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d) Pentateuque - Page 4

  • Genèse 4. Abel, figure du Christ (Typologie I)

    11.8.2013
    Genèse 4
    Abel, figure du Christ (Typologie I)

    Genèse 4 : 2b-11       Luc 24 : 25-27

    Télécharger la prédication : P-2013-08-11b.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui et les prochains dimanches de cet été, je vais vous entraîner dans la redécouverte d'une très ancienne façon de lire les textes bibliques, une méthode qui s'appelle la "typologie." Nous allons reprendre des textes de l'Ancien Testament pour voir ce qu'ils nous apportent comme compréhension nouvelle du Nouveau Testament et particulièrement de la personne et du ministère de Jésus.
    Cette lecture "typologique" de l'Ancien Testament a été, en fait, la lecture de la première Eglise. C'est tout ce qu'elle pouvait faire avant la rédaction du Nouveau Testament. Comment cette première Eglise, issue des apôtres, pouvait-elle comprendre la vie et la mort de Jésus, si ce n'est en allant puiser dans les textes de la tradition juive, la Torah et les prophètes ? Et c'est bien cette méthode qui apparaît dans le récit des disciples d'Emmaüs, dans le passage qui vous a été lu.
    Les deux disciples marchent en compagnie de Jésus qui est encore incognito. Ils ne comprennent pas la mort tragique de Jésus à Jérusalem. C'est alors que Jésus leur révèle la clé, la source de la compréhension de ce qui lui est arrivé : (ma traduction) "Vous serez dans l'ignorance, tant que vous ne vous mettrez pas à croire ce qu'ont déjà énoncé les prophètes." (Luc 24:25). Pour Jésus, l'Ancien Testament est une longue préparation à la compréhension de ce qui lui est arrivé.
    Et Luc continue son récit en décrivant ce que Jésus fait pour ces deux disciples : " En commençant par Moïse et en continuant par tous les prophètes, il leur expliqua tout ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Ecritures." (Luc 24:27). Voilà un catéchisme qu'il serait utile de posséder ! Jésus explique donc à ces deux disciples tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament, de la première à la dernière page.
    Tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament. Comment fait-il ? Parce que dans le texte littéral, dans les textes, il n'y a rien qui annonce directement la venue d'un Jésus. L'Ancien Testament n'est pas un livre de prévisions comme les horoscopes de Mme Soleil ou d'Elisabeth Tessier. Pourtant, la première Eglise s'est appliquée à la relecture de l'Ancien Testament et elle a trouvé. Elle a trouvé des récits, des événements et des personnages qui portent en eux une préfiguration du Christ.
    Pour faire cette relecture, il faut apprendre à lire ce qui est écrit entre les lignes, comme les héros de l'écrivain Dan Brown dans le Da Vinci Code ou dans Inferno. Il faut — et c'est souvent difficile pour nous les protestants — sortir de l'interprétation historique littérale, pour privilègier le sens symbolique. l'articulation du récit, ou les types de personnages qui apparaissent (d'où le nom de méthode "typologique.")
    C'est ce que je vous propose de faire ce matin avec le récit de Caïn et Abel. Ce récit fait partie des chapitres "mythologiques" de la Genèse, c'est-à-dire des récits qui visent l'universalité et pas la particularité du récit de vie individuelle. Il ne faut pas en faire une lecture historique et vouloir donner des dates de naissance à Adam et Eve, Caïn et Abel ou Noé.
    Dans le récit qui nous occupe, nous sommes face à des universaux, l'universalité de la rivalité ou compétition entre deux frères, l'universalité de l'injustice ou de l'infortune, l'universalité de la colère et de la violence, l'universalité du crime et du châtiment.
    C'est la façon dont le récit expose ces grands thèmes qui nous intéresse, et la possibilité d'établir des parallèles avec le destin de Jésus. C'est la voix de Dieu et sa position par rapport à ces thèmes universels qui vont être révélatrices des points communs entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
    Que voyons-nous dans ce récit : deux hommes qui ont des professions différentes — Abel est berger et Caïn cultivateur — ils font tous deux un même geste et ils obtiennent des résultats opposés, la réussite pour l'un, l'échec pour l'autre. Aucune explication, aucune raison ne sont données. On nous met juste devant cette réalité : de manière incompréhensible, le malheur tombe sur l'un plutôt que sur l'autre.
    Cette injustice ou cette infortune suscite la jalousie, la colère, l'envie de meurtre. Et le récit, par l'entremise d'un dialogue entre Dieu et Caïn, met en avant la possibilité d'un choix, d'une résistance à l'envie de meurtre. Mais ici, l'envie devient passage à l'acte. Caïn tue Abel.
    Mais le récit ne s'arrête pas là, il y a une parole divine qui sanctionne : "J'entends le sang de ton frère qu crie vengeance !" (Gn 4:10). La victime n'est pas oubliée, la mort n'efface pas l'injustice subie; on n'escamote pas l'injustice en faisant disparaître le corps. Et puis, une parole de condamnation est prononcée sur le criminel. Justice est rendue.
    Le récit de la Genèse évite deux solutions souvent utilisée dans la vie courante ou l'histoire. On trouve la première solution dans un récit similaire, celui de la fondation de Rome* par Remus et Romulus, où le bien de la cité, du plus grand nombre, justifie le meurtre de Remus. Justification qu'on retrouve dans la bouche de Caïphe pour demander la mise à mort de Jésus : "Il vaut mieux qu'un seul homme meurt plutôt que tous le peuple." (Jn 18:14). Le récit de Genèse 4 refuse le critère de l'utilité qui justifierait de commettre le mal pour obtenir un plus grand bien.
    La deuxième solution évitée est celle de blâmer la victime, dire qu'elle y est quand même pour quelque chose dans ce qui lui arrive. C'est ce que dit un des amis de Job. Le récit de Genèse 4 évite ces deux échappatoires.
    La position exprimée par le texte biblique — et qui est absolument parallèle au récit de la Passion de Jésus — 1) c'est que la victime est innocente, il ne peut rien lui être reproché qui l'aurait entraînée dans cette position de victime et justifierait ce qui lui arrive; 2) c'est que la victime est reconnue comme victime, ce n'est pas un dégât collatéral, ou ne nécessité malheureuse. Un meurtre est un meurtre; 3) le coupable est désigné comme tel, il n'est ni excusé, ni blanchi, il est coupable.
      Ces trois éléments se retrouvent aussi bien chez Abel que dans la Passion de Jésus, c'est pourquoi on peut dire qu'Abel est, dans l'Ancien Testament, une figure du Christ. Non pas parce que le rédacteur a eu une vision d'avance de ce qui allait arriver à Jésus, mais parce que Dieu est constant dans sa justice et que du début à la fin de la Bible, sa justice déclare innocent l'innocent et coupable le coupable.
    A partir de là, les disciples d'Emmaüs qui devaient être plein de doutes concernant Jésus, qui pouvaient se demander, comme Caïphe, s'il n'était pas préférable que Jésus meurt seul plutôt qu'avec tous les disciples ou tout Israël, ou bien qui pouvaient se demander ce que Jésus avaient fait de faux ou de mal pour mériter son châtiment, ces disciples d'Emmaüs peuvent comprendre, à la lumière de l'Ecriture, que des innocents meurent injustement, pas par leurs propres fautes, et que Dieu les réhabilitent.
    La résurrection — découverte dans le partage du pain — est le signe divin de cette réhabilitation, de cette déclaration d'innocence de Jésus par Dieu. Ainsi, par la relecture du récit de Caïn et Abel, les disciples d'Emmaüs peuvent commencer à comprendre le mystère de la mort de Jésus.
    Amen
    * Tite-Live, Histoire romaine 1, La Fondation de Rome, Livre 1, §VII, Paris, Les Belles Lettres, 2000, (Classiques en poche 25), p. 25-27.

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 44. Joseph, artisan d'une réconciliation fraternelle

    Genèse 44
    23.7.2000
    Joseph, artisan d'une réconciliation fraternelle

    Genèse 44 : 1-34    Genèse 45:1-7
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-23.pdf


    Chers amis,
    Le plan qu'a mis en place Joseph pour éviter la famine en Egypte, après les rêves de vaches grasses et de vaches maigres du Pharaon, fonctionne à merveille. L'Egypte a des réserves. Le pays joue son rôle de grenier pour ses habitants, même pour ceux des pays voisins.
    C'est ainsi que les frères de Joseph viennent s'approvisionner en Egypte, par deux fois. Cependant, chaque fois, ils sont en butte à des tracasseries, ou même pire. Etrangers et vulnérables, loin de chez eux, ils sont accusés, d'abord d'être des espions, puis d'être des voleurs.
    Le récit souligne cependant deux choses à propos de ces accusations. D'abord, qu'elles sont fausses. Les dix frères sont innocents, ils sont faussement accusés. Ensuite que ces accusations sont montées de toutes pièces par Joseph. C'est lui qui tire les ficelles. Il manipule ses frères. Alors, on peut se demander : Pourquoi Joseph fait-il cela ? Est-il sadique ? Cherche-t-il à se venger de ses frères ?
    On connaît assez bien ce mécanisme aujourd'hui, où celui qui a été victime répète la même violence, soit en retour contre les mêmes personnes, sous forme de vengeance ouverte (voire ce qui se passe au Kosovo où les victimes deviennent si facilement des bourreaux), soit contre d'autres personnes, sans même le savoir comme le font les victimes de violence ou d'abus. Ainsi, en filigrane, le récit attire notre attention sur le risque du phénomène de répétition : Joseph ne le fait-il pas deux fois, lors de chaque voyage ? C'est peut-être le côté ombre de Joseph ! Il ne peut s'empêcher d'être violent à son tour.
    Mais le texte ne s'arrête pas là. Ces pièges que dresse Joseph contre ses frères ont aussi une valeur de test. Joseph veut se rendre compte dans quelle mesure l'attitude de la fratrie est restée celle du temps de son expulsion, ou si cette attitude a changé. "Joseph soumet ses frères coupables [envers lui] en somme, à une tentation qu'ils connaissent bien puisqu'ils y ont déjà succombé [une fois], celle d'abandonner impunément le plus jeune et le plus faible d'entre eux."*
    Dans son deuxième piège, Joseph, d'abord par l'intermédiaire de son intendant, puis de sa propre bouche, propose une solution simple à ses frères pour s'en sortir :

