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réformé - Page 21

  • Aggée 1. Donner une place à la vie spirituelle et aller mieux

    Aggée 1
    17.11.2013
    Donner une place à la vie spirituelle et aller mieux
    Aggée 1 : 1-10      Jean 4 : 19-23

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-11-17.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    C’est le message du petit prophète Aggée que nous entendons ce matin. Aggée vit au moment où une partie des exilés à Babylone sont revenus d’Exil. Cela fait une vingtaine d’années que le retour a commencé, qu’il y a eu les premiers retours, rendus possible par l’édit de Cyrus.
    Les anciens exilés ont donc eu le temps de se réinstaller, de bâtir leurs maisons et de se relancer dans leurs activités professionnelles. Et pour Aggée il est temps de se préoccuper de la reconstruction du Temple à Jérusalem. Aussi le prophète pousse-t-il un coup de gueule.
    Il reprend une phrase qu’il a dû entendre au café du commerce : « Ce n’est pas encore le moment de rebâtir le Temple. » En effet, la conjoncture économique n’est pas bonne, les récoltes sont maigres, les échanges n’assurent pas la prospérité, les denrées sont chères, bref, c’est encore la crise.
    Et bien Aggée va retourner ce raisonnement et dire : « oui, observez bien ce que vous voyez autour de vous » (Ag 1:5,7). Oui, il y a pénurie (v.6), mais moi je vous dis que cette pénurie est le résultat de votre incroyance, de votre impiété. Reconstruisez le Temple, tournez-vous vers Dieu et Dieu recommencera à vous bénir et vous sortirez de la crise actuelle. C’est osé comme message ! C’est à cela qu’on voit que c’est un prophète.
    Qu’est-ce que cela nous dit pour aujourd’hui ? Ne vivons-nous pas un temps de crise économique ? L’Europe et le monde occidental ne traverse-t-il pas une crise ? Ne vivons-nous pas une situation sociale semblable ?
    Rassurez-vous, je ne vais pas vous dire qu’il faut construire un nouveau temple, un nouveau bâtiment. Mais peut-être devons-nous bâtir une nouvelle Eglise, dans le sens du message de Jésus à la Samaritaine : « Crois-moi (dit Jésus) le moment viendra où vous n’adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem (…) les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » (Jn 4:21,23)
    Les exilés de retour à Jérusalem avaient tout misé sur leur confort matériel. Aggée les invitent à consacrer de leurs ressources et de leur énergie à Dieu. Il nous appelle aujourd’hui à rééquilibrer nos vies aussi, entre le matériel et le spirituel.
    Où mettons-nous l’équilibre ? A côté de notre confort, avons-nous une assise spirituelle qui nous fait du bien, avons-nous une relation vivante à Jésus-Christ qui nous donne la paix ?
    Comme pratiquants qui venons à l’Eglise nous sommes sûrement mieux lotis que ceux qui ont déserté les Eglises. Regardons ce qui se passe dehors, dans la société. Les gens se tuent au travail et récoltent un misérable salaire. Les gens consomment, mais ne sont pas rassasiés. Les gens boivent, mais n’oublient pas leurs soucis. Les gens suivent la mode, mais ne sont pas satisfaits. Les gens gagnent de l’argent, mais il leur file entre les doigts.
    C’est exactement le diagnostic que faisait le prophète : « Vous avez beaucoup semé, mais votre récolte est faible. Vous n’avez pas suffisamment à manger pour bien vous nourrir et pas suffisamment à boire pour vous rendre gais. Vous n’avez pas assez de vêtements pour vous tenir chaud et le salaire du travailleur s’épuise aussi vite qu’une bourse percée. » (Ag 1:6)
    Que penser de ce parallélisme temporel ? Au fur et à mesure que les Eglises se vident, les gens sont plus malheureux, plus insatisfaits. Moins les enfants entendent les histoires bibliques et fréquentent le catéchisme, plus il y a d’incivilités et de comas éthyliques dans les hôpitaux !
    Personne ne veut voir le parallélisme et encore moins y voir une corrélation. Mais comment penser que la société peut aller bien si plus personne ne donne de bons exemples à nos enfants ? Il a pourtant été montré récemment que les jeunes croyants sont moins sujets aux dépendances, et même que les croyants vivaient plus longtemps ou seraient moins sujets à l’Alzheimer*.
    Aggée demandait de construire un Temple pour retrouver la prospérité et la bénédiction de Dieu. Même si les choses ne sont pas aussi simple et aussi directes, je ne peux pas douter qu’il faut plus d’évangile dans notre monde.
    Nous pouvons être fiers du message dont nous sommes porteurs. Nous pouvons être fiers des valeurs chrétiennes que nous rappelons chaque dimanche et que nous essayons de vivre la semaine.
    La société actuelle — basée sur un bonheur qui ne vient que de la consommation — ne tient pas debout ! Rationnellement, elle ne peut pas se prolonger sans détruire la planète, mais de plus elle est illusoire dans sa promesse de satisfaire nos besoins profonds. Aucun objet ne peut combler notre besoin d’être aimé. Aucune maison richement décorée (Ag 1:4) ne peut combler notre besoin d’être reconnu par un Dieu aimant.
    Notre monde — comme le soutien Aggée — a besoin de se mettre à bâtir un avenir spirituel et relationnel. Nous détenons les plans de ce nouveau Temple dans notre Bible. Nous avons reçu — avec le Christ — la source de reconnaissance et de satisfaction que tout le monde cherche. Partageons-le.
    Amen

    Note * Le lien entre santé et pratique religieuse tient au fait que les personnes pratiquantes mènent une vie plus régulière et adoptent des comportements qui diminuent les risques de mettre leur santé en danger. 
Voir : < http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18790632 > Religion and reduced cancer risk: what is the explanation? A review. in Eur J Cancer. 2008 Nov;44(17):2573-9 ou <http://ije.oxfordjournals.org/content/41/5/1248.full.pdf+html > The Danish religious societies health study, in International Journal of Epidemiology, 2012; 41:1248–1255.

    Le lien entre prière et Alzheimer est suggéré par la presse, mais les données n’ont pas encore été publiées dans des revues médicales éprouvées. < http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/07/26/18701-priere-arme-contre-alzheimer >

    Pour le lien entre pratique religieuse et dépendance, voir le rapport : Évaluation des croyances et des besoins spirituels et religieux des usagers du Centre de réadaptation Ubald-Villeneuve, Québec, p. 18-19  à télécharger ici : Rapport spiritualité CRUV 17juillet09.pdf

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Les six principes du protestantisme

    Galates 5
    3.11.2013
    Les six principes du protestantisme
    Galates 2 : 15-16     Galates 3 : 26-29      Galates 5 : 1-6

