésus — "la pierre rejetée des bâtisseurs qui est devenue la pierre principale" (Ps 118:22). Ce rejet, qui passe par l'esclavage, qui passera par la prison, donc par des position "basses", subalternes, voire humiliantes, sont des voies qui vont ouvrir à la vraie autorité, celle qui fait grandir au lieu d'asservir.

    Ce que Joseph a vécu dans sa personne, ces positions « basses », c'est une chose que Jésus va reprendre et réaffirmer sans cesse comme l’essence même de la position « haute » : Ecoutez ces lignes de l’Evangile :

    "Jésus et ses disciples arrivèrent à Capernaüm. Quand il fut dans la maison, Jésus demanda à ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. Alors Jésus s'assit (tiens, il prend une position basse !), il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. »" (Marc 9:33-35).

    Jésus retourne complètement la vision de ce que la société désigne comme des positions hautes ou basses. Jésus donne à notre vie un nouvel éclairage.

    Il y a dans nos vies des moments où le destin nous fait descendre d'un cran (ou de plusieurs), apprenons à avoir la foi de Joseph — et la vision de Jésus — que cette descente n'est pas abandon, terminus, situation désespérée. C’est davantage un lieu d’apprentissage, en vue d’un plus grand service. Apprenons à avoir la sagesse de Joseph d'espérer en l'avenir et surtout en Dieu qui accompagne l'exclu et qui le réhabilite.

    Amen    

  • Dieu joue l'énigmatique pour nous inviter au détour qui permet la rencontre

    1 Co 1

    25.12.2017

    Dieu joue l'énigmatique pour nous inviter au détour qui permet la rencontre

    Exode 3 : 1-8      1 Corinth. 1 : 18-21      Luc 2 : 8-12

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Imaginez, un instant, que vous êtes ... Dieu ! Il y a quelques millions d'années, vous avez donné un coup de pouce au développement de l'être humain et depuis lors vous le regardez évoluer. Pour l’être humain, la vie est difficile et précaire sur la terre. Vous voyez comment il a de la peine à vivre bien, à vivre pacifiquement ses relations avec ses proches ou ses voisins.

    Vous le voyez malheureux, misérable, oppressé et vous souhaitez lui donner un coup de main, le mettre sur la voie du bonheur, de la liberté, de l'amour.

    Mais voilà, vous êtes Dieu, avec des moyens illimités, une puissance sans borne et vous ne voulez pas le terroriser. L'être humain a déjà bien assez peur comme cela, il est superstitieux et craintif. Comment faire ? Comment se révéler ?

    La Bible nous relate, côté humain, les prises de contact de Dieu avec nous. Dieu s'est promis de ne pas recommencer avec la méthode par trop radicale du déluge. Alors, il opte pour une méthode plus légère : se faire connaître au sein d'une famille, celle d'Abraham, Isaac, Jacob. C'est un travail qui demande du doigté, qui est à reprendre à chaque génération, mais enfin, il fait peu à peu ses preuves.

    L'humanité, à travers Israël, découvre peu à peu un Dieu qui se montre sensible et proche, à l'écoute de la misère des humains. Et c'est ainsi, de génération en génération que la foi se transmet, de personnes à personnes, comme un témoin depuis des siècles. Dieu ponctue le temps de ses révélations, jusqu'à venir en personne, en Jésus, à Noël, pour visiter son peuple et accomplir, parachever, parfaire sa révélation.

    Mais que ce soit pour Moïse, pour les bergers à Noël ou pour les disciples à Pâques, la révélation n'est jamais fracassante, totalement claire et univoque. Dieu se révèle, mais toujours dans le mystère, comme pour laisser à l'incroyant une porte de sortie honorable. Dieu se révèle, mais ne s'impose pas comme irréfutable. La foi ne naît pas de la preuve. La foi naît du questionnement, de l'interrogation que pose l'énigmatique, l'improbable.

    Ainsi, Moïse est-il intrigué par ce buisson qui ne semble pas normal. "Il décida de faire un détour pour aller voir ce phénomène étonnant et découvrir pourquoi le buisson ne brûlait pas" (Ex 3:3). Face à un phénomène improbable, énigmatique, Moïse consent à faire un détour, à sortir de sa routine, de sa logique, de sa sagesse humaine. Et c'est au détour du chemin qu'il rencontre Dieu. Dieu joue l'improbable, l'énigmatique pour nous inviter au détour qui permet la rencontre.

    Les bergers de Noël sont aussi "victimes" d'un phénomène étrange, est-ce une vision, une illusion ou une révélation ? On leur annonce une naissance. N'est-ce pas un fait d'une banalité navrante ? Des naissances, cela arrive tous les jours ! Pourtant, ils sont intrigués, accrochés et ils se déplacent. Ils vont faire leur détour jusqu'à la crèche et y découvrir Dieu.

    De même, plus tard, les disciples, appelés les uns après les autres par Jésus, vont partir à sa suite sur les chemins, se détournant des métiers qu'ils avaient appris pour devenir pêcheurs d'hommes. Ils ont dû être intrigués par la personne de Jésus pour le suivre ! Pourtant d'autres ont passé à côté de ce Jésus sans rien voir !

