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Clamans - Page 12

  • Jésus vit les déplacements de son peuple

    Matthieu 2

    13.1.2019

    Jésus vit les déplacements de son peuple

    Jérémie 31 : 2-9        Matthieu 2 : 13-18        Matthieu 2 : 19-23

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dimanche passé, nous avons vécu le dimanche des Rois. L’occasion de rappeler la visite des mages auprès de Jésus. Souvent, on passe directement du récit des mages au baptême de Jésus. D’un coup on passe 30 ans de la vie de Jésus. Il est vrai que nous ne savons quasiment rien de cette période de la vie de Jésus.

    Luc nous donne quelques épisodes, Jésus présenté au Temple par ses parents, la rencontre avec le vieux Siméon et avec la prophétesse Anne, puis, 12 ans plus tard ce pèlerinage à Jérusalem où Jésus fausse compagnie à ses parents pour rester au Temple discuter avec les maîtres de la loi.

    De son côté — et c’est ce qui va nous intéresser ce matin — Matthieu fait faire tout un voyage à Jésus et sa famille, la fameuse fuite en Egypte. On voit dans ces différences entre les récits d’enfance, que chaque Evangile a des préoccupations propres.

    Même si les trois Evangiles Matthieu, Marc et Luc se ressemblent beaucoup — parce qu’ils sont bâtis sur le même plan, le même déroulement et qu’ils ont beaucoup de textes en commun — chaque Evangéliste donne une couleur propre à son texte. Pourquoi ces différences entre eux ? Simplement parce que — même s’ils parlent à partir des mêmes souvenirs, des mêmes données de bases — ils parlent dans des lieux géographiques différents et à des communautés différentes.

    Les Evangiles sont plus des prédications que des reportages. Mais le particulier peut devenir universel. Dans les deux lectures de l’Evangéliste Matthieu que vous avez entendues ce matin, il y a un récit en trois parties : la fuite en Egypte, le massacre des enfants et le retour d’Egypte. Ces trois petits récits sont propre à Matthieu, ils n’ont pas d’équivalents dans les autres Evangiles. On y voit donc concrètement Matthieu à l’œuvre dans son travail de prédicateur-écrivain.

    Chacun de ces trois petits textes commence par exposer une histoire et se termine, se conclut par une citation biblique. Il y a donc une trame narrative assortie, ponctuée de citations de l’Ancien Testament. Ces références fréquentes (plus fréquentes chez Matthieu que chez Marc ou Luc) à l’Ancien Testament sont une des particularités de Matthieu. Il connaît bien les Ecritures et il parle à des gens pour qui les textes bibliques sont importants, sont connus et représentent une autorité. On peut en déduire que Matthieu parle à une communauté formée — en grande partie au moins — de juifs. Il essaie de convaincre des juifs, des coreligionnaires que Jésus est celui qui accomplit les Ecritures.

    La première citation : « J’ai appelé mon fils à sortir d’Egypte. » (Os 11 :1) est une attestation messianique de la filiation divine de Jésus. Attester cette filiation divine de Jésus est le but des deux chapitres que Matthieu consacre à l’enfance de Jésus. Mais la citation ajoute le voyage — et surtout le retour — d’Egypte. Parler de la sortie d’Egypte, c’est faire allusion à Moïse, le grand législateur de l’Ecriture.

    La troisième citation — je reviendrai sur la deuxième juste après — va dans le même sens : « Il sera appelé le Nazaréen. » Ici Matthieu fait un jeu de mot entre Nazareth et Nazir qui désigne l’homme consacré à Dieu (Cf. Juges 16 :17). Matthieu désigne Jésus comme un prophète et un libérateur à l’image de Samson — l’homme consacré à Dieu qui ne se coupe pas les cheveux.

    La deuxième citation (Mt 2 :18) est étrange pour nous. Il est difficile de savoir si le récit du massacre est constitué pour utiliser la citation ou si la citation est ajoutée pour donner un sens au massacre des nouveau-nés. Mais il y a deux choses intéressantes dans ce passage :

    (i) le parallèle entre le massacre des nouveau-nés ordonné par le pharaon auquel Moïse échappe et celui d’Hérode auquel Jésus échappe. Matthieu fait ici un nouveau parallèle entre Jésus et Moïse ;

    (ii) le contenu du chapitre de Jérémie d’où vient cette citation sur les enfants de Rachel. Cette citation est tirée du chapitre 31 du livre de Jérémie. Ce chapitre 31, on l’appelle le « Livret de la consolation. »

    Il contient notamment l’annonce de la Nouvelle Alliance « Je graverai mes instructions dans votre cœur » (Jér 31:33) et la déclaration d’amour de Dieu envers son peuple que vous avez entendue dans les lectures. Dans cette déclaration, Dieu déclare à propos de son peuple : « Je vais les ramener du pays du Nord et les rassembler des plus lointaines contrées. » (Jér 31:8) Ce retour au pays est le retour du peuple d’Israël de son exil à Babylone.

    Ainsi, on peut voir que Matthieu superpose — pour ses auditeurs bien au fait de l’histoire du peuple juif et connaisseurs des Ecritures — l’Exode hors d’Egypte et le retour d’Exil. Et il décrit un Jésus qui vit les périples — géographiques, mais surtout existentiels et souffrants — de son peuple. Matthieu montre par ce trois récits assortis de leurs citations que Jésus a lui-même revécu les pérégrinations du peuple d’Israël, que Jésus est donc totalement assimilé à ce peuple, y compris à ce peuple en exil. L’incarnation de Jésus est autant une incarnation dans la chair humaine que dans l’histoire de son peuple !

    Si l’on tient compte du fait que Matthieu parle ou écrit son Evangile pour une communauté d’origine juive de la diaspora (probablement à Antioche, en Syrie) on réalise que le voyage de Jésus — dans la géographie, mais surtout dans la dramatique historique du peuple de Dieu — est une sorte d’inclusion de la diaspora juive dans le vie de Jésus.

    En image, Jésus a visité tous les exilés, vécu leur exil même, avant de commencer son ministère en Galilée et à Jérusalem. Comme croyants de tous les âges, de l’Exode, de l’Exil, de l’Empire romain ou d’aujourd’hui, nous sommes pris en compte dans la vie de Jésus. Matthieu assure ainsi à ses auditeurs d’Antioche — loin de Jérusalem et de la terre d’Israël — que le message de Jésus, que le salut les concerne aussi.

    Matthieu l’avait déjà dit d’une certaine façon à travers le récit des mages venus d’Orient. Il le fait, là, d’une façon inversée, en faisant voyager Jésus. Il assure, là, à une communauté d’origine juive de la diaspora, non seulement qu’ils sont inclus dans la nouvelle alliance, mais qu’ils peuvent aussi accueillir les croyants non-juifs dans leur communauté.

    Il y a là un message universaliste — d’ouverture — de la part de Matthieu, un message d’ouverture qu’il met en parallèle avec celui de la Nouvelle Alliance de Jérémie. Pour Matthieu, cette nouvelle alliance se réalise pleinement en Jésus, le Messie qui vient de Dieu, autant pour les juifs installés en Israël, que pour les juifs de la diaspora ainsi que pour tous les peuples de la terre.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

  • Saynète : « L’aubergiste » jouée par les enfants

    16.12.2018

    Saynète : « L’aubergiste » jouée par les enfants

    D'après le texte réalisé par la Pastorale du Service Enfance & Famille de l’Eglise protestante de Genève (décembre 2010) à partir du livre de Nicholas Allah, Quelle nuit !, Mijade, Namur, 1998. 


    (photos ci-dessous © Garance Ballenegger, pour la Paroisse St-Jean)

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    Message après la saynète : 

    Pauvre aubergiste, elle n’a pas cessé d’être dérangée. Mais elle n’est pas la seule.

    Joseph et Marie ont été dérangés par le recensement. Ils ont dû quitter leur maison pour se lancer sur des routes hasardeuses.

    Les bergers ont été dérangés en pleine nuit par une annonce incroyable.

    Les mages se sont déplacés pour suivre l’étoile

    Et nous, comme spectateurs des enfants ou comme lecteurs du récit biblique des évangiles, ne sommes-nous pas dérangés que le Messie, le Fils de Dieu naisse dans une étable ? N’y a-t-il pas de quoi être dérangés par cette histoire de Jésus, sa prédication, son message ?

    - les premiers seront les derniers

    - on ne peut servir Dieu et l’Argent

    - le berger abandonne 99 brebis pour chercher la centième

    - tous les ouvriers seront payés la même chose...

    Ce message n’est-il pas dérangeant ? Les événements de Noël ne sont pas à l’eau de rose ! La venue du Fils de Dieu sur terre, ça met plutôt la pagaille, ça peut nous mettre mal, nous déranger.

