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ancien testament - Page 24

  • 1 Timothée 6. Se préparer une vieillesse heureuse (II)


    19.8.2012
    Se préparer une vieillesse heureuse (II)
    1 Timothée 6 : 17-19       Mat 6 : 19-23
    Téléchargez la prédication ici : P-2012-08-19.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu dimanche passé, avec le poème de l'Ecclésiaste, comment il décrivait — soyons directs — la décrépitude du très grand âge. Nous avons vu que l'extrême vieillesse apporte avec elle un immobilisme, un arrêt des changements, des possibilités de transformation de l'être et du caractère. Il en résulte la nécessité de préparer sa vieillesse, d'anticiper pendant que le changement est encore possible.
    Mais en fait, pourquoi faut-il changer quelque chose en nous entre la période active et la vieillesse ? Pourquoi ce que nous avons construit ne peut-il pas se prolonger simplement pendant la vieillesse ?
    Je répondrai par une autre question : Que reste-t-il à faire quand je ne peux plus rien faire ?
    C'est bien le problème de notre société face à la vieillesse ! Notre société est fondée sur le faire, le produire, l'agir. "Vous êtes quelqu'un en fonction de ce que vous faites" nous dit-on. Alors que devenons-nous lorsque nous n'avons plus rien à faire ?
    Si nous voulons une vieillesse heureuse pour nous, il faut trouver autre chose que ce que la société propose. Il faut faire reposer notre valeur sur autre chose que le faire. Nous devons abolir notre dépendance aux valeurs de cette société — du monde — pour nous ancrer ailleurs.
    Jésus disait à ce propos : "Ne vous amassez pas des trésors dans ce monde, mais amassez-vous des richesses dans le ciel." (Mt 6:19-20).
    Il y a un temps pour le confort, mais il y a un temps où il faut passer à quelque chose de plus solide, de plus durable, qui ne soit pas périssable, qui ne puisse partir en poussière dans la perte de nos capacités, de notre mobilité ou de nos sens.
    Mes trésors sont-ils sur terre ou sont-ils au ciel ? Le philosophe allemand Nietzsche propose un test pour évaluer soi-même la valeur de sa vie. Il propose de se demander : si je devais éternellement revivre ma vie, cette vie-là, est-ce que je ferais les mêmes choix, est-ce que je la revivrais de la même façon ?
    Voilà un crible intéressant qui permet de voir ce qui a de la valeur et ce qui n'en a pas ou qui est de valeur négative et qu'on devrait changer. Une infirmière en soins palliatifs américaine a relevé les regrets les plus souvent évoqués par les mourants. Ce sont : "J'aurais souhaité avoir le courage d'exprimer mes sentiments." "J'aurais souhaité rester en contact avec mes amis" et "j'aurais souhaité avoir le courage de vivre la vie que je voulais et non pas celle que les autres attendaient de moi." (Bronnie Ware, The Top Five Regrets of The Dying, Hay House, 2012)
    Vous remarquerez que les souhaits ne portent pas sur des productions, des actions qui n'ont pas pu être réalisées (construire une maison, planter une forêt…) mais chaque regret est en lien avec l'être et la vie. Regrets en liens avec ses émotions qui auraient pu être partagées avec d'autres. Regrets sur les relations abandonnées. Regrets sur des désirs non exprimés, sur une affirmation de soi muselée.
    Réaliser des choses pendant sa vie — avant de mourir — ne demande ni fortune, ni forme physique exceptionnelle, ni compétences hors normes. Réaliser ces choses, c'est amasser un trésor dans le ciel, amasser une estime de soi et un sentiment de valeur et d'accomplissement que rien ne peut ôter, ni la vie en EMS, ni la perte de fonction, ni la mort finalement.
    Se préparer à la vieillesse n'est donc rien d'autre que se donner le sentiment d'avoir réussi sa vie ! C'est aussi simple que cela ;-) !
    Ce qui est compliqué, c'est comment y arriver à ce sentiment d'accomplissement. J'ai trouvé une direction intéressante dans la première lettre à Timothée. Paul fait des recommandations à Timothée et aux autres lecteurs de cette lettre :
    "Recommande à ceux qui possèdent les richesses de ce monde de ne pas s'enorgueillir ; dis-leur de ne pas mettre leur espérance dans ces richesses si incertaines, mais en Dieu qui nous accorde tout avec abondance pour que nous en jouissions. Recommande-leur de faire le bien, d'être riches en actions bonnes, d'être généreux et prêts à partager avec autrui. Qu'ils s'amassent ainsi un bon et solide trésor pour l'avenir afin d'obtenir la vie véritable." (1 Tim 6 : 17-19).
    Il s'agit-là, d'abord, de reconnaître l'illusion de bonheur que propose la société romaine autant que la nôtre, les choses n'ont pas beaucoup changé. Ensuite Paul fait des recommandations positives : dis-leur de faire le bien, d'être riches en belles actions, de donner généreusement, de veiller au bien commun et finalement de se constituer un beau "socle" (je reviendrai sur ce terme) pour l'avenir et pour se saisir de l'essence de la vie, de la vraie vie. N'est-ce pas un beau programme ?
    Le but est de construire une assise, un fondement — un socle — qui soit beau pour sa vie. Imaginez ici un temple grec avec les trois marches en pierres taillées de son socle, l'assise sur laquelle repose tout le temple, même 2'000 ans plus tard. Avec une belle assise comme celle-là, bien solide, notre vie ne sera pas ébranlée par la vieillesse ni par la mort. Ce beau socle est bâti sur de belles actions.
    Il y a plusieurs étapes dans la vie. Une période pour apprendre, une période pour produire et être actif, pour engendrer. Vient ensuite — si nous voulons une belle vieillesse — une période pour faire du bien, pour être bienfaisant, dit l'apôtre Paul. Une période où l'on soigne particulièrement — de l'intérieur — notre façon d'être au monde. Cultiver la joie d'être-là, la joie de s'émerveiller, s'émerveiller de la nature, des créations humaines, des personnes qui nous entourent. Il s'agit d'apprendre à voir le bon et le beau autour de soi et d'entrer dans la danse pour participer à l'embellissement du monde autour de nous.
    Khalil Gibran disait : "Tout ce que vous avez sera donné un jour. Donnez donc maintenant afin que la saison de donner soit vôtre, et non celle de vos héritiers."
    Cette étape consiste à passer du "faire" tout court que prône la société, à "faire du bien" autour de soi. C'est ainsi que se construit la satisfaction intérieure, le sentiment d'accomplissement qui nous aidera au moment de devoir se dépouiller peu à peu de ce qui faisait notre vie.
    La prochaine étape, dimanche prochain, sera d'apprendre à recevoir, une étape qui semble encore plus difficile que celle de faire du bien.
    (à suivre)
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Ecclésiaste 12. Se préparer une vieillesse heureuse (I)

    Ecclésiaste 12
    12.8.2012
    Se préparer une vieillesse heureuse (I)

    Ecclésiaste 12 : 1-8

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-0812.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En juillet, je vous ai annoncé une suite de prédications sur les âges de la vie. Je commence aujourd'hui. J'ai choisi ce thème à la suite de réflexions apparues autour de la votation sur EXIT et suite à mon travail dans les EMS.
    Dans ces deux situations, j'ai été confronté à la question de "l'utilité" ou de "l'inutilité" ressentie par les personnes âgées et très âgées. Dans les EMS, j'entends des personnes dire : "Je me sens un fardeau pour les autres" (famille, personnel soignant), "je me sens tellement inutile !"
    Notre société occidentale tient, aujourd'hui, un discours qui valorise à l'extrême la productivité marchande, monétaire, et dévalorise par conséquent ceux qui sont sortis du marché du travail. On nous dit que seuls ceux qui sont rentables et productifs sont utiles.
    Cela a pour conséquences de disqualifier les autres qui sont considérés comme improductifs ou coûteux, une charge pour la société. Ne sont pas visés seulement ceux qui sont hors du marché du travail comme les retraités, mais souvent aussi ceux qui sont salariés pour s'occuper des autres, assistants sociaux, infirmières, animateurs d'EMS etc… qui font "gonfler la facture sociale" comme on dit.
    Je trouve ce langage odieux qui dévalorise le service ou le juste droit à une retraite paisible après une vie de travail et de productivité.
    Ma question est double : (1) que devenir, quelle "utilité" trouver, lorsque nous sortons des circuits de "production marchande" ? (2) Quel discours l'Eglise peut-elle proposer comme alternative, comme antidote à ce langage productiviste ?
    Je pense que nous devons, en tant que communauté, conduire une large réflexion là-dessus, pour nous aider au niveau individuel et pour avoir un discours public différent.
    Qu'est-ce qui donne de la valeur à la personne, hors production marchande, et comment arriver à le dire en public et à l'intégrer au dedans de soi pour conserver sa dignité quand nos forces diminuent ?
    Je vais commencer aujourd'hui par la vieillesse, même par l'extrême vieillesse, par la situation de radicale impuissance, pour poser le constat. Pour cela, je prendrai le tableau poétique et imagé, en même temps que désabusé et réaliste que pose l'Ecclésiaste (ou Qohélet) dans la Bible.
    Sous le pseudonyme de Salomon, l'Ecclésiaste propose une réflexion souvent cynique et désabusée, mais toujours décapante de la réalité. Il nous propose ici (Eccl 12:3-5) un tableau de la dégradation qu'apporte le grand âge. Toutes les images sont à décrypter pour les rapporter à la situation et au corps du vieillard.

