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genèse - Page 2

  • Genèse 6-9. Premier récit du Déluge

    Premier récit du Déluge dans le livre de la Genèse, des extraits des chapitres 6 à 8. (Texte pour la prédication du 18.2.2007)

    Deux traditions entremêlées constituent le récit biblique actuel. Vous lisez aujourd'hui seulement la tradition la plus ancienne.

    6 5 Le Seigneur vit que les hommes étaient de plus en plus malfaisants dans le monde, et que les penchants de leur cœur les portaient de façon constante et radicale vers le mal. 6 Il en fut attristé et regretta d'avoir fait des hommes sur la terre. 7 Il se dit : « Il faut que je balaye de la terre les hommes que j'ai créés, et même les animaux, grands ou petits, et les oiseaux. Je regrette vraiment de les avoir faits. » 8 Mais Noé bénéficiait de la bienveillance du Seigneur. 7 1 Le Seigneur dit à Noé : « Entre dans l'arche, toi et ta famille, car j'ai constaté que tu es le seul parmi tes contemporains à m'être fidèle. 2 Prends avec toi sept couples de chaque sorte d'animaux purs, mais un couple seulement de chaque sorte d'animaux impurs. 3 Pour les oiseaux, prends aussi sept couples de chaque sorte, afin de sauver leur espèce sur la terre. 4 Encore une semaine et je ferai tomber la pluie pendant quarante jours et quarante nuits; je balayerai ainsi de la surface du sol tous les êtres que j'ai faits. » 5 Noé exécuta tout ce que le Seigneur avait ordonné.7 Il entra dans l'arche avec sa femme, ses fils et ses belles-filles, pour échapper à l'inondation. 8 Les animaux purs, les animaux impurs, les oiseaux et les petites bêtes qui se meuvent au ras du sol, 9 tous arrivèrent jusqu'à l'arche de Noé, deux par deux, un mâle et une femelle, comme Dieu l'avait ordonné. 10 Au bout de la semaine la grande inondation submergea la terre.
    12 Il se mit à pleuvoir sur la terre; la pluie allait durer quarante jours et quarante nuits. 16b Puis le Seigneur ferma la porte derrière Noé. 17b Quand le niveau de l'eau monta, l'arche fut soulevée au-dessus du sol et se mit à flotter. 22 Sur l'ensemble de la terre ferme tout ce qui possédait un souffle de vie mourut. 23 Le Seigneur balaya ainsi de la terre tout ce qui vivait, depuis l'homme jusqu'aux grands animaux, aux petites bêtes et aux oiseaux. Ils furent éliminés de la terre. Seul Noé survécut et, avec lui, ceux qui étaient dans l'arche.
    8 2b La pluie cessa de tomber. 3 Les eaux se retirèrent progressivement de la terre. 6 Au bout de quarante jours Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait ménagée dans l'arche. 7 Il laissa partir un corbeau. Celui-ci sortit et s'en revint bientôt : il fallait attendre que l'eau se résorbe sur la terre. 8 Puis Noé laissa partir une colombe, pour voir si le niveau de l'eau avait baissé. 9 Mais elle ne trouva aucun endroit où se percher, car l'eau couvrait encore toute la terre; elle revint donc à l'arche, auprès de Noé. Celui-ci tendit la main, prit la colombe et la ramena dans l'arche. 10 Il attendit une semaine et la laissa de nouveau partir. 11 La colombe revint auprès de lui vers le soir; elle tenait dans son bec une jeune feuille d'olivier. Alors Noé sut que le niveau de l'eau avait baissé sur la terre. 12 Il attendit encore une semaine et laissa partir la colombe, mais celle-ci ne revint pas. 13b Noé ôta le toit de l'arche, il regarda dehors et constata que toute la surface du sol était sèche.
    20 Noé bâtit un autel qu'il consacra au Seigneur. Parmi les grands animaux et les oiseaux il prit une bête de chaque espèce considérée comme pure et les offrit au Seigneur sur l'autel en sacrifice entièrement consumé par le feu. 21 Le Seigneur respira l'odeur apaisante de ce sacrifice et il se dit : « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais.

