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d) Pentateuque - Page 6

  • Genèse 2. L'arbre de la confusion du bien et du mal

    Genèse 2

    12.7.1998

    L'arbre de la confusion du bien et du mal

    Gn 2:4b-9 + 15-17    Apoc. 22:1-5    Jean 15:5-9

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Des enfants me demandaient récemment : "Mais comment s'est passée la création du monde ?" J'ai dû leur dire tout d'abord que personne n'était là pour voir comment cela s'était passé. Ensuite il a fallu leur expliquer que d'un côté la science pouvait reconstituer à peu près comment cela pouvait s'être passé et que de l'autre côté la Bible nous parlait plutôt du pourquoi ou du pour quoi cela était comme cela aujourd'hui. Le récit de création que nous avons entendu vise essentiellement à répondre à la question : "quelle est la place de l'être humain dans le monde ?" ou "quelle était l'intention de Dieu en plaçant l'être humain dans le monde ?".
    Le récit part clairement du présent pour réfléchir à un "avant". Le texte dit : "il n'y avait encore aucun buisson sur la terre..." ou "Dieu n'avait pas encore envoyé la pluie..." comme c'est le cas maintenant. Eh bien, en premier lieu, dans ce récit, Dieu crée l'être humain, avant même de créer les plantes ou les animaux. La première préoccupation de Dieu, c'est de faire l'être humain, et de faire de lui un être vivant, un vivant qui respire. Ce n'est qu'après cela que Dieu s'occupe de son cadre de vie : le jardin, puis plus tard encore, ses compagnons et sa compagne.
    Si le récit de création de Genèse 1 décrit en détail les étapes de la création, ici au chapitre 2, il n'est question que d'un jardin, un jardin planté tout de même "de toutes sortes d'arbres à l'aspect agréable et aux fruits délicieux" (Gn 2:9). Parmi ces arbres s'en trouvent deux qui vont retenir notre attention. Ils sont au centre du jardin, ce sont l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. La dramatique du récit va se construire autour de ces deux arbres, parce que Dieu y inscrit son premier commandement :

    "Tu peux manger les fruits de n'importe quel arbre du jardin, sauf de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Le jour où tu en mangeras, tu mourras."
    (Gn 2:16-17).  
    Dans cette première parole, il y a trois choses importantes : Premièrement, il y a le don, le don du jardin tout entier, donc l'ouverture d'un espace de liberté. Dieu donne, et il donne la liberté. Deuxièmement, Dieu place un interdit qui touche un seul arbre parmi tous les autres. Enfin, en troisième, une information sur la conséquence de la transgression de l'interdit est donnée. Ainsi, les choses sont claires, il n'y a pas de non-dit entre Dieu et les hommes, il n'y a pas d'embrouilles ou de confusion sur ce qui est permis et interdit.
    Une chose frappe cependant par rapport à l'idée qu'on peut se faire du jardin d'Eden. A l'intérieur du paradis, il y a déjà un interdit ! Le paradis n'est pas un monde sans loi. Le loi fait partie des choses bonnes du monde, des choses voulues par Dieu et nous allons voir pourquoi.
    Pour cela, il faut approcher de cet arbre mystérieusement appelé "arbre de la connaissance du bien et du mal". Qu'est-ce que cet arbre ? Qu'est-ce que ce nom veut dire ? "Connaître" en hébreu biblique a un sens très pratique d'entrer en connexion, en relation; ce n'est pas une connaissance intellectuelle, rationnelle, mais l'expérimentation pratique d'une réalité. On peut donc remplacer "connaître" par "faire l'expérience de".
    Ensuite, il y a cette expression "le bien et le mal". Dans notre tradition et par un jeu de mémoire qui nous fait rouler dans des ornières, on prend cette expression comme "le bien ou le mal", comme pour en faire la distinction, et on en déduit que c'est la capacité de distinguer le bien du mal. Mais ici, pourquoi ne pas prendre au sérieux la conjonction "et", au sens de "avec", et parler du bien avec le mal, ou du bien mêlé au mal. Ainsi cette arbre ne serait pas celui de la capacité de distinguer le bien du mal, mais plutôt l'arbre de "l'expérience du bien mêlé au mal". Cet arbre, il vaudrait peut-être mieux l'appeler "l'arbre de l'expérience de la confusion du bien et du mal".
    Ainsi, manger du fruit de cet arbre, c'est entrer dans le monde de la confusion, où le mal et le bien sont tellement mélangés qu'on ne peut plus les distinguer et faire la part des choses. Manger de ce fruit, entrer dans ce monde de confusion, c'est assurément sortir du jardin où tout était clair entre le permis et l'interdit, d'où l'avertissement "tu mourras". Entrer dans le monde de la confusion, perdre ses repères, c'est effectivement entrer dans un monde de mort.
    Mais il ne faut pas oublier qu'à côté de cet arbre, il y a aussi l'arbre de vie, un arbre absolument disponible dans le jardin. (L'interdit sur l'arbre de vie découlera plus tard de la transgression). Cet arbre, symboliquement, c'est le Christ, la vie donnée, offerte par le Christ, comme en parle l'Apocalypse : "l'arbre de la vie, qui donne du fruit douze fois par année, chaque mois, dont les feuilles servent à la guérison, et qui supprime la malédiction" n'est-ce pas une façon imagée de résumer le ministère du Christ sur la terre, qui nous a nourrit, guérit et réconcilié avec Dieu ?
    Ainsi, Dieu s'est-il servi successivement de deux moyens pour contrer la confusion engendrée par le péché. Premièrement, il a donné sa loi sur le Sinaï, comme un moyen pratique de moins confondre le bien et le mal. Mais, c'est resté un moyen imparfait, acceptable pour maintenir des relations entre les humains, mais insuffisant pour réconcilier l'être humain avec Dieu. Deuxièmement, il a envoyé son fils, comme un pur geste d'amour gratuit, comme une seconde invitation à choisir entre l'arbre de la connaissance du bien et du mal et l'arbre de vie qui guérit.
    A nous de choisir... maintenant.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2007