    "le coupable seul deviendra mon esclave; les autres seront libres" (Gn 44:10 et 17)
    Les frères peuvent sauver leur peau, se sortir de cette situation périlleuse s'ils abandonnent leur jeune frère ! C'est là le test. Vont-ils choisir la lâcheté ou la solidarité ? D'un côté, il y a le chemin de la répétition du mal et de la culpabilité; de l'autre, il y a le difficile chemin de risquer de perdre sa liberté pour sauver l'unité de la fratrie, pour sauver la relation et la vérité de la relation.
    C'est Juda — au nom de tous ses frères probablement — qui affronte l'égal de pharaon et tente de sauver Benjamin. Il a choisi la voie de la solidarité. Il est prêt à prendre la place de Benjamin, comme esclave, plutôt que de l'abandonner en Egypte et provoquer la mort de leur père !
    Les paroles de Juda sont celles qu'attendait Joseph ! Ses frères ont changé, découvre-t-il. Ils ont renoncé à leur attitude passée, ils sont devenus une vraie fratrie, il ne reste qu'à y réintégrer Joseph lui-même. L'heure de la réconciliation a donc sonné, heure de la révélation, du dévoilement de l'identité de ce premier ministre.
    Joseph peut pardonner pleinement à ses frères et vivre une vraie réconciliation avec eux. Il peut évoquer le passé avec eux, sans ressentiment, sans rancune. La fraternité l'a emporté sur la haine.
    Joseph va faire lui-même une relecture de sa propre histoire, non pas en termes de victime, mais avec les yeux de Dieu :

    "Dieu m'a envoyé dans ce pays avant vous, pour que vous puissiez y avoir des descendants et y survivre; c'est une merveilleuse délivrance." (Gn 45:7)
    Pas facile de relire sa propre histoire, notre propre histoire, avec ses hauts et ses bas, comme l'histoire que Dieu lui-même a dessinée pour notre vie. Certaines choses restent longtemps incompréhensibles, et pourtant, notre vie a-t-elle plus de sens si nous n'y voyons pas la main de Dieu ? Combien de coïncidences, de rencontres, d'événements ne viennent-ils pas s'intégrer dans notre vie au bon moment, comme une réponse, comme un stimulant à avancer, à découvrir une nouvelle dimension, une nouvelle direction à notre vie ?
    Une personne me disait lors d'une visite à l'hôpital : "Quand je regarde ma vie, je vois la synchronisation que Dieu met dans mes rencontres... comme il me prépare à ce qui va arriver..." Il appelait cela de la synchronisation. Combien de choses viennent à point nommé ? Savons-nous les recevoir, les interpréter comme un signe de la Providence ?
    Voir comment Dieu agit dans nos vies, nous aide également à pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, comme Joseph le dit à ses frères :

    "Ne vous tourmentez pas et ne vous faites pas de reproches pour m'avoir vendu ainsi. C'est Dieu qui m'a envoyé ici à l'avance, pour que je puisse vous sauver la vie"
    (Gn 45:5)
    Joseph, d'abord figure du Messie rejeté, abaissé, devient le Messie qui sauve l'humanité de la mort, de la pénurie, puis, ici, finalement celui qui, par d'étranges détours — des pièges au pardon — inaugure une réconciliation fraternelle qui met fin à toute violence.
    Le repas des retrouvailles, de la paix et de l'entente peut avoir lieu, anticipation et actualisation du repas du Royaume auquel Dieu nous invite tous, sans exclusion.
    Amen

    * Citation de : René Girard, Je vois Satan
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 41. La sagesse de Joseph, anticiper pour assurer le salut de tous les habitants du pays

    Genèse 41
    16.7.2000
    La sagesse de Joseph, anticiper pour assurer le salut de tous les habitants du pays

    Genèse 41 : 14-57
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-16.pdf
    Chers amis,
    Dimanche dernier, nous avons laissé Joseph alors qu'il était emmené comme esclave en Egypte. Aujourd'hui, nous le retrouvons en prison ! Le destin s'acharne contre lui. Chez son maître Potifar, Joseph a été injustement accusé (relisez le chap. 39) et jeté en prison. C'est comme une descente aux enfers, la situation de Joseph ne peut guère être pire. Et pourtant, il ne désespère pas, il fait confiance en Dieu. Cette confiance ne le place pas "en attente", comme si tout devait tomber du ciel.
    En fait, Joseph ne reste pas inactif, à se plaindre de son destin et à maudire le ciel. Dans toutes les circonstances, on le voit prendre les devants, prendre des initiatives. Esclave chez Potifar, il était devenu l'intendant de la maison. Ici en prison, il se fait remarquer par le chef de la garde et se voit confier la direction des travaux des prisonniers (Gn 39:22). Joseph sait tirer parti, faire ressortir ce qu'il y a de bon de toutes les circonstances, il sait apprendre de ses malheurs. Il est celui qui sait rebondir en toutes occasions.
    C'est en cela que l'histoire de Joseph est souvent considérée comme un petit traité de sagesse. Joseph est un sage, parce qu'en toutes circonstances — même les pires — il est capable d'apprendre quelque chose, de prendre des dispositions qui améliorent son sort, de témoigner de patience, tout en se laissant interpeller par la situation et les malheurs de ses compagnons d'infortune. C'est ainsi que Joseph est remarqué et se voit offrir des responsabilités.
    Dans les responsabilités qu'il obtient, Joseph fait l'apprentissage de la direction. Il est en contact avec de hauts personnages (l'échanson et le panetier) et ne manque pas d'en tirer quelque chose, tout en se mettant à leur service, en exerçant son don d'interprétation des rêves.
    C'est ainsi qu'il va être tiré de sa prison, le jour où plus aucun magicien ne peut interpréter les rêves de Pharaon, ses rêves de vaches grasses et de gros et beaux épis.
    Dans le dialogue entre Pharaon et Joseph, il y a deux choses remarquables : 1) Joseph refuse de s'octroyer le mérite de l'interprétation des rêves. S'il possède ce don, ce don vient de Dieu seul. Tout comme le rêve de Pharaon lui-même ! C'est Dieu qui agit, qui informe Pharaon de ce que va se passer. Joseph est là l'instrument de Dieu pour que Pharaon comprenne le message et que des mesures soient prises. Dans l'évangile, Jésus parlera de "serviteurs inutiles", simples serviteurs qui n'ont fait que leur devoir (Luc 17:7-10).
    2) La deuxième chose remarquable, c'est que Joseph ne se contente pas de dire la signification des deux rêves, il prend l'initiative de dire au Pharaon ce qui peut être fait pour que le pays ne soit pas dévasté. Joseph a son plan, son projet pour l'Egypte, il en fait part à Pharaon et il attend.
    Joseph a là une attitude impressionnante. Il n'est ni inactif, face à la crise qui s'annonce, ni réactif, attendant de voir si ce qui est annoncé se réalise (alors les années d'abondance auront passé et il sera trop tard pour agir), il est ce que les psychologues appellent aujourd'hui "pro-actif". Joseph est pro-actif, ce qui signifie qu'il anticipe la situation et qu'il propose une mesure innovante pour éviter les effets catastrophiques de la famine avant que celle-ci ne s'installe.
    Maintenant, ce qu'il a appris dans la maison de Potifar, dans sa prison et plus tôt dans sa famille va lui servir ! Il est l'homme de la situation et Pharaon le remarque. C'est à Joseph qu'il va donner des rennes de l'économie de l'Egypte pendant deux septennats — un septennat d'abondance et un septennat de pénurie.
    Joseph va planifier ces 14 ans avec à coeur la problématique qu'il a emporté avec lui de sa famille : Comment les humains peuvent-ils vivre ensemble fraternellement, même en temps de crise ? C'est un véritable défi, car s'il est déjà souvent difficile de vivre pacifiquement quand tout va bien, qu'en est-il lorsque les tensions augmentent ?
    Ici, en Egypte, le domaine économique devient un lieu d'enjeu de la fraternité humaine. Joseph sait bien qu'avec la famine, la crise et les tensions vont monter et faire augmenter dangereusement le risque de la désintégration de la société, le risque des exclusions, le risque de phénomènes de boucs émissaires, le risque de mort. De par son expérience personnelle, Joseph connaît tout cela de l'intérieur, et il a décidé d'anticiper, d'agir pour éviter ces catastrophes. Il dresse un plan social pour que la famine ne fasse pas de victimes.
    Je ne ferai pas l'apologie des moyens que Joseph utilise pour parvenir à ses fins. Je ne crois pas qu'ils soient transposables dans le temps, ni qu'ils soient proposés par le narrateur de l'histoire comme un idéal. En effet, ils conduisent à une nationalisation totale des biens de tous les égyptiens en faveur de Pharaon.
    Ce qui est important ici, c'est la préoccupation de Joseph pour le bien commun de tous. Le projet social de Joseph est de faire en sorte que tous puissent se nourrir, que tous puissent vivre, que l'abondance des premières années puisse profiter à tous dans les années de disette.
    Le maintien de la fraternité humaine passe par ce partage, par cette solidarité de tous pour tous. Sans cette attention au bien commun qui passe par l'attention aux plus fragiles, aux plus vulnérables, la cohésion de la société risque de disparaître et donc aboutir à un désastre social, un désastre humain, inhumain, faudrait-il dire !
    La figure messianique de Joseph que nous évoquions dimanche dernier se marque aussi dans ce souci du salut de tous. Ce salut n'est pas seulement celui de l'âme au-delà de la mort. C'est le salut, une vie en abondance dès maintenant. La vie que Dieu veut voir changée est déjà celle que nous vivons ici et maintenant, sur cette terre. C'est donc déjà ici et maintenant que nous pouvons avoir ce souci économique des moins bien lotis et marcher ainsi dans les pas de Joseph.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 37. Joseph, figure messianique

