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k) Matthieu - Page 3

  • Matthieu 27. Le rideau du Temple est déchiré

    Matthieu 27

    30.3.2018

    Le rideau du Temple est déchiré

    Esaïe 53 : 1-12 Hébreux 10 : 19-24 Matthieu 27 : 35-38 + 45-53

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous avons entendu le passage biblique qui raconte la mort de Jésus. Lorsque je relis ce récit — comme l'ensemble du récit de la Passion — je suis frappé par la sobriété du récit. On aurait pu imaginer que les premières Eglises, dans un élan de mémoire et par vénération pour leur Seigneur, aient enjolivé le récit, rajouté toutes sortes d'éléments pour bien montrer le rôle exceptionnel de leur héros ! Non, rien de tout cela. Le récit est court, sobre, mesuré. On voit que chaque mot est pesé, pensé, porteur de sens, de signification, mais il n'y a pas de dérive vers le fantastique ou le miraculeux — au contraire, pourrait-on dire.

    Il y a comme la nécessité que ce récit soit un procès-verbal fidèle de ce qui s'est passé, dans son dépouillement, sa crudité, sa cruauté aussi. Le sens vient du compte-rendu et non de rajouts. Cela est possible par le fait que les mots utilisés pour rendre compte des événements sont autant de renvois à d'autres textes et récits pour l'auditeur averti.

    On pourrait dire que les évangélistes sont les inventeurs de ce qu'on appelle en langage informatique de l'hypertexte ! De l'hypertexte, c'est un mot qui s'affiche en couleur sur l'écran et sur lequel on peut diriger le curseur de la souris et cliquer. Du mot choisi surgira une nouvelle fenêtre sur laquelle on peut lire une information supplémentaire concernant ce mot.

    Pour le récit de la mort de Jésus, ces informations supplémentaires viennent de l'Ancien Testament. Ce n’est qu'au travers du message de l'Ancien Testament que la mort de Jésus a pu être comprise par les disciples.

    La relecture de la Passion passe donc par le Ps 22 (que nous avons antiphoné au début du culte 64-23) et par Esaïe 53 (que nous avons entendu). Dans ces deux textes se trouvent un grand nombre de paroles qui aident à comprendre la mort de Jésus, comme messie souffrant.

    Un mot dans le récit de la mort de Jésus a retenu mon attention cette semaine : "Jésus poussa un grand cri et mourut. A ce moment, le rideau suspendu dans le Temple se déchira, depuis le haut, jusqu'en bas" (Mt 27:50-51).

    Le rideau qui se déchire n'est pas une citation de l'Ancien Testament, ne se trouve ni dans le Ps 22, ni dans Esaïe 53, et pourtant les trois évangélistes le mentionnent ! C'est une phrase intrigante. Que veut-elle nous dire ? Cela se passe exactement au moment de la mort de Jésus. Cela signifie que la mort de Jésus provoque quelque chose à l'intérieur du Temple.

    Le rideau dont il est question sépare le lieu saint où sont apportées les offrandes par les prêtres, du lieu très saint ou devraient résider l'Arche de l'alliance et les Tables de la Loi (je dis "devraient" car elles ont disparu lors de la démolition du premier Temple en 587 avant J.-C.).

    Le lieu très saint est inaccessible aux hommes, sauf une fois par an, par le grand-prêtre, pour un rituel du pardon des péchés de tout le peuple. Le grand-prêtre doit en premier offrir (hors du saint des saints) un sacrifice pour ses propres péchés et accomplir un rituel de purification. Ensuite seulement, il peut entrer dans le lieu très saint, apportant à Dieu l'ensemble des péchés du peuple d'Israël.

    Il y a deux éléments dans cette partie rituelle, une aspersion de sang sur l'arche et le rituel du bouc émissaire qui sera ensuite envoyé dans le désert avec les péchés du peuple (voir Lév. 16).

    Ainsi le grand-prêtre doit se présenter devant Dieu sans péché et apporter tous les péchés de son peuple pour le grand pardon.

    Lorsque les évangélistes affirment que le rideau du Temple s'est déchiré de haut en bas au moment où Jésus meurt, ils déclarent en quelque sorte qu'à ce moment Jésus entre dans le lieu très saint. Il entre en tant que grand-prêtre sans péché et portant les péchés de tout le peuple, voire de la terre entière.

    Si le rideau est déchiré, c'est que cette entrée est faite une fois pour toute, définitivement et que le rideau n'a plus d'usage après cela. Ce qui devait séparer les humains de Dieu n'a plus lieu d'être dès que Jésus l'a franchi. Les rapports entre Dieu et les humains sont fondamentalement et définitivement changés. Il n'y a plus de séparation entre Dieu et les humains. Il n'y a plus de rideau. Il n'y a plus que le Christ qui fait le lien entre Dieu et les humains, entre les humains et Dieu.

    Dieu — en Jésus-Christ — prend sur lui d'ouvrir à tous son pardon, ce qu'aucun de nos efforts ne pouvait rendre possible, ce qu'aucun sacrifice ne pouvait rendre possible.

    Le rideau déchiré abolit la séparation, marque la réconciliation que Dieu offre aux humains.

    "Ainsi, frères — comme le dit la lettre aux Hébreux — nous avons la liberté d'entrer dans le lieu très saint, grâce au sang du sacrifice de Jésus. Il nous a ouvert un chemin nouveau et vivant au travers du voile (...). Approchons-nous donc de Dieu avec un cœur sincère et une foi pleine d'assurance (...). (Heb. 10:19-22).

    Voilà ce que Jésus accomplit pour nous aujourd'hui !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Matthieu 27. A Vendredi-saint, une condamnation qui devient salut.

    Matthieu 27

    18.3.2018

    A Vendredi-saint, une condamnation qui devient salut.

    Exode 12 : 5-7 + 12-13      Matthieu 27 : 11.27

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous avançons dans le temps de la Passion, nous approchons de Pâques, dimanche prochain, ce sera déjà les Rameaux.

    La lecture choisie se trouve dans le récit de la Passion dans l'évangile de Matthieu. Depuis leur arrivée à Jérusalem, les disciples ont déjà vécu l'épisode de l'onction à Béthanie, le dernier repas avec Jésus où il a mystérieusement transformé le sens du repas de la Pâque. Puis il y a eu la soirée à Gethsémané, l’arrestation et le reniement de Pierre. Maintenant, nous en sommes au procès de Jésus intenté par les autorités religieuses de Jérusalem. Ces autorités en appellent maintenant à Pilate, le procurateur romain, l'autorité politique et religieuse la plus haute de la région.

    Jésus comparaît donc devant Pilate, qui représente toute la puissance de l'empire romain. Jésus ne paraît pas impressionné, plutôt indifférent. Jésus ne répond même pas aux accusations, il ne trouve même pas nécessaire de se défendre, de se justifier. Jésus est là, tranquille, il a l'air sûr de son destin, de son innocence, comme de sa condamnation. Il ne cherche ni à y échapper, ni à confondre ses accusateurs. Il semble savoir que malgré leurs accusations, leurs cris, les manipulations de la foule — en fait — ni Pilate, ni les grands-prêtres ne peuvent modifier son destin.

    Les évangélistes —Matthieu ici — ne font pas des rapports journalistiques des événements, ils ont écrit ces textes pour que nous comprenions la signification des événements.

    Ici, la première chose à comprendre, c'est que tout est entre les mains de Dieu, plutôt qu'en celles des hommes, qu'ils soient bons ou méchants. Tout est entre les mains de Dieu et le résultat sera différent de ce que les humains ont en vue ! Il y a à la fin de ce récit du procès, une phrase terrible : pour décider Pilate à condamner Jésus, le peuple déclare : "Que les conséquences de sa mort retombent sur nous et nos enfants." (Mt 27:25) Le peuple est prêt — dit-il — à assumer les conséquences de sa volonté, que le sang de Jésus retombe sur lui !

    Le sang dans la pensée juive est le siège de la vie. Très pratiquement, lorsque quelqu'un saigne beaucoup, il meurt. Au tout début de la Bible, le sang d'Abel réclame vengeance contre Caïn. Lorsque le sang coule, il doit y avoir vengeance, réparation, quelqu'un doit payer. Le peuple dit être prêt à en payer le prix. Voilà le sens premier de cette phrase, lue du point de vue de la culpabilité.

    Mais Matthieu nous fait également un clin d'œil ironique et paradoxal ! Pour le croyant ou le lecteur averti, le sang de Jésus a coulé pour le salut de tous les humains. C'est ce que Jésus nous a fait connaître dans la sainte Cène : en donnant la coupe de vin, Jésus dit : "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance qui est versé pour le pardon des péchés." (Mt 26:28)

    Le sang versé sur la croix, c'est le sang de l'agneau pascal, de la Pâque qui rappelle la libération d'Egypte après la dixième plaie contre le pharaon. A la Pâque, du temps de l'Exode, du sang de l'agneau a été appliqué sur les linteaux de la porte de la maison pour en interdire l'entrée à l'ange exterminateur. C'est une mesure qui sauve les habitants de la maison.

    Lorsque le peuple dit à Pilate : Que le sang de cet homme retombe sur nous et sur nos enfants", le peuple ne sait pas quelle vérité théologique il prononce. Il ne sait pas dans quelle mesure il participe, dans le savoir à l'établissement du salut.

    En une seule phrase, Matthieu exprime notre double destin à tous : tout ce que nous tentons, par nos propres efforts, ne sauraient nous rapprocher de Dieu suffisamment pour être sauvés; mais Dieu accepte et transforme nos tentatives pour accomplir sa volonté de salut.

    Dieu est le spécialiste des grands retournements, des grands renversements, des grandes conversions. Il nous surprend, il nous prend à rebrousse-poil, non pas pour nous contrarier, mais pour nous remettre dans la bonne direction, même s'il faut faire un demi-tour. C'est ainsi — et c'est le plus grand des retournements — qu'il ôte toutes nos misères, nos insuffisances et nos fautes, pour les placer sur la croix, où un innocent est pendu à notre place.