  • Genèse 11. De Babel à Pentecôte

    Genèse 11    27.5.2007
    De Babel à Pentecôte
    Gn 11 : 1-7    Ac 2 : 1-11   


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    J'ai choisi de mettre face à face les deux récits bibliques de la Tour de Babel et de Pentecôte. Ces deux récits ont des correspondances — ressemblances et différences — qui permettent de mieux comprendre l'action de Dieu qui nous est relatée dans ces deux temps de l'histoire du salut.
    Le récit de la Tour de Babel vient clore la période mythologique des commencements de la Bible. Après Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé et le Déluge, vient la Tour de Babel. Ensuite les personnages historiques entrent en scène avec Abraham, Isaac, Jacob, les patriarches.
    Les récits mythologiques des chapitres 1 à 11 de la Genèse essaient d'expliquer la réalité présente que chacun peut percevoir autour de lui. Le récit de Babel est un type d'explication de l'existence des nombreux peuples à la surface de la terre, des différentes langues et cultures. Pourquoi cette diversité, alors que quelques paragraphes plus haut, on nous disait que l'humanité n'avait qu'un seul ancêtre, Adam et Eve, puis Noé et sa famille ?
    Eh bien, le texte répond : Dieu l'a voulu ! C'est Dieu lui-même qui a dispersé les peuples sur toute la terre et c'est lui qui a brouillé les langues humaines pour que les humains ne puissent pas former un seul peuple. Bizarre décision !
    A partir de là, les interprétations commencent… Les uns disent : Dieu était jaloux de cette unité et de cette force, il a puni les humains orgueilleux en les dispersant. Les autres disent : cette action de Dieu est une bénédiction pour les humains. Dieu, en brouillant les langages, évite la formation d'un unique empire totalitaire où tous les humains seraient asservis à un pouvoir centralisé.
    Alors, bénédiction ou malédiction pour les humains de se retrouver différents, divers, multiples ? Je trouve cette question très importante et intéressante. Est-ce un bien ou un mal pour les humains que cette décision divine ? En bon vaudois, on répondra : "Ça dépend!" Oui, ça dépend d'une décision de principe : comment considère-t-on Dieu ? Comme un Dieu jaloux, méfiant, qui cherche à coincer l'être humain, ou bien comme un Dieu qui a le souci du bonheur de l'être humain et cherche son bien ?
    Toute décision qui nous touche, tout événement qui nous arrive, nous pouvons le prendre comme une bénédiction ou une malédiction, selon la façon dont on considère Dieu. En fin de compte, notre vie tournera vers le malheur ou le bonheur en fonction de ce regard que nous portons nous-mêmes sur ce qui arrive. Ainsi, j'incline plutôt à voir dans la dispersion des peuples et des langages une bénédiction pour l'humanité.
    Dans ce récit de la construction d'une tour qui monte jusqu'au ciel, il y a la mise en garde contre plusieurs impasses sociales et personnelles. La tentation de devenir des dieux à la place de Dieu, c'est-à-dire croire que l'on peut tout savoir, tout prévoir et ainsi faire le bien de nos semblables, comme s'il n'existait qu'une seule sorte de bonheur pour tout le monde. Ou la tentation de dominer, d'écraser en se créant un monopole. Ou la tentation de vouloir monter vers Dieu et l'atteindre, le rejoindre par nos propres efforts.
    Par sa décision, Dieu montre que ce que nous croyons être des chemins vers le bien, le bonheur, ne sont que des impasses qui ne mènent pas là où nous le pensons, elles ne mènent nulle part.

    C'est là qu'intervient le récit de la Pentecôte. Ce récit prend acte de la réalité des différences, de la diversité des langages, de la dispersion. La Pentecôte n'annonce pas d'unification, n'annonce pas une nouvelle langue unique et universelle. La bonne nouvelle de l'évangile n'est pas annoncée dans une seule langue que les auditeurs apprennent ou reçoivent par miracle. Non, l'évangile est prêché dans toutes les langues des destinataires. Ainsi, aujourd'hui, la Bible est traduite en 2'400 langues, pour toucher les gens là où ils sont, dans leurs mots, dans leurs cultures. Pas besoins d'apprendre une langue unique pour lire le livre sacré. Chacun peut recevoir la Parole de Dieu dans sa langue.
    Alors que la Tour de Babel voulait s'élever jusqu'au ciel pour se rapprocher de Dieu, à la Pentecôte, c'est Dieu, sous la forme des langues de feu, qui descend sur chacun, comme il était descendu sur le Sinaï pour remettre la Loi à Moïse.
    Babel exprimait un mouvement ascendant, une quête pour monter vers Dieu. La Pentecôte exprime un mouvement descendant, que Dieu instaure, prolonge — parce qu'il y en a de multiples expressions dans l'Ancien Testament — et rend définitif. Le don de l'Esprit de Dieu est l'accomplissement de la venue de Jésus comme Dieu devenu homme sur la terre. Cet Esprit, cette Présence de Dieu est donnée à tous, ici, sur la terre, dans tous les lieux, aussi dispersés qu'ils soient aux quatre coins du monde.
    L'amour de Dieu est descendu sur la terre. Lorsque nous avons besoin d'être aimés, nous n'avons plus besoin de mettre en œuvre des stratagèmes et des stratégies pour monter le chercher jusqu'au ciel, il est là autour de nous. Dieu nous donne à chacun un nom, il nous appelle par notre nom, nous n'avons plus besoin de nous fabriquer un nom sur la terre, nous n'avons pas besoin de devenir célèbres, il connaît notre nom.
    Nous n'avons pas besoin de monter jusqu'au ciel, Jésus y est monté pour nous auprès de Dieu et maintenant sa présence nous accompagne ici sur terre. Nous pouvons déployer nos activités — non pas pour prouver quoi que ce soit — mais juste pour faire ce que nous devons faire, chacun à notre place. Faire ce que nous avons à faire, non pour attirer le regard de Dieu, les louanges de nos collègues, etc. Mais faire ce que nous avons à faire simplement par reconnaissance, parce que nous avons reçu une place, parce que nous avons reçu des compétences, parce que nous sommes quelqu'un et que nous avons tous la capacité d'aimer.
    Etre nous-mêmes et aimer autour de soi, retransmettre ce que nous avons reçu, voilà comment nous pouvons passer de Babel à Pentecôte.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