    Genèse 37
    9.7.2000
    Joseph, figure messianique
    Genèse 37 : 2-36
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-09.pdf


    Chers amis,
    Pendant ce mois de juillet, je vous propose de faire un parcours suivi dans la vie de Joseph, le fils de Jacob. Aujourd'hui, vous avez entendu les trois premiers passages de sa vie que nous présente le livre de la Genèse.
    Le premier passage nous décrit la situation familiale dans la fratrie des fils de Jacob. Le deuxième nous fait part des rêves de Joseph et le troisième du complot des frères pour se débarrasser de lui.
    A. La famille de Jacob est plus compliquée qu'aucune des "familles recomposées" qu'on rencontre de nos jours. Imaginez : un père avec douze fils nés de quatre femmes différentes, dont deux sont soeurs et les deux autres leurs servantes. L'une de ces épouses, la bien-aimée de Jacob est décédée.
    Cela fait un fils aîné, Ruben, le premier-né de la première femme (Léa) et trois autres fils premiers-nés des autres femmes qui peuvent chacun réclamer une prééminence. Ce sont Dan (fils de Bila), Gad (fils de Zilpa) et Joseph (fils de Rachel) le onzième fils de Jacob. Joseph est donc le cadet, c'est-à-dire l'avant-dernier fils, le dernier étant Benjamin, le benjamin de la famille.
    Pour tout compliquer, Joseph est aussi le préféré de son père, ce qui est manifesté ostensiblement par la robe — particulièrement riche — qu'il reçoit de son père.
    Cette fratrie est donc animée de rivalités qui tiennent aux rangs réels, numériques, de chacun dans la famille et à la jalousie qui vient de la prééminence que Jacob accorde à Joseph. Dans ce sens, Jacob n'a jamais été guéri de ce que j'appellerai "sa haine contre le droit d'aînesse héréditaire." Il reporte sur ses propres enfants le problème qui l'habite ! En même temps, cette "haine contre le droit d'aînesse héréditaire" est quelque chose que Dieu partage, parce que ce prétendu droit s'apparente trop souvent au simple "droit du plus fort".
    Ainsi cette fratrie sans chef évident ("de droit divin"!) ressemble en miniature à toute société humaine. Cette famille est l'image de toute société humaine avec ses luttes de clans, ses haines et ses jalousies, ses rivalités et ses envies d'exclusion et de meurtres.
    B. Là au milieu, il y a Joseph, que l'on peut voir péjorativement — comme le voient ses frères — comme l'homme aux rêves, aux songes, dans les nuages, ou positivement comme le visionnaire, celui qui a un projet pour cette société qu'est cette fratrie, comme — plus tard — il aura un projet pour l'Egypte, un projet social pour traverser la famine sans perdre un habitant du pays.
    La problématique qui traverse toute l'histoire de Joseph est celle de la vie fraternelle de toute l'humanité. Comment vivre tous ensemble en paix ? Joseph est le porteur de cette problématique, il va vivre dans son corps toutes les étapes qui feront de cette famille divisée par la haine, une famille réconciliée et sauvée de la mort.
    La vie de Joseph ressemble à une tragédie grecque. Son destin est énoncé dans ses rêves et toutes les tentatives faites autour de lui pour l'empêcher d'accomplir son destin, seront autant de pas en direction de cet accomplissement.
    C. Ainsi le complot des frères contre Joseph est un moment nécessaire à cet accomplissement. Ici, on peut commencer à observer les parallèles avec la Passion de Jésus, notamment dans la phrase : "ils complotèrent de le faire mourir" (Gn 37:18 et Mt 26:4 et par.) et ce côté nécessaire et inéluctable du déroulement des événements.
    Les frères n'en peuvent plus de voir Joseph tourner autour d'eux. Ils trouvent Joseph extrêmement désagréable, c'est vrai, il dénonce, il rapporte à son père, il est d'un orgueil plus qu'agaçant, il est toujours du côté de son père, en un mot, il trahit ses frères, il n'a aucune loyauté à leur égard : il faut donc l'éliminer!!!
    On remarquera ici que c'est la première solution — la solution la plus primitive — que toute société envisage lorsqu'elle est confrontée à un problème : éliminer celui qui soulève le problème, désigner un bouc émissaire et l'exclure. Les frères ont pris une décision, reste à trouver le meilleur moyen. Le meilleur moyen serait qu'un animal, une bête féroce, s'en charge ou de faire comme si un animal s'en était chargé. Cette simple mention montre que le meurtre dégrade l'homme de sa dignité humaine et le réduit au rang d'animal.
    Sur l'intervention de Ruben — l'aîné qui reprend de l'autorité — la vie de Joseph est épargnée. Joseph sera finalement vendu comme esclave. Les frères devaient bien rire en eux-mêmes. Le prétentieux qui pensait les dominer tous, le voici réduit au rang d'esclave ! Mais c'est aussi ainsi que s'accomplit le destin de Joseph, ce destin qui le conduira à les dominer tous.
    Ce n'est pas sans raison qu'on prête à Joseph d'être une figure messianique. Il est — comme le sera Jésus — "la pierre rejetée des bâtisseurs qui est devenue la pierre principale" (Ps 118:22). Ce rejet, qui passe par l'esclavage, qui passera par la prison, donc par des position "basses", subalternes, voire humiliantes, sont des voies qui vont ouvrir à la vraie autorité, celle qui fait grandir au lieu d'asservir. C'est aussi une chose que Jésus va reprendre et réaffirmer, quelque chose que Joseph a vécu dans sa personne :

    "Jésus et ses disciples arrivèrent à Capernaüm. Quand il fut dans la maison, Jésus demanda à ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. Alors Jésus s'assit, il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. »" (Marc 9:33-35).
    Mes amis, il y a dans nos vies des moments où le destin nous fait descendre d'un cran (ou de plusieurs), apprenons à avoir la foi de Joseph que cette descente n'est pas abandon, terminus, situation désespérée. Apprenons à avoir la sagesse de Joseph d'espérer en l'avenir et surtout en Dieu qui accompagne l'exclu et qui le réhabilite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Lévitique 19. Laisser l’autre glaner dans mon champ ?

    Lévitique 19
    26.5.2013
    Laisser l’autre glaner dans mon champ ?
    Lévitique 19 : 9-10      Ruth 2 : 2-8       Luc 15 : 25-31

