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croix

  • Qui a tué Jésus ?

    pour le dimanche 29 mars

    Luc 23

    Qui a tué Jésus ?

    Luc 6 : 37-38.        Luc 23 : 26-43.

    télécharger le texte ici : P-2020-03-29.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous sommes bien engagés dans le temps du carême, dans notre montée vers Pâques. Le récit de la Passion de Jésus nous laisse avec la question : « Qui a tué Jésus ? »

    A cette question, on peut répondre de deux façons, historiquement et théologiquement. La réponse historique va essayer de retrouver les faits qui sont présentés dans et derrière les textes. La réponse théologique va rechercher le sens, la signification que les textes donnent aux événements, en prenant en compte un contexte plus large, notamment l'histoire complète des relations entre Israël et Dieu.

    Abordons l'aspect historique. D'abord, Jésus est un juif parmi le peuple juif. On se trouve donc avec des événements qui se passent à l'intérieur d'un peuple, d'une communauté. Pour compliquer les choses, ce peuple est occupé par la puissance romaine, une puissance étrangère, tant en ce qui concerne la géographie que la culture.

    Dans ce contexte : qui en veut à Jésus ? quels sont les acteurs de sa condamnation à mort ? Là, il est intéressant de relire tout le texte de la Passion. J'ai relu le récit de Luc. Dans son texte, ce qui est frappant lorsqu'on relève les noms des groupes qui sont amis ou ennemis de Jésus, c'est de voir que le groupe des ennemis s'accroît régulièrement et que le groupe des amis décroît aussi régulièrement.

    Au départ, il y a juste les chefs des prêtres et les maîtres de la loi qui cherchent un moyen de mettre à mort Jésus (Lc 22:2). Mais — dit le texte — ils avaient peur du peuple. Ce qui signifie que le peuple est favorable à Jésus.

    Peu à peu, au cours du récit, les uns après les autres, les groupes vont passer de l'ensemble des amis à celui des ennemis, y compris dans la petite troupe des disciples, à commencer par Judas, pour finir par le reniement de Pierre. L'aboutissement est l'unanimité, lorsque "tous ensemble" ils crient à Pilate de crucifier Jésus (Lc 23:18).

    Evidemment, lorsqu'on est à Jérusalem, ce "tous ensemble" est composé de juifs. Mais si cela se passait à Athènes, ce seraient des grecs, à Rome, ce seraient des romains, etc. Ce fait historique ne peut fonder une idéologie anti-juive ou antisémite, ce que la théologie confirme. La foule représente toute l'humanité, y compris nous-mêmes.

    Il faut encore parler des romains. Comme puissance occupante, eux seuls avaient la prérogative d'appliquer la peine de mort. Le rôle des romains (dans la personne de Pilate) est très ambigu ! D'un côté Pilate ne cesse de dire que Jésus est innocent et cherche à le faire relâcher, mais de l'autre il cède à la foule ! Quelle est cette superpuissance qui cède à une foule ? De ce point de vue, les Evangiles sont très critiques par rapport aux romains.

    Abordons maintenant l'aspect théologique. Je crois que les Evangélistes ne sont pas intéressés à chercher qui a tué Jésus. Ce qui leur importe c'est de montrer deux choses (i) l'unanimité de tous à condamner Jésus, (ii) affirmer que Jésus était un homme juste.

    Les Evangélistes ne cherchent pas à désigner des coupables, puisqu'ils sont les quatre d'accord pour dire que personne n'a pu échapper à la folie meurtrière, même le disciple Pierre s'est placé du côté des persécuteurs pour sauver sa vie.

    Ce que les Evangélistes veulent, c'est révéler le processus lui-même qui consiste à noircir un innocent, à le faire passer pour coupable, pour justifier sa mise à mort. Une des phrases les plus importantes du récit, c'est "il a été mis au rang des malfaiteurs" sous-entendu alors qu'il était innocent (Lc 22:37).

    Cela est mis en évidence dans le dialogue entre les deux malfaiteurs crucifiés de part et d'autre de Jésus. L'un accuse Jésus : "N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi et sauve-nous avec toi" (Lc 23:39). Ce qui signifie en clair : soit tu as menti toute ta vie et tu mérites ton châtiment, soit tu es un idiot de ne pas te sauver et tu mérites ce qui t'arrive.

    L'autre malfaiteur est celui qu'on peut désigner comme le premier chrétien de l'Histoire, il croit en l'innocence de Jésus et révèle l'injustice de cette situation lorsqu'il confesse : "pour nous cette punition est juste, car nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes, mais lui n'a rien fait de mal." (Lc 23:41)

    Le récit de la Passion est la révélation — au sens fort du terme — de ce mécanisme qui nous fait blâmer les victimes au lieu de voir l'injustice et faire acte de compassion.

    Le christianime — avec le judaïsme, parce que l'Ancien Testament est rempli de prises de position en faveur de la victime — nous apprend à regarder les situations avec le récit de la Passion en mémoire, pour nous garder de tomber dans le blâme de la victime.

    La vie et la mort de Jésus doivent rester dans notre esprit comme une grille de lecture de toute situation de violence et particulièrement de violence collective contre un individu ou une minorité — depuis la bagarre dans le préau de l'école jusque dans les discours politiques justifiant une guerre.

    La question : « Qui a tué Jésus ? » n'est pas importante en ce qui concerne le passé. Mais elle est primordiale pour nous aujourd'hui : nous sommes tous passibles et capables de tuer Jésus, c'est-à-dire d'être mêlés à la condamnation d'un juste, d'un innocent.

    Nous le risquons si nous perdons de vue Jésus sur la croix comme révélation de notre capacité à la violence. C'est en cela que Jésus nous sauve, pourvu que nous n'oubliions pas ce qu'il nous révèle sur la croix.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

     

  • Le miracle de Pâques, c’est que Jésus nous fait comprendre le sens de la croix

    1.4.2018

    Le miracle de Pâques, c’est que Jésus nous fait comprendre le sens de la croix

    Esaïe 53 : 7-12      Osée 5 : 15 — 6 : 3        Luc 24 : 33-48

     

    télécharger le texte : P-2018-04-01.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Aujourd'hui, nous rappelons, nous commémorons, mais surtout, nous voulons vivre, nous imprégner de la journée qui a changé la face du monde : le dimanche de Pâques. C'est pour les disciples le premier jour de la semaine après la fête de la Pâque. Une journée tout en contraste que nous allons suivre dans l'Evangile de Luc.

    La fête de la Pâque a dû être triste, douloureuse pour les disciples. Ils pleurent la mort de Jésus, arrivée le vendredi précédent, une mort ignominieuse pour leur maître et ami. En cette aube d'après sabbat, les femmes vont au tombeau pour s'occuper du corps de Jésus, les rites funéraires ne pouvant avoir lieu pendant le sabbat.

    Les femmes trouvent le tombeau vide et vont raconter leur découverte aux autres disciples. Pour eux, c'est du délire de bonnes femmes ! Seul Pierre va vérifier. Mais il en revient perplexe. Le tombeau vide ne fait pas l'effet d'une révélation.

