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d) Pentateuque - Page 3

  • Lévitique 19. Rappelez-vous que vous avez aussi été des étrangers.

    Lévitique 19
    26.6.2016

    Rappelez-vous que vous avez aussi été des étrangers.

    Lévitique 19 : 33-34       Actes 27 : 27-44
    Télécharger le texte : P-2016-0626.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    C’est étonnant comme ce dernier voyage de Paul est proche des récits de réfugiés qui viennent s’échouer sur les plages de Lampedusa.
    En ce dimanche où nous reprenons les thèmes du dimanche des réfugiés, je n’ai pas envie de faire de la politique, encore moins de la morale. Le thème des réfugiés est un thème difficile. Il fait naître en chacun des émotions personnelles et des réactions diverses. Pour les uns, c’est de la curiosité intéressée par des rencontres nouvelles et la découverte de la richesse d’autres cultures, pour d’autres c’est l’anxiété ou la peur face à cette différence qui peut remettre en cause notre culture ou notre mode de vie.
    Ce qui m’intéresse plutôt, c’est de voir comment nous pouvons relier notre histoire personnelle à d’autres histoires. Dimanche dernier, nous avons vu que Jésus parlait en paraboles pour approcher le mystère de Dieu et du royaume de Dieu. Aujourd’hui j’aimerais aussi me servir d’histoires pour nous questionner sur notre rapport autant à l’enracinement dans une contrée, qu’au voyage et au déracinement.
    Si nous nous demandons : « d’où venons-nous ? » Il y a plusieurs façons de répondre. Il y a une façon géographique : je suis né à tel endroit et je vis à tel endroit. Il y a une façon historique : mes ancêtres viennent d’ici ou de là. Et il y a une façon symbolique : je me reconnais fondamentalement dans tel ou tel personnage, je suis plutôt Nicolas Bouvier ou Robinson Crusoé, plutôt vigneron du Lavaux ou paysans de la Broye.
    Dans nos ancêtres symboliques, nous pouvons placer les grands personnages bibliques. Et là, qu’est-ce que ça bouge, qu’est-ce que ça voyage ! Abraham quitte Our, c’est tout au sud de l’Irak près de Bassorah et il remonte toute la vallée de l’Euphrate, jusqu’à ses sources en Turquie, a Haran, près de la ville d’Urfa, aujourd’hui Sanliurfa, où on nous montre la source où Abraham a bu. Mais Abraham reste pas là. Il s’établit en Cis-jordanie et fait quelques voyages en Égypte.
    Son petit-fils Jacob va repartir de la plaine du Jourdain pour monter chercher une épouse à Haran où son oncle est établi. Son fils Joseph descendra en Égypte où il vivra et deviendra ministre. Puis le  peuple d’Israël quittera l’Égypte pour retourner s’établir dans le pays de Canaan, en traversant tout le Sinaï, c’est l’Exode. Après quelques siècles, c’est l’Exil, à Babylone principalement, mais aussi en Égypte. Une poignée revient en Israël, une grande partie s’installe sur le pourtour de la Méditerranée.
    Cette mobilité est incroyable par rapport à aujourd’hui où nous voudrions que chacun reste chez lui, sauf pour le tourisme bien entendu, car nous, nous voulons continuer à pouvoir aller partout et être bien accueilli.
    Au temps du début du Christianisme, ça voyage beaucoup aussi. Seuls les voyages de Paul sont décrits dans la Bible, mais d’autres apôtres ont évangélisé l’Égypte, qui se couvre de monastères, et l’Irak et l’Iran, jusqu’en Inde, et l’Arabie, et l’Éthiopie etc.
    C’est dans un naufrage que Paul atteint Malte, porte pour se rendre en Italie, à Rome. Voilà ce turc de Tarse, juif lettré, qui s’installe à Rome. Il est accueilli par la communauté chrétienne déjà établie (on ne sait pas par qui elle a été fondée, mais elle existe déjà).
    Notre culture judéo-chrétienne a été développée par des voyageurs et des émigrants. Nous sommes les tributaires heureux de l’importation d’une religion moyen-orientale.
    Ici en Suisse romande, nous avons aussi été marqué par une migration, celle des huguenots, venus en Suisse suite à la révocation de l’Edit de Nantes.
    Et là, j’aimerais vous faire part d’une découverte que j’ai faite en rangeant des affaires familiales. J’ai retrouvé la copie d’un texte qui se trouve au dos du portrait de femme, texte qui dit ceci : « Louise Boutan,  Huguenote, traversa la France [depuis Nyons dans le Dauphiné] à l’âge de huit ans, montée sur un âne, filant la quenouille et accompagnée d’un vieux et dévoué serviteur. Elle arriva à Genève et ne sut plus jamais rien de ses parents. » C’était en 1728, c’est une de mes ancêtres, six générations en arrière.
    Il est fort probable que vous aussi, vous ayez l’un ou l’autre de ces réfugiés huguenots dans vos ancêtres. Ou alors, quelqu’un de votre famille, au XIXe ou au début du XXe siècle, s’en est allé chercher meilleure fortune en Amérique du Nord ou du Sud, où on retrouve des villes qui s’appelle Vevay (Indiana), Geneva (Utah) ou Novo Fribourgo (Brésil). On parle encore suisse-allemand chez certains Amish du Massachusetts.
    De tout temps, les gens se sont déplacés, le plus souvent pour des raisons économiques. Aujourd’hui, ceux qui viennent frapper à notre porte sont des gens persécutés ou qui ne peuvent plus vivre dans leur pays accablé par la guerre.
    Les personnes qui reçoivent l’autorisation de rester chez nous et de s’établir dans notre pays se comporteront en miroir des attitudes que nous aurons face à eux. C’est pourquoi la Bible donne ce conseil : « Quand un étranger viendra s'installer dans votre pays, ne l'exploitez pas ; au contraire, traitez-le comme s'il était l'un de vos compatriotes : vous devez l'aimer comme vous-mêmes. Rappelez-vous que vous avez aussi été des étrangers en Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lév. 19:33-34)
    Une fois que l’étranger est là, autant le traiter comme un ami, en réponse il se comportera comme un ami et nous aurons gagné un ami.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Exode 20. A quoi sert le dimanche ?

    Exode 20
    15.11.2015
    A quoi sert le dimanche ?

    Exode 20 : 1-2+8-11      Marc 2 : 23-28

    Télécharger : P-2015-11-15.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Vous avez reçu, cette fois, avec votre journal Bonne Nouvelle, la brochure : « Réformés ? Et alors ? 40 thèmes pour agir… » Des thèmes pour repenser notre vie et notre action comme protestants dans notre monde. Des thèmes de réflexion pour repenser notre façon de marquer notre appartenance au Christ dans ce monde.
    Aujourd’hui j’ai choisi le thème 18 qui porte sur la place du dimanche dans notre société et dans nos vies. Pour les chrétiens, le dimanche a une certaine importance, on y tient, mais en même temps il pourrait disparaître en tant que jour de repos pour tous. Certains se demandent pourquoi ne pas ouvrir les centres commerciaux le dimanche. Pourquoi ne pas travailler le dimanche ? Alors nous nous demandons : comment revaloriser le dimanche ou bien comment faire — comme chrétien, comme protestants — pour que nos dimanches deviennent quelque chose d’enviable ? Comment valoriser ce jour de congé pas comme les autres dans une société du 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, une société de l’agitation, du stress et du travail acharné ?
    D’où vient ce jour de congé, ce jour de repos ? Avant de nommer le sabbat et de voir ce qu’il recouvre, j’aimerais signaler que dans les civilisations voisines d’Israël, il y avait aussi des jours chômés. Chez les babyloniens, le 15e jour du mois était « jour d’expiation», on n’y travaillait pas. En Mésopotamie, il y avait des jours dits « jours de malheur» où il ne fallait pas avoir d’activités, celles-ci risquant de mal tourner.
    Dans cet environnement-là, et le Décalogue vient proclamer : « Moi le Seigneur, j’ai béni le jour du sabbat et je veux qu’il me soit consacré. » (Ex 20:11) Le sabbat n’est pas institué pour conjurer le malheur, il est institué comme une bénédiction. C’est souligné par le récit de la création où Dieu lui-même se repose le septième jour.
    Il y a du bon dans le fait d’arrêter ses tâches, son travail. Le sabbat est d’abord une bénédiction, qui vient comme une sorte d’antidote à la malédiction posée sur le travail lorsqu’Adam et Eve ont été chassés du jardin d’Eden. Vous vous souvenez du « tu cultiveras la terre à la sueur de ton front » (Gn 3:19). Une brèche est ouverte dans la nécessité du travail pour laisser passer un souffle et apporter du repos.
    A. Cet aspect « libération du travail » est le premier aspect du sabbat. C’est rompre la chaîne infernale des jours épuisants. C’est déclarer qu’il existe autre chose dans la vie que le labeur, la production, le rendement, la productivité, l’efficacité. Il y a place pour autre chose. La vie ne se réduit pas à « métro boulot dodo ».
    Dans ce sens-là, le sabbat n’est ni privation, ni interdiction, il s’agit d’une libération, et l’ouverture d’un espace où l’on peut souffler et se ressourcer. Lorsque les pharisiens ont transformé cela en liste d’interdit, Jésus intervient pour redonner la priorité à la libération, d’où toutes les guérisons qu’il effectue le jour du sabbat. C’est pourquoi Jésus redonne à l’humain la maîtrise du sabbat : « Le sabbat n’a pas été fait pour l’homme, pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2:28).
    Voilà le premier aspect du sabbat : sortir l’être humain de l’enfermement que peut représenter le travail, la production, la performance. Ce message a un sens — plutôt à contre-courant — dans notre monde qui ne jure que par « plus de productivité », « plus de croissance », au risque d’anéantir la planète.
    B. Le deuxième aspect du sabbat et le fait de consacrer ce temps à Dieu. Il y a là la volonté d’un décentrement radical. Toute la semaine, on est avec le nez dans le guidon, à pédaler pour avancer et produire ; le jour du repos on peut lever le nez du guidon et se demander : pourquoi ? Pourquoi fais-je tout cela ? Pourquoi ou pour quoi est-ce que je me tue à la tâche ? Où vais-je ? Quel est le sens ?
    Consacrer le sabbat à Dieu, c’est sortir de soi, c’est s’ouvrir à des dimensions qui nous dépassent, c’est reconnaître qu’il y a quelque chose qui me surplombe. Je ne suis pas le centre du monde ! C’est sortir de ses besoins et de ses affaires pour regarder autour de soi, élargir son horizon. C’est faire place à la communauté qui nous entoure et considérer les besoins communs, communautaires.
    Quand la société délimite cinq jours de travail et deux de jours de loisirs, pour soi, pour se divertir, pour se remettre en forme, pour être prêt à recommencer à travailler le lundi, ce n’est pas faire sabbat. La société des loisirs n’est pas une forme moderne de sabbat, c’est juste une façon de faire tourner la société de consommation et de production pendant les jours fériés.
    Les loisirs sont des occupations, comme le travail. Le sabbat se voudrait un temps dés-occupé. Un temps où nous ne sommes pas occupés mais disponibles. Un temps où nous ne sommes pas préoccupés, mais dépréoccupés de tout, un temps libre, un temps libéré. Un temps libéré du travail et des préoccupations, un temps libéré de soi pour être ouvert aux autres. Un temps non occupé par du « faire », pour être libre d’ « être » : être soi, être avec les autres, être avec Dieu.
    Ce temps ne peut pas être commandé, ordonné, prescrit. On ne peut pas prescrire d’être ! On peut par contre y aspirer, y tendre, se mettre en condition pour que cet état puisse émerger. On peut faire de la place pour favoriser ce passage à l’être.
    Le protestantisme déteste les règles et les prescriptions. Le protestantisme ne comporte pas d’obligation. On ne va donc pas reformuler une obligation de maintenir une journée sabbatique. Mais par contre, dans notre monde agité, stressé, préoccupé, nous pourrions être témoins d’une autre façon d’envisager et le travail et les congés.
    Nous pourrions être témoins de cette libération de l’asservissement au travail qui baigne notre société. Nous pourrions témoigner que la consommation, y compris des loisirs, n’est pas la seule façon d’être au monde. Nous pourrions marquer comment notre relation à Dieu, en même temps bénit et limite notre travail. Comment notre relation à Dieu nous invite à tenir davantage compte des autres dans notre façon de consommer ou dans notre façon de tout attendre de la croissance économique.
    Dans notre façon d’être — dans notre travail comme dans nos congés — nous pouvons témoigner des bénédictions que Dieu nous donne, en montrant combien il nous libère et combien il nous ressource.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Deutéronome 26. Agir en conséquence de son histoire.