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-05-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Qu’avons-nous à apprendre de vieilles prescriptions de l’Ancien Testament, du livre du Lévitique ? Je suis tombé sur cette prescription concernant la moisson et le fait de laisser glaner : 
    « Quand vous moissonnerez, vous ne couperez pas les épis qui ont poussé en bordure de vos champs, et vous ne retournerez pas ramasser les épis oubliés ; vous ne repasserez pas non plus dans vos vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lév 19:9-10)
    Ce commandement m’a interpellé. Je me suis demandé : qu’avons-nous à laisser glaner de nous-mêmes par les autres ? Même si nous n’avons plus de champs à moissonner !
    D’abord, constatons que cette recommandation est complétement contraire à la mentalité d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il ne faut rien laisser perdre, ne rien gaspiller, il faut tout optimiser, rendre efficace, efficient. Le paysan qui laisserait un mètre de son champ non récolté passerait pour négligent. On a encore en mémoire des phrases comme : « Finis bien ton assiette, il y a des enfants qui ont faim ! » Il faut faire la chasse aux « gaspi ».
    Rien ne doit se perdre. Et voilà que la loi de Moïse demande qu’on ne ramasse pas tout, qu’on laisse trainer une partie de la récolte !?
    Une explication est donnée qui éclaire ce commandement : « Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. » (Lév 19:10) En fait, c’est à laisser, mais ce n’est pas perdu, cela a un rôle, un rôle social.
    On peut voir ce commandement comme une trace du passage de la société de l’état de chasseur-cueilleur ou éleveur à la société agricole. Pour être agriculteur, il faut posséder de la terre, avoir des champs délimités et reconnus, cela demande une continuité dans le temps, le temps entre les semailles et la moisson.
    Dans la période de transition entre nomade et sédentaire, il y a des laissés pour compte, des sans-terre. La Loi de Moïse prévoit un filet social pour ceux-ci, sous la forme d’une autorisation à glaner et sous la forme d’une prescription de laisser cette possibilité.
    Nous n’avons plus de champs, notre société a passé d’une société de paysans à une société d’artisans et d’ouvriers aux XIXe et XXe siècle, et nous passons maintenant d’une société industrielle à une société de services. L’industrie est délocalisé, en Chine, au Vietnam et maintenant au Bengladesh et l’emploi est perdu en Europe, seuls les services subsistent.
    Et se pose donc aujourd’hui la question de comment s’occuper des laissés pour compte de ce nouveau passage. Quelle est la version moderne, actuelle, du glanage ? Que peut-on glaner  aujourd’hui ?
    Il y a des filets sociaux mis en place pour les gens établis et qui se plient au jeu de la bureaucratie. Pour les autres, il reste la mendicité ou les container des supermarchés. Et puis, si l’on n’est pas dans le niveau de l’extrême pauvreté, on se rend compte qu’il existe des niches d’échanges qui cherchent à échapper à la monétarisation, à l’échange d’argent.
    Il y a d’abord tous les services gratuits, du journal aux offres internets, en passant par les milieux associatifs, dont font partie les Eglises. Nous avons encore la chance de pouvoir offrir des services gratuits, pas seulement les actes ecclésiastiques, mais aussi des conférences, des soirées, des rencontres, des apéritifs et des concerts. Une gratuité qui repose bien sûr sur la générosité de ceux qui ont un peu d’argent et qui en font don, qui partagent. C’est une façon d’offrir quelques épis à glaner après que la moisson est rentrée.
    Mais j’aimerais aussi dépasser le niveau économique, pour aborder le niveau relationnel ou symbolique. Au lieu de penser au champ de blé à la campagne, essayons de penser que nous sommes le champ de blé ou la vigne.
    Sommes-nous un champ, une vigne ouverte aux glaneurs ou un champ fermé, entouré de murs ou de barbelés ? (Entendons-nous bien, on parle de glaner, on ne parle pas d’être pillé avant la moisson ou la vendange.) Quelle place laissons-nous à l’intérieur de nous-mêmes, dans nos relations, dans nos rencontres à celui qui a besoin de nous, de notre présence, de notre aide ?
    Vous avez entendu un passage du livre de Ruth, qui — comme étrangère venue en Israël — est dans la situation précaire de devoir glaner pour assurer sa subsistance et celle de sa belle-mère. On a là un exemple de quelqu’un, Booz, qui ouvre son champ aux glaneuses. Il prend particulièrement soin, il veille à ce que Ruth soit respectée, accueillie. Il lui donne même un sérieux coup de pouce en passant le mot selon lequel les moissonneurs peuvent même sortir des épis des gerbes liées pour faciliter la récolte de Ruth.
    Bien sûr, c’est facile pour Booz de faire cela pour Ruth, il est grand propriétaire. Se défaire d’un sac de grain, ce n’est rien pour lui. Qu’en est-il pour nous ? Quelle présence, quelle compagnie pouvons-nous offrir à d’autres qui en auraient besoin ? Qu’est-ce qui nous retient de le faire ? Qu’est-ce qui nous fait peur ? Souvent le sentiment — au contraire de Booz — de ne pas nous sentir riches, de penser n’avoir rien à offrir ! Je me place toujours ici sur le plan des relations, hors du champ économique.
    Sommes-nous comme le deuxième fils de la parabole du Fils prodigue (Luc 15)? Il est jaloux du veau gras tué pour son vaurien de frère, parce qu’il a le sentiment de ne rien posséder pour lui-même, de n’avoir pas même pu disposer d’un chevreau pour faire la fête avec ses amis.
    Voici ce que le Père dit au fils aîné : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce que je possède est aussi à toi. » (Luc 15 :31) Cette parole, Jésus la dit pour nous. Tous les biens du Père, il les partage avec nous. Il nous dit que Dieu partage avec nous son amour, tout son amour. Nous ne vivons pas dans la pauvreté ou la pénurie, mais dans la richesse de l’amour du Père.
    Booz avait assez de champs pour laisser les glaneuses et Ruth ramasser plus que leur part. Nous partageons tout l’amour de Dieu et avons donc assez de richesses pour laisser d’autres venir glaner du temps, de la présence, des relations auprès de nous. « Tout ce que je possède est aussi à toi » nous dit Dieu. Ouvrons nos champs, nos vies aux glaneurs.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Exode 17. Dans notre désert, nous avons soif d'une eau qui nous restaure.


    Exode 17
    25.11.2012

    Dans notre désert, nous avons soif d'une eau qui nous restaure.
    Exode 17 : 1-7      Jean 4 : 7-15
    Téléchargez la prédication ici : P-2102-11-25.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers familles,
    Je vous ai fait entendre ce récit de l'Ancien Testament où le peuple hébreu a soif dans le désert et réclame de l'eau à Moïse. C'est un épisode de l'histoire des hébreux qui se situe pendant l'Exode. Vous vous en souvenez, le peuple hébreu vivait en Egypte. Il était devenu une menace pour le Pharaon et soumis à la corvée. Entendant les plaintes et les cris de douleur de son peuple, Dieu avait mandaté Moïse pour faire sortir le peuple des hébreux d'Egypte.
    Dans notre récit, le peuple est loin d'Egypte, il est dans le désert de l'Horeb (ou Sinaï), libre mais assoiffé. La vie dans le désert est difficile et certains regrettent la vie en Egypte, ils font des reproches à Moïse.
    Je vais faire une lecture symbolique de ce récit. Je fais le pari que ce récit — tout ancien qu'il soit — parle de nos situations celles que nous traversons aujourd'hui !
    Ce voyage du peuple hébreu dans le désert, c'est une image, une représentation de nos traversées du désert, de nos périodes difficiles, de nos temps de deuils, de nos épreuves. Nous aussi nous avons été blessés et chassés de nos territoires connus et balisés pour être jetés sur des routes inconnues, incertaines. Nous aussi nous nous retrouvons à être privés de l'eau à laquelle nous étions habitués, être privés de l'amitié d^'un être cher, de la sécurité d'un époux ou d'un père, de l'affection d'une épouse ou d'une mère.
    Dans notre désert, nous avons soif et nous crions notre soif et nous nous demandons — comme le peuple hébreu — "le Seigneur est-il parmi nous, oui ou non ?" (Ex 17:7) Nous avons soif d'un accompagnement, d'une présence. Nous disons notre soif — parfois nous crions notre soif : y a-t-il un Moïse pour nous entendre ?
    Y a-t-il un Moïse pour nous répondre ? Qui est Moïse pour nous ? Qui va frapper le rocher pour nous ? Pour faire jaillir l'eau de consolation, l'eau jaillante de vie pour continuer la route ? Où est notre rocher ? Où est l'Horeb, la montagne de Dieu ? Où est cette eau qui désaltère et restaure l'âme ?
    Dans l'Evangile de Jean, Jésus se présente à la Samaritaine comme celui qui donne cette eau qui désaltère et restaure. L'Evangile de Jean nous présente Jésus comme la source, l'eau qui donne la vraie vie, celui auprès de qui aller se ressourcer. L'évangéliste Jean le dit dans son récit de la Samaritaine, mais il y fait encore allusion dans la Passion de Jésus.
    Jean mentionne qu'après la mort de Jésus — pour vérifier que Jésus est bien mort — un soldat perce le côté de Jésus avec sa lance et Jean rapporte que "du sang et de l'eau sortent de son côté" (Jn 19:34). Jésus mourant sur la croit devient le rocher de l'Horeb d'où sort l'eau qui donne la vie.
    C'est du Christ sur la croix que coule l'eau qui donne la vie, l'eau qui ressource nos existences, l'eau qui désaltère nos vies, l'eau qui restaure notre âme.
    Le bâton de Moïse qui fait sortir de l'eau du rocher pouvait nous faire penser à une baguette magique qui n'a rien à voir avec notre réalité. Il en est autrement du Christ qui donne sa vie pour nous sur la croix, pour que nous vivions.
    Par ce geste, cet accomplissement, Jésus nous rejoint au plus profond de nos gouffres. La plaie d'où sort l'eau qui nous donne la vie nous dit que Dieu nous rejoint précisément là où nous sommes : dans nos blessures.
    Ce n'est pas un Dieu qui plastronne qui nous parle et nous offre une issue à notre souffrance. C'est un Dieu blessé qui vient à la rencontre de nos blessures pour nous proposer un chemin à faire ensemble vers la guérison, vers l'espérance, vers le relèvement, vers la résurrection.
    C'est Jésus, avec ses mains et ses pieds percés, avec son côté blessé qui se fait reconnaître par ses disciples après la résurrection (Jn 20). Ses blessures rejoignent nos blessures, son relèvement est notre relèvement, sa résurrection est notre guérison, notre retour à la vie.
    Ainsi, l'évangéliste Jean nous dit que Jésus est le rocher d'où jaillit la source d'eau qui apaise notre soif. Il est celui qui nous relie à la source de l'amour; il est celui qui nous relie à la vie, la vraie vie; il est celui qui nous relie à l'espérance pour nous restaurer, à sa Table lors de la Cène, pour reconstruire en nous la sécurité et la paix intérieure.
    Laissons-nous approcher par ce Dieu-là, qui connaît nos blessures, qui a traversé la douleur et la nuit. Il nous entraîne vers le jour, vers la lumière, vers la vraie vie. Laissons-nous approcher par ce Dieu-là.
    Amen
     © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Exode 3. De la routine, rien que de la routine, jusqu'à la mort ?


    Exode 3
    24.6.2012

    De la routine, rien que de la routine, jusqu'à la mort ?