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-11-03.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous vivons aujourd’hui le dimanche de la Réformation. Nous nous souvenons qu’en 1536 le canton de Vaud est devenu protestant. Mais qu’est-ce que c’est qu’être protestant ? Quelle est notre particularité, notre spécificité ? Qui pourrait le dire, comme cela, de mémoire ? Et bien, il y a six principes qui définissent le protestantisme. Les réformateurs les ont exprimés en latin, mais je vous les donne d’abord en français :
    1. A Dieu seul la gloire (soli Deo gloria). 2. Par la grâce seule (sola gratia). 3. L’essentiel, c’est la foi (sola fide). 4. La Bible seule (sola scriptura). 5. Se réformer sans cesse (semper reformanda). 6. Le sacerdoce universel (sacerdos universalis). Voilà les six principes auxquels se rattachent ou se réfèrent les Eglises issues de la Réforme, les Eglises qu’on peut dire protestantes. Mais que veulent dire ces principes ? Je vais les reprendre un à un.
    1. A Dieu seul la gloire signifie que seul Dieu est absolu, Dieu seul est sacré. Rien d’autre ni personne ne peut se dire ou se faire proclamer au-dessus de tout et vouloir régner sur tout le monde. D’où la préférence des protestants pour la démocratie, le partage du pouvoir, un pouvoir réparti sur plusieurs personnes élues. D’où le refus des hiérarchies qui seraient « de droit divin » ou « naturelles. » Ce principe nous aide à démasquer ceux qui veulent prendre la place de Dieu, devenir des idoles ou des dictateurs, exiger un culte de la personnalité. Il nous aide à décrypter les idéologies qui restreignent nos choix, nos libertés. Nous devenons méfiants vis-à-vis de phrases telles que : « je ne jure que par cela » ; «  c’est mon idole… » ; « je ne peux plus m’en passer… » Placer Dieu seul au-dessus de tout nous permet de ménager un grand espace de liberté et « ne nous laisser asservir par rien » comme le dit l’apôtre Paul (1 Co 6:12). Cela conduit à l’acceptation des différences, à la tolérance et à la cohabitation de tous avec tous.
    2. La grâce seule renvoie à notre statut de personne. « La grâce seule » est la réponse à la question : Qu’est-ce qui nous donne notre valeur ? Comme protestants, nous affirmons que « la valeur d’une personne ne dépend ni de ses qualités, ni de son mérite, ni de son statut social, mais de l’amour gratuit de Dieu, qui confère à chaque être humain un prix inestimable.* » Cela signifie que chaque être humain possède sa propre valeur et reste un être humain, quoi qu’il arrive. Dieu a placé au fond de nous un noyau irréductible, indestructible, un trésor précieux, l’être qu’il déclare juste, l’être aimé de Dieu. Il faudrait détruire Dieu pour que cette valeur soit détruire en nous. Cela ouvre pour nous-mêmes la possibilité de nous accepter et de nous aimer tels que nous sommes. Cela ouvre de ne pas désespérer des autres, tous également aimés de Dieu. Cela conduit, sur le plan social, à assurer à tous des conditions de vie dignes qui assurent à chacun de se voir reconnu dans la valeur de son être. A chacun Dieu dit : « Tu as de la valeur » et il ajoute « Crois-moi ! » ce qui nous conduit au principe suivant.
    3. L’essentiel, c’est la foi. « Crois-moi ! » c’est l’appel que Dieu nous lance : « Je t’aime, crois-moi ! » Allons-nous le croire, c’est tout ce qui nous est demandé ! La foi est avant tout une expérience relationnelle (ce n’est pas croire en un ensemble de dogmes). C’est se lâcher dans la confiance : oui, je crois que Dieu m’aime. Et souvent, c’est croire malgré tout, en dépit des malheurs. Quand je ne suis plus sûr de moi, quand je ne suis plus sûr de quoi que ce soit, c’est recevoir ce qui me manque d’amour et d’assurance et me dire « pourquoi pas ? » Serait-ce pire de lâcher le malheur que de faire le saut de la foi, de la confiance ? Croire, c’est faire une place en soi pour cette parole d’espérance qui vient d’ailleurs et qui nous dit : puisque tu n’y arrives pas tout seul — et c’est normal, personne ne peut s’en sortir tout seul — pourquoi ne pas accepter, recevoir ce que Dieu donne gratuitement ? Ce principe nous mène à encourager la confiance dans les relations, à combattre la méfiance, l’intolérance et les discours qui divisent. Nous sommes tous dépendants de la grâce et les uns des autres : vivons ensemble en bonne intelligence.
    4. La Bible seule. Quand on dit cela on ne veut pas dire que c’est le seul livre qu’on ait le droit d’ouvrir. On dit que c’est la seule source qui nous est donnée pour connaître Dieu. C’est dans l’Ecriture que Dieu a caché sa Parole et qu’on doit l’y chercher. C’est la source de nos informations sur Dieu. La première chose que la Réforme a faite, c’est de rendre la Bible accessible à chacun, par l’impression de bibles, ce qui a permis d’en avoir une dans chaque foyer ; et par l’ouverture d’écoles pour que tous, garçons et filles, puissent apprendre à lire. C’est un principe qui nous dit : Ne vous contentez pas des ouï-dire, allez vous-mêmes aux sources de l’information et forgez-vous une opinion personnelle. C’est très dangereux ça ! C’est ce que les dictatures ne veulent pas. Et beaucoup de pays ne veulent pas qu’on révèle leurs secrets et mettent en prison ceux qui les révèlent. Laissez-nous espionner en paix, dans le secret. Socialement, ce principe implique de donner à chacun les moyens, pas seulement de s’informer, mais de s’éduquer, de se former, de se développer. C’est dépasser l’assistanat pour trouver des moyens pour que chacun gagne son indépendance.
    5. Se réformer sans cesse, c’est notre attitude protestante vis-à-vis de toutes les institutions, y compris l’Eglise. Toute institution est humaine, donc imparfaite, donc perfectible, donc à réformer sans cesse. Parfois, c’est un peu fatigant, évidemment. Les réformateurs ont développé les concepts d’Eglise visible et invisible. L’Eglise invisible est formée de tous les vrais croyants, mais seul Dieu la voit. L’Eglise visible est l’assemblée des fidèles et l’institution. Il y a toujours un écart entre l’Eglise visible et invisible et donc toujours la possibilité d’essayer de réduire cet écart. Il faut vivre en essayant d’équilibrer la confiance dans les institutions (imparfaites, mais nécessaires) et la critique (bienveillante et constructive) de ces mêmes institutions. Aussi, les protestants sont-ils souvent engagés dans la critique sociale et politique, dans la vie associative ou les ONG. Les protestants, paraît-il, votent nombreux. Avec un tel principe nous essayons constamment d’inventer de nouveaux modèles sociaux ou politiques.
    6. Le sacerdoce universel, c’est l’affirmation, par les réformateurs, que tous les chrétiens sont à la même distance de Dieu. Il n’y a pas de prêtres (ou de pasteurs ou de diacres) qui seraient, de par leur fonction, plus près de Dieu que les fidèles. Nous sommes tous égaux devant Dieu, avec des fonctions différentes, des places différentes, des dons différents, mais chacun a un accès direct à Dieu. Cette position est une affirmation forte en faveur de la démocratie, dans le monde et dans l’Eglise. Cela a conduit à ouvrir le ministère aux femmes. Cela conduit aussi à un devoir d’engagement de tous. Engagements sur des modes différents, mais une égale responsabilité de tous de porter l’Evangile, de porter l’Eglise, de porter le monde. Cela conduit au partage des responsabilités, à déléguer les tâches, à partager le pouvoir et à se méfier de soi-même chaque fois qu’on est en situation de pouvoir. Le sacerdoce universel est la reconnaissance de l’égale valeur de l’action de chacun.
    Voilà les six principes du protestantisme et les valeurs qu’ils dégagent. Ne retrouvons-nous pas une foule de valeurs qui fondent et animent notre société, ici ? Comment rappeler le lien de ces valeurs utilisées par notre société civile avec leur origine et leur lien à la pensée et à la théologie protestante ? Comment inviter les gens à voir cette source, à la reconnaître ?
    Et puis, ne pouvons-nous pas être fiers de cet héritage et le faire savoir ! Nous avons des valeurs que presque tous se sont appropriés, des valeurs qui font grandir la société. Alors — dans un temps où le tissu social se délite — la société a besoin de nous, de nos valeurs et de notre engagement. N’ayons pas peur, soyons fiers d’être protestants. Communiquons nos valeurs.
    Amen
    *citation tirée de <http://www.protestants.org/index.php?id=31055>
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Esaïe 4. Un reste, un germe ? Un trésor.

    Esaïe 4
    13.10.2013
    Un reste, un germe ? Un trésor.
    Esaïe 4 : 2-6      Marc 4 : 30-34
    Téléchargez la prédication ici : P-2013-10-13.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans le dernier journal Bonne Nouvelle (oct 2013, p.17) il y a un article intitulé « La religion des vaudois » accompagné de graphiques qui montrent les pourcentages confessionnels en l’an 2000 et 2010. En bref, on voit que les catholiques restent stables à 31 % quand, dans le même temps, les protestants diminuent, passant de 42 à 29 % de la population résidant dans le canton. Les sans confession doublent leur part de 13 à 26 % pendant la même période.
    Le nombre de protestants est donc en diminution… qu’en penser ? D’abord, j’aimerais vous remercier d’être là dans cette église, parce que vous êtes les protestants fidèles qui faites vivre l’Eglise. Il n’y a donc pas lieu de se culpabiliser et de sombrer dans le pessimisme et les lamentations. Je préfère être reconnaissant de votre présence. Mais nous devons tout de même réfléchir à notre situation et à notre avenir de protestants dans la société.
    J’aimerais mettre notre situation en perspective avec d’autres situations où les croyants se sont trouvés minoritaires. On trouve quelques exemples dans la Bible et dans l’histoire.
    Dans la Bible, on nous présente le peuple hébreu en Egypte, oppressé par le pharaon et obligé de fuir dans le désert vers la terre promise. On nous présente le prophète Elie, prophète minoritaire, resté fidèle, opposé aux prophètes de Baal. On nous présente les rescapés de l’Exil à Babylone, minoritaires de retour à Jérusalem et en Israël. C’est justement la situation que nous avons entendue dans le texte d’Esaïe qui nous a été lu.
    Puis, il y a eu les disciples de Jésus, dont on voit le début du parcours dans le livre des Actes des Apôtres. On peut penser ensuite à des mouvements à l’intérieur de l’Eglise, comme les franciscains, les dominicains, les vaudois de Pierre Valdo et enfin les Réformés, minoritaires, mais très influents.
    Que nous disent ces paroles d’Esaïe à propos des rescapés, du « reste » revenu de Babylone et qui a de la peine à vivre sa foi en Israël ? Esaïe parle de ce qui reste, mais il en parle en terme de « germe » qui va porter du fruit. Ils seront porteurs de la gloire de Dieu, ils pourront être fiers (Es 4:2), ils recevront le titre de « saint », de « consacrés au Seigneur » et ils verront leurs noms inscrits dans son livre de vie (v.3). Leur mémoire ne sera pas perdue, leurs noms seront sauvegardés. Ceux qui avaient l’air de n’être qu’un reste, ceux qui avaient l’air d’être délaissés, abandonnés, Esaïe nous dit que Dieu les sauvegardera, qu’ils ne seront pas oubliés.
    Dieu va procéder à une purification, par le moyen d’un vent de justice dit la traduction, mais il s’agit de l’esprit de Dieu qui va souffler, l’esprit prophétique, celui que nous nommons l’Esprit-saint qui rétablira la justice (v.4).
    Esaïe n’indique pas ce que les rescapés doivent faire. Il ne donne pas de mode d’emploi pour que le germe devienne plante et porte du fruit. Esaïe rappelle seulement l’action de Dieu (v.5). Il dit que Dieu va créer à nouveau — allusion à Genèse 1 et à la création du monde. Esaïe mentionne que Dieu va à nouveau créer la nuée qui accompagnait les hébreux pendant l’Exode le jour, et la fumée et le feu qui les accompagnaient la nuit.
    En rappelant la création et la nuée, Esaïe renvoie les fidèles de Jérusalem à leurs sources, aux récits qui décrivent l’action de Dieu pour leurs pères. Esaïe suggère de venir repuiser aux sources qui nous ont désaltérées et restaurées précédemment. 
    Revenir aux sources de la foi de la Genèse et de l’Exode, de la Bible toute entière pour nous. Le germe se trouve dans la graine. La sève se trouve dans la souche, dans les racines enfouies et qui dorment près de l’eau de source.
    Quand Esaïe parle de re-création, il mentionne qu’elle va avoir lieu sur la montagne de Sion et sur l’assemblée qu’il a convoquée. Pour désigner cette assemblée, Esaïe utilise un mot hébreu qui sera traduit ensuite en grec dans la LXX (la Septante, l’Ancien Testament traduit de l’hébreu en grec) par le mot « ekklesia » qui a donné notre mot « église » — assemblée appelée, convoquée pour écouter Dieu.
    Le message d’Esaïe s’adresse donc particulièrement à nous, petite assemblée qui avons entendu l’appel de Dieu, petit reste, petit germe que Dieu appelle et recrée toujours à nouveau. C’est à ce germe que Dieu promet d’être porteur de sa gloire, de son éclat. Comme la graine de moutarde devient un arbre dans lequel viennent habiter les oiseaux (Mc 4:32).
    Mais la promesse porte aussi sur la protection. Le dernier verset (v.6) promet une hutte, un toit qui protège aussi bien des ardeurs du soleil qui fait dépérir, que de la violence des orages qui emporte tout sur son passage.
    Même si nous sommes peu nombreux, Dieu veille sur nous et nous protège. Il nous invite à retourner aux sources de notre foi. Qu’est-ce qui nous a touché dans le message de l’Evangile ? Qu’est-ce qui nous a mobilisé, appelé, convoqué ? Qu’est-ce qui nous ressource, nous nourrit, nous enrichit ?
    Cela n’est-il pas un trésor que nous pouvons partager avec ceux qui vivent autour de nous, avec ceux que nous côtoyons ? Si l’Evangile nous nourrit, pourquoi le taire ? Pourquoi ne pas dire simplement ce que nous en retirons ? Pourquoi ne pas transmettre à nos enfants, petits-enfants, ce qui nous fait du bien, ce qui nous donne de la force, ce qui nous aide à franchir les obstacles et les difficultés de la vie ?
    Nous avons reçu un trésor, il est en germe, il promet beaucoup de fruits : contribuons à sa germination.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Luc 9. Pouvons-nous vivre avec une image bouleversée de Dieu ?