  • Genèse 8. Après le Déluge, Dieu décide de changer


    Genèse 8

    18.2.2007

    Dieu décide de changer

    Extraits de Genèse 6-7-8 Voir la note "Déluge, premier récit"    Osée 2 : 20-22


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Combien de fois n'entendons-nous pas des gens dire : "Si Dieu existait, il mettrait fin aux guerres, il mettrait fin à la violence des humains!" Ces personnes ont raison de s'interroger sur la présence du mal, et du mal radical, dans notre monde. Mais quand on demande que Dieu éradique le mal de la surface de la terre, on ne sait pas ce qu'on demande !  On ne sait pas le risque qu'on prend ! On ne sait pas si nous en apprécierions les conséquences ! Et si Dieu nous prenait au mot ?
    S'il fallait éradiquer toute violence, ne faudrait-il pas détruire toute vie sur terre, comme le récit du Déluge nous le rapporte ?  Et pas seulement les humains, les animaux aussi ! La loi de la nature est violente : manger ou être mangé. La nature si adorable que nous contemplons est aussi cruelle. Le coucou que nous aimons entendre chanter ne grandit qu'en chassant les oisillons du nid où il prend place. Et la guêpe qui pond ses œufs dans le corps d'une chenille qui va être dévorée de l'intérieur…
    L'être humain — quel qu'il soit — a toujours une part d'ombre en lui-même. Cette part d'ombre est bien cachée par le vernis social, mais on a vu —pendant l'invasion américaine en Irak — les pillages des banques et des musées dès que le pouvoir s'est effondré.
    Le récit du Déluge dans la Bible essaie de trouver une réponse à ce problème de la présence du mal dans le monde. Comment expliquer sa présence et que nous puissions malgré tout vivre avec ce mal ? Il est à remarquer que ce récit est le contraire d'un paradis perdu.
    Le récit dit que nous vivons dans un deuxième temps de l'histoire et que le premier temps —antédiluvien, avant le Déluge — était un enfer de violence et de confusion. Un tel enfer de violence et de confusion que Dieu a décidé de l'anéantir et de donner la possibilité d'un nouveau départ. Ce récit du déluge est donc un texte pour les rescapés que nous sommes, depuis Noé.
    Quelques mots sur la composition du texte du Déluge (Gn 6-9). Dans la Bible, ces 4 chapitres nous relatent deux récits du Déluge qui ont été entremêlés. Un texte ancien — celui qui est présenté plus haut — qui est de la même plume que Gn 2-3 l'histoire d'Adam et Eve, l'arbre et le serpent, Gn 4 Caïn et Abel et Gn 11, l'histoire de la tour de Babel. L'autre texte, qui date probablement de l'Exil, est de la même plume que le poème de la création de Gn 1 et les généalogies de Gn 5 et 10. Les deux récits du Déluge ont des accents théologiques différents. Aujourd'hui, je ne m'attache qu'au récit le plus ancien.
    Dans ce récit, il est intéressant de voir les places et les rôles respectifs de Dieu et de Noé. Dans le début de notre texte, c'est Dieu qui est aux commandes. Il constate la domination du mal, il est attristé, il prend la décision double d'anéantir la vie sur terre et de sauver Noé, sa famille et les animaux. Dans ce récit, l'arche est déjà prête. Noé peut embarquer. Dernier geste de Dieu : il ferme la porte de l'arche. Noé est passif jusqu'à la fin des 40 jours du Déluge.
    Après les 40 jours de décrue, Noé se met à agir en ouvrant la fenêtre et en procédant au lâcher des oiseaux. Puis il ôte le toit de l'arche pour faire sortir sa famille et les animaux. Enfin, il offre un sacrifice à Dieu. Ainsi, au fil du récit, Dieu laisse la place à l'être humain, il donne à l'être humain le pouvoir sur sa destinée et sa vie, il se fait moins intervenant. Cependant, Dieu n'abandonne pas Noé et les humains. A la suite du sacrifice de Noé, Dieu énonce sa promesse de maintenir les rythmes de la nature (l'arc-en-ciel et le thème de l'alliance appartiennent à l'autre récit). Voici la promesse de Dieu :
    « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais. (Gn 8: 21b-22)
    Ce qui est intéressant dans cette promesse, c'est que Dieu reconnaît que le mal persiste ! Le mal est inscrit dès le début au fond du cœur de l'être humain. Quel constat décevant. En quelque sorte, le Déluge a raté sa mission, cela n'a servi à rien. Quel gâchis !
    Oui, l'être humain et les lois de la nature n'ont pas été changées, alors Dieu prend un décision incroyable, inouïe : il décide que — puisque l'être humain ne change pas malgré le châtiment — c'est lui Dieu qui va changer ! Dieu change de stratégie pour modifier sa relation à l'être humain, il renonce à détruire, il renonce à sa puissance, à sa force pour contraindre l'être humain au changement.
    Dieu réalise : "on ne peut pas changer l'autre," aussi faut-il changer soi-même d'abord pour que la relation change. Alors Dieu change, il ne sera plus le maître et l'homme l'esclave. Dieu a choisi d'ouvrir la relation au partenariat. Plus fort encore, Dieu choisit la formule du mariage. Dieu renonce à l'obéissance et à la soumission de l'être humain, il veut un mariage d'amour.
    Dieu engage — à la suite du Déluge — une entreprise de conquête amoureuse, une démarche de séduction. Cette conquête, il l'entreprend en prenant la décision d'aimer l'être humain tel qu'il est. Il décide de laisser exister l'être humain tel qu'il est et de l'aimer ainsi quelle que soit la route qu'il emprunte.
    N'est-ce pas aussi le chemin que nous sommes invités à suivre : aimer les autres sans vouloir les changer ? C'est ainsi qu'Osée peut dire ces paroles de la part de Dieu envers son peuple :