    Exode 3 : 1-4

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-0624.pdf


    Culte paroissial avec la participation de l'Abbaye des Laboureurs de Bussigny


    Vendredi matin, En Ligne Directe, sur la RTS 1, demandait sur les réseaux sociaux : "Pourquoi la religion ne vous séduit plus ?" (sic). L'une des réponses donnée par un internaute était que la Bible, et donc les Eglises, sont déconnectées du présent.
    Comment pouvons-nous avoir encore recours à des textes vieux de centaines, ou de milliers d'années, avec la prétention de dire quelque chose de valable, pour nous, aujourd'hui ? Comment le texte qui parle de Moïse et qui vous a été lu pourrait nous dire quelque chose à nous qui sommes-là ce matin ?
    C'est vrai, comme texte historique, ce texte est vieux de 2'500 à 3'000 ans et il ne peut rien refléter pour nous. Par contre, si l'on reçoit ce texte comme un miroir, un miroir de notre vie actuelle, de nos personnes, de nos relations et de nos aspirations, alors — dans ce miroir — nous allons nous voir nous-mêmes et le texte va rejoindre notre présent !
    Je vais essayer de vous présenter ce miroir en espérant que nous allons nous y reconnaître. Mais encore un préalable avant de nous plonger dans le récit. Toute histoire, tout texte est la réponse à une question, question qui n'est pas prononcée dans le récit, mais que nous pouvons rechercher et trouver. Ici, le récit de la rencontre entre Moïse et le buisson ardent me semble être la réponse à la question : Comment entrons-nous en relation, en connexion, en lien avec le divin, avec ce qui nous dépasse, avec le mystère ? Et qui est-il ? N'allons pas tout de suite aux réponses traditionnelles et toutes faites, laissons les choses ouvertes pour le moment.
    Prenons maintenant le récit comme un miroir. Considérons que Moïse n'est pas un prince élevé à la cour du Pharaon. Moïse, c'est nous aujourd'hui, c'est moi, c'est vous. Cette personne est occupée par son travail journalier, son emploi, son gagne-pain. Cette personne garde les troupeaux de son beau-père, il les mène d'un pâturage à l'autre.
    Mais cela pourrait tout autant être un voyageur de commerce pris dans les bouchons de l'autoroute entre Morges et Ecublens, un employé sur un chantier ou un patron dans son bureau. Cet homme est dans la pratique quotidienne de son métier, dans sa routine et cela peut continuer comme cela jusqu'à la retraite ou jusqu'à la mort.
    Une petite vie tranquille, métro - boulot - dodo. Pas de vagues, mais pas d'excitation non plus. Une vie simple. Mais est-ce vraiment la vie, notre aspiration à la vie — nos rêves de jeunesse — que de rester dans cette routine ?
    Dans son ennui, Moïse regarde à droite, à gauche. Un jour son regard est attiré par quelque chose, de côté. Un feu. Ce feu est spécial, il ne consume pas, il ne dévore pas le bois sur lequel il brûle.
    Notre regard n'est-il pas attiré aussi, de temps en temps, vers quelque chose qui nous intrigue ? Quelqu'un qui a une lueur particulière dans le regard, ou une idée qui nous fait vibrer de manière inattendue, ou une coïncidence étrange ? Que faisons-nous à partir de là ?
    Moïse, lui, décide de faire un détour pour étudier le phénomène étrange. Il quitte sa routine. Il se laisse interpeller, dérouter, il ne veut pas laisser passer cela ! Et c'est là que la vie commence, c'est là que l'aventure démarre !
    Moïse se permet de se demander "Pourquoi ?" Pourquoi est-ce comme cela ? Pourquoi ce buissons brûle-t-il sans se consumer ? Pourquoi cette personne rayonne-t-elle pareillement ? Pourquoi cette idée me fait-elle vibrer ? Pourquoi ces coïncidences me parlent-elles ?
    Vous aurez remarqué que, c'est à partir du moment — nous dit le texte — où Moïse s'est dérouter et se demande "Pourquoi?" que Dieu s'intéresse à lui. C'est là qu'il l'appelle "Moïse, Moïse !"
    Quand notre curiosité est éveillée, quand nous nous laissons dérouter, sortir des ornières de nos routines, nous nous ouvrons à un appel extérieur. Quand notre curiosité est éveillée, nous pouvons entendre que la vie nous appelle, que ce qu'il y a de vivant autour de nous rejoint en nous ce qui attend d'être réveillé, relevé, ramené à la vie. Le buisson, la lueur dans le regard, la coïncidence nous appellent — le texte disait d'emblée "l'ange du Seigneur était dans la flamme" (Ex 3:2).
    Il y a tout le long de notre chemin des buissons, des curiosités, des gens qui cherchent à mettre notre côté vivant en éveil ! Chaque jour, quelque chose ou quelqu'un attire notre attention pour nous éveiller à la vie, à la vraie vie. La question est de savoir si nous regardons de côté, à côté des routines qui nous arrangent, à côté des routines qui nous reposent, à côté des routines qui sont sans risque pour nous ?
    Allons-nous nous laisser dérouter, ou bien préférons-nous continuer notre petite vie tranquille jusqu'à la retraite ou à la mort ?
    Moïse laisse sa curiosité être allumée. Il sort de son chemin ordinaire, il se laisse appeler, appeler par son nom et il répond à l'appel de la Vie, du Vivant : "Je suis là !" (Ex 3:4) Il dit oui à la vie qui l'appelle, à cette vie nouvelle, à cette vivacité, cette énergie qui va le faire quitter son désert et ses troupeaux pour une autre existence où il fera sortir le peuple hébreu d'Egypte.
    Devant nous s'étale la vie jusqu'à notre mort… Allons-nous suivre notre routine habituelle ou bien ouvrir les yeux aux interpellations de la vie ? Allons-nous changer de chemin pour avoir une vie plus vivante ?
    Cela vous donne envie, mais vous ne savez pas comment vous y prendre ? Il y a ici une communauté qui se réunit chaque dimanche pour apprendre à saisir la vie, pour apprendre à voir ce qui se passe en dehors de la routine quotidienne, pour apprendre à entendre l'interpellation du Vivant à vivre pleinement. A chacun de voir si cela vaut le détour !
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Exode 33. Dieu ne se laisse voir que de dos.

    Exode 33
    3.6.2012
    Dieu ne se laisse voir que de dos.
    Exode 33 : 18-23      Jean 1 ; 14-18      Jean 14 : 8-11

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-06-03.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Moïse et Philippe, le disciple, font la même demande, ils veulent voir Dieu ! C'est notre aspiration humaine, une aspiration qui traverse le temps et l'espace, qui agite tout humain. Voir Dieu. Enfin savoir, enfin avoir une certitude. Plus encore, pouvoir maîtriser, contrôler notre vie, notre chemin, notre destin.
    Mais la Bible nous dit qu'il est impossible, incompatible de voir Dieu et de vivre. La Bible pose cela comme un principe, un axiome, sans explication, comme une évidence. Cela souligne la différence, la distance entre Dieu et l'humain, une distance de fait, comme l'eau et le feu, comme la matière et l'anti-matière, ou encore comme l'obscurité et la lumière. L'obscurité ne peut pas se maintenir dans la lumière, c'est incompatible, de fait. Voilà pour la distance.
    Pourtant, Dieu n'a de cesse de vouloir s'approcher de l'humain. Dieu n'a de cesse de nous adresser la parole. Dieu n'a de cesse d'attirer notre attention ! Dieu n'a de cesse de vouloir rompre cette distance, nouer un contact, créer une relation. Mais cette relation ne peut pas être directe, sans intermédiaire, sans médiation. C'est ce que disent, parallèlement, le récit de Moïse et l'entretien entre Jésus et Philippe.
    Dans l'Ancien Testament, la relation directe est symbolisée par la vue, le regard, la vision. La relation indirecte est symbolisée par l'ouïe. Dieu parle aux prophètes, aux rois, à Moïse et ces derniers retransmettent ces paroles au peuple.
    Un interdit sur la vue de Dieu est placé dans le Décalogue : "Tu ne te feras pas d'image de Dieu." Faire une image, c'est enfermer Dieu dans notre vision de lui, c'est en prendre possession, prétendre à le contrôler, à le maîtriser. C'est outrepasser la juste relation à Dieu.
    Comment conjuguer l'impossibilité de voir Dieu et son désir de se révéler, de se faire connaître ? Comment conjuguer l'impossibilité de voir Dieu avec notre soif de le connaître, de le découvrir ? Le récit de la demande de Moïse à voir Dieu nous en donne quelques pistes.
    Dieu ne repousse pas la demande de Moïse, il y répond même : il va faire passer sa gloire et proclamer son nom. Mais ce processus va être accompagné de mesures de protection et d'explications sur ce que Dieu va montrer de lui-même. C'est Dieu lui-même qui va, en même temps, exaucer la demande de Moïse et le protéger du danger de sa demande.
    Il y a trois mesures de protection :
    La première, c'est que Moïse se place dans le creux du rocher, protection terrestre, abri naturel. On peut comparer cela aux mesures de protection physiques, matérielles que nous sommes tous invités à utiliser pour nous protéger le mieux possible des risques et des dangers de l'existence. Ne pas prendre inutilement des risques qui mettent notre vie en danger.
    La deuxième protection, c'est que Dieu lui-même va placer la paume de sa main sur Moïse pour le protéger. C'est la protection divine qui recouvre Moïse. C'est la protection que nous pouvons demander à Dieu dans la prière, pour tout ce que nos propres protections ne peuvent pas protéger.
    La troisième protection que Dieu offre, c'est de ne pas montrer sa face, son visage, mais de se laisser entre apercevoir, "de dos" nous dit le texte. Dieu va soulever sa main de dessus Moïse pour que celui-ci puisse apercevoir Dieu de dos, à la fin de son passage au-dessus de Moïse. C'est une vision furtive qui est offerte à Moïse, c'est une vision d'après-coup.
    Cela me fait penser à la vision des pèlerins d'Emmaüs, qui reconnaissent Jésus après-coup, dans la fraction du pain, alors que Jésus disparaît de leurs yeux. Je reviendrai sur cette vision "après-coup" et sa signification.
    Dieu dit aussi ce qu'il va montrer à Moïse, et c'est surprenant. Moïse demande à voir la gloire de Dieu. En termes laïcs, la "gloire", en hébreu, c'est la valeur, même la valeur marchande. La "gloire" du Liban, ce sont ses cèdres, le bois de ses cèdres. C'est la ressource du pays, ce qui en fait la valeur.
    Ce que Moïse demande à voir de Dieu, c'est ce qui en fait la valeur, sa ressource, sa qualité première. Et voici la réponse que Dieu donne à Moïse, si vous vous en rappelez : "Je vais passer devant toi en te montrant toutes mes bontés et en proclamant mon vrai nom." (Ex 33:19). Et il ajoute : ce qui me caractérise, c'est que je fais grâce et que je m'émeus de compassion.
    Le visage de Dieu présenté — en paroles — à Moïse, c'est celui de la bonté, de la grâce et de la compassion. Ce sont les qualités que l'Evangéliste Jean attribue à Jésus, celles qu'il a reçues du Père. Dans le jeu de renvoi de Jésus au Père, dans l'Evangile de Jean, il y a ce même évitement de la vue face à face. Quand Philippe demande à Jésus de "voir le Père", celui-ci lui répond : "Celui qui m'a vu a vu le Père" (Jn 14:9).
    Jésus ne peut pas montrer le visage de Dieu au ciel, il est lui-même le visage de Dieu sur terre, mais un visage que personne ne voit directement. En tout cas pas les adversaires de Jésus qui cherchent toujours à le mettre à mort. Mais même les disciples — et Philippe en est un exemple — n'arrivent pas à voir vraiment le visage de Dieu. Même avec Jésus parmi eux, ils ne voient Dieu que "de dos." Voir Dieu "de dos" signifie que l'on ne peut voir de Dieu que la trace qu'il laisse en passant.
    Dieu est insaisissable, incontrôlable. Nous ne pouvons pas le maîtriser, le tenir, dire : il est là maintenant.
    Notre travail, c'est de chercher sa trace, de voir son dos lorsqu'il a passé dans un moment de notre existence. Ce travail — car c'est un travail, un travail auquel renoncent nombres de nos contemporains — ce travail c'est de relire notre journée, relire notre existence, revenir sur nos faits et gestes et voir chaque fois que nous avons été protégés, accompagnés, guidés, soutenus.
    Nous pouvons, chaque soir, monter sur la montagne, nous blottir au creux du rocher et tenter d'apercevoir, furtivement, après-coup, quelle trace Dieu a laissé dans notre journée.
    Amen  
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Genèse 41. Les rêves dans la Bible (II). La Saga de Joseph