    Deutéronome 26
    4.10.2015
    Agir en conséquence de son histoire.
    Lévitique 19 : 33-34      Deutéronome 26 : 1-11     Ephésiens 2 :11-14

    Télécharger le texte : P-2015-10-04.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Un point commun relie les trois lectures que vous venez d’entendre : c’est le rappel d’une situation ancienne qui a été changée, maintenant, dans le présent. C’est d’avoir été étranger et d’être maintenant accepté. C’est d’avoir été dans la détresse et l’instabilité et d’être maintenant installé dans la sécurité.
    Une bonne partie des lois d’Israël est fondée sur l’histoire vécue par le peuple d’Israël. Et je trouve cette méthode originale et intéressante. En général on attend d’une loi qu’elle se justifie elle-même : c’est un « tu dois » parce que c’est bien. Ou bien c’est une obligation parce qu’il va en découler un bien plus grand pour la société. La loi est utile et se justifie par son utilité, aujourd’hui on dirait par son efficacité et son rendement. Par exemple la loi oblige à prendre des vacances parce que le rendement du travailleur est meilleur pendant le reste du temps.
    Les lois de l’Ancien Testament ne sont pas fondées sur leur utilité, elles sont fondées sur l’histoire, sur le vécu du peuple. « Quand un étranger viendra s’établir dans votre pays, ne l’exploitez pas (…). Rappelez-vous que vous avez été étrangers en Égypte. » (Lév 19:33-34).
    Ce rappel de l’histoire est particulièrement développé dans le récit sur l’offrande des récoltes. Il est fait appel ici à un résumé de l’histoire de la libération d’Égypte. « Mon père était un araméen errant … » (Dt 26:5). Il est question ici de Jacob, installé d’abord auprès de Laban à Aram, dont il a épousé les filles Léa et Rachel. Il devient nomade avec ses troupeaux, devant descendre en Égypte pour fuir la famine, s’y installant après avoir été accueilli par Joseph. Suit l’esclavage en Égypte, puis la libération par Dieu, et le peuple conduit par Moïse au travers du désert jusqu’au pays de Canaan. C’est dans ce pays que sont offertes les prémices des récoltes. Et l’obligation de cette offrande est fondée sur le souvenir de cette histoire, comme une marque de reconnaissance.
    Dans le Nouveau Testament, Paul recourt au même procédé pour dire aux Grecs la chance d’être greffé à l’olivier, à la racine du peuple juif par la vertu du Christ (Ep 2:13, Rm 11:17). C’est une façon de rappeler que le bien-être ou la prospérité actuelle ne vient pas de nulle part et qu’il est profitable de ne pas oublier autant la détresse antérieure que la délivrance reçue et vécue. Seul cet ancrage existentiel donne un sens véritable autant à la loi, pour l’Ancien Testament, qu’à nos actes pour le Nouveau Testament et pour aujourd’hui.
    Le souvenir du parcours, de l’histoire personnelle, familiale et spirituelle — en nous rattachant à l’expérience des personnages bibliques — nous donne un ancrage solide, nous apporte un sens, une identité que nous ne pouvons pas créer de nos propres mains. C’est pourquoi, bien que nous ne soyons pas juif — mais en nous y rattachant par la foi, nous pouvons aussi dire « Mon père était un araméen errant » ou « mon ancêtre Abraham ».
    Là, j’ouvre une petite parenthèse géographique : lorsqu’on dit « araméen » on parle (1) d’une région qui se trouve actuellement couvrir le nord de la Syrie et de l’Irak et le sud de la Turquie, pays kurde. C’est exactement de là que proviennent les réfugiés qui fuient la guerre et cherchent asile en Europe. (2) l’araméen est une langue, celle que parlait Jésus, et celle qui est encore utilisée pour le culte par un grand nombre des chrétiens de rite syriaque, qui se trouvent dans ces régions en guerre.
    Je reviens à cet ancrage de la loi dans l’histoire et dans l’existence. Aujourd’hui, se pose évidemment la question de notre propre rattachement à ces généalogies anciennes. Nous pouvons faire une certaine gymnastique de l’esprit et nous dire descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Si nous avons été imprégnés tôt dans l’enfance, par ces récits, ce n’est pas trop difficile. Mais si personne ne nous avait raconté ces histoires ? D’où l’importance de connaître les récits bibliques, mais aussi l’histoire de nos ancêtres, de nos familles.
    En tant que Protestants, nous pouvons nous rattacher à l’exode des Huguenots français qui ont fui après la révocation de l’Edit de Nantes. Exode qui a enrichi la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Angleterre, pays qui sont devenus les moteurs économiques de l’Europe. Mais peut-être que certains d’entre vous ont une histoire personnelle de déplacement géographique, ou de séjours à l’étranger avec des anecdotes positives d’accueil ou négatives de rejet.
    Chacune de ces histoires — même éloignées ou fictives — peut devenir pour nous un ancrage et faire naître un agir particulier. Agir en conséquence de son histoire. Alors que souvent, on entend que celui qui a été victime, risque à son tour de faire des victimes autour de lui « l’abusé devient abuseur », la Bible dit qu’il y a une autre issue, qui passe par le refus du déni, ou du « faire comme si cela ne s’était pas passé ».
    La Bible montre que l’issue est différente, que la malédiction est brisée, lorsque la détresse originelle est reconnue comme vraie détresse, que les cris ont été entendus, la délivrance reconnue.
    Lorsque je reconnais que j’ai souffert, alors je peux comprendre celui qui souffre et agir en conséquence, et briser la chaîne de la malédiction. Se souvenir de son histoire, agir en conséquence auprès de ceux qui vivent une histoire semblable, c’est s’honorer soi-même ! Se détourner de la détresse, c’est ce renier, se déshonorer soi-même.
    Il n’est pas question ici de devoir ou de morale, il est question de respecter sa propre identité. L’autre vit juste une situation qui a été la mienne, ou qui aurait pu être la mienne. L’autre n’est pas si lointain, il est un prochain. Nous ne sommes pas séparés par l’expérience, juste par le temps entre nos expériences.
    Et Paul montre comment Jésus a aboli ces séparations, comment le Christ a relié les arbres généalogiques des grecs et des juifs (Paul dit que nous avons été greffée sur la racine juive de l’olivier (Rm 11:17)).
    Nous pouvons donc nous rattacher, nous greffer à ce père araméen errant, comme à ces Huguenots en fuite. Nous pouvons le faire, pourvu que nous ayons conscience de notre histoire et de notre rattachement à une histoire qui précède notre naissance.
    Nous, nous y arrivons encore ! Mais j’ai souci pour les jeunes générations. Qui raconte leur histoire antérieure, l’histoire de leurs arrière-grands-parents, de leurs ancêtres spirituels, de leurs ancêtres bibliques ? Seul notre lien à l’histoire et aux histoires peut nous motiver à agir en conséquence, en humain.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Genèse 9. Dieu s’engage unilatéralement en faveur de l’humanité.

    Genèse 9
    15.3.2015
    Dieu s’engage unilatéralement en faveur de l’humanité.