    Jésus appelle au changement, à la transformation du monde.

    Dieu appelle à la justice, au partage, à la considération de tous, pas seulement de nos semblables.

    Dieu est appel à regarder le monde autrement, à bouger les lignes, les frontières, à faire vraiment attention à notre prochain. Et, cela, ça dérange.

    Nous laisserons-nous déranger... un petit peu plus que d’habitude ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

     

  • Conte : Les Trois Brigands

    Veillée du 24 décembre 2018

    Esaïe 9 : 1 - 6       Matthieu 2 : 1 - 12

    Conte : Les Trois Brigands

    Retrouvez le texte du conte de Noël ici

  • La généalogie de Jésus selon Matthieu

    25.11.2018

    La généalogie de Jésus selon Matthieu

    Es 11 : 1-10        Mt 1 : 1-6 + 16-17

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Il est plutôt rare de se pencher sur la généalogie de Jésus, ou faudrait-il dire sur les généalogies de Jésus, car autant Matthieu que Luc (Luc 3:23-38) nous ont transmis, chacun, une généalogie de Jésus. Le problème, c'est que les deux généalogies ne concordent pas. Sur plus de 70 noms, ils en ont 15 en commun !

    Cela indique déjà une première chose, c'est que la présence de ces généalogies de Jésus n'a pas une portée ou une destination historique, mais une visée théologique. Chaque évangéliste essaie de faire passer un message à ses lecteurs et ces messages sont différents chez Matthieu et chez Luc.

    Aujourd'hui, je ne vais m'occuper que de celle de Matthieu. Sa généalogie commence par une sorte de titre : "Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham." (Mt 1:1) Ce titre nous donne les deux jalons les plus importants de cette généalogie. En tant que Fils de David, Jésus s'inscrit dans la lignée royale d'Israël, lignée de ceux qui sont oints. Ce mot "oint" se dit "messiah" en hébreu, qui a donné directement "messie" en français et "christos" en grec, qui est Christ dans le nom Jésus-Christ. Le Messie qui est attendu doit sortir de la lignée de David.

    En tant que fils d'Abraham, Jésus s'inscrit dans la lignée des hommes de foi, des croyants et des héritiers des promesses de l’Ancien Testament.

    Ainsi, Matthieu va-t-il construire sa généalogie en trois étapes, en trois sections de 14 générations.

    1) les descendants d'Abraham

    2) les descendants de David

    3) les exilés revenus au pays.

    Examinons ces trois sections. Abraham est père d'Isaac, lui-même père de Jacob (et d'Esaü). Nous avons là les trois patriarches, bien connus par les récits de la Genèse. Jacob aura 12 fils et 1 fille ! Juda est l'ancêtre qui a donné son nom à la tribu de Juda, celle qui deviendra avec la tribu de Benjamin le Royaume de Juda. Ce Royaume a pour capitale Jérusalem. Au retour de l'exil, la tribu de Juda sera la détentrice de la Torah et des traditions. De Juda vient le mot "judaïsme" et "juif."

    C'est de Juda, le quatrième fils de Jacob que naissent Pérès et Zéra qui sont des jumeaux. Il y a à leur sujet une petite anecdote d'où vient l'idée que l'aîné de deux jumeaux est celui qui naît en second. En effet, Pérès est né le premier, mais c'est Zéra qui est l'aîné ! En fait, Zéra a sorti sa main en premier, la sage-femme a accroché un fil rouge pour le désigner comme l'aîné, mais il a retiré sa main et c'est Pérès qui est né en premier. Il y a toujours des problèmes de préséance entre jumeaux dans la Bible.

    Pérès est le père de Hesron, qui est père de Ram, qui est père d'Amminadab, qui est père de Nachon. Nachon est le chef de la tribu de Juda lorsque Moïse conduit les hébreux au Sinaï. Une des filles de Nachon, Élisabeth, est la femme d'Aaron, le frère de Moïse. Nachon est le père de Salman, Salman aura un fils avec Rahab, une femme de Jéricho. Rahab est cette femme qui a sauvé deux espions hébreux qui étaient en mission de reconnaissance pour la prise de Jéricho. Sa collaboration lui vaudra la vie sauve — avec sa famille — lors de la prise de Jéricho pendant la conquête de Canaan. Avec elle, Salman a engendré Booz. Booz, on le retrouve dans le livre de Ruth. Ruth est moabite et veuve du fils de Noémi. Elle raccompagne sa belle-mère de Moab à Bethléem. Elle est pauvre et étrangère et rencontre Booz en glanant dans ses champs. Ils deviendront les parents d'Obed.

    Obed aura pour fils Jessé et pour petit-fils David. Ruth est donc l’arrière-grand-mère du Roi David. "Un rameau sort du vieux tronc de Jessé” nous dit le prophète Esaïe (Es 11:1) ou du vieux tronc d'Isaï comme le chante le cantique de Noël. C'est la promesse messianique qui repose sur David et ses descendants. Avec David nous sommes à la fin de la première partie de la généalogie de Jésus et au début de la deuxième.

    La deuxième liste est composée exclusivement de Rois de Juda. Matthieu en cite 14 sur les 19 qui ont régné. Salomon, Roboam — qui crée le schisme avec le Royaume du nord. Abia, Asaf, Josaphat — qui était très pieux; par contre, son fils Joram massacre ses six frères pour s'assurer le pouvoir. Ozias — le roi lépreux. Yotam et Achaz furent idolâtres. C'est à cette époque que le royaume du nord, la Samarie, tombe entre les mains de l'Assyrie.

    Ézéchias restaure le culte du Dieu d'Israël, mais Manassé réintroduit le culte des idoles, il sacrifie même un de ses fils à Moloch. Amon se conduit aussi mal que son père, mais Josias, son fils, introduit une grande réforme religieuse s'inspirant du Deutéronome. Son fils Yekonia sera le dernier roi de Juda, il est déporté à Babylone. C'est la fin de la deuxième section de la généalogie de Jésus.

    Le meilleur y côtoie le pire ! Mais cela ne dérange pas Matthieu, au contraire. L’évangéliste mentionne 4 femmes — en plus de Marie la mère de Jésus — dans sa généalogie : Tamar (Genèse 38), une femme rejetée, qui doit ruser pour faire valoir ses droits, Rahab (Josué 2 et 6), une prostituée, Ruth (livre de Ruth) une étrangère et Bethsabée (2 Samuel 11), une femme séduite. Ce n’est pas brillant, mais ce n’est pas pour dévaloriser ces femmes. Je pense plutôt que c’est une forme de réhabilitation. Quel que soit le parcours de chacun-chacune, les violences subies ou l’origine, il y a une place dans la lignée du Messie.

    Cette généalogie renforce l'humanité de Jésus, il n'a pas été parachuté "tout beau, tout propre" depuis le ciel sur la terre. Il est ancré dans l'histoire d'Israël.

    La troisième section de la généalogie de Jésus me laisse perplexe. A part Zorobabel et son père Chéaltiel, il n'y a que des inconnus. Des noms, mais aucune information sur quiconque, rien même sur le père de Joseph. Il y a là dix générations dont les noms ne proviennent pas des récits retenus par la Bible juive et chrétienne. Mais les noms sont courants dans le peuple d'Israël.

    Ces trois sections nous disent que Jésus appartient au peuple de Dieu, à l'histoire du peuple juif. Il récapitule en lui toute cette histoire, avec ses hauts et ses bas, ses bienfaits et ses méfaits. Beaucoup de ces ancêtres de Jésus se sont fait remarquer par des actions immorales ou idolâtres, comme d'autres pour leur compassion ou leur droiture. Parfois, comme je l'ai dit, le meilleur et le pire se côtoient dans le même individu — il suffit de penser à David et ce qu'il a fait pour obtenir Bethsabée (envoyer son mari Urie au front pour qu'il s'y fasse tuer, 2 Samuel 11:15).

    Toute cette humanité, complexe, tortueuse, voulant faire le bien, mais empêtrée dans ses pulsions et ses motifs troubles, tout cela est repris par Jésus, en Jésus, pour être porté en même temps sur la croix et dans la résurrection.

    Alors, lorsque nous regardons nos histoires,— nos généalogies ou nos existences — nous pouvons être certains qu'elles sont aussi reprises, récapitulées, rachetées par Jésus.