    Luc 9
    29.9.2013
    Pouvons-nous vivre avec une image bouleversée de Dieu ?
    Esaïe 53 : 2-8    Luc 9 : 18-25
    Téléchargez la prédication ici : P-2013-09-29.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    On n’imagine pas le bouleversement que Jésus apporte à l’image de Dieu, à la compréhension de Dieu ! On sous-estime encore aujourd’hui cette transformation !
    Au milieu de son parcours, Jésus demande à ses disciples ce que les gens disent de lui. Puis Jésus veut vérifier si ses propres disciples le comprennent mieux. S’ils se font une image plus claire, plus juste. Et voilà que Pierre déclare à Jésus qu’il est le Messie, le Christ, l’envoyé de Dieu. Bonne réponse ou pas ?
    Si Pierre a en tête l’idée d’un Messie glorieux qui va appeler une armée d’anges pour renvoyer les Romains chez eux et établir le Royaume de Dieu sur terre, alors il se trompe du tout au tout. Si Pierre a dans la tête les poèmes du Serviteur que l’on trouve dans le livre d’Esaïe et dont vous venez d’entendre un passage, alors il est près de la bonne réponse.
    Jésus va tout de suite mettre les pendules à l’heure pour qu’il n’y ait pas de malentendu, il dit : « Il faudra que le Fils de l’Homme souffre beaucoup » (Lc 9:22)
    Voilà pour ce qui en est de Pierre. Mais qu’en est-il aujourd’hui, autour de nous ? Comment les gens voient-ils Dieu ? Quand on les interroge, on entend souvent ces réponses : « c’est l’être suprême » ; « une puissance d’en-haut » ; « une force qui nous dépasse » ; « une énergie dans l’univers, au-dessus de nous. » Et on attend de lui qu’il mette de l’ordre dans le chaos de notre monde, qu’il stoppe les guerres, qu’il corrige les injustices criantes, qu’il protège chacun et nous rende invulnérables et immortels.
    Ce n’est finalement pas très différent du rêve des zélotes qui attendaient que Jésus chasse les Romains et leur assure liberté et prospérité. Mais voilà, Jésus dit tout autre chose. Le Messie, le Fils de l’Homme doit souffrir, être rejeté, être mis à mort avant de revenir à la vie le troisième jour. (v.22)
    Pouvons-nous vivre avec cette image bouleversée de Dieu ? Jésus ne nous dit-il pas, là, que Dieu renonce à sa toute-puissance à son trône dans le ciel ? Qu’avons-nous à y gagner ? Qu’avons-nous à y perdre ?
    Ce que nous perdons, c’est la possibilité de lui reprocher de ne pas intervenir dans les affaires humains. C’est perdre la possibilité de le confondre avec la nature : il n’est pas le dieu qui déclenche les tremblements de terre et les épidémies. Il n’est pas même « celui qui rappelle à lui les humains. » Jésus nous dit : Dieu n’est pas à cette place, il n’est pas la météo, la nature, le régisseur de l’univers. Inutile de s’en prendre à lui quand on tombe malade ou qu’il nous arrive un malheur.
    Mais où est-il alors, notre Dieu ? Il n’est plus au-dessus de nous : il est à côté de nous, il est en nous et il souffre de nos propres souffrances. « Ce sont nos maladies qu’il subit, ce sont nos souffrances qu’il porte » comme de dit le prophète Esaïe (Es 53:4). Non pas parce que nous les lui infligerions, mais parce qu’il a choisi de vivre avec nous, en nous. Il porte nos souffrances avec nous. Il subit nos malheurs avec nous, il est sur la même route que nous, il nous accompagne et nous soutient.
    Dieu en Jésus est venu assumer notre pleine condition humaine, dont on sait qu’elle est faite de joie et de tristesse, de bonheur et de malheur, de naissances et de décès, de force et de fragilité. Il n’y a pas d’un côté la force de Dieu et de l’autre la fragilité humaine, comme si nous étions adversaires.
    Dieu en Jésus s’est laissé dépouillé de sa force pour venir habiter notre vulnérabilité, notre absolue nudité face à la maladie, au malheur et à la mort. Dieu n’est pas contre nous, il est avec nous dans tous les aspects de notre existence. Cette présence qui habite tous les événements de nos vies nous permet de vivre différemment.
    En effet, le bouleversement que Dieu s’est imposé à lui-même pour nous rejoindre là où nous sommes, ce bouleversement se répercute aussi sur notre image de nous-mêmes. Nous n’avons plus besoin d’être forts et invincibles pour être digne de notre condition humaine. Nous n’avons plus besoin d’être archi-compétents et productifs pour être digne de notre condition humaine. Nous n’avons plus besoin d’être jeunes, beaux et en bonne santé pour être digne de notre condition humaine.
    Hélas, le malheur, les défauts, les erreurs, la maladie, les chutes font partie de la condition humaine. Mais avec Jésus — acceptant ces aspects de la condition humaine — nous n’avons plus besoin de les cacher et d’en avoir honte. Il a déjà tout porté sur la croix, il a déjà tout élevé sur la croix, de sorte que nous pouvons porter, porter haut, élever nos croix sans honte.
    Jésus dit à ses disciples : « Celui qui veut venir avec moi, qu’il cesse de penser à lui-même, qu’il porte, qu’il élève sa croix chaque jour et me suive. » (Luc 9:23). Verset que je comprends comme disant : « celui qui veut venir avec moi, qu’il cesse de penser à son image, à sa réputation, qu’il élève sa condition humaine comme un étendard et qu’il me suive. »
    Il n’y a pas de faute à être humain et à ressentir des émotions humaines dans le malheur. Il n’y a pas de honte à être découragé, abattu par la maladie, à être triste dans le deuil, à avoir peur dans la précarité. La société a peur de tout cela, parce que cela lui renvoie en miroir une image qu’elle déteste.
    Dieu n’est pas comme cela en Jésus-Christ. Dieu nous accueille tels que nous sommes, avec nos émotions, avec nos fragilités et nos vulnérabilités, parce qu’il sait que la vraie vie y trouve son terreau. C’est de cette profondeur humaine que Dieu fait rejaillir de la vie, de la lumière et une force de guérison. C’est de cette profondeur humaine que Dieu ressuscite, re-suscite, en nous la vie et l’amour de la vie, après et malgré les malheurs subis.
    Jésus a accepté toutes les facettes de la condition humaine et par là il renverse non seulement notre image de Dieu, mais également la valeur de notre vie humaine. Ce que le monde méprise, Dieu lui donne de la valeur. Ce que le monde abaisse, Dieu le relève. Ce que le monde abandonne, Dieu en prend soin. Nous qui sommes touchés et fragilisés, Dieu nous accompagne, nous aime et nous soutient.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Psaume 8. Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8
    22.9.2013

    Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8 : 2-10      Matthieu 21 : 12-17
    téléchargez ici la prédication : P-2013-09-22.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Le Psaume 8 nous invite à l’émerveillement et à la louange. C’est un des psaumes « facile » à lire et à comprendre, par rapport à d’autres psaumes qui partent de la situation où celui qui prie est persécuté, des psaumes qui sont donc plus éloignés de nous. Le Psaume 8 évoque en même temps la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain.
    Je vais en faire deux lectures, deux interprétations ce matin. La première interprétation, je vais la faire comme si nous étions des habitants de Jérusalem au temps du roi David. La deuxième lecture, je la ferai en tenant compte de Jésus et des Evangiles, ce sera la lecture typologique. Nous irons alors à la recherche du Christ dans ce psaume selon le conseil de saint Augustin : «  Lis les livres prophétiques, si tu n’y découvres pas le Christ, il n’est rien de plus insipide ni de plus fade. Découvre le Christ, la lecture non seulement est savoureuse, mais elle enivre. » (cité sans source dans http://www.migne.fr/Genese_ PDF22.htm)
    Pour notre première interprétation, je vais vous demander de vous plier à un petit exercice, un petit voyage. Vous pouvez fermer les yeux si cela vous aide. Imaginez que vous vous transportez — par une belle nuit chaude d’été — dans un pré ou un pâturage. Vous êtes couché dans l’herbe et vous regardez la voûte céleste. Si vous êtes en août, vous verrez peut-être passer quelques étoiles filantes. Les yeux fixés sur les étoiles et la voie lactée — bien visible dans cette nuit noire — vous entendez ces paroles :
    O Seigneur que ton nom est magnifique sur toute la terre !
    que ta majesté s’élève au-dessus des cieux.
    Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains,
    la lune et les étoiles, que tu y as placées,
    je me demande : l’être humain a-t-il tant d'importance pour que tu te souviennes de lui ?
    L’être humain mérite-t-il vraiment que tu t'occupes de lui ?
    Or tu l'as fait presque l'égal d’un dieu,
    et tu le couronnes de gloire et d'honneur. (Ps 8:2,4-6)
    Que sommes-nous dans l’univers ? Chaque fois que nous levons les yeux vers le ciel, nous pouvons nous demander à nouveau qui nous sommes. Chacun de nous n’est-il pas si petit, si fragile, si vulnérable sur cette terre ?
    Mais voilà que — mystère — nous profitons de la terre entière. Dieu nous l’a mise entièrement à notre disposition, et il nous a donné des capacités et des compétences pour la gérer et pour dominer autant les animaux domestiques (v.8) que les milieux qui nous sont a priori inaccessibles : les airs et les eaux (v.9). Le rédacteur de ce psaume ne pouvait même pas imaginer à quel point cela deviendrait vrai un jour, cette capacité à tout dominer au point qu’aujourd’hui nous mettons en danger l’entier même de la création. Mais n’anticipons pas.
    Ce psaume est une louange, la reconnaissance que tout ce dont jouit l’être humain vient de Dieu, que Dieu est grand par le don qu’il nous fait de la vie et de la création. La majesté de Dieu est dans cette générosité, dans le fait qu’il a tout mis à disposition de l’être humain, qu’il nous a tout donné gratuitement, gracieusement.
    Pouvons-nous retrouver cet émerveillement ? Pouvons-nous retrouver la reconnaissance de ce don premier ? Nos capacités et nos productions sont importantes, mais elles sont secondes, elles ne sont possibles que parce que Dieu nous a d’abord tout donné en premier.  C’est pourquoi nous pouvons nous associer à cette louange du Ps 8 qui lie de manière inséparable gloire de Dieu et gloire de l’être humain. Ce psaume chante la gloire de l’être humain pour dire la gloire de Dieu.
    Voici pour la première lecture, qui va servir de fondement à la deuxième lecture : voir le Christ dans ces mêmes paroles. Mon point d’entrée c’est le fait que Jésus cite une parole de ce psaume (v.3) :
    « Tu as fais en sorte que même les bébés et les enfants te louent » (Mt 21:16)
    Le verset entier dit ceci : « C’est la voix des petits-enfants, celles des nourrissons que tu opposes à tes adversaires, elle est comme un rempart que tu dresses contre tes adversaires. » Cette phrase est étrange dans un poème sur la grandeur de l’univers et l’importance de l’être humain ! Pourtant elle met en place un fait très important par rapport aux rapports de force, autant dans l’univers que dans la société des hommes, rapports de force que Jésus vient justement révéler, démasquer.
    Quelle est la force des nouveau-nés et des nourrissons ? En terme de force physique : rien, néant. En terme d’image, de révélation, de miroir, la force des nouveau-nés est dévastatrice pour l’agresseur.
    Souvenez-vous : les américains ont déclenché la première guerre du Golfe — après que Saddam Hussein avait envahit le Koweït — quand la nouvelle s’est répandue (bien que fausse, on l’a su après coup) que les soldats de Saddam Hussein avaient sortis des bébés prématurés de leurs couveuses et les avaient laisser mourir sans soins.
    Toucher à un nouveau-né, c’est dévoiler toute son inhumanité. C’est révéler que le monde a besoin de justice, d’une justice plus forte que la pire violence. Tuer des innocents — et nous en avons eu malheureusement trois exemples douloureux avec Lucie, Marie et Adeline — tuer des personnes vulnérables et innocentes nous dit le besoin de changer le monde, de changer la société pour que la violence et la mort n’aient pas le dernier mot.
    Cela nous dit notre besoin que la confiance et l’amour, l’agapè du Nouveau Testament, prenne plus de place parmi nous. C’est ce que Jésus est venu révéler à l’humanité, de deux façons qui transparaissent dans le psaume.
    Premièrement, Jésus vient habiter dans un corps d’homme. L’incarnation montre à quel point Dieu prend en considération notre condition humaine, à quel point il l’élève et la glorifie. L’incarnation est le couronnement de gloire dont parle le Ps 8 (v.6).
    Deuxièmement, le Christ révèle la victoire finale de l’amour sur toute violence et toute mort en acceptant de devenir le plus vulnérable des humains, en prenant sur lui cette violence des hommes qui le clouent sur une croix. C’est ainsi que Dieu « met toutes choses sous les pieds » de Jésus (v.6), non pas par une violence nouvelle qui ne ferait que poursuivre l’escalade, mais en « amortissant sur lui » les coups de cette violence.
    A chaque mort innocente, c’est à nouveau le Christ qui est mis en croix. Chaque fois qu’un des plus petits est méprisé, c’est à nouveau le cri du plus vulnérable des nourrissons qui dénonce le bourreau. C’est à nouveau la revendication — non de la vengeance — mais de notre besoin de vivre l’amour tel que le Christ l’a vécu et nous appelle à le vivre. C’est l’affirmation que la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain ne se rencontrent que dans l’amour, l’agapè.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Jean 3. Regarder le mal en face (Typologie V)


    Jean 3
    15.9.2013

    Regarder le mal en face (Typologie V)
    Nombres 21 : 4-9        Jean 3 : 12-18

    Télécherger la prédication : P-2013-09-15.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,
    Quand on entend cette phrase de l’Evangile de Jean : « De même que Moïse a élevé le serpent de bronze sur une perche dans le désert, de même le Fils de l’Homme doit être élevé » (Jn 3:14) c’est comme si on regardait à travers une fenêtre qui nous fait remonter de près de 2'000 ans en arrière. On y voit comment la communauté rassemblée autour de l’apôtre Jean interprétait l’Ancien Testament et comment elle comprenait le destin mystérieux de Jésus.
    Il faut bien s’imaginer que les premiers chrétiens ne disposaient pas comme nous des Evangiles, puisqu’ils étaient en train de les composer. Ils se racontaient les événements de la Passion et de la vie de Jésus, et ensemble, en communauté, ils essayaient de les comprendre, d’en saisir le sens et la portée. Ils le faisaient en puisant dans l’Ecriture disponible, c’est-à-dire l’Ancien Testament. Et c’est ainsi qu’ils ont mis en relation ce récit assez obscur du livre des Nombres avec la Passion de Jésus.
    La communauté johannique essaie de comprendre la relation entre ce qui est terrestre et ce qui est céleste. Comment Jésus fait-il le lien entre le haut et le bas, la terre et le ciel, Dieu et les humains ? Comment ces deux univers se rejoignent et en même temps se séparent ?
    Ce récit du livre des Nombres nous donne quelques pistes. Le serpent représente ce qui est terrestre, obscur, ce qui vient des profondeurs, des ténèbres, le négatif. Le serpent apporte la mort par sa morsure, comme par sa ruse et sa tromperie dans le récit d’Adam et Eve devant l’arbre.
    A l’opposé, Jésus vient du ciel, il apporte la lumière et le salut, il représente tout ce qui est positif. Et pourtant ,Jean met le serpent et Jésus en parallèle : «  de même que le serpent… de même le Fils de l’Homme doit être élevé. » Jean les superpose, qu’est-ce que cela signifie ?
    Que se passe-t-il dans le récit de l’Ancien Testament ? Si l’on essaie de sortir de l’anecdotique, de la situation matérielle, que signifie ces gestes, ce procédé ? Pour parer à une attaque du mal, Dieu demande à Moïse de placer ce mal-même sur une perche pour que tout le monde puisse le regarder, avec pour but de guérir ceux qui le regardent. C’est une façon de regarder le mal en face, pour y échapper.
    L’attitude opposée, c’est de faire comme si le mal n’existait pas, en espérant y échapper. C’est quelque chose que nous faisons facilement. On a peur d’aller chez le médecin, de crainte qu’il ne nous trouve une maladie. On refuse de voir que notre relation avec quelqu’un se dégrade, de sorte qu’on ne fait rien pour la corriger et améliorer les choses et en effet elle se détériore. Cela s’appelle le déni.
    Le récit de l’élévation du serpent au désert nous invite à sortir du déni pour embrasser les problèmes à bras-le-corps pour les corriger et les résoudre. Le salut est dans le fait de voir ce qui nous fait mal et de pouvoir le corriger. Cela à un niveau terre-à-terre, pour éviter de mettre la poussière sous le tapis.
    Comment cela se passe-t-il au niveau céleste, avec Jésus ? L’Evangile de Jean nous dit que c’est la même chose. Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal qui nous ronge, le mal que nous subissons et le mal que nous commettons, afin d’en être délivré.
    C’est osé pour Jean de nous dire — entre les lignes — que Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal en face ! Enfin quoi, Jésus n’est pas le mal !
    Non, il n’est pas le mal, mais il est le miroir de notre mal, comme le prophète Esaïe l’avait annoncé : « il s’est laissé mettre au rang des malfaiteurs, alors qu’il avait pris sur lui toutes nos fautes » (Es 53:12).
    C’est le mal que nous faisons, qui est exposé sur la croix. Jésus est la figure de toutes les victimes, de tous ceux qui sont bafoués, persécutés, blâmés. Par cette comparaison avec le serpent d’airain, Jean fait apparaître les deux faces de la croix : mort et élévation, jugement et salut, châtiment et libération, mort et résurrection.
    Sur la croix, c’est le mal, le malheur et toute la violence humaine qui est montrée au monde : voici à quoi aboutit l’accumulation de toutes nos petites fautes qui apparaissent dérisoires prises une à une, mais qui finissent par créer un monde irrespirable et invivable où le plus faible finit par être évincé, exclu, éliminé.
    Mais sur la croix se voit aussi le don de Dieu. Dieu fait don à l’humanité du remède contre le mal. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique… » (Jn 3:16). Dieu a accepté que son Fils descende sur la terre et prenne le risque d’être mis à mort pour révéler la nature violente de nos comportements.
    Regarder la croix de Jésus, c’est voir le mécanisme du mal qui s’abat sur lui, comment les hommes se liguent contre celui qui leur tend un miroir…
    Regarder la croix et la Passion de Jésus, c’est voir le mécanisme de la violence humaine à l’œuvre et peut-être, on l’espère, apprendre de cette vision à reconnaître ce mécanisme dans le temps présent, chaque fois que la violence s’abat sur un faible.
    Voir chaque fois que les puissances — aujourd’hui elles sont économiques — broyent des petits dans des horaires de travail impossible. Voir en notre cœur chaque fois que le blâme prend la place de la compassion. Voir chaque fois que l’institution entrave les relations interpersonnelles.
    Regarder la croix nous permet d’adopter une attitude conforme à celle de Jésus qui fait passer l’amour, l’agapè, avant toute autre considération.
    Voir la croix comme le lieu de l’élévation de Jésus comme sauveur, c’est accepter qu’il nous guérisse de tout germe de violence, de haine, de racisme, pour nous ouvrir à l’accueil et à l’amour les uns à l’égard des autres. C’est à cet amour-là — non-violent et accueillant — que le Christ nous invite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 45. Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)