  • Genèse 9. Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

    Genèse 9

    25.3.2007

    Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

    Gn 6 : 9-22 Gn 9 : 8-13 Jn 18 : 28-40

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Jeudi de cette semaine, 25 paroissiens ont suivi une visite guidée de l'exposition "Visions du Déluge" à Lausanne et samedi j'y ai emmené 16 catéchumènes. Cette exposition nous présente une série d'œuvres — des gravures et des peintures — de la Renaissance jusqu'au XIXe siècle qui tournent autour du thème du Déluge. C'est évidemment la partie inondation, engloutissement de l'humanité, qui donne lieu aux représentations les plus dramatiques. À l'opposé, la survie de Noé et de sa famille est peu spectaculaire et n'intéresse pas beaucoup les peintres.
    Ce qui est remarquable dans cette exposition, c'est de voir l'évolution des mentalités de la société à propos du récit du Déluge. Les peintres présentent le Déluge, mais aussi un point de vue sur le Déluge, sur la décision divine.
    Ainsi, au Moyen Age et à la Renaissance, les peintres mettent l'accent sur le châtiment mérité de cette humanité violente et méchante. Il y a foule sur les tableaux, les gens se battent entre eux pour défendre qui son radeau, qui sa barque ou son tonneau. Le spectateur n'est pas invité à la pitié mais plutôt à la peur, à la peur du châtiment.
    Au XVIe siècle, le déluge est souvent représenté comme un avertissement, il préfigure le jugement dernier et nous invite — toujours par la peur — à nous détourner du mal.
    Au XVIIe siècle, les peintres diminuent le nombre de personnages sur leurs tableaux et invitent plutôt les spectateurs à l'émotion et à la compassion.
    Aux XVIIIe et XIXe siècles, les peintres ne représentent plus que quelques personnages, 6 ou 4, voir même seulement deux et attirent notre attention sur l'injustice de leur sort. Comment cette femme, cet enfant pourraient-ils être coupables d'un tel châtiment ? Il y a là, dans des tableaux qui précèdent et suivent la Révolution française, un mouvement de révolte contre les morts innocentes, notamment causées par les tremblements de terre (Lisbonne et Messine) et les éruptions volcaniques (Vésuve, Etna).
    D'un juste châtiment, les représentations du Déluge sont passées à l'expression de l'injustice de la mort innocente. Cette révolte, qui ne nous étonne pas aujourd'hui, s'accompagne d'un rejet de Dieu, du Dieu du Déluge. Les peintres remplacent d'ailleurs souvent le Déluge par d'autres catastrophes pour révéler l'injustice du monde.
    Les tableaux, comme la société, expulsent de plus en plus le thème biblique et le Dieu juge du Déluge. On passe de la représentation du Déluge à celle de la catastrophe, de la représentation du châtiment à celle de l'injustice, de la représentation de la Bible à celle de l'athéisme et du rejet de Dieu. Ce mouvement est très fort et entraîne encore les sociétés actuelles. Faut-il s'en plaindre ou s'en réjouir ?
    Je pense que ce mouvement est inscrit au cœur même de la Bible et du christianisme. C'est la puissance libre de l'évangile qui est à l'œuvre !
    Ce mouvement — révolte contre l'injustice et contre la mort de l'innocent, finalement contre le Dieu qui menace et punit — s'est développé à l'extérieur du christianisme établi parce que (autour de la Révolution française) l'Eglise officielle était trop liée au pouvoir et à la royauté, elle avait perdu son sel évangélique, elle défendait les puissants et non les petits, les exclus, les affamés.
    Ce mouvement qui crie la révolte de voir l'innocent écrasé — même par les catastrophes — c'est l'essence même du christianisme.
    Cette exposition s'arrête sur la représentation de deux personnages, deux amoureux, qui vont périr dans le Déluge, deux amoureux aux cœurs purs qui ne méritent pas la mort. Pourquoi l'exposition s'arrête-t-elle à deux personnages ? N'y a-t-il aucun tableau qui représenterait une seule personne injustement condamnée dans les réserves du Musée cantonal des Beaux-Arts ?
    Ponce Pilate déclare à ceux qui accusent Jésus : "Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme" (Jn 18:29). Voilà le personnage unique, innocent, mais condamné par tous, qui manque pour achever cette exposition.
    Le récit de la mort de Jésus — l'innocent cloué sur la croix — n'est-il pas le modèle premier de dénonciation de la mort innocente qui a fait comprendre, petit à petit, à l'humanité combien est révoltant toute mort d'innocents ?
    La graine de la révolte contre le châtiment du Déluge, c'est Dieu lui-même qui l'a plantée dans le cœur de l'homme en nous montrant la croix de Jésus. Dénoncer les morts innocentes, ce n'est pas s'en prendre à Dieu, c'est prendre son message au sérieux !
    C'est parce que l'évangile de la Passion est lu et relu chaque année dans nos Eglises que la société ne peut plus accepter le châtiment du Déluge, ne peut plus accepter les catastrophes sans aller porter secours, ne peut plus accepter les maladies sans financer la recherche médicale et les soins, ne peut plus accepter les accidents sans chercher de nouveaux moyens de prévention.
    En cela, la mort de Jésus a parfaitement réussi — avec et parfois malgré l'Eglise et les pratiquants — à changer le monde, à changer notre façon de regarder les événements autour de nous.
    Il est donc important de ne pas jeter Dieu avec l'eau du Déluge.
    Il est important que l'histoire de la Passion soit relue, reméditée, redite continuellement.
    Il est important de renforcer notre témoignage chrétien en répétant avec force qu'aucun intérêt ne peut justifier le sacrifice de qui que ce soit.
    Il est important de relever que nos valeurs modernes (démocratie, droits humains, égalité) sont enracinés dans l'évangile de la Passion, même si elles ont été laïcisées.
    Il est important de refuser que le christianisme soit renvoyé dans la sphère privée — hors de l'espace public, politique et économique — ce serait la mort de nos valeurs occidentales.
    Nous pouvons être fiers de porter en nous les valeurs de l'évangile. Nous pouvons être fiers d'être fidèles à cette tradition qui a formé et porte encore notre société. Nous pouvons être fiers et le dire autour de nous.
    Amen