    C'est ce Messie porteur de pardon et de paix que nous nous apprêtons à accueillir et à fêter dans le temps de l’Avent qui va s’ouvrir devant nous.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Petite introduction à l’Apocalypse

    Apocalypse 1

    11.11.2018

    Petite introduction à l’Apocalypse

    Apocalypse 1 : 9-13+17-18        Apocalypse 6 : 9-17        Apocalypse 7 : 9-17

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    S’il y a un livre difficile à lire dans la Bible, dans le Nouveau Testament, c’est bien le livre de l’Apocalypse. Ceux d’entre vous qui suivent les lectures de Pain de ce Jour l’on sûrement éprouvé ces derniers jours. Dans l’Apocalypse nous sommes bombardés d’images : trompettes, lampes, étoiles, anges, chevaux, livres, sceaux, robe blanche, Agneau etc. Le risque, c’est d’être noyé sous ces images et de perdre la vue d’ensemble, la visée générale de cette révélation (ce qui est le sens du mot apocalypse, révélation et non pas catastrophe).

    Cette révélation est reçue par Jean de Patmos, qui n’est pas Jean l’évangéliste. Jean a été persécuté et a dû s’exiler sur l’île de Patmos où il reçoit cette révélation. S’il faut une révélation pour comprendre ce qui ce passe, cela signifie que le monde n’est — à ce moment-là — pas directement compréhensible.

    En fait les Eglises sont persécutées par le pouvoir romain en raison de leurs croyances et de leurs pratiques. Aimer son prochain fait de vous une cible pour la violence de l’État. C’est donc le monde à l’envers. N’importe quoi peut vous tomber dessus. C’est dans cet univers violent et chaotique que Jean fait entendre sa révélation.

    Dans ce contexte de persécution, d’injustice, le message de Jean c’est que — sous une couverture d’absurde — les choses ont un sens. Sous le chaos, il y a une autre réalité, celle de Dieu. Il y a une espérance dans le désespoir actuel ; il y aura une réhabilitation après les traitements injustes ; il y aura un retour des valeurs de justice après la violence.

    Les valeurs chrétiennes ont toujours du sens, elles restent bonnes, même si elles sont cause de malheur dans le temps présent. Ce n’est pas parce que les tyrans, les méchants ont l’avantage — en ce moment— que le mal est bien. Ce n’est pas parce que les méchants réussissent, ont du succès, qu’il faut les imiter et abandonner les valeurs éthiques.

    Les valeurs chrétiennes — celles qui sont énoncées dans les Béatitudes — sont à première vue des valeurs « faibles », c’est-à-dire qu’elles n’ont aucun poids, aucune persuasion contre les gens violents. En surface elles paraissent faibles et nulles. Mais dans le fond, elles donnent tout son sens à la vie humaine et relationnelle.

    Le message de Jean dans l’Apocalypse vient dire que Dieu est toujours derrière ces valeurs — aussi faibles qu’elles puissent paraître dans un monde violent et destructeur. En fin de compte, ce sont ces valeurs des Béatitudes qui l’emportent. C’est la force faible de l’Agneau.

    L’Agneau est la figure centrale du livre de l’Apocalypse. L’Agneau représente le Christ, une figure paradoxale qui finira par régner sur univers. Le pouvoir de l’Agneau est encore caché dans ce monde. Mais l’Apocalypse lève le voile sur ce règne présent et futur. Règne caché dans le présent, révélé dans le futur. L’exemple de ce mouvement « caché–révélé », c’est la vie et la mort du Christ, l’Agneau de la Pâque « immolé pour nos péchés » selon les formules liturgiques.

    Au sein des persécutions, Jésus est présent aux côtés des persécutés puisqu’il a vécu le même calvaire. Il a enseigné, il a été rejeté, persécuté. Il a été mis à mort et Dieu l’a ressuscité. Nous le récitons ainsi dans le Symbole des Apôtres : «il est né de la vierge Marie, il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort, le troisième jour il est ressuscité des morts, il est monté au ciel, il siège à la droite de Dieu. »

    C’est l’exemple de vie donné par Dieu et celle de l’Agneau, figure faible, mais qui manifeste le règne de Dieu : une image paradoxale ; un antidote à tout pouvoir tyrannique ; un exemple pour chaque être humain.

    Il n’est pas attendu de chaque être humain d’être un héros, surtout dans les persécutions. À l’image de l’Agneau il est possible d’accepter nos faiblesses, nos vulnérabilités, nos infirmités. Être faible comme un agneau, ce n’est pas négatif aux yeux de Dieu, c’est être à l’image du Christ.

    Dieu se méfie de ceux qui prétendent être des surhommes. Il a une attention toute particulière à tout ce qui est perdu, vulnérable, faible, dépendant. Pour ceux-là, Dieu promet une robe blanche, un avenir, une réhabilitation. Celui qui ne se sent pas assez fort pour s’en sortir par lui-même, c’est celui vers qui Dieu se penche et qu’il relève.

    Jean donne un message pour ses contemporains, persécutés comme lui : tenez ferme dans vos convictions, le Seigneur finira par les faire triompher, les tyrans seront vaincus.

    Ce qu’on peut traduire de différentes façons aujourd’hui :

    - Le droit, à long terme, a plus d’avenir que la violence déchaînée.

    - La démocratie, toute fragile quelle est face à la violence, est le moins mauvais système politique.

    - Dans le sport, celui qui arrive en trichant n’aura pas la même saveur de la victoire que celui qui y arrive avec fair-play.

    Jean nous dit, au fond, que le bonheur n’a rien à voir avec la réussite telle que la société la conçoit. Le bonheur est dans l’application des valeurs évangéliques celles que Jésus l’Agneau a mises en pratique, dans l’abaissement, le service et le don de soi. C’est cela que Dieu valorise toujours.

    Jean appelle ceux qui sont dans le malheur et victimes d’injustices à en appeler à Dieu, à attendre de Dieu le relèvement, la réhabilitation. Car derrière le chaos du monde et des malheurs, Dieu est toujours attentif à nous. Les valeurs des Béatitudes continuent à avoir du prix, même quand ces valeurs sont moquées et bafouées par une société du succès et de l’apparence.

    Jean nous appelle à ne pas désespérer, car le plan de Dieu est la réhabilitation de toutes les victimes, et l’établissement de la Jérusalem céleste où « Dieu effacera toutes larmes de leurs yeux.» (Apoc 7:17)

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Un Royaume ouvert à tous.

    Luc 18

    4.11.2018

    Un Royaume ouvert à tous.

    Esaïe 55 : 1-5          1 Timothée 1 : 12-16         Luc 18 : 9-14

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    En fêtant aujourd’hui le dimanche de la Réformation, nous rappelons la redécouverte géniale de Luther de la gratuité du salut. Luther la redécouvre dans les écrits de l’apôtre Paul, particulièrement dans la lettre aux Romains et dans la lettre aux Galates.

    Pour ma part aujourd’hui — après un détour chez Paul aussi — j’aimerais souligner combien ce salut gratuit est déjà pleinement présent dans l’enseignement de Jésus. Tout vient de Jésus, Paul lui-même le reconnaît dans ces quelques paroles autobiographiques qu’il écrit à Timothée.

    Paul souligne qu’il persécutait l’Eglise du Christ, et que c’est précisément là que — je le cite — « le Seigneur a répandu avec abondance sa grâce sur moi. Il m’a accordé la foi et l’amour qui viennent de Jésus-Christ » et il continue en disant : « Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. Je suis le pire d’entre eux. (...) Le Christ a démontré en moi — le pire des pécheurs — toute sa patience, toute sa générosité. » (1 Tim 1 : 14-16)

    Le mot « patience » (trad. français courant), ou « générosité » (trad. TOB) que Paul utilise ici est « macro–thumia » en grec. « Macro » — vous l’avez reconnu — veux dire grand, énorme. « Thumia » c’est le sentiment passionné, le cœur non pas comme organe, mais comme la qualité de cœur. Paul reconnaît donc que dans son état de total éloignement de Dieu, Jésus a fait preuve d’une totale grandeur de cœur ou largesse d’esprit en le récupérant, en le noyant dans son amour.

    La question qui se pose : est-ce le Christ idéalisé par Paul qui a fait cela ? Où est-ce déjà le Jésus qui enseigne au milieu de ses disciples ? La parabole du pharisien et du collecteur d’impôts va nous montrer que cela remonte bien au Jésus qui enseigne ses disciples.

    Luc nous rapporte cet enseignement, et il est bien précisé que c’est une parabole, pas une scène de rue. Si c’est une parabole, c’est qu’elle contient une vérité essentielle sur Dieu et son rapport à l’humain.

    Dans cette parabole, il y a un homme juste, le pharisien, qui s’applique consciencieusement à essayer de plaire à Dieu, un bon paroissien quoi. Et Jésus ne le méprise pas. L’autre fait partie — du point de vue de la population — de la pire espèce économique. Aujourd’hui il faudrait peut-être prendre comme exemple un trafiquant d’armes ou le dirigeant d’un atelier de couture clandestin, deux catégories de personnes qu’on va déclarer « exploiteurs » et donc aussi détestables qu’un collecteur d’impôt à l’époque.