    Peut-être les croyants sont-ils fous !? Ne voient-ils pas de l'extraordinaire dans des événements extrêmement banals ? Un buisson qui brûle dans le désert, un nouveau-né pauvre, un vagabond qui se prend pour un prêcheur itinérant.

    Voir Dieu dans un feu, dans une naissance, dans un condamné en croix, n'est-ce pas une folie ? n'est-ce pas contraire à toute logique ? Oui, selon la sagesse, la logique humaine du monde qui ne veut croire que ce qu'on voit, qu'on touche, qu'on peut calculer. C'est vrai : "le monde a été incapable, au moyen de la sagesse humaine, de reconnaître Dieu là où se manifestait la sagesse divine" (I Co 1:21) nous rappelle l’apôtre Paul.

    C'est pourquoi Dieu a choisi de parler à l'être humain par énigmes, par des événements improbables qu'il faut déchiffrer et interpréter.

    Tout ce qui nous arrive peut être appréhendé, compris "selon la sagesse humaine" — et la science prétend tout pouvoir expliquer, depuis notre origine jusqu'à nos maladies — ou bien tout peut être abordé avec les yeux de la foi et compris avec Dieu en arrière-fond... ou même avec Dieu sur le devant de la scène.

    La foi, c'est oser voir Dieu à l'oeuvre dans nos vies. La foi, c'est voir Dieu dans cet enfant de Noël. Noël, c'est voir Dieu dans ceux qui nous côtoient. Noël, c'est voir Dieu dans ce qui nous arrive et grandir en confiance. Alors ouvrons les yeux !

    Joyeux Noël !

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Jésus nous éclaire sur le monde

    Jean 8

    17.12.2017

    Jésus nous éclaire sur le monde

    Matthieu 2 : 9-11      Luc 2 : 9-14      Jean 8 : 12

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    Message suite à la saynète des enfants « Le Trésor de Noël » qui nous faisait découvrir que le trésor que Dieu a donné aux humains contenait une bougie qui donne la lumière au monde.

     

    “Je suis la lumière du monde” dit Jésus (Jn 8:12)

    A Noël, nous fêtons la venue de cette lumière dans le monde. Mais que voulons-nous dire par là ? Nous avons l’électricité, nous avons toute la lumière qu’il nous faut, dans nos maisons, dans nos rues, partout.

    C’est donc une autre lumière que Jésus amène. C’est plutôt un éclairage sur le monde, sur son fonctionnement. Jésus est venu apporter un autre éclairage, un autre point de vue. C’est toute sa vie, ses actions, ses rencontres qui nous parlent, qui nous révèlent le point de vue de Dieu sur notre monde et sur nous-mêmes.

    Je vais prendre trois lieux communs de notre société sur lesquels Jésus apporte un autre éclairage.

    Premièrement, l’idée qu’il faut être célèbre, ou riche (ou les deux) pour réussir sa vie, pour compter, pour être quelqu’un.

    En nous racontant que Jésus est né dans une étable, en nous présentant Dieu qui s’incarne dans un nourrisson, fragile et vulnérable, l’Evangile nous dit que pour Dieu chacun compte. Le plus petit des humains, le plus marginal, le plus rejeté (il n’y avait pas de place pour eux dans la maison des voyageurs) compte pour Dieu. Dieu vient habiter la fragilité humaine. Dieu se rend présent auprès des plus petits, d’abord auprès d’eux, surtout auprès d’eux.

    Voilà un grand trésor, voilà un autre éclairage sur le monde !

    Deuxième lieu commun : “C’est légal, donc on ne peut rien me reprocher !”

    Jésus s’est beaucoup battu verbalement avec les pharisiens. Ces derniers se présentaient comme les gardiens de la loi de Dieu et de la morale, en champions de l’obéissance parfaite. Ce que Jésus leur reproche, c’est de se servir de la loi — de la légalité — pour échapper à leur devoir de solidarité. Ils se servent de Dieu pour se protéger, pour échapper à la demande d’aide de leur prochain.

    C’est exactement ce qui arrive avec tous les “Panama et Paradise Papers”. « C’est légal, donc on ne peut rien me reprocher ! » Et bien, Jésus dénonce cet égoïsme qui se cache derrière la loi, le légalisme. Jésus demande à chacun d’ouvrir son coeur plutôt que de se cacher derrière le règlement. Il ne demande pas de se sentir en règle, mais d’être juste.

    Voilà un grand trésor, voilà un autre éclairage sur le monde !

    Troisième lieu commun : “Chacun peut éviter d’être une victime.” C’est l’idée qu’une personne ne se retrouve pas dans une situation compromettante sans l’avoir cherché ou au minimum sans avoir été imprudente.