    Ecclésiaste 12 :
    "3. Alors les gardiens de la maison tremblent de peur  (ce sont les bras), les gens forts se courbent (ce sont les jambes), les meunières cessent de moudre trop peu nombreuses (les dents), les fenêtres perdent leur transparence (les yeux). 4. Alors les deux portes qui donnent sur la rue se ferment (les oreilles), le bruit du moulin baisse (le cœur ralentit), l'oiseau s'envole au moindre bruit (la tension s'élève), les chansons s'arrêtent (la voix se casse). 5. Alors la route qui monte fait peur, la marche effraie (la mobilité se réduit), les cheveux blanchissent comme l'aubépine, les épices perdent leurs saveurs (perte du goût). Et un jour chacun s'en va vers sa tombe."   
    Voilà un tableau sans complaisance de la vieillesse, loin du politiquement correct. Il nous met cependant en face de la réalité que, malheureusement, on ne peut plus se cacher. L'extrême vieillesse mène à ces pertes de capacités, de mobilité, de conscience, jusqu'au dernier départ. L'Ecclésiaste ne cherche pas à nous désespérer. Il assortit sa description d'une recommandation :
    "Pendant que tu es jeune, souviens-toi de ton Créateur. Souviens-toi de lui avant l'arrivée des jours mauvais, avant le moment où tu diras : « Je n'ai plus envie de vivre. » (Eccl. 12:1)
    Avec sa description l'Ecclésiaste veut nous avertir : attention, il y a un moment où c'est trop tard pour changer, trop tard pour évoluer. Il nous dit : la vieillesse se prépare et se prépare tôt. Il parle de "jeunesse", certains traduisent même "adolescence." Il faut peut-être remettre cela dans un cadre où l'espérance de vie était plus courte qu'aujourd'hui. Mais le mot d'ordre de l'Ecclésiaste reste : il faut anticiper.
    Oui, dans l'extrême vieillesse, ce qui a été pratiqué auparavant, pendant la vie active, s'accentue, se fige ou se répète. Dans l'extrême vieillesse, il n'y a plus de place pour la nouveauté, pour le changement, pour l'évolution. Dans l'extrême vieillesse, il y a un rétrécissement des contacts, des activités, des perceptions. Il est donc primordial de préparer ce qu'on veut devenir ! "Souviens-toi de ton Créateur pendant que tu es encore jeune !"
    C'est maintenant, quand le changement est encore possible, quand nous avons encore des capacités d'apprentissage que nous devons mettre en place le caractère que nous voudrons avoir quand viendra le temps de l'immobilisme du très grand âge. C'est maintenant que nous devons mettre cela en place.
    Nous essayerons de voir, ces prochains dimanches, ce que nous devons viser et comment le faire.
    A suivre…
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Romains 16. Les salutations de Paul dépeignent une Eglise diversifiée.

    8.7.2012
    Les salutations de Paul dépeignent une Eglise diversifiée.
    Actes 18 : 1-4+18-23   Romains 16 : 1-16

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-07-08.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Voici l'été avec les vacances et les voyages. Qui dit vacances et voyages dit envoi de cartes postales. J'ai choisi ce matin de me pencher sur une "carte postale" de l'apôtre Paul, sur les salutations qu'il envoie et qu'on trouve à la fin de sa lettre aux Romains.
    Ces salutations sont très variées et très détaillées. Paul ne nomme pas moins de 27 personnes par leurs noms plus des personnes apparentées (Rufus et sa mère) ou des "maisonnées (ceux d'Aristobule et ceux de Narcisse). Cela constitue un grand nombre de gens que Paul a rencontré dans ses divers voyages.
    Ce passage de la fin de la lettre aux Romains ne se veut pas un enseignement théologique, mais il nous apprend pas mal de choses sur Paul et sur l'Eglise de cette époque.
    On voit que Paul est un être de relation. Il faut peut-être changer l'image qui nous a été transmise par la tradition d'un personnage sévère, austère, genre père fouettard et misogyne. Ces salutations nous révèlent quelqu'un d'autre.
    1. La liste de 27 noms comporte 15 hommes et 12 femmes, dont des femmes qui ont des responsabilités importantes comme Phoebé et Priscille qui est nommée avant son mari Aquilas. Elles sont traitées au moins en égales des hommes par Paul et il souligne leurs fonctions importantes dans l'Eglise.
    2. Ces salutations sont chaleureuses et valorisantes, elles soulignent des liens de proximité — il mentionne ceux qui sont des compatriotes et ceux qui ont partagé des moments particulièrement éprouvants, la captivité, avec lui.
    Je pense qu'on ne développe pas un pareil réseau sans avoir le sens des relations, du savoir-vivre et de la chaleur. Sinon, Paul aurait été un contre-exemple de ce qu'il prêchait : des relations nouvelles en Christ.
    3. Cette mention "en Christ" ou "dans le Seigneur" revient 15 fois dans ces salutations. C'est le critère déterminant, le liant, dirais-je, de tous ces gens. C'est l'appartenance au Christ qui relie tous ces gens et qui les motive à s'entraider. Le Christ est l'origine qui les rassemble et le but qui les motive à agir en commun, il est le centre de cette Eglise. 
    Il faut accueillir Phoebé "dans le Seigneur." Priscille et Aquilas ont été collaborateur de Paul "en Christ." Andronicus et Junias sont d'éminents apôtres (homme et femme) et ont trouvé le Christ avant Paul. Ampliatos est bien-aimé de Paul "dans le Seigneur." Le Christ est le lien, le liant entre toutes ces personnes, sans le Christ, ces personnes n'auraient rien en commun.
    4. La diversité des noms cités nous renseigne sur la composition de l'Eglise. Il y a quelques juifs (Marie et des compatriotes avec des noms grecs). Il y a surtout des grecs et des romains, mais parmi ceux-ci les spécialistes reconnaissent des noms d'esclaves (Ampliatus et Stachys), des noms d'affranchis (Aristobule, Narcisse, Patrobas), et puis des noms de citoyens importants comme Phoebé, Priscille et Aquilas.
    Priscille et Aquilas sont un couple que Paul a rencontré à Corinthe (ils habitaient le port de Kenchrées). Lui est originaire du Pont (région d'Istanbul), mais il était d'abord installé à Rome avant d'avoir dû quitter la capitale de l'Empire suite à une persécution contre les juifs par l'empereur Claude. Sa femme et lui sont venus s'installer à Corinthe où Paul les a rencontrés, peut-être pour affaire, puisqu'ils étaient tous les deux dans le commerce des tentes. Un couple qui a accueilli la jeune Eglise de Corinthe chez eux.
    Et puis, il faut citer Phoebé qui vient en tête de liste des noms. C'est probablement la personne qui porte la lettre de Paul à l'Eglise de Rome. Elle est "ministre" de l'Eglise de Kenchrées (le port de Corinthe). Elle a un statut important à Corinthe, elle est "protectrice de beaucoup de monde" dit le texte, ce qui pourrait signifier soit qu'elle est avocate pour défendre des personnes devant les autorités, soit qu'elle est représentante des non citoyens devant ces mêmes autorités.  Paul la recommande chaleureusement à l'hospitalité de l'Eglise qui est à Rome. Comme chrétiens, ils doivent la recevoir comme s'ils recevaient Paul lui-même. L'appartenance commune au Christ crée des devoirs de protection, d'hospitalité, de réciprocité dans les relations.
    Ainsi, sans faire de grands discours théologiques, ces quelques lignes nous disent beaucoup de choses sur les relations et sur les Eglises de cette époque. La dispersion de l'Eglise primitive, sa vulnérabilité — elle est plongée dans un monde qui lui est hostile — renforcent ses liens, sa solidarité, tout cela autour du Christ.
    Que pouvons-nous en tirer pour nous aujourd'hui ? Quels sont nos liens ? Quel rôle notre appartenance à une même Eglise, à une paroisse joue-t-elle dans nos relations ?
    On parle beaucoup de la solitude, de chacun dans son appartement et personne à qui parler pendant la journée à part la caissière du grand magasin. Est-il possible aujourd'hui d'être isolé toute la semaine alors qu'on se retrouve ici le dimanche ? Pourquoi les liens ne se tissent-ils pas ? Où sont les barrières ? Sont-elles extérieures ou intérieures ? Comment dépasser ces barrières ?
    Il me semble que la paroisse devrait être le lieu où des contacts peuvent se nouer, des visites mutuelles se programmer, des rendez-vous se prendre. Est-ce l'aveu d'une vulnérabilité que d'essayer d'inviter quelqu'un pour un café, pour parler ? Est-ce un pas trop difficile à franchir ?
    Souvenons-nous que c'est le sentiment de vulnérabilité de la première Eglise qui a renforcé les liens et la solidarité entre ses membres. Le Christ est venu pour abattre les barrières entre les humains. C'est pourquoi Paul met tant de soin à envoyer ses salutations à chaque personne qu'il connaît. C'est une façon de dire l'amour du Christ, dans le concret, dans la réalité de tous les jours. Pensez-y en écrivant vos cartes postales.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Actes 11. Eglises en situations minoritaires : quels enseignements ?