    Genèse 45
    8.9.2013

    Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)

    Genèse 37 : 1-9      Genèse 45 : 1-10     Marc 9 : 33-37
    Télécharger la prédication : P-2013-09-08.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    J’aime beaucoup cette histoire de Joseph, le fils de Jacob. Cette histoire nous parle de la vie, de la vie réelle, avec ses hauts et ses bas, les relations difficiles, les chutes et les ascensions vertigineuses.
    Précisément, cette histoire nous parle de la jalousie dans une fratrie, de la haine et du rôle de bouc émissaire quand les frères veulent tuer Joseph, et finalement le vendent comme esclave. Cette histoire parle du travail qui fait progresser et de l’injustice qui fait chuter, Joseph se retrouve en prison. Cette histoire nous parle de compétence et de réseau social quand la capacité à interpréter les rêves fait sortir Joseph de prison et l’amène devant Pharaon qui le nomme premier ministre.
    Ce récit nous parle de relations familiales difficiles, de mise à l’épreuve pour sonder les intentions, de tentatives de réconciliation, de savoir s’il faut ou non montrer ses émotions, de remplacer la rancune par la générosité.
    Ce récit peut donc être lu comme un enseignement sur la vie, comme une histoire déployant une certaine sagesse, dont nous pouvons tirer des leçons pour notre vie. Mais cette histoire n’est pas seulement cela. Cette histoire peut également se lire à un deuxième niveau, en regardant ce qui donne la force à Joseph de tout supporter et de surmonter les événements contraires, les malheurs. Oui, comment supporter la haine de ses frères, comment supporter d’être injustement jeté en prison, comment rester zen à ce point ?
    Joseph peut le faire parce qu’il regarde ce qui lui arrive d’une façon différente de l’ordinaire.
    Reprenons les rêves d’adolescent que Joseph raconte à ses frères : les onze gerbes de blé et les onze étoiles figurent ses frères qui se prosternent devant lui. Les frères lisent cela au premier degré : Joseph veut devenir leur maître, il veut que ses frères, ses aînés, soient ses serviteurs. Et cela les rend fous et on les comprend.
    La lecture que Joseph fait de ces rêves n’a rien à voir avec la domination. La clé nous en est donnée dans le chapitre 45 de la Genèse, lorsque Joseph dit à ses frères : «  Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de Pharaon. » (Gn 45 :8) En effet, ici le rêve de Joseph s’est réalisé, ses frères se sont prosternés devant lui pour obtenir du blé, mais c’est dans une perspective de salut et pas de domination.
    Joseph ajoute encore — laissant tomber toute rancune : « Ne vous faites pas de reproches pour m’avoir vendu ainsi. C’est Dieu qui m’a envoyé ici à l’avance, pour que je puisse vous sauver la vie. » (Gn 45 :5).
    Joseph ne regarde pas la jalousie et la haine passée de ses frères, il voit la trame sous-jacente de sa vie, comment Dieu a tout organisé pour sauver sa famille. Joseph surmonte tous les obstacles parce qu’il fait pleinement confiance en Dieu, en un Dieu qui le soutient et le relève à chaque étape de sa vie.
    Joseph arrive à avoir et à garder ce regard sur sa vie. C’est le regard qu’essaient de nous donner les Evangiles en nous racontant la vie de Jésus. Un regard qui voit comment Dieu agit, quelles positions Dieu prend dans la vie, pour nous. Et c’est là que nous pouvons faire des parallèles entre la vie de Joseph et celle de Jésus, des parallèles qui viennent de la constance de l’action de Dieu, de sa position permanente. C’est ce que nous apprend la lecture typologique de la Bible, comme nous l’avons déjà vu précédemment.
    Comme les frères de Joseph complotent pour le faire mourir, les prêtres et les pharisiens complotent contre Jésus pour le faire mourir.
    Comme Joseph est écarté, exclu de sa fratrie, Jésus est écarté, exclu de la société des hommes par sa condamnation à mort, « La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle » (Mt 21:42; Mc 12:10; Lc 20:17; Ac 4:11; 1 P 2:7).
    Comme Joseph devient le sauveur de ses frères, Jésus devient le sauveur de l’humanité.
    Dans les deux récits de vie, on voit la position que Dieu prend. Celui que les hommes écartent, Dieu lui donne une place de choix ; celui qui tombe, Dieu le relève. Et là, il est à noter que les évangiles utilisent deux mots pour parler de la résurrection, tantôt Dieu réveille Jésus, tantôt Dieu relève Jésus de la mort.
    Ainsi Dieu cherche toujours à nous relever de nos malheurs, de nos échecs, des injustices qui nous arrivent. Le Dieu de Joseph, auquel il fait confiance, est un Dieu qui recueille les exclus, les laissés pour compte, les méprisés.
    Vous avez entendu Jésus parler à ses disciples quand il les surprend à se demander lequel d’entre eux est le plus important. Il leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9:35).
    Dieu a une autre échelle de valeur que celle de notre société actuelle. L’importance ne dépend pas de la célébrité ou du nombre d’amis sur Facebook. La vraie grandeur se révèle dans le service et souvent dans le service le plus humble, le moins visible.
    Ah si notre société donnait plus de valeur à l’attention d’une maman pour chacun de ses enfants ! Ah si notre société donnait plus de valeur aux gestes de respect des uns envers les autres, on verrai moins d’incivilités ! Ah si notre société donnait plus de signes de reconnaissance à ceux qui exercent des fonctions publiques indispensables au bon fonctionnement de la société : enseignant, gendarmes, infirmières, voyers, caissières, personnel des EMS, etc…
    Ces fonctions de service, si souvent méprisées, Dieu les place en haut de l’échelle des valeurs et nous pouvons nous aussi leur donner une plus juste appréciation.
    Joseph a su voir, dans sa vie, la valeur que Dieu donne à ces services, à ces personnes méprisées et cela lui a donné la force de tenir, de surmonter le malheur, jusqu’au retournement de sa situation.
    Saurons-nous avoir le courage de lire la trace de Dieu dans nos vies, la valeur qu’il donne à chacun de nos gestes ?  Saurons-nous voir comment il retourne les valeurs dans nos vies, comment il peut changer notre regard pour adopter la valeur que lui-même donne plutôt que le mépris qu’affiche la société ? Saurons-nous voir comment Dieu travaille à nous relever, à nous redonner vie et force pour avancer ? Saurons-nous être fiers d’être au service de la société, sachant que Dieu — à défaut des hommes — que Dieu apprécie à sa juste valeur ce que nous faisons et ce que nous sommes ?
    Amen.
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Exode 14. La mort est engloutie (Typologie III)

    Exode 14
    25.8.2013
    La mort est engloutie (Typologie III)
    Exode 14 : 5-31     1 Corinthiens 15 : 51-58

    Télécharger la prédication : P-2013-08-25.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Je continue ma série de l'été qui nous permet de voir comment l'Ancien Testament éclaire certaines paroles du Nouveau Testament et leur donne une dimension plus compréhensible. Cela demande d'entendre les récits de l'Ancien Testament davantage comme des images de notre vie et moins comme des reportages historiques.
    Pour ce matin, j'ai choisis cette parole de l'apôtre Paul qui dit "La mort a été engloutie dans la victoire du Christ" (1 Co 15:54). L'apôtre Paul — dans son annonce de l'évangile —  met la mort et la résurrection de Jésus au centre de son message. C'est sur la croix que tout se joue pour nous. C'est vraiment difficile à comprendre et à croire pour nous aujourd'hui.
    Que veut dire "la mort est engloutie" ? Il est important de s'en faire une idée, puisque c'est ce que nous disons qu'il se passe dans le baptême. Sur la croix, la mort a été engloutie.
    Pour comprendre cette notion, il faut aller voir le récit de l'Ancien Testament que vous avez entendu, sur le passage à pied sec de la Mer Rouge par les hébreux, sous la conduite de Moïse. Souvenez-vous, depuis Joseph, le fils de Jacob, le peuple hébreu habitait dans le delta du Nil, en Egypte. Le peuple s'est développé au point que le pharaon l'a vu comme une menace et l'a réduit en esclavage. Le pharaon a soumis les hébreux à de lourdes corvées, au point de les mener à la révolte.
    C'est Moïse qui mène la révolte et négocie avec le pharaon le départ des hébreux, d'où la célèbre chanson "Let my people go", "Laisse aller mon peuple." Pharaon finit par céder, laisse partir le peuple d'Israël, mais se ravise et se met à les poursuivre avec son armée. Ici commence le récit que vous avez entendu.
    Le peuple a peur, il fait des reproches à Moïse, à quoi bon nous libérer d'Egypte si c'est pour mourir au désert, il y avait assez de tombeaux en Egypte. Sortons de l'histoire d'il y a 3'000 ans pour voir à quel aspect de nos vies ce récit ressemble.
    Parfois, on se trouve à un tournant dans nos vies. On doit quitter une situation établie pour une autre que nous espérons meilleure, Quitter un logement pour un autre. Espérer un autre emploi après avoir été licencié. Et nous vivons des sentiments ambivalents. A un moment nous nous réjouissons de l'avenir, ce sera mieux, il y aura de la place, ce sera plus intéressant.
    Et par moments, nous sommes remplis d'inquiétude, est-ce que ça va jouer, ne devrais-je pas regretter le connu que j'abandonne pour de l'inconnu ? Regrets de ce qu'on quitte et peur de ce qui doit venir. Cela aussi nous habite.
    Ainsi, nous sommes le peuple en marche vers l'inconnu, avec une armée de soucis et d'inquiétude à nos trousses, avec nos interrogations : ai-je fait le bon choix, vais-je réussir ou échouer, vais-je tenir la pression, le stress ?
    A chacun de donner un nom à cette armée qui nous poursuit dans le chenal que Moïse a ouvert devant nous dans la Mer Rouge. A chacun de donner un nom à la terre promise qui nous attend après la traversée du désert. A chacun de nous de donner un nom à la force qui ouvre un chemin devant nous et qui engloutit derrière nous les soucis, les angoisses ou le désespoir qui nous poursuivent.
    Comme chrétiens, nous entendons comme venant de Dieu les paroles de Moïse à son peuple : "N'ayez pas peur, tenez bon et vous verrez comment le Seigneur interviendra." (Ex 14:13) Le Seigneur intervient pour ouvrir une voie devant nous. Une route qui éloigne des tombeaux de l'Egypte et qui nous conduit à la vie, à une vie vraie, enrichissante. Cette traversée, de la mort vers la vie, nous la symbolisons dans le baptême en Christ.
    L'eau du baptême, nous la recevons comme l'eau de la Mer Rouge, que nous traversons vers la vie et qui vient engloutir tout ce qui nous poursuit, qui vient engloutir le mal que nous traînons derrière nous. Evidemment, lorsque nous baptisons un tout petit enfant, nous ne pensons pas à ce qui l'encombre maintenant, mais plutôt aux fardeaux qu'il accumulera petit à petit, comme nous l'avons fait nous-mêmes jusqu'à maintenant. 
    En nous rappelant notre propre baptême, nous pouvons demander à Dieu de nous faire — à nous aussi — traverser à nouveau la Mer Rouge pour qu'il noie derrière nous tout ce qui nous encombre et nous freine. Pour noyer, engloutir tout ce qui nous retient dans notre Egypte intérieure et nous empêche de marcher, de progresser vers la terre promise. Pour noyer, engloutir nos angoisses et nos peurs, pour pouvoir marcher dans la confiance et la sérénité. Pour noyer, engloutir tout ce que nous n'arrivons pas à nous pardonner à nous-mêmes.
    Sur la croix, le Christ a à nouveau traversé cette Mer Rouge pour que la mort elle-même soit engloutie, anéantie, pour que tout ce qui doit mourir en nous soit emporté avec le Christ sur la croix, afin que nous recevions la vie, la vraie vie, la vie en abondance.
    "N'ayez pas peur, tenez bon, Dieu nous donne la victoire en Jésus-Christ." (Ex 14:54 et 1 Co 15:57) Si nous acceptons de faire ce chemin avec lui, à entrer dans ce chemin de la Mer Rouge, à faire le saut de la foi, alors Dieu engloutira derrière nous tout ce qui nous fait peur, tout ce qui nous angoisse, toutes nos fautes, pour nous conduire dans une vie libérée et joyeuse. 
    Oui, Dieu ouvre devant nous un avenir et nous pouvons avancer à notre tour avec cette confiance qu'un chemin se dessine sous nos pas et que Dieu engloutit derrière nous — en Christ — nos peurs et nos angoisses.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 22. D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