    Deux compagnons quittent alors le groupe pour aller à Emmaüs. On connaît leur rencontre avec Jésus (Luc 24 : 13-35), qu'ils ne reconnaissent pas jusqu'au moment où Jésus rompt le pain avec eux, mais disparaît. C'est le soir, ils retournent cependant à Jérusalem témoigner de leur expérience. Là, ils trouvent les disciples qui ont aussi quelque chose à leur dire : « Le Seigneur est vraiment ressuscité ! Simon l'a vu ! » (Luc 24:34).

    C'est alors que Jésus se matérialise au milieu d'eux. J'utilise — moi — ce terme "se matérialise" parce qu'il rend bien l'ambiguïté de la situation. Luc — lui — dit : "Jésus se tint au milieu d'eux." C'est comme s'il n'était pas entré par la porte, c’est pourquoi les disciples le prennent pour un esprit, un fantôme. C'est pourquoi Jésus doit se faire reconnaître en montrant ses mains et ses pieds.

    Même là — encore — les disciples restent incrédules, nous dit Luc ! Jésus décide alors de leur demander à manger. Mais même cela ne suffit pas. Jésus doit leur "ouvrir l'intelligence en leur expliquant les Ecritures." (Lc 24:45)

    Il est intéressant de remarquer que pour Luc, les signes matériels ne sont pas convaincants, les signes matériels ne sont pas les éléments qui conduisent à la foi, à la reconnaissance de Jésus. Il est clair pour Luc — et pour les premiers chrétiens — que ces récits d'Evangiles ne posent pas la question de l'identité physique et biologique de Jésus, mais de son identité spirituelle ! Il ne s'agit pas de reconnaître un Jésus réanimé, revenu à la vie comme Lazare, mais de reconnaître "le Seigneur", "le Vivant."

    Cette reconnaissance ne passe pas par nos yeux, mais par la communion, le partage du pain et par la Parole, la compréhension de l'Ecriture. Il s'agit de reconnaître que dans la vie de ce Jésus qui a été crucifié se réalisait, s'accomplissait le plan de Dieu, la révélation de l'amour total de Dieu envers tous les humains. Dieu ne cherche pas à éblouir par un miracle — même le miracle de la résurrection — il cherche à être entendu et compris.

    Le miracle de Pâques, le miracle de la résurrection, c'est l'action de Dieu lorsqu'il ouvre l'intelligence des disciples pour qu'ils comprennent les Ecritures, pour que nous comprenions les Ecritures.

    Pâques doit nous amener à comprendre les récits de la Bible, les récits de personnages victimes de malheurs, de persécutions. Surtout comprendre que ces personnages ne sont pas poursuivis par Dieu, mais qu'au contraire, Dieu se tient à leurs côtés — même si c'est contre toutes les apparences !

    Comme le dit le Chant du Serviteur souffrant d'Esaïe : "Le Seigneur approuve son serviteur accablé et il rétablit celui qui avait offert sa vie à la place des autres." (Es 53:10) Et il en est ainsi à travers tout l'Ancien Testament. Dieu est aux côtés d'Abel, de Joseph, d'Urie, de Naboth, de Jérémie, de Daniel, de même qu'il sera aux côtés d'Etienne et de tous les martyrs chrétiens ultérieurs.

    La révélation, c'est que Jésus crucifié explique les Ecritures. Le récit de la mort et de la résurrection met en lumière tout ce qui se trouve déjà écrit. Et maintenant Jésus ouvre aussi notre intelligence, notre esprit, pour que nous puissions relire nos vies à sa lumière, à la lumière de Pâques, à la lumière de la résurrection.

    Le miracle de Pâques, c'est de pouvoir se retourner et voir dans nos vies la présence de Dieu, de voir ses pas à côté des nôtres, de voir qu'il était là pour nous guider, pour nous consoler, pour nous réjouir. La joie de Pâques, c'est de laisser notre esprit s'ouvrir à cette présence, d'avoir foi d'être accompagnés maintenant, d'être accompagnés toujours.

    Alors, Joyeuses Pâques à tous !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Matthieu 27. Le rideau du Temple est déchiré

    Matthieu 27

    30.3.2018

    Le rideau du Temple est déchiré

    Esaïe 53 : 1-12 Hébreux 10 : 19-24 Matthieu 27 : 35-38 + 45-53

     

    télécharger le texte : P-2018-03-30.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous avons entendu le passage biblique qui raconte la mort de Jésus. Lorsque je relis ce récit — comme l'ensemble du récit de la Passion — je suis frappé par la sobriété du récit. On aurait pu imaginer que les premières Eglises, dans un élan de mémoire et par vénération pour leur Seigneur, aient enjolivé le récit, rajouté toutes sortes d'éléments pour bien montrer le rôle exceptionnel de leur héros ! Non, rien de tout cela. Le récit est court, sobre, mesuré. On voit que chaque mot est pesé, pensé, porteur de sens, de signification, mais il n'y a pas de dérive vers le fantastique ou le miraculeux — au contraire, pourrait-on dire.

    Il y a comme la nécessité que ce récit soit un procès-verbal fidèle de ce qui s'est passé, dans son dépouillement, sa crudité, sa cruauté aussi. Le sens vient du compte-rendu et non de rajouts. Cela est possible par le fait que les mots utilisés pour rendre compte des événements sont autant de renvois à d'autres textes et récits pour l'auditeur averti.

    On pourrait dire que les évangélistes sont les inventeurs de ce qu'on appelle en langage informatique de l'hypertexte ! De l'hypertexte, c'est un mot qui s'affiche en couleur sur l'écran et sur lequel on peut diriger le curseur de la souris et cliquer. Du mot choisi surgira une nouvelle fenêtre sur laquelle on peut lire une information supplémentaire concernant ce mot.

    Pour le récit de la mort de Jésus, ces informations supplémentaires viennent de l'Ancien Testament. Ce n’est qu'au travers du message de l'Ancien Testament que la mort de Jésus a pu être comprise par les disciples.

    La relecture de la Passion passe donc par le Ps 22 (que nous avons antiphoné au début du culte 64-23) et par Esaïe 53 (que nous avons entendu). Dans ces deux textes se trouvent un grand nombre de paroles qui aident à comprendre la mort de Jésus, comme messie souffrant.

    Un mot dans le récit de la mort de Jésus a retenu mon attention cette semaine : "Jésus poussa un grand cri et mourut. A ce moment, le rideau suspendu dans le Temple se déchira, depuis le haut, jusqu'en bas" (Mt 27:50-51).

    Le rideau qui se déchire n'est pas une citation de l'Ancien Testament, ne se trouve ni dans le Ps 22, ni dans Esaïe 53, et pourtant les trois évangélistes le mentionnent ! C'est une phrase intrigante. Que veut-elle nous dire ? Cela se passe exactement au moment de la mort de Jésus. Cela signifie que la mort de Jésus provoque quelque chose à l'intérieur du Temple.

    Le rideau dont il est question sépare le lieu saint où sont apportées les offrandes par les prêtres, du lieu très saint ou devraient résider l'Arche de l'alliance et les Tables de la Loi (je dis "devraient" car elles ont disparu lors de la démolition du premier Temple en 587 avant J.-C.).

    Le lieu très saint est inaccessible aux hommes, sauf une fois par an, par le grand-prêtre, pour un rituel du pardon des péchés de tout le peuple. Le grand-prêtre doit en premier offrir (hors du saint des saints) un sacrifice pour ses propres péchés et accomplir un rituel de purification. Ensuite seulement, il peut entrer dans le lieu très saint, apportant à Dieu l'ensemble des péchés du peuple d'Israël.