    Genèse 9 : 8-17    Deutéronome 31 : 9-13    Jean 15 : 12-15

    Télécharger le texte : P-2015-03-15.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Plusieurs histoires se croisent dans ce récit du Déluge. C’est un récit complexe qui essaye de répondre à plusieurs questions existentielles. La terre, telle que nous la connaissons, peut-elle disparaître ? Une civilisation peut-elle être balayée de la surface de la terre ? Qu’est-ce qu’il plus dangereux, la violence de la nature ou bien celle des humains ? Là-dedans comment Dieu se situe-t-il ? Est-il pour ou contre nous ?
    Ce récit  construit un certain nombre de réponses à ces questions sur la base d’une catastrophe appelée le Déluge. Les récits de déluges se retrouvent dans les mythes de quasi toutes les civilisations, au point il est justifié de penser qu’il y a bien des faits réels derrière ces récits. Oui, il y a bien eu des catastrophes liées à une montée des eaux dans le passé, des catastrophes qui ont laissé des traces dans les cultures de nos civilisations ; ces traces sont dans nos récits de déluges.
    Et aujourd’hui on découvre de plus en plus (autour de la Méditerranée par exemple) de cités englouties sous quelques mètres d’eau, en Grèce à Pavlopetri, au sud du Péloponèse, en Israël à Atlit Yam, face au Mont Carmel, par exemple. Des cités néolithiques qui ont été submergées par la montée des eaux de la Méditerranée et que les archéologues explorent actuellement. Ces engloutissements ont marqué les mémoires, ont été racontés, parfois amplifiés, surtout interprétés pour trouver un sens, pour donner des significations.
    Dans notre tradition biblique, nous héritons du récit de l’arche de Noé qui cherche à mettre en lumière la fragilité des communautés humaines et le rôle de Dieu. Le récit commence par l’expérience de la violence humaine. L’être humain est violent. L’être humain commet et subit l’injustice, jusqu’à la destruction de toute possibilité de vie. Triste constat, mais constat réaliste, hélas ! L’être humain est capable de détruire par lui-même tout ce qu’il a bâti, c’est le constat que nous faisons aujourd’hui. Nous sommes notre propre déluge ! En fait nous pouvons tout à fait nous passer de Dieu, nous pouvons nous détruire par nous-mêmes, sans aide extérieure !
    Mais le récit fait intervenir Dieu de plusieurs façons. D’abord avec sa tristesse (Gn 6:6) «Dieu fut attristé et regretta d’avoir fait les humains sur la terre. » Puis ça colère (v. 7) « Il faut que je balaye de la terre les humains que j’ai créé. » Et finalement avec de l’attachement (v. 8) « Mais Noé bénéficiait de la bienveillance du Seigneur. » Ainsi dans un premier temps, Dieu use de sa toute-puissance pour balayer le mal de la surface de la terre, tout en gardant une bouture, pourrait-on dire, pour faire repartir (avec Noé et sa famille et les animaux de l’arche) la vie sur la terre.
    Ce qui est intéressant dans ce récit, c’est de voir la transformation que Dieu opère sur lui-même ! Après ce premier temps de destruction dans la rage, il décide que ce n’est plus possible d’agir à nouveau ainsi. Il se limite lui-même ! Il se met des barrières à lui-même. Il renonce à sa toute-puissance. Une toute-puissance qui pouvait aller dans toutes les directions. Il limite sa puissance, il la coupe en deux en quelque sorte. C’est-à-dire qu’il décide — c’est ce que nous dit ce récit — de l’orienter uniquement vers la vie, vers le maintien de la vie.
    Dieu s’engage unilatéralement en faveur de l’humanité. Il restreint son pouvoir et sa force pour ne l’utiliser qu’en faveur de la vie de l’humanité. C’est le sens de cette alliance avec Noé, l’alliance « noachique ».
    Comme — dans la fiction du récit — Noé et sa famille sont les seuls survivants du Déluge, il représente toute humanité. Dieu fait donc une alliance (une première alliance) avec toute l’humanité. Dieu n’est pas le dieu d’un seul peuple, mais d’abord celui de toute l’humanité. Il a pour souci l’humanité entière, la planète entière. Pas de communautarisme, pas de favoritisme, c’est une alliance globale, et c’est pourquoi Dieu choisit un signe reconnaissable par tous — universellement — l’arc-en-ciel. C’est un signe qu’il lie l’eau et la lumière, les nuages effrayants et les rayons rassurants du soleil.
    Si tous les humains, n’importe où sur la planète, peuvent être témoins de l’apparition d’un arc-en-ciel, en fait le signe est placé dans les cieux — nous dit le récit— comme rappel pour Dieu lui-même de son engagement à ne pas faire disparaître l’humanité de la surface de la terre. Dieu se place à lui-même un rappel — en cas de pluie — de ne pas laisser les écluses du ciel à nouveau inonder la terre. Bien sûr, nous ne vivons plus avec ces images et ses représentations d’une terre qui pourrait être noyée sous les eaux, comme une pomme dans une cuvette d’eau! Mais la particularité de ce récit, c’est de placer Dieu à nos côtés et pas du côté des violences de la nature, c’est un pas important. Un pas qui est prolongé et développé peu à peu au fil du récit de toute la Bible.
    Cette première alliance est un geste unilatéral de Dieu envers l’humanité. Dieu s’engage et ne demande rien en retour à Noé ou à l’humanité. Mais ce n’est que le début de l’histoire que Dieu veut tisser avec l’humanité. Mais le premier geste vient de Dieu. Il fait le don à l’être humain de la création et de son maintien. Dieu fait le serment de toujours utiliser son pouvoir en faveur de sa création et de l’humanité. Mais Dieu va continuer à se rapprocher de l’être humain.
    Garantir que l’humanité ne sera pas détruite à nouveau par un Déluge ne suffit pas. La violence humaine n’a pas été éradiquée, elle subsiste. Il y a donc tout un chemin pédagogique que Dieu va faire avec l’être humain pour lui apprendre à maîtriser sa violence — personnelle et institutionnelle. Dieu va le faire au travers de l’alliance avec Abraham, puis avec Moïse et le peuple d’Israël en lui donnant la Loi. Puis à travers l’enseignement de Jésus, en enseignant aux humains que l’amour et le don de soi sont la voie suprême vers la paix. Tout au long de ce parcours, Dieu ne fait pas cavalier seul. Toujours à nouveau il fait alliance avec l’être humain pour l’inclure dans le processus. Dieu appelle l’être humain à participer à cette tâche de pacification. Dieu s’engage, mais il attend de nous un engagement.
    Un engagement qui commence par une conversion intérieure, c’est-à-dire réaliser que la transformation du monde commence par notre propre transformation. La pacification du monde commence par notre pacification. Le développement de la justice dans le monde commence par nos choix de comportements justes. La sauvegarde de la création commence — comme nous le rappelle la campagne de Carême— par nos gestes quotidiens de consommation équitable.
    Dieu s’est engagé à respecter la création, mais aujourd’hui la menace ne vient pas de lui, mais de nous. Engageons-nous à notre tour à lever les yeux au ciel, à voir l’arc-en-ciel et à diriger chacun de nos choix pour que la vie continue à s’épanouir sur la terre, pour l’humanité et pour tous les êtres vivants sur la planète.
    Amen.

    Sur Pavlopetri : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pavlopetri
    http://www.ascadys.net/article-video-pavlopetri-la-cite-engloutie-112210796.html
    Sur Atlit Yam : http://fr.wikipedia.org/wiki/Atlit_Yam

    Sur la variation des niveaux des mers :
    http://co2climate.e-monsite.com/pages/le-niveau-des-mers-de-la-planete-a-toujours-varie-il-n-a-jamais-ete-stable.html
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Genèse 3. Sortir du « mode survie » et entrer dans une histoire

    Genèse 3
    24.8.2014


    Sortir du « mode survie » et entrer dans une histoire


    Genèse 2 : 8-9+15-17    Genèse 3 : 1-5    Genèse 15 : 1-6

    Télécharger le texte : P-2014-08-24.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chère famille,
    Pour la troisième fois, nous abordons ce chapitre 3 de la Genèse avec cette histoire d’Adam et Eve. Nous avons vu que ce récit est construit avec un avant et un après. Il y a d’abord une situation idéale, décrite comme le Paradis, situation qui est bouleversée par la transgression des premiers humains et qui conduit à une vie et une terre dégradée. Un avant et un après qui sont suivis d’une remédiation humaine et d’une remédiation divine.
    Nous avons suivi plusieurs pistes les dimanches précédents et il nous reste aujourd’hui celle de la vie et de la mort. En effet, Dieu déclare que celui qui mangera du fruit de l’arbre interdit va mourir. Il y a donc un avant tourné vers la vie et un après tourné vers la mort.
    Cependant, ce qui est étonnant, c’est que la promesse divine « celui qui mangera de ce fruit mourra » (Gn 2:17) ne se réalise pas ! Personne ne meurt dans ce récit, et un peu plus loin, on nous dit qu’Adam meurt à l’âge de 930 ans (Gn 5:5). Ce n’est pas un vie raccourcie, même si les chiffres sont d’ordres mythologiques. 
    Je pense qu’il faut lire ce récit, avec son avant et son après, comme une protestation contre la mort. Ici est exprimé le sentiment que la mort, le deuil, ne devraient pas exister dans un monde idéal. On se rend bien compte que ce n’est pas réaliste. Il ne peut y avoir de vie sans que celle-ci se termine, sinon ce ne serait pas de la vie, du vivant. On aurait quoi, juste de la pierre ?
    Mais en même temps, la mort, et surtout la mort précoce ou injuste, fait trop souffrir pour qu’elle ne soit pas le résultat d’une distorsion ou d’une transgression. Dans un monde de bénédiction, la mort est une anomalie. C’est pourquoi le récit de Genèse 3 donne à la mort ce statut de disharmonie, de dérèglement. Quelle peut être la remédiation humaine ?
    Cela va être de survivre ! La vie est précaire, elle est difficile, elle est en danger : il faut mettre son énergie à lutter pour sa survie. Il faut se nourrir, se battre, se faire une place. Mais survivre n’est pas vivre pleinement.
    Le remédiation divine va consister à faire sortir l’être humain du « mode survie » pour l’inviter à une vraie vie. La vie vaut mieux que juste survivre. Nous ne sommes pas faits pour nous contenter de « métro-boulot-dodo. » Dieu nous invite à sortir de la routine. Dieu nous invite à lever les yeux au ciel comme Abram (Gn 15:5), pour découvrir d’autres dimensions à la vie.
    Pour cela, Dieu nous fait deux cadeaux. Le premier cadeau est de faire alliance avec l’humanité. Dieu n’est pas contre nous, il est avec nous, il se tourne vers nous avec bienveillance, pour nous aider à nous en sortir, pour nous accompagner dans les bons et les mauvais moments de l’existence.
    Le deuxième cadeau que Dieu nous fait, ce sont les enfants. Il a donné à l’humanité le pouvoir de transmettre la vie. Transmettre la vie biologique, mais aussi la vie relationnelle et spirituelle. Parce que donner la vie biologique n’est pas tout. Comme chaque parent le sait, c’est l’éducation qui est le grand défi.
    Nous pouvons donner la vie, mais nous avons plus à donner et transmettre à nos enfants. Nous avons à leur donner une place dans le monde et dans la vie, une place dans une lignée, une place dans une histoire. C’est pourquoi la Bible est si pleine d’histoires de familles et de généalogies.
    Un enfant n’est pas un électron libre, il naît dans une famille, qui est une longue suite de parents, de grands-parents, d’aïeuls, d’ascendants. S’inscrire dans une histoire est un cadeau, c’est une assurance d’avoir une place, de se savoir situé. Pouvoir dire à son enfant, à ses petits-enfants : « Tu viens de quelque part ! » C’est lui dire son importance, son rôle, sa mission. Chacun a une place, sa place, en lien avec d’autres.
    La Bible nous dit à quel point la filiation est importante, mais aussi qu’il y a une filiation commune de tous les êtres humains. En affirmant que toute l’humanité descend d’Adam et Eve, la Bible affirme que l’humanité forme une seule famille humaine. Tous nous sommes reliés à Dieu. Tous nous pouvons nous rattacher à la lignée biblique. Tous nous pouvons faire remonter notre généalogie à Abraham au travers de la foi et jusqu’à Adam dans notre humanité commune.
    Quel cadeau faire à nos enfants et petits-enfants : les rattacher à Adam, à Abraham, à David, à Jésus. Les inscrire dans une histoire vivante, les rattacher à des hommes et des femmes dont on peut lire l’expérience de vie et s’en inspirer. Cela leur donne de l’assurance. Cela donne de l’assurance à ses enfants lorsqu’ils peuvent dire « Je sais d’où je viens. »
    Je sais qu’aujourd’hui on veut toujours laisser ses enfants choisir. Mais on n’imagine pas la difficulté devant laquelle on place ses enfants en leur faisant tout choisir. Pourquoi ne pas choisir pour eux, les faire commencer et les laisser se déterminer ensuite. Est-ce la peur qu’ils nous rejettent en rejetant les choix qu’on a fait pour eux qui nous empêche de faire des choix pour eux ?
    Vous faites un cadeau à vos enfants en les inscrivant dans une généalogie, une généalogie qui remonte à votre famille et saute ensuite vers les personnages bibliques. C’est une façon de mettre de la vie dans leur vie, de sortir du « mode survie ».
    Ce que Dieu veut pour nous, c’est que nous sortions du mode survie pour arriver à une vie en plénitude. Et une vie enracinée est une vie qui s’épanouit. La taille de l’arbre ne dépend-elle pas de la taille de ses racines ?
    Il n’y a pas de remède à la mort autre que la vie elle-même. Mettre le plus de vie possible dans sa vie et dans celle des autres. C’est ce que nous montre Jésus lorsqu’il guérit, lorsqu’il nourrit les foules, lorsqu’il renverse les tabous dans ses rencontres. Jésus nous donne libre accès à Dieu pour que nous recevions de lui le surplus de vie dont nous avons besoin. Sachons nous enraciner dans la vie qu’il nous donne.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 3. Deux impasses : l’obéissance et les sacrifices