    Actes 11
    1.7.2012
    Eglises en situations minoritaires : quels enseignements ?
    Esaïe 4 : 2-6      Actes 11 : 19-26

    Téléchargez la prédication ici :P-2012-07-01.pdf           

    Photo :Le clocher de l'église catholique d'Antakya


    Chères paroissiennes, chers paroissiens, antioche,paul et barnabas,esaïe,antakya,actes,prédication,evangile,spiritualité,protestant,vie spirituelle,bible,nouveau testament,ancien testament,éducation,foi,amour,dieu,jésus,jésus-christ,réformé,eglise
    J'ai eu le privilège, il y a trois semaines, de faire un voyage en Turquie, dans le cadre de la formation continue des ministres. Nous avons fait une étape à Antakya, la ville d'Antioche dont parle le livre des Actes.  Le but de ce voyage était de rencontrer les minorités chrétiennes de cette région, leur apporter nos salutations et recueillir leurs enseignements par rapport à leur situation. L'entier du voyage donnera lieu à une conférence que nous organiserons cet automne dans la paroisse.
    Ce matin, c'est dans une réflexion sur le contraste des situations que j'aimerais vous conduire. Entre la situation dépeinte par Esaïe, celle d'Antioche avec Paul et Barnabas, celle d'Antakya aujourd'hui et enfin la nôtre.
    Le prophète Esaïe décrit la situation des rescapés de l'Exil. Ils sont une petite minorité, ils ont été persécutés, passés au crible et sont finalement de retour sur la terre de Jérusalem. Mais il n'y a rien de triomphant. Ils ne sont qu'un reste fragile. Mais le prophète préfère parler d'un germe plutôt que d'un reste. Il parle d'une jeune pousse qui est appelée à grandir. Ce qui se profile, ce que Dieu veut recréer, ce que Dieu veut rendre aux rescapés, c'est leur éclat, leur gloire, leur fierté, leur prestige (Es 4:2).
    Ce qui n'a aucune valeur aux yeux du monde n'est pas sans valeur aux yeux de Dieu, au contraire. Dieu assure à ce petit reste qu'ils font bien partie de l'assemblée que Dieu convoque, son Eglise. Il leur promet abri et protection, sous la même forme que pendant l'Exode : la nuée le jour et le feu la nuit pour éclairer leur chemin.
    Ce texte d'Esaïe rappelle donc qu'aucune situation n'est jamais acquise : le peuple d'Israël a été envoyé en Exil, mais il nous rappelle aussi que Dieu veille sur son peuple et qu'il rétablit ceux qui lui restent fidèles. Même s'il ne subsiste qu'un reste, Dieu en prend soin et crée les conditions d'un nouveau développement.
    Le récit des Actes nous montre ce même mouvement, mais avec le déploiement et la croissance qui suivent. Un schéma récurrent du Livre des Actes, c'est que les persécutions contre les disciples de Jésus sont toujours l'occasion d'un nouveau déploiement de la Parole, une nouvelle occasion d'annoncer l'Evangile toujours plus loin.
    La persécution autour d'Etienne conduit les chrétiens à s'enfuir de Jérusalem en Judée et en Samarie d'abord, et plus loin jusqu'à Antioche et Chypre ensuite. Une nouvelle communauté s'y développe avec l'aide de Paul et Barnabas.
    Et c'était très émouvant de se retrouver là-bas, à Antakya-Antioche, dans une rue — évidemment goudronnée et pleine de voitures — mais une rue qui suit l'axe de la route romaine de l'époque (qui doit se retrouver quelques mètres plus bas sous le goudron — une route qui passe devant la synagogue actuelle qui doit s'ériger sur les fondations de la synagogue de l'époque.
    C'est là que le message de Jésus a été annoncé. C'est dans cette ville que l'Evangile a été ouvert aux grecs, aux romains, aux non-juifs. C'est là — comme le dit le Livre des Actes — que des disciples de Jésus ont été appelés "chrétiens", "ceux du Christ, du Messie", pour la première fois.
    Une nouvelle identité accompagnée d'une extension de la prédication de l'Evangile a eu lieu là !
    Et puis, aujourd'hui, il y a à Antakya des Eglises ultra-minoritaires, mais qui ont une petite place bien à elles. Des Eglises qui ont conscience et qui disent que l'œcuménisme est une obligation pour leur survie, tout comme le dialogue interreligieux.
    Evidemment, cela nous fait réfléchir sur notre situation, sur la situation de notre Eglise — EERV cantonale et paroisse locale. Que vivons-nous aujourd'hui ici ? Notre situation est en même temps enviable et préoccupante.
    Elle est enviable parce que nous vivons dans une société tolérante et de culture chrétienne. Elle est enviable parce que nous recevons un large soutien de l'Etat, des Communes et des institutions. Imaginez seulement : si votre offrande devait couvrir les salaires de vos pasteurs, l'entretien du Temple, le défraiement des organistes, etc…
    Mais notre situation est préoccupante parce que le confort nous a endormis. Vous moins que d'autres puisque vous êtes-là et que vous avez le souci de l'Eglise. Mais tous ces "croyants pas pratiquants" qui tiennent tellement à ce que l'Eglise soit au milieu du village, mais juste pour la regarder, pas pour y entrer.
    Depuis deux décennies, le nombre de fidèles engagés diminue, le nombre de bénévoles diminue, le nombre de catéchumènes diminue, même le nombre d'enterrements diminue. Et puis, en terme de pensée, qui peut encore définir l'identité protestante, ou même l'identité chrétienne ?
    Il y a eu une défection au niveau de la transmission ! Et là, nous avons beaucoup à apprendre de ces Eglises ultra-minoritaires, sur leurs exigences vis-à-vis de ceux qui demandent un acte à leur Eglise. Un des prêtres nous disait qu'il demandait trois à six mois de fréquentation de la messe avant de pratiquer un baptême, pour l'enseignement et pour éprouver la solidité de la demande.
    Nous avons à réaliser que l'Eglise protestante est devenue minoritaire dans notre Canton. Il n'y a plus de situation acquise une fois pour toute. Nous avons besoin de mobilisation, nous avons besoin de tester notre fidélité. Nous avons à relire l'Evangile et voir combien il se démarque des discours du monde d'aujourd'hui. Pas pour nous replier sur nous-mêmes, mais parce que l'Evangile a des valeurs à offrir, des valeurs que recherchent nombre des dégoûtés du monde actuel, nombre des indignés face aux rapaces, aux prédateurs de notre économie, face aux dévastateurs de notre planète.
    Nous avons à plonger en nous-mêmes pour nous demander — non pas où sont les fautes ou les responsabilités passées — mais pour nous demander ce que nous apporte l'Evangile. Ce que m'apporte l'Evangile n'est-il pas bon aussi pour mon voisin ? La source qu'est l'Evangile pour moi ne peut-elle pas aussi être source pour d'autres ? Pourquoi est-il si difficile de le communiquer, d'en témoigner ?
    Prenons exemple sur ces Eglises ultra-minoritaires pour nous réveiller, pour être le germe dont parle Esaïe, celui qui va croître et porter du fruit, avec le soutien de Dieu. Soyons fiers — comme ceux d'Antioche — de porter le nom de chrétiens !
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Exode 3. De la routine, rien que de la routine, jusqu'à la mort ?


    Exode 3
    24.6.2012

    De la routine, rien que de la routine, jusqu'à la mort ?