    Il y a deux éléments dans cette partie rituelle, une aspersion de sang sur l'arche et le rituel du bouc émissaire qui sera ensuite envoyé dans le désert avec les péchés du peuple (voir Lév. 16).

    Ainsi le grand-prêtre doit se présenter devant Dieu sans péché et apporter tous les péchés de son peuple pour le grand pardon.

    Lorsque les évangélistes affirment que le rideau du Temple s'est déchiré de haut en bas au moment où Jésus meurt, ils déclarent en quelque sorte qu'à ce moment Jésus entre dans le lieu très saint. Il entre en tant que grand-prêtre sans péché et portant les péchés de tout le peuple, voire de la terre entière.

    Si le rideau est déchiré, c'est que cette entrée est faite une fois pour toute, définitivement et que le rideau n'a plus d'usage après cela. Ce qui devait séparer les humains de Dieu n'a plus lieu d'être dès que Jésus l'a franchi. Les rapports entre Dieu et les humains sont fondamentalement et définitivement changés. Il n'y a plus de séparation entre Dieu et les humains. Il n'y a plus de rideau. Il n'y a plus que le Christ qui fait le lien entre Dieu et les humains, entre les humains et Dieu.

    Dieu — en Jésus-Christ — prend sur lui d'ouvrir à tous son pardon, ce qu'aucun de nos efforts ne pouvait rendre possible, ce qu'aucun sacrifice ne pouvait rendre possible.

    Le rideau déchiré abolit la séparation, marque la réconciliation que Dieu offre aux humains.

    "Ainsi, frères — comme le dit la lettre aux Hébreux — nous avons la liberté d'entrer dans le lieu très saint, grâce au sang du sacrifice de Jésus. Il nous a ouvert un chemin nouveau et vivant au travers du voile (...). Approchons-nous donc de Dieu avec un cœur sincère et une foi pleine d'assurance (...). (Heb. 10:19-22).

    Voilà ce que Jésus accomplit pour nous aujourd'hui !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Changer notre regard sur le monde

    12.2.2017

     

    Changer notre regard sur le monde

    1 Corinthiens 2 : 1-8          Matthieu 5 : 17-22

     

    Télécharger le texte : P-2017-02-12.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Peut-on encore ouvrir le journal sans se demander si notre monde n’est pas fou ? Peut-on encore regarder les informations sans se demander si le monde tourne bien rond ?

    Le monde politique devient un cirque médiatique. Le monde économique fait de la surenchère, demandant en même temps plus de garde-fous pour les autres et plus de libéralisme pour soi. Sans compter les potentats, les états guerriers, les autoamnisties des parlements ou des gouvernements et les fuites en avant dans le « toujours plus de la même chose » comme solution à nos problèmes.

    La question fondamentale, c’est de se demander si notre monde est encore intelligible, compréhensible ?

    On s’est reposé sur la science pour expliquer le monde. Avec comme idée de base qu’à force de chercher on allait trouver des réponses. Oui, cela a porté des fruits, apporté des réponses, mais aussi toujours plus de nouvelles questions et de nouvelles responsabilités.

    Nous nous sommes reposés sur une explication économique du monde. En cherchant tous améliorer nos conditions de vie, n’irait-on pas vers le développement et l’amélioration de la vie de tous ? Pourtant le fossé se creuse entre le sommet et la base. Aujourd’hui huit personnes possèdent autant que la moitié des habitants de la planète.

    D’autres personnes se reposent sur les théories du complot. Elles postulent que de petits groupes cachés, secrets, dirigent le monde par derrière. Cela peut être la CIA, les Illuminati, ou les GAFA : Google Apple Facebook et Amazon.

    Et nous ? Comment comprenons-nous le monde en tant que chrétiens ? Dans les lignes de la lettre aux Corinthiens que vous avez entendues, Paul propose sa compréhension du monde. Une compréhension différente de celles que je viens d’évoquer. Paul affirme que le monde est compréhensible, même qu’il va nous l’expliquer en nous révélant « le plan secret de Dieu » pour nous et pour le monde.

    « Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le plan secret de Dieu. Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Aussi ai-je été devant vous faible, craintif et tout tremblant. » (1 Co 2 : 1-3)

    Cette révélation ne repose pas sur des effets de manches et un discours compliqué, il se résume à prêcher le Christ, le Christ crucifié. En disant cela, Paul rappelle à ses amis de Corinthe comment il est venu vers eux, plein de crainte et de modestie. Si le message de Paul a pu passer auprès d’eux, cela ne venait pas de lui, mais de la puissance divine du message lui-même. C’est l’Esprit de Dieu lui-même qui a convaincu les Corinthiens, pas la rhétorique de Paul.

    Il y a dans le message, dans la prédication du Christ crucifié, une force interne, une dynamique qui vient de Dieu et pas du messager. Paul se fait tout petit pour faire de la place au message, au Christ, à Dieu lui-même. Paul insiste pour montrer qu’il y a deux sagesses à l’œuvre dans le monde, deux sagesses qui s’opposent. D’un côté la sagesse humaine qui est faite d’éclat de langage et de brillance apparente et de l’autre, la sagesse divine qui s’exprime dans le dépouillement, mais qui n’en a que plus de force, de dynamisme.

    La sagesse humaine — que Paul désigne comme folie dans le chapitre précédent (1 Co 1:20) — s’appuie sur l’exercice du pouvoir et de la force. La sagesse divine au contraire se dévoile dans le paradoxe du dénuement, du renoncement à la puissance, ce que Jésus a révélé sur la croix.

    Il y a inversion des signes entre la sagesse et la folie. La folie de la croix, folie aux yeux des humains (signe négatif) devient sagesse de Dieu (signe positif). La sagesse humaine (signe positif aux yeux des humains), devient folie devant Dieu (signe négatif).

    Le plan secret de Dieu — révélé dans la prédication du Christ crucifié — c’est l’inversion des signes, l’inversion des valeurs. Tout ce que le monde valorise — succès, richesse, pouvoir, célébrité — n’a pas de valeur aux yeux de Dieu. Tout ce que le monde dévalorise — insuccès, quête de la justice, gestes de paix, pleurer avec les malheureux et les endeuillés — Dieu le valorise.

    Vous n’êtes pas applaudi sur un plateau de télé, heureux êtes-vous !

    Vous ne vous associez pas aux moqueurs en tout genre, heureux êtes-vous !

    Vous prenez du temps pour tenir la main d’une personne en désarroi, heureux êtes-vous !

    Jésus enseignait déjà cette sagesse inversée dans le Sermon sur la montagne (mt 5—7). On le voit dans les Béatitudes, ou lorsque Jésus reprend les commandements de la Loi et les approfondit, les creuse jusqu’à l’extrême. Il exprime alors ce renversement des valeurs. Si l’injure est désignée comme aussi grave que le meurtre, c’est pour montrer jusqu’où plonge la racine de la violence. Pour montrer jusqu’où il faut descendre en soi pour changer ou être changé pour suivre le Christ.