    Genèse 3
    17.8.2014
    Deux impasses : l’obéissance et les sacrifices
    Genèse 2 : 15-17       Genèse 3 : 1-7 + 21      Romains 3 : 19-26
    Télécharger le texte : P-2014-08-17.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dimanche dernier nous avons commencé notre analyse de ce troisième chapitre de la Genèse que nous continuons aujourd’hui. J’ai mis en évidence une structure du récit qu’on peut suivre sur plusieurs pistes, plusieurs fils. Cette structure est marquée par un avant et un après, ainsi que par une remédiation humaine suivie d’une remédiation divine.
    Dimanche passé, nous avons suivi le fil illustré par les malédictions, ainsi que le fil du non-savoir et du savoir en « croquant la pomme ». Aujourd’hui, nous allons suivre deux nouvelles pistes.
    Le premier fil est celui de l’interdit. Dans notre avant, Dieu interdit clairement de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. En « croquant la pomme », Adam et Eve passent une porte et entrent dans l’après qui est fait de faute et de honte. Il y a eu transgression de l’interdit, désobéissance.
    Quelle va être la remédiation humaine ? Comme pour d’autres fils, la remédiation n’est pas directement indiquée dans ce chapitre, mais tout au long de la Bible. La remédiation humaine face à cette désobéissance va être de réparer cette première attitude par son opposé, c’est-à-dire par l’obéissance. Il faut se rattraper, ne plus faire comme Adam. Tous les efforts vont porter sur l’obéissance à la Loi divine. « Si Adam n’a pas pu obéir, moi je le pourrai ! » se dit chacun d’entre nous.
    Ainsi, la Bible développe tout un catalogue de lois pour réglementer une vie qui puisse plaire à Dieu. Le judaïsme a dénombré 613 commandements bibliques. C’est la voie dans laquelle ont excellé les pharisiens. Mais c’est aussi une voie sans issue. Il est impossible à l’être humain d’être totalement obéissant*. D’où le constat de l’apôtre Paul : « La loi permet seulement à l’homme de savoir qu’il a péché » (Rm 3:20).
    L’obéissance pour accéder à la justice est une voie désespérée. Plus on regarde dans le détail de nos vies, plus on voit l’écart entre l’idéal et ce qu’on vit réellement. Il est impossible d’être juste aux yeux de Dieu. C’est une voie sans issue.
    Quelle a été la remédiation divine ? En lisant l’Ancien Testament, on voit que ceux qui l’ont écrit ont longtemps cru que la remédiation divine était la punition. Une punition inscrite dans les pages de l’histoire du peuple et du pays d’Israël (2 R 17:7). Les rois obéissants ont des succès militaires et les rois désobéissants des défaites (2 R 13:1-3). Les prophètes lient aussi la sécurité territoriale à la confiance que les rois mettent en Dieu (Jr 17:3). Mais le couple « punition - récompense » est lui aussi inefficace. Il n’y a pas moyens que la loi rende quiconque juste.
    Il a fallu des siècles pour qu’on se rende compte et qu’on réalise que Dieu propose un autre chemin, celui de la grâce : Dieu donne sa justice à celui qui la demande. Dieu rend lui-même juste celui qui croit en lui, et il l’a réalisé dans la personne de Jésus (Rm 3:26).
    C’est ce que nous allons mieux comprendre en suivant le deuxième fil, celui qui commence par la nudité. Dans le temps d’avant, « l’homme et la femme étaient nus, mais sans en éprouver aucune gène » (Gn 2:25). Après la transgression, ils se découvrent nus et se font des pagnes avec des feuilles de figuiers (Gn 3:7). C’est la remédiation humaine : se couvrir, se protéger, se cacher. Cependant, comme chacun le sait, mettre la poussière sous le tapis ne fait pas disparaître la poussière. Ce système D humain n’est pas efficace, cela n’ôte pas la faute de la transgression.
    Alors le récit nous montre la remédiation divine : Dieu habille lui-même les humains de peaux de bêtes (Gn 3:21). Pas question ici du slogan « Plutôt nus qu’en fourrure » des défenseurs des animaux, car — ne leur en déplaise — il est justement question ici de sacrifice d’animaux.
    Symboliquement, il est question ici du premier sacrifice animal pour sauver l’être humain ou l’humanité. La remédiation divine consiste en une substitution de victime : le sacrifice animal, c’est faire porter la punition de la transgression sur l’animal au lieu de l’humain. C’est une préfiguration de la substitution d’Isaac par le bélier, mécanisme de tout sacrifice religieux des animaux.
    L’animal reçoit la punition méritée par l’être humain, à sa place. On trouve cela également avec le sang de l’agneau appliqué sur les linteaux des portes en Egypte avant la sortie d’Egypte, qui deviendra l’agneau pascal.
    La remédiation divine est d’éviter à l’être humain de recevoir la punition en désignant une victime de substitution. Il y a donc dans ces vêtements de peaux le précurseur des sacrifices instaurés en Israël et réalisés au Temple de Jérusalem plus tard.
    Mais les sacrifices animaux ne sont aussi qu’une étape transitoire. Les prophètes l’avaient déjà proclamé, Dieu n’a pas plaisir dans l’abatage des animaux (Es 1:11), ce qu’il demande, c’est « de se préoccuper du droit des gens, de tirer d’affaire l’opprimé, de rendre justice à l’orphelin et de défendre la cause des veuves » (Es 1:17).
    Le mécanisme de substitution du sacrifice est important pour que le coupable ne soit pas tué, mais la machine sacrificielle est détestable, au point de faire du Temple « une caverne de voleurs » dira Jésus (Mt 21:13).
    Le dépassement de cette étape a passé par le « sacrifice » de Jésus qui remplace « une fois pour toute » — comme le dit nos liturgies de Cène — toutes les victimes et tous les coupables. On est là sur un terrain risqué, où le vocabulaire risque de nous piéger. Attention, Dieu n’a pas fait ce qu’il voulait éviter ! Dieu n’a pas sacrifié un être humain pour éviter le sacrifice des humains ou de l’humanité (c’est la pensée de Caïphe, Jn 18:14). Ce serait un contre sens, une négation des valeurs de Dieu lui-même.
    Dieu n’a pas sacrifié son fils. Mais Jésus a donné sa vie pour que soit révélé la vanité de tout sacrifice réel. Jésus a fait ce geste comme un sauveteur ou un pompier risque sa vie pour sauver une victime de catastrophe. La croix est une façon de dire que Dieu préfère risquer son être dans le sauvetage de chaque personne, plutôt que de perdre quelqu’un.
    Jésus sur la croix — que l’Evangéliste Jean désigne comme « l’agneau pascal » — est la dernière substitution pour sortir Adam et Eve de leur condamnation. Dernière substitution qui était préfigurée dans ces premiers habits de peaux destinés à protéger l’humanité qui s’était mise en danger.
    Ainsi, ces deux fils, celui de l’obéissance et celui des sacrifices, conduisent à Jésus. Dans le premier fil, Jésus met l’amour à la place de la Loi, la foi à la place de l’obéissance. Dans le deuxième fil, c’est Jésus qui porte les péchés de l’humanité, à notre place (Rm 3:25). C’est Jésus qui prend la place de Barrabas, qui prend notre place pour que nous soyons déclarés « justes devant Dieu », non pas grâce à nos mérites (obéissance ou sacrifices) mais grâce à l’amour que Dieu à pour nous.
    Amen
    * voir le livre (sérieux et drôle) de A. J. Jacobs, L'année où j'ai vécu selon la Bible, Actes Sud, 2008 (Babel 1007), traduit de l'américain par Yoann Gentric.