    Genèse 22
    18.8.2013
    D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

    Genèse 22 : 1-14    Hébreux 11 : 11+17-19     Jean 1 : 24-31
    Télécharger la prédication : P-2013-08-18.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans ma série de l’été sur la lecture typologique de la Bible, nous embarquons ce matin dans un des textes les plus difficiles de l’Ancien Testament, la ligature d’Isaac, titre préférable — et utilisé par les juifs — au sacrifice d’Isaac, parce que justement ce sacrifice n’a pas eu lieu.
    Un mot d’abord sur la lecture typologique. C’est la lecture qui a été pratiquée par la première Eglise, avant la rédaction du Nouveau Testament et poursuivie plus tard, qui consiste à chercher dans l’Ancien Testament ce qui est dit du Christ et de son destin. Le Père de l’Eglise Irénée disait : « Partout dans l’Ecriture se trouve disséminé le Fils de Dieu » (Contre les hérésies, IV, 20 et 39). Chercher la présence du Christ dans l’Ancien Testament donne une saveur au texte et à la recherche, et contribue à éclairer notre compréhension des mystères du Christ.
    Voyons comment cela peut apparaître avec le récit de Genèse 22. Une première lecture du récit, avec les lunettes du XXIe siècle nous fait apparaître des personnages aux comportements inacceptables ! Quel père indigne, quelle image de maltraitance que de soumettre un enfant à un simulacre d’exécution !
    Mais la Bible n’est pas un journal du matin, ce récit n’est pas un reportage. Le texte est le fruit d’une histoire et d’une longue réflexion qui expose une construction théologique, que nous allons nous efforcer de comprendre.
    S’il est effectivement choquant que surgisse la demande d’un sacrifice humain, il faut relever que le récit est justement construit pour l’éviter, puis pour condamner la pratique des sacrifices humains. Ce but a sûrement été la première raison de la rédaction de ce récit : Dieu ordonne de sacrifier un animal, pas un humain.
    Le récit de la ligature d’Isaac est donc un récit sur la substitution, sur l’échange : la vie humaine est sauvée par son remplacement par la vie animale, un bélier ou un agneau. Cela a probablement été le « premier travail » du Dieu d’Israël d’abolir les sacrifices d’enfants (Michée 6:7) qui étaient pratiqués dans la religion phénicienne ou celle du dieu Moloch. L’institution du Temple et des sacrifices animaux en découle. C’est un net progrès de la vie religieuse, mais cette économie du sacrifice reste une économie de marchandage entre l’être humain et Dieu. « Je te sacrifie cela, mais alors donne-moi ceci… » ou « Si tu me donnes cela, alors je te sacrifierai ceci… » Vous connaissez ces marchandages qu’on fait avec Dieu quand on est pris dans une situation inextricable.
    Est-ce vraiment le type de relation que Dieu veut entretenir avec nous ? Est-ce que ces marchandages suffisent à tenir éloignée de nous l’angoisse d’en faire assez, d’être à la hauteur ou d’être assez juste devant Dieu ? Soyons honnêtes, cette économie du marchandage religieux ne peut qu’aboutir à notre désavantage devant Dieu. Qui peut se prétendre sans tache, sans péché ?
    La substitution d’Isaac par le bélier annonce l’intention de Dieu de sauver l’être humain, mais pas seulement d’éviter d’être sacrifié, mais aussi d’être sauvé de l’angoisse de l’insuffisance, d’être sauvé de la mort pour vivre, d’être réhabilité dans la présence de Dieu. Ainsi, cette substitution d’Isaac annonce une nouvelle substitution et un nouvel échange, celui du Christ. Et c’est là que nous pouvons repérer les similitudes entre ce récit et celui de la Passion de Jésus énoncées dans le Nouveau Testament. Isaac et Jésus sont dit « fils unique » ; ils se soumettent tous deux à la volonté de leur père. Abraham arrive sur la montagne le troisième jour (Gn 22:4). Jésus porte sa croix comme Isaac porte le bois du sacrifice. Il y a substitution d’Isaac par le bélier. Une substitution a lieu avec Jésus-Christ. Cette substitution est exprimée de différentes façons dans le Nouveau Testament.
    On peut mentionner la phrase de Caïphe que j’ai mentionnée dimanche passé : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt plutôt que tout le peuple. » (Jn 18:14) Cette phrase de l’Evangéliste Jean est à double sens. Elle dit aussi bien l’utilité pragmatique qu’y voit Caïphe que la vérité théologique de la substitution : en effet, la mort de Jésus remplace la mort de toute l’humanité. Et on peut mentionner le personnage de Barrabas (Jn 18:40) qui a la vie sauve parce qu’il est remplacé par Jésus comme condamné à mort.
    Et puis, il y a l’annonce de Jean-Baptiste qui dit à propos de Jésus : « Voici l’agneau de Dieu. » (Jn 1:29) Cela donne l’impression que Jean-Baptiste fait une substitution inverse du récit de Genèse 22 : l’agneau du sacrifice redevient un être humain. Mais justement, le récit de la ligature d’Isaac nous interdit ce retour en arrière. Dieu ne va pas défaire ce qu’il a fait précédemment. La mort de Jésus n’est pas un sacrifice humain. Il y a bien une substitution, mais elle est d’homme à homme, d’être humain à être humain et pas sur le mode du sacrifice.
    Je reviens un peu en arrière. Nous avons vu que le mode de fonctionnement du Temple est un système de marchandage ou de rétribution. Il a fallut mettre cela en place pour supprimer les sacrifices humains. Cet échange était une bonne chose, mais ce n’est pas l’idéal auquel Dieu voulait aboutir. Il y a encore un changement à faire.
    En fait Dieu — et on le voit abondamment chez les prophètes, quand ils disent, ce ne sont pas les sacrifices, mais la justice que je demande (Prov 21:3, Es 1:10-17, Michée 6:6-8) — Dieu souhaite sortir du système des sacrifices pour arriver à un autre mode de relation, sur le mode de la justice et de la confiance. C’est la confiance, la foi, que Dieu cherche, pas la soumission par le marchandage et la rétribution.
    Pour arriver à une relation de confiance entre l’être humain et Dieu il faut sortir de l’économie du Temple, il faut sortir du tribunal où tout se paie. Pour sortir de ce système marchand, il faut effacer l’ardoise et repartir sur une autre base. Ce n’est pas le débiteur qui peut effacer l’ardoise, mais seulement le créancier, en donnant un gage de sa bonne volonté, de sa bonne foi. Et Dieu l’a fait en se donnant lui-même à l’humanité, sous la forme de ce qu’il a de plus précieux, son fils unique. Ainsi, Dieu lui-même opère la deuxième substitution, notre dette contre son bien le plus précieux. C’est ce qu’on exprime lorsqu’on dit que Jésus est mort à notre place, qu’il est mort pour nous. Ce n’est pas un sacrifice, c’est un don. Cela ne relève plus de l’économie marchande du Temple, mais de l’économie non-marchande de l’amour.
    Ainsi, ce que nous apprennent ensemble Genèse 22 et le Nouveau Testament, c’est que deux substitutions successives — Isaac remplacé par le bélier, l’humanité remplacée par Jésus-Christ — ont produit le changement voulu par Dieu : quitter le domaine du marchandage religieux pour entrer dans une relation nouvelle avec Dieu,  une relation marquée par le don et plus par la dette; une relation marquée par l’amour et plus par la peur; une relation marquée par la reconnaissance et plus par le sacrifice ; une relation marquée par la vie et plus par la mort.
    La ligature d’Isaac remplace le sacrifice humain par le sacrifice animal, mais reste dans le système de rétribution. Jésus, qui donne librement sa vie pour remplacer tous les sacrifices et les marchandages avec Dieu, ouvre une relation nouvelle avec Dieu, une relation faite de confiance et d’amour réciproque. Ainsi la Passion du Christ nous révèle la nouvelle nature de la relation à Dieu, une relation d’amour.
    Dimanche prochain, nous traverserons la Mer Rouge avec Moïse et nous verrons ce que ce récit apporte à notre compréhension du baptême.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 4. Abel, figure du Christ (Typologie I)