    Il y a une propension naturelle chez l’être humain à blâmer la victime. Par réflexe, on recherche ce qu’il aurait fallu faire pour éviter ou contrer le malheur. Et, après avoir longuement réfléchi pour trouver cette issue, on reproche à la victime de ne pas avoir agir ainsi, dans l’urgence et dans la panique. On n’hésite pas à dire “elle n’aurait pas dû se retrouver dans cette situation, dans cette voiture ou dans cet ascenseur… »

    Jésus a dévoilé ce raisonnement et ce mécanisme humain dans son propre procès, en acceptant sa condamnation. Il est allé jusqu’au bout pour nous ouvrir les yeux, pour que nous cessions de croire que celui qui se retrouve “pendu au bois est maudit”, que celui qui subit une agression, une peine, un châtiment y est toujours pour quelque chose.

    Voilà un grand trésor, voilà un autre éclairage sur le monde !

    La Parole de Jésus est encore éclairante dans le monde d’aujourd’hui, parce que le monde d’aujourd’hui n’est pas meilleur que le monde romain d’alors. - les petits sont toujours méprisés - les super-grands trouvent toujours des moyens de sortir leur épingle du jeu - la parole des victimes est toujours mise en doute, aujourd’hui comme hier.

    Aujourd’hui comme hier, nous avons besoin de quelqu’un qui nous éclaire, qui apporte de la lumière sur le monde, un autre point de vue qui nous permette de déjouer et dénoncer ces lieux communs.

    Jésus dit : “Je suis la lumière du monde, celui qui me suit aura la lumière et ne marchera plus dans l’obscurité. ” (Jn 8:12)

    Aujourd’hui, à Noël, nous pouvons nous réjouir que quelqu’un soit venu pour apporter ce trésor, ce message lumineux : chacun compte. Et chacun, depuis le plus petit, Dieu l’habite, Dieu l’aime et lui reconnaît une valeur infinie. Joyeux Noël !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

     

  • Se reconstruire après une épreuve

    Ephésiens 3

    26.11.2017

    Se reconstruire après une épreuve

    Ephésiens 3 : 14-19       Matthieu 13 : 45-48

    Télécharger le texte : P-2017-11-26.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Vous venez d'entendre la prière de l'apôtre Paul, ce qu'il demande pour ses auditeurs. Quelques mots sur la situation de Paul et celle de ses auditeurs ou lecteurs. Paul écrit à la communauté d'Ephèse depuis sa prison. Il a été arrêté par les Romains sur des accusations de ceux qui ne supportent pas sa prédication. Paul attend son transfert de Césarée à Rome pour son jugement. Il écrit à une communauté qui est aussi affaiblie, troublée par ce qui arrive.

    Paul essaye donc, non seulement de les rassurer, mais surtout de les fortifier, de les affermir. Paul leur montre le chemin de la reconstruction, ce qui est solide, à quoi ils peuvent se raccrocher, sur quoi ils peuvent tabler, ce qui est sûr et solide. Nous allons nous-mêmes suivre cette voie que montre Paul, pour voir comment, nous aussi, nous reconstruire, être affermis pour traverser les épreuves.

    Dans sa prière, Paul fait trois demandes qui sont assorties de trois buts et de trois moyens. Je les nomme les trois à la suite et nous les reprendrons une à une.

    1) Paul demande à Dieu de "fortifier notre être intérieur" par la puissance du Souffle de Dieu, pour mesurer toutes les dimensions de l'amour de Dieu.

    2) Paul demande que nous laissions le Christ habiter nos cœurs par la foi, pour connaître l'amour du Christ.

    3) Paul demande que nous soyons enracinés et fondés dans l'amour du Christ, pour être comblés de la plénitude de Dieu.

    Je vais reprendre ces trois demandes.

    1) Paul demande à Dieu qu'il fortifie notre être intérieur, par la puissance de son Esprit, de son Souffle, pour que nous puissions comprendre, mesurer toutes les dimensions (la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur) de l'amour du Christ.

    Cette première demande de Paul est entièrement tournée vers Dieu pour que lui agisse à notre égard. A ce stade, nous n'avons rien à faire. Et c'est vrai que — lorsque nous sommes dans une situation difficile, dans une épreuve, dans un deuil — dans un premier temps, nous sommes incapables de faire quoi que ce soit. Nous nous sentons démunis, impuissants, seulement fragiles et vulnérables.

    Dans ce premier temps, Dieu s'occupe de tout. Il vient fortifier notre être intérieur par la puissance de son Souffle. Il nous redonne du souffle lorsque nous en manquons. Lorsque, justement le souffle, la force nous manque, lorsque nous sommes à bout de souffle.

    J'aimerais mettre chacune de ces demandes de Paul en parallèle avec les paraboles que nous avons entendues. Ici, a parabole du filet compare le Royaume de Dieu à des pêcheurs qui ont jeté le filet et reviennent avec du poisson sur la plage. La parabole nous dit que le filet est plein. C'est une image d'abondance dans notre précarité. Dieu est généreux, il nous redonne du Souffle, lorsque nous nous sentons sans force, désemparés. C'est à ce moment que nous pouvons comprendre toutes les dimensions de l'amour de Dieu, sa largeur, sa longueur, sa hauteur et sa profondeur.