    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 3. Que faire du mal dans la création ? Premières pistes

    Genèse 3
    10.8.2014
    Que faire du mal dans la création ? Premières pistes

    Genèse 2 : 25 — 3 : 24
    Téléchargez le texte : P-2014-08-10.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant mes vacances, j’ai vraiment vécu l’ambivalence du monde : d’un côté nous avons parcouru des paysages superbes, trouvé une mer cristalline et des gens accueillants et serviables. De l’autre, les nouvelles de crashs d’avions et des populations massacrées ou persécutées.
    Cette oscillation entre émerveillement devant le beau et le bon et répulsion devant le mal, c’est exactement le sujet de préoccupation de ce chapitre 3 de la Genèse. Pourquoi tant de souffrance dans un monde si beau ? Pourquoi tant de souffrance pour donner la vie ? Pourquoi tant de travail pour se nourrir ? Pourquoi tant de mensonges juxtaposés à tant d’émerveillement ?
    Ce troisième chapitre de la Genèse offre des amorces de réponses, des réponses qui se prolongent tout au long de la Bible. J’ai identifié cinq pistes, cinq fils différents de réponse à cette question de la présence du mal dans notre monde. Nous allons en voir deux aujourd’hui, deux dimanche prochain et le dernier le dimanche 24 août.
    Chacun des ces fils de réponse, je les présenterai à partir de la même structure qui marque ce récit. Ce récit de Genèse 3 est marqué par un avant et un après, une situation de départ qui se modifie et donne une situation d’arrivée. Cette situation d’après, d’arrivée est suivie d’une tentative de remédiation humaine. L’être humain essaie de corriger le biais introduit, ou de réparer les conséquences induites par le changement. Et finalement, il y a une remédiation divine. Dieu aussi prend des mesures pour corriger ce qui a été biaisé, tordu.
    Je ne me pencherai pas, cet été, sur l’interprétation du sens de « croquer la pomme », je le considère provisoirement juste comme une métaphore ouverte pour montrer où se tordent les rapports entre l’être humain et Dieu et non comment cela s’est passé. (voir P-1998-07-26.pdf / P-2006-02-19).
    La structure des cinq fils est donc la suivante : avant / après — remédiation humaine / remédiation divine.
    Le premier fil que nous allons suivre est celui des malédictions citées par le récit. On a clairement un avant et un après. Avant, on est dans le jardin d’Eden, après, la grossesse devient pénible, l’accouchement est un lieu de douleur, la sexualité devient un enjeu de pouvoir, le sol est difficile à cultiver, il ne produit pas spontanément des plantes nourricières, l’être humain doit suer pour vivre et finit par retourner à la poussière. Ainsi sont perturbées les fonctions essentielles de la vie humaine : l’amour avec le don de la vie, le travail et la mort.
    Quelle va être la remédiation humaine ? Que peut-on faire face à ces malédictions qui sont les réalités de la vie expliquées comme les conséquences de ce passage de l’avant à l’après ? Que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? « Que dois-je faire ? » et « Que puis-je espérer ? » se demandait le philosophe Emmanuel Kant.
    Le récit lui-même ne laisse rien entrevoir d’une remédiation humaine. L’être humain semble simplement devoir subir ce poids du destin. D’autres pages de la Bible montreront que l’être humain peut justement réinvestir positivement ces trois domaines de la vie que sont « aimer » « travailler » et «  se savoir mortel » pour retrouver goût à la vie, au-delà du malheur.
    Quand on demanda à Freud quel était le sens de la vie, à quoi l’être humain devait consacrer sa vie pour qu’elle ait du sens, il a répondu : « aimer et travailler ». Là où la difficulté de la vie ou du monde voudrait imposer le non-sens, c’est à nous d’y mettre du sens, de l’énergie.
    Que dire face à la mort ? Dans sa règle de vie monastique, Saint Benoît a mis en évidence deux tâches du moine, ce qu’il a résumé dans la formule latine « ora et labora », prie et travaille. Face à la conscience de notre mortalité nous pouvons opposer la prière, c’est-à-dire la vie spirituelle. Cela me semble compléter les propos de Freud. Aimer, travailler, prier sont nos trois réponses aux malédictions de ce récit.
    Qu’en est-il de la remédiation divine ? Là encore, le récit lui-même n’en donne aucune après la liste des malédictions. Mais nous devons nous souvenir du chapitre 2 et de ce que je vous ai dit le 6 juillet. La création a été faite bonne et cette bénédiction reste le cadre voulu par Dieu. Le mal existe, mais il est cadré, contenu, maintenu dans certaines limites. La bonté de la création ne peut être anéantie, la bonté est première.
    Passons au deuxième fil que je veux vous présenter. Il s’agit du fil de la connaissance, du savoir et du non-savoir. Il y a un avant qui est fait de non-savoir, exprimé par la formule « ils étaient nus, mais sans honte » (Gn 2:25). Ensuite, le serpent propose d’avoir accès à un savoir divin (Gn 3:5). Adam et Eve s’emparent du fruit et ouvrent cet accès au savoir.
    Sommes-nous là avec une autre version du mythe de Prométhée ? (Prométhée s’empare du feu réservé aux dieux et le donne aux humains). Non, Genèse 3 n’est pas pareil. Le nouveau savoir d’Adam et Eve ne leur donne aucun nouveau pouvoir. Au contraire, il s’agit plutôt d’une perte, au moins dans un premier temps. Adam et Eve découvrent leur nudité, c’est-à-dire leur vulnérabilité, leur fragilité. Et sans retour en arrière possible.
    L’après, c’est cette conscience de vulnérabilité. Le danger est entré dans leur vie. Ils se cachent de Dieu (v.8). Ils se font des pagnes pour se protéger (v.7). Ils s’aperçoivent d’un manque. C’est une perte. Mais il y a aussi un gain, marqué dans le récit par cette phrase de Dieu « l’être humain est devenu comme l’un d’entre nous ! » (v.22). Phrase qui rappelle l’exclamation du psalmiste « Tu as fait l’être humain presque à l’égal de Dieu » (Elohim dans le texte, parfois traduit par « ange », Ps 8:6). Il y a perte d’innocence, mais il y a gain d’une conscience de soi, de la possibilité d’un savoir, d’une connaissance nouvelle.
    La remédiation humaine annoncée est l’accroissement du savoir. La recherche de la connaissance du bien et du mal, la connaissance morale, avec toute l’ambivalence qui peut en découler. D’un côté une amélioration de la moralité avec une baisse de la violence. Mais de l’autre aussi, lorsque le savoir est pensé comme vérité absolue, il peut devenir violence de l’Inquisition ou violence de l’Etat islamique au Levant qui impose sa morale et sa religion au nom d’une connaissance absolue.
    Quelle remédiation divine ? La première remédiation est l’expulsion du paradis et la fermeture de ses portes (v.23-24). En quoi est-ce une remédiation, me direz-vous ? C’est une façon de signifier la fin d’un accès direct à Dieu. Cet accès direct à la vérité divine que proclamait l’Inquisition et que revendique l’Etat islamique au Levant. Dans le jardin d’Eden, Adam et Eve entendaient Dieu « en direct ». Dorénavant, il faut des médiations. Il y a de l’incertitude sur ce que Dieu dit et veut et c’est mieux comme cela.
    La seconde remédiation, c’est que Dieu va utiliser d’autres canaux (que la voie directe) pour se révéler. Le récit continue, le texte va se déployer : le récit biblique va révéler les autres conséquences (Caïn et Abel, le Déluge, Babel). Et il va montrer comment Dieu va mobiliser des humains, à partir d’Abraham pour se faire connaître. Cette remédiation, c’est toute la révélation de la Genèse à l’Apocalypse. La suite des fils pour les dimanches prochains.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 2. L’être humain, dès le jardin d’Eden, a été créé avec une faille !

    Genèse 2
    13.7.2014
    L’être humain, dès le jardin d’Eden, a été créé avec une faille !
    Genèse 2 : 4-9      Genèse 2 : 15-25      Mt 7 : 1-2