    11.8.2013
    Genèse 4
    Abel, figure du Christ (Typologie I)

    Genèse 4 : 2b-11       Luc 24 : 25-27

    Télécharger la prédication : P-2013-08-11b.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui et les prochains dimanches de cet été, je vais vous entraîner dans la redécouverte d'une très ancienne façon de lire les textes bibliques, une méthode qui s'appelle la "typologie." Nous allons reprendre des textes de l'Ancien Testament pour voir ce qu'ils nous apportent comme compréhension nouvelle du Nouveau Testament et particulièrement de la personne et du ministère de Jésus.
    Cette lecture "typologique" de l'Ancien Testament a été, en fait, la lecture de la première Eglise. C'est tout ce qu'elle pouvait faire avant la rédaction du Nouveau Testament. Comment cette première Eglise, issue des apôtres, pouvait-elle comprendre la vie et la mort de Jésus, si ce n'est en allant puiser dans les textes de la tradition juive, la Torah et les prophètes ? Et c'est bien cette méthode qui apparaît dans le récit des disciples d'Emmaüs, dans le passage qui vous a été lu.
    Les deux disciples marchent en compagnie de Jésus qui est encore incognito. Ils ne comprennent pas la mort tragique de Jésus à Jérusalem. C'est alors que Jésus leur révèle la clé, la source de la compréhension de ce qui lui est arrivé : (ma traduction) "Vous serez dans l'ignorance, tant que vous ne vous mettrez pas à croire ce qu'ont déjà énoncé les prophètes." (Luc 24:25). Pour Jésus, l'Ancien Testament est une longue préparation à la compréhension de ce qui lui est arrivé.
    Et Luc continue son récit en décrivant ce que Jésus fait pour ces deux disciples : " En commençant par Moïse et en continuant par tous les prophètes, il leur expliqua tout ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Ecritures." (Luc 24:27). Voilà un catéchisme qu'il serait utile de posséder ! Jésus explique donc à ces deux disciples tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament, de la première à la dernière page.
    Tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament. Comment fait-il ? Parce que dans le texte littéral, dans les textes, il n'y a rien qui annonce directement la venue d'un Jésus. L'Ancien Testament n'est pas un livre de prévisions comme les horoscopes de Mme Soleil ou d'Elisabeth Tessier. Pourtant, la première Eglise s'est appliquée à la relecture de l'Ancien Testament et elle a trouvé. Elle a trouvé des récits, des événements et des personnages qui portent en eux une préfiguration du Christ.
    Pour faire cette relecture, il faut apprendre à lire ce qui est écrit entre les lignes, comme les héros de l'écrivain Dan Brown dans le Da Vinci Code ou dans Inferno. Il faut — et c'est souvent difficile pour nous les protestants — sortir de l'interprétation historique littérale, pour privilègier le sens symbolique. l'articulation du récit, ou les types de personnages qui apparaissent (d'où le nom de méthode "typologique.")
    C'est ce que je vous propose de faire ce matin avec le récit de Caïn et Abel. Ce récit fait partie des chapitres "mythologiques" de la Genèse, c'est-à-dire des récits qui visent l'universalité et pas la particularité du récit de vie individuelle. Il ne faut pas en faire une lecture historique et vouloir donner des dates de naissance à Adam et Eve, Caïn et Abel ou Noé.
    Dans le récit qui nous occupe, nous sommes face à des universaux, l'universalité de la rivalité ou compétition entre deux frères, l'universalité de l'injustice ou de l'infortune, l'universalité de la colère et de la violence, l'universalité du crime et du châtiment.
    C'est la façon dont le récit expose ces grands thèmes qui nous intéresse, et la possibilité d'établir des parallèles avec le destin de Jésus. C'est la voix de Dieu et sa position par rapport à ces thèmes universels qui vont être révélatrices des points communs entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
    Que voyons-nous dans ce récit : deux hommes qui ont des professions différentes — Abel est berger et Caïn cultivateur — ils font tous deux un même geste et ils obtiennent des résultats opposés, la réussite pour l'un, l'échec pour l'autre. Aucune explication, aucune raison ne sont données. On nous met juste devant cette réalité : de manière incompréhensible, le malheur tombe sur l'un plutôt que sur l'autre.
    Cette injustice ou cette infortune suscite la jalousie, la colère, l'envie de meurtre. Et le récit, par l'entremise d'un dialogue entre Dieu et Caïn, met en avant la possibilité d'un choix, d'une résistance à l'envie de meurtre. Mais ici, l'envie devient passage à l'acte. Caïn tue Abel.
    Mais le récit ne s'arrête pas là, il y a une parole divine qui sanctionne : "J'entends le sang de ton frère qu crie vengeance !" (Gn 4:10). La victime n'est pas oubliée, la mort n'efface pas l'injustice subie; on n'escamote pas l'injustice en faisant disparaître le corps. Et puis, une parole de condamnation est prononcée sur le criminel. Justice est rendue.
    Le récit de la Genèse évite deux solutions souvent utilisée dans la vie courante ou l'histoire. On trouve la première solution dans un récit similaire, celui de la fondation de Rome* par Remus et Romulus, où le bien de la cité, du plus grand nombre, justifie le meurtre de Remus. Justification qu'on retrouve dans la bouche de Caïphe pour demander la mise à mort de Jésus : "Il vaut mieux qu'un seul homme meurt plutôt que tous le peuple." (Jn 18:14). Le récit de Genèse 4 refuse le critère de l'utilité qui justifierait de commettre le mal pour obtenir un plus grand bien.
    La deuxième solution évitée est celle de blâmer la victime, dire qu'elle y est quand même pour quelque chose dans ce qui lui arrive. C'est ce que dit un des amis de Job. Le récit de Genèse 4 évite ces deux échappatoires.
    La position exprimée par le texte biblique — et qui est absolument parallèle au récit de la Passion de Jésus — 1) c'est que la victime est innocente, il ne peut rien lui être reproché qui l'aurait entraînée dans cette position de victime et justifierait ce qui lui arrive; 2) c'est que la victime est reconnue comme victime, ce n'est pas un dégât collatéral, ou ne nécessité malheureuse. Un meurtre est un meurtre; 3) le coupable est désigné comme tel, il n'est ni excusé, ni blanchi, il est coupable.
      Ces trois éléments se retrouvent aussi bien chez Abel que dans la Passion de Jésus, c'est pourquoi on peut dire qu'Abel est, dans l'Ancien Testament, une figure du Christ. Non pas parce que le rédacteur a eu une vision d'avance de ce qui allait arriver à Jésus, mais parce que Dieu est constant dans sa justice et que du début à la fin de la Bible, sa justice déclare innocent l'innocent et coupable le coupable.
    A partir de là, les disciples d'Emmaüs qui devaient être plein de doutes concernant Jésus, qui pouvaient se demander, comme Caïphe, s'il n'était pas préférable que Jésus meurt seul plutôt qu'avec tous les disciples ou tout Israël, ou bien qui pouvaient se demander ce que Jésus avaient fait de faux ou de mal pour mériter son châtiment, ces disciples d'Emmaüs peuvent comprendre, à la lumière de l'Ecriture, que des innocents meurent injustement, pas par leurs propres fautes, et que Dieu les réhabilitent.
    La résurrection — découverte dans le partage du pain — est le signe divin de cette réhabilitation, de cette déclaration d'innocence de Jésus par Dieu. Ainsi, par la relecture du récit de Caïn et Abel, les disciples d'Emmaüs peuvent commencer à comprendre le mystère de la mort de Jésus.
    Amen
    * Tite-Live, Histoire romaine 1, La Fondation de Rome, Livre 1, §VII, Paris, Les Belles Lettres, 2000, (Classiques en poche 25), p. 25-27.

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 44. Joseph, artisan d'une réconciliation fraternelle

    Genèse 44
    23.7.2000
    Joseph, artisan d'une réconciliation fraternelle

    Genèse 44 : 1-34    Genèse 45:1-7
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-23.pdf


    Chers amis,
    Le plan qu'a mis en place Joseph pour éviter la famine en Egypte, après les rêves de vaches grasses et de vaches maigres du Pharaon, fonctionne à merveille. L'Egypte a des réserves. Le pays joue son rôle de grenier pour ses habitants, même pour ceux des pays voisins.
    C'est ainsi que les frères de Joseph viennent s'approvisionner en Egypte, par deux fois. Cependant, chaque fois, ils sont en butte à des tracasseries, ou même pire. Etrangers et vulnérables, loin de chez eux, ils sont accusés, d'abord d'être des espions, puis d'être des voleurs.
    Le récit souligne cependant deux choses à propos de ces accusations. D'abord, qu'elles sont fausses. Les dix frères sont innocents, ils sont faussement accusés. Ensuite que ces accusations sont montées de toutes pièces par Joseph. C'est lui qui tire les ficelles. Il manipule ses frères. Alors, on peut se demander : Pourquoi Joseph fait-il cela ? Est-il sadique ? Cherche-t-il à se venger de ses frères ?
    On connaît assez bien ce mécanisme aujourd'hui, où celui qui a été victime répète la même violence, soit en retour contre les mêmes personnes, sous forme de vengeance ouverte (voire ce qui se passe au Kosovo où les victimes deviennent si facilement des bourreaux), soit contre d'autres personnes, sans même le savoir comme le font les victimes de violence ou d'abus. Ainsi, en filigrane, le récit attire notre attention sur le risque du phénomène de répétition : Joseph ne le fait-il pas deux fois, lors de chaque voyage ? C'est peut-être le côté ombre de Joseph ! Il ne peut s'empêcher d'être violent à son tour.
    Mais le texte ne s'arrête pas là. Ces pièges que dresse Joseph contre ses frères ont aussi une valeur de test. Joseph veut se rendre compte dans quelle mesure l'attitude de la fratrie est restée celle du temps de son expulsion, ou si cette attitude a changé. "Joseph soumet ses frères coupables [envers lui] en somme, à une tentation qu'ils connaissent bien puisqu'ils y ont déjà succombé [une fois], celle d'abandonner impunément le plus jeune et le plus faible d'entre eux."*
    Dans son deuxième piège, Joseph, d'abord par l'intermédiaire de son intendant, puis de sa propre bouche, propose une solution simple à ses frères pour s'en sortir :