    Chacun de ces deux hommes est conscient de son état et de la façon dont on les considère. Ils se reconnaissent dans ce miroir que la société leur tend, l’un se sait honorable et l’autre se sait misérable, mauvais. Ils sont à égalité dans cette auto reconnaissance. Et voilà que la parabole reconnaît cette égalité et fait remonter cette égalité jusque dans le regard de Dieu.

    En fait, l’amour de Dieu pour ces deux hommes est si généreux que la différence entre les deux hommes est nivelée. La morale du pharisien ne compte pas plus que l’immoralité du marchand d’armes. « Cet homme (le collecteur d’impôts) était en règle avec Dieu » dit Jésus (v.14). Ce récit « devient une parabole à propos de Dieu en tant que dispensateur d’un pardon inconditionnel.»*

    La parabole « suggère même une certaine priorité du pêcheur (...) un peu à la manière dont aux urgences les blessés graves reçoivent la priorité par rapport aux blessés plus légers ».* Jésus n’avait-t-il pas déjà dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin d’un médecin, mais les malades » ? (Luc 5:31)

    Jésus est totalement à contre-courant de tout objectif moraliste. Le salut, la relation à Dieu n’est pas une affaire de morale, de comportement, de bien ou de mal. Heureusement, sinon nous serions tous perdus, tous irrémédiablement coupés de Dieu. Le Royaume de Dieu ne correspond ni à notre système moral, ni à notre système économique. Le Royaume de Dieu concerne ce qui est perdu (une brebis, une drachme, un fils, Luc 15) et que Dieu recherche inlassablement.

    Jésus fait scandale avec ses propos, avec cette largesse d’esprit (macro-thumia). Il fait scandale de son temps — et cela va contribuer grandement à le diriger vers la croix. Mais cela fait aussi scandale dans l’Eglise même. C’est si scandaleux pour Luc lui-même, qu’il ne peut se retenir d’assassiner cette parabole en y ajoutant une autre conclusion : «Qui s’abaissera sera élevé, et qui s’élève sera abaissé.» Cette phrase, Jésus l’a bien prononcée (Luc n’invente rien), mais il l’a prononcée à la suite d’une réception ou chacun essaye de prendre la meilleure place à table (Luc 14:7-11). En réduisant cette parabole de Jésus en un conseil stratégique pour se retrouver finalement à la bonne place, Luc émousse la parabole, il en tue le caractère scandaleux.

    Cette folie divine consiste à offrir un ticket d’entrée dans le Royaume de Dieu à tous, vraiment tous. Voilà ce que Jésus dit à ses contemporains… et à nous ! Il le dit dans la parabole des invités qui refusent de venir et qu’il remplace par ceux qui se trouvent dans les rues et n’avaient même pas reçu d’invitation (Luc 14:15-24). Jésus pousse encore plus loin lorsqu’il dit : « en vérité, les collecteurs d’impôts (encore eux !) et les prostituées arriveront avant vous dans le Royaume des cieux » (Mt 21:31). Jésus parle à ceux qui sont dans le Temple de Jérusalem, imaginez le scandale !

    La Réformation a fait cesser le scandale des indulgences (acheter son entrée dans le Royaume de Dieu avec de l’argent). Elle a rétabli le message selon lequel le Royaume des cieux est ouvert à tous ceux qui croient, tous ceux qui ont la foi et qui se convertissent. Mais Jésus n’est-il pas plus large d’esprit encore — comme le reconnaît Paul pour lui-même, le pire des pécheurs, qui a été aimé avant sa conversion ? Que faisons-nous de l’accueil inconditionnel de Jésus à tous les pécheurs ? Avant même une hypothétique conversion ?

    A nous de mettre en œuvre — vraiment — cette largeur d’esprit de Jésus, qui est le reflet de l’amour infini et inconditionnel de Dieu. A nous de la mettre en œuvre vraiment dans nos Eglises, comme un exemple de vivre ensemble pour toute la société. C’est ce défi que la Réforme a ébauché. A nous d’élargir cette ouverture à tous, vraiment tous. C’est le défi de Jésus : sans cesse ouvrir les portes, élargir nos cœurs.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

     

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 298-299.

  • Dieu fait tomber les barrières

    Actes 11

    14.10.2018

    Dieu fait tomber les barrières

    Actes 11 : 1-12        Actes 11 : 13-18

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres est notre seule source — dans la Bible — à propos de ce qui s'est passé après la résurrection de Jésus, sur les débuts du mouvement chrétien. Ce que l'on peut constater, c'est que les disciples de Jésus — dynamisés par la résurrection et les apparitions de Jésus — se sont mis à prêcher, à annoncer la bonne nouvelle — l'évangile — à Jérusalem d'abord, en Judée puis au-delà.

    Des persécutions — le mouvement chrétien n'était pas toujours apprécié par les traditionalistes ! — ont poussé les premiers chrétiens à sortir des frontières du pays d'Israël. Ils sont allés dans les villes des régions voisines puis bien plus loin, retrouvant-là les communautés juives de la diaspora.

    Il existait des synagogues avec des communautés juives dans toutes les grandes villes de l'Empire romain autour de la Méditerranée. Les apôtres et leurs compagnons s'adressaient donc en premier lieu à leurs coreligionnaires, parce qu'ils n'avaient pas l'impression ou la conscience d'être les missionnaires d'une nouvelle religion ! Les disciples sont persuadés d'être de bons juifs, simplement des juifs qui ont trouvé le Messie en Jésus.

    L'opposition que les disciples rencontrent dans les synagogues est d'abord une surprise, mais cela ne sera pas leur plus grande surprise ! Ils découvrent petit à petit que le message de Jésus rencontre un écho favorable chez les non-juifs, les païens. Alors se pose le problème — pour les disciples et les apôtres — de savoir si les "païens" peuvent entrer dans l'alliance que Dieu avait faite avec le peuple d'Israël.

    Le livre des Actes mène une large réflexion sur cette question : "Peut-on inclure les païens dans les appelés de Dieu ?" Dans le récit du livre des Actes qui précède celui que vous avez entendu, Pierre reçoit une vision accompagnée de ce message : "Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur !" (Ac 10:15 et 11:9) Cette déclaration va ouvrir la porte à des rencontres entre juifs et païens, entre Pierre et Corneille, officier romain, probablement originaire d'Italie.

    C'est à partir de cette vision et de la venue de l’Esprit saint sur Corneille et sa famille que Pierre peut soutenir — contre les autres apôtres : “Dieu leur a accordé le même don que celui qu’il nous a fiat quand nous avons cru au Seigneur Jésus-Christ : qui étais-je pour m’opposer à Dieu ?” (Ac 11:17)

    L'auteur du livre des Actes, Luc, insiste lourdement pour dire que la décision vient vraiment de Dieu, plutôt que des disciples ou de Pierre. Il faut trois choses pour que Pierre soit convaincu (i) une vision (ii) une voix qui vient du ciel et (iii) la descente de l’Esprit saint sur ces païens.

    Pourquoi Luc insiste-t-il tellement sur l'esprit de fermeture des disciples et l'esprit d'ouverture, d'accueil de Dieu ? N'est-ce pas parce que c'est un trait caractéristique et permanent de l'être humain et que cet auteur écrit cette histoire aussi pour ses contemporains et au-delà pour nous également ? Combien de fois n'avons-nous pas l'esprit plus étroit que celui de Dieu (et nous ne nous en rendons pas compte !) ?

    La place que prend cet épisode dans le livre des Actes, le nombre et la répétition, dans le récit même des interventions divines — visions, paroles, anges, parlé en langue, descente de l'Esprit saint — pour justifier cette ouverture, montre que la résistance, au sein de l'Eglise primitive a dû être forte.

    Toute la vie d'un croyant juif de l'époque est construite sur la distinction du pur et de l'impur. Les païens n'en tiennent pas compte et ils sont donc considérés comme souillés. Si l'on veut appartenir au peuple de Dieu, il faut distinguer ce que Dieu a déclaré pur et ce qu'il a déclaré comme interdit. C'est la base de la vie pieuse. Cela a conduit les juifs à vivre une vie séparée des autres, n'entrant pas dans les maisons des romains (c'est ainsi que les autorités juives ne voulaient pas entrer dans le palais de Ponce Pilate, Jn 18:28), partageant encore moins leurs repas — la nourriture ayant pu être consacrée aux idoles.

    Pierre ressort donc transformé de la maison de Corneille, c'est presque un récit de la conversion de Pierre ! Il y a chez lui un véritable changement de mentalité, un changement de vision du monde. Pierre passe d'un monde cloisonné où chaque peuple, où chaque ethnie, où chaque culture vit séparée l'une de l'autre — ce qu'on appelle le communautarisme aujourd'hui — à une société ouverte où chacun peut non seulement se croiser, mais se rencontrer, se toucher, se rassembler et manger à la même table !