    Téléchargez le texte : P-2014-07-13.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur la création de l’être humain. Je ne reprends pas ce que j’ai dit dimanche dernier sur le fait que les textes ne nous donnent pas le déroulement de ce qui s’est passé, mais nous offrent une perspective sur ce que nous vivons maintenant.
    Le récit ancien de la création de l’être humain nous montre une progression. D’abord, la terre est vide, inhospitalière et inhabitée. Dieu crée l’être humain — il tire l’être humain de la poussière du sol —et la végétation pour l’habiter. Il les crée ensemble, une terre sans humain n’a pas de sens, comme le serait un humain sans terre.
    Un mot sur le vocabulaire hébreu utilisé. Pour désigner l’être humain, l’hébreu utilise le mot ADaM, qui a donné le nom propre Adam. Ce mot est parent avec le mot « sol » (ADaMaH) utilisé dans l’expression « tiré du sol ». Pour marquer cette parenté en français, on pourrait lire le texte en disant : le terrien (ADaM) a été tiré de la terre (ADaMaH), et remplacer « être humain » par « terrien » partout dans le récit. Ce mot ADaM ou terrien n’est pas le même terme que le mot « homme » qui se dit ‘iYSh, avec comme féminin ‘iYShaH. D’où le jeu de mot du v. 23 qui ne donne rien en français « On la nommera femme (‘iYShaH) parce qu’elle a été tirée de l’homme (‘iYSh) ». J’arrête ici la leçon d’hébreu.
    Mais c’était important de comprendre que le récit parle fondamentalement de l’être humain et que c’est fortuit, accidentel, qu’ensuite la femme est tirée de l’homme. Le récit ne changerait absolument pas de sens si l’homme était tiré de la femme pendant son sommeil à elle. Homme et femme sont ici interchangeables. C’est probablement à cause du risque de laisser croire que l’homme serait né d’un accouchement si l’homme avait été tiré de la femme, que le récit a opté pour sa forme « femme tirée de l’homme ». Avec un accouchement, le sens du récit en aurait été totalement changé.
    Le récit ne cherche donc pas à introduire de hiérarchie entre l’homme et la femme dans l’ordre du déroulement de la création. Le récit veut illustrer la place de Dieu. C’est lui qui façonne, aussi bien l’homme que la femme. S’il y a un décalage temporel entre les deux créations, c’est pour mettre autre chose en évidence.
    En effet, le texte introduit — bizarrement — deux failles dans ce récit de la création du jardin, jardin qu’on assimile au paradis, à un état parfait qui précède l’état actuel de la terre et de la vie humaine, un état qui s’est dégradé et que le chapitre 3 met en scène, brièvement dit « la chute » et « la sortie du paradis ». Nous sommes donc encore, dans ce récit, dans ce temps « avant », temps originel, idéal, sans faille !? Non, justement pas sans failles.
    Deux failles sont évoquées, la première avec l’interdit concernant l’arbre du bien et du mal. Et la deuxième lorsque le récit nous présente Adam souffrant de solitude. L’être humain est seul de son espèce, il est singulier, à part, mais de cet « à part » qui veut dire isolement, incomplétude, inachevé.
    Voilà qui est étrange ! Pas par rapport au sentiment d’isolement ou d’incomplétude que nous pouvons ressentir, nous sommes trop habitués à le réaliser. Non, étrangeté que cette incomplétude soit là dès l’origine, dans le jardin.
    Et Dieu s’en rend compte et il va chercher à y remédier par deux fois. Dans un premier essai, il crée tous les animaux et les présente au premier humain. Celui-ci les nomme, mais ne trouve pas l’aide qui lui corresponde, pas de partenaire qui viendrait le compléter.
    C’est alors que Dieu va créer quelqu’un qui sera de sa chair, mais qui ne sera pas son jumeau. Dieu ne crée pas un clone d’Adam. C’est quelqu’un qui lui correspond, mais qui n’est pas identique. Quelqu’un d’autre, mais dans lequel se reconnaître. D’où l’exclamation de l’homme voyant la femme : (littéralement) « voici l’os de mes os, la chair de ma chair » (Gn2:23). Ce n’est pas très poétique en français, mais cela dit la proximité, la parenté, la communion d’origine qui présage de la communion à construire ensemble.
    Le poète du Cantique des cantiques s’exprimera avec plus d’élégance (Ct 4:1-3) :
    1 Que tu es belle, ma tendre amie, que tu es belle ! Derrière ton voile tes yeux ont le charme des colombes. Tes cheveux évoquent un troupeau de chèvres dévalant du mont Galaad. 2 Tes dents me font penser à un troupeau de brebis fraîchement tondues, qui remontent du point d'eau. Chacune a sa sœur jumelle, aucune ne manque à l'appel. 3 Un ruban rouge : ce sont tes lèvres ; ta bouche est ravissante. Derrière ton voile tes pommettes ont la rougeur d'une tranche de grenade.
    Cette solitude d’Adam, comme son émerveillement, dit combien l’être humain (autant l’homme que la femme), combien nous sommes tiraillés entre notre besoin d’être uniques, singuliers, au risque de n’être jamais compris et aimés, et le besoin de faire partie d’un groupe, d’une équipe, d’un couple ou d’une famille. Nous avons en même temps besoin de nous distinguer du troupeau et d’en faire partie, d’être uniques et en même temps englobés, protégés, intégrés.
    Oui, il y a cette faille en nous, dès le jardin d’Eden, et encore en nous aujourd’hui. Elle fait partie de notre humanité, et Dieu n’a pas voulu la supprimer, l’ôter, parce que cela aurait ôté notre humanité, c’est-à-dire notre besoin, notre envie d’entrer en relation.
    Cette faille appartient à la vie elle-même. Le vivant est fait en même temps de force, de rayonnement, de production, d’adaptation, et en même temps de changement, de vulnérabilité, d’inachèvement, d’incomplétude. Dieu n’a pas voulu ôter cela de la vie. Il n’a pas voulu nous blinder. Il a préféré nous donner un autre semblable avec lequel partager ces vulnérabilités et cette incomplétude.
    C’est vrai, en fait, quand se rapproche-t-on le plus de quelqu’un et en même temps de nous-mêmes ? N’est-ce pas quand on trouve une âme sœur avec laquelle partager ses faiblesses, ses soucis, ses failles et ses vulnérabilités ? Ne vivons-nous pas nos moments les plus heureux lorsque nous pouvons montrer à un autre ce qu’il y a le plus au fond de nous-mêmes ? Lorsque nous pouvons nous ouvrir sans avoir peur, sans avoir honte de nous-mêmes, parce que nous nous sentons accueilli par l’autre, avec bienveillance, sans jugement (Mt 7:1-2), avec un cœur ouvert ?
    N’est-ce pas cette nudité du cœur qu’évoque le récit lorsqu’il dit du paradis qu’il est cet endroit (ou ce moment) où l’homme et la femme se sont dévoilés l’un à l’autre et qu’ils n’éprouvent aucune gène ? Dieu a placé l’être humain dans un jardin pour qu’il soit possible de vivre cette ouverture.
    Dieu a créé l’être humain, homme et femme, différents mais complémentaires, pour qu’aucun des deux n’aie la tentation (mais combien de fois l’humanité est-elle tombée dans le panneau ?) de penser qu’un seul des deux peut représenter à lui seul toute l’humanité.
    Dieu a créé l’être humain avec cette faille bienheureuse de ne pas être tout à lui tout seul, afin de trouver avec l’autre de quoi se compléter et vivre les pages heureuses de son existence. Dieu nous a laissé avec cette faille pour que nous découvrions qu’elle est — en fait — une bénédiction lorsque nous nous ouvrons à la présence de notre prochain.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 2. L’intention divine première c’est de bénir la terre et les humains qui y habitent.

    Genèse 2
    6.7.2014
    L’intention divine première c’est de bénir la terre et les humains qui y habitent.
    Genèse 2 : 4-15     Esaïe 55 : 6-13     Jean 4 : 10-14

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Je vous propose pour les dimanches de cet été de nous plonger dans les récits de création que la Bible nous offre. Dans la plupart de nos confessions de foi, — notamment le Symbole des apôtres que nous trouvons à la dernière page de nos psautiers — nous déclarons : « Je crois en Dieu, créateur du ciel et de la terre. » Que voulons-nous dire par là ?
    Affirmons-nous que Dieu a créé le monde de ses propres mains ? Qu’il a conçu le plan de chaque atome du tableau périodique des éléments ou qu’il a inventé chaque plante et chaque animal ? Croyons-nous que Dieu a créé le monde en 6 jours, il y a quelques 6'000 ans ?
    Certains chrétiens le pensent. On dit alors qu’ils sont « créationnistes. » Ils remplacent le discours scientifique par le discours biblique, croyant que la Bible explique comment Dieu a créé le monde.
    Je n’arrive pas à me retrouver dans leurs théories. Je crois que la Bible nous dit autre chose que le « comment » des choses. Je crois que la Bible nous dit le « pourquoi » des choses, ou encore le « pour quoi », le « en vue de quoi » de la vie et du monde.
    Comment donc penser, et pouvoir confesser, Dieu créateur, sans être créationniste, en acceptant que la science dit des choses correctes sur l’origine de l’univers et de la vie sur terre ? Je crois que c’est possible en nous attachant au sens et à l’intention. La Bible nous dit l’intention qu’il y a derrière la présence du monde. Il nous dit le sens de l’existence, de notre présence sur terre et c’est une explication qui a une autre valeur que l’explication scientifique. Deux explications qui peuvent être juxtaposées sans que ni l’une ni l’autre ne perde de sa qualité ni de son sens, parce qu’elles ont des rôles différents.
    Je vais l’expliquer par un exemple concret qui porte aussi sur deux explications concernant une question d’origine. Lorsqu’un enfant demande à ses parents « Pourquoi est-ce que je suis là ? » Les parents ont le choix entre deux explications. Ils peuvent se lancer dans l’explication biologico-chimique : « Tu sais, lorsque le spermatozoïde rencontre l’ovule… etc… » Ou bien ils peuvent se lancer dans une explication de leurs intentions. « Tu sais, ta maman et moi, nous avions très envie d’avoir un enfant… »
    Les deux explications sont justes, pertinentes, exactes. L’une est scientifique, mais froide. L’autre est poétique, mais pleine de sens et de promesse pour l’enfant, elle va le soutenir dans son être et sa joie de vivre.
    Les récits bibliques de création sont de ce deuxième ordre : poétiques et plein de promesse. Lorsque nous disons que Dieu a créé le ciel et la terre, nous formulons un énoncé poétique qui nous rappelle que Dieu a une intention pour le monde et pour nous, il a un projet pour l’humanité et ce projet passe par notre vie sur cette planète terre.
    Le livre de la Genèse nous présente deux récits de création. Celui du chapitre 1 — un grand poème en 7 strophes pour 7 jours — remonte à l’époque de l’Exil à Babylone. Nous y reviendrons ultérieurement.
    Le récit des chapitres 2 et 3 est plus ancien et plus composite. On le sens plus fruste dans l’explication pratique, mais il est riche par contre d’une dramatique humaine qu’il dessine autour du bien et du mal.
    Le fait même d’avoir deux récits incompatibles entre eux au niveau factuel du « façonnage de la terre » devrait renvoyer les créationnistes à leur étude du texte biblique.
    Que nous dit le récit le plus ancien de l’intention divine pour l’être humain et le monde ? (En fait, je vais réserver la part sur l’être humain pour dimanche prochain.)  Que nous dit ce récit de Genèse 2 sur le monde ? Ce récit utilise l’eau comme une métaphore pour nous parler du monde.
    Il y a un état premier où la terre est sèche. Elle existe, mais rien ne pousse, c’est pire qu’un désert. Il n’y a ni arbuste, ni herbe, ni être humain.
    Dans un deuxième état, il y a une sorte de brouillard, de brume qui s’élève de la terre pour l’irriguer. Mais il n’y a toujours pas de végétation.
    Il faut un acte de Dieu pour y implanter l’homme, puis la végétation. L’homme est là pour cultiver cette végétation. Ensuite le récit s’interrompt pour parler géographie. Une sorte de parenthèse, un paragraphe copié-collé ici dont on ne connaît pas l’origine.
    Il situe l’Eden (vers l’est) et le donne comme la source d’un fleuve qui traverse le jardin et en sort en se séparant en quatre bras pour irriguer la terre. Deux fleuves ne sont pas identifiés et deux autres, le Tigre et l’Euphrate, sont connus, c’est le croissant fertile.
    Ce paragraphe lie le jardin et la terre habitée à la même source, unique, qui vient de l’Eden. L’eau voulue par Dieu va donner la vie, pas seulement au jardin — on anticipe le drame de Genèse 3 — mais à la terre entière, les territoires connus comme les territoires inconnus. 
    Il y a là l’affirmation d’une bénédiction première et universelle. Quoi qu’il se passe dans l’histoire humaine, la vie et la bénédiction sont premières. On sait déjà — parce qu’on connaît la suite, et tout être humain sait qu’il n’habite plus le jardin d’Eden — que la vie est difficile sur la terre. Mais ce récit de création affirme que cette vie difficile s’inscrit dans un cadre qui est fait de bénédiction. 
    Une façon de dire déjà que des limites sont posées face au mal et au malheur. L’intention divine première c’est de bénir la terre et les humains qui y habitent. A l’origine, il y a une bénédiction et à l’horizon, il y a la promesse d’un pays où habiter. C’est le cadre de la création. (On verra dans la lecture du poème de Genèse 1 à quel point le caractère « habitable » de la terre est souligné).
    Ainsi, ce récit, le plus ancien, confesse que le monde n’est pas le résultat d’un accident, mais d’une intention. Ce récit montre que l’être humain ne naît pas non plus accidentellement. Le monde est là pour accueillir l’être humain et sans lui le monde est comme en attente. Le monde est l’objet de la bénédiction divine, depuis le début. Nous ne sommes pas un accident de l’histoire, tombés par malheur dans un monde maudit.
    Comme des parents peuvent dire à leur enfant : « Nous avons souhaité que tu nous sois donné et nous sommes heureux que tu sois là et grandisse avec nous » dans ces récits de création, c’est comme si Dieu nous disait : « J’ai disposé le monde pour vous accueillir et j’ai souhaité que vous soyez là pour y habiter. Je suis heureux que vous puissiez y vivre sous mes yeux. »
    Voilà ce que nous confessions lorsque nous disons : « Je crois en Dieu, créateur du ciel et de la terre. »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 45. Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)