    Le Sermon sur la montagne présente une sagesse de l’excès, inatteignable ! Il le fait pour montrer que le Christ nous invite à un changement radical, une véritable conversion, et pas à faire plus ou mieux de la même chose. Il ne s’agit pas d’être plus sage avec Jésus. Il s’agit de changer de sagesse, de quitter la sagesse des humains pour adopter la folie de Dieu. Folie de Dieu qui se révèle — en fin de compte — plus sage que la sagesse humaine, par un retournement paradoxal. C’est en renonçant à la puissance divine, c’est en renonçant à descendre de la croix, que le Christ acquiert sa vraie puissance, une puissance qui n’écrase pas, mais qui soutient, qui porte, qui sauve.

    Face au monde actuel qui nous semble être fou, peut-être est-il temps d’abandonner cette sagesse humaine qui nous conduit droit dans le mur et d’adopter la folie de Dieu, la folie de la croix, qui nous dit qu’il est préférable de servir plutôt que d’écraser, qu’il est préférable de renoncer plutôt que de s’emparer, qu’il est préférable d’aimer plutôt que de haïr ou d’être dans la rancune.

    Le monde actuel devient intelligible, compréhensible — même si pas plus rassurant — en le lisant avec l’échelle inversée de la sagesse divine, de la sagesse chrétienne.

    Avec le Christ crucifié, nous pouvons relever les gestes dévalorisés par le monde et voir les vraies valeurs. Avec le Christ crucifié nous pouvons relever les gestes que le monde trouve sans rendement, mais qui donne toute sa valeur à la vie humaine. On trouve ainsi sur Youtube des petites vidéos qui montrent des « actes de gentillesse » ou des gestes pour « retrouver foi en l’humanité » qui relèvent ces gestes-là.

    Avec le Christ crucifié, nous pouvons lire le monde autrement et relever combien il y a des attitudes qui rendent le monde différent et la vie digne d’être vécue. Avec le Christ crucifié nous pouvons pratiquer cela. Faire cela, c’était témoigner de l’Évangile, de la bonne nouvelle de Jésus-Christ.

    Amen

     

    © Jean-Marie Thévoz, 2017


     

     

  • Visite de la Chapelle de Villars-Ste-Croix

    Texte de Jean-Marie Thévoz, prononcé le 7 juin 2015 pour le 40e anniversaire de la Chapelle de Villars-Ste-Croix.

    Télécharger le texte : Visite de la Chapelle de Villars.pdf

    Architecture extérieure : Ph_JMT-20150423-8862.JPG

     

    Les plans de la Chapelle ont été élaborés par le Bureau d’architecte : CUEREL & CORDEY. Après la visite de plusieurs églises modernes du canton, ils ont décidé de créer quelque chose de nouveau. L’idée était de sortir des sentiers battus, sans faire quelque chose d’extravagant, rester dans des formes simples, qui correspondent à la simplicité d’un village de campagne et au caractère paisible du paysage.

    Cela a donné : un toit à 2 pans en eternit noir, posé sur un socle en béton crépit en blanc, une paroi de chœur, également en crépi blanc et une entrée sous l’avancée du toit, lambrissée de bois.

    Les pans du toit sont animés de cinq avant-toits triangulaires (demi-pyramides) qui rythment les façades. Je reviendrais sur les nombres et leurs significations.

    Le clocher sur le faîte du toit, reprend la forme générale de la Chapelle. Au vu des coûts généraux (330'000.-), l’achat d’une cloche a été reporté à plus tard. VSC triangle2.png

    La Commune a complètement refait le toit en 2012, cette fois en vraie ardoise, après des dégâts dus à la grêle et à la foudre qui avait touché le clocher.

    La forme visible de la chapelle semble être une simple tente de camping ! Mais c’est plus complexe que cela ! Il y a certes 2 pans de toit, mais les extrémités forment un avant-toit. 

    VSC Tétraèdre - copie.jpgOn peut donc voir que le faîte du toit est plus long que le bas des pans près du sol. Si l’on prolonge les arrêtes latérales dans le sol, elles vont se rejoindre et former un triangle. (figure 1) 

    Si l’on assemble les 2 pans du toit triangulaires et les parois des avant-toits qui eux-mêmes forment un triangle, on aboutit à un tétraèdre, soit un volume fait de 4 triangles semblables. (figure 2)

    Cette chapelle est comme un iceberg dont 1/3 est émergé, mais dans la partie virtuellement enterrée est semblable à celle qui émerge. Il y a donc la place pour creuser une crypte ! VSC pyramide - copie.jpg

    Si l’on couche le volume apparent et caché de la Chapelle, cela forme une pyramide sur une base triangulaire, soit une Pyramide trigonale. (figure 3)

    On découvre ainsi qu’il y a une pyramide secrète à Villars-Ste-Croix ! Dont seule une partie émerge ! Vous pourrez donc intriguer vos amis en parlant de la pyramide cachée de Villars et en leur demandant de partir à sa recherche

    Ce sont les paroissiens, dont certains agriculteurs, qui ont fait les aménagements et les plantations de buissons de d’arbres autour de la Chapelle.

     

    Architecture intérieurePh_JMT-20150423-8875.JPG

    On retrouve l’aspect sobre de la construction à l’intérieur. Cette fois, on se trouve à l’intérieur du triangle, avec des matériaux semblables à l’extérieur, mais en positions inversées. Au toit noir, correspond un sol noir, en ardoise. Aux parois des extrémités en bois, correspondent les parois intérieures du toit. Le chœur restant fait de crépit blanc.

    Il faut remarquer la charpente tout à fait originale avec ses croisillons. C’est une des premières charpentes croisées auto-portantes et auto-structurantes du canton. Une charpente droite, avec une seule poutre maîtresse au sommet aurait risqué de se fausser à la longue, ou au pire de tomber comme une tente de toile par temps d’orage.

    Ph_JMT-20150423-8877.JPGLa Chapelle est agrémentée de vitraux sur les côtés. Ce ne sont pas des vitraux au plomb, leur position inclinée, presque horizontale (et le coût) ne le permettait pas. Ce sont des assemblages de verre liés avec du ciment, dessinés par l’architecte Cordey et mis en forme par l’entreprise Bianchi. On trouve 3 grands vitraux de chaque côté, intercalés avec des petits vitraux carrés. Chaque grand vitrail  représente un pentagone en forme de maison, un carré surmonté d’un triangle. Je reviendrai sur l’omniprésence des triangles dans la construction de la Chapelle.

    La volonté des architectes a été d’éviter toute lumière directe dans la Chapelle. Le chœur est éclairé par des baies vitrées verticales, mais cachées dans un renfoncement. Les vitraux sont rétro-éclairés, par en-dessous. A l’origine, pour fournir de la lumière pour la lecture des chants pendant le culte, il n’y avait que des projecteurs qui éclairaient le bois de la charpente.

    Mais le bois ayant foncé en vieillissant et la lumière n’étant plus suffisante pour lire, trois luminaires suspendus ont été rajoutés lors des travaux de 2012.

     

    Dans le chœur

    Ph_JMT-20150423-8888.JPGLa croix est faite d’un bois de sapin qui vient de la forêt de Villars-Ste-Croix. Elle a été taillée à Yverdon et ramenée par Henri Cuérel, l’architecte, et son fils Jean-Pascal. Elle a été offerte par M. Francis Moraz, syndic de Villars-Ste-Croix, le père de Jean-Pierre Moraz. Le rétro-éclairage de la croix a été réalisé et offert par M. Alain Marendaz, électricien de Villars lors des derniers travaux (en 2012).