    Le procès de Jésus devant Pilate est écrit pour nous faire voir l'innocence de Jésus — l'agneau sans défaut. Il y a deux signes indirects : le silence de Jésus et l'absence de contenu aux accusations. Il y a aussi un signe direct : le message de la femme de Pilate à son mari : "N'aie rien à faire avec cet homme innocent".

    Dans les évangiles : Cherchez la femme ! C'est incroyable le nombre de fois où ce sont des femmes qui donnent la réponse vraie, le message de la foi. A Béthanie, c'est la femme au parfum qui porte témoignage du destin de Jésus. Avec Pierre, c'est une servante qui lui révèle sa vraie identité, sa vraie appartenance, malgré les circonstances difficiles et même si Pierre ne veut pas s'y reconnaître pour le moment. Ici, c'est la femme de Pilate. A Pâques, ce seront des femmes qui — les premières — découvriront le tombeau vide et comprendront l’extraordinaire de la situation.

    Ici, la femme de Pilate perçoit l’innocence de Jésus et en averti son mari qui a — en apparence — la vie de Jésus entre ses mains. Il a bien ce pouvoir « en apparence » comme tous les autres acteurs qui pensent maîtriser la situation.

    La phrase à double sens de Matthieu "Que le sang de cet homme retombe sur nous et nos enfants." (Mt 27:25) souligne que personne ne sait vraiment ce qui se passe et dans quel cercle de violence il est happé, en même temps acteur et victime. Seul Dieu voit le drame qui se déroule. Seul Dieu peut faire en sorte que le sang du malheur et de la vengeance devienne le sang du salut et de la vie. Encore une fois dans l’histoire de son peuple — cela se passe depuis Abel — Dieu va prendre le parti de la victime. Dieu va réhabiliter ce Jésus mort sur la croix en le ressuscitant.

    Cette phrase à double sens nous prépare et nous guide vers le plus grand retournement de toute l'histoire que Dieu opère : faire en sorte que celui qui était mort sur la croix ressorte vivant du tombeau.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Matthieu 18. Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 11.3.2018

    Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 : 21-34

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Depuis plusieurs mois nous racontons des paraboles aux enfants. Comme vous l’avez vu, nous nous sommes penchés sur cette parabole du « serviteur qui ne veut pas pardonner », c’est son nouveau nom. Autrefois on parlait du « serviteur impitoyable », ce qui était peut-être plus exact — il n’a pas pitié de son compagnon — mais peut-être moins politiquement correct.

    Le titre « le serviteur qui ne veut pas pardonner » est moins juste également parce qu’il gomme un décalage entre l’intervention de Pierre sur le pardon et le contenu de la parabole de Jésus. Pierre pose une question sur le pardon envers celui qui a péché contre lui. Dans sa parabole, Jésus ne mentionne jamais le péché, il ne parle que de dette et de remise de dette. Le serviteur est impitoyable en ce qui ne remet pas la dette de son compagnon, comme on la lui a remise. Il n’est pas question d’un serviteur qui ne pardonne pas.

    Pour parler de pardon — suite à la question de Pierre — Jésus raconte une parabole qui ne parle pas de pardon non plus. Jésus a besoin de faire un détour pour pouvoir recadrer la question du pardon à son prochain.

    Restons donc d’abord uniquement sur cette parabole. Comme souvent Jésus commence son récit en disant : « le Royaume des cieux est semblable à…». Les paraboles servent à expliquer ce qui ne peut pas se laisser expliquer, définir, cerner dans notre logique. Comme Dieu ne se laisse pas enfermer dans des définitions, alors Jésus l’évoque dans ces histoires que nous appelons des paraboles. De même le Royaume des cieux n’est pas une terre localisable, c’est plutôt le monde des relations et surtout des relations nouvelles que Dieu instaure et habite.

    Un des éléments fréquents dans les paraboles, c’est la démesure. Pensez à la petite graine de moutarde censée se développer en un arbre qui abrite les nids des oiseaux. Ou le levain qui fait lever toute la pâte.

    Ici, la démesure est entre les deux dettes. D’un côté 1'500 années de salaire, de l’autre 100 jours de salaire. Imaginez que vous deviez rembourser pour demain 1’500 fois votre salaire annuel, c’est l’énormité de la dette du premier serviteur. Et le serviteur de promettre qu’il remboursera tout, il a juste besoin d’un délai. Il en appelle à la patience de son maître ! Et voilà que le maître (à partir de là le texte dit « le Seigneur ») remet toute cette dette. Il libère totalement son serviteur de cette dette monstrueuse.

    Il y a dans beaucoup de paraboles ce type de retournement, comme dans la parabole des ouvriers de la onzième heure où le maître de la vigne paie la même chose aux derniers arrivés alors qu’on attend des comptes proportionnels au temps travaillé. On attend des comportements logiques, rationnels, habituels alors que les paraboles surprennent. La logique de Dieu est toute différente de la nôtre.

    C’est là que Jésus veut emmener Pierre. La logique du Royaume des cieux n’est pas semblable à notre logique économique, rationnelle. La logique de Dieu est tout autre, elle jette toute calculette aux orties.

    Jésus raconte cette parabole à Pierre (quand celui-ci s’interroge sur le pardon) pour le faire sortir de ses calculs. Dans cette parabole, Jésus nous dit que nous avons une dette impossible à rembourser à l’égard de la vie, que ce soit Dieu, nos parents, la société etc.

    Cette parabole nous invite à prendre conscience de tout ce que nous avons reçu — gratuitement. Nous avons reçu la vie, une famille, une éducation. Nous faisons partie d’un réseau qui fait que nous n’avons que quelques pas à faire pour acheter notre nourriture et nos effets. Nous dépendons du travail de tous les autres humains sur cette terre — et par moment pendant une tranche de notre vie, nous contribuons également.

    Jésus nous appelle à voir tout ce que nous avons reçu, à voir cela d’un côté comme une dette (impossible à rembourser) et de l’autre comme une dette effacée !

    Il n’y a rien de culpabilisant chez Jésus à propos de cette dette. Elle est là, mais elle est effacée. Mais il faut avoir conscience de ces deux faces pour réaliser que nous sommes appelés à la réciprocité. C’est ce que manque le serviteur impitoyable ! Comme il ne réalise pas ce qui lui arrive — l’effacement de sa dette — il ne peut pas accorder la réciproque à son compagnon. C’est parce que notre dette est effacée, que nous pouvons à notre tour effacer les dettes de nos prochains et sortir de relations calculées, comptées, comptabilisées.

    C’est là qu’on revient au pardon. Les mots « remettre» et « dette» sont les mêmes mots qui sont utilisés dans le Notre Père que Jésus enseigne à ces disciples dans le Sermon sur la Montagne (Mt 6:12) et qui sont traduits dans le Notre Père liturgique par : «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » littéralement : «remets-nous nos dettes, comme nous les remettons aussi à nos débiteurs. »

    Comme nous avons été libérés de notre énorme dette de vie, nous pouvons à notre tour remettre les dettes de temps, d’énergie, de soins à ceux qui nous entourent. De même, comme Dieu nous a effacé nos fautes, nos péchés — sans compter — nous pouvons pardonner sans compter à ceux qui nous ont offensés.

    Jésus souligne par cette parabole — pour Pierre et pour nous— que nous ne saurions faire ce pas du pardon et de la remise de ce que nous pensons que les autres nous doivent, que si nous mesurons tous ce que nous avons reçu gratuitement. C’est parce que nous sommes riches de tout cela, que nous ne nous appauvrissons en rien de donner ou pardonner à notre tour. Riche de ce cadeau immense nous pouvons offrir la réciprocité à nos compagnons de vie.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Matthieu 6. Qu’est-ce qui nous rassure ?

    Matthieu 6

    10.9.2017

    Qu’est-ce qui nous rassure ?

    Genèse 6 : 5-8      Genèse 7 : 6-10      Matthieu 6 : 24

    Télécharger le texte : P-2017-09-10.pdf

    Chères frères et sœurs en Christ,

    Quand nous allions, en famille, manger chez mon grand-père, au début du repas il prononçait toujours cette prière : « Mon âme bénit l’éternel et n’oublie aucun de ses bienfaits (Ps 103:2).

    La pratique de la prière avant le repas— le bénédicité — s’est largement perdue aujourd’hui. Pourquoi remercier Dieu pour une nourriture qu’on est allé acheter soi-même au supermarché, avec l’argent qu’on a gagné en travaillant ? Nous ne ressentons plus le besoin d’être reconnaissant d’avoir de la nourriture chaque jour sur notre table.

    J’ai été frappé, dans les émissions de télé-réalité qui mettent des personnes en situation d’avoir faim (comme Kohlanta ou d’autres), combien la reconnaissance refait surface, après le manque, quand les aventuriers trouvent de la nourriture. Tout à coup on se remet à bénir Dieu pour ce cadeau.

    C’est pareil si l’on jette un regard sur le passé : les chasseurs-cueilleurs éprouvent de la reconnaissance quand ils tombent sur une proie ou des plantes qui portent des fruits. Plus près de nous, quand chaque famille avait ses champs et son propre potager et subissait les aléas de la météo. Quelle reconnaissance d’avoir à manger ou d’avoir des voisins qui partagent en cas de pépin ! On pouvait se rendre compte en direct combien la nature est généreuse, ou quand elle ne l’avait pas été, combien le voisin ou la famille lointaine pouvait être charitable.

    Aujourd’hui plus personne ou presque ne bénit la table parce que nous n’avons plus l’impression de reposer sur la générosité, mais seulement sur le mérite de nos efforts, de notre travail ou de notre épargne. Notre position est assurée par ce que nous avons fait. Et nous sommes prompts à penser que ceux qui sont en moins bonne posture le sont par manque d’effort, de travail ou d’épargne. Pourquoi remercier Dieu pour ce qu’on doit à soi-même ?