  • Genèse 6-9. Premier récit du Déluge

    Premier récit du Déluge dans le livre de la Genèse, des extraits des chapitres 6 à 8. (Texte pour la prédication du 18.2.2007)

    Deux traditions entremêlées constituent le récit biblique actuel. Vous lisez aujourd'hui seulement la tradition la plus ancienne.

    6 5 Le Seigneur vit que les hommes étaient de plus en plus malfaisants dans le monde, et que les penchants de leur cœur les portaient de façon constante et radicale vers le mal. 6 Il en fut attristé et regretta d'avoir fait des hommes sur la terre. 7 Il se dit : « Il faut que je balaye de la terre les hommes que j'ai créés, et même les animaux, grands ou petits, et les oiseaux. Je regrette vraiment de les avoir faits. » 8 Mais Noé bénéficiait de la bienveillance du Seigneur. 7 1 Le Seigneur dit à Noé : « Entre dans l'arche, toi et ta famille, car j'ai constaté que tu es le seul parmi tes contemporains à m'être fidèle. 2 Prends avec toi sept couples de chaque sorte d'animaux purs, mais un couple seulement de chaque sorte d'animaux impurs. 3 Pour les oiseaux, prends aussi sept couples de chaque sorte, afin de sauver leur espèce sur la terre. 4 Encore une semaine et je ferai tomber la pluie pendant quarante jours et quarante nuits; je balayerai ainsi de la surface du sol tous les êtres que j'ai faits. » 5 Noé exécuta tout ce que le Seigneur avait ordonné.7 Il entra dans l'arche avec sa femme, ses fils et ses belles-filles, pour échapper à l'inondation. 8 Les animaux purs, les animaux impurs, les oiseaux et les petites bêtes qui se meuvent au ras du sol, 9 tous arrivèrent jusqu'à l'arche de Noé, deux par deux, un mâle et une femelle, comme Dieu l'avait ordonné. 10 Au bout de la semaine la grande inondation submergea la terre.
    12 Il se mit à pleuvoir sur la terre; la pluie allait durer quarante jours et quarante nuits. 16b Puis le Seigneur ferma la porte derrière Noé. 17b Quand le niveau de l'eau monta, l'arche fut soulevée au-dessus du sol et se mit à flotter. 22 Sur l'ensemble de la terre ferme tout ce qui possédait un souffle de vie mourut. 23 Le Seigneur balaya ainsi de la terre tout ce qui vivait, depuis l'homme jusqu'aux grands animaux, aux petites bêtes et aux oiseaux. Ils furent éliminés de la terre. Seul Noé survécut et, avec lui, ceux qui étaient dans l'arche.
    8 2b La pluie cessa de tomber. 3 Les eaux se retirèrent progressivement de la terre. 6 Au bout de quarante jours Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait ménagée dans l'arche. 7 Il laissa partir un corbeau. Celui-ci sortit et s'en revint bientôt : il fallait attendre que l'eau se résorbe sur la terre. 8 Puis Noé laissa partir une colombe, pour voir si le niveau de l'eau avait baissé. 9 Mais elle ne trouva aucun endroit où se percher, car l'eau couvrait encore toute la terre; elle revint donc à l'arche, auprès de Noé. Celui-ci tendit la main, prit la colombe et la ramena dans l'arche. 10 Il attendit une semaine et la laissa de nouveau partir. 11 La colombe revint auprès de lui vers le soir; elle tenait dans son bec une jeune feuille d'olivier. Alors Noé sut que le niveau de l'eau avait baissé sur la terre. 12 Il attendit encore une semaine et laissa partir la colombe, mais celle-ci ne revint pas. 13b Noé ôta le toit de l'arche, il regarda dehors et constata que toute la surface du sol était sèche.
    20 Noé bâtit un autel qu'il consacra au Seigneur. Parmi les grands animaux et les oiseaux il prit une bête de chaque espèce considérée comme pure et les offrit au Seigneur sur l'autel en sacrifice entièrement consumé par le feu. 21 Le Seigneur respira l'odeur apaisante de ce sacrifice et il se dit : « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais.