    2) Paul demande que nous laissions le Christ habiter dans nos cœurs, par la foi, pour connaître son amour. Cette fois nous avons quelque chose à faire. Pas une tâche immense, mais une tâche nécessaire, sans quoi il ne va rien se passer. Nous avons à ouvrir une porte, à laisser entrer le Christ pour qu'il puisse habiter dans notre cœur. C'est un travail sur nous-même de choisir ce que nous laissons entrer en nous et qui nous laissons habiter dans notre cœur.

    C'est la deuxième partie de la parabole du filet. Les pêcheurs sont assis sur la plage et ils trient les poissons, ils mettent dans des paniers ce qui est comestible et donnent le reste aux mouettes. Nous avons la tâche de rejeter ce qui nous est inutile ou nuisible et de prendre ou garder ce qui nous fait du bien.

    Attention, le plus difficile n'est pas toujours d'écarter ce qui ne nous plaît pas. Souvent ce qui est difficile, c'est de ne pas rejeter ce qui nous ferait du bien : une invitation, un geste d'amitié, une offre d'aide.

    Paul nous dit que le moyen à notre disposition, pour faire ce tri, c'est la foi, la confiance et c'est souvent le pas le plus difficile à faire lorsqu'on a été blessé, lorsqu'on se sent meurtri. Faire confiance et ouvrir son cœur… tout un programme.

    3) La troisième demande de Paul est que nous soyons enracinés et fondés dans l'amour du Christ pour trouver la plénitude. Là il est difficile de savoir si "enraciné" est actif ou passif. Je crois que l'important ici est plutôt le terreau dans lequel doivent descendre nos racines. Ce terreau, c'est l'amour du Christ. Un amour qui nous est donné, sans condition, sans contrepartie.

    Un amour inconditionnel. N'est-ce pas ce que nous cherchons tous dans la vie ? N'aspirons-nous pas tous à être aimés et à recevoir de l'amour ? Et n'est-ce pas ce dont nous sommes justement amputés lorsque la mort nous reprend un être cher ? Nous avons-là le travail de notre vie, de toute notre vie spirituelle, vivre de l'amour des autres, mais sans en dépendre complètement. Apprendre à dépendre de l'amour de Dieu, tout en profitant de l'amour de nos proches.

    C'est le thème de la parabole du marchand de perle. Il est à la recherche de la perle qui va le combler. Il est à la recherche de l'essentiel, de ce qui va donner sens à sa vie. Il est prêt à tout donner pour trouver cette perle et la garder. Lorsqu'il a trouvé le sens de sa vie, il va tout donner pour le garder et ça se comprend.

    Cet essentiel, cette plénitude, c'est l'objet de cette troisième demande de l'apôtre Paul. Ces trois demandes sont axées sur un but final : que nous puissions "être remplis de la plénitude de Dieu." Paul ne craint pas d'utiliser deux fois le même terme : "remplis" et "la plénitude" — le même terme que dans la parabole pour parler du filet qui est "plein" — pour indiquer que Dieu peut vraiment nous combler, combler nos vies, donner un sens à notre vie, au delà du contingent, de ce qui passe et disparaît.

    Et Paul le fait avec l'élément qui revient dans les trois moyens et les trois buts : l'amour que le Christ nous donne. Cet amour qui est la clé de l'évangile, de la Bible, qui est le résumé de tous les commandements et qui est — nous le savons bien intérieurement — la clé du sens de la vie et du bonheur.

    Paul nous donne ici, dans ses trois demandes, un chemin pour reconstruire nos vies après une épreuve, un chemin pour accéder à la paix et au bonheur. Demander à Dieu de fortifier notre être intérieur, laisser le Christ habiter nos cœurs et laisser nos racines se nourrir dans l'amour du Christ.

    Amen     

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Une nourriture qui comble vraiment

    Jean 6

    12.11.2017

    Une nourriture qui comble vraiment

    Dt 8 : 7-18       Jean 6 : 25-35

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    La foule cherche Jésus et ses disciples. La veille, Jésus les avaient tous nourris, c’était la multiplication des pains. Mais Jésus s’était retiré, car il avait pressenti que la foule voulait qu’il devienne leur chef, leur roi. Quoi de mieux, comme chef, que quelqu’un qui leur donne du pain en abondance, gratuitement. Le peuple veut du pain et des jeux ! Mais Jésus ne veut pas se laisser entraîner dans ce type de jeu et de relation.

    Quand les gens le retrouvent le lendemain, Jésus dévoile leur quête et leur dit qu’elle ne correspond pas à ce qu’il offre. Jésus dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous me cherchez parce que vous vous êtes rempli l’estomac, pas parce que vous avez compris le sens de mon action.» La multiplication des pains ne se voulait pas un acte magique ou merveilleux. C’était un signe, un message. Et Jésus va l’expliquer à ses disciples.

    Jésus l’explique en deux parties qui commencent chacune par cet introduction solennelle : « En vérité, en vérité je vous le dis ».