    En tant que société, nous sommes passés du risque de l’aléatoire — qui s’accompagne de reconnaissance et de partage — à la sécurité, qui s’accompagne trop souvent d’un cœur sec. La cigale chantait, et bien qu’elle danse maintenant, mais sans moi.

    Je pense que la parole de Jésus sur Mamon parle exactement de cela. «On ne peut servir deux maîtres, Dieu ou Mamon.» Il s’agit ici d’une posture, pas de l’épaisseur du portefeuille. Mamon est l’illustration de la sécurité matérielle. Jésus dit : on ne peut pas recevoir sa subsistance, sa sécurité, de deux maîtres opposés.

    La question sous-jacente c’est : qu’est-ce qui nous rassure ? Qu’est-ce qui fait taire notre angoisse existentielle ? Cela vient-il de Dieu, des relations, du côtoiement des humains et des possibilités de partage, de recevoir des autres ? Ou cela vient-il de mes biens matériels, de mon épargne, de l’accumulation des biens de consommation ?

    Où est ce que je puise ma sécurité intérieure ? Ai-je foi dans une Providence divine ? Suis-je conscient que tout ce que je possède, je l’ai reçu dans des échanges. J’y ai mis de moi-même, mais combien d’autres aussi, et peut-être même davantage ?

    La Providence n’est pas à la mode, bien plus, c’est l’ennemi déclaré du système économique. Je constate que le système économique capitaliste a réussi à évacuer la bénédiction de la table. Le capitalisme ne peut que combattre l’idée de Providence divine — avec elle pourquoi travailler si dur ?

    Ce que le capitalisme a réussi avec la Providence divine, il est en passe de le faire avec la providence sociale. Croire au partage des ressources, à l’entraide, à l’échange gratuit, c’est ruiner le système économique qui table sur la peur individuelle de manquer, la peur de la pénurie. Le capitalisme a tout à gagner à ce que chacun augmente ses réserves individuelles, le dieu Mamon vit de notre peur de manquer. Il nous susurre que nous devons être autosuffisant, que nous ne devons dépendre de personne, que notre sécurité repose sur nos avoirs et nos biens.

    Jésus nous invite à ne pas nous laisser piéger dans ce fantasme d’autarcie et d’autosuffisance. Jésus nous présente un Dieu généreux qui nous assure de notre valeur — indépendamment de nos biens, de nos efforts et de notre travail. Jésus nous dit que nous sommes riches de l’amour que nous avons les uns pour les autres. Nous pouvons miser sur nos richesses intérieures et sur le partage de ces richesses intérieures.

    Notre système économique pousse au pillage et à la destruction de notre planète. Notre consommation effrénée appauvrit notre terre et dérégle le climat. Dieu avait assuré qu’il ne renouvellerait pas le Déluge, mais maintenant nous sommes capables de déchaîner nous-mêmes ces catastrophes. Les cyclones Harvey et Irma sont plus énormes que les cyclones précédent à cause du réchauffement climatique. Si nous continuons — en tant que société — à servir Mamon, nous courrons à la perte de l’humanité.

    Nous avons besoin de changer le lieu de notre réassurance existentielle. Dans chaque acte de la vie quotidienne, dans chaque choix de consommateur, nous avons à nous demander qui nous voulons servir : Dieu ou Mamon ? En qui mettons-nous notre confiance ? Avons-nous besoin de plus de consommation ou de plus de partage, de reconnaissance ? Allons nous remettre Dieu dans le cheminement de notre nourriture, de la terre à l’assiette ?

    Notre société industrielle et financière a misé depuis deux siècles sur Mamon et nous voyons où cela nous mène. En qui allons-nous mettre notre confiance ? Au fond de nous, de quoi avons-nous le plus besoin : de davantage de biens matériels ou d’un amour véritable ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

     

  • Matthieu 13. Un rien peut tout embellir ou tout gâcher

    Matthieu 13

    14.5.2017

    Un rien peut tout embellir ou tout gâcher

    1 Corinthiens 5 : 1-2 + 6-8      Matthieu 16 : 5-12      Matthieu 13 : 31-35

    Télécharger le texte : P-2017-05-14.pdf

    Chers frères et sœur en Christ,

    Vous le savez aussi bien que moi, Jésus aimait parler en paraboles. Mais pourquoi utilisait-il des paraboles avant toutes choses ? Là-dessus les avis sont partagés. On a dit aussi bien que Jésus parlait en parabole pour mieux se faire comprendre, en partant de petites histoires qui font appel à l'expérience pratique de ses auditeurs. L'expérience de celui qui cultive ou de celui qui fait du pain. Mais on a aussi dit que Jésus parlait en parabole pour ne pas être compris par tous et que Jésus réservait son enseignement à ses disciples auxquels il expliquait ses paraboles, comme celle du semeur sur quatre terrains ou l'ivraie et le bon grain.

    Pour ma part, je ne crois pas que parler en parabole était un jeu pour Jésus ou même un choix, c'était plutôt une nécessité. Pour dire ce qui est impossible à décrire, à définir, il est nécessaire de faire des détours, il est nécessaire d'utiliser des images, des illustrations. Il est impossible de parler directement de Dieu et de son action, de les décrire comme un objet, parce que Dieu n'est justement pas un objet et que son action est mystérieuse.

    Pourtant Jésus est justement là pour nous en parler. Alors il utilise des images pour enseigner. Par exemple "le Royaume des cieux ressemble au levain qu'une femme enfouit dans de la farine et qui fait lever toute la pâte." (Mt 13:33)

      Voilà, en une petite phrase, Jésus nous dit quelque chose sur la présence mystérieuse de Dieu dans le monde, ou en nous... oui, au fait ! est-ce en nous ? dans le monde ? dans l'Eglise ? En parlant de farine, Jésus laisse libre notre imagination.

      C'est l'avantage des paraboles, elles laissent ouvertes les portes de notre imagination, c'est un langage ouvert qui accueille diverses explications, diverses interprétations, un langage qui rend même les interprétations nécessaires. Personne ne peut dire : "Je sais !", "Je connais la vérité de cette parabole !" Il n'y a pas une interprétation unique et seule juste de cette petite parabole : "le Royaume des cieux ressemble au levain qu'une femme enfouit dans de la farine et qui fait lever toute la pâte." Voyez plutôt.

    On peut l'interpréter en concordance avec la parabole de la graine de moutarde qui devient un arbre où s'abritent les oiseaux (Mt 13 : 31-32). C'est-à-dire qu'une puissance insoupçonnée habite le levain comme la graine. Que cette puissance est là, cachée et présente en même temps, même si elle n'est pas encore réalisée. Dans ce sens, le Royaume des cieux, ce sont d'énormes potentialités qui vont se développer. C'est là l'interprétation la plus classique. Mais il y en a d'autres, dont la suivante.

    Le levain était considéré, dans la société juive, comme un élément corrupteur, impur. Le levain est un ferment et le processus de la fermentation peut gâter un aliment. Par exemple, lorsque votre confiture fermente parce qu'elle aurait dû être conservée au frigidaire, vous n'êtes pas contents, il faut la jeter, elle n'est plus bonne à rien.

    Le levain, le ferment est souvent vu comme négatif et nous en avons l'exemple lorsque Jésus parle du levain des pharisiens avec ses disciples ou lorsque l'apôtre Paul décrit l'immoralité comme un levain qui risque de corrompre toute la communauté.

    Pendant la fête de la Pâque, aussi appelée la fête des pains sans levain, il était important — et cela le reste pour les juifs aujourd'hui — de faire disparaître toute trace de levain dans la maison, parce qu'à partir d'un trace infime tout le processus de fermentation peut reprendre.

    Ainsi, cette parabole peut aussi être lu comme un avertissement : "un rien de levain et toute la pâte est corrompue, inutilisable". Cette interprétation viendrait ainsi faire le pendant à l'optimisme absolu de la parabole du grain de moutarde. Le levain corrupteur vient nous dire que tout n'est pas joué d'avance, automatiquement. Certes le Royaume des cieux est une puissance dynamique formidable, mais ne sous-estimons pas la puissance du mal. A partir d'éléments qui semblent négligeables, auxquels nous ne voulons même pas faire attention, le mal peut soudain se déployer d'une façon que nous n'aurions pas soupçonnée. Cette parabole nous enseigne donc la vigilance quant à chacun de nos actes. Aussi petits et insignifiants paraissent-ils... leurs conséquences — en positif comme en négatif — sont incommensurables.

    Peut-être devrions-nous nous méfier un peu plus du levain des pharisiens modernes, comme Jésus le recommandait à ses disciples. Nous méfier un peu plus — mais comment le faire sans paraître moralisateur ? — du levain contenu dans nos programmes TV; dans nos façons de désigner un peu vite des coupables (la violence des jeunes, comme si les adultes ne développaient pas aussi de la violence, même si elle se voit moins que des tags); du levain contenu dans nos discours économiques qui vantent tant le succès, la force et la compétitivité; dans nos relations quotidiennes qui deviennent vite tendues, agressives, méprisantes; du levain répandu dans les discours politiques qui désignent des boucs émissaires, qui appellent au rejet et à l’exclusion.

    Jésus nous laisse donc libre d’interpréter sa parabole dans un sens positif ou dans un sens négatif. La levure peut être vue comme l’expression de nos actions — bonnes ou mauvaises, avec les résultats qui en découlent. Mais c’est une lecture en extériorité.

    Aujourd’hui, je me rends compte que ce qui fait plus souvent problème, ce qui nous met en difficulté — plus que nos comportements à l’extérieur — ce sont nos actions et réactions intérieures. Ce sont nos voix intérieures, notre théâtre intérieur, qui nous met en difficulté. Ces voix qui viennent mettre en doute notre valeur, qui viennent saper notre moral, qui vienne insinuer que nous sommes coupable ou que nous n’allons laisser aucune trace valable de notre passage sur cette terre.