    "Israël, c'est pour toujours que je t'obtiendrai en mariage. Pour t'obtenir, je paierai le prix : la loyauté et la justice, l'amour et la tendresse." (Osée 2:21)
    Oui, ce n'est pas le Déluge que Dieu nous envoie, mais une déclaration d'amour.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 18. Abraham, moins audacieux que Dieu

    Genèse 18
    8.10.2000
    Abraham, moins audacieux que Dieu
    Gn 18 : 20-32 1 Tim 2 : 1-6 Mat. 5 : 43-46

    Chers Amis,
    Vous savez que les trois grandes religions monothéistes du monde se réclament d'être des descendants spirituels d'Abraham. Ces trois religions sont le judaïsme (0,2 % de la population mondiale*), le christianisme (33,1 %) et l'islam (19,8 %). Ces trois religions ensemble groupent donc 53 % des habitants de la terre. Plus de la moitié des habitants de cette planète se reconnaissent dans la figure d'Abraham, le père de la foi, l'héritier de la promesse de Dieu d'avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel ou les grains de sable des plages.
    Qu'a-t-il donc de si extraordinaire, cet homme, qui vivait il y a près de 4'000 ans ? Ce qu'il a de particulier, c'est d'abord que Dieu l'a choisi pour lui parler, pour se faire connaître. Ensuite, c'est parce qu'Abraham n'a pas hésité à interpeller Dieu, à lui demander de se dévoiler, de se montrer sous son vrai jour ! Abraham n'hésite pas à demander à Dieu qui il est. Est-il un Dieu qui est vraiment Dieu ou simplement un miroir des hommes avec tous leurs défauts et toutes leurs faiblesses ?
    C'est pourquoi, Abraham — ayant entendu le jugement porté contre la ville de Sodome — va questionner Dieu sur ses intentions :
    "Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l'innocent et le coupable ?" (Gn 18:23)
    On sait que les humains ne sont pas très doués pour distinguer les innocents des coupables — même aujourd'hui, il suffit de se rappeler combien d'innocents ont péri sur la chaise électrique ou dans des camps d'extermination au XXe siècle. On sait aussi que la nature — à travers les catastrophes, les maladies ou les accidents — ne fait pas de tri. Ne dit-on pas "ce sont les meilleurs qui partent en premier" ?
    Alors, demande Abraham, Dieu n'est-il qu'une projection des idées de l'être humain sur le ciel ? Dieu n'est-il qu'un autre nom pour la nature impitoyable ? Abraham veut savoir ! Abraham va lutter, marchander avec Dieu pour tester son sens de la justice. Combien faut-il de "justes" pour sauver tout le monde ?
    Remarquez ici qu'il ne s'agit pas de savoir si l'on peut sauver les justes en laissant périr les coupables. L'enjeu est de sauver tout le monde, — les bons comme les méchants — grâce à la présence de quelques personnes différentes, des personnes qui vont faire la différence !
    On sent Abraham — en même temps — fort dans sa revendication et tremblant devant son audace ! Jusqu'où peut-on demander quelque chose à Dieu sans aller trop loin ?
    La négociation s'arrête à 10 justes. Mais le texte ne nous dit pas pourquoi on s'arrête à dix. Dieu n'a pas dit "Ça suffit" ou "Je ne descendrai pas plus bas". Simplement Abraham s'arrête de demander ! Est-ce la limite de Dieu ou est-ce la limite d'Abraham ? Abraham n'a-t-il pas, pour une fois, manqué de foi ?
    Ce que nous connaissons maintenant de Dieu au travers de la personne et de la vie de Jésus nous conduit à penser que la limite a été posée par Abraham et non par Dieu.
    Le Nouveau Testament nous apprend que le but de Dieu — incroyable pour les humains ! — c'est de descendre jusqu'à UN. Un seul juste et tous les humains sont sauvés. L'attitude d'un seul compte et peut tout bouleverser. L'attitude de chacun compte et fait la différence.
    Le Nouveau Testament nous confirme deux choses. Premièrement, Jésus-Christ a incarné cette figure du juste, mais elle a été rejetée par tous. Deuxièmement, Dieu ne fait pas de différences entre les gens. Comme le dit Jésus :