    Exode 3 : 1-4

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-0624.pdf


    Culte paroissial avec la participation de l'Abbaye des Laboureurs de Bussigny


    Vendredi matin, En Ligne Directe, sur la RTS 1, demandait sur les réseaux sociaux : "Pourquoi la religion ne vous séduit plus ?" (sic). L'une des réponses donnée par un internaute était que la Bible, et donc les Eglises, sont déconnectées du présent.
    Comment pouvons-nous avoir encore recours à des textes vieux de centaines, ou de milliers d'années, avec la prétention de dire quelque chose de valable, pour nous, aujourd'hui ? Comment le texte qui parle de Moïse et qui vous a été lu pourrait nous dire quelque chose à nous qui sommes-là ce matin ?
    C'est vrai, comme texte historique, ce texte est vieux de 2'500 à 3'000 ans et il ne peut rien refléter pour nous. Par contre, si l'on reçoit ce texte comme un miroir, un miroir de notre vie actuelle, de nos personnes, de nos relations et de nos aspirations, alors — dans ce miroir — nous allons nous voir nous-mêmes et le texte va rejoindre notre présent !
    Je vais essayer de vous présenter ce miroir en espérant que nous allons nous y reconnaître. Mais encore un préalable avant de nous plonger dans le récit. Toute histoire, tout texte est la réponse à une question, question qui n'est pas prononcée dans le récit, mais que nous pouvons rechercher et trouver. Ici, le récit de la rencontre entre Moïse et le buisson ardent me semble être la réponse à la question : Comment entrons-nous en relation, en connexion, en lien avec le divin, avec ce qui nous dépasse, avec le mystère ? Et qui est-il ? N'allons pas tout de suite aux réponses traditionnelles et toutes faites, laissons les choses ouvertes pour le moment.
    Prenons maintenant le récit comme un miroir. Considérons que Moïse n'est pas un prince élevé à la cour du Pharaon. Moïse, c'est nous aujourd'hui, c'est moi, c'est vous. Cette personne est occupée par son travail journalier, son emploi, son gagne-pain. Cette personne garde les troupeaux de son beau-père, il les mène d'un pâturage à l'autre.
    Mais cela pourrait tout autant être un voyageur de commerce pris dans les bouchons de l'autoroute entre Morges et Ecublens, un employé sur un chantier ou un patron dans son bureau. Cet homme est dans la pratique quotidienne de son métier, dans sa routine et cela peut continuer comme cela jusqu'à la retraite ou jusqu'à la mort.
    Une petite vie tranquille, métro - boulot - dodo. Pas de vagues, mais pas d'excitation non plus. Une vie simple. Mais est-ce vraiment la vie, notre aspiration à la vie — nos rêves de jeunesse — que de rester dans cette routine ?
    Dans son ennui, Moïse regarde à droite, à gauche. Un jour son regard est attiré par quelque chose, de côté. Un feu. Ce feu est spécial, il ne consume pas, il ne dévore pas le bois sur lequel il brûle.
    Notre regard n'est-il pas attiré aussi, de temps en temps, vers quelque chose qui nous intrigue ? Quelqu'un qui a une lueur particulière dans le regard, ou une idée qui nous fait vibrer de manière inattendue, ou une coïncidence étrange ? Que faisons-nous à partir de là ?
    Moïse, lui, décide de faire un détour pour étudier le phénomène étrange. Il quitte sa routine. Il se laisse interpeller, dérouter, il ne veut pas laisser passer cela ! Et c'est là que la vie commence, c'est là que l'aventure démarre !
    Moïse se permet de se demander "Pourquoi ?" Pourquoi est-ce comme cela ? Pourquoi ce buissons brûle-t-il sans se consumer ? Pourquoi cette personne rayonne-t-elle pareillement ? Pourquoi cette idée me fait-elle vibrer ? Pourquoi ces coïncidences me parlent-elles ?
    Vous aurez remarqué que, c'est à partir du moment — nous dit le texte — où Moïse s'est dérouter et se demande "Pourquoi?" que Dieu s'intéresse à lui. C'est là qu'il l'appelle "Moïse, Moïse !"
    Quand notre curiosité est éveillée, quand nous nous laissons dérouter, sortir des ornières de nos routines, nous nous ouvrons à un appel extérieur. Quand notre curiosité est éveillée, nous pouvons entendre que la vie nous appelle, que ce qu'il y a de vivant autour de nous rejoint en nous ce qui attend d'être réveillé, relevé, ramené à la vie. Le buisson, la lueur dans le regard, la coïncidence nous appellent — le texte disait d'emblée "l'ange du Seigneur était dans la flamme" (Ex 3:2).
    Il y a tout le long de notre chemin des buissons, des curiosités, des gens qui cherchent à mettre notre côté vivant en éveil ! Chaque jour, quelque chose ou quelqu'un attire notre attention pour nous éveiller à la vie, à la vraie vie. La question est de savoir si nous regardons de côté, à côté des routines qui nous arrangent, à côté des routines qui nous reposent, à côté des routines qui sont sans risque pour nous ?
    Allons-nous nous laisser dérouter, ou bien préférons-nous continuer notre petite vie tranquille jusqu'à la retraite ou à la mort ?
    Moïse laisse sa curiosité être allumée. Il sort de son chemin ordinaire, il se laisse appeler, appeler par son nom et il répond à l'appel de la Vie, du Vivant : "Je suis là !" (Ex 3:4) Il dit oui à la vie qui l'appelle, à cette vie nouvelle, à cette vivacité, cette énergie qui va le faire quitter son désert et ses troupeaux pour une autre existence où il fera sortir le peuple hébreu d'Egypte.
    Devant nous s'étale la vie jusqu'à notre mort… Allons-nous suivre notre routine habituelle ou bien ouvrir les yeux aux interpellations de la vie ? Allons-nous changer de chemin pour avoir une vie plus vivante ?
    Cela vous donne envie, mais vous ne savez pas comment vous y prendre ? Il y a ici une communauté qui se réunit chaque dimanche pour apprendre à saisir la vie, pour apprendre à voir ce qui se passe en dehors de la routine quotidienne, pour apprendre à entendre l'interpellation du Vivant à vivre pleinement. A chacun de voir si cela vaut le détour !
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Exode 33. Dieu ne se laisse voir que de dos.

    Exode 33
    3.6.2012
    Dieu ne se laisse voir que de dos.
    Exode 33 : 18-23      Jean 1 ; 14-18      Jean 14 : 8-11

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-06-03.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Moïse et Philippe, le disciple, font la même demande, ils veulent voir Dieu ! C'est notre aspiration humaine, une aspiration qui traverse le temps et l'espace, qui agite tout humain. Voir Dieu. Enfin savoir, enfin avoir une certitude. Plus encore, pouvoir maîtriser, contrôler notre vie, notre chemin, notre destin.
    Mais la Bible nous dit qu'il est impossible, incompatible de voir Dieu et de vivre. La Bible pose cela comme un principe, un axiome, sans explication, comme une évidence. Cela souligne la différence, la distance entre Dieu et l'humain, une distance de fait, comme l'eau et le feu, comme la matière et l'anti-matière, ou encore comme l'obscurité et la lumière. L'obscurité ne peut pas se maintenir dans la lumière, c'est incompatible, de fait. Voilà pour la distance.
    Pourtant, Dieu n'a de cesse de vouloir s'approcher de l'humain. Dieu n'a de cesse de nous adresser la parole. Dieu n'a de cesse d'attirer notre attention ! Dieu n'a de cesse de vouloir rompre cette distance, nouer un contact, créer une relation. Mais cette relation ne peut pas être directe, sans intermédiaire, sans médiation. C'est ce que disent, parallèlement, le récit de Moïse et l'entretien entre Jésus et Philippe.
    Dans l'Ancien Testament, la relation directe est symbolisée par la vue, le regard, la vision. La relation indirecte est symbolisée par l'ouïe. Dieu parle aux prophètes, aux rois, à Moïse et ces derniers retransmettent ces paroles au peuple.
    Un interdit sur la vue de Dieu est placé dans le Décalogue : "Tu ne te feras pas d'image de Dieu." Faire une image, c'est enfermer Dieu dans notre vision de lui, c'est en prendre possession, prétendre à le contrôler, à le maîtriser. C'est outrepasser la juste relation à Dieu.
    Comment conjuguer l'impossibilité de voir Dieu et son désir de se révéler, de se faire connaître ? Comment conjuguer l'impossibilité de voir Dieu avec notre soif de le connaître, de le découvrir ? Le récit de la demande de Moïse à voir Dieu nous en donne quelques pistes.
    Dieu ne repousse pas la demande de Moïse, il y répond même : il va faire passer sa gloire et proclamer son nom. Mais ce processus va être accompagné de mesures de protection et d'explications sur ce que Dieu va montrer de lui-même. C'est Dieu lui-même qui va, en même temps, exaucer la demande de Moïse et le protéger du danger de sa demande.
    Il y a trois mesures de protection :
    La première, c'est que Moïse se place dans le creux du rocher, protection terrestre, abri naturel. On peut comparer cela aux mesures de protection physiques, matérielles que nous sommes tous invités à utiliser pour nous protéger le mieux possible des risques et des dangers de l'existence. Ne pas prendre inutilement des risques qui mettent notre vie en danger.
    La deuxième protection, c'est que Dieu lui-même va placer la paume de sa main sur Moïse pour le protéger. C'est la protection divine qui recouvre Moïse. C'est la protection que nous pouvons demander à Dieu dans la prière, pour tout ce que nos propres protections ne peuvent pas protéger.
    La troisième protection que Dieu offre, c'est de ne pas montrer sa face, son visage, mais de se laisser entre apercevoir, "de dos" nous dit le texte. Dieu va soulever sa main de dessus Moïse pour que celui-ci puisse apercevoir Dieu de dos, à la fin de son passage au-dessus de Moïse. C'est une vision furtive qui est offerte à Moïse, c'est une vision d'après-coup.
    Cela me fait penser à la vision des pèlerins d'Emmaüs, qui reconnaissent Jésus après-coup, dans la fraction du pain, alors que Jésus disparaît de leurs yeux. Je reviendrai sur cette vision "après-coup" et sa signification.
    Dieu dit aussi ce qu'il va montrer à Moïse, et c'est surprenant. Moïse demande à voir la gloire de Dieu. En termes laïcs, la "gloire", en hébreu, c'est la valeur, même la valeur marchande. La "gloire" du Liban, ce sont ses cèdres, le bois de ses cèdres. C'est la ressource du pays, ce qui en fait la valeur.
    Ce que Moïse demande à voir de Dieu, c'est ce qui en fait la valeur, sa ressource, sa qualité première. Et voici la réponse que Dieu donne à Moïse, si vous vous en rappelez : "Je vais passer devant toi en te montrant toutes mes bontés et en proclamant mon vrai nom." (Ex 33:19). Et il ajoute : ce qui me caractérise, c'est que je fais grâce et que je m'émeus de compassion.
    Le visage de Dieu présenté — en paroles — à Moïse, c'est celui de la bonté, de la grâce et de la compassion. Ce sont les qualités que l'Evangéliste Jean attribue à Jésus, celles qu'il a reçues du Père. Dans le jeu de renvoi de Jésus au Père, dans l'Evangile de Jean, il y a ce même évitement de la vue face à face. Quand Philippe demande à Jésus de "voir le Père", celui-ci lui répond : "Celui qui m'a vu a vu le Père" (Jn 14:9).
    Jésus ne peut pas montrer le visage de Dieu au ciel, il est lui-même le visage de Dieu sur terre, mais un visage que personne ne voit directement. En tout cas pas les adversaires de Jésus qui cherchent toujours à le mettre à mort. Mais même les disciples — et Philippe en est un exemple — n'arrivent pas à voir vraiment le visage de Dieu. Même avec Jésus parmi eux, ils ne voient Dieu que "de dos." Voir Dieu "de dos" signifie que l'on ne peut voir de Dieu que la trace qu'il laisse en passant.
    Dieu est insaisissable, incontrôlable. Nous ne pouvons pas le maîtriser, le tenir, dire : il est là maintenant.
    Notre travail, c'est de chercher sa trace, de voir son dos lorsqu'il a passé dans un moment de notre existence. Ce travail — car c'est un travail, un travail auquel renoncent nombres de nos contemporains — ce travail c'est de relire notre journée, relire notre existence, revenir sur nos faits et gestes et voir chaque fois que nous avons été protégés, accompagnés, guidés, soutenus.
    Nous pouvons, chaque soir, monter sur la montagne, nous blottir au creux du rocher et tenter d'apercevoir, furtivement, après-coup, quelle trace Dieu a laissé dans notre journée.
    Amen  
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Actes 2. Il est temps de passer du Dieu extérieur au Dieu intérieur