    Quand une de ces voix se fait entendre dans notre tête (et souvent nous arrivons même à identifier qui parle !) nous partons dans la rumination, dans la répétition et ces messages se mettent à tourner en boucle dans nos têtes, minant notre moral, envahissant notre mental. Un petit peu de ce levain et toute notre journée est gâchée.

    Je crois que le Christ vient prononcer d’autres paroles. Le Christ murmure à nos oreilles un message de paix et de pardon sur nos vies. Le Christ souffle à nos oreilles des paroles de vie eet d’espérance. Le levain de Jésus fait lever un nouveau jour dans nos vies. Lui, peut faire lever un nouveau règne dans nos existences, une voix qui vient couvrir nos ruminations et nos récriminations. Une voix dont le chant vient remettre de la lumière et de la paix dans nos vies.

    Entendrons-nous cette voix du Christ ? Est-ce que nous lui laisserons de la place ? Est-ce que nous laisserons sa voix dominer le concert qui nous habite et souvent nous envahit ? Une pincée de levain fait lever toute la pâte. Faisons en sorte que ce soit le levain du Christ.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

    L'idée du levain corrupteur vient de : A. Maillot, Les paraboles de Jésus aujourd'hui, Genève, Labor et Fides, 1973, pp.32-33.

  • Matthieu 5. Dieu est l’unificateur de l’humanité

    Matthieu 5

    4.9.2016

    Dieu est l’unificateur de l’humanité

    Aggée 2 : 11-13        Matthieu 9 : 13-22     Matthieu 5 : 13-16

    Télécharger le texte : P-2016-09-04.pdf

     

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    J’ai une bonne nouvelle ! Jésus nous dit : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ! » Cela devrait nous remplir de joie, mais cela a un certain goût de rabâché, voir un arrière goût de reproche. On se dit : « je n’ai pas particulièrement brillé ces derniers temps ». Ou « le témoignage ne fait pas partie de mon vocabulaire ». « De manière générale, les chrétiens ne se font pas remarquer par une saveur particulière… » Alors qu’est-ce que Jésus voulait dire par là ?

    Il faut faire un retour en arrière pour comprendre, à partir de la société dans laquelle Jésus vivait. Il faut s’imaginer une société compartimentée entre divers groupes qui ne se fréquentent pas. D’abord entre hommes et femmes : chacun son domaine. Entre juifs et samaritains. Entre autochtones et occupants romains. Entre malades et bien portant. Entre les vivants et les morts. Toutes ces séparations sont bâties sur la notion de pur et d’impur. Entre purs, on est en sécurité, mais dès qu’on sort, on risque d’être contaminé par l’impureté. Le mécanisme est simple comme le résume Aggée : l’impur contamine le pur, c’est toujours dans ce sens. Aussi le pur doit-il se protéger, ériger des barrières, des murs, des remparts pour rester pur. Ce n’est pas une société où l’on se serre la main et où on se fait la bise. On s’évite, on se craint. Gare aux intouchables !

    Or que fait Jésus selon le témoignage des Evangiles ? Il parle en tête-à-tête avec la Samaritaine. Il guérit le fils d’un officier romain. Il touche les sourds et les lépreux. Il se laisse toucher par la femme qui perd son sang. Il se laisse oindre de larmes ou de parfum par une femme. Il va manger chez Zachée et chez Mathieu ! Jésus renverse complètement la logique d’Aggée sur la pureté et l’impureté. Pour Jésus — et c’est son pouvoir divin — la pureté est plus forte que l’impureté !

    La femme qui perd son sang — ce qui la rend impure selon la loi du Lévitique (Lév 15:19) — en a l’intuition : « si je peux seulement toucher son vêtement, je serai guérie. » (Mt 9:21) Un lépreux — directement après le Sermon sur la Montagne — l’explicite ouvertement en disant à Jésus : « Maître, si tu le veux, tu peux me rendre pur ! » (Mt 8:2)

    Jésus renverse complètement le code de pureté du Lévitique. Jésus pratique la contamination positive ! Il rend pur ce qui était considéré comme impur, parce que rien est impur à ses yeux et aux yeux de Dieu. (Reprendre aujourd’hui une seule phrase du Lévitique pour condamner une catégorie de personne, c’est se dresser contre le Christ).

    Cette attitude de Jésus a des conséquences pour la société. Elle a eu des conséquences gigantesques pour le monde. Le monde méditerranéen d’abord, puis l’Europe jusqu’en Irlande, et le Moyen-Orient, en ont été transformés en quelques centaines d’années ! Toutes ces régions se sont converties au christianisme. Cela a été une traînée de poudre. Le christianisme était le sel de la terre et la lumière du monde.

    Quel sel, quelle lumière ? Une ouverture à l’autre, un accueil de l’autre, aussi différent qu’il soit de nous, pas d’importance. Porte ouverte au prosélytisme, parce que l’ouverture est contagieuse. Le message est positif : les barrières sont tombées.

    Y a-t-il eu des réticences à propager le message que le mur de Berlin était tombé, que le rideau de fer n’existait plus ? Le message de Jésus est pareil. Il n’y a plus de barrière entre juifs et grecs, nous dit l’apôtre Paul aux Galates (Ga 3:28), c’est-à-dire plus de barrière religieuse — en clair, il n’y a pas d’impureté à accompagner un voisin à l’Eglise, à la synagogue ou à la mosquée ! Il n’y a plus de statut d’homme libre ou d’esclaves — tous les humains ont la même valeur. Il n’y a plus de barrières entre hommes et femmes, chacun peut serrer la main de chacun, chacun peut montrer son visage à l’autre, personne ne rend personne impur ! Voilà le message de Jésus, voilà le message du christianisme dont nous sommes porteur ! Ah voilà du sel, voilà de la lumière !

    Nous proclamons que nous sommes tous frères et sœurs, même si rares sont les prédicateurs qui saluent l’assemblée d’un « frères et sœurs ». Proclamer que les chrétiens sont frères et sœurs, cela signifie une dé-sexualisation des relations humaines (la sexualité est réservé à la conjugalité) et donc la possibilité de se côtoyer, de se regarder dans les yeux, et de se toucher sans ambiguïté. Cela permet de travailler ensemble, de prendre le bus ensemble, d’être sur la même plage ensemble.

    Jésus à mis en marche un mouvement d’unification du genre humain. Bien sûr, il y a des résistances et des retours en arrière, et il y en a eu beaucoup dans l’Eglise même. Mais ce mouvement est en marche, et l’Eglise devrait être un moteur pour le propager, le répandre, pour disséminer cette doctrine de l’accueil universel et de la valeur égale de toute personne. Le mouvement de contamination positive a été lancé par Jésus, ne vaut-il pas la peine de le propager, de le répandre, comme le levain dans la pâte, comme le sel et la lumière ?

    Vous aurez remarqué que les images du levain, du sel et de la lumière utilisées par Jésus sont positives aussi. Il ne s’agit pas de casser les pieds des gens que nous rencontrons avec un témoignage à l’eau de rose. Nous avons bien plus précieux que cela : les valeurs de Jésus. L’égale valeur de tout individu, hommes et femmes, handicapés et bien portant, autochtones ou étrangers, religieux ou pas religieux.

    Jésus a une vision universaliste de l’être humain parce qu’il a une vision universaliste de Dieu. Le Dieu de Jésus est l’unificateur de l’humanité. C’est très en contraste avec la place des religions dans le monde d’aujourd’hui, qui semblent plutôt être des obstacles.

    Cela questionne notre pratique religieuse ! Cela questionne notre façon de percevoir, de comprendre ce que Jésus voulait mettre en place. Je ne crois pas que Jésus entendait mettre en place un culte particulier, une forme nouvelle du judaïsme qui se rattacherait à lui. Jésus a une vision de Dieu plus large, à la façon des prophètes de l’Ancien Testament qui réclament la justice avant la dévotion. Dieu n’est pas là pour diviser l’humanité sur des questions de culte. Dieu est l’unificateur de l’humanité, le pourfendeur des barrières qui divisent l’humanité en catégories qui s’excluent.

    Si notre pratique religieuse nous sépare des autres humains, alors nous ne suivons pas correctement le Christ ! C’est bien sûr la tentation de toutes les religions, de toutes les Eglises : chercher la pureté, une doctrine plus pure que les autres. Mais cela conduit à la séparation, c’est donc contraire au message du Christ.

    Suivre le Christ — en Eglise, en paroisse — c’est témoigner de cela et mettre en pratique cette ouverture, cette contamination positive à l’égard de tous. Comme cela nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde ! Comme cela nous sommes disciples du Christ.