  • Genèse 8. Après le Déluge, Dieu décide de changer


    Genèse 8

    18.2.2007

    Dieu décide de changer

    Extraits de Genèse 6-7-8 Voir la note "Déluge, premier récit"    Osée 2 : 20-22


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Combien de fois n'entendons-nous pas des gens dire : "Si Dieu existait, il mettrait fin aux guerres, il mettrait fin à la violence des humains!" Ces personnes ont raison de s'interroger sur la présence du mal, et du mal radical, dans notre monde. Mais quand on demande que Dieu éradique le mal de la surface de la terre, on ne sait pas ce qu'on demande !  On ne sait pas le risque qu'on prend ! On ne sait pas si nous en apprécierions les conséquences ! Et si Dieu nous prenait au mot ?
    S'il fallait éradiquer toute violence, ne faudrait-il pas détruire toute vie sur terre, comme le récit du Déluge nous le rapporte ?  Et pas seulement les humains, les animaux aussi ! La loi de la nature est violente : manger ou être mangé. La nature si adorable que nous contemplons est aussi cruelle. Le coucou que nous aimons entendre chanter ne grandit qu'en chassant les oisillons du nid où il prend place. Et la guêpe qui pond ses œufs dans le corps d'une chenille qui va être dévorée de l'intérieur…
    L'être humain — quel qu'il soit — a toujours une part d'ombre en lui-même. Cette part d'ombre est bien cachée par le vernis social, mais on a vu —pendant l'invasion américaine en Irak — les pillages des banques et des musées dès que le pouvoir s'est effondré.
    Le récit du Déluge dans la Bible essaie de trouver une réponse à ce problème de la présence du mal dans le monde. Comment expliquer sa présence et que nous puissions malgré tout vivre avec ce mal ? Il est à remarquer que ce récit est le contraire d'un paradis perdu.
    Le récit dit que nous vivons dans un deuxième temps de l'histoire et que le premier temps —antédiluvien, avant le Déluge — était un enfer de violence et de confusion. Un tel enfer de violence et de confusion que Dieu a décidé de l'anéantir et de donner la possibilité d'un nouveau départ. Ce récit du déluge est donc un texte pour les rescapés que nous sommes, depuis Noé.
    Quelques mots sur la composition du texte du Déluge (Gn 6-9). Dans la Bible, ces 4 chapitres nous relatent deux récits du Déluge qui ont été entremêlés. Un texte ancien — celui qui est présenté plus haut — qui est de la même plume que Gn 2-3 l'histoire d'Adam et Eve, l'arbre et le serpent, Gn 4 Caïn et Abel et Gn 11, l'histoire de la tour de Babel. L'autre texte, qui date probablement de l'Exil, est de la même plume que le poème de la création de Gn 1 et les généalogies de Gn 5 et 10. Les deux récits du Déluge ont des accents théologiques différents. Aujourd'hui, je ne m'attache qu'au récit le plus ancien.
    Dans ce récit, il est intéressant de voir les places et les rôles respectifs de Dieu et de Noé. Dans le début de notre texte, c'est Dieu qui est aux commandes. Il constate la domination du mal, il est attristé, il prend la décision double d'anéantir la vie sur terre et de sauver Noé, sa famille et les animaux. Dans ce récit, l'arche est déjà prête. Noé peut embarquer. Dernier geste de Dieu : il ferme la porte de l'arche. Noé est passif jusqu'à la fin des 40 jours du Déluge.
    Après les 40 jours de décrue, Noé se met à agir en ouvrant la fenêtre et en procédant au lâcher des oiseaux. Puis il ôte le toit de l'arche pour faire sortir sa famille et les animaux. Enfin, il offre un sacrifice à Dieu. Ainsi, au fil du récit, Dieu laisse la place à l'être humain, il donne à l'être humain le pouvoir sur sa destinée et sa vie, il se fait moins intervenant. Cependant, Dieu n'abandonne pas Noé et les humains. A la suite du sacrifice de Noé, Dieu énonce sa promesse de maintenir les rythmes de la nature (l'arc-en-ciel et le thème de l'alliance appartiennent à l'autre récit). Voici la promesse de Dieu :
    « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais. (Gn 8: 21b-22)
    Ce qui est intéressant dans cette promesse, c'est que Dieu reconnaît que le mal persiste ! Le mal est inscrit dès le début au fond du cœur de l'être humain. Quel constat décevant. En quelque sorte, le Déluge a raté sa mission, cela n'a servi à rien. Quel gâchis !
    Oui, l'être humain et les lois de la nature n'ont pas été changées, alors Dieu prend un décision incroyable, inouïe : il décide que — puisque l'être humain ne change pas malgré le châtiment — c'est lui Dieu qui va changer ! Dieu change de stratégie pour modifier sa relation à l'être humain, il renonce à détruire, il renonce à sa puissance, à sa force pour contraindre l'être humain au changement.
    Dieu réalise : "on ne peut pas changer l'autre," aussi faut-il changer soi-même d'abord pour que la relation change. Alors Dieu change, il ne sera plus le maître et l'homme l'esclave. Dieu a choisi d'ouvrir la relation au partenariat. Plus fort encore, Dieu choisit la formule du mariage. Dieu renonce à l'obéissance et à la soumission de l'être humain, il veut un mariage d'amour.
    Dieu engage — à la suite du Déluge — une entreprise de conquête amoureuse, une démarche de séduction. Cette conquête, il l'entreprend en prenant la décision d'aimer l'être humain tel qu'il est. Il décide de laisser exister l'être humain tel qu'il est et de l'aimer ainsi quelle que soit la route qu'il emprunte.
    N'est-ce pas aussi le chemin que nous sommes invités à suivre : aimer les autres sans vouloir les changer ? C'est ainsi qu'Osée peut dire ces paroles de la part de Dieu envers son peuple :

    "Israël, c'est pour toujours que je t'obtiendrai en mariage. Pour t'obtenir, je paierai le prix : la loyauté et la justice, l'amour et la tendresse." (Osée 2:21)
    Oui, ce n'est pas le Déluge que Dieu nous envoie, mais une déclaration d'amour.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Exode 3. « Je SUIS qui je SUIS »

    Exode 3
    15.10.2000
    « Je SUIS qui je SUIS »
    Ex 3 : 1-8a+11-14 Phil. 2 : 5-11 Jean 10 : 11-15