    Genèse 41
    10.7.2011
    Les rêves dans la Bible (II). La Saga de Joseph
    Genèse 41 : 1-33

    Téléchargez la prédication ici : P-2011-07-10.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans notre suite de prédications sur les rêves dans la Bible, nous abordons ce matin les rêves de la saga de Joseph, le fils de Jacob. Joseph est le 11e fils des 12 fils de Jacob. Il fait deux rêves où il voit successivement des gerbes de blé puis des étoiles se prosterner devant lui. Ses frères et ses parents comprennent tout de suite que Joseph pense qu'ils vont tous devoir se prosterner devant lui.
    Ses frères le prennent alors en haine, ce qui va conduire au fait qu'il sera abandonné dans une citerne et vendu comme esclave. Après diverses péripéties hautes en couleurs, Joseph se retrouve en prison en Egypte où il interprète les rêves du boulanger et de l'échanson du pharaon. Quand le pharaon a des rêves énigmatiques à son tour, l'échanson se souvient de Joseph et propose au pharaon de sortir Joseph de sa prison pour qu'il lui interprète ses rêves. Vous avez entendu le récit.
    Joseph est donc amené face à pharaon et il fait tout de suite une rectification : ce n'est pas lui, Joseph, qui interprète les rêves, c'est Dieu qui en donne l'explication. Et Joseph ajoutera — après avoir révélé le sens des rêves — que Dieu montre au pharaon ce qu'il doit faire.
    Pour l'auteur de la saga de Joseph, le domaine du rêve et de son interprétation appartient à Dieu et à Dieu seul. En effet, le domaine de l'avenir et de la destinée de tous est — pour cet auteur — entièrement entre les mains de Dieu. Il n'est donc pas question ici de psychanalyse des rêves ou de comprendre ce que le rêve nous apprend de nous-mêmes.
    Nous ne savons pas qui a écrit cette saga de Joseph, mais nous pouvons voir, par sa façon de raconter, que ce texte appartient au registre de la Sagesse. C'est-à-dire que c'est un récit qui veut nous donner quelques clés, quelques réponses à des questions sur notre existence. Comment prendre les hauts et les bas de l'existence ? De qui dépend ma vie ? Qui la dirige ? Etc.
    Le récit fait très rarement référence à Dieu et lorsque référence il y a, c'est toujours dans la bouche d'un acteur du récit qui dit quelque chose sur Dieu, c'est de l'ordre de la confession de foi. On ne voit pas, comme dans les textes historiques (p. ex. Exode), l'affirmation que Dieu parle ou que Dieu agit. Dans cette saga de Joseph, Dieu est soit absent, soit en arrière-plan.
    C'est là que les rêves interviennent. Les rêves sont des "provocateurs de destin." Ce sont eux qui font bouger les choses, basculer les destinées. C'est la haine qui suit les rêves de prosternation de Joseph qui provoque son exclusion de la tribu et sa descente en Egypte. Ce sont les rêves de l'échanson et du boulanger qui vont faire connaître Joseph et finalement le faire sortir de prison. Ce sont les rêves du pharaon qui vont faire que Joseph sera nommé premier ministre d'Egypte.
    Les actions, les revirements de situations, arrivent suite à ces rêves. Ce que l'auteur de la saga de Joseph veut nous faire comprendre, c'est que le destin de Joseph est entre les mains de Dieu et que Dieu agit en coulisse en arrière-plan. Le plus important n'est pas le contenu des rêves, mais leur rôle dans l'histoire de Joseph. Les rêves sont là pour masquer et pour montrer que Dieu agit dans la vie de Joseph. Derrière les rêves, c'est Dieu qui agit, qui accompagne et qui change le cours de la vie de Joseph.
    Les rêves constituent les ressorts dramatiques de la saga. Ils montrent que Dieu dirige les événements, les événements dramatiques (exclusion, départ vers l'Egypte, mise en prison) comme les événements salvateurs (sortie de prison et nomination comme premier ministre).
    Le narrateur veut nous inviter à la confiance, même dans les pires moments et les pires situations de l'existence, à travers la mise en scène des malheurs de Joseph.
    Le narrateur veut nous inviter à la confiance en nous montrant que Dieu sort Joseph de sa misère et lui réserve une situation favorable, même enviable en fin de compte.
    Le narrateur veut nous inviter à la confiance en nous laissant voir — à travers les rêves prémonitoires — que Dieu dirige tout, que Dieu prévoit tout et que Dieu rétablit toute situation. Et la fin glorieuse est là pour nous montrer que ça marche. C'est la vision sapientiale, de la sagesse : vous ne comprenez pas ce qui vous arrive, mais Dieu a tout en main et cela finira bien.
    Je dois vous avouer que cela me met mal à l'aise. Je n'arrive pas à adhérer à cette pensée. Nous voyons trop de situations autour de nous où les situations ne s'arrangent pas, où les injustices ne sont ni dénoncées, ni corrigées, où le malheur n'est pas compensé, où le deuil frappe sans qu'on puisse espérer trouver un juste motif.
    Peut-on rester avec la pensée que "cela nous dépasse" ou que "les voies du Seigneur son impénétrables" ? Que faire et que penser lorsque nos histoires n'ont pas de happy end ?
    Ces questions ne sont pas seulement celles des gens de notre temps. Le livre de l'Ecclésiaste et celui de Job contestent déjà cette vision trop optimiste des livres de Sagesse. Le discours de la saga de Joseph ne suffit pas à rendre compte du problème du mal.
    Le livre de l'Ecclésiaste et celui de Job nous donnent des éclairages complémentaires. Les êtres humains de tous les temps réfléchissent à la question de notre destin face au mal. Et Dieu, que ce soit à travers des rêves, des visions prophétiques ou une présence plus discrète dans notre monde, nous accompagne dans cette réflexion.
    Dieu a pris tellement au sérieux notre questionnement à ce sujet qu'il est venu nous rendre visite, non plus dans nos rêves, mais dans la personne de Jésus. Je pense que c'est au travers de sa Passion qu'il touche au plus près notre destinée confrontée au mal et au malheur injustes. C'est dans cette Passion, plutôt que dans les rêves de Joseph, que nous devons chercher nos propres réponses.
    Amen
    @ Jean-Marie Thévoz, 2011

  • Genèse 28. Les rêves dans la Bible (I). Le rêve de Jacob

    Genèse 28
    3.7.2011
    Les rêves dans la Bible (I). Le rêve de Jacob
    Gn 28 : 10-19    Mc 4 : 9-14

    télécharger ici la prédication : P-2011-07-03.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    J'ai choisi de vous entraîner dans le pays des rêves pendant ce mois de juillet, plus précisément d'étudier avec vous comment la Bible parle des rêves, des songes. Le texte biblique nous apporte plusieurs rêves au fil de ses pages.
    Dans l'Ancien Testament, la majorité des rêves sont racontés dans le livre de la Genèse, mais on en trouve un dans Juges (7:13), le rêve de Salomon en 1 Rois 3, puis deux rêves dans le livre de Daniel (2 et 4). Dans le Nouveau Testament, l'évangéliste Matthieu présente Joseph comme recevant des instructions de Dieu en songe.
    En étudiant ces différents rêves, je crois qu'on peut les classer en deux catégories :

    
1) les rêves prémonitoires, qui annoncent de manière énigmatique un événement qui va se produire et 