    Amen

     © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 5. Le Sermon sur la Montagne (IV) : Un être de parole

    Matthieu 5
    10.7.2016
    Le Sermon sur la Montagne (IV) : Un être de parole
    Juges 11 : 29-40      Matthieu 5 : 33-37


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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Voulez-vous un exemple laïc d’une déchristianisation qui me semble bien plus problématique que les églises qui se vident (soi-disant) ?
    Vous avez tous en mémoire l’évocation de la poignée de main entre acheteurs et vendeurs, poignée de main qui scelle la vente d’un char de blé ou de quelques vaches sur un marché vaudois. Cette poignée de main qui garantit l’échange et la validité des paroles échangées.
    Aujourd’hui les conditions générales comportent des pages et des pages de petites lettres, sans parler des contrats de licence et règles de confidentialité qu’il faut approuver d’un clic pour tout téléchargement ou achat sur Internet.
    Jésus avait-il prévu tout cela dans son enseignement du Sermon sur la Montagne ? En tout cas il parle des serments. Cela comprend les vœux, les contrats, les serments et les jurons.
    Les techniciens du langage d’aujourd’hui parleraient de « paroles performatives », c’est-à-dire des paroles qui ont des effets concrets dans la réalité. Lorsqu’un président de séance déclare « le vote est clos », et bien plus personne ne peut arriver et ajouter son vote. Quand le pasteur prononce les paroles du baptême, l’enfant est baptisé. Les paroles, nos paroles, transforment la réalité, c’est pourquoi il faut les prendre au sérieux et les manier avec précaution. Dans certaines circonstances, avec certaines formules « top-là », « pari tenu », « marché conclu », « adjugé », la parole atteste, la parole certifie, la parole conclut, et ajoute-t-on : « cochon qui s’en dédit » !
    C’est cette importance de la parole dite, de la parole donnée, que relève Jésus dans cet antithèse du Sermon sur la Montagne. Il est conscient du poids de la parole et donc de l’enjeu et des risques que comportent ces serments.
    Le terrible exemple de Jephté dans le livre des Juges nous le montre : un serment est extraordinairement dangereux. Le serment engage (en positif aussi : pensez au oui du mariage !).
Jephté se lance dans un serment pour gagner une guerre. Et — pour son malheur— il la gagne. C’est la malheureuse expérience de Jephté qui s’est lancé dans un marchandage avec Dieu et qui se trouve enfermé dans son propre piège.
    Face à cela, Jésus dit : ne faites pas de serment, ni par le ciel ni par la terre ni sur votre tête. Ces serments déshonorent Dieu — c’est penser qu’il peut être acheté — et vous engage sur des enjeux qui ne vous appartiennent pas, vous n’êtes même pas maître de la couleur (naturelle !) de vos cheveux, encore moins de votre vie ou de celle des autres.
    Le serment est trop risqué, il nous dépasse, il nous embarque, ce n’est pas raisonnable, mais plus encore c’est hors de notre portée. Dans le serment, ou le vœu, ou le contrat, c’est tout le langage qui est engagé, c’est donc toute la communauté humaine qui est embarquée. Et, le plus grave, c’est Dieu qui est — au minimum — pris à témoin — au pire — prétendument lié par le contrat.
    Ce lien est plus visible en grec où le terme « logos » signifie aussi bien le langage, la parole avec « p » minuscule que la Parole avec « P » majuscule et donc Dieu lui-même (Jn 1:1). Dans le serment, c’est tout le « logos » qui est pris en otage. C’est le langage, la communication et la parole qui sont pris en otage.
    C’est le propre des lois, règlements et contrats, que tous les mots soient définis, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. C’est justement ce que Jésus dénonce : l’ambiguïté. C’est pourquoi il propose de sauver le langage, la communication, la parole (logos) en proposant que notre oui soit oui et que notre non soit non, sans ambiguïté.
    Le langage est le propre de l’être humain, dit-on. Le langage est également la base, le fondement de la vie communautaire, du vivre ensemble. On doit pouvoir se comprendre. On doit pouvoir convenir des choses ensemble. On doit pouvoir se mettre d’accord pour vivre ensemble. Et pour cela, il faut que notre langage soit clair, compréhensible, et que nous ayons les mêmes références. Ce besoin se traduit en termes d’intégrité, d’honnêteté, de clarté, de franchise.
    Cela commence dans le rapport à soi-même. Devant le logos, c’est-à-dire devant le langage, devant Dieu, comment pouvons-nous penser que Dieu ne connaisse pas d’avance toutes nos « petites lettres » ? Comment penser que Dieu peut se laisser entraîner dans nos petites combines ou nos grands marchandages par nos vœux ?
    La relation à Dieu, nous dit Jésus, n’est pas de cet ordre. La relation à Dieu, c’est l’occasion de nous regarder nous-mêmes avec les yeux de Dieu, sans nous mentir à nous-mêmes, sans esquiver les problèmes, sans se cacher la réalité et malgré tout porter sur soi un regard bienveillant. Jésus nous invite à porter un regard vrai sur nous-mêmes. Être vrai pour être bien et pour être libre, parce que le mensonge sur soi c’est une forme d’esclavage, de servitude.
    Ensuite cette antithèse va plus loin que les vœux et les serments. C’est un style de vie qui est proposé. C’est un style de société qui est proposé. Jésus mise sur l’honnêteté de chacun, sur l’intégrité de chacun, sur la droiture de chacun. Cette droiture individuelle est la base de la confiance communautaire. La poignée de main qui scelle un contrat, c’est le signe de la confiance mutuelle dans la droiture individuelle que chacun se reconnaît.
    Cette droiture se marque par la cohérence entre le dire et le faire. Et en cela Jésus est exemplaire. Il a mis un point d’honneur à rendre son enseignement et sa vie absolument cohérents. Par exemple, son enseignement sur le renoncement à la violence et sur l’amour de l’ennemi, Jésus l’a vécu jusqu’à la mort sur la croix. En cela il a véritablement accompli sa vocation.
    Lorsque Jésus dit « que votre oui soit oui et que votre non soit non » (Mt 5:37), il nous appelle à vivre pleinement notre vocation d’êtres humains. Jésus valorise là ce qu’il y a de plus propre à l’être humain et ce qui le rapproche le plus de Dieu : la parole. Plus notre parole est vraie et plus nous sommes vrais et authentiques, plus nous serons profondément humains et plus nous accomplissons notre vocation d’êtres humains.
    C’est à cela que Jésus nous appelle : à être de parole, à être des êtres de parole, dans chaque mot que nous prononçons, dans chaque geste que nous effectuons, dans chaque relation que nous entretenons, dans chaque pensée que nous développons dans notre être intérieur. C’est à cela que Jésus nous appelle : être un être de parole pour accomplir notre vocation d’être humain.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 8. Le Sermon sur la Montagne (III) Contamination positive

    Matthieu 8
    12.6.2016
    Contamination positive.
    Matthieu 5 : 21-24    Matthieu 7 : 28-29 + 8 : 1-4

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans notre recherche pour mieux connaître Jésus à travers le Sermon sur la Montagne, nous avons déjà vu comment il se place en surplomb lorsqu’il parle, il se place au-dessus de la Loi pour la commenter et la modifier (P-2016-05-22). Ensuite nous avons vu la radicalité des propos de Jésus, combien il exagère, proposant des conduites impossibles à tenir pour provoquer le changement (P-2016-05-29).
    Aujourd’hui nous voulons voir comment Jésus se démarque de l’enseignement des pharisiens et des maîtres de la Loi. Jésus ne renie pas le judaïsme. Il s’inscrit dans cette tradition, il l’assume, il l’aime. Il fait référence à la Torah, à la volonté de Dieu, il se compte comme un fils d’Abraham ; il se voit dans la lignée des prophètes d’Israël. On voit même, dans la fin du récit de guérison du lépreux, qu’il l’envoie vers le prêtre et lui demande d’accomplir le sacrifice prescrit par Moïse.
    Oui, Jésus s’inscrit bien dans la ligne du judaïsme. Mais en même temps, Jésus vient pour redire la volonté de Dieu pour son peuple et c’est là qu’il y a un hiatus. Il y a une distance entre le judaïsme des pharisiens et la juste relation que Dieu veut instaurer entre les êtres humains. Cette distance, c’est Jésus qui l’a fait remarquer, ce ne sont pas les chrétiens — ultérieurement— qui l’ont définie.
    Jésus se démarque vraiment des pharisiens, il propose vraiment une relation différente à Dieu et aux êtres humains. Cette distance, cette nouveauté, c’est ce qui va créer l’insupportable et conduire à la mort de Jésus sur la croix.
    L’enseignement de Jésus se démarque sur le point de vue moral, on le voit dans le Sermon sur la Montagne, dans les reformulations : « Il vous a été dit… mais moi je vous dis…». Mais des désaccords moraux, on peut vivre avec. Ce n’est pas là-dessus que la démarcation est assez forte pour conduire à la mort de Jésus.
    La démarcation porte sur la vision globale du monde ; celle des pharisiens et celle de Jésus diffèrent complètement. Et l’ensemble des récits des Évangiles expriment cette distance, cette différence. Voyons ces différences. J’en relèverai trois.
    1.  Les pharisiens pensent qu’une bonne relation à Dieu, la relation qui peut leur assurer le salut, passe par une observance stricte de tous les détails de la Loi. Cette obéissance les différencie des païens qui n’ont aucun accès à Dieu. Cette vision des choses domine dans l’observance du sabbat, c’est là qu’on voit la différence entre les bons juifs et les autres.  Jésus remet tout cela en cause par les guérisons qu’il opère le jour du sabbat, surtout lorsqu’il demande aux pharisiens : « Est-il permis de faire du bien de jour du sabbat ?» (Mt 12:12) Question combien embarrassante.
    Jésus remet complètement en cause la vision du monde et de Dieu des pharisiens lorsqu’il pose le principe selon lequel le sabbat est fait pour l’homme, non pas l’homme pour le sabbat. Premier pas, Jésus place l’être humain au-dessus de l’obéissance.
    2. Vous avez entendu dans les lectures que Jésus demande à celui qui se rend compte — au Temple — qu’il est toujours brouillé avec son frère, de laisser là son offrande et d’aller se réconcilier avec lui.
    Deuxième pas : Jésus place les bonnes relations — la réconciliation — au-dessus du culte à rendre à Dieu. C’est incroyable ! C’est un renversement insensé pour tous les responsables religieux. Faire passer l’être humain avant Dieu! Faire passer la relation avant le rituel. C’est pourtant bien là l’avancée novatrice du Christianisme. Ce qui l’a rendu attractif et pertinent : être ensemble dans de bonnes relations, dans la joie et la bonne humeur, c’est cela rendre un culte agréable à Dieu.
    3. Le troisième bouleversement concerne la vision de la pureté des pharisiens. Ils ont l’impression de vivre dans un monde et un environnement impur contre lequel il faut constamment se protéger et toujours à nouveau se purifier. Tout est occasion de perdre sa pureté. Oublier un commandement, mais aussi marcher sur une tombe ou un ossement, être frôlé par le vêtement d’un païen ou d’une femme, manger un aliment impropre ou mal préparé, se trouver dans le même espace qu’un étranger ou croiser un lépreux. Tout est occasion d’être contaminé de l’extérieur.
    Et voilà que Jésus vient et renverse tout. Vous vous souvenez (P-2016-05-01), il dit aux pharisiens : avec vos rituels vous ne lavez que l’extérieur des plats (Luc 11:39). Ce n’est pas ce qui rentre en l’homme, mais ce qui sort de lui qui le rend impur. De la pureté défensive des pharisiens, Jésus passe à une pureté offensive ou contagieuse. Pour Jésus c’est l’attitude intérieure qui est contagieuse, c’est la pureté qui va se répandre et changer les conditions autour de soi. Ainsi Jésus peut-il se laisser toucher et aborder par quiconque, c’est toujours lui le vainqueur de l’impureté, c’est l’autre qui devient pur à son contact !
    C’est exactement ce qui se passe à la suite du récit du Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se conclut par la parabole des deux maisons et le rappel que Jésus enseigne avec autorité. Et le premier acte de Jésus en descendant de la montagne, c’est sa rencontre avec le lépreux qui exprime la vérité qui vient d’être illustrée dans le Sermon sur la Montagne : «Si tu le veux, tu peux me rendre pur » proclame  le lépreux (Mt 8:2). Le lépreux fait appel à cette pureté contaminante, qui est bien plus forte que la lèpre. Voilà le retournement qui est insupportable pour les pharisiens, pour les religieux, mais qui va faire le succès du Christianisme. Toute relation est bonne et ne comporte pas de risque religieux. La relation, c’est ce que Dieu veut favoriser. La relation est possible avec tous. La relation est souhaitable avec tous ! La relation, le partage des repas, la célébration tous ensemble, voilà le souhait de Dieu pour l’humanité.
    Personne n’est impur, par nature par accident. Jésus remporte toujours la victoire du pur sur l’impur déclaré par la société. Il n’y a plus d’intouchables. Donc il n’y a plus besoin de mur de protection, il n’y a plus besoin d’exclusion, de mise à l’écart. Ce qui l’emporte, c’est le principe du rayonnement, c’est le principe de la contamination positive. C’est pourquoi le discours du Sermon sur la Montagne commence avec l’image du sel la terre et de la lumière. Deux images de contamination positive, le sel qui donne du goût et la lumière qui répand sa clarté dans l’obscurité.
    Il n’y a rien d’impur dans le monde, il n’y a que des réalités qui attendent d’être illuminées, d’être sanctifiées. Notre rôle de chrétien — à la suite de Jésus — c’est de continuer cette contamination positive que les théologiens appelle la sanctification.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 6. Le Sermon sur la Montagne (II) : Jésus, lanceur d’alerte