    La table de communion a été faite par l’entreprise Bianchi en béton poli.

     

    Symbolique des chiffres

    J’en viens à la symbolique des formes et des chiffres qu’on peut trouver dans la chapelle. A l’intérieur, c’est le chiffre 3 qui domine : 3 vitraux de chaque côtés, formés chacun d’un triangle posé sur un carré. 3 entrelacs de poutres, formant 3 rangées de triangles et 3 losanges. Je n’ai pas compté les triangles qu’on peut trouver dans cette construction, mais ils sont nombreux. Le triangle évoque la trinité, Dieu : Père, Fils et Saint-Esprit, au cœur du christianisme. Le chiffre 3 désigne donc naturellement Dieu.

    Le chiffre 4 désigne la terre (les 4 coins de la terre, les 4 fleuves du jardin d’Eden) La forme des vitraux représente donc Dieu qui rejoint la terre, ce qui se passe justement dans une église.

    Pour l’extérieur, on remarquera la présence de 5 avant-toits formés de 2 triangles. 5 représente la figure humaine — telle que représentée dans un cercle et un carré par Léonard de Vinci (appelé l’homme de Vitruve) — avec sa tête et ses 4 membres. 5 représente aussi les 5 sens de l’être humain. Comme un invitation pour chaque être humain à venir chercher sa nature divine en rencontrant le monde (chiffre 4) et Dieu (chiffre 3) en entrant dans cette Chapelle.

    Ph_JMT-20150423-8883.JPGQuelques mots sur l’évolution de la Chapelle

    La Chapelle a donc été inaugurée le 31 août 1975. Une cloche a été ajoutée 6 ans plus tard, en 1981. En 1989, l’orgue que vous voyez a remplacé l’harmonium en place dès le début. Cette même année, le 30 avril 1989, la Chapelle  — entièrement payée — a été remise à la Commune de Villars-Ste-Croix contre bon soin. En 2012, la Commune a conduit des travaux pour remplacer les tuiles eternit du toit, alors trop abimées.

    Concernant la cloche

    En 1975, pour des raisons financières, il n’avait pas été possible de prévoir une cloche (coût 13’000.-). Cela a été rattrapé quelques années plus tard. La pose de la cloche a eu lieu le 4 juillet 1981. Appelée « Espérance », elle porte l’écusson de la Commune de Villars-Ste-Croix et la dédicace : “Servez l’Eternel avec joie” tirée du Psaume 100, verset 2. Son poids est de  270 kg, son diamètre de 76 cm. Elle est accordée en Si. Elle a été fondue à Aarau, par l’entreprise Rütschi.

    Concernant l’orgue

    Ph_JMT-20150423-8879.JPGLa Chapelle était — au départ — équipée d’un harmonium simple pour accompagner les chants de l’assemblée. C’est le 30 avril 1989 que les orgues actuelles ont été inaugurées, par un culte-concert, avec M. André Luy, organiste de la cathédrale de Lausanne, aux claviers. Ces orgues ont été réalisées par la manufacture d’orgues de Lausanne, sous la direction de Jean-François Mingot, facteur d’orgue. C’est un orgue à traction entièrement mécanique, avec un clavier de 56 notes, 280 tuyaux, répartis en 5 jeux, des plus bas au plus aigus :  Bourdon, Montre, Flûte, Doublette et Larigot. Un pédalier de 30 notes est accouplé au clavier. Le buffet en ormeau a été exécuté par la maison Andersson de Vevey.

     

    La Chapelle répond totalement aux besoins de la Communauté paroissiale du village. On y célèbre, habituellement, des cultes deux fois par mois, les 2e et 4e dimanches du mois à 11h. Comme il n’y a pas d’église catholique dans le village, elle est volontiers mise à disposition de la paroisse catholique s’il y a un baptême ou un mariage à célébrer. Selon mon estimation, à raison de 24 cultes par ans, pendant 40 ans, on est bientôt au 1’000ème culte dans cette chapelle !

    Ainsi prend fin cette visite de la chapelle.

     

    Sources : Archives de la Commune de Villars-Ste-Croix, témoignages de Mme Danielle Cuérel et de M. Jean-Pascal Cuérel, fils de l’architecte Henri Cuérel.

     

    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Exode 17. Dans notre désert, nous avons soif d'une eau qui nous restaure.


    Exode 17
    25.11.2012

    Dans notre désert, nous avons soif d'une eau qui nous restaure.
    Exode 17 : 1-7      Jean 4 : 7-15
    Téléchargez la prédication ici : P-2102-11-25.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers familles,
    Je vous ai fait entendre ce récit de l'Ancien Testament où le peuple hébreu a soif dans le désert et réclame de l'eau à Moïse. C'est un épisode de l'histoire des hébreux qui se situe pendant l'Exode. Vous vous en souvenez, le peuple hébreu vivait en Egypte. Il était devenu une menace pour le Pharaon et soumis à la corvée. Entendant les plaintes et les cris de douleur de son peuple, Dieu avait mandaté Moïse pour faire sortir le peuple des hébreux d'Egypte.
    Dans notre récit, le peuple est loin d'Egypte, il est dans le désert de l'Horeb (ou Sinaï), libre mais assoiffé. La vie dans le désert est difficile et certains regrettent la vie en Egypte, ils font des reproches à Moïse.
    Je vais faire une lecture symbolique de ce récit. Je fais le pari que ce récit — tout ancien qu'il soit — parle de nos situations celles que nous traversons aujourd'hui !
    Ce voyage du peuple hébreu dans le désert, c'est une image, une représentation de nos traversées du désert, de nos périodes difficiles, de nos temps de deuils, de nos épreuves. Nous aussi nous avons été blessés et chassés de nos territoires connus et balisés pour être jetés sur des routes inconnues, incertaines. Nous aussi nous nous retrouvons à être privés de l'eau à laquelle nous étions habitués, être privés de l'amitié d^'un être cher, de la sécurité d'un époux ou d'un père, de l'affection d'une épouse ou d'une mère.
    Dans notre désert, nous avons soif et nous crions notre soif et nous nous demandons — comme le peuple hébreu — "le Seigneur est-il parmi nous, oui ou non ?" (Ex 17:7) Nous avons soif d'un accompagnement, d'une présence. Nous disons notre soif — parfois nous crions notre soif : y a-t-il un Moïse pour nous entendre ?
    Y a-t-il un Moïse pour nous répondre ? Qui est Moïse pour nous ? Qui va frapper le rocher pour nous ? Pour faire jaillir l'eau de consolation, l'eau jaillante de vie pour continuer la route ? Où est notre rocher ? Où est l'Horeb, la montagne de Dieu ? Où est cette eau qui désaltère et restaure l'âme ?
    Dans l'Evangile de Jean, Jésus se présente à la Samaritaine comme celui qui donne cette eau qui désaltère et restaure. L'Evangile de Jean nous présente Jésus comme la source, l'eau qui donne la vraie vie, celui auprès de qui aller se ressourcer. L'évangéliste Jean le dit dans son récit de la Samaritaine, mais il y fait encore allusion dans la Passion de Jésus.
    Jean mentionne qu'après la mort de Jésus — pour vérifier que Jésus est bien mort — un soldat perce le côté de Jésus avec sa lance et Jean rapporte que "du sang et de l'eau sortent de son côté" (Jn 19:34). Jésus mourant sur la croit devient le rocher de l'Horeb d'où sort l'eau qui donne la vie.
    C'est du Christ sur la croix que coule l'eau qui donne la vie, l'eau qui ressource nos existences, l'eau qui désaltère nos vies, l'eau qui restaure notre âme.
    Le bâton de Moïse qui fait sortir de l'eau du rocher pouvait nous faire penser à une baguette magique qui n'a rien à voir avec notre réalité. Il en est autrement du Christ qui donne sa vie pour nous sur la croix, pour que nous vivions.
    Par ce geste, cet accomplissement, Jésus nous rejoint au plus profond de nos gouffres. La plaie d'où sort l'eau qui nous donne la vie nous dit que Dieu nous rejoint précisément là où nous sommes : dans nos blessures.
    Ce n'est pas un Dieu qui plastronne qui nous parle et nous offre une issue à notre souffrance. C'est un Dieu blessé qui vient à la rencontre de nos blessures pour nous proposer un chemin à faire ensemble vers la guérison, vers l'espérance, vers le relèvement, vers la résurrection.
    C'est Jésus, avec ses mains et ses pieds percés, avec son côté blessé qui se fait reconnaître par ses disciples après la résurrection (Jn 20). Ses blessures rejoignent nos blessures, son relèvement est notre relèvement, sa résurrection est notre guérison, notre retour à la vie.
    Ainsi, l'évangéliste Jean nous dit que Jésus est le rocher d'où jaillit la source d'eau qui apaise notre soif. Il est celui qui nous relie à la source de l'amour; il est celui qui nous relie à la vie, la vraie vie; il est celui qui nous relie à l'espérance pour nous restaurer, à sa Table lors de la Cène, pour reconstruire en nous la sécurité et la paix intérieure.
    Laissons-nous approcher par ce Dieu-là, qui connaît nos blessures, qui a traversé la douleur et la nuit. Il nous entraîne vers le jour, vers la lumière, vers la vraie vie. Laissons-nous approcher par ce Dieu-là.
    Amen
     © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 23. Luc présente la mort de Jésus comme une erreur judiciaire