    Chers Amis,
    J'aimerais vous parler aujourd'hui d'un NOM sous lequel Dieu s'est révélé dans l'Ancien Testament. Lorsqu'on lit l'Ancien Testament dans nos traductions françaises, on rencontre le plus souvent deux termes pour parler de Dieu : "Dieu" et "le Seigneur". Or Dieu s'est révélé sous des noms plus différenciés en hébreu :
    • un nom commun : El ou Elohim qui signifie : un dieu, ou Dieu, ou les dieux. On le retrouve dans certains noms propres comme "Israël" ou "Nathanaël".
    • un autre nom commun : Adonaï, qui signifie le maître ou le seigneur.
    • et un nom propre de quatre lettres, le Tétragramme : YHWH qu'on peut prononcer Yahweh ou Jéhovah. On le retrouve aussi dans des noms propres sous forme de Jo... (Jonathan ou Joël) ou sous forme de finale ...yaou (Nethaniaou).
    Ce nom de quatre lettres n'apparaît pas tel quel dans nos traductions françaises, car il est rendu le plus souvent par "le Seigneur." Dans la TOB, le Tétragramme est traduit tantôt par DIEU ou le SEIGNEUR, tout en lettres majuscules pour nous le signaler.
    D'où vient ce nom, ce Tétragramme ? Le texte de l'Exode, que vous avez entendu, tente d'en suggérer une explication. Dieu se révèle à Moïse d'abord en disant : "Je suis le Dieu (Elohim) de ton père, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob" (Ex 3:6). Ensuite, lorsque Moïse demande à Dieu son nom, pour dire aux hébreux en Egypte qui l'envoie, Dieu ajoute "Je SUIS qui je SUIS" (Ex 3:14). Réponse énigmatique qui relève du jeu de mot explicatif.
    Je SUIS, en hébreu, s'orthographie presque comme le Tétragramme. C'est comme si Dieu disait "Je SUIS" et que l'être humain répondait "Il EST" (YHWH). Dieu se dévoile donc dans une phrase mystérieuse.
    1. « Je SUIS qui je SUIS » Cela paraît au premier abord comme le refus d'une explication, d'un dévoilement. "Je SUIS qui je SUIS et tu n'en sauras pas plus." Comme si Dieu, tout en disant un nom, ne voulait pas révéler son nom. "Je SUIS celui dont personne ne peut prononcer le NOM", c'est-à-dire que personne ne peut enfermer dans un nom, dans une définition, que personne ne peut mettre en cage, ne peut maîtriser pour utiliser la force à son profit. "Je suis un Dieu libre, un Dieu de liberté, un Dieu libérateur que personne ne tient sous sa puissance, dont personne ne peut se réclamer pour soutenir ou défendre ses propres intérêts ou justifier ses propres actes."
    2. En hébreu, le verte ETRE a un sens très fort, il signifie être présent, être-là, être avec, exister auprès de. Lorsqu'il s'agit simplement de dire "le ciel est bleu", l'hébreu n'utilise pas de verbe : "bleu, le ciel".
    Ainsi la réponse de Dieu à Moïse : "Je SUIS qui je SUIS" peut être entendue comme : "Je SUIS celui qui sera là. Ma présence vous accompagnera. C'est par ma présence, par mes actes auprès de vous que vous me connaîtrez. Mon nom n'est pas important, l'important c'est que j'agis, ma personne, ma nature vous la connaîtrez au travers de ce qui va vous arriver : Vous allez sortir de l'esclavage, d'Egypte. Votre propre existence va devenir le terrain de ma révélation. Regardez en vous-même ce qui se passe lorsque vous me suivez et alors vous connaîtrez qui je SUIS."

    3. Cet être-avec de Dieu avec son peuple se manifeste déjà devant le buisson ardent lorsque Dieu se révèle à Moïse. Dieu a choisi de se révéler à Moïse pour cette raison :

    "J'ai vu la misère de mon peuple en Egypte, je l'ai entendu crier sous les coups. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le libérer." (Ex 3:7-8).
    L'ETRE de Dieu révélé dans son NOM, c'est celui qui souffre avec celui qui souffre, qui compatit avec l'oppressé, qui est blessé avec celui qui reçoit les coups et les balles. C'est celui qui prend le parti de la victime contre l'oppresseur. Du temps de Moïse, Dieu prend le parti des hébreux contre Pharaon. Aujourd'hui, Dieu souffre avec ceux qui enterrent leurs morts tombés sous les balles.
    Le buisson d'épines n'est pas sans nous rappeler la couronne d'épines de celui qui s'est abaissé jusqu'à la mort sur la croix (Phil. 2:8). Jésus, Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu avec tous ceux qui souffrent et ont besoin d'une présence, d'un réconfort, d'une libération ou d'une réhabilitation. Jésus, celui qui dit — dans l'évangile de Jean — Je SUIS le pain de vie, la lumière, la porte, le bon berger, la résurrection et la vie — est vraiment le Dieu qui se révèle dans le désert à Moïse.
    Dieu, Yahweh, est vraiment celui qui se révèle dans le buisson comme sur la croix, celui qui révèle son vrai visage, sa vraie nature, son vrai nom, son être véritable. L'évangile de Jean ne peut être plus clair lorsqu'il rapporte ces paroles de Jésus : "Lorsque vous aurez élevé sur la croix le Fils de l'Homme, alors vous reconnaîtrez que "je SUIS celui qui SUIS" (Jn 8 : 28).
    En Jésus, Dieu lui-même nous accompagne sur nos chemins de vie, dans nos moments de joie et de fête — avec les baptisés d'aujourd'hui — comme dans les moments de tristesse, de peine et de souffrance — avec les habitants de Gondo, aujourd'hui .
    Je SUIS-là, avec vous, aujourd'hui, dit Dieu.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 18. Abraham, moins audacieux que Dieu

    Genèse 18
    8.10.2000
    Abraham, moins audacieux que Dieu
    Gn 18 : 20-32 1 Tim 2 : 1-6 Mat. 5 : 43-46