    Mais Pierre n'est pas au bout de son chemin. Il a fait son chemin personnel, mais il doit encore convaincre l'ensemble de la communauté. Avec ironie, Luc montre par là que les obstacles ou les résistances au message de Dieu sont souvent plus forts à l'intérieur de l'Eglise qu'à l'extérieur. A ce moment-là (mais est-ce seulement à ce moment-là ?) l'Eglise n'a pas tellement envie de devenir universelle. L'Eglise n'a pas tellement envie de changer, de s'ouvrir. -- Pour nous aujourd'hui cela paraît tout naturel, normal que l’Eglise soit universelle. Mais pour l'Eglise d'alors, cette position de Pierre est comparable à un politicien qui offrirait le passeport suisse à toute personne qui en ferait la demande, sans autre condition que de prononcer la phrase : "J'aime la Suisse." Vous imaginez les réactions que cela entraînerait ?

    "Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur." (Ac 11:9). Cette phrase a façonné le christianisme et n'a pas fini de déployer ses effets. Elle est un défi pour tous les chrétiens et elle est un défi pour toutes les autres religions.

    Cette phrase signifie d'abord l'abolition de toutes les barrières entre les humains. C'est l'abolition de toutes les discriminations entre humains et comme telle à la source de la Déclaration universelle des droits humains qui déclare que toute personne a des droits "sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation." (Article 2).

    Cela nous interroge sur les barrières que nous maintenons en place dans l'Eglise ou dans la société. Plus important pour nous aujourd'hui — en tant qu'Eglise — cela nous rappelle que cette abolition des barrières est voulue par Dieu lui-même, ce qui signifie que nous ne devons pas, que nous ne pouvons plus ériger des barrières au nom de Dieu, au nom du culte ou au nom de la religion.

    C'est un véritable défi pour notre XXIe siècle qui voudrait que chacun vive chez soi et qu'on ne mélange pas les communautés différentes ! Pour rester fidèles à Dieu, apprenons à faire tomber toutes les barrières.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ?

    Actes 4

    30.9.2018

    Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ?

    Actes 4 : 1-12     Actes 4 : 13-21

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Comme nous l’avons vu ces derniers dimanches, le Livre des Actes met en scène les débuts de l’Eglise. Luc veut montrer comment le saint Esprit est à l’œuvre. Mais le saint Esprit passe toujours par l’action humaine. Aussi Luc met-il en scène les apôtres, principalement Pierre et Paul. Le livre des Actes des Apôtres pourrait presque s'appeler les Actes de Pierre et Paul. Ils en sont les principaux héros. Pierre dans les chapitres 1 à 15 et Paul dans les chapitres 13 à 26, avec l'inclusion de sa conversion au chapitre 9.

    Pierre et Paul se rencontrent une première fois, trois ans après la conversion de Paul (Galates 1:18), puis de nouveau lors du Concile de Jérusalem où il faut décider des critères d’inclusion des non-juifs dans l’Eglise. Paul sera plus progressiste que Pierre et Pierre que Jacques. Ainsi, peu à peu, Paul supplante Pierre dans la construction du christianisme et du Nouveau Testament. Mais Pierre reste le premier des disciples, dans le temps, dans son parcours avec Jésus et dans la fondation de l'Eglise de Jérusalem.

    C'est lui qui prêche directement après la Pentecôte. Il enseigne dans le Temple — avec Jean. Et il guérit l'infirme qui siège devant la Belle-Porte (Ac 3). C'est cet épisode de guérison qui est à la base du premier conflit avec les autorités du Temple et qui nous est exposé dans ce chapitre 4. Luc fait ici preuve de son talent littéraire, dans sa façon de raconter l'épisode et de nous faire comprendre beaucoup de choses sur Pierre comme "entre les lignes."

    Luc utilise le timing de l'épisode qui nous intéresse. Rappelons l'horaire de ce conflit : Pierre prêche au Temple pendant la journée. Les autorités réagissent et arrêtent Pierre et Jean dans la soirée. Les apôtres passent la nuit en prison. Ils comparaissent le lendemain matin devant le Conseil. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Par cet horaire, Luc fait un parallèle entre la Passion de Jésus et ce premier conflit. On y voit une sorte de remake du procès de Jésus. C'est ainsi que s'accomplissent les annonces de persécutions que Jésus a faites à ses disciples. Luc souligne ainsi la communauté de destin entre les disciples et Jésus. Voyons cela dans le détail.

    Jésus avait annoncé à ses disciples : "Quand on vous conduira pour être jugés dans les synagogues, ou devant les dirigeants ou les autorités, ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer." (Luc 12:11-12, voir aussi Luc 21:15).

    Et voici que Pierre — dont on se souvient la peur, voire la lâcheté, devant la servante pendant le procès de Jésus — Pierre est maintenant plein d'assurance. Il s'exprime, au grand étonnement de l'assemblée, avec clarté et avec des arguments qui font mouche, alors que les grands-prêtres pensent avoir à faire à des gens simples et sans instruction. Luc dit clairement d'où vient cette audace et cette assurance : "Pierre était rempli du Saint-Esprit" (v. 8).

    Ainsi, les promesses de Jésus s'accomplissent. Le Pierre du reniement d'avant la croix et la résurrection a été transformé et cette transformation vient de l'Esprit-Saint, l'Esprit de Jésus qui habite maintenant les disciples.

    Un autre "trait de caractère" de l'apôtre mis en évidence par Luc est l'honnêteté. Les autorités du Temple demandent à Pierre et aux disciples de ne plus parler de Jésus au Temple. Là, Pierre joue l'honnêteté, il joue cartes sur table : ce ne sera pas possible, "nous ne pouvons par renoncer à parler de ce que nous avons vu et entendu" (v. 20).

    Ce n'est pas de la contestation, ce n'est pas de la provocation, c'est juste un positionnement, une affirmation, un fait. Ce positionnement est ancré dans la certitude "qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" (v. 19).

    Affirmation si évidente, mais affirmation si problématique. Affirmation évidente pour le sanhédrin, mais problématique pour le sanhédrin vis-à-vis des prédicateurs de Jésus. - Affirmation évidente aujourd'hui face aux violations des droits humains, mais affirmation problématique pour nous aujourd'hui lorsque ce sont les musulmans qui la prononcent pour obtenir des dérogations à nos lois. - Affirmation problématique dans un pays démocratique, où le peuple est le souverain.

    Qu'est-ce qui justifie cette phrase dans la bouche de Pierre ? Qu'est-ce qui la rend acceptable dans la pratique — puisqu'il est difficile de la contester dans l'absolu ?

    Comment concilier : Dieu est au-dessus de nos lois, fussent-elles démocratiques, et : Tout le monde doit se soumettre aux lois et aux principes de la démocratie ? Je pense qu'on peut trouver quelques pistes dans le comportement de Pierre.

    Premièrement, Pierre demande juste une liberté, un droit à la liberté d'expression. Il faut distinguer le "droit-liberté" du "droit-créance". Le "droit-créance" demande une action, une prestation de la part du pouvoir. Le droit au travail, le droit au logement sont des "droits-créances". Les "droits-liberté" demandent une abstention de la part du pouvoir : s'abstenir d'empêcher ou de réprimer. La liberté d'expression que demande Pierre ne demande pas de prestation, juste de ne pas être empêché de parler.

    Deuxièmement, cette liberté d'expression n'est pas contraignante pour les autres, elle n'oblige pas à rester pour écouter. Chacun reste libre d'adhérer ou pas au message de Pierre.

    Troisièmement, les apôtres sont prêts à assumer les conséquences et les inconvénients de leurs discours ou de leur opposition à l'autorité. Ils sont prêts au martyre. C'est une résistance non-violente et non-agressive.

    Quatrièmement, Pierre ne définit pas un contenu précis à ce que Dieu demande. Il ne revendique pas cette obéissance sur des cas particuliers, un comportement, un rite ou une coutume; et il ne cherche pas à imposer cette volonté à d'autres. Il demande un espace de liberté dans l'espace public.

    Ce conflit entre autorités religieuses et Pierre persiste encore aujourd'hui entre les autorités civiles et les demandes religieuses, entre la pensée dominante et les courants minoritaires, entre la volonté de faire le bien et la création légale du délit d’assistance.

    Le partage n'est pas facile à faire, nous le voyons souvent dans nos journaux. Rappelons-nous que la pratique du Christianisme (dans son essence), à la suite de Jésus, a toujours été de chercher des voies d'ouverture et de non-violence où le chrétien renonce à son droit plutôt que de devenir intolérant.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Partager en deux l’abîme par une main tendue !

    Actes 3

    23.9.2018

    Partager en deux l’abîme par une main tendue !