    1. Dans la première étape, Jésus leur dit carrément que la foule se trompe quand elle veut juste de la nourriture pour l’estomac. Cette nourriture est éphémère, périssable. Cette nourriture a un Migros-data, et la faim revient toujours. Le désir d’avoir n’est jamais comblé, il faut toujours plus, toujours plus grand, toujours plus beau, toujours plus neuf. Toute la publicité dans notre société joue sur ce registre pour nous dire en même temps que nous sommes malheureux de ne pas avoir leur dernier produit, mais aussi que le bonheur sera dans son acquisition. Mais pourquoi continuons-nous de nous faire avoir ?

    Il y a de 2'000 ans, Jésus disait déjà à la foule et à ses disciples : ne vous laissez pas avoir, rien de ce qui est périssable peut vous combler, vous rassasier. Chercher la nourriture durable celle qui mène à « la vie éternelle » selon les mots de Jean (Jn 6:27), (l’évangéliste Matthieu utilise les mots de « richesses qui sont dans le ciel » (Mt 6:20). Jésus nous renvoie à ce qui est durablement vivant, ce qui ne peut ni disparaître ni être repris, ce qui conduit à la plénitude.

    Les disciples veulent bienaller dans ce sens, mais ils demandent comment obtenir cette nourriture durable. Jésus leur répond de « croire en celui que Dieu a renvoyé » (Jn 12:44). Dans le vocabulaire de l’évangéliste Jean cela signifie voir dans Jésus l’ambassadeur de Dieu, celui qui est le représente, comme je les développé dans ma prédication du 15 octobre dernier.

    Les disciples ne sont pas très satisfaits de la réponse et demandent ce qui prouve que Jésus est bien cet ambassadeur. Et Jésus les renvoie aux signes de l’Ecriture, aux signes donnés aux ancêtres, et il cite la manne donnée dans le désert.

    Par-là, Jésus montre que Dieu a toujours donné à son peuple de la nourriture et des conditions de vie, des conditions favorables à la vie. Dans le désert, Moïse a frappé le rocher pour avoir de l’eau. Il a imploré Dieu pour avoir la manne et les cailles. Ensuite, le peuple qui sort du désert arrive dans la terre promise où se trouve de l’eau, du blé, de l’orge, de la vigne, des figuiers, des grenadiers, des oliviers et du miel. (Dt 8:8)

    Mais le récit avertit aussi — sûrement le fruit de l’expérience — de faire attention à ce que la prospérité ne tarisse pas la reconnaissance. Il invite à ne pas oublier le rôle de Dieu dans notre vie et de ne pas croire que nos succès ne reposent que sur nos propres forces et nos propres mérites.

    Cette ingratitude, c’est ce que nous vivons dans nos sociétés occidentales qui oublient que toute notre prospérité repose sur ce que produit et nous donne la terre et la création.

    Jésus appelle à se souvenir que tout vient en fin de compte de Dieu et que tout ce qui nous est donné, de la manne à la multiplication des pains en passant par la terre promise, vient de Dieu. Et ces exemples concrets de bénédictions ne sont que des signes de la véritable nourriture que Dieu veut nous donner, une nourriture qui comble vraiment notre être.

    1. Jésus explique dans une deuxième partie qui commence aussi par « En vérité, en vérité, je vous le dis » : « c’est mon père qui vous donne le vrai pain du ciel.» (Jn 6:32)

    Jésus opère ici plusieurs glissements :

    1. a) ce n’est plus Moïse qui donne le pain, mais c’est Dieu lui-même, c’est Dieu qui le donne.
    2. b) Ensuite il y a un changement de temps, entre le don du passé au désert et le don dans le présent. C’est maintenant que le don du pain est renouvelée par Dieu. C’est maintenant pour les disciples, c’est maintenant pour nous que ce temps a lieu.
    3. c) Enfin le troisième glissement est le passage du pain de farine au nouveau pain qui est le Christ lui-même. C’est d’abord dit à mots couverts : « le pain que Dieu donne, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » (Jn 6:33) Mais quand les disciples réclament de se pain-là, alors Jésus se dévoile, se révèle, il dit : « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6:35)

    Jésus se révèle comme la nourriture que Dieu donne. Jésus est celui qui est donné pour combler notre faim. C’est lui qui peut combler nos faims, nos quêtes, nos aspirations les plus profondes.

    Pour nous rappeler qu’il est la nourriture qui vient du ciel, il nous a donné le signe de la Cène, où le pain représente son corps, donc sa présence ; où le vin représente son sang, c’est-à-dire dans la pensée hébraïque sa vie, sa vitalité.

    Jésus nous nourrit par sa Parole — une parole d’accueil, une parole d’amour inconditionnelle qui vient de Dieu — et par le repas de la Cène, il nous donne — travers des éléments concrets — un signe du don de sa présence, de sa vie.