    "le coupable seul deviendra mon esclave; les autres seront libres" (Gn 44:10 et 17)
    Les frères peuvent sauver leur peau, se sortir de cette situation périlleuse s'ils abandonnent leur jeune frère ! C'est là le test. Vont-ils choisir la lâcheté ou la solidarité ? D'un côté, il y a le chemin de la répétition du mal et de la culpabilité; de l'autre, il y a le difficile chemin de risquer de perdre sa liberté pour sauver l'unité de la fratrie, pour sauver la relation et la vérité de la relation.
    C'est Juda — au nom de tous ses frères probablement — qui affronte l'égal de pharaon et tente de sauver Benjamin. Il a choisi la voie de la solidarité. Il est prêt à prendre la place de Benjamin, comme esclave, plutôt que de l'abandonner en Egypte et provoquer la mort de leur père !
    Les paroles de Juda sont celles qu'attendait Joseph ! Ses frères ont changé, découvre-t-il. Ils ont renoncé à leur attitude passée, ils sont devenus une vraie fratrie, il ne reste qu'à y réintégrer Joseph lui-même. L'heure de la réconciliation a donc sonné, heure de la révélation, du dévoilement de l'identité de ce premier ministre.
    Joseph peut pardonner pleinement à ses frères et vivre une vraie réconciliation avec eux. Il peut évoquer le passé avec eux, sans ressentiment, sans rancune. La fraternité l'a emporté sur la haine.
    Joseph va faire lui-même une relecture de sa propre histoire, non pas en termes de victime, mais avec les yeux de Dieu :

    "Dieu m'a envoyé dans ce pays avant vous, pour que vous puissiez y avoir des descendants et y survivre; c'est une merveilleuse délivrance." (Gn 45:7)
    Pas facile de relire sa propre histoire, notre propre histoire, avec ses hauts et ses bas, comme l'histoire que Dieu lui-même a dessinée pour notre vie. Certaines choses restent longtemps incompréhensibles, et pourtant, notre vie a-t-elle plus de sens si nous n'y voyons pas la main de Dieu ? Combien de coïncidences, de rencontres, d'événements ne viennent-ils pas s'intégrer dans notre vie au bon moment, comme une réponse, comme un stimulant à avancer, à découvrir une nouvelle dimension, une nouvelle direction à notre vie ?
    Une personne me disait lors d'une visite à l'hôpital : "Quand je regarde ma vie, je vois la synchronisation que Dieu met dans mes rencontres... comme il me prépare à ce qui va arriver..." Il appelait cela de la synchronisation. Combien de choses viennent à point nommé ? Savons-nous les recevoir, les interpréter comme un signe de la Providence ?
    Voir comment Dieu agit dans nos vies, nous aide également à pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, comme Joseph le dit à ses frères :

    "Ne vous tourmentez pas et ne vous faites pas de reproches pour m'avoir vendu ainsi. C'est Dieu qui m'a envoyé ici à l'avance, pour que je puisse vous sauver la vie"
    (Gn 45:5)
    Joseph, d'abord figure du Messie rejeté, abaissé, devient le Messie qui sauve l'humanité de la mort, de la pénurie, puis, ici, finalement celui qui, par d'étranges détours — des pièges au pardon — inaugure une réconciliation fraternelle qui met fin à toute violence.
    Le repas des retrouvailles, de la paix et de l'entente peut avoir lieu, anticipation et actualisation du repas du Royaume auquel Dieu nous invite tous, sans exclusion.
    Amen

    * Citation de : René Girard, Je vois Satan
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 41. La sagesse de Joseph, anticiper pour assurer le salut de tous les habitants du pays

    Genèse 41
    16.7.2000
    La sagesse de Joseph, anticiper pour assurer le salut de tous les habitants du pays

    Genèse 41 : 14-57
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-16.pdf
    Chers amis,
    Dimanche dernier, nous avons laissé Joseph alors qu'il était emmené comme esclave en Egypte. Aujourd'hui, nous le retrouvons en prison ! Le destin s'acharne contre lui. Chez son maître Potifar, Joseph a été injustement accusé (relisez le chap. 39) et jeté en prison. C'est comme une descente aux enfers, la situation de Joseph ne peut guère être pire. Et pourtant, il ne désespère pas, il fait confiance en Dieu. Cette confiance ne le place pas "en attente", comme si tout devait tomber du ciel.
    En fait, Joseph ne reste pas inactif, à se plaindre de son destin et à maudire le ciel. Dans toutes les circonstances, on le voit prendre les devants, prendre des initiatives. Esclave chez Potifar, il était devenu l'intendant de la maison. Ici en prison, il se fait remarquer par le chef de la garde et se voit confier la direction des travaux des prisonniers (Gn 39:22). Joseph sait tirer parti, faire ressortir ce qu'il y a de bon de toutes les circonstances, il sait apprendre de ses malheurs. Il est celui qui sait rebondir en toutes occasions.
    C'est en cela que l'histoire de Joseph est souvent considérée comme un petit traité de sagesse. Joseph est un sage, parce qu'en toutes circonstances — même les pires — il est capable d'apprendre quelque chose, de prendre des dispositions qui améliorent son sort, de témoigner de patience, tout en se laissant interpeller par la situation et les malheurs de ses compagnons d'infortune. C'est ainsi que Joseph est remarqué et se voit offrir des responsabilités.
    Dans les responsabilités qu'il obtient, Joseph fait l'apprentissage de la direction. Il est en contact avec de hauts personnages (l'échanson et le panetier) et ne manque pas d'en tirer quelque chose, tout en se mettant à leur service, en exerçant son don d'interprétation des rêves.
    C'est ainsi qu'il va être tiré de sa prison, le jour où plus aucun magicien ne peut interpréter les rêves de Pharaon, ses rêves de vaches grasses et de gros et beaux épis.
    Dans le dialogue entre Pharaon et Joseph, il y a deux choses remarquables : 1) Joseph refuse de s'octroyer le mérite de l'interprétation des rêves. S'il possède ce don, ce don vient de Dieu seul. Tout comme le rêve de Pharaon lui-même ! C'est Dieu qui agit, qui informe Pharaon de ce que va se passer. Joseph est là l'instrument de Dieu pour que Pharaon comprenne le message et que des mesures soient prises. Dans l'évangile, Jésus parlera de "serviteurs inutiles", simples serviteurs qui n'ont fait que leur devoir (Luc 17:7-10).
    2) La deuxième chose remarquable, c'est que Joseph ne se contente pas de dire la signification des deux rêves, il prend l'initiative de dire au Pharaon ce qui peut être fait pour que le pays ne soit pas dévasté. Joseph a son plan, son projet pour l'Egypte, il en fait part à Pharaon et il attend.
    Joseph a là une attitude impressionnante. Il n'est ni inactif, face à la crise qui s'annonce, ni réactif, attendant de voir si ce qui est annoncé se réalise (alors les années d'abondance auront passé et il sera trop tard pour agir), il est ce que les psychologues appellent aujourd'hui "pro-actif". Joseph est pro-actif, ce qui signifie qu'il anticipe la situation et qu'il propose une mesure innovante pour éviter les effets catastrophiques de la famine avant que celle-ci ne s'installe.
    Maintenant, ce qu'il a appris dans la maison de Potifar, dans sa prison et plus tôt dans sa famille va lui servir ! Il est l'homme de la situation et Pharaon le remarque. C'est à Joseph qu'il va donner des rennes de l'économie de l'Egypte pendant deux septennats — un septennat d'abondance et un septennat de pénurie.
    Joseph va planifier ces 14 ans avec à coeur la problématique qu'il a emporté avec lui de sa famille : Comment les humains peuvent-ils vivre ensemble fraternellement, même en temps de crise ? C'est un véritable défi, car s'il est déjà souvent difficile de vivre pacifiquement quand tout va bien, qu'en est-il lorsque les tensions augmentent ?
    Ici, en Egypte, le domaine économique devient un lieu d'enjeu de la fraternité humaine. Joseph sait bien qu'avec la famine, la crise et les tensions vont monter et faire augmenter dangereusement le risque de la désintégration de la société, le risque des exclusions, le risque de phénomènes de boucs émissaires, le risque de mort. De par son expérience personnelle, Joseph connaît tout cela de l'intérieur, et il a décidé d'anticiper, d'agir pour éviter ces catastrophes. Il dresse un plan social pour que la famine ne fasse pas de victimes.
    Je ne ferai pas l'apologie des moyens que Joseph utilise pour parvenir à ses fins. Je ne crois pas qu'ils soient transposables dans le temps, ni qu'ils soient proposés par le narrateur de l'histoire comme un idéal. En effet, ils conduisent à une nationalisation totale des biens de tous les égyptiens en faveur de Pharaon.
    Ce qui est important ici, c'est la préoccupation de Joseph pour le bien commun de tous. Le projet social de Joseph est de faire en sorte que tous puissent se nourrir, que tous puissent vivre, que l'abondance des premières années puisse profiter à tous dans les années de disette.
    Le maintien de la fraternité humaine passe par ce partage, par cette solidarité de tous pour tous. Sans cette attention au bien commun qui passe par l'attention aux plus fragiles, aux plus vulnérables, la cohésion de la société risque de disparaître et donc aboutir à un désastre social, un désastre humain, inhumain, faudrait-il dire !
    La figure messianique de Joseph que nous évoquions dimanche dernier se marque aussi dans ce souci du salut de tous. Ce salut n'est pas seulement celui de l'âme au-delà de la mort. C'est le salut, une vie en abondance dès maintenant. La vie que Dieu veut voir changée est déjà celle que nous vivons ici et maintenant, sur cette terre. C'est donc déjà ici et maintenant que nous pouvons avoir ce souci économique des moins bien lotis et marcher ainsi dans les pas de Joseph.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013