    Chers Amis,
    Vous savez que les trois grandes religions monothéistes du monde se réclament d'être des descendants spirituels d'Abraham. Ces trois religions sont le judaïsme (0,2 % de la population mondiale*), le christianisme (33,1 %) et l'islam (19,8 %). Ces trois religions ensemble groupent donc 53 % des habitants de la terre. Plus de la moitié des habitants de cette planète se reconnaissent dans la figure d'Abraham, le père de la foi, l'héritier de la promesse de Dieu d'avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel ou les grains de sable des plages.
    Qu'a-t-il donc de si extraordinaire, cet homme, qui vivait il y a près de 4'000 ans ? Ce qu'il a de particulier, c'est d'abord que Dieu l'a choisi pour lui parler, pour se faire connaître. Ensuite, c'est parce qu'Abraham n'a pas hésité à interpeller Dieu, à lui demander de se dévoiler, de se montrer sous son vrai jour ! Abraham n'hésite pas à demander à Dieu qui il est. Est-il un Dieu qui est vraiment Dieu ou simplement un miroir des hommes avec tous leurs défauts et toutes leurs faiblesses ?
    C'est pourquoi, Abraham — ayant entendu le jugement porté contre la ville de Sodome — va questionner Dieu sur ses intentions :
    "Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l'innocent et le coupable ?" (Gn 18:23)
    On sait que les humains ne sont pas très doués pour distinguer les innocents des coupables — même aujourd'hui, il suffit de se rappeler combien d'innocents ont péri sur la chaise électrique ou dans des camps d'extermination au XXe siècle. On sait aussi que la nature — à travers les catastrophes, les maladies ou les accidents — ne fait pas de tri. Ne dit-on pas "ce sont les meilleurs qui partent en premier" ?
    Alors, demande Abraham, Dieu n'est-il qu'une projection des idées de l'être humain sur le ciel ? Dieu n'est-il qu'un autre nom pour la nature impitoyable ? Abraham veut savoir ! Abraham va lutter, marchander avec Dieu pour tester son sens de la justice. Combien faut-il de "justes" pour sauver tout le monde ?
    Remarquez ici qu'il ne s'agit pas de savoir si l'on peut sauver les justes en laissant périr les coupables. L'enjeu est de sauver tout le monde, — les bons comme les méchants — grâce à la présence de quelques personnes différentes, des personnes qui vont faire la différence !
    On sent Abraham — en même temps — fort dans sa revendication et tremblant devant son audace ! Jusqu'où peut-on demander quelque chose à Dieu sans aller trop loin ?
    La négociation s'arrête à 10 justes. Mais le texte ne nous dit pas pourquoi on s'arrête à dix. Dieu n'a pas dit "Ça suffit" ou "Je ne descendrai pas plus bas". Simplement Abraham s'arrête de demander ! Est-ce la limite de Dieu ou est-ce la limite d'Abraham ? Abraham n'a-t-il pas, pour une fois, manqué de foi ?
    Ce que nous connaissons maintenant de Dieu au travers de la personne et de la vie de Jésus nous conduit à penser que la limite a été posée par Abraham et non par Dieu.
    Le Nouveau Testament nous apprend que le but de Dieu — incroyable pour les humains ! — c'est de descendre jusqu'à UN. Un seul juste et tous les humains sont sauvés. L'attitude d'un seul compte et peut tout bouleverser. L'attitude de chacun compte et fait la différence.
    Le Nouveau Testament nous confirme deux choses. Premièrement, Jésus-Christ a incarné cette figure du juste, mais elle a été rejetée par tous. Deuxièmement, Dieu ne fait pas de différences entre les gens. Comme le dit Jésus :

    "Dieu votre Père fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal" (Mat 5:45)
    Cette phrase suit immédiatement la recommandation de Jésus "d'aimer ses ennemis" (Mat. 5:44) "afin que vous deveniez les fils de votre Père" (Mat. 5:45). Dieu ne juge pas, Dieu ne fait pas de tri, il nous demande de l'imiter pour devenir comme lui. Par ces recommandations, Jésus nous demande de sortir de nos comportements communs, dirigés par nos intérêts ou une étroite réciprocité. N'importe qui apprécie celui qui l'aime, cela n'a rien d'extraordinaire. Mais Dieu ne se comporte pas comme cela, et il nous invite à autre chose.
    Il nous invite à cesser d'être simplement un miroir de l'attitude de l'autre, il nous invite à innover, à surprendre, à construire une attitude intérieure et à la maintenir face aux autres. Cela provoque inévitablement des changements puisque la plupart des gens réagissent en miroir.
    Face à Abraham, Dieu montre qu'il ne veut pas partager le monde entre innocents et coupables, entre bons et méchants. Si nous adoptons aussi cette attitude intérieure, nous allons devenir celui qui compte, celui qui fait la différence et le monde changera autour de nous.
    Amen

    * Chiffres tirés du "Calendrier interreligieux 2000/2001", Editions ENBIRO, CP 64, 1000 Lausanne 9.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 45. Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation

    Genèse 45
    29.1.2006
    Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation
    Gn 42 : 6-24 Gn 45 : 1-9 Rm 8 : 26-29