    Actes 2
    27.5.2012
    Il est temps de passer du Dieu extérieur au Dieu intérieur
    Jérémie 31 : 31-34     Actes 2 : 1-4    2 Corinthiens 4 : 6-8

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui à Pentecôte, nous fêtons le don de l'Esprit saint aux disciples. C'est l'accomplissement que Jésus avait annoncé et promis. Lui-même n'étant plus là, Dieu envoie l'Esprit saint comme présence divine auprès des disciples, des croyants.
    L'Evangéliste Luc en fait une représentation, une traduction dans la visible : même des inconnus autour de la maison entendent et voient des choses, même s'ils l'interprètent mal en pensant que les disciples sont ivres. 
    Cette représentation s'inscrit dans le plan de Luc pour le livre des Actes, ce livre qui montre comment l'Esprit de Jésus anime les apôtres et dirige l'annonce de l'évangile depuis Jérusalem jusqu'à Rome.
    Cette représentation peut devenir pour nous, aujourd'hui, un obstacle, si nous nous attachons aux "signes extérieurs", à la manifestation bruyante et visible. Cela risque de nous faire oublier que le don de l'Esprit est la réalisation de la nouvelle Alliance qu'annoncent tous les prophètes : Dieu se rend présent à nous. Jérémie annonce cette nouvelle Alliance et nous pensons avec raison que le Christ l'a réalisée.
    Cependant, je pense que nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de l'enseignement de Jésus, nous n'en avons pas tiré toutes les conséquences ! Nous avons retenu que Jésus est le Fils de Dieu, c'est-à-dire que Jésus est habité pleinement par l'Esprit de Dieu. Nous avons retenu que le visage de tout prochain est porteur de l'image de Dieu, qu'il est le reflet du visage du Christ. Mais, nous hésitons à franchir le pas suivant, qui en est la suite logique : Dieu habite en nous. Dieu est au fond de nous-même.
    Si mon prochain est visage du Christ, pourquoi ne le suis-je pas pour moi-même ? Si Dieu est venu pleinement habiter dans l'homme Jésus, pourquoi n'habiterait-il pas en moi, comme il l'a promis ?
    Bien sûr, énoncer que "Dieu habite au plus profond de chaque être humain" est un courant minoritaire dans la Bible. Mais "le Messie souffrant" aussi était un courant minoritaire jusqu'à la mort sur la croix. Et pourtant, c'est la clé d'interprétation qu'a choisi le Christianisme pour relire l'Ecriture. A partir de la croix, le Christianisme a laissé tomber toute une partie de l'Ancien Testament, tout ce qui concerne le culte au Temple et les lois sacrificielles.
    N'est-il pas temps, aujourd'hui, de prendre au sérieux ce courant qui fait passer Dieu "de l'extérieur à l'intérieur" ? N'est-il pas temps de renoncer au Dieu extérieur, le maître de l'Histoire des peuples, le Dieu horloger, le Dieu "cause première" pour considérer le Dieu dont nous parle réellement Jésus : celui qui change les cœurs, celui qui soigne et guéri les plaies de l'âme, celui qui relève.
    A quoi sert de garder ce Dieu du dehors qui ne sert que de réceptacle aux reproches de nos contemporains qui disent avec raison de Lui : "pourquoi permet-il le mal s'il est tout-puissant" ?
    La Pentecôte est la fête de l'Esprit de Dieu qui vient en nous. C'est une représentation pour marquer qu'on entre dans une nouvelle période de la révélation. C'est la nouvelle Alliance préparée par les prophètes, celle qui concerne notre cœur de chair (Ez 11:19), celle qui s'inscrit dans nos consciences, à l'intérieur de nous, au plus profond de notre être intérieur.
    Que Dieu habite en nous reste difficile à croire et l'apôtre Paul marque le paradoxe en parlant de la lumière divine que nous portons dans des vases d'argile (2 Co 4:7). Rien dans l'aspect de ces vases ne laisse apparaître qu'ils contiennent quelque chose d'aussi précieux… et pourtant.
    Pas d'orgueil pour nous de porter Dieu au fond de nous-mêmes. C'est un cadeau, souvent un cadeau difficile à découvrir. Nous sommes nous-mêmes tellement "à l'extérieur." Anthony de Mello déclare : "nous accumulons des choses parce que notre cœur est vide." En effet, tant que nous n'avons pas découvert la lumière dans le vase d'argile, la présence de Dieu au plus profond de nous-mêmes, nous sentons le vide en nous.
    A la Pentecôte, Dieu vient habiter notre cœur vide, il le remplit de sa présence. Comme dans les paraboles, la perle est déjà dans le coquillage, le trésor est déjà dans le champ quand ils sont découverts. Ils sont là, maintenant, dans l'attente d'être découverts.
    Et je finirai par cette phrase de Rûmi : "Bien que tu sois ensorcelé par ce monde, au secret de toi-même, tu es un trésor caché. Ouvre les yeux intérieurs, reviens enfin à l'origine de ta propre origine."
    Que cette Pentecôte soit pour nous l'occasion de plonger en nous-mêmes — dans nos vases d'argile — pour y découvrir la lumière de Dieu, l'Esprit de Dieu, la Présence de Dieu qui nous habite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Actes 1. En partant, Jésus ouvre un espace-temps et un espace géographique devant nous.


    Actes 1
    17.5.2012
    En partant, Jésus ouvre un espace-temps et un espace géographique devant nous.
    Luc 24 : 44-53     Actes 1 : 1-12

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-05-17.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui, jeudi de l'Ascension, nous nous souvenons que Jésus a quitté les disciples pour retourner auprès du Père. Seul Luc raconte l'événement de l'ascension de Jésus. Les autres Evangiles se terminent sur les apparitions aux disciples. Mais Luc raconte la suite de l'Evangile dans le livre des Actes des Apôtres, il doit bien présenter la transition entre les apparitions et la prédication des apôtres.
    Ainsi, si Jésus s'est manifesté auprès des disciples après sa mort, il doit bien les quitter pour retourner auprès du Père. Luc en fait un événement en présence des disciples et nous présente deux fois cet événement, une fois à la fin de l'Evangile et une fois au début du livre des Actes.
    Dans l'Evangile, Luc nous donne trois récits à la suite de la mise au tombeau : 1) le récit des femmes qui vont au tombeau et ne trouvent pas Jésus. 2) le récit des pèlerins d'Emmaüs et 3) l'apparition de Jésus aux disciples réunis, où Jésus montre ses pieds et ses mains. Ensuite, sans indication de temps, ce qui laisse penser que tout se passe le même jour, le dimanche de Pâques, Jésus emmène les disciples près de Béthanie — qui se trouve sur le Mont des Oliviers — et il est enlevé au ciel.
    Ce récit insiste — au v. 48 qui dit "Vous êtes témoins de cela" — sur le bagage des disciples, sur le passé. Ces trois récits de Luc 24 soulignent que les disciples sont les témoins de la vie de Jésus, de sa Passion, de son enseignement. Ils comprennent que la Passion du Christ est l'accomplissement des Ecritures. Les disciples sont capables de reconnaître Jésus à ses paroles, à ses pieds et ses mains et dans le partage du pain. Ils sont prêts, formés, dans l'attente de leur envoi en mission.
    L'Evangile de Luc se termine donc sur une attente… Les disciples sont prêts, Jésus est remonté au ciel, tout peut commencer. C'est pourquoi Luc écrit la suite dans le livre des Actes. Il faut montrer maintenant comment tout commence, comment l'évangile va se déployer dans le temps et dans la géographie.
    C'est ce qu'on retrouve dans le début du livre des Actes. Après une dédicace où il explique son projet, Luc reprend son récit, un peu avant où l'Evangile se termine. Luc introduit un petit dialogue entre les disciples et Jésus, avant son ascension. C'est au cours d'un repas. Jésus dit à ses disciples de ne pas bouger. Ils doivent attendre son départ, puis l'envoi d'une force que le saint Esprit fera descendre sur eux.
    Cet ordre des choses est étrange et cette étrangeté atteste que c'est bien dans cet ordre que cela s'est passé. On s'attendrait à ce que Jésus — dans un dernier geste grandiose — pose les mains sur ses disciples pour les bénir et leur transmettre l'Esprit saint avant de partir.
    Mais non, cela ne s'est pas passé comme cela ! C'est l'inverse — et cela a dû passablement intriguer les disciples et Luc. D'abord Jésus part, ensuite la force promise est donnée. Pour donner un sens à cet ordre des choses, Luc introduit dans son livre des Actes un nouveau cadre temporel — qui est absent de la fin de son Evangile. Luc précise que Jésus est resté 40 jours avec ses disciples — comme Moïse est resté 40 jours sur le Sinaï pour recevoir la Torah. C'est après ce temps que Jésus est élevé et soustrait à la vue des disciples. Plus loin, Luc ajoute qu'il se passe encore 10 jours jusqu'à la Pentecôte pour recevoir l'Esprit saint. C'est ce calendrier que nous suivons aujourd'hui.
    Donc, Jésus annonce pour plus tard le baptême du saint Esprit, ce qui suscite une question des disciples : "Est-ce en ce temps que tu rétabliras le Royaume d'Israël ?" (Ac 1:6). La question tourne autour du temps, particulièrement des derniers temps, de la fin des temps avec le retour de Jésus.
    Jésus répond en disant son ignorance, cela appartient au Père, pas à lui. Mais il indique surtout quelle va être la mission des disciples. Après avoir reçu la force du saint Esprit, "vous serez mes témoins, à Jérusalem, dans toute la Judée, en Samarie et jusqu'au bout du monde." (v.8).  Face à cette question sur la clôture du temps posée par les disciples, Jésus ouvre un espace-temps et un espace géographique devant les disciples.
    Nous n'avons pas à nous préoccuper de la fin des temps, mais du temps qui est devant nous, du temps présent. Mais pour que ce temps s'ouvre, Jésus doit partir, Jésus doit, Jésus veut nous laisser la place, pour vivre et pour agir. En partant, Jésus ouvre le temps, il ouvre l'espace, il nous place en responsabilité. Jésus doit partir pour que notre mission commence ! Nous sommes en charge, nous sommes ses témoins, nous sommes investis d'une force et d'une mission.
    En rejetant la question de la clôture du temps, Jésus ouvre le temps de l'Eglise. A la question des disciples : "Est-ce que TU vas instaurer le Royaume d'Israël ?" (v.6) Jésus répond : "VOUS allez… être mes témoins…" (v.8).
    Aujourd'hui, Jésus nous laisse prendre les rênes, la direction. Aujourd'hui, nous sommes son Eglise, ses témoins, Il est retourné auprès du Père, nous laissant une force et une mission, à nous de jouer. A nous de jouer pour que l'Eglise existe, pour que le Christ soit annoncé, pour que le Christ soit présent pour nos contemporains. A nous de jouer.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 24. Lire la Bible dans une perspective nouvelle.