    Luc 23
    6.4.2012, Vendredi-saint
    Luc présente la mort de Jésus comme une erreur judiciaire
    Luc 23 : 22-56
    Télécharger la prédication : P-2012-04-06.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous sommes face au mystère de la mort de Jésus, face au mystère de la croix. Un mystère, pas une énigme, car nous savons comment cela s'est passé. L'enquête est close, les faits sont établis, nous savons comment Jésus est mort. Ce qui reste un mystère, c'est pourquoi est-il mort ?
    Les apôtres dans leurs lettres, puis les quatre Evangélistes, nous livrent chacun des pistes d'interprétation, pour répondre à la question "Pourquoi est-il mort ?"
    Le mystère ne signifie pas qu'il n'y a aucune réponse. L'existence du mystère signifie plutôt qu'aucune de ces réponses n'épuise le sujet. Même, toutes ces réponses ensemble ne comblent pas nos interrogations.
    Comment cela a-t-il pu arriver, que l'humanité présente puisse faire exécuter le Fils de Dieu ? Chacun de nous a besoin d'aborder ce mystère et de trouver une réponse qui le satisfasse, une réponse qui fasse sens, pour soi.
    En rédigeant le récit de la Passion, l'Evangéliste Luc apporte la réponse de sa communauté Le fruit de méditations, de réflexions, d'études des Ecritures et de la vie de Jésus.
    Dans son récit du procès et de la mort de Jésus, Luc met en évidence l'innocence de Jésus. Par trois fois, Pilate déclare qu'il ne trouve aucun raison de condamner Jésus (Luc 23:4, 14, 22). Ensuite, seul Luc rapporte le dialogue entre les deux malfaiteurs sur les croix. L'un accusant Jésus et l'autre protestant : "Pour nous cette punition est juste (…), mais lui n'a rien fait de mal." (v.41). Enfin, troisième témoignage — une fois que Jésus est mort — l'officier romain déclare : "Réellement, cette homme était juste" (v.47). Ainsi Luc nous présente-il la mort de Jésus comme une erreur judiciaire, comme la mise à mort d'un innocent, d'un juste.
    Et Luc montre les conséquences catastrophiques pour l'humanité et la création tout entière. Luc est le seul à parler des femmes qui suivent Jésus sur le chemin de Golgotha et à rapporter les paroles de Jésus : "Ne pleurez pas à cause de moi ! Pleurez plutôt sur vous et vos enfants" (v. 28). Jésus met en évidence que son exécution n'est que la figure, la mise en exemple de toutes les mises à mort injustes à venir dans l'Histoire. Ou si l'on regarde en miroir, il avertit qu'il nous faudra regarder les malheurs, les victimes futures comme son propre martyre.
    On peut penser ici à toutes les femmes et tous les enfants, victimes collatérales des conflits violents, ou celles directement visées et abusées, utilisées, pour faire plier et décourager les aspirations à la liberté. Dans ces femmes et ces enfants, c'est la Passion du Christ qui se répète. Et chaque fois que ces martyres se répètent, c'est le ciel qui s'obscurcit sur toute la terre, de midi à trois heures. Métaphore pour dire la tristesse de Dieu de voir des humains torturés et maltraités.
    Ainsi, dans son récit de la Passion, Luc nous montre toute la noirceur du monde en train d'assassiner le Juste, celui qui venait apporter la lumière aux humains. En ce moment, le Juste est réduit à l'impuissance, la lumière s'éteint, le mal triomphe.
    Il y a cependant, dans le récit de Luc, trois lampes qui brillent dans cette obscurité : ce sont les trois paroles de Jésus sur la croix.
    1) "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font" (v.34). Jésus demande à son Père de ne pas ajouter du malheur au malheur. La situation est déjà assez sombre pour ne pas y ajouter des punitions supplémentaires. La culpabilité est évidente, les hommes se punissent assez eux-mêmes en agissant comme cela. Il n'y a rien à y ajouter.
    2) Sur la croix, Jésus répond en ces termes à la demande du malfaiteur qui reconnaît l'innocence de Jésus : "Je te le déclare, c'est la vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" (v. 43). Une parole de délivrance et d'espérance. Il y a une issue pour ceux qui savent identifier où est le mal et où est le bien, pour celui qui sait distinguer entre le bourreau et la victime.
    Le récit de la Passion lui-même doit nous servir de grille de lecture, de grille d'interprétation dans notre lecture des nouvelles du monde. Nous devons apprendre à distinguer victimes et bourreaux. Jésus sur la croix, se tient résolument aux côtés des victimes, victimes tant des malheurs que de l'injustice.
    3) Au moment de mourir, Jésus crie : "Père, je remets mon esprit entre tes mains" (v.46). Une parole de confiance, une parole de certitude, le Père est là, près du Fils, les bras ouverts. Quand toute la violence du monde et des humains s'est liguée contre Jésus, il n'est pas seul, il n'est pas abandonné. Dieu est de son côté, il peut se réfugier en Lui et Lui remettre sa vie.
    Ces trois paroles illustrent, dans ces sombres événements, trois repères qui vont permettre de traverser la nuit de la mort et préfigurer Pâques : le pardon, l'espérance et la confiance.
    Le pardon sur le passé, sur notre passé, pour se relever comme le paralytique et nous mettre en marche à la suite de Jésus. L'espérance qui nous assure un avenir, l'espérance du royaume de Dieu, qui nous donne un but et une tâche pour mettre un peu de lumière dans notre monde obscur. La confiance pour notre présent, confiance dans la bonté, la bienveillance de Dieu qui veille sur nous comme un Père lorsque nous traversons l'obscurité.
    La mort du Juste nous montre l'obscurité du monde, mais le Juste a allumé les lampes — au cœur de cette obscurité — du pardon, de l'espérance et de la confiance.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Conte : De Noël à la Croix