    2) les rêves directifs, où Dieu dicte une instruction à celui qui dort. Joseph, l'époux de Marie, reçoit clairement des directives dans ses songes : "Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte" (Mt 2:13). C'est en songe que Joseph est averti qu'il peut rentrer en Galilée (Mt 2:13-19). De même, les mages reçoivent l'instruction de ne pas passer chez Hérode en retournant chez eux (Mt 2:12). Dans la Genèse, Abimélec reçoit en songe l'ordre de rendre Sarah à Abraham (Gn 20:3,6).
    Dans la première catégorie des rêves prémonitoires, il y a tous les rêves du cycle de Joseph : 


    - Joseph qui rêve des gerbes de blé ou des étoiles qui se prosternent (Gn 37)

    
- le boulanger et l'échanson en prison qui font chacun un rêve qui devront être décrypté par Joseph et qui annoncent leur destin (Gn 40)


    - les rêves de Pharaon avec les 7 vaches grasses et les 7 vaches maigres et son doublet avec les 7 épis beaux et gros et les 7 épis maigres (Gn 41).
    Dans le livre de Daniel, Nabucodonosor recourt à Daniel pour interpréter ses deux rêves (Dn 2 et 4), qui eux aussi décrivent ce qui va se passer dans un avenir proche.
    Et puis, il y a le rêve de Jacob dont nous avons entendu le récit et qui échappe à ces deux catégories. Ce rêve de Jacob va nous occuper ce matin. Le récit est en trois parties. D'abord ce qui se passe dans le rêve, pendant le sommeil de Jacob : l'image de l'échelle de Jacob et les paroles de Dieu, des promesses divines. Ensuite est décrit le réveil de Jacob, ce qu'il réalise et comment il interprète son rêve. Enfin, l'action qu'entreprend Jacob suite à cette interprétation. Reprenons.
    A.  Le rêve de Jacob, c'est d'abord une image, une image que les peintres ont essayé de représenter. C'est une échelle ou un escalier. Le terme n'apparaît qu'ici dans la Bible, c'est un terme unique, mais qu'on retrouve dans l'hébreu moderne dans le sens concret d'échelle (celle qu'on appuie contre l'arbre pour cueillir les cerises) ou bien au sens figuré d'échelle d'un graphique ou d'une carte.
    Sur cette échelle, montent et descendent des messagers, des porteurs de messages, des envoyés qu'on appelle du coup des anges puisqu'ils viennent du ciel. Mais l'hébreu ne fait pas de différence entre l'ange, le facteur et l'ambassadeur porteurs d'un message. Cette échelle relie la terre et le ciel.
    Cette vision est accompagnée de plusieurs paroles divines. D'abord Dieu s'identifie comme le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac. Cette façon de s'identifier n'est utilisée dans la Bible que pour les patriarches et Moïse. Ensuite, Dieu fait la liste des promesses qu'il s'engage à réaliser : donner une terre à Jacob; lui donner des descendants pour l'habiter; le bénir avec tous ses descendants; et finalement une promesse de présence et d'accompagnement : "Je serai avec toi, je te protégerai partout où tu ira et je te ramènerai dans ce pays" (Gn28:14). Souvenons-nous qu'à ce moment, Jacob fuit son pays après avoir ravi à Esaü le droit d'aînesse et la bénédiction de leur père. Il est dans la situation d'un fuyard qui va se réfugier dans un pays étranger.
    B. A son réveil, Jacob se souvient de son rêve. Celui-ci lui fait prendre conscience de la présence de Dieu dans ce lieu. Jacob fait une découverte : il réalise que ce lieu est rempli de la présence de Dieu, que ce lieu devient un lieu saint pour lui. "C'est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas !" (Gn28:16) s'exclame-t-il. Jacob interprète alors son rêve comme la révélation d'un lieu spécial où terre et ciel sont en liens, où terre et ciel sont en contact, en communication. Le courant est établi entre le ciel et la terre et c'est ici que ça se passe.
    C. Aussi Jacob élève-t-il un stèle et nomme-t-il ce lieu Béthel c'est-à-dire "la maison de Dieu" et dit-il que cet endroit est la porte des cieux. Jacob a comme découvert la "porte des étoiles" (Stargate). Cette action de Jacob d'ériger une stèle et de nommer le lieu où il se trouve se passe à l'extérieur de lui, mais — avec le rêve — on peut le lire comme une reconnaissance intérieure : Jacob a fait l'expérience du divin. Les cieux se sont invités dans son existence terrestre, un lien ineffaçable a été créé entre Dieu et Jacob. Une communication (des messagers transitent entre terre et ciel) s'est ouverte entre Jacob et Dieu.
    Moïse a vécu la même chose à travers une vision, la vision du buisson ardent, avec des paroles et des promesses divines. Pourquoi Jacob vit-il cela dans un rêve, pas dans un vision ? Il me semble d'abord que la Bible réserve les visions aux prophètes et les rêves aux profanes. Mais au delà de cette différence de personne, je pense que cette révélation de la présence divine à Jacob, à Jacob-Israël, à l'ancêtre des 12 tribus et de tout le peuple d'Israël, c'est aussi un message théologique. En utilisant un rêve, Dieu parle de sa nature même.
    Dans un contexte historique, depuis les Pharaons jusqu'aux empereurs assyriens, perses ou hellénistiques, le culte était une affaire de prestige, de magnificence et de temples grandioses. Le culte devait faire voir la supériorité du souverain sur son peuple et sur les peuples voisins. Les bâtiments devaient en imposer à tous. Ici, la révélation de Dieu, toute en délicatesse, dans le sommeil d'un homme seul, qui dort à la belle étoile, montre une différence remarquable.
    Dieu ne veut pas s'imposer par la puissance, l'apparence, le bling-bling. Le Dieu de la Bible cherche à être invité, reçu, dans notre intériorité, dans le plus secret de notre être, comme un visiteur bienfaisant. A nous de l'accueillir, de le recevoir, de le découvrir, en nous exclamant avec Jacob :
    "C'est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas !"
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2011

  • Deutéronome 30. Choisis la vie !

    Deutéronome 30
    20.2.2011
    Choisis la vie !
    Dt 30 : 15-20    Mc 1 : 29-34

    téléchargez la prédication : P-2011-20-02.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    « Les gens transportaient vers Jésus tous les malades et ceux qui étaient possédés d'un esprit mauvais. Toute la population de la ville se rassemblait devant la porte de la maison. Jésus guérissait beaucoup de gens qui souffraient de toutes sortes de maladies et chassait aussi beaucoup d'esprits mauvais. » (Mc 1:32-34).
    Croyons-nous, aujourd'hui, au pouvoir de guérison de Jésus ? Dans notre Eglise protestante, quand nous entendons la phrase "Jésus peut te guérir" ou "Jésus te guérira" nous sommes mal à l'aise et nous pensons facilement : Voilà un évangélique…
    Pourtant, tous les Evangiles rapportent les guérisons de Jésus. C'est une part importante de son ministère. Jésus passe du temps à recevoir les malades, à guérir et à chasser les esprits mauvais.
    Je pense que nous devrions prendre davantage au sérieux cette partie du ministère de Jésus, tout en ne tombant pas dans les pièges du miraculeux, piège contre lequel Jésus lui-même nous met en garde. Oui, Jésus guérit, il guérissait pendant son ministère et il reste puissance de guérison, aujourd'hui, pour nous !
    Ne vous méprenez pas cependant sur mes paroles. Je ne suis pas en train de dire qu'il faut renoncer aux médicaments, aux médecins et aux hôpitaux. Je pense que Dieu nous a donné l'intelligence pour prendre soin de nous, pour développer la science médicale et pour nous en servir. Dieu n'a aucun raison de faire à notre place ce que nous pouvons faire, pour nous ou pour les autres.
    Je pense cependant que l'Evangile a un pouvoir thérapeutique et que nous négligeons trop souvent cet aspect de la foi. Nous avons trop souvent réduit la foi à un savoir ou à une pratique ou à une éthique. Comme je le disais, ici, il y a 15 jours, Jésus n'est pas venu apporter un nouveau savoir, de nouveaux dogmes, il vient apporter la vie, la vie en plénitude. Jésus n'est pas venu prêcher : "Remplissez les Eglises pour me faire plaisir !" Il est venu prêcher ; "Celui qui écoute ma parole et qui y croit aura la vie en plénitude, il est passé de la mort à la vie." (Jn 5:24)
    Il y a dans la Parole de Dieu une force thérapeutique, une force structurante qui, non seulement nous aide à vivre, mais libère des forces, des énergies, pour que la vie se déploie et soit féconde. L'Evangile, la Parole de Dieu est force reconstructrice après les épreuves, elle est thérapeutique du mal-être, du mal de vivre que notre société génère. L'Evangile, la Parole de Dieu est un baume sur les blessures intérieures; elle est réparatrice des distorsions relationnelles.
    Comment accéder à cette force de guérison ? De tout temps, des hommes et des femmes l'ont trouvée et reçue dans la méditation régulière de l'Ecriture et dans la prière. De manière plus systématique, des penseurs chrétiens ont développé des parcours, des chemins — qui passent également par l'Ecriture sainte, la prière et le partage communautaire. Mon attention a été attirée sur l'œuvre de Simone Pacot intitulée "L'évangélisation des profondeurs." Elle a développé sa pensée et son parcours dans plusieurs livres*1, mais aussi dans une association "Bethasda" qui offre des séminaires et des accompagnements selon cette méthode. 
    La première étape de ce parcours consiste à accepter la première loi de vie qui est de "choisir la vie." Cette invitation à "choisir la vie" est l'invitation de Dieu lui-même, que Moïse transmet au peuple hébreu à la toute fin de sa vie, lorsqu'ils sont en vue de la Terre promise.
    Ce passage : "Je mets devant toi la vie et le bonheur. la mort et le malheur, choisis donc la vie !" est la conclusion de l'ensemble du Pentateuque, de la Torah, les cinq livres qui commencent avec les récits de création, qui décrivent la vie des patriarches, puis de Moïse et du peuple hébreu qui traversent le désert.
    Au moment où sont prononcées ces paroles, le peuple est arrivé au bout de son voyage, il est devant la Terre promise, il n'a que le Jourdain à traverser et Dieu leur dit "choisis la vie !"
    On ne choisit pas de naître. L'enfant ne choisit pas ses parents, il ne choisit pas les conditions de son enfance. Il vit, il subit et il avance tant bien que mal, faisant ses choix au mieux des circonstances. On se construit ainsi, au gré des événements, des circonstances de la vie, des épreuves. Mais il y a un moment dans la vie où il faut reprendre à son compte ce qui nous est arrivé et ce qu'on veut en faire, qui l'on veut devenir. Certains appellent cela passer de la vie à l'existence. L'Evangile appelle cela passer de la mort à la vie. "La vraie mort n'est pas le terme de la vie, elle est ce qui dès le début, empêche de naître."*2
    Il ne suffit pas de vivre — avec son lot, avec ses blessures — il faut renaître, il faut choisir la vie. Le texte de Moïse dit bien que tout est devant nous, le bon comme le mauvais, le bonheur comme le malheur, la bénédiction comme la malédiction. Et Dieu nous invite à choisir la vie !
    Cela paraît évident, le choix que tout le monde veut faire. Mais si l'on regarde autour de nous, ou si l'on regarde en nous-mêmes, nous voyons que nous sommes assaillis de forces qui nous éloignent de la vie, de la vraie vie. Qui n'a pas éprouvé de désir de vengeance, la jalousie du salaire ou du bonus de tel ou tel, l'envie de désigner un bouc émissaire. Mais aussi à l'égard de soi-même, qui n'a pas éprouvé le sentiment d'être un imposteur, la peur du manque ou l'angoisse de ne pas être aimé, apprécié ? Ce sont autant de forces qui nous éloignent de la vraie vie.
    Le début de la guérison intérieure, c'est de faire d'abord le grand choix de la vie, puis de renouveler jour après jour ce grand choix dans les petits choix de notre existence.
    Le grand choix, c'est de décider de traverser le Jourdain — laissant derrière soi les années de désert et acceptant devant soi le don de Dieu, cette Terre promise que Dieu nous offre, comme terrain de renaissance.
    Les petits choix, c'est — sur la Terre promise — de choisir à nouveau et constamment de suivre la volonté divine, ses commandements. Une obéissance qui n'est pas "soumission obligatoire" mais choix renouvelé de ce qui me fait vivre et de ce qui respecte les autres.
    Alors la vie devient bénédiction, pour moi et pour les autres. "Choisis la vie !" Voici l'invitation de Dieu, comme première étape sur un chemin de guérison, cette guérison que Jésus est venu nous donner. Cette guérison — qui a une si grande place dans le ministère de Jésus — est aussi pour nous.
    Amen


