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k) Matthieu - Page 6

  • Matthieu 5. Aimer ses ennemis pour gagner en être

    Matthieu 5

    8.7.2001

    Aimer ses ennemis pour gagner en être

    Es 40 : 27-31    Phil 2 : 1-5    Mat 5 :43-48

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'un des enseignements de Jésus dans le Sermon sur la montagne. Le Sermon sur la montagne est un condensé de l'enseignement de Jésus où il reprend des commandements connus de tous, pour leur imprimer un élan nouveau.
    Après avoir parlé du meurtre et de la colère, du mariage et du divorce, des serments et de la vengeance, Jésus termine avec un enseignement sur l'amour des ennemis :

    "Vous avez entendu qu'il a été dit : «Tu dois aimer ton prochain et haïr ton ennemi.» Mais moi je vous dis : aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent." (Mat 5:44).
    Ce nouveau commandement ne nous projette-t-il pas tout droit dans l'utopie irréalisable ou dans l'inutilité totale ?
    Ce commandement relève de l'utopie dès qu'on se trouve en présence de vrais ennemis. Qui irait dire aux Palestiniens : Aimez les Israéliens ? ou aux Israéliens : Aimez les Palestiniens ? De même entre les Serbes et les Kosovars, les Tibétains et les Chinois, etc. Lorsque le mal commis de part et d'autre est si grand, qui peut demander de l'amour ?
    D'un autre côté, pour nous qui sommes ici, dans un Etat de droit, ce commandement semble inutile. Qui a des ennemis ? Qui a de vrais ennemis ? N'avons-nous pas tout pour vivre en paix, tranquilles ? N'avons-nous pas atteint un niveau de concorde et de tolérance suffisant pour qu'on ne nous demande pas encore un pas supplémentaire qui frise une perfection irréaliste et au-delà des capacités de l'être humain normalement constitué ?
    Alors, idéaliste - irréaliste ? ou inutile et inutilement perfectionniste, ce commandement ?
    Pourquoi Jésus nous demande-t-il cela ? Pour... quoi ? En vue de quoi ? Pour vivre tranquille ? Pour éviter le cycle et le cercle vicieux de la violence, de sa répétition, de la vendetta ? Non ! Cette question de l'amplification de la violence et la façon d'y mettre un terme a été traitée par Jésus dans le point précédent de son discours, dans ses paroles sur la vengeance :

    "Vous avez entendu qu'il a été dit : «Oeil pour oeil, dent pour dent.»  Mais moi je vous dis de ne pas vous venger de celui qui vous fait du mal. Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, laisse-le aussi te gifler sur la joue gauche. Si quelqu'un veut te faire un procès et te prendre ta chemise, laisse-le prendre aussi ton manteau." (Mat 5 : 38-40).
    Jésus ne donne aucune finalité pratique au commandement d'aimer ses ennemis. Ce n'est pas pour faire... la paix, ou pour qu'il y ait ... moins de violence. Ce n'est pas pour transformer le monde extérieur, même pas pour convertir cet ennemi par le bel exemple donné.
    Le but est totalement intérieur à la personne qui mettrait en pratique ce commandement. Le but est une transformation toute intérieure, une modification, un changement d'être :

    "Aimez vos ennemis, afin que vous deveniez les fils de votre Père qui est dans les cieux. " (Mt 5:45).
    Il n'y a pas de but extérieur, il n'y a qu'un but intérieur : gagner en être, devenir plus semblable à l'être de Dieu qui est assez large pour faire du bien indifféremment à tous, qu'ils soient bons ou méchants, justes ou injustes.
    Dans cette pensée là, l'ennemi devient la chance, l'occasion, l'opportunité d'apprendre à gagner en être, apprendre à grandir, à développer notre patience et notre tolérance. L'ennemi — celui qui nous fait grincer des dents chaque fois qu'il ouvre la bouche; celui dont la simple présence nous met mal à l'aie; celui qui réveille au fond de nous une colère inconnue — cet ennemi est un bienfait pour nous.
    Oh ! ce n'est pas un bienfait directement. Il peut devenir un bienfait, un bienfaiteur, à condition que nous nous attelions à la tâche de plonger en nous-mêmes chaque fois que naît en nous ce sentiment d'agacement, de malaise ou de colère.
    D'où viennent ces sentiments, sinon de nous-mêmes ? L'ennemi peut être puissant, mais il n'est pas magicien. Il n'a de pouvoir sur nos sentiments intérieurs que si nous lui cédons ce pouvoir. Il ne peut agir qu'avec nos propres forces intérieures, avec nos propres leviers.
    Aimer son ennemi, ce n'est pas aimer ce qu'il nous fait — cela serait intolérable — mais c'est réaliser qu'à son insu, il nous fait le cadeau de pouvoir observer en nous-mêmes ce qui nous emporte vers l'agacement, le malaise ou la colère.
    Aimer son ennemi est donc une école, l'école du devenir et de la croissance de l'être. Cette école du développement de l'être : "devenir les fils du Père qui est dans les cieux" est un long apprentissage, un long chemin qui demande beaucoup de force et de persévérance.
    Un chemin qui demande souvent un accompagnement par quelqu'un de compétent. Un chemin sur lequel Dieu lui-même nous accompagne, avec son savoir-faire, avec son soutien et ses encouragements comme le dit mieux que moi le prophète Esaïe :

    "Jamais Dieu ne faiblit, jamais il ne se lasse. Son savoir-faire est sans limite. Il redonne des forces à celui qui faiblit, il remplit de vigueur celui qui n'en peut plus. Les jeunes eux-mêmes connaissent la défaillance; même les champions trébuchent parfois. Mais ceux qui comptent sur le Seigneur reçoivent des forces nouvelles; comme des aigles ils s'élancent. Ils courent, mais sans se lasser, ils avancent, mais sans faiblir." (Es 40:28b-31).
    Aimer son ennemi demande beaucoup d'humilité puisqu'il s'agit de lui reconnaître qu'il peut m'enseigner quelque chose sur moi-même. Cette humilité, le Christ nous l'a enseignée en s'abaissant jusqu'à la mort, à la mort sur la croix.
    Aimer son ennemi est sûrement une utopie, un idéal, mais c'est aussi un chemin sûr pour celui qui veut gagner en être, un chemin sûr pour celui qui veut devenir le fils, la fille, de notre Père qui est dans le ciel.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

  • Matthieu 28. Dans le récit de Pâques, Matthieu nous détourne du tombeau vide pour nous envoyer en Galilée

    Matthieu 28

    27.3.2005

    Dans le récit de Pâques, Matthieu nous détourne du tombeau vide pour nous envoyer en Galilée

    Rm 10:13-17    Mt 28 : 1-10    Mt 28 : 16-20

    Chers amis,
    Je trouve redoutable de prêcher sur la résurrection le jour de Pâques. Oui, je trouve cela redoutable parce que nous vivons à une époque où l'on a plus besoin de savoir que de recevoir, d'être sûr, d'être assuré que d'être appelé à s'émerveiller.
    La résurrection, c'est d'abord quelque chose d'impossible, d'incroyable, et pourtant nous voulons nous en faire une image, une représentation, nous voulons l'expliquer, en faire quelque chose qui nous rasure et nous aide à croire.
    En fait, des siècles de croyances et de traditions sont venus recouvrir notre lecture des Evangiles d'un voile, presque opaque. Ce matin, j'ai envie de laisser tomber ces filtres et retourner à la simplicité du texte, retrouver juste ce qu'il dit et ne dit pas.

    "Après le sabbat, dimanche au lever du jour, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent voir le tombeau." (Mt 28:1)
    Deux femmes viennent voir le tombeau. Chez Matthieu, il n'est pas question de toilette des morts, d'embaumement avec les fameux aromates. Les femmes ne viennent rien faire, elles viennent voir…

    "Soudain, il y eut un fort tremblement de terre; un ange du Seigneur descendit du ciel, vient rouler la pierre de côté et s'assis dessus. Il avait l'aspect d'un éclair et ses vêtements étaient blancs comme la neige. (…) L'ange prit la parole et dit aux femmes : « N'ayez pas peur. Je sais que vous cherchez Jésus, celui qu'on a cloué sur la croix; il n'est pas ici, il est revenu de la mort à la vie comme il l'avait dit. Venez, voyez l'endroit où il était couché. » (Mt 28:2-3+5-6)
    Tiens, voilà de l'extraordinaire, un tremblement de terre et un ange lumineux. On croit assister à la résurrection… mais on se trompe ! Le tombeau n'est pas ouvert pour que Jésus en sorte — "il n'est pas ici" dit l'ange — non, le tombeau est ouvert pour que les femmes puissent constater que Jésus n'y est plus !
    La scène extraordinaire ne concerne pas la résurrection, mais la révélation ! Dieu bouleverse l'ordre ordinaire des choses pour que les humains aient accès à la révélation. Mais le seul tombeau vide ne dit rein aux femmes et ne leur donne pas la foi. C'est la parole de l'ange qui les ouvre au mystère : "Il a été relevé, réveillé, il vous précède en Galilée" (Mt 28:7).
    Le tombeau vide n'est pas preuve de résurrection, l'ange non plus, l'ébranlement de la terre non plus. Voir le tombeau vide n'est pas nécessaire à la foi, la foi ne vient pas de ce qui est vu, mais de la parole qui est entendue (Rm 10:17). Matthieu en est bien conscient puisque son évangile est une prédication pour une communauté de la 2e ou de la 3e génération après Jésus. Les croyants qui lisent l'Evangile de Matthieu pour la première fois, comme nous aujourd'hui, n'ont pas accès au tombeau vide. Nous n'avons accès qu'aux paroles des femmes, des disciples, des évangélistes ou des prédicateurs.
    Le récit de Matthieu n'est donc pas une explication de la résurrection, mais une aide à la foi de l'Eglise. Il ne cherche pas à éclaircir le mystère, à expliquer le phénomène, il cherche à consolider la foi des croyants. Aussi, nous dit-il que ce n'était pas plus facile auparavant, même pour les Onze disciples :

    "Les onze disciples se rendirent en Galilée, sur la colline que Jésus leur avait indiquée. Quand ils le virent, ils l'adorèrent; pourtant ils eurent des doutes." (Mt 28:16-17)
    Les disciples voient Jésus, mais ils doutent ! Même eux — peut-on dire — ont de la peine à croire, Mais comment cela est-il possible ? Comment peuvent-ils douter alors qu'ils ont Jésus sous les yeux ? Eh bien, parce que ce ne sont pas les yeux qui donnent la foi. Parce que ce qu'on voit n'est pas toujours très clair ni très objectif, malgré ce qu'on veut nous faire croire à l'ère du tout télévisuel. La vue ne donne pas le sens de ce qui est vu, c'est sujet à interprétation.
    Je vous donne un exemple : Vous voyez arriver quelqu'un près d'un parc à vélo. Il secoue plusieurs vélos jusqu'à ce qu'il en trouve un qui n'a pas de cadenas et s'en va le plus vite possible. Qu'avez-vous vu ? Ce qu'on croit avoir vu, c'est un voleur de bicyclette. Mais ce pourrait aussi être un pompier qui doit rejoindre d'urgence son service et dont la voiture est en panne. Seule une parole vous dira ce que vous avez vu !
    Dans son récit, Matthieu nous dit cela : Ce n'est pas la vue qui donne la foi. Pour que la foi naisse et grandisse, il faut que l'ange explique aux femmes le sens de ce qu'elles voient; il faut que les femmes disent aux disciples ce qu'ils vont voir en Galilée; il faut que Jésus dise aux disciples ce qu'ils doivent faire, pour qu'ils comprennent et que la foi naisse de leurs doutes.
    Le doute est normal face à la résurrection. D'ailleurs, le mot que