    2.4.2010 - Vendredi-Saint

    Télécharger en pdf : P-2010-4-2.pdf

    Luc 23 : 26-49

    Histoire du petit ange qui ne chanta pas

    Il y avait, en ce temps-là, dans la multitude de l'Armée des Cieux un petit ange. Il était beau, de la beauté immatérielle des créatures célestes, et son âme était limpide comme une goutte de rosée. Aussi les autres anges, serviteurs du Très-Haut, lui réservaient-ils leurs plus doux sourires et leurs plus innocentes gâteries.

    Les plus jeunes, qui servent d'estafettes et de courriers, et qui sillonnent constamment l'éther d'un astre à l'autre pour distribuer les consignes de la journée, l'appelaient de loin pour jouer avec lui. Les anges adultes, qui ont reçu le gouvernement d'une province de l'espace céleste : soleil, nébuleuse ou constellation, lui apportaient en cadeau des fleurs cueillies sur de lointains rivages. Quand aux archanges, qui ne se dérangent que dans de très rares occasions, parce qu'ils se tiennent constamment en présence du Seigneur, il l'appelaient pour le faire sauter sur leurs genoux.

    Mais, il n'est pas bon, même pour un petit ange, d'être gâté. Certes, nous savons que le Malin n'a point accès dans le Royaume des Cieux où les enfants de Dieu sont gardés contre toutes ses atteintes; cependant, à force d'être choyé, notre petit ange était devenu capricieux. Et comme il n'est point d'usage, là-haut, de contraindre personne, on ne faisait qu'en sourire doucement.

    Or, la nuit où Jésus naquit, un grand cri retentit dans le Ciel, et les anges de Dieu s'assemblèrent des contrées les plus distantes pour aller, sur la terre, apporter aux hommes le message de Noël. Ils étaient douze légions.

    Ils descendirent à travers l'espace, et la Judée resplendit de leur surnaturelle clarté. Les bergers qui vivaient aux champs, virent cette grande lumière, et le cantique inoubliable s'éleva :

    Gloire à Dieu, au plus haut des Cieux ! Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes !

    Jamais, depuis lors, l'univers n'a retenti de pareils accents. Les anges, êtres spirituels, chantent non seulement de leur bouche, mais de tout leurs corps, de toute leur pensée, de toute leur âme. Ils chantent, pleins d'amour, sans fatigue, sans effort; leur être tout entier résonne et vibre de joie comme un violon.

    Les anges s'abaissèrent encore, et c'est sur cette terre elle-même autour de l'étable de Bethléem qu'ils vinrent camper. Ils entourèrent le lieu saint d'un rempart de beauté et d'harmonie. Quelques-uns, même purent entrer; Jésus reposait dans la crèche; les bergers et les mages s'étant approchés se mirent à genoux et les anges se joignirent à eux. Toutes les voix célébraient leur reconnaissance envers Dieu.

    Seul, au premier rang, le petit ange, la bouche close se taisait.

    Il avait décidé qu'il ne chanterait pas. Simple caprice ? Oui, mais la bouche n'a-t-elle pas été créée pour la louange de Dieu ? Quand nos lèvres s'ouvrent, la gloire du Seigneur remplit notre cœur, et le mal n'a point de prise sur nous. Mais quand nos lèvres se ferment, en un si beau jour… et que nous sommes sur la terre…

    Et le Malin, qui guette la moindre de nos défaillances, aperçut le petit ange qui ne chantait pas. Il pénétra aussitôt dans son cœur et lui ouvrit les yeux : il lui montra l'humilité de la crèche et la fragilité du bébé Jésus, identique aux enfants des hommes. Il lui fit voir Joseph et Marie comme de pauvres paysans incultes. Il lui fit trouver ridicule la dévotion éperdue des adorateurs.

    « Et c'est pour cet enfant-là, songeait-il, que sont toutes ces musiques, tous ces cadeaux, tous ces hommages ! On dit bien qu'il est le Messie; cependant, il n'est pas aussi beau que moi, et puis, il a faim, il a soif, et il pleure comme les petits des hommes; depuis qu'il est né, plus personne ne fait attention à moi; tout le monde se tourne vers lui. »

    C'est la jalousie qui inspirait au petit ange ces vilaines pensées : non, ah! non, il ne pouvait pas se réjouir de la gloire d'un autre enfant. Il ne voulait plus se souvenir que l'enfant de la crèche était le Fils bien-aimé du Père, et que toute créature dans les Cieux et sur la Terre n'a été appelé à la vie que pour célébrer ses louanges.

     

    La nuit de Noël s'achevait. Les anges remontèrent au Ciel. Et quand leur petit compagnon d'un mouvement instinctif voulut les suivre, il ne le put pas, car ses ailes étaient tombées de ses épaules. Il resta seul dans la nuit.

    Et quand les bergers, au petit jour, sortirent de l'étable, ils trouvèrent devant la porte un enfant vêtu d'une longue robe blanche, et qui semblait avoir froid. Comme leur cœur était, ce matin-là, rempli de bonté, ils le couvrirent et l'emmenèrent chez eux, pour en faire un berger. Et ils lui donnèrent le nom de "Tolac" ce qui signifie "vermisseau".

    Les bergers ne furent pas récompensés de leur bon mouvement. Tolac était beau de figure et très intelligent, mais il dédaignait ses parents adoptifs, qu'il trouvait pauvres et grossiers. Le travail lui répugnait. Dès qu'il fut en âge de se débrouiller, il s'en alla vers la grand-ville, avec l'intention d'y devenir un prince de ce Monde.

    Nous ne raconterons pas ici les étapes de sa vie. Ce serait une bien longue et triste histoire : en effet, plus il grandissait, plus le souvenir de ses origines le poussait à mépriser les hommes qu'il savait inférieurs.

    S'il avait au moins accepté d'être un homme comme les autres, son intelligence lui eût permis de devenir l'un des premiers d'entre eux. Mais il se sentait d'une autre race. Toutes ses pensées, ses paroles et ses actes étaient dictés par le culte qu'il avait de lui-même. Sa jalousie envers tout ce qui le dépassait était tellement insatiable, qu'il ne pouvait même plus entendre parler de Dieu sans une sourde irritation. Le culte qu'on adressait à la divinité exaspérait son orgueil.

    Lorsqu'il eut atteint l'âge adulte, Tolac parcourut la mer, apprit le grec, visita Athènes, Rome et Alexandrie.

    Partout son charme et sa science lui attiraient des amis. Les succès qu'il remportait lui faisaient espérer les meilleures places, mais son incapacité de s'attacher à autre chose qu'à soi-même, éloignait bientôt de lui tous les cœurs. Il s'en irritait et s'aigrissait et quand ses amis l'abandonnaient, il s'en allait ailleurs.