    Actes 3 : 1-10       Luc 14 : 15-21

    télécharger le texte : P-2018-09-23.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dans le livre des Actes, Luc a pour ambition d’écrire l’histoire du début de l’Eglise. Mais ce n’est pas l’histoire humaine qu’il veut écrire. Il veut mettre en scène l’action de Dieu au milieu des disciples, des apôtres et des croyants. C’est pourquoi Luc a dépeint la descente de l’Esprit saint sur les disciples à la Pentecôte, puis la force que donne l’Esprit saint aux apôtres.

    Tout le défi pour Luc est de savoir comment montrer — rendre visible à tous — dans un récit, l’action invisible de Dieu. On ne peut voir le vent, mais on voit ce qu’il soulève ou fait bouger. Eh bien Luc va montrer ce qui bouge, ce qui change sous l’action de l’Esprit saint.

    La première action qui suit la Pentecôte est cette rencontre de Pierre et Jean avec cet infirme qui mendie à une porte du Temple de Jérusalem. Le mendiant est handicapé depuis sa naissance. Il faut le porter jusqu’à l’entrée du Temple pour qu’il puisse mendier et gagner sa subsistance. Il reste à la porte, parce que l’intérieur du Temple est interdit à ceux qui ont des infirmités, des défauts physiques. Ce mendiant est donc caractérisé par l’immobilité, la passivité, la dépendance et l’exclusion.

    Pierre et Jean sont interpelés lorsqu’ils passent devant lui. Ils le regardent d’abord — ce que nous ne faisons souvent pas avec les mendiants de nos rues, préférant la plupart du temps éviter de croiser leurs regards.

    Ensuite Pierre lui parle… En gros il lui explique qu’il ne va pas lui donner d’argent ! Mais en faisant cela, Pierre quitte le registre économique pour entraîner le mendiant dans le registre du Royaume de Dieu — où tout est différent, tout est à l’excès, comme l’expriment les paraboles. Et Pierre prononce les mêmes paroles que Jésus face au paralytique (Luc 5:23) « Lève toi et marche ! »

    Finalement Pierre lui tend la main, il crée un contact physique, et le relève : ce verbe fait clairement allusion à la résurrection.

    La façon dont la scène se passe montre clairement la continuité entre l’œuvre de Jésus et l’œuvre des apôtres. Jésus est monté au ciel, mais son œuvre continue sur terre par la force du saint Esprit et les gestes des apôtres.

    Mais le récit n’est pas terminé. Le relèvement du mendiant n’est qu’une étape dans le travail de l’Esprit saint. Le passage de l’immobilité à la mobilité — le mendiant bondit en louant Dieu — n’est pas la seule transformation induite. Il était passif, il devient actif. Il était dépendant de ses porteurs et de ses bienfaiteurs, il devient indépendant, il va pouvoir retrouver une vie normale. Il était exclu du Temple, maintenant il rentre dans le Temple pour louer Dieu. Il a enfin accès à Dieu. Il découvre le surplus de valeur du spirituel sur le matériel, l’amour à la place de l’aumône.

    Cette guérison faite au nom de Jésus atteste de la destruction de toutes les barrières que les humains pouvaient inventer et placer entre Dieu et l’humain. Jésus l’avait déjà dit dans sa parabole du banquet. Le royaume de Dieu ne nécessite pas de ticket d’entrée. Bien plus même, ceux qui croyaient avoir un droit d’entrée (ayant reçu une invitation) ne s’y retrouvent pas, et ceux qui pensaient en être exclu — les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux (Luc 14:21)— sont repêchés et spécialement accueillis.

    L’Eglise que nous dépeint Luc avec cette « première admission » doit être à l’image du Royaume de Dieu que Jésus profilait dans ses paraboles. Une Eglise inclusive, une Eglise composée de tous les estropiés de la terre, de tous les blessés de la vie, de tous les meurtris de l’existence.

    Luc multiplie dans son Évangile et dans les Actes les récits avec des personnages généralement exclus du peuple d’Israël ou du culte : les bergers dans le récit de Noël (Luc 2), le centenier de Capharnaüm (Luc 7), les enfants écartés par les disciples (Luc 18), Zachée le collecteur d’impôts (Luc 19), et dans les Actes l’eunuque éthiopien (Actes 8), Corneille l’officier romain (Actes 10-11), et ici le mendiant à la porte du Temple.

    L’Eglise ne peut pas avoir de porte, de portillon de contrôle à l’entrée. L’Eglise est ouverte à tous, à la manière de Jésus-Christ qui rend son Père accessible à tous, sans condition.

    Par ce récit, Luc montre que l’Eglise c’est l’inverse du Temple : tous ceux à qui le Temple interdisait d’accès (laissait à l’extérieur) ceux-là même sont les invités privilégiés de la nouvelle communauté de l’Eglise.

    Cette guérison qui ouvre la porte du Temple va encore plus loin dans son message. Ce récit nous dit que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ s’inscrit dans la pâte humaine, dans le corps. Ce récit montre comment l’action de Dieu s’incarne, se corporéise dans notre réalité. Pas tellement dans l’idée d’un exploit médical — ce serait juste de la magie — mais dans le fait que l’Esprit de Jésus passe par Pierre, se faufile dans la main de Pierre, se transmet dans cette poignée de main et transforme la vie de cet homme en le faisant revivre.

    La main de Pierre guérit le mal de vivre de cet homme parce qu’il est un humain qui prend la main d’un autre. Un auteur que j’aime dit ceci : dans l’épreuve la plus noire « la question n’est pas de trouver une réponse à la nuit (...) mais à passer la nuit en compagnie de l’autre, à partager en deux l’abîme dans une fraternité. »*

    Partager en deux l’abîme par une main tendue ! Voilà ce que Jésus a enseigné à ses disciples, ce que ces disciples devenus apôtres mettent en pratique. Et c’est ainsi que se constitue une communauté appelée l’Eglise.

    Cette communauté n’est pas idéale, elle n’est pas faite de corps « photoshopés ». Elle est à l’image de son chef, de Jésus le Crucifié qui se montre à ses disciples : Ressuscité, mais portant les stigmates, les cicatrices de son exécution.

    À notre tour nous pouvons venir, entrer dans la communauté avec les blessures de nos vies, les cicatrices de notre passé. Le banquet s’est ouvert à ceux qui ne pensaient pas être dignes d’y être invités, à tous ceux qui ont été relevés par une poignée de main humaine. Quelle que soit notre infirmité cachée, ensemble nous pouvons être l’Eglise appelée par Dieu, sauvée par Jésus-Christ, et dynamisée par le saint Esprit.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016. p.343.

  • Découvrir Dieu à l’intérieur

    Actes 2

    2.9.2018

    Découvrir Dieu à l’intérieur

    Jérémie 31 : 31-34         Actes 2 : 1-4         2 Corinthiens 4 : 6-8

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dans notre parcours des Actes des Apôtres vient l’épisode de la Pentecôte. Jésus a quitté ses disciples à l’Ascension. Il leur a donné une mission géographique : évangéliser Jérusalem, la Judée, la Samarie et aller jusqu’aux confins de la terre (Ac 1:8).

    Les disciples ont reconstitué l’équipe des Douze en remplaçant la défection de Judas par la venue de Matthias, un disciple qui peut témoigner du ministère de Jésus de son baptême jusqu’à son ascension et attester que le Ressuscité est bien le Jésus qui a été crucifié (Ac 1:16-26).

    Avec la Pentecôte et le don de l'Esprit saint aux disciples, c'est l'accomplissement que Jésus avait annoncé et promis. Lui-même n'étant plus là, Dieu envoie l'Esprit saint comme présence divine auprès des disciples, des croyants.

    L'Evangéliste Luc en fait une représentation, une traduction dans la visible : même des inconnus autour de la maison entendent et voient des choses, même s'ils l'interprètent mal en pensant que les disciples sont ivres (Ac 2:13). Cette représentation s'inscrit dans le plan de Luc pour le livre des Actes, ce livre qui montre comment l'Esprit de Jésus anime les apôtres et dirige l'annonce de l'Evangile depuis Jérusalem jusqu'à Rome.

    Cette représentation peut devenir pour nous, aujourd'hui, un obstacle, si nous nous attachons aux "signes extérieurs", à la manifestation bruyante et visible. Cela risque de nous faire oublier que le don de l'Esprit est la réalisation de la nouvelle Alliance qu'annoncent tous les prophètes : Dieu se rend présent à nous. Jérémie annonçait cette nouvelle Alliance et nous pensons avec raison que le Christ l'a réalisée.