    Luc 24
    13.5.2012
    Lire la Bible dans une perspective nouvelle.
    Luc 24 : 36-49
    Téléchargez la prédication ici : P-2012-05-13.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Depuis Pâques, nous suivons l'Evangile de Luc, le chapitre 24, qui nous présente les apparitions du Christ ressuscité. Un premier récit avec les femmes devant le tombeau vide, récit de Luc où les femmes repartent vers les disciples sans avoir vu Jésus, mais fortes de la parole des anges. Un second récit, celui des pèlerins d'Emmaüs, où Jésus chemine avec eux, sans qu'ils ne le reconnaissent tout de suite, où Jésus leur explique toutes les Ecritures et où leurs yeux s'ouvrent au moment de la fraction du pain. Mais alors, il disparaît de leur vue. Enfin ce troisième récit, où Jésus apparaît aux disciples, mais où ceux-ci le prennent pour un esprit, un fantôme. Après avoir montré ses pieds et ses mains et mangé du poisson, Jésus leur explique à nouveau les Ecritures.
    Il y a donc deux thèmes dans le récit d'aujourd'hui : montrer que Jésus n'est pas un fantôme et renvoyer aux Ecritures pour comprendre le ministère de Jésus. C'est ce deuxième thème que j'aimerais aborder aujourd'hui, parce qu'il me semble central dans la pensée de l'évangéliste Luc. Comprendre les Ecritures, ce qu'elles disent du Christ, c'est vraiment l'enseignement central du Christ ressuscité. Souvenez-vous de ce que disent les anges aux femmes : "Rappelez-vous ce qu'il vous a dit lorsqu'il était encore en Galilée : « Il faut que le Fils de l'homme soit livré à des pécheurs, qu'il soit cloué sur une croix et qu'il se relève de la mort le troisième jour. »" (Luc 24:6-7). Les femmes sont mises en mouvement lorsqu'elles se souviennent des paroles de Jésus annonçant sa Passion.
    Ensuite, dans le récit des pèlerins d'Emmaüs, on lit ceci :" Alors Jésus leur dit : « Gens sans intelligence, que vous êtes lents à croire tout ce qu'ont annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Messie souffre ainsi avant d'entrer dans sa gloire ? » Puis il leur expliqua ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Écritures, en commençant par les livres de Moïse et en continuant par tous les livres des Prophètes." (Luc 24:25-27). Après coup, les disciples réalisent : "N'y avait-il pas comme un feu qui brûlait au-dedans de nous quand il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ?" (v.31). Enfin le troisième récit : "Jésus leur dit : « Quand j'étais encore avec vous, voici ce que je vous ai déclaré : ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les livres des Prophètes et dans les Psaumes, tout cela devait se réaliser. » Alors il leur ouvrit l'intelligence pour qu'ils comprennent les Écritures, et il leur dit : « Voici ce qui est écrit : le Messie doit souffrir, puis se relever d'entre les morts le troisième jour." (Luc 24:44-46).
    Dans les trois récits, le renvoi — pour comprendre et croire — porte toujours sur les souffrances du Messie, de l'envoyé de Dieu, du Christ. L'enseignement de tout ce chapitre, de ces trois récits est que la clé de compréhension de la vie et de la mort de Jésus se trouve dans la Bible.
    Jésus invite les disciples à reprendre la lecture de la Bible avec un angle nouveau, une question nouvelle, une lumière, une perspective nouvelle ! Il ne s'agit pas de lire des histoires diverses sur les patriarches, le peuple hébreu, les rois d'Israël. Il s'agit de découvrir la trace de Dieu dans l'histoire des êtres humains. Il s'agit de reprendre toute la lecture sous un jour nouveau, faire une nouvelle recherche avec une nouvelle grille d'interprétation. Il s'agit de lire entre les lignes des histoires pour voir la trace du Christ, pour découvrir le projet de Dieu, déjà écrit en filigrane dans le Premier Testament. C'est ainsi que Jésus leur ouvre l'intelligence (v.45).
    Et c'est bien ce dont nous avons besoin — à nouveau — aujourd'hui, pour nous et pour nos contemporains. Pourquoi personne ne lit-il plus la Bible aujourd'hui ? Parce qu'on ne sait plus quoi y chercher qui nous concerne, qui concerne aujourd'hui. Il semble que ce ne soient plus que de vieilles histoires. Exactement comme pour les disciples avant la croix.
    Jésus donne aux disciples une clé d'interprétation nouvelle. Il leur dit (v.46-47) : Dans l'Ecriture, vous allez voir le Messie souffrir, ressusciter le troisième jour et annoncer le changement de mentalité vers la libération. A nous, aujourd'hui, de laisser tomber les interprétations anciennes qui nous enferment et reprendre la lecture avec ces critères retrouvés.
    A. Premier critère. Où et comment les textes montrent-ils que Dieu souffre avec l'humanité ? Ça c'est un changement de perspective ! L'évangile nous dit : Dieu souffre. Dieu souffre avec l'humanité, avec le malade, avec l'endeuillé, avec l'humilié, avec celui qui est trompé. Chercher où et comment les textes nous montrent que Dieu souffre de nos situations et qu'il est à nos côtés. La Bible n'est pas muette de ce côté-là.
    B. Deuxième critère. Chercher partout où Dieu relève, où il fait pencher les choses du côté de la vie, où il transforme le malheur en promesse de vie, là où il suscite la résilience. L'évangile nous dit : Dieu ressuscite, il relève, il transforme le malheur en ressource, en relèvement. La Bible n'est pas muette de ce côté-là.
    C. Troisième critère. Cela se passe le troisième jour. Etrange critère. Je le comprends comme disant : il faut savoir — non pas attendre passivement mais— laisser mûrir ! Nous voudrions que la résurrection ait lieu une seconde après la mort. Nous voudrions que nos malheurs cessent avant d'avoir commencé. Nous voudrions que la souffrance cesse tout de suite, que le deuil ne suscite pas de peine. La vie a un rythme, le corps a son rythme, l'âme a son rythme. Il faut apprendre "la calme lenteur de toute germination*." La Bible n'est pas muette de ce côté-là.
    D. Enfin, le quatrième critère pour relire la Bible, c'est de voir qu'elle annonce "la conversion en vue de la rémission des péchés" dit Luc. Voilà du vocabulaire qu'il faut apprendre à traduire, et traduire avec les critères précédents. La "conversion" (metanoia), c'est un changement de l'esprit, c'est le changement de perspective dont j'ai déjà parlé. Dans tout son ministère, Jésus a parlé et agit pour changer les mentalités. Il a défait les liens entre maladie et faute, entre maladie et exclusion, entre différence de nationalité ou de sexe et mépris, entre contrainte et service libre de Dieu, pour ne citer que quelques-uns de ces changements. La "conversion pour la rémission." La rémission, c'est l'action de laisser partir, c'est le mot qui est utilisé pour libérer quelqu'un de ses obligations militaires ou pour remettre une dette. C'est donc libérer d'un fardeau, de quelque chose qui empêche d'être libre. Enfin, il y a ce terme de "péché" (la rémission des péchés) qui nous embarrasse aujourd'hui, tellement il a été lié à la faute, à la faute morale. Bien sûr, nous ne sommes pas exempts de fautes, mais les malheurs n'arrivent jamais en proportion de nos fautes. Le mot grec signifie, à la base : manquer sa cible. Il n'y a aucune connotation morale. C'est la flèche de l'archer qui dévie de sa trajectoire et qui manque sa cible. D'où la notion d'égarement, puis de se tromper de chemin, jusqu'à l'idée de faute.
    Le changement de perspective que Jésus a toujours voulu faire comprendre, c'est que notre situation de vie ne tient pas de la faute, mais plutôt de la déviation de trajectoire, de la trajectoire voulue par Dieu. Et Jésus est venu pour nous remettre sur la bonne trajectoire, c'est pourquoi il peut pardonner la déviation du paralytique et le remettre debout.
    Le changement de perspective auquel Jésus nous invite dans la lecture de la Bible et de notre trajectoire de vie, c'est à être libéré de notre égarement, à être libéré du fardeau qui consiste en l'obligation de réussir notre vie. Notre vie est faite de trajectoire en zigzag, de réussites et d'échecs, de joies et de deuils, de gestes amicaux et de coups tordus.
    Le Christ ressuscité nous invite à trouver Dieu au cœur de nos souffrances et de nos rattages, comme un ami bienveillant, à patienter jusqu'au troisième jour pour être relevé et pour recevoir cette compréhension que Dieu œuvre en nous pour nous libérer de la peur de rater notre vie.
    Amen.