    Recevoir le Christ comme le pain descendu du ciel, c’est reconnaître que nous avons besoin d’une nourriture spirituelle pour être heureux. Reconnaître que notre vie a besoin de sens. Reconnaître qu’en plaçant l’amour au centre, Dieu donne la seule nourriture qui puisse vraiment, durablement nous combler. Dans sa Parole et dans la Cène, Dieu nous comble de son amour. Merci Seigneur.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

     

  • Jésus, l’ambassadeur de Dieu auprès des humains

     

    Jean 5

    15.10.2017

    Jésus, l’ambassadeur de Dieu auprès des humains

    Jean 5 : 1-30

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Les Evangélistes ne sont pas des conteurs. Ils ne cherchent pas à nous raconter des histoires. S’ils nous transmettent des récits, c’est pour nous présenter une personne, pour nous faire découvrir la personne de Jésus, le Christ.

    Tous les récits, tous les épisodes, toutes les narrations, tous les discours des évangélistes sont orientés vers la présentation de la personne de Jésus, pour le faire découvrir et nous faire découvrir le lien qui l’unit à Dieu.

    C’est aussi ce que l’évangéliste Jean fait à travers ce récit autour de la guérison de cet homme à la piscine de Bethzatha. Un récit en trois parties (1-9 la guérison ; 10-18 la polémique ; 19-30 l’enseignement de Jésus).

    1) Premièrement donc, la rencontre et la guérison, qui ressemblent tout à fait aux guérisons qu’on trouve dans les autres évangiles. Jésus se préoccupe du sort d’un malheureux et il le guérit, grâce à la puissance divine que Dieu lui a confiée.

    2) Ensuite, comme souvent dans les autres évangiles, la polémique surgit parce que la guérison a eu lieu le jour du sabbat. Ici, cependant, ce n’est pas le fait que la guérison ait eu lieu le jour du sabbat qui pose problème : mais c’est le fait que l’homme guérit porte sa natte ! On retrouve toute l’ironie de l’évangéliste Jean. Voilà un homme relevé de son handicap après 38 ans de misère et on lui reproche de porter sa natte.

    Dans notre canton on dirait « c’est du pinaillage ! » C’est une perte totale de perspective. C’est une incapacité à faire la différence entre le détail et l’essentiel. Mais c’est bien ce que reproche Jésus aux autorités religieuses : pinailler sur les détails et manquer l’essentiel : « Malheur à vous pharisiens, vous payez la dîme sur la menthe et les herbes aromatiques, mais vous négligez la justice et l’amour de Dieu. » (Luc 11:42).

    A partir de là, la polémique glisse vers l’essentiel : qui est le vrai interprète de la volonté de Dieu ? Jésus dit aux pharisiens, à propos de cette guérison, « mon Père est continuellement à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre » (Jn 5:17). Jésus pose une similitude d’action entre le Père et lui. Aussitôt, il lui est reproché de se faire l’égal de Dieu — là le texte utilise le mot grec « iso » comme dans « isotherme » en météo qui dit des températures égales.

    3) C’est à ce moment que commence l’enseignement de Jésus : « En véritié, en vérité, je vous le dis… (v.19) tout ce que le Père fait, le Fils le fait également. » (v.20). Et là, le texte utilise le mot « homo » comme dans le mot « homogène » qui signifie que tous les éléments sont semblables ou équivalents. Ici, Jésus et Dieu sont équivalents.

    Ainsi, Jean passe de la similitude (v.17) à l’égalité (v.19) puis à l’identité (v.20) entre le Fils et le Père. Et c’est bien le message que l’évangéliste veut faire passer. Il y a identité entre le Fils et le Père.

     

    Cette identité, Jean l’affirme plus encore lorsqu’il écrit : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé. » (v.23). Deux éléments dans cette phrase : a) il y a identité de culte entre le Père et le Fils, honorer égale rendre un culte ; b) la relation entre le Père et le Fils est marquée par cet envoi.

    On trouve 41 fois dans l’Evangile selon Jean le concept que Jésus est envoyé par le Père ou que Jésus est celui que le Père a envoyé. Pour comprendre cette relation Père - Fils comme en parle Jean, il faut comprendre ce que signifiait, au temps de Jésus, cette notion d’Envoyé.

    Il faut penser à un roi qui envoie un ambassadeur. Un ambassadeur à qui le roi a expliqué la mission et donné plein pouvoir pour négocier. Lorsque cet ambassadeur arrive dans l’autre pays, il est reçu avec les honneurs qui sont dus, non à son rang propre, mais au rang du roi qui l’envoie. Si on veut honorer le roi, on honore son ambassadeur.

    Lorsque l’ambassadeur parle, il transmet la parole du roi qui l’envoie. Si l’ambassadeur signe un traité, sa signature à valeur de signature du roi. L’ambassadeur et le roi ne sont pas les mêmes personnes, mais ce que demande le roi, l’ambassadeur le transmet, et ce que décide l’ambassadeur engage le roi. Il y a donc différence de personnes, mais identité de vue et de pouvoir.