    "Dieu votre Père fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal" (Mat 5:45)
    Cette phrase suit immédiatement la recommandation de Jésus "d'aimer ses ennemis" (Mat. 5:44) "afin que vous deveniez les fils de votre Père" (Mat. 5:45). Dieu ne juge pas, Dieu ne fait pas de tri, il nous demande de l'imiter pour devenir comme lui. Par ces recommandations, Jésus nous demande de sortir de nos comportements communs, dirigés par nos intérêts ou une étroite réciprocité. N'importe qui apprécie celui qui l'aime, cela n'a rien d'extraordinaire. Mais Dieu ne se comporte pas comme cela, et il nous invite à autre chose.
    Il nous invite à cesser d'être simplement un miroir de l'attitude de l'autre, il nous invite à innover, à surprendre, à construire une attitude intérieure et à la maintenir face aux autres. Cela provoque inévitablement des changements puisque la plupart des gens réagissent en miroir.
    Face à Abraham, Dieu montre qu'il ne veut pas partager le monde entre innocents et coupables, entre bons et méchants. Si nous adoptons aussi cette attitude intérieure, nous allons devenir celui qui compte, celui qui fait la différence et le monde changera autour de nous.
    Amen

    * Chiffres tirés du "Calendrier interreligieux 2000/2001", Editions ENBIRO, CP 64, 1000 Lausanne 9.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 45. Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation

    Genèse 45
    29.1.2006
    Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation
    Gn 42 : 6-24 Gn 45 : 1-9 Rm 8 : 26-29