    * Règle de Reuilly, p. 57.
    © Jean-Marie Thévoz

  • Luc 24. Pas de vision directe du ressuscité, pour l'évangéliste Luc.

    Luc 24
    6.5.2012
    Pas de vision directe du ressuscité, pour l'évangéliste Luc.
    Luc 24 : 13-35

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Christ est ressuscité ! C'est ce que nous proclamons depuis Pâques, comme chrétiens. C'est ce que les premiers chrétiens ont proclamé, cru et transmis, et que d'autres chrétiens ont relayé jusqu'à aujourd'hui. Il y a des Eglises encore aujourd'hui, et nous sommes-là en ce moment, parce que ce message a été proclamé.
    Il n'en reste pas moins que cette proclamation reste difficile à comprendre, à saisir ou à accepter. Et c'est bien aussi ce que nous dit le récit de Luc, de ces "pèlerins d'Emmaüs" qui cheminent, qui s'éloignent de Jérusalem pour retourner chez eux. Ils étaient montés à Jérusalem plein d'espoir, ils pensaient que ce Jésus était celui qui allait délivrer Israël (Luc 24:21). Ils rentrent attristés, déçus, tout a mal tourné.
    C'est dans ce contexte, cette situation, triste et bouchée, que Luc vient parler de résurrection, de Jésus ressuscité. Luc veut nous faire comprendre de quelle nature est la résurrection. Luc était médecin, il avait fait des études, ce n'était pas un illuminé, prêt à croire une fable ou l'illumination d'exaltés. Luc ne cherche donc pas à éblouir ou à aveugler par des éclairs. C'est le contraire; le récit est tout en retenue, Luc est même extrêmement économe dans ses récits d'apparition de Jésus.
    Dans ce récit des "pèlerins d'Emmaüs" Jésus chemine avec Cléopas et un autre homme, mais sans qu'ils ne le reconnaissent. Pour eux deux, c'est un inconnu qui chemine avec eux. Cela peut-être n'importe quel voyageur. Ensuite, quand les yeux de Cléopas et de l'autre homme s'ouvrent, Jésus disparaît.  Jésus n'est reconnu qu'après coup. (v.31)
    Pourquoi Luc joue-t-il à ce jeu de cache-cache ? Parce qu'il doit exprimer par des mots une réalité qui nous échappe, une réalité inconnue, toute nouvelle : Jésus est présent malgré le fait qu'il soit mort sur la croix. Sa présence persiste au-delà du mur de la mort. Mais cette présence n'est pas celle de quelqu'un qui aurait été réanimé, ni la présence d'un fantôme.
    Cette présence de Jésus chemine avec nous et dialogue avec nous. Jésus n'est ni sous terre, ni loin dans le ciel, il est sur les chemins de nos vies et il vient pour partager nos moments de vie et il vient incognito.
    Nous ne pouvons pas dire — à coup sûr — "il n'est pas là maintenant !" parce que nous ne le voyons pas. Il est dans notre cheminement. Il est dans notre questionnement, dans nos interrogations, dans nos déceptions ou nos joies.
    Il nous invite à penser notre vie. "De quoi discutiez-vous", "qu'est-il arrivé" demande-t-il. Il nous invite à raconter ce que nous vivons, à mettre des mots sur les faits, sur nos pensées, sur nos sentiments, sur nos émotions.
    Alors, ce processus nous met en contact avec nous-mêmes, avec notre être intérieur, avec notre histoire, pour coller ensemble, pour rassembler les différents épisodes de nos vies pour en faire un récit qui ait du sens. C'est dans ce processus que les yeux des deux hommes vont s'ouvrir. Ils racontent leur histoire, leurs pensées, leurs sentiments.
    Ensuite, Jésus fait deux choses : a) il relie ces faits et ces pensées avec la tradition, l'histoire du peuple d'Israël qu'on trouve dans l'Ecriture, dans la Bible. b) ensuite il répète les gestes que les disciples ont vécu : le partage du pain, vécu lors du dernier repas avec Jésus.
    Là, ça leur fait tilt. Leurs yeux s'ouvrent, ils comprennent, l'histoire a, tout à coup, un sens. Ce qui était absurde et désespérant prend la forme d'une histoire avec un plan, un but, une orientation. La mort de Jésus n'était pas la fin de l'histoire, mais le début. Jésus n'a pas été assassiné, mais il a donné sa vie pour nous ouvrir les yeux.
    Quand tout s'illumine pour ces deux disciples, Jésus n'a plus besoin d'être assis avec eux à la table, la présence de Jésus est maintenant en eux-mêmes, ils sont habités, ils peuvent se lever, se relever — c'est le verbe de la résurrection qui est utilisé là. Ils peuvent retourner à Jérusalem vers les autres disciples, parce que l'histoire commence maintenant.
    Dans ce récit, ce que Luc montre, c'est qu'il y a deux lieux où l'on peut reconnaître la présence du Christ : premièrement, c'est dans les Ecritures, dans la Bible. A la lumière du Premier Testament, la vie de Jésus et sa mort prennent un sens nouveau, qui est le début d'un histoire et non le terminus. Deuxièmement, c'est dans le partage du pain, dans la Cène que se révèle la vie du Christ ressuscité. C'est là, dans l'Ecriture et dans la Cène que se révèle la vie du Christ ressuscité.
    Pour Luc, il n'y a pas de vision directe du ressuscité. Il n'y a pas besoin de vision directe pour être croyant, pour comprendre. La vérité du Christ n'est ni sous terre dans un tombeau, ni au ciel — en sécurité dans le ciel, loin de la méchanceté humaine. Non, la vérité du Christ est dans cette présence invisible parmi nous qui se vit dans le lien entre notre histoire et l'histoire des croyants racontée dans la Bible et dans le partage du pain, signe du partage des biens et du partage des soucis de la vie quotidienne.
    A nous d'ouvrir les yeux pour voir qui chemine avec nous. Pour entendre les questions que nous posent ceux qui cheminent avec nous. Pour entendre les liens que tissent notre histoire avec les personnages de la Bible. Pour reconnaître le Christ dans ceux qui partagent le pain de l'existence avec nous.
    Christ n'est ni enfermé dans son tombeau, ni éloigné dans le ciel. Il chemine avec nous pour nous ouvrir les yeux, pour nous relever et pour nous donner la vraie vie avec lui.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 24. "Souvenez-vous des paroles que Jésus vous a dites en Galilée."

    Luc 24
    8.4.2012
    "Souvenez-vous des paroles que Jésus vous a dites en Galilée."
    Luc 23 : 50-56    Luc 24 : 1-12