    C’est cette analogie que l’évangéliste Jean met en avant chaque fois qu’il répète (41 fois) que Jésus est celui que Dieu a envoyé. Ainsi, Jésus dit les paroles de son Père, il accomplit les œuvres du Père (v.17,19,36), il fait la volonté de son Père (v.30). C’est pourquoi honorer Jésus, c’est honorer celui qui l’a envoyé (v.23). C’est pourquoi croire en Jésus, c’est croire en celui qui l’a envoyé (v.24) et par là, recevoir la vraie vie.

    Comme envoyé dans le monde, comme ambassadeur du roi des cieux, Jésus accomplit l’œuvre de Dieu. L’évangéliste Jean découpe l’activité de l’envoyé en trois étapes.

    1. Une première étape qu’on trouve dans le prologue de l’Evangile selon Jean (Jn 1) où l’envoyé existe auprès de Dieu et pré-existe à sa mission.
    2. Une deuxième étape où le Fils accomplit l’œuvre de Dieu. On a vu qu’il l’accomplit par des signes (comme le signe de Cana ou des guérisons), des signes qui marquent la bienveillance de Dieu à l’égard des humains et la volonté de leur donner la vraie vie. Nous verrons encore dimanche prochain, à travers l’épisode du lavement des pieds, comment Jésus accomplit l’œuvre de Dieu.
    3. Enfin, la troisième étape est l’élévation de l’envoyé, élévation que nous verrons s’accomplir lors de la Passion de Jésus pendant la semaine sainte.

    Après les noces de Cana qui illustraient la vraie vie que Dieu veut offrir aux humains, après les marchands chassés du Temple qui illustrait comment Jésus fait table rase de la religion ancienne et enfermante, Jésus se présente comme celui qui a été envoyé par Dieu pour nous guérir de toutes les entraves qui nous empêchent de marcher à sa suite et qui nous empêchent de croire qu’il est bien celui que Dieu nous a envoyé. « Celui qui honore le Fils, honore le Père » (v.23) « celui qui écoute ma parole, dit Jésus, et qui croit en celui qui m’a envoyé, celui-là reçoit la vraie vie » (v24).

    L’évangéliste Jean montre donc à ses lecteurs, nous montre à nous, le chemin qui conduit à Dieu. En apprenant à connaître son Envoyé, le Christ, nous découvrons Dieu lui-même. En croyant en Jésus, nous recevons la vraie vie de Dieu.

    Amen

  • Le miracle se dérobe pour faire place au signe

    Jean 4

    8.10.2017

    Le miracle se dérobe pour faire place au signe

    1 Rois 17 : 15-24       Jean 4 : 43-54

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Jésus est de retour à Cana où il avait changé l’eau en vin, après un voyage qui l’avait emmené jusqu’à Jérusalem. À Jérusalem il a rencontré Nicodème. Sur le chemin du retour, il traverse la Samarie où il rencontre la Samaritaine. Et il arrive en Galilée et retourne à Cana. Là il accomplit un deuxième signe, la guérison du fils d’un fonctionnaire royal, fonctionnaire du roi Hérode.

    L’Évangéliste Jean raconte peu de miracles, il en a, en fait, sélectionné sept, qu’il appelle des signes et pas des miracles. Le deuxième signe est une guérison et ressemble à la guérison du serviteur de l’officier romain de Capharnaüm raconté dans Mt 8. Dans les deux Évangiles, c’est ce que j’appellerais « une guérison à distance ». Chez Matthieu, c’est l’officier qui prie Jésus de ne pas se déplacer, avec cette parole qu’on répète dans la liturgie de sainte Cène : « Je ne suis pas digne que tu entres chez moi, mais dis une seule parole et il sera guéri » (Mt 8:8). Et Jésus loue la foi de cet homme, foi qui surpasse celle des gens d’Israël. Ici, chez Jean, on est dans la situation contraire. C’est Jésus qui ne veut pas se déplacer.

    La préoccupation de la communauté de Jean est de savoir si Jésus peut agir maintenant, alors qu’il n’est pas présent physiquement, en personne. Jésus est retourné auprès du Père, peut-il encore avoir une influence dans notre monde ? La communauté voudrait fortement que des miracles se produisent pour attester de ce pouvoir de Jésus. Alors Jésus critique l’attirance pour l’extraordinaire et le peu de foi de ceux qui l’entourent. Aussi reçoit-il le fonctionnaire royal assez sèchement : «Si vous ne voyez signes et prodiges, vous ne croirez donc jamais ?» (Jn 4:48)

    C’est un comble ! Cet homme vient de faire 25 kilomètres de Capharnaüm à Cana pour rencontrer Jésus parce qu’il a l’espoir et la foi que Jésus peut guérir son fils ! Et il est reçu comme cela par Jésus ? Mais peut-être que cette phrase s’adresse davantage à la foule qui l’entoure et surtout aux lecteurs, à nous. La question qui nous est posée est : d’où vient notre foi ?

    Le récit de cette guérison montre, par l’exemple de cet homme, comment naît la foi et comment Jésus la suscite. La foi est autre chose que la recherche du merveilleux. C’est beau, mais ce n’est pas solide. Dans le déroulement de cette guérison tout commence par une attente, une espérance : cet homme a besoin de Jésus. Il attend qu’il sauve son fils.