    Cependant, je pense que nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de l'enseignement de Jésus, nous n'en avons pas tiré toutes les conséquences ! Nous avons retenu que Jésus est le Fils de Dieu, c'est-à-dire que Jésus est habité pleinement par l'Esprit de Dieu. Nous avons retenu que le visage de tout prochain est porteur de l'image de Dieu, qu'il est le reflet du visage du Christ. Mais, nous hésitons à franchir le pas suivant, qui en est la suite logique : Dieu habite en nous. Dieu est au fond de nous-même.

    Si mon prochain est visage du Christ, pourquoi ne le suis-je pas pour moi-même ? Si Dieu est venu pleinement habiter dans l'homme Jésus, pourquoi n'habiterait-il pas en moi, comme il l'a promis ?

    Bien sûr, énoncer que "Dieu habite au plus profond de chaque être humain" est un courant minoritaire dans la Bible. Mais "le Messie souffrant" aussi était un courant minoritaire jusqu'à la mort sur la croix. Et pourtant, c'est la clé d'interprétation qu'a choisi le Christianisme pour relire l'Ecriture. A partir de la croix, le Christianisme a laissé tomber toute une partie de l'Ancien Testament, tout ce qui concerne les fêtes et le culte au Temple, les lois sacrificielles, les lois civiles et le code de pureté du Lévitique.

    N'est-il pas temps, aujourd'hui, de prendre au sérieux ce courant qui fait passer Dieu "de l'extérieur à l'intérieur" ? N'est-il pas temps de renoncer au Dieu extérieur, le maître de l'Histoire des peuples, le Dieu horloger, le Dieu "cause première" pour considérer le Dieu dont nous parle réellement Jésus : celui qui change les cœurs, celui qui soigne et guéri les plaies de l'âme, celui qui relève. A quoi sert de garder ce Dieu du dehors qui ne sert que de réceptacle aux reproches de nos contemporains qui disent avec raison de Lui : "pourquoi permet-il le mal s'il est tout-puissant" ?

    La Pentecôte est le signe de l'Esprit de Dieu qui vient en nous. C'est une représentation pour marquer qu'on entre dans une nouvelle période de la révélation. C'est la nouvelle Alliance préparée par les prophètes, celle qui concerne notre cœur de chair (Ez 11:19), celle qui s'inscrit dans nos consciences (Jér. 31:33), à l'intérieur de nous, au plus profond de notre être intérieur.

    Que Dieu habite en nous reste difficile à croire et l'apôtre Paul marque le paradoxe en parlant de la lumière divine que nous portons dans des vases d'argile (2 Co 4:7). Rien dans l'aspect de ces vases ne laisse apparaître qu'ils contiennent quelque chose d'aussi précieux… et pourtant. Pas d'orgueil pour nous de porter Dieu au fond de nous-mêmes. C'est un cadeau, souvent un cadeau difficile à découvrir.

    Nous sommes nous-mêmes tellement "à l'extérieur." Anthony de Mello déclare : "nous accumulons des choses parce que notre cœur est vide."*1 En effet, tant que nous n'avons pas découvert la lumière dans le vase d'argile, la présence de Dieu au plus profond de nous-mêmes, nous sentons le vide en nous. A travers le don de son Esprit, Dieu vient habiter notre cœur vide, il le remplit de sa présence. Comme dans les paraboles, la perle est déjà dans le coquillage, le trésor est déjà dans le champ quand ils sont découverts. Ils sont là, maintenant, dans l'attente d'être découverts.

    Et je finirai par cette phrase de Rûmi : "Bien que tu sois ensorcelé par ce monde, au secret de toi-même, tu es un trésor caché. Ouvre les yeux intérieurs, reviens enfin à l'origine de ta propre origine."*2

    Que ce récit du début des Actes soit pour nous le rappel que Dieu donne son Esprit à tous et que nous pouvons plonger en nous-mêmes — dans nos vases d'argile — pour y découvrir la lumière de Dieu, l'Esprit de Dieu, la Présence de Dieu qui nous habite.

    Amen

     © Jean-Marie Thévoz, 2018

     

     

    *1 citation complète. “Quand le moineau construit son nid dans la forêt, il n'occupe qu'une branche. Quand le cerf étanche sa soif à la rivière, il ne boit pas plus que son estomac ne peut contenir. Nous accumulons les choses parce nos cœurs sont vides.” tiré de Anthony de Mello, Histoires d'humour et de sagesse, Albin Michel 2007 (Espaces libres)

    trouvé sur http://dicocitations.lemonde.fr/citations-auteur-anthony_de_mello-0.php le 2.9.2018

    *2 tiré de l’Ode 120 : Djalal al-Dîn, Odes mystiques (Dîvân-e Shams-e Tabrîzî), Eva De Vitray-Meyerovitch (éd. et trad.) Paris, Seuil, 2003 (Points Sagesses, 180).

     

  • Reconstituer l’équipe des Douze apôtres

    Actes 1

    26.8.2018

    Reconstituer l’équipe des Douze apôtres

    Deutéronome 1 : 9-15      1 Corinthiens 15 : 3-11     Actes 1 : 15-26

     

    télécharger le texte : P-2018-08-26.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres raconte les débuts de l’Eglise, à la suite de l’Ascension de Jésus. Dans ses dernières paroles, Jésus annonce aux disciples qu’ils recevront bientôt l’Esprit saint et qu’ils seront ses témoins : à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’au bout de la terre.

    C’est la mission de la première Eglise et le livre des Actes va dépeindre cette extension géographique de Jérusalem jusqu’à Rome.

    Après avoir défini la mission de l’Eglise, l’auteur des Actes — qu’on nomme Luc, puisque les Actes font suite à l’Évangile selon Luc — s’emploie à décrire ceux qui composent cette première Eglise. Elle est composée des disciples que Jésus a choisis, entourés d’une petite foule de croyants, évaluée ici à 120 personnes.

    Pour ceux d’entre vous qui ont les événements de la Passion en tête, l’équipe des disciples n’y a pas particulièrement brillé. L’un des Douze — Judas — a livré Jésus à ses bourreaux. Un autre — Pierre — a renié trois fois son maître. Tous les autres se sont enfuis. Il ne restait que les femmes au pied de la croix.

    Il y a donc quelques histoires à reprendre pour repartir d’un bon pied. C’est Pierre qui se lève dans le groupe. Il reprend l’initiative, il ne baisse pas les bras. Il faut régler la défection de Judas, reconstituer le groupe des Douze.

    Pierre part du constat que Judas avait reçu sa part de service : il doit être remplacé pour que l’équipe soit au complet, pour que la mission puisse être remplie. Pierre ne s’attarde pas sur Judas, la façon dont il est mort révèle le jugement porté sur lui. La page est tournée. Pierre regarde l’avenir et la mission. Reconstituer les Douze, c’est affirmer la permanence des promesses divines.

    Le chiffre Douze a une signification symbolique. On a vu Moïse (Deut. 1:9-15) demander à chaque tribu d’Israël de nommer des représentants pour juger et administrer. Douze disciples, cela fait un représentant pour chaque tribu d’Israël. Cela manifeste que le message de Jésus est destiné — en premier lieu — au peuple d’Israël tout entier. Il ne doit pas manquer un seul témoin, comme dans la parabole de la brebis ou de la drachme perdue. Personne n’est abandonné, n’est laissé sur le côté du chemin. La bonne nouvelle est inclusive.

    L’équipe des Douze doit donc être complète. Et Luc énumère deux critères pour choisir la bonne personne, plus précisément pour être apôtre.

    a) il faut avoir accompagné Jésus de son baptême à son ascension. Il faut donc le connaître et avoir entendu son enseignement, avoir vécu la montée à Jérusalem et les événements de la Passion.

    b) il faut « être témoin de la résurrection ». Cette expression fait problème dans sa concision. La résurrection  elle-même a eu lieu dans le secret du tombeau et les Evangiles n’en font pas le récit. Par contre, ils nous relatent des temps où Jésus apparaît à ses disciples. Il faut donc comprendre cette expression comme la capacité à attester de l’identité — il est le même — du Jésus terrestre et du Christ ressuscité.

    Le candidat doit donc connaître Jésus, dans son ministère terrestre et dans ses manifestations de Ressuscité. C’est nécessaire pour avoir le titre d’apôtre et pour entrer dans le cercle des Douze et remplacer Judas.

    Dans cette définition d’apôtre — avoir suivi Jésus et vu le Christ ressuscité — Luc n’envisage pas de succession apostolique. Une seule génération — les témoins directs du Jésus terrestre — peut remplir ce rôle d’apôtre.

    La définition d’apôtre n’a pas toujours été aussi restrictive, puisque Paul se désigne lui-même comme apôtre — le moindre des apôtres, mais apôtre quand même, alors que Paul n’a pas suivi Jésus. D’une part il était trop jeune, d’autre part, il était dans le camp des persécuteurs de l’Eglise. Il se désigne cependant comme « apôtre » au sens étymologique du terme, parce que le Christ ressuscité lui est apparu sur le chemin de Damas et parce qu’il s’est reconnu comme « envoyé » (signification d’apostolos - apôtre) du Christ.