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu à Vendredi saint comment l'Evangéliste Luc interprète la Passion de Jésus. Luc présente la mort de Jésus sur la croix comme une injustice frappant un innocent. Jésus est présenté comme la figure du Juste qui souffre, mais qui garde confiance. Il pardonne à ses bourreaux. Il donne espérance au malfaiteur qui reconnaît ses propres fautes et témoigne de l'innocence de Jésus. Il remet à Dieu son esprit en toute confiance.
    Comment Luc nous présente-t-il maintenant la résurrection ? Cela commence par la mise au tombeau. Dans cette scène sont mis en place les lieux et les personnes qu'on retrouve le dimanche matin. La tombe est un tombeau individuel, neuf, n'ayant pas servi. Il est vu et reconnu par les femmes qui vont s'occuper, après le sabbat, de la toilette mortuaire et des rites funéraires. Il n'y aura pas de confusion de lieu ni de dépouille lors du retour des femmes.
    Ainsi, tout repose pendant le samedi, dans une stricte observance du commandement divin.
    A l'aube du lendemain du sabbat, notre dimanche, les femmes reviennent pour les rites funéraires. Elles ont à l'esprit les gestes traditionnels qui rendent hommage aux morts et nous préparent à la séparation. Elles ne s'attendent donc pas du tout à ce qu'elles vont trouver et ne pas trouver.
    Elles trouvent la pierre roulée et elles ne trouvent pas le corps du Seigneur Jésus. Et le récit nous dit là qu'elles ne savent pas quoi faire. Elles sont venues avec leur savoir-faire — le rite funéraire — mais il n'y a plus de mort. Elles sont désemparées.
    Apparaissent deux hommes avec des vêtements de lumière qui vont dire les paroles décisives : "Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts. Il n'est pas ici, il est réveillé" (Luc 24:6) et "Souvenez-vous des paroles qu'il vous a dites en Galilée !" (v.6). Ces paroles sont les annonces de la Passion que Jésus a répété trois fois aux disciples.
    Lorsqu'elles se souviennent, lorsqu'elles rassemblent leurs souvenirs, alors elles repartent du tombeau pour retrouver les autres disciples et elles leur racontent ce qu'elles ont vu. Mais les disciples ne les croient pas, pas encore. Seul Pierre doute assez pour aller voir de ses propres yeux et confirme que le tombeau est vide.
    Voilà le récit du matin de Pâques rapporté par Luc.
     Ce récit de Luc se différencie des trois autres Evangiles en ceci : chez Luc, les femmes vont du tombeau vide vers les disciples sans rencontrer Jésus. Dans les trois autres Evangiles, les femmes découvrent le tombeau vide d'abord, mais sur le chemin du retour elles rencontrent le Christ ressuscité et c'est de cette rencontre que les femmes vont témoigner auprès des disciples.
    Ici, Luc fait le tour de force de nous donner le récit de la résurrection sans rencontre avec le Ressuscité ! Que faut-il en penser ?
    Je crois que Luc place les femmes directement dans la situation de ses auditeurs et de ses lecteurs, ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui, dans une situation où ni elles, ni nous, ne voyons de nos yeux le Christ ressuscité. Nous ne pouvons plus dire : c'était plus facile pour ces femmes que pour nous aujourd'hui ! Nous sommes dans la même situation que les disciples, les disciples sont dans la même situation que nous. Tout repose sur la foi.
     Ce qui est intéressant dans le récit de Luc, c'est de voir comment naît et se développe la foi. Les témoins aux vêtements de lumière disent aux femmes : "Souvenez-vous des paroles que Jésus vous a dites en Galilée." (v.6). Et le déclic se passe effectivement pour les femmes (v.8) lorsqu'elles se remémorent les paroles de Jésus.
    Ce processus de remémoration, c'est le fait de mettre ensemble, de relier des événements, de faire des liens entre des mots et des faits. C'est ainsi que l'on donne sens à une suite de faits dans sa vie, quand on peut se dire : "En fait, tout se tient !" ou "Cela prend sens !" ou encore "Je comprends maintenant."
    Mettre les choses ensemble se dit en grec "symbolon" ce qui est le contraire de séparer, diviser qui se dit "diabolon." Cela parle par soi-même.
    Le lieu de la révélation, dans le récit de Luc, c'est la mémoire qui permet de mettre ensemble des éléments qui n'avaient pas encore de liens. Ce dimanche matin, les événements de la vie de Jésus prennent sens. Les femmes découvrent — devant le tombeau vide — que la vie du Juste n'est pas anéantie, mais que Dieu l'a relevée. Le Vivant n'est pas parmi les morts. Et c'est toute la vie de Jésus qui en témoigne.
    C'est la vie de Jésus qui est une attestation de la résurrection, pas une apparition ou une autre. C'est pourquoi Jésus n'apparaît pas aux femmes et que la première "apparition" de Jésus, chez Luc, devant les pèlerins d'Emmaüs, sera simultanément une transposition dans le pain et une disparition aux yeux des pèlerins (Luc 24:31).
    Chez Luc, la résurrection se passe avant tout dans le témoignage de la vie de Jésus avant sa mort, pas après la croix. Après la croix, c'est le Saint-Esprit qui témoigne de la présence de Jésus.
    C'est pourquoi, sans avoir vu Jésus, les femmes peuvent aller témoigner auprès des disciples de la résurrection du Christ.
    Et c'est la chaîne des témoins qui commence et se déroule. Des deux hommes vêtus de lumière aux femmes; des femmes à Pierre et aux premiers disciples; des disciples aux habitants de Jérusalem, puis jusqu'aux extrémités de la terre, jusqu'à nous. C'est une chaîne qui ne doit pas être interrompue.
    A chacun de se demander : Qu'ai-je entendu ? Qu'ai-je reçu ? De quelle parole puis-je me souvenir qui fasse lien, qui fasse sens et témoigne de la résurrection dans ma vie ?
    C'est de cette vie-là, de ce sens-là que je suis appelé à témoigner. Le Vivant est présent dans ma vie.
    Amen.
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 23. Luc présente la mort de Jésus comme une erreur judiciaire

    Luc 23
    6.4.2012, Vendredi-saint
    Luc présente la mort de Jésus comme une erreur judiciaire
    Luc 23 : 22-56
    Télécharger la prédication : P-2012-04-06.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous sommes face au mystère de la mort de Jésus, face au mystère de la croix. Un mystère, pas une énigme, car nous savons comment cela s'est passé. L'enquête est close, les faits sont établis, nous savons comment Jésus est mort. Ce qui reste un mystère, c'est pourquoi est-il mort ?
    Les apôtres dans leurs lettres, puis les quatre Evangélistes, nous livrent chacun des pistes d'interprétation, pour répondre à la question "Pourquoi est-il mort ?"
    Le mystère ne signifie pas qu'il n'y a aucune réponse. L'existence du mystère signifie plutôt qu'aucune de ces réponses n'épuise le sujet. Même, toutes ces réponses ensemble ne comblent pas nos interrogations.
    Comment cela a-t-il pu arriver, que l'humanité présente puisse faire exécuter le Fils de Dieu ? Chacun de nous a besoin d'aborder ce mystère et de trouver une réponse qui le satisfasse, une réponse qui fasse sens, pour soi.
    En rédigeant le récit de la Passion, l'Evangéliste Luc apporte la réponse de sa communauté Le fruit de méditations, de réflexions, d'études des Ecritures et de la vie de Jésus.
    Dans son récit du procès et de la mort de Jésus, Luc met en évidence l'innocence de Jésus. Par trois fois, Pilate déclare qu'il ne trouve aucun raison de condamner Jésus (Luc 23:4, 14, 22). Ensuite, seul Luc rapporte le dialogue entre les deux malfaiteurs sur les croix. L'un accusant Jésus et l'autre protestant : "Pour nous cette punition est juste (…), mais lui n'a rien fait de mal." (v.41). Enfin, troisième témoignage — une fois que Jésus est mort — l'officier romain déclare : "Réellement, cette homme était juste" (v.47). Ainsi Luc nous présente-il la mort de Jésus comme une erreur judiciaire, comme la mise à mort d'un innocent, d'un juste.
    Et Luc montre les conséquences catastrophiques pour l'humanité et la création tout entière. Luc est le seul à parler des femmes qui suivent Jésus sur le chemin de Golgotha et à rapporter les paroles de Jésus : "Ne pleurez pas à cause de moi ! Pleurez plutôt sur vous et vos enfants" (v. 28). Jésus met en évidence que son exécution n'est que la figure, la mise en exemple de toutes les mises à mort injustes à venir dans l'Histoire. Ou si l'on regarde en miroir, il avertit qu'il nous faudra regarder les malheurs, les victimes futures comme son propre martyre.
    On peut penser ici à toutes les femmes et tous les enfants, victimes collatérales des conflits violents, ou celles directement visées et abusées, utilisées, pour faire plier et décourager les aspirations à la liberté. Dans ces femmes et ces enfants, c'est la Passion du Christ qui se répète. Et chaque fois que ces martyres se répètent, c'est le ciel qui s'obscurcit sur toute la terre, de midi à trois heures. Métaphore pour dire la tristesse de Dieu de voir des humains torturés et maltraités.
    Ainsi, dans son récit de la Passion, Luc nous montre toute la noirceur du monde en train d'assassiner le Juste, celui qui venait apporter la lumière aux humains. En ce moment, le Juste est réduit à l'impuissance, la lumière s'éteint, le mal triomphe.
    Il y a cependant, dans le récit de Luc, trois lampes qui brillent dans cette obscurité : ce sont les trois paroles de Jésus sur la croix.
    1) "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font" (v.34). Jésus demande à son Père de ne pas ajouter du malheur au malheur. La situation est déjà assez sombre pour ne pas y ajouter des punitions supplémentaires. La culpabilité est évidente, les hommes se punissent assez eux-mêmes en agissant comme cela. Il n'y a rien à y ajouter.
    2) Sur la croix, Jésus répond en ces termes à la demande du malfaiteur qui reconnaît l'innocence de Jésus : "Je te le déclare, c'est la vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" (v. 43). Une parole de délivrance et d'espérance. Il y a une issue pour ceux qui savent identifier où est le mal et où est le bien, pour celui qui sait distinguer entre le bourreau et la victime.
    Le récit de la Passion lui-même doit nous servir de grille de lecture, de grille d'interprétation dans notre lecture des nouvelles du monde. Nous devons apprendre à distinguer victimes et bourreaux. Jésus sur la croix, se tient résolument aux côtés des victimes, victimes tant des malheurs que de l'injustice.
    3) Au moment de mourir, Jésus crie : "Père, je remets mon esprit entre tes mains" (v.46). Une parole de confiance, une parole de certitude, le Père est là, près du Fils, les bras ouverts. Quand toute la violence du monde et des humains s'est liguée contre Jésus, il n'est pas seul, il n'est pas abandonné. Dieu est de son côté, il peut se réfugier en Lui et Lui remettre sa vie.
    Ces trois paroles illustrent, dans ces sombres événements, trois repères qui vont permettre de traverser la nuit de la mort et préfigurer Pâques : le pardon, l'espérance et la confiance.
    Le pardon sur le passé, sur notre passé, pour se relever comme le paralytique et nous mettre en marche à la suite de Jésus. L'espérance qui nous assure un avenir, l'espérance du royaume de Dieu, qui nous donne un but et une tâche pour mettre un peu de lumière dans notre monde obscur. La confiance pour notre présent, confiance dans la bonté, la bienveillance de Dieu qui veille sur nous comme un Père lorsque nous traversons l'obscurité.
    La mort du Juste nous montre l'obscurité du monde, mais le Juste a allumé les lampes — au cœur de cette obscurité — du pardon, de l'espérance et de la confiance.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012