    Genèse 45
    8.9.2013

    Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)

    Genèse 37 : 1-9      Genèse 45 : 1-10     Marc 9 : 33-37
    Télécharger la prédication : P-2013-09-08.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    J’aime beaucoup cette histoire de Joseph, le fils de Jacob. Cette histoire nous parle de la vie, de la vie réelle, avec ses hauts et ses bas, les relations difficiles, les chutes et les ascensions vertigineuses.
    Précisément, cette histoire nous parle de la jalousie dans une fratrie, de la haine et du rôle de bouc émissaire quand les frères veulent tuer Joseph, et finalement le vendent comme esclave. Cette histoire parle du travail qui fait progresser et de l’injustice qui fait chuter, Joseph se retrouve en prison. Cette histoire nous parle de compétence et de réseau social quand la capacité à interpréter les rêves fait sortir Joseph de prison et l’amène devant Pharaon qui le nomme premier ministre.
    Ce récit nous parle de relations familiales difficiles, de mise à l’épreuve pour sonder les intentions, de tentatives de réconciliation, de savoir s’il faut ou non montrer ses émotions, de remplacer la rancune par la générosité.
    Ce récit peut donc être lu comme un enseignement sur la vie, comme une histoire déployant une certaine sagesse, dont nous pouvons tirer des leçons pour notre vie. Mais cette histoire n’est pas seulement cela. Cette histoire peut également se lire à un deuxième niveau, en regardant ce qui donne la force à Joseph de tout supporter et de surmonter les événements contraires, les malheurs. Oui, comment supporter la haine de ses frères, comment supporter d’être injustement jeté en prison, comment rester zen à ce point ?
    Joseph peut le faire parce qu’il regarde ce qui lui arrive d’une façon différente de l’ordinaire.
    Reprenons les rêves d’adolescent que Joseph raconte à ses frères : les onze gerbes de blé et les onze étoiles figurent ses frères qui se prosternent devant lui. Les frères lisent cela au premier degré : Joseph veut devenir leur maître, il veut que ses frères, ses aînés, soient ses serviteurs. Et cela les rend fous et on les comprend.
    La lecture que Joseph fait de ces rêves n’a rien à voir avec la domination. La clé nous en est donnée dans le chapitre 45 de la Genèse, lorsque Joseph dit à ses frères : «  Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de Pharaon. » (Gn 45 :8) En effet, ici le rêve de Joseph s’est réalisé, ses frères se sont prosternés devant lui pour obtenir du blé, mais c’est dans une perspective de salut et pas de domination.
    Joseph ajoute encore — laissant tomber toute rancune : « Ne vous faites pas de reproches pour m’avoir vendu ainsi. C’est Dieu qui m’a envoyé ici à l’avance, pour que je puisse vous sauver la vie. » (Gn 45 :5).
    Joseph ne regarde pas la jalousie et la haine passée de ses frères, il voit la trame sous-jacente de sa vie, comment Dieu a tout organisé pour sauver sa famille. Joseph surmonte tous les obstacles parce qu’il fait pleinement confiance en Dieu, en un Dieu qui le soutient et le relève à chaque étape de sa vie.
    Joseph arrive à avoir et à garder ce regard sur sa vie. C’est le regard qu’essaient de nous donner les Evangiles en nous racontant la vie de Jésus. Un regard qui voit comment Dieu agit, quelles positions Dieu prend dans la vie, pour nous. Et c’est là que nous pouvons faire des parallèles entre la vie de Joseph et celle de Jésus, des parallèles qui viennent de la constance de l’action de Dieu, de sa position permanente. C’est ce que nous apprend la lecture typologique de la Bible, comme nous l’avons déjà vu précédemment.
    Comme les frères de Joseph complotent pour le faire mourir, les prêtres et les pharisiens complotent contre Jésus pour le faire mourir.
    Comme Joseph est écarté, exclu de sa fratrie, Jésus est écarté, exclu de la société des hommes par sa condamnation à mort, « La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle » (Mt 21:42; Mc 12:10; Lc 20:17; Ac 4:11; 1 P 2:7).
    Comme Joseph devient le sauveur de ses frères, Jésus devient le sauveur de l’humanité.
    Dans les deux récits de vie, on voit la position que Dieu prend. Celui que les hommes écartent, Dieu lui donne une place de choix ; celui qui tombe, Dieu le relève. Et là, il est à noter que les évangiles utilisent deux mots pour parler de la résurrection, tantôt Dieu réveille Jésus, tantôt Dieu relève Jésus de la mort.
    Ainsi Dieu cherche toujours à nous relever de nos malheurs, de nos échecs, des injustices qui nous arrivent. Le Dieu de Joseph, auquel il fait confiance, est un Dieu qui recueille les exclus, les laissés pour compte, les méprisés.
    Vous avez entendu Jésus parler à ses disciples quand il les surprend à se demander lequel d’entre eux est le plus important. Il leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9:35).
    Dieu a une autre échelle de valeur que celle de notre société actuelle. L’importance ne dépend pas de la célébrité ou du nombre d’amis sur Facebook. La vraie grandeur se révèle dans le service et souvent dans le service le plus humble, le moins visible.
    Ah si notre société donnait plus de valeur à l’attention d’une maman pour chacun de ses enfants ! Ah si notre société donnait plus de valeur aux gestes de respect des uns envers les autres, on verrai moins d’incivilités ! Ah si notre société donnait plus de signes de reconnaissance à ceux qui exercent des fonctions publiques indispensables au bon fonctionnement de la société : enseignant, gendarmes, infirmières, voyers, caissières, personnel des EMS, etc…
    Ces fonctions de service, si souvent méprisées, Dieu les place en haut de l’échelle des valeurs et nous pouvons nous aussi leur donner une plus juste appréciation.
    Joseph a su voir, dans sa vie, la valeur que Dieu donne à ces services, à ces personnes méprisées et cela lui a donné la force de tenir, de surmonter le malheur, jusqu’au retournement de sa situation.
    Saurons-nous avoir le courage de lire la trace de Dieu dans nos vies, la valeur qu’il donne à chacun de nos gestes ?  Saurons-nous voir comment il retourne les valeurs dans nos vies, comment il peut changer notre regard pour adopter la valeur que lui-même donne plutôt que le mépris qu’affiche la société ? Saurons-nous voir comment Dieu travaille à nous relever, à nous redonner vie et force pour avancer ? Saurons-nous être fiers d’être au service de la société, sachant que Dieu — à défaut des hommes — que Dieu apprécie à sa juste valeur ce que nous faisons et ce que nous sommes ?
    Amen.
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Exode 14. La mort est engloutie (Typologie III)

    Exode 14
    25.8.2013
    La mort est engloutie (Typologie III)
    Exode 14 : 5-31     1 Corinthiens 15 : 51-58

    Télécharger la prédication : P-2013-08-25.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Je continue ma série de l'été qui nous permet de voir comment l'Ancien Testament éclaire certaines paroles du Nouveau Testament et leur donne une dimension plus compréhensible. Cela demande d'entendre les récits de l'Ancien Testament davantage comme des images de notre vie et moins comme des reportages historiques.
    Pour ce matin, j'ai choisis cette parole de l'apôtre Paul qui dit "La mort a été engloutie dans la victoire du Christ" (1 Co 15:54). L'apôtre Paul — dans son annonce de l'évangile —  met la mort et la résurrection de Jésus au centre de son message. C'est sur la croix que tout se joue pour nous. C'est vraiment difficile à comprendre et à croire pour nous aujourd'hui.
    Que veut dire "la mort est engloutie" ? Il est important de s'en faire une idée, puisque c'est ce que nous disons qu'il se passe dans le baptême. Sur la croix, la mort a été engloutie.
    Pour comprendre cette notion, il faut aller voir le récit de l'Ancien Testament que vous avez entendu, sur le passage à pied sec de la Mer Rouge par les hébreux, sous la conduite de Moïse. Souvenez-vous, depuis Joseph, le fils de Jacob, le peuple hébreu habitait dans le delta du Nil, en Egypte. Le peuple s'est développé au point que le pharaon l'a vu comme une menace et l'a réduit en esclavage. Le pharaon a soumis les hébreux à de lourdes corvées, au point de les mener à la révolte.
    C'est Moïse qui mène la révolte et négocie avec le pharaon le départ des hébreux, d'où la célèbre chanson "Let my people go", "Laisse aller mon peuple." Pharaon finit par céder, laisse partir le peuple d'Israël, mais se ravise et se met à les poursuivre avec son armée. Ici commence le récit que vous avez entendu.
    Le peuple a peur, il fait des reproches à Moïse, à quoi bon nous libérer d'Egypte si c'est pour mourir au désert, il y avait assez de tombeaux en Egypte. Sortons de l'histoire d'il y a 3'000 ans pour voir à quel aspect de nos vies ce récit ressemble.
    Parfois, on se trouve à un tournant dans nos vies. On doit quitter une situation établie pour une autre que nous espérons meilleure, Quitter un logement pour un autre. Espérer un autre emploi après avoir été licencié. Et nous vivons des sentiments ambivalents. A un moment nous nous réjouissons de l'avenir, ce sera mieux, il y aura de la place, ce sera plus intéressant.
    Et par moments, nous sommes remplis d'inquiétude, est-ce que ça va jouer, ne devrais-je pas regretter le connu que j'abandonne pour de l'inconnu ? Regrets de ce qu'on quitte et peur de ce qui doit venir. Cela aussi nous habite.
    Ainsi, nous sommes le peuple en marche vers l'inconnu, avec une armée de soucis et d'inquiétude à nos trousses, avec nos interrogations : ai-je fait le bon choix, vais-je réussir ou échouer, vais-je tenir la pression, le stress ?
    A chacun de donner un nom à cette armée qui nous poursuit dans le chenal que Moïse a ouvert devant nous dans la Mer Rouge. A chacun de donner un nom à la terre promise qui nous attend après la traversée du désert. A chacun de nous de donner un nom à la force qui ouvre un chemin devant nous et qui engloutit derrière nous les soucis, les angoisses ou le désespoir qui nous poursuivent.
    Comme chrétiens, nous entendons comme venant de Dieu les paroles de Moïse à son peuple : "N'ayez pas peur, tenez bon et vous verrez comment le Seigneur interviendra." (Ex 14:13) Le Seigneur intervient pour ouvrir une voie devant nous. Une route qui éloigne des tombeaux de l'Egypte et qui nous conduit à la vie, à une vie vraie, enrichissante. Cette traversée, de la mort vers la vie, nous la symbolisons dans le baptême en Christ.
    L'eau du baptême, nous la recevons comme l'eau de la Mer Rouge, que nous traversons vers la vie et qui vient engloutir tout ce qui nous poursuit, qui vient engloutir le mal que nous traînons derrière nous. Evidemment, lorsque nous baptisons un tout petit enfant, nous ne pensons pas à ce qui l'encombre maintenant, mais plutôt aux fardeaux qu'il accumulera petit à petit, comme nous l'avons fait nous-mêmes jusqu'à maintenant. 
    En nous rappelant notre propre baptême, nous pouvons demander à Dieu de nous faire — à nous aussi — traverser à nouveau la Mer Rouge pour qu'il noie derrière nous tout ce qui nous encombre et nous freine. Pour noyer, engloutir tout ce qui nous retient dans notre Egypte intérieure et nous empêche de marcher, de progresser vers la terre promise. Pour noyer, engloutir nos angoisses et nos peurs, pour pouvoir marcher dans la confiance et la sérénité. Pour noyer, engloutir tout ce que nous n'arrivons pas à nous pardonner à nous-mêmes.
    Sur la croix, le Christ a à nouveau traversé cette Mer Rouge pour que la mort elle-même soit engloutie, anéantie, pour que tout ce qui doit mourir en nous soit emporté avec le Christ sur la croix, afin que nous recevions la vie, la vraie vie, la vie en abondance.
    "N'ayez pas peur, tenez bon, Dieu nous donne la victoire en Jésus-Christ." (Ex 14:54 et 1 Co 15:57) Si nous acceptons de faire ce chemin avec lui, à entrer dans ce chemin de la Mer Rouge, à faire le saut de la foi, alors Dieu engloutira derrière nous tout ce qui nous fait peur, tout ce qui nous angoisse, toutes nos fautes, pour nous conduire dans une vie libérée et joyeuse. 
    Oui, Dieu ouvre devant nous un avenir et nous pouvons avancer à notre tour avec cette confiance qu'un chemin se dessine sous nos pas et que Dieu engloutit derrière nous — en Christ — nos peurs et nos angoisses.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 22. D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