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce dimanche Terre Nouvelle, nous nous penchons sur deux pays voisins — entre eux — le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). Ces deux pays ont fait la une de nos journaux depuis plusieurs années, la plupart du temps malheureusement pour des événements sanglants, génocide, guerre, déplacement de population, camps de réfugiés, guérilla, viols, etc…
    Cependant, même si les journaux en parlent moins, il y a aussi d'énormes efforts de réconciliation qui sont entrepris, notamment au Rwanda. Je n'ai pas la compétence pour vous parler des processus mis en place là-bas pour construire la réconciliation, mais je trouve que le roman autour de Joseph, dans le livre de la Genèse, est une histoire de réconciliation qu'il vaut la peine de regarder de plus près.
    Je ne prétends pas que cette histoire soit le modèle de toutes les réconciliations, mais elle offre une vision d'un parcours qui me paraît instructif. Il émane de cette histoire une vraie sagesse. Voyons cela !
    Vous connaissez les péripéties du début de l'histoire. Joseph, le 11e fis de Jacob se met à dos ses frères aînés en racontant des rêves où il les domine tous. Agacés et jaloux, ses frères veulent le tuer pour s'en débarrasser. Finalement, un peu calmé par un frère aîné, Joseph n'est "que" vendu comme esclave, mais déclaré mort à son père Jacob.
    En Egypte, Joseph — grâce au don divin d'interprétation des rêves qui lui avait valu son mauvais sort — devient premier ministre du pharaon. Il gère tous les greniers du pays. Un jour, il voit venir ses frères pour lui acheter du blé. C'est là que commence l'histoire de leur réconciliation.
    D'abord, il faut relever que cette réconciliation n'est pas donnée comme automatique ou évidente. Dans un premier temps elle va dépendre entièrement de Joseph. Lui seul reconnaît ses frères. Eux pas. Ils sont comme aveuglés. Comment pourraient-ils reconnaître dans l'homme d'Etat, second d'Egypte, le frère nu et misérable qu'ils ont vendu comme esclave ?
    Le récit nous a fait vivre les péripéties de Joseph, mais n'a rien dit de son parcours intérieur. Cependant, ce qu'on voit de lui, c'est un homme sûr de lui dans cette cour de pharaon, un homme reconnu et vénéré pour ses compétences de gestionnaire. C'est loin de l'image d'une victime (du sort ou des circonstances) qui en veut à tout le monde et cherche vengeance !
    Joseph nous apparaît comme quelqu'un qui a digéré ses revers, qui n'en veut plus à ceux qui lui ont fait du tort (et il n'y a pas que ses frères…). Il est pacifié à l'intérieur de lui-même. Cela ne veut pas dire qu'il est angélique et sans méfiance. Il reçoit ses frères avec une certaine rudesse qui relève de la distance de quelqu'un qui a déjà été échaudé. Avant de se dévoiler, il doit vérifier s'il peut ou non leur faire confiance. C'est de la simple prudence.
    Dans les dialogues qui s'instaurent entre Joseph et ses frères, on constate que c'est Joseph qui tient le couteau par le manche. Il a totalement quitté son rôle de victime, il n'a pas attendu de revoir ses frères pour cela, il n'a pas attendu une parole ou un geste de repentance de leur part. S'il avait attendu cela de ses agresseurs, il aurait maintenu vis-à-vis d'eux une dépendance, il serait resté dans son rôle de victime, il serait resté assujetti à leur bon vouloir.
    Il y a là l'idée intéressante que le sort, ou le sortir, du rôle de victime n'appartient absolument pas à ceux qui ont fait du tort, ou aux circonstances, ou à un jugement des coupables. Tout est entre les mains de Joseph. Tout est à l'intérieur de soi, c'est à chacun de choisir et décider de sortir de cet état. Il est clair que c'est plus facile si l'on peut s'appuyer sur des alliés bienveillant, notamment sur Dieu.
    Deuxième constatation, ce sont les frères qui vivent les affres de l'angoisse. Ce sont eux qui ont peur, qui ont honte, qui vivent la culpabilité. Entre eux, ils évoquent leur méfait et font le lien entre leur peur et le mal qu'ils ont commis. Sûr que cela fait du bien à Joseph de les entendre avoir des regrets et des remords. C'est un cadeau pour lui, mais nous avons vu que ce n'est pas une condition pour Joseph pour être en paix avec lui-même.
    Jusque-là, Joseph et ses frères ont parcouru des chemins séparés : Joseph a éteint en lui la rancune, les frères ont réalisé le mal qu'ils ont commis. Le chemin de la réconciliation peut commencer. On pourrait penser que ce chemin va se faire ensemble. Eh bien pas tout de suite. La mise à l'épreuve est encore un chemin séparé. Le récit nous rappelle que les dialogues se font au travers d'un interprète — qui occupe la place d'un médiateur. De fait, les frères ne reconnaissent toujours pas Joseph.
    Joseph est comme caché derrière le masque de sa fonction, cependant ce masque craque. Au fur et à mesure que Joseph découvre à quel point ses frères ont changé — à quel point ils sont unis et solidaires et ne laissent pas tomber celui qui doit rester en otage — Joseph est ému et pleure. Trois fois le texte souligne que Joseph pleure et doit se retirer (Gn 42:24; 43:30; 45:2) Enfin, Joseph, n'y tenant plus, il laisse tomber son masque et se dévoile à ses frères.
    La réconciliation se matérialise autour d'un repas partagé. Fête de retrouvailles où les rôles disparaissent, tous se retrouvent frères, enfants d'un même père. Et là se déroule la dernière étape de la réconciliation : la relecture de l'histoire de Joseph avec cette déclaration : "Ce n'est pas vous qui m'avez envoyé ici, mais Dieu." (Gn 45:8)
    Quelle confession de foi étonnante pour quelqu'un qui s'est retrouvé esclave et prisonnier avant d'être relevé ! "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" Il n'y a pas de plus belle déclaration pour dire qu'il n'existe plus de rancune entre ces frères. C'est peut-être là le secret de Joseph, la force qu'il a utilisée pour sortir du rôle de victime dans lequel ses frères l'ont précipité : s'en remettre à Dieu dans une confiance totale.
    "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" c'est une phrase de confiance totale en la Vie, en Dieu. Une phrase qui affirme que tous les événements peuvent receler un chemin, une voie vers le bien, vers le bonheur, même si l'on passe par des circonstances qui nous abattent.
    C'est cette même confiance totale qui se manifeste dans les paroles de l'apôtre Paul lorsqu'il affirme que "tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu" (Rm 8:28). Comment, dans notre vie, y compris lorsqu'on a été victime ou que l'on se sent victime, arriver à ce stade de sagesse ?
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.