    A la deuxième demande, Jésus lui répond pas une affirmation qui n’est encore qu’une promesse pour le père : il ne peut pas voir si la parole de Jésus a de l’effet : 25 kilomètres le sépare de son fils. Cette distance — pour voir — est l’espace de la foi. La foi de ce père est en jeu. Va-t-il insister pour que Jésus vienne, voie et touche son fils pour le guérir ou va-t-il croire que la parole de Jésus est efficace ? Insister ou partir avec confiance, tel est le dilemme. Et l’homme fait le choix de la confiance, confiance dans la parole de ce Jésus qu’il est venu solliciter. Ce n’est que le lendemain qu’il va rencontrer ceux qui viennent de chez lui et avoir des nouvelles. Oui, la fièvre est tombée et son fils vit. Là encore, la question se pose : est-ce la parole de Jésus ou est-ce une coïncidence ?

    Cela me rappelle l’histoire de cet homme qui raconte, au bistrot, qu’il s’était perdu dans le désert. Il a eu tellement peur de mourir qu’il s’est mis à prier que Dieu vienne le sauver. Ses copains de l’interpeller : alors Dieu est venu puisque tu es là ? Mais non, dit l’homme, Dieu n’a pas eu le temps, à peine j’avais rouvert les yeux que j’ai vu une caravane qui m’a recueilli.

    Le fonctionnaire royal doit faire un cheminement mental pour relier les événements entre eux, pour réaliser qu’il a bien fait de faire confiance dans la parole de Jésus et que la guérison de son fils est bien reliée à cette parole et cette confiance.

    Ce qui est particulier dans cette guérison, c’est que personne — à part le lecteur — n’est présent partout. Le père est loin de la maison et ne peut pas voir la guérison de son fils, il n’a que la parole de Jésus. Les serviteurs voient la fièvre tomber, mais ils ne savent pas ce qui se passe à Cana. En fait personne ne voit le miracle, la guérison. Seul le père — et le lecteur maintenant — voit le signe : la parole de Jésus est efficace, même à distance !

    On dirait que Jésus s’arrange pour que personne ne voie le miracle, mais que ceux qui ont foi en lui puissent voir le signe. C’est le même déroulement qui était déjà à l’œuvre dans le premier signe de Cana, le changement de l’eau en vin. (On peut aussi mettre en relation ces deux signes de Cana, l’un sur la nourriture et l’autre une guérison, avec les deux signes d’Elie auprès de la veuve de Sarepta, 1 Rois 17:7-24).

    Voyons les similitudes.

    1. Il y a un délai entre le moment de la transformation ou de la guérison et le moment où l’on s’en aperçoit.
    2. Ce sont d’autres personnes qui sont là au début (les serviteurs qui versent de l’eau dans les vases) et celles qui sont là à la fin (les invités et le marié). Personne n’assiste de bout en bout au processus. Donc personne ne peut se targuer d’avoir vu le miracle.
    3. Il faut une relecture du processus, après coup, pour comprendre et croire, c’est-à-dire voir la main de Dieu à l’œuvre.

    C’est dans ce processus que les deux signes de Cana sont semblables. Le miracle se dérobe pour faire place au signe. La foi est construite sur la découverte de l’origine divine de l’événement. Ce n’est pas le merveilleux qui fait la foi, c’est la reconnaissance de l’action de Dieu dans notre présent. Cette reconnaissance — nous dit l’évangéliste Jean — viens d’une relecture de l’événement, de notre vie.

    Dans ce deuxième signe, on voit ce père se poser des questions, reconstituer ce qui s’est passé à distance, pour relier la guérison de son fils à la parole de Jésus. Ce n’est qu’après coup qu’il réalise que Dieu a agit dans sa vie, la vie de son fils et la vie de toute sa famille. Cette réalisation, cette relecture après-coup va conduire toute la famille à la foi.

    C’est en se retournant sur notre vie, sur ce que nous avons traversé que nous pouvons dire : tiens, là, j’ai été guidé, là, j’ai été accompagné, là, je sens que Dieu est intervenu dans ma vie. Là, Dieu m’a fait signe ! C’est une reconstitution que souvent les autres ne peuvent pas voir, mais que notre foi en Dieu nous fait voir.

    Cela peut être très subtil, à peine perceptible. Il y a mon parcours, celui que je vois en me retournant sur mon passé, un parcours où tout s’enchaîne et s’explique, mais où je vois un petit plus, une trace, un souffle… et ma foi me fait dire : je crois que Dieu y est pour quelque chose, il était là, il a agi.

    Bien que Jésus soit auprès du Père — à distance, comme pour le fonctionnaire royal sans que cela soit visible pour les autres — Jésus a agi. Oui, là, Dieu est intervenu dans ma vie, il y a remis de la vie, de la plénitude, de la direction ou de la consolation.

    Pas besoin de miracles et de prodiges — visibles par tous autour de nous. Dieu nous fait signe. A nous de nous retourner pour lire ces signes, nous en réjouir et fortifier notre foi.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017