    *1 Simone Pacot, Tome 1 : L'évangélisation des profondeurs, Paris, Cerf, 1997. Tome 2 : Reviens à la vie !, Paris, Cerf, 2002. Tome 3 : Ose la vie nouvelle ! Les chemins de nos Pâques, Paris, Cerf, 2003.

    *2 Paul Beauchamp, in Simone Pacot, Reviens à la vie !, p. 37.

    © Jean-Marie Thévoz, 2011.

  • Genèse 17. Dieu est le jardinier de nos racines communes.

    7.11.2010
    Dieu est le jardinier de nos racines communes.
    Gn 17 : 1-9+15-16,  Ex 6 : 2-8,  Rm 15 ; 5-13

    télécharger la prédication : P-2010-11-07.pdf


    Les JP (jeunes paroissiens) ont présenté un sketch : dans la cour de récréation, des élèves— un juif, un musulman et une protestante — discutent entre eux de la conférence qu'ils vont avoir ensuite sur les religions. Ils ne sont d'accord sur rien. Alors, Abraham intervient dans leur conversation pour leur rappeler qu'il est l'ancêtre des trois religions et que Dieu a promis qu'il serait une source de bénédiction pour tout le monde.
    Le pasteur monte en chair et commence à parler :


    Voilà, la récré est terminée, vous avez droit maintenant à la conférence annoncée par le directeur ! La conférence a pour titre : "Abraham, une source de bénédiction."
    Comme réflexion liminaire, j'aimerais commenter le choix des JP quand au thème de leur sketch. Sans qu'ils ne le sachent peut-être eux-mêmes, je ne pense pas que ce choix soit le fait du hasard. Ce choix — conscient ou inconscient — est le fait d'une préoccupation qui concerne notre monde et le monde dans lequel ils vivront plus longtemps que nous. Ces JP avaient entre 7 et 11 ans le 11-Septembre. Ils ont grandi dans les bruits du "choc des civilisations" et de "l'axe du mal" que produisaient CNN et FoxNews.
    La question fondamentale de notre temps est devenue : Comment vivre ensemble tout en restant soi-même ? Comment allier notre identité personnelle ou nationale avec la nécessité de vivre tous ensemble sur la même planète ? Comment allier identité et universalité, être soi et être relié aux autres ?  C'est une préoccupation d'aujourd'hui avec le mélange des populations, les voyages, la culture globale d'internet.
    Mais c'était déjà une préoccupation biblique, puisque la Bible s'occupe du "grand universel" qu'est Dieu et de sa relation avec l'humain, avec vous et moi, petite particule individuelle et insignifiante aux yeux de l'univers.
    Parler d'un Dieu qui se révèle à l'être humain, c'est parler de la relation de l'universel au particulier, ce qui permet de penser ensuite la relation du particulier, l'individu, avec le général, le peuple ou le monde.
    Comment la Bible parle-t-elle de la relation de Dieu à l'être humain ? Elle en parle en termes d'alliance d'abord. Dieu prend l'initiative de faire alliance avec plus petit que lui. Dieu fait alliance avec Abraham, il lui fait des promesses, une promesse de fidélité : "Je serai ton Dieu" (Gn 17:7), une promesse de descendance : tu as un avenir (Gn 17:2), et une promesse de pérennité, d'éternité : "Je serai le Dieu de tes descendants pour toujours" (Gn 17:7). Et puis la Bible parle des relations humaines en termes de généalogies. Les humains sont reliés par des liens familiaux, mais bien au-delà de la famille nucléaire ou même du clan.
    La Bible, à travers sa manière de nous présenter la révélation de Dieu aux humains, à travers sa description de l'alliance et à travers les généalogies, nous montre comment se noue le rapport entre l'universalité et l'identité.
    Que nous apprend le personnage d'Abraham à ce sujet ? D'abord, c'est Dieu qui intervient dans la vie d'Abraham. C'est lui qui va le chercher et lui dit de se mettre en route. C'est lui qui lui fait des promesses. C'est lui qui le bénit. C'est lui qui lui donne sa descendance. Dieu a choisi un homme de nulle part, il le sort du polythéisme, il le sort de son pays d'origine pour en faire un migrant, un voyageur. Abraham n'aura de terre à lui que la grotte où il est enterré.
    Ensuite, Abraham n'est pas le père d'un seul peuple, mais de plusieurs, par Ismaël, par Isaac et d'autres encore, si l'on regarde la liste de sa nombreuse descendance que la Bible nous donne en Genèse 25. Par la généalogie, tous les peuples sont liés, nous dit la Bible. Ce qu'elle accentuera encore plus tard dans son processus de rédaction en faisant descendre tous les habitants de la terre d'Adam et Eve.
    Abraham est donc le père d'une multitude de peuples, et de quelques rois est-il précisé, pour bien montrer que ne ce sont pas juste différentes familles d'un même peuple, mais bien des nations indépendantes les unes des autres. Indépendants, mais reliés, en lien, avec des choses en commun, avec un bout d'histoire en commun.
    Même quand le temps nous aura séparés, même quand la géographie nous aura séparés, même quand l'histoire de notre pays nous aura séparés, nous avons encore quelque chose en commun avec les autres. L'histoire d'Abraham nous dit qu'il n'y a pas d'Alleingang, il n'y a que des frères trop longtemps séparés, mais qui peuvent se retrouver s'ils retrouvent leurs racines communes.
    Dieu — le grand universel — est le jardinier de nos racines communes, même s'il nous semble que notre arbre est différent de celui de notre voisin.
    C'est le rôle de l'Eglise — notre rôle — de rappeler que nos racines sont au ciel, dans l'universel. Notre identité, notre identité protestante — et nous fêtons aujourd'hui le dimanche de la Réformation — c'est de croire que nos racines sont exposées dans la Bible et la Bible seule. C'est de croire que la grâce, et la grâce seule, nous assure notre identité en Dieu, par la foi.
    L'identité protestante affirme la valeur de chaque personne devant Dieu, indépendamment de son origine. Notre protestantisme se veut ouvert, tolérant, accueillant, comme le Dieu qui nous inspire et qui nous est décrit dans la Bible.
    Il y a 40 ans, nos prédécesseurs — il est encore un peu tôt pour parler de nos ancêtres — ont construit le Centre paroissial que nous fêtons aujourd'hui, et nous l'ont remis pour que cette identité puisse être affirmée et transmise, par des réunions, par des conférences ou du catéchisme. Dans notre monde actuel, nous avons encore besoin de transmettre le message biblique, surtout celui qui rappelle que l'universel nous unit et nous permet de vivre ensemble, tous ensemble sur cette terre.
    Les JP ont été bien inspirés dans leur choix pour nous rappeler qu'il y a un ancêtre commun qui est le père de la multitude de peuples qui couvrent la terre et que cet ancêtre est — peut et doit rester — "celui qui est une source de bénédiction pour tous" (Gn 12:2).
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010