    Genèse 22
    18.8.2013
    D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

    Genèse 22 : 1-14    Hébreux 11 : 11+17-19     Jean 1 : 24-31
    Télécharger la prédication : P-2013-08-18.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans ma série de l’été sur la lecture typologique de la Bible, nous embarquons ce matin dans un des textes les plus difficiles de l’Ancien Testament, la ligature d’Isaac, titre préférable — et utilisé par les juifs — au sacrifice d’Isaac, parce que justement ce sacrifice n’a pas eu lieu.
    Un mot d’abord sur la lecture typologique. C’est la lecture qui a été pratiquée par la première Eglise, avant la rédaction du Nouveau Testament et poursuivie plus tard, qui consiste à chercher dans l’Ancien Testament ce qui est dit du Christ et de son destin. Le Père de l’Eglise Irénée disait : « Partout dans l’Ecriture se trouve disséminé le Fils de Dieu » (Contre les hérésies, IV, 20 et 39). Chercher la présence du Christ dans l’Ancien Testament donne une saveur au texte et à la recherche, et contribue à éclairer notre compréhension des mystères du Christ.
    Voyons comment cela peut apparaître avec le récit de Genèse 22. Une première lecture du récit, avec les lunettes du XXIe siècle nous fait apparaître des personnages aux comportements inacceptables ! Quel père indigne, quelle image de maltraitance que de soumettre un enfant à un simulacre d’exécution !
    Mais la Bible n’est pas un journal du matin, ce récit n’est pas un reportage. Le texte est le fruit d’une histoire et d’une longue réflexion qui expose une construction théologique, que nous allons nous efforcer de comprendre.
    S’il est effectivement choquant que surgisse la demande d’un sacrifice humain, il faut relever que le récit est justement construit pour l’éviter, puis pour condamner la pratique des sacrifices humains. Ce but a sûrement été la première raison de la rédaction de ce récit : Dieu ordonne de sacrifier un animal, pas un humain.
    Le récit de la ligature d’Isaac est donc un récit sur la substitution, sur l’échange : la vie humaine est sauvée par son remplacement par la vie animale, un bélier ou un agneau. Cela a probablement été le « premier travail » du Dieu d’Israël d’abolir les sacrifices d’enfants (Michée 6:7) qui étaient pratiqués dans la religion phénicienne ou celle du dieu Moloch. L’institution du Temple et des sacrifices animaux en découle. C’est un net progrès de la vie religieuse, mais cette économie du sacrifice reste une économie de marchandage entre l’être humain et Dieu. « Je te sacrifie cela, mais alors donne-moi ceci… » ou « Si tu me donnes cela, alors je te sacrifierai ceci… » Vous connaissez ces marchandages qu’on fait avec Dieu quand on est pris dans une situation inextricable.
    Est-ce vraiment le type de relation que Dieu veut entretenir avec nous ? Est-ce que ces marchandages suffisent à tenir éloignée de nous l’angoisse d’en faire assez, d’être à la hauteur ou d’être assez juste devant Dieu ? Soyons honnêtes, cette économie du marchandage religieux ne peut qu’aboutir à notre désavantage devant Dieu. Qui peut se prétendre sans tache, sans péché ?
    La substitution d’Isaac par le bélier annonce l’intention de Dieu de sauver l’être humain, mais pas seulement d’éviter d’être sacrifié, mais aussi d’être sauvé de l’angoisse de l’insuffisance, d’être sauvé de la mort pour vivre, d’être réhabilité dans la présence de Dieu. Ainsi, cette substitution d’Isaac annonce une nouvelle substitution et un nouvel échange, celui du Christ. Et c’est là que nous pouvons repérer les similitudes entre ce récit et celui de la Passion de Jésus énoncées dans le Nouveau Testament. Isaac et Jésus sont dit « fils unique » ; ils se soumettent tous deux à la volonté de leur père. Abraham arrive sur la montagne le troisième jour (Gn 22:4). Jésus porte sa croix comme Isaac porte le bois du sacrifice. Il y a substitution d’Isaac par le bélier. Une substitution a lieu avec Jésus-Christ. Cette substitution est exprimée de différentes façons dans le Nouveau Testament.
    On peut mentionner la phrase de Caïphe que j’ai mentionnée dimanche passé : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt plutôt que tout le peuple. » (Jn 18:14) Cette phrase de l’Evangéliste Jean est à double sens. Elle dit aussi bien l’utilité pragmatique qu’y voit Caïphe que la vérité théologique de la substitution : en effet, la mort de Jésus remplace la mort de toute l’humanité. Et on peut mentionner le personnage de Barrabas (Jn 18:40) qui a la vie sauve parce qu’il est remplacé par Jésus comme condamné à mort.
    Et puis, il y a l’annonce de Jean-Baptiste qui dit à propos de Jésus : « Voici l’agneau de Dieu. » (Jn 1:29) Cela donne l’impression que Jean-Baptiste fait une substitution inverse du récit de Genèse 22 : l’agneau du sacrifice redevient un être humain. Mais justement, le récit de la ligature d’Isaac nous interdit ce retour en arrière. Dieu ne va pas défaire ce qu’il a fait précédemment. La mort de Jésus n’est pas un sacrifice humain. Il y a bien une substitution, mais elle est d’homme à homme, d’être humain à être humain et pas sur le mode du sacrifice.
    Je reviens un peu en arrière. Nous avons vu que le mode de fonctionnement du Temple est un système de marchandage ou de rétribution. Il a fallut mettre cela en place pour supprimer les sacrifices humains. Cet échange était une bonne chose, mais ce n’est pas l’idéal auquel Dieu voulait aboutir. Il y a encore un changement à faire.
    En fait Dieu — et on le voit abondamment chez les prophètes, quand ils disent, ce ne sont pas les sacrifices, mais la justice que je demande (Prov 21:3, Es 1:10-17, Michée 6:6-8) — Dieu souhaite sortir du système des sacrifices pour arriver à un autre mode de relation, sur le mode de la justice et de la confiance. C’est la confiance, la foi, que Dieu cherche, pas la soumission par le marchandage et la rétribution.
    Pour arriver à une relation de confiance entre l’être humain et Dieu il faut sortir de l’économie du Temple, il faut sortir du tribunal où tout se paie. Pour sortir de ce système marchand, il faut effacer l’ardoise et repartir sur une autre base. Ce n’est pas le débiteur qui peut effacer l’ardoise, mais seulement le créancier, en donnant un gage de sa bonne volonté, de sa bonne foi. Et Dieu l’a fait en se donnant lui-même à l’humanité, sous la forme de ce qu’il a de plus précieux, son fils unique. Ainsi, Dieu lui-même opère la deuxième substitution, notre dette contre son bien le plus précieux. C’est ce qu’on exprime lorsqu’on dit que Jésus est mort à notre place, qu’il est mort pour nous. Ce n’est pas un sacrifice, c’est un don. Cela ne relève plus de l’économie marchande du Temple, mais de l’économie non-marchande de l’amour.
    Ainsi, ce que nous apprennent ensemble Genèse 22 et le Nouveau Testament, c’est que deux substitutions successives — Isaac remplacé par le bélier, l’humanité remplacée par Jésus-Christ — ont produit le changement voulu par Dieu : quitter le domaine du marchandage religieux pour entrer dans une relation nouvelle avec Dieu,  une relation marquée par le don et plus par la dette; une relation marquée par l’amour et plus par la peur; une relation marquée par la reconnaissance et plus par le sacrifice ; une relation marquée par la vie et plus par la mort.
    La ligature d’Isaac remplace le sacrifice humain par le sacrifice animal, mais reste dans le système de rétribution. Jésus, qui donne librement sa vie pour remplacer tous les sacrifices et les marchandages avec Dieu, ouvre une relation nouvelle avec Dieu, une relation faite de confiance et d’amour réciproque. Ainsi la Passion du Christ nous révèle la nouvelle nature de la relation à Dieu, une relation d’amour.
    Dimanche prochain, nous traverserons la Mer Rouge avec Moïse et nous verrons ce que ce récit apporte à notre compréhension du baptême.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2013