    Matthieu 6
    29.5.2016

    Le Sermon sur la Montagne (II) : Jésus, lanceur d’alerte

    Matthieu 6 : 19-32     Matthieu 7 : 1-5

    Télécharger le texte : P-2016-05-29.pdf

    Non, mais, franchement, Jésus exagère ! Ce Sermon sur la Montagne est plein de prescriptions impossibles à tenir, impossibles à réaliser. Jésus nous dit que les pauvres, les affamés, les endeuillés sont bienheureux. Jésus nous dit d’aimer de nos ennemis (Mt 5:44), de tendre la joue gauche (v.39), de donner sans retour (v.42), de céder à celui qui nous prend (v.42), de ne pas juger (Mt 7:1), de ne pas divorcer, ni de se remarier (Mt 5:32). Jésus nous dit de reconnaître que nous avons une poutre dans l’œil (Mt 7:5), de ne pas se soucier de notre nourriture et de nos vêtements (Mt 6:31), donc de renoncer à toute prévoyance, de nous détacher des richesses (v.19). Mais que faire de toutes ces injonctions ?
    Et ce ne sont pas les seules paroles choquantes de Jésus. Les Évangiles — et particulièrement les paroles qui ont été identifiées comme venant du document intitulé la Source*1 qui a recueilli très tôt les paroles de Jésus — nous livrent encore d’autres paroles chocs de Jésus : rien ne restera caché, tout sera dévoilé (Mt 10:26) ; c’est du feu que je suis venu jeter sur la terre (Lc 12:49) ; je suis venu diviser, le fils contre le père, la fille contre la mère, la belle-fille contre la belle-mère (Lc 12:53); celui qui ne hait pas père et mère ne peut pas être mon disciple (Lc 14:26); les derniers seront les premiers (Lc 13:30); quiconque s’élève sera abaissé (Lc 14:11); etc.
    Nous avons perdu l’habitude d’être confrontés à cette facette de Jésus. Au fils du temps le message de Jésus s’est couvert de poussière et ses couleurs vives, provocantes, ont été recouvertes et atténuées. C’est comme les fresques de la Chapelle Sixtine qui étaient toutes grises mais qui sont devenues tellement lumineuses après leur nettoyage. Les couleurs de Jésus peuvent être retrouvées. Jésus n’est pas un hippie aux cheveux longs qui déambule en Galilée en proclamant « Peace and love» !
    Si on revient aux paroles de Jésus, si on les prend au sérieux, au pied de la lettre, dépoussiérées et décapées, alors Jésus apparaît davantage comme un trublion, un provocateur, quelqu’un qui dérange !Oui, Jésus est un dénonciateur, un lanceur d’alerte. Il dénonce des dysfonctionnements sociaux, il dénonce les mises à l’écart des handicapés et des malades, les discriminations entre les petits et les élites. Il dénonce des dysfonctionnements religieux, il dénonce le fardeau des lois, l’accaparement du pouvoir par les prêtres et le temple.
    Jésus dénonce, mais ne propose pas de programme social, politique ou religieux. Jésus est dans l’excès, Jésus est dans l’urgence. Ce qu’il veut c’est faire bouger les choses, appeler au changement, changement d’attitude, de mentalité, ce que les évangiles appelle la « metanoia »,  mais il se refuse à enfermer ses disciples dans une nouvelle conduite à tenir, d’où des mesures idéales mais intenables. Vous ne construisez pas une société sur les principes du Sermon sur la Montagne. Les mesures sont excessives, radicales, exagérées. Il n’y a rien de pratique et de pragmatique. Jésus provoque pour provoquer le changement. Jésus ne se préoccupe pas du réalisable, du faisable, Jésus n’est pas un politique, ni un réformateur. Jésus vient bousculer.
    On pourrait comparer Jésus à un dessinateur de presse : il met en lumière une situation qui déraille, mais il ne propose pas la solution pragmatique. Au lecteur de ce retrousser les manches et voir comment agir. Retrouvez Jésus pour aujourd’hui, c’est retrouver l’homme, la personne, l’acteur (celui qui agit, pas le comédien). Il s’agit de retrouver le prophète Jésus. La Passion de Jésus viendra confirmer ces paroles prémonitoires de Jésus : « Ô Jérusalem, toi qui tues tes prophètes… » (Mt 23:37).
    Jésus est un prophète au sens fort de l’Ancien Testament, celui qui est porteur d’une parole qui vient de Dieu, celui qui est porteur d’un jugement qui vient de Dieu. Jugement sur les situations de dysfonctionnement, sur les relations tordues, sur les oppressions et les inégalités, sur les discriminations et les exclusions.
    C’est ce Jésus, cette figure prophétique qui a bouleversé son temps et les siècles qui suivent. Ce sont ces paroles percutantes qui se sont propagées d’une manière fulgurante tout autour de la Méditerranée pour qu’en 280 ans (de 33 à 313 de notre ère) le message et la Passion de Jésus deviennent la religion de l’Empire romain. Il faut des paroles vraiment percutantes pour arriver à ce résultat-là ! De quoi changer notre regard sur Jésus.
    J’ai comparé Jésus à un dessinateur de presse, c’était par rapport au côté percutant de son message et au renoncement à l’aspect réaliste, pragmatique. Pour se rapprocher de l’image de la personne même de Jésus, on peut faire d’autres comparaisons. À notre époque, je pense que Jésus serait un artiste — pas pour le côté baba-cool — mais pour le côté d’impact public et le côté implication personnelle.Pour le premier aspect (impact public) je pense à des photographes qui essaient de faire bouger les mentalités, comme Yann Arthus-Bertrand ou Sébastiao Salgado pour l’écologie ; ou JR pour le rapprochement des peuples (c’est lui qui a photographié des Israéliens et palestiniens qui font des grimaces pour les coller sur le mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie).
    Pour l’aspect implication personnelle, je verrais l’artiste Marina Abramovic, notamment dans sa performance « The artist is present » au musée d’Art moderne de New York (MoMA) où elle était assise 75 jours de suite, immobile, toute la journée, dans le musée. Et les visiteurs venaient s’asseoir en face d’elle, pendant quelques minutes, pour se regarder, les yeux dans les yeux, dans une présence totale. Les visiteurs qui n’ont cessé de faire la queue pour vivre cette expérience en ressortaient complètement bouleversés par cette présence et ce contact si profond.
    C’est ce contact, cette présence bouleversante de Jésus — même si nos regards ne peuvent pas se croiser aujourd’hui — que nous avons à rechercher en relisant les Évangiles.
    Les propos de Jésus sont irréalistes, parfois choquants, mais c’est pour nous déplacer, nous bouleverser, nous émouvoir, nous qui restons tellement figés dans nos habitudes et nos petites sécurités.
    Par ses propos, Jésus nous invite à retrouver l’urgence de la relation — par-dessus toutes les barrières — et retrouver la proximité fondamentale de Dieu — par-dessus tous les discours religieux qui éloignent et divisent. Jésus lance un cri, un appel, au-delà de tous les conseils pratiques, pour que nous retrouvions la pleine présence de Dieu.
    Amen


    *1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 5. Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.

    Matthieu 5
    22.5.2016

    Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.