    N'ayant pu l'emporter par la science, Tolac se jeta dans la débauche. Rentré en Judée, il étonna ses contemporains par le faste de sa vie scandaleuse. Sa maison devint le rendez-vous des moqueurs auxquels il enseignait à blasphémer. A trente-cinq ans, le corps déjà usé, animé d'une fureur croissante contre l'humanité, il rassembla quelques désespérés et se livra au brigandage. Il n'épargnait aucun voyageur, pas même les femmes et les enfants. Il pénétrait dans les synagogues le jour du sabbat et insultait Dieu. Il frappait les rabbins et s'emparait des prémices et de l'argent consacré. Sa cruauté était telle que tout le monde le redoutait. Les Juifs s'adressèrent à Ponce Pilate pour qu'il les débarrassât de lui. Tolac fut pris et conduit enchaîné à Jérusalem où le gouverneur ordonna qu'il fût crucifié.

    Le lendemain, on l'emmena au Calvaire avec deux autres condamnés : un brigand comme lui et un patriote galiléen, qui prétendait-on, avait prêché la révolte contre Rome. Sur la poitrine de ce dernier oscillait un écriteau ironique ainsi rédigé : Le Roi des Juifs.

    Tolac éprouva tout d'abord pour ce compagnon d'infortune une certaine sympathie, mais il fut bientôt écoeuré par son attitude pitoyable. Tandis que les deux brigands marchaient crânement, la tête haute à travers la foule imbécile, le Galiléen, trébuchant sous sa croix, pleurait avec des femmes et des enfants qui se lamentaient sur lui.

    Les trois hommes furent crucifiés. Le supplice de la soif atroce et du lent déchirement de leur chair commença. La foule se moquait du malheureux roi des Juifs : « Il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même ! S'il est le roi d'Israël, qu'il descende de sa croix et nous croirons en lui ! Il s'est confié en Dieu, que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime ! »

    Tolac, en ricanant, tordait déjà sa bouche pour joindre ses insultes aux leurs, lorsqu'un cri des passants l'arrêta : « Si tu est le Fils de Dieu, descends de ta croix ! »

    « Si tu es le Fils de Dieu ? … » Tolac tourna la tête vers le Galiléen et son regard d'ange déchu reconnut aussitôt, sous la couronne d'épines, l'enfant de Bethléem, le Fils de Dieu !

    Alors son cœur se souleva d'une haine triomphante : « Ah ! te voilà, mon rival ! disait-il en lui-même. Tu as voulu les hommages du monde entier, tu m'as enlevé la part d'admiration qui me revenait, tu m'as fait chasser du Paradis, tu as cru que les hommes s'agenouilleraient devant toi, comme les anges de la nuit de Noël ! Voilà ce que l'on gagne à vouloir faire le Sauveur ! Mais sur la terre, ce n'est pas Dieu qui règne, c'est le Malin ! Tu es vaincu. J'ai la satisfaction d'avoir contribué à ta défaite et d'assister, mourant à ta déchéance. Ta honte. C'est l'abaissement de Dieu lui-même. Je vais disparaître, mais je t'entraîne dans le néant avec moi ! »

    Comme s'il avait entendu les paroles que Tolac avait prononcées au-dedans de lui-même, Jésus tourna le tête et regarda le brigand. Tolac soutint fièrement ce regard : il était prêt à la lutte. Il attendait que Jésus répondît à sa haine par de l'indignation. Il y aurait de dures paroles peut-être, mais Tolac ne se laisserait pas abaisser !

    Or Jésus ne dit rien. Ses yeux étaient extrêmement tristes et extrêmement bons. Ils semblaient dire :

    « Je te reconnais, moi aussi, je sais qui tu es : l'ange déchu de ma nativité. Tu as voulu m'abattre et tu as réussi. C'est bien à cause de toi que je suis ici, à cause de ta jalousie et de celle de tous les hommes. C'est par ton crime que je vais mourir. »

    Mais, chose étrange, le langage des yeux de Jésus n'offrait à Tolac l'occasion d'aucune revanche.

    Si Jésus s'était mis en colère, Tolac se serait senti le plus fort, il se serait réjoui de l'avoir fait descendre à son niveau. Mais il ne s'attendait pas à une telle douceur.

    Et les yeux de Jésus continuaient de parler :

    « Oui, c'est à cause de toi et pour toi que je meurs. J'aurais pu te rejeter. C'est ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Eh bien, non ! Tu ne m'empêcheras pas de t'aimer, pauvre ange déchu. Je remporte sur toi la victoire de l'amour en donnant ma vie pour toi. »

    Et soudain le regard brillant et dur de Tolac se mouilla de larmes. Sous les yeux de Jésus, il baissa la tête.

    Or, à ce même instant, l'autre brigand, excité par la foule, se mit à injurier Jésus : « N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! »

    Tolac ne put supporter d'entendre insulter par un autre Celui qui volontairement s'était abaissé pour lui. Sans comprendre encore ce qui se passait en lui, il redressa la tête, ouvrit la bouche et se mit à défendre d'une voix forte son nouvel ami : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? »

    Et d'avoir ainsi, de sa bouche, confessé le Dieu qu'il avait tant haï, Tolac se trouva soudain libéré de sa jalousie. Il se souvint aussitôt du cantique appris jadis pour la nuit de Noël et se mit à chanter les strophes :

    Gloire à Dieu, au plus haut des Cieux ! Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes !

    Ce n'était certes plus la voix pure d'un enfant, ni la voix céleste d'un ange qui s'élevait ainsi, mais la voix rauque d'un homme tombé très bas, et près de mourir.

    Ce n'était certes par un chant harmonieux, mais un hymne quand même et un témoignage rendu devant l'autre brigand. Et quand Tolac eut terminé la strophe de Noël, il y ajouta la strophe de Vendredi-Saint :

    « Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes, mais celui-ci n'a rien fait de mal. »

    « Jésus n'a rien fait de mal ! songeait Tolac. Il était saint et c'est moi qui l'ai conduit à la mort en voulant me mettre à sa place ! Ah ! si je pouvais, à la dernière heure, tenter quelque chose pour le délivrer ! Mais il est trop tard. Jésus va mourir et moi aussi. Dieu est tout de même vaincu ! »

    Le regard de Tolac se tourna vers Jésus pour quêter au moins un peu d'espoir, mais la tête du Sauveur était penchée en avant, et ses yeux semblaient déjà voilés par la mort. Alors comme la vie de Tolac s'enfuyait également de son propre corps et que l'ombre de la mort envahissait son âme, sa bouche, plus croyante que son cœur, confessa de nouveau le Rédempteur en criant d'une voix forte : « Fils de Dieu, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. »

    Les lèvres de Jésus bougèrent à peine, mais Tolac entendit distinctement la réponse : « Je te le dis, en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis. »

    En cet instant, Tolac reconnut ce qu'il avait toujours su, lorsqu'il était encore un ange et même lorsqu'il reniait son Dieu.

    « L'amour est plus fort que la mort. Dieu ne peut périr. Celui qui vient de me donner sa vie ressuscitera. Par lui, je ressusciterai aussi. »

    Et il se laissa glisser dans la mort.

    © Récit de André Trocmé, Des anges et des ânes, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 9-16