    Les Onze disciples choisissent deux candidats, ils prient en demandant à Dieu de choisir, puis ils tirent au sort. Le tirage au sort était fréquent pour les fonctions du Temple de Jérusalem — Zacharie avait été tiré au sort (Luc 1:9) pour entrer dans le sanctuaire où il reçu la révélation de la naissance de Jean Baptiste.

    D’habitude, dans l’Eglise, c’est l’Esprit saint qui fait des choix, sans tirage au sort. Mais, là, Luc est cohérent, le saint Esprit sera donné à la Pentecôte, il est trop tôt pour qu’il intervienne.

    Le sort tombe sur Matthias. Les Douze sont à nouveau au complet, la mission va pouvoir être entreprise et réalisée.

    Aujourd’hui, le souci d’avoir des équipes complètes à la tête de l’Eglise (des Régions et des Paroisses) est le même. C’est au printemps prochain que toutes les autorités de notre Eglise (vaudoise) seront renouvelées, à commencer par les Conseils paroissiaux et les bureaux des Assemblées paroissiales en mars 2019, puis les Conseils régionaux, les délégués aux Assemblées régionales et au Synode, puis finalement en juin l’élection du Conseil synodal par ce nouveau Synode.

    Nous serons à la recherche de personnes qui connaissent Jésus à travers les Ecritures et la prière, et qui peuvent témoigner de la vie que Dieu nous donne.

    Nous avons besoin de l’appui de toute l’Eglise pour discerner les dons et les charismes de chacun pour avoir à chaque place la bonne personne. Aucun don, aucune compétence n’est négligeable ; aucun appui n’est superflu pour que l’Evangile puisse être annoncé et reçu par ceux qui en ont besoin. La mission de l’Eglise reste la même, annoncer l’amour de Dieu à tous ceux qui en ont soif.

    Amen

  • Que s’est-il passé après la résurrection ?

    Actes 1

    12.8.2018

    Que s’est-il passé après la résurrection ?

    1 Thess 4 : 13-18      Actes 1 : 1-8       Actes 1 :9-14

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres s’ouvre par une dédicace à un certain Théophile (prénom qui signifie « celui qui aime Dieu ») exactement comme l’Évangile selon Luc (Lc 1:1). En fait, ces deux livres, Luc et Actes, sont l’œuvre en deux parties d’un même auteur, que la tradition a le nommé « Luc ». Après avoir récolté les éléments pour écrire son Évangile, il fait une œuvre novatrice en rassemblant les événements qui suivent.

    En effet, que s’est-il passé après la résurrection ? Seul le livre des Actes nous le dévoile par un récit. Les lettres de Paul et des autres apôtres nous ouvrent aussi une fenêtre sur cette période, mais de manière indirecte et discontinue. C’est pourquoi le livre des Actes est si intéressant. Je vais y consacrer mes prédications des prochains mois.

    Comme vous l’avez entendu, Luc a choisi le récit de l’Ascension comme récit charnière entre ses deux livres. L’Évangile dépeint le temps de Jésus et les Actes racontent le temps de l’Eglise, ou plus précisément le temps du Saint Esprit. Il y a une insistance sur la transition, le passage, la transmission du témoin — de Jésus au Saint Esprit — dans ce début du livre des Actes, qui culmine avec le récit de la Pentecôte (Ac 2).

    Jésus s’en va, mais il est remplacé par la venue du Saint Esprit qui devient la présence actualisée de Jésus auprès des disciples. Luc partage ainsi l’histoire du salut en trois parties : (i) l’histoire d’Israël jusqu’à Jean-Baptiste ; (ii) le temps de Jésus, de sa naissance à l’Ascension ; (iii) le temps du Saint Esprit depuis la Pentecôte.

    La gestion du temps est une question qui préoccupe beaucoup les premiers chrétiens. C’est la question que les disciples posent à Jésus dans ce dernier dialogue. Quand Jésus leur annonce qu’ils vont recevoir bientôt le Saint Esprit, ils demandent : « Est-ce que ce sera à ce moment que tu établiras ton royaume en Israël ? » (Ac 1:6)

    La question qui préoccupe les premiers chrétiens c’est : « Quand est-ce que le Christ revient ? On appelle ce retour du Christ « la parousie ». Quand donc aura lieu la parousie ? Paul avait déjà dû répondre à cette question dans sa lettre aux Thessaloniciens (1Thess 4:13-18) : certains chrétiens sont morts avant le retour du Christ et cela inquiète. Pourquoi sont-ils morts alors que Paul annonce la résurrection ? Dans sa réponse, Paul dit en même temps qu’il n’y a pas à s’en faire pour ceux qui sont déjà morts, ils ressusciteront, et il dit aussi que certains de cette génération, dont lui-même, verront le retour du Christ avant de mourir. Paul écrit cette première lettre autour de l’an 50. Luc écrit le livre des Actes autour des années 90, quarante années ont passé. La position sur la parousie a évolué.

    La réponse de Jésus aux disciples est une fin de non recevoir : cette question du moment de la parousie ne doit pas être un sujet de préoccupation, la réponse — les temps et les moments — n’appartiennent qu’à Dieu.

    Mais si le temps d’attente se prolonge… que faire de ce temps ? C’est à cette question que répond le livre des Actes. Que faire du temps entre le départ de Jésus et son retour, car Luc n’a pas renoncé à l’idée de retour, les deux messagers du ciel confirment que « celui qui a été enlevé reviendra de la même manière que vous l’avez vu partir » (Ac 1:11).

    Mais ce retour n’est pas daté, peut-être même pas proche, nous en savons quelque chose.

    Si cet intervalle s’allonge, alors il y a place pour des événements, pour une histoire, pour des histoires et l’Histoire avec un grand H. C’est cette Histoire que Luc nous a écrite, une histoire qui dépeint l’origine de l’Eglise et sa finalité.

    Le don de l’Esprit Saint est assorti d’une mission et c’est cette mission qui remplit l’intervalle entre le départ et le retour du Christ. C’est le début de cette mission que nous décrit Luc dans ce livre des Actes.

    La mission est formulée ainsi : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’au bout de la terre.» (Ac 1:8) Et c’est sur ce plan qu’est construit le livre des Actes. Les apôtres prêchent d’abord au Temple de Jérusalem (Ac 3; 4; 5:20). Lorsqu’ils en sont chassés, il partant en Samarie (Ac 8), puis à Antioche et Damas. Paul évangélise l’Asie Mineure (la Turquie actuelle) puis la Grèce. Finalement arrêté, Paul demande à comparaître devant l’empereur et il est emmené à Rome (Ac 28). L’Évangile est parvenu dans la capitale. De là, avec les témoins suivants, il pourra poursuivre son avancée jusqu’au bout de la terre.

    Luc, par son histoire des origines de l’Eglise, donne de l’importance au temps, au temps présent. Il montre comment l’action de Dieu s’inscrit concrètement dans la vie de tous les jours des communautés. L’Eglise n’est pas un petit groupe assis les yeux rivés sur le ciel. L’Eglise est une communauté qui bouge, qui voyage, qui témoigne dans toutes sortes de situations et devant toutes sortes de personnages, souvent les autorités.

    L’Eglise nous est présenté avec plusieurs facettes :

    1. a) Elle semble idéale quand on la lit unie, persévérante dans la prière et partageant ses bien entre tous (Ac 1:14 ;2:42,46 ;4:31-32 ;5:12,42).
    2. b) Elle est aussi persécutée (Ac 5; 7; 8; 12; 16; 19; 21), l’objet de revers (Ac 8:4; 14:50 ;17).
    3. c) Elle est aussi incrédule, freinant en face aux nouveautés. On le voit dans l’épisode de Pierre avec Corneille (Ac 10 et 11), où on dirait que Dieu dois mettre toute son énergie pour convaincre Pierre d’abord, puis le conseil de l’Eglise (Ac 15) que les païens peuvent entrer dans la communauté de l’Eglise. L’Eglise ne semblait pas prête à penser que tous les êtres humains sont accueillis impartialement par Dieu.
    4. d) Enfin l’Eglise que nous dépeint Luc est en croissance. Il le montre par l’expansion géographique, de Jérusalem à Rome, et l’expansion numérique (Ac 2:41). Mais l’expansion la plus importante est celle du son ouverture sociale universelle. Aucune catégorie sociale, économique, de genre, de race, de religion, d’origine etc. ne peut constituer une barrière à l’amour de Dieu.

    Cette vision de l’Eglise est bien dans la ligne de Jésus, accueillant et guérissant tous ceux qui venaient à lui.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018