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce dimanche Terre Nouvelle, nous nous penchons sur deux pays voisins — entre eux — le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). Ces deux pays ont fait la une de nos journaux depuis plusieurs années, la plupart du temps malheureusement pour des événements sanglants, génocide, guerre, déplacement de population, camps de réfugiés, guérilla, viols, etc…
    Cependant, même si les journaux en parlent moins, il y a aussi d'énormes efforts de réconciliation qui sont entrepris, notamment au Rwanda. Je n'ai pas la compétence pour vous parler des processus mis en place là-bas pour construire la réconciliation, mais je trouve que le roman autour de Joseph, dans le livre de la Genèse, est une histoire de réconciliation qu'il vaut la peine de regarder de plus près.
    Je ne prétends pas que cette histoire soit le modèle de toutes les réconciliations, mais elle offre une vision d'un parcours qui me paraît instructif. Il émane de cette histoire une vraie sagesse. Voyons cela !
    Vous connaissez les péripéties du début de l'histoire. Joseph, le 11e fis de Jacob se met à dos ses frères aînés en racontant des rêves où il les domine tous. Agacés et jaloux, ses frères veulent le tuer pour s'en débarrasser. Finalement, un peu calmé par un frère aîné, Joseph n'est "que" vendu comme esclave, mais déclaré mort à son père Jacob.
    En Egypte, Joseph — grâce au don divin d'interprétation des rêves qui lui avait valu son mauvais sort — devient premier ministre du pharaon. Il gère tous les greniers du pays. Un jour, il voit venir ses frères pour lui acheter du blé. C'est là que commence l'histoire de leur réconciliation.
    D'abord, il faut relever que cette réconciliation n'est pas donnée comme automatique ou évidente. Dans un premier temps elle va dépendre entièrement de Joseph. Lui seul reconnaît ses frères. Eux pas. Ils sont comme aveuglés. Comment pourraient-ils reconnaître dans l'homme d'Etat, second d'Egypte, le frère nu et misérable qu'ils ont vendu comme esclave ?
    Le récit nous a fait vivre les péripéties de Joseph, mais n'a rien dit de son parcours intérieur. Cependant, ce qu'on voit de lui, c'est un homme sûr de lui dans cette cour de pharaon, un homme reconnu et vénéré pour ses compétences de gestionnaire. C'est loin de l'image d'une victime (du sort ou des circonstances) qui en veut à tout le monde et cherche vengeance !
    Joseph nous apparaît comme quelqu'un qui a digéré ses revers, qui n'en veut plus à ceux qui lui ont fait du tort (et il n'y a pas que ses frères…). Il est pacifié à l'intérieur de lui-même. Cela ne veut pas dire qu'il est angélique et sans méfiance. Il reçoit ses frères avec une certaine rudesse qui relève de la distance de quelqu'un qui a déjà été échaudé. Avant de se dévoiler, il doit vérifier s'il peut ou non leur faire confiance. C'est de la simple prudence.
    Dans les dialogues qui s'instaurent entre Joseph et ses frères, on constate que c'est Joseph qui tient le couteau par le manche. Il a totalement quitté son rôle de victime, il n'a pas attendu de revoir ses frères pour cela, il n'a pas attendu une parole ou un geste de repentance de leur part. S'il avait attendu cela de ses agresseurs, il aurait maintenu vis-à-vis d'eux une dépendance, il serait resté dans son rôle de victime, il serait resté assujetti à leur bon vouloir.
    Il y a là l'idée intéressante que le sort, ou le sortir, du rôle de victime n'appartient absolument pas à ceux qui ont fait du tort, ou aux circonstances, ou à un jugement des coupables. Tout est entre les mains de Joseph. Tout est à l'intérieur de soi, c'est à chacun de choisir et décider de sortir de cet état. Il est clair que c'est plus facile si l'on peut s'appuyer sur des alliés bienveillant, notamment sur Dieu.
    Deuxième constatation, ce sont les frères qui vivent les affres de l'angoisse. Ce sont eux qui ont peur, qui ont honte, qui vivent la culpabilité. Entre eux, ils évoquent leur méfait et font le lien entre leur peur et le mal qu'ils ont commis. Sûr que cela fait du bien à Joseph de les entendre avoir des regrets et des remords. C'est un cadeau pour lui, mais nous avons vu que ce n'est pas une condition pour Joseph pour être en paix avec lui-même.
    Jusque-là, Joseph et ses frères ont parcouru des chemins séparés : Joseph a éteint en lui la rancune, les frères ont réalisé le mal qu'ils ont commis. Le chemin de la réconciliation peut commencer. On pourrait penser que ce chemin va se faire ensemble. Eh bien pas tout de suite. La mise à l'épreuve est encore un chemin séparé. Le récit nous rappelle que les dialogues se font au travers d'un interprète — qui occupe la place d'un médiateur. De fait, les frères ne reconnaissent toujours pas Joseph.
    Joseph est comme caché derrière le masque de sa fonction, cependant ce masque craque. Au fur et à mesure que Joseph découvre à quel point ses frères ont changé — à quel point ils sont unis et solidaires et ne laissent pas tomber celui qui doit rester en otage — Joseph est ému et pleure. Trois fois le texte souligne que Joseph pleure et doit se retirer (Gn 42:24; 43:30; 45:2) Enfin, Joseph, n'y tenant plus, il laisse tomber son masque et se dévoile à ses frères.
    La réconciliation se matérialise autour d'un repas partagé. Fête de retrouvailles où les rôles disparaissent, tous se retrouvent frères, enfants d'un même père. Et là se déroule la dernière étape de la réconciliation : la relecture de l'histoire de Joseph avec cette déclaration : "Ce n'est pas vous qui m'avez envoyé ici, mais Dieu." (Gn 45:8)
    Quelle confession de foi étonnante pour quelqu'un qui s'est retrouvé esclave et prisonnier avant d'être relevé ! "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" Il n'y a pas de plus belle déclaration pour dire qu'il n'existe plus de rancune entre ces frères. C'est peut-être là le secret de Joseph, la force qu'il a utilisée pour sortir du rôle de victime dans lequel ses frères l'ont précipité : s'en remettre à Dieu dans une confiance totale.
    "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" c'est une phrase de confiance totale en la Vie, en Dieu. Une phrase qui affirme que tous les événements peuvent receler un chemin, une voie vers le bien, vers le bonheur, même si l'on passe par des circonstances qui nous abattent.
    C'est cette même confiance totale qui se manifeste dans les paroles de l'apôtre Paul lorsqu'il affirme que "tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu" (Rm 8:28). Comment, dans notre vie, y compris lorsqu'on a été victime ou que l'on se sent victime, arriver à ce stade de sagesse ?
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.