    Jean 5 : 33-36      Matthieu 5 : 38-48

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    On ne cesse de nous répéter que le Christianisme n’a pas la cote, que la religion est dépassée, tout au plus peut-on récupérer un peu de spiritualité au final. Je ne crois pas du tout que le Christianisme soit dépassé, mais il est vrai que le Christianisme n’est plus compris de nos contemporains. Un certain nombre d’énoncés ne sont plus compréhensibles : « Dieu créateur »,  « Fils de Dieu », « être sauvé » etc. Le concept de « Dieu » devient incompréhensible dans ce monde tourné vers la matérialité, le concret, la sécurité. Une bonne assurance, qui couvre en cas de pépin, voilà qui rassure, voilà qui nous sauve ! Face à ce constat, je me dis qu’il faut parler différemment à nos contemporains, peut-être à nous-mêmes aussi. Et je me dis que la meilleure porte d’entrée dans le Christianisme reste la personne de Jésus. C’est quand même lui qui est au centre, lui qui est à la base du Christianisme.
    Pour revenir à Jésus, à son message, je vais vous proposer — ces prochains dimanches — une suite de prédications sur le Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se trouve dans les chapitres 5 à 7 de l’Évangile selon Matthieu, avec un parallèle chez Luc au chapitre 6. Le Sermon sur la Montagne, tel que Matthieu nous le présente, de façon très construite, repose sur un ensemble de paroles de Jésus qui ont dû être primitivement réunies dans un document dont disposent et Matthieu et Luc. Ce document dont on n’a pas retrouvé d’exemplaires a été reconstitué à partir des citations reprises par Matthieu et Luc dans leurs Evangiles. Ce document est appelé « la Source » (die Quelle) par les spécialistes*1. Cette Source rassemble des paroles de Jésus, recueillies et mises par écrit très tôt après la mort de Jésus. Cette Source nous donne donc une bonne image de la prédication de Jésus à ses disciples, de ce que les spécialistes — comme Daniel Marguerat*2 — appellent le Jésus historique.
    Aujourd’hui je vais vous parler de la position qu’adopte Jésus lorsqu’il parle de Dieu, lorsqu’il parle à ses disciples et au peuple d’Israël, dans le Sermon sur la Montagne. Ces prochains dimanches, je vous parlerai du radicalisme de Jésus, de sa façon de se démarquer des pharisiens ou du judaïsme traditionnel et de sa vision de Dieu. Donc aujourd’hui, nous allons voir la position d’où Jésus parle. La Source livre des phrases chocs de Jésus telles que : « si on te frappe sur la joue droite, tend la joue gauche » (Mt 5:39). « Si on veut prendre ta chemise, donne aussi ton manteau » (v.40). « Si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? » (v.47). « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v.44).
    Ces phrases chocs, Jésus les dit pour que ses auditeurs s’interrogent sur leurs pratiques. Pour que chacun s’interroge et se remette en cause. Vous connaissez la résistance que chacun a à se remettre en cause. Combien de fois ai-je entendu des personnes à qui je rendais visite comme pasteur essayer de se justifier de ne pas venir à l’Eglise me dire : « vous savez, je suis croyant, même si je ne viens pas à l’Eglise et je ne suis pas plus mauvais que ceux qui vont ! »
    Jésus aussi devait rencontrer des gens qui lui disaient que les autres n’étaient pas meilleurs, alors pourquoi s’en faire, pourquoi se remettre en cause, pourquoi changer et se convertir ? Jésus, lui, osait venir avec un questionnement qui balaye tout sur son passage : « pourquoi t’attendre à une récompense, les collecteurs d’impôts en font autant ! » (v.46).
    Jésus attaque la bonne conscience de celui qui croit ne pas être pire que la moyenne. Mais cette attaque ne prend pas la forme d’un jugement et d’une condamnation, mais prend la forme d’une invitation à changer de registre. L’idéal n’est pas de se fondre dans la moyenne. Pour Jésus l’idéal est de se rapprocher de Dieu. L’idéal est de prendre Dieu pour modèle !
    Ces paroles de Jésus étaient percutantes « tends la joue gauche» (v.39), « aimez vos ennemis ! » (v.44). Matthieu l’évangéliste les inscrits dans un cadre qui va encore augmenter leur portée,  souligner la position d’où Jésus parle. Matthieu enveloppe ces phrases chocs dans la formule suivante : « il vous a été dit — sous-entendu par Moïse ou dans la Torah — mais moi je vous dis…» La formule est reprise six fois (Mt 5:22, 28, 32, 34, 39, 44).
    Qu’est-ce que cela veut dire sur Jésus ? Cela signifie que la parole de Jésus se place au moins à l’égal de celle de Moïse ! Mais comme la parole de Jésus introduit des changements par rapport à la Loi de Moïse, on peut dire que la parole de Jésus est plus importante que celle de Moïse. Jésus devient le nouveau législateur, le nouveau Moïse, c’est-à-dire le nouveau porte-parole de Dieu, son nouveau messager, avec un message nouveau et plus fort que la Torah. Jésus — comme l’a beaucoup souligné l’Évangile selon Jean — se place comme l’envoyé de Dieu (Jn 5:36) pour porter sa parole, sa volonté, sa nouvelle alliance. Jésus parle avec une connaissance interne, intime de Dieu. Jésus traduit le message qui vient de Dieu pour les humains dans ces paroles du Sermon sur la Montagne, et cela sonne juste ! Les disciples, les apôtres, les chrétiens reconnaissent dans les paroles de Jésus une dimension divine, tellement ça sonne juste.
    Jésus fait plus appel à l’observation et à l’expérience qu’à la révélation de la Torah pour décrire l’action de Dieu et ouvrir la présence de Dieu à tout un chacun. Regardez : « Dieu fait lever sans soleil aussi bien sur les méchantes que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal.» (Mt 5:46) Alors agissez comme Dieu : « aimez vos ennemis ! » (v.44). Quel paradoxe ! De la bonté et de l’égalité de la nature, Jésus nous pousse à déployer au maximum la bonté qui est en nous et à l’étendre à tous, même les plus improbables, nos ennemis.
    Jésus adopte une posture en surplomb, au-dessus de la Loi, au-dessus de Moïse et des prophètes, à l’égal de Dieu, auquel tout de même il se soumet, tout en marquant une proximité affective en l’appelant « papa » ce qui est la traduction juste de « Abba, Père » (Mc 14:36).
    Nous ne savons pas qui est Dieu, mais un homme surgit qui nous dit tout à coup : moi je le connais, c’est mon papa ! De par cette proximité, cette connaissance intime, Jésus peut nous dire : il vous a été dit… mais moi je vous dis : c’est différent ! Il vous a été dit : Dieu est exclusif, réservé à son peuple, mais moi je vous dis : Dieu est universel, proche de tous. Il vous a été dit : Dieu veut être obéi dans les moindres détails, mais moi je vous dis : Dieu est généreux, il se laisse aborder, il se laisse toucher par la détresse du monde.
     « Alors soyez miséricordieux, comme mon père est miséricordieux » comme le dit Luc (6:36). Je préfère cette tournure à celle de Matthieu qui dit « soyez parfait comme votre Père est parfait » (Mt 5:48). En effet dans le protestantisme la perfection entraine souvent l’idée de scrupule. La perfection dont parle Jésus, c’est la perfection de l’amour qu’on retrouve aujourd’hui mieux dans la formule de Luc  « soyez miséricordieux ».
    Jésus nous interroge dans notre sentiment de n’être pas plus mauvais que les autres, pour nous entraîner à voir comment nous pouvons nous élever bien plus haut pour se rapprocher de la bonté et de la bienveillance de Dieu. Est-ce que cela ne sonne pas plus juste ? Est-ce que Jésus n’a pas vraiment saisi la justesse du message généreux de Dieu ?
    Amen


    *1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.
    *2 Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu, à la recherche du Jésus de l’histoire, Labor et Fides, 2016.
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 5. Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5
    31.1.2016
    Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5 : 27-30         Matthieu 15 : 10-11+15-20
    Télécharger le texte : P-2016-01-31.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, j’ai choisi ce texte difficile du Sermon Sur la Montagne qui parle de l’adultère (Mt 5:27-30). Mais je ne vais pas parler de conjugalité ou de sexualité. Ces paroles de Jésus vont bien au-delà d’une question de morale sexuelle. Ce qui est intéressant — primordial — dans ces paroles, dans cet enseignement, c’est la posture de l’être humain mise en place par Jésus. Ce récit est une réponse à la question sous-jacente : dans les situations de tentations, qui est responsable, où sont les responsabilités ? Quand l’occasion d’être tenté se présente, que dois je faire ? Quelle est ma responsabilité et celle de l’autre ?
    Prenons un exemple, disons, un billet de banque ou un millefeuilles traîne sur le bureau de mon collègue dans notre open-space. Puis-je le prendre en me disant : « Tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas le laisser traîner ! » ? Ou bien dois-je le laisser là et y renoncer ? Là c’est un objet inerte, c’est peut-être facile pour nous. Mais si c’est une situation qui implique d’autres personnes ? Trois situations de cette sorte ont été évoquées en détail dans les médias récemment :
    - D’abord les violences de Cologne à Nouvel-An, où des femmes ont subi des violences et des attouchements non désirés dans la foule.
    - Ensuite un enseignant juif de Marseille a été attaqué et blessé. Le président du consistoire juif de Marseille à recommandé à ses fidèles d’être prudents et de renoncer à porter la kippa dans la rue jusqu’au retour de jours meilleurs.
    - Enfin la missionnaire bâloise Béatrice Stockli a été enlevée par AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) pour la deuxième fois au Nord du Mali. Un journaliste pose la question : « Jusqu’où doit-on aller pour secourir une tête brûlée ? *»
    Dans ces trois situations on a entendu des gens soulever le problème de la responsabilité ou de l’imprudence des victimes : « N’est-ce pas imprudent pour des jeunes femmes de sortir le soir dans un espace public ? » ; « N’est-il pas imprudent de montrer qu’on est juif dans un quartier où il y a des musulmans ? » ; «  N’est-il pas imprudent pour une occidentale d’habiter ou de continuer à habiter (elle y vivait depuis des années) dans un pays où sévit AQMI ? » Ainsi, selon certains, les victimes sont coupables de s’être trouvées là où il ne fallait pas, de s’être habillées comme cela ne convenait pas, de porter un signe religieux distinctif où cela pouvait être pris pour une provocation.
    Que pouvons-nous dire sur ses propos, depuis une position chrétienne, qui repose sur l’enseignement du Christ ? Reprenons le passage du Sermon Sur la Montagne. Jésus cite une ligne du Décalogue : « Tu ne commettras pas d’adultère » et il la réinterprète à sa façon : « Celui qui regarde une femme pour la désirer commet l’adultère dans son cœur. » (v.28)
    Décomposons la séquence. Première étape : Un homme voit une belle femme qui passe. C’est l’événement déclencheur. Cela arrive, simplement. On ne peut pas marcher dans la rue les yeux fermés ! Cet homme est frappé par cette beauté. Jusque-là c’est neutre, il n’y a qu’une image.
    Mais, deuxième étape, cette image fait naître en lui une émotion : admiration, plaisir,  désir. C’est là qu’on se trouve à un tournant. À tout moment peut naître en nous une émotion, c’est quelque chose de spontané en nous que rien ne peut éviter. Cela surgit. Tout à coup on peut avoir peur, ou éprouver de la colère ou du dégoût ou de la tristesse. Cela — ce surgissement— nous ne pouvons pas l’éviter.
    Mais nous avons quelque chose à en faire, c’est la troisième étape. C’est à nous qu’appartient de savoir comment nous allons gérer ou transformer cette émotion. Allons nous la contrôler ou la laisser s’échapper ? Allons-nous simplement sourire au plaisir d’avoir croisé une belle femme ou allons nous fantasmer pendant des heures ? Cette troisième étape, c’est ce que j’appelle la résolution. C’est là qu’intervient notre intention, notre volonté. Dans le texte, c’est le passage du regard au désir.
    C’est dans la résolution que notre responsabilité est engagée. C’est sur la résolution que Jésus met l’accent, il y consacre les versets 29 et 30, qui sont d’une grande violence : «Si ton œil ou ta main est occasion de chute, débarrasse-t-en ! Il vaut mieux perdre un membre que de se perdre tout entier. » Une remarque importante, qui désamorce l’aspect violent. Tout ce que dit Jésus se passe dans le théâtre intérieur de la personne. Il n’y a ni juge, ni tribunal, ni bourreau pour arracher l’œil ou couper la main. C’est un processus totalement intérieur et autonome, une réflexion personnelle sur son propre être et son propre devenir.
    Que tout se passe dans ce théâtre intérieur, sans intervention extérieure, est très important. Cela veut dire qu’aucun facteur extérieur de tentation n’est déterminant. Aucun de ces facteurs extérieurs ne peut orienter la résolution ou exempter de la responsabilité personnelle. En d’autres termes, la femme — aussi belle soit-elle — n’est pas responsable de la décision intérieure de l’homme. Elle n’a pas à modifier son comportement, à ce cacher, à se voiler ou à disparaître de la scène publique. C’est à l’homme de se maîtriser et d’assumer la responsabilité de ses émotions, de ses sentiments, de ses désirs.
    Jésus a repris cela lorsqu’il parle de ce qui entre en nous et ne peut pas nous contaminer (Mt 15:11). Par contre, il insiste sur le fait que c’est ce qui sort de notre cœur (dans la vision de l’être humain qu’a la Bible, le cœur est le siège de notre volonté), c’est-à-dire comment nous agissons, ce que nous exprimons, comment nous dirigeons notre volonté qui détermine la qualité de nos comportements. C’est la résolution de notre émotion première dont nous sommes responsables.
    Il y a là un clair refus de l’extériorisation de la contamination ou de la provocation ou de la tentation. C’est sur ce principe de responsabilité personnelle, intérieure, que s’est bâtie notre société occidentale. Et cela vient directement de la bouche de Jésus ! Je suis responsable de ma vie intérieure, de mes émotions et de mes pulsions, de mes réactions, de ma résolution. Je ne peux pas en blâmer l’autre et lui faire assumer la responsabilité de mes comportements. Cela bannit quelques phrases qu’on entend trop souvent et qui reviennent à blâmer la victime : « Elle l’a bien cherché », « Il/elle l’a provoqué en portant (choisissez votre accessoire) la kippa, le voile, la mini jupe…
    Le christianisme est bâti sur la confession que la condamnation de Jésus était injuste, qu’il n’avait rien fait pour mériter cela. Que c’était un homme juste, injustement blâmé et condamné. C’est pourquoi les chrétiens devraient être en première ligne pour débusquer et dénoncer tous les propos qui blâment les victimes, qui les rendent responsables de ce qui leur arrive, des violences qu’elles subissent.
    Nous avons le devoir de rappeler aux violents que leur violence vient d’eux-mêmes et pas des comportements de leurs victimes. C’est à eux de changer — pas aux victimes — que ce soit à Cologne, à Marseille ou au Mali.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

     

    * TSR, Journal du matin du 28.1.2016 à 7:53 (enregistrement TSR, minute 18:54)

  • Matthieu 2. "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte"

    Matthieu 2
    7.1.2001
    "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte"
    Deutéronome 16 : 1-3      Matthieu 2  : 1-15
    Télécharger le texte : P-20010107.pdf


    Chers paroissiens, chères paroissiennes,
    Vous avez sûrement mangé de la couronne des rois, hier, le 6 janvier, date traditionnelle de la fête des Rois, aussi appelée Epiphanie. Traditionnellement, les rois mages, venus d'Orient n'arrivent pas vers Jésus le soir de sa naissance comme les bergers. Ils arrivent plus tard, car ils voient l'étoile qui paraît lors de la naissance de Jésus. Puis ils voyagent jusqu'à Jérusalem pour savoir où on peut trouver le futur roi des Juifs (tient, ce titre de "roi des Juifs" sera celui inscrit sur l'écriteau qui surmonte la croix !). Ensuite, il faut encore rassembler les autorités, les savant pour percer ce mystère. Finalement, c'est l'Ecriture sainte (Michée 5:1) qui révèle l'endroit où doit naître le Messie. La vérité ne se trouve pas dans les étoiles, mais dans l'Ecriture sainte.
    Plus on lit le récit biblique de l'avenue des mages, plus on se rend compte des différences et des contrastes qu'il y a entre la légende des rois mages — qui se raconte de Noël à l'Epiphanie — et le récit biblique qui n'a rien d'un conte de Noël.
    Matthieu ne nous raconte pas un conte où la naissance de Jésus apporte joie et paix dans le monde ! Matthieu nous montre comment — dès la naissance de Jésus — la venue de Dieu qui réclame sa royauté sur le coeur des humains crée des tensions, suscite des conflits.
    Que le règne de Dieu s'approche et le pouvoir temporel tremble de peur — ici Hérode. La venue de Jésus ne débouche pas sur un paradis, la venue de Jésus amorce un rapport de force — qui va persister tout au long du ministère de Jésus — entre les forces de la mort et les forces de vie de Dieu. Dès le moment de sa naissance, Jésus est l'objet de menaces : "Hérode cherche l'enfant pour le faire mourir" (Mt 2:13).
    Ce premier affrontement va être esquivé, car Dieu avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte. Peut-être une indication, un conseil pour les parents pour leur dire : Votre enfant devra affronter la réalité — et elle n'est pas facile — mais votre rôle pour le moment, tant que l'enfant n'est pas mûr, c'est de le protéger, en lui évitant, autant que possible, le moment de faire face au mal qui viendra bien assez tôt. 
    Dieu avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte. L'Egypte — dans l'histoire et la pensée israélite — est un pays symbole. Symbole de l'esclavage et de l'oppression. C'est le pays du malheur, des dix plaies. C'est le pays du passé — où l'on a vécu — mais dont il faut sortir pour vivre vraiment.
    Il est intéressant et significatif que Matthieu nous montre que Jésus a aussi passé par l'Egypte, son Egypte intérieure, le pays de la frustration, le pays des blessures intérieures, de la violence subie — le massacre des innocents d'Hérode n'est pas sans rappeler le massacre des bébés hébreux ordonné par Pharaon autour de la naissance de Moïse !
    Personne — pas même Jésus, nous dit l'Evangile de Matthieu — personne n'échappe à un passage en Egypte, le plus souvent pendant son enfance. Malgré tous les soins, toutes les attentions que des parents peuvent porter à leurs enfants, il est impossible que l'enfant ne ressente pas des frustrations, des injustices, des malchances blessantes, des humiliations, des vexations. Le monde n'est pas le paradis... la vie n'est pas un conte de fée, malgré tous les cadeaux — et les trois rois mages en apportent d'importants — il y a une réalité qui fait que nous existons dans un monde limité où le malheur, à toutes les échelles, surgit, sans que ce soit la faute de quelqu'un en particulier. Peut-on reprocher aux mages d'avoir contacté Hérode et enflammé sa colère ?
    L'Egypte intérieure existe pour chacun. Le malheur n'est pas d'y avoir été exilé, c'est inévitable, le malheur c'est d'y rester, de ne pas en sortir, de ne pas entendre l'appel de Dieu : "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte" (Mt 2:15).
    Descendre en Egypte et remonter d'Egypte, c'est le parcours historique du peuple d'Israël, Abraham, Jacob, Moïse. Descendre et sortir d'Egypte, c'est aussi comme un parcours initiatique qui marque l'appartenance au peuple d'Israël (dans la liturgie de la Pâque, "vous vous souviendrez à jamais du jour où vous êtes sortis d'Egypte"); un parcours qui marque aussi la vie du croyant aujourd'hui; un parcours qui passe par l'association à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ, au travers du baptême.
    Chacun, à l'âge où il se rend compte qu'il séjourne en Egypte, peut entendre l'appel de Dieu pour lui : "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte". « Je t'appelle, mon fils, ma fille, à sortir d'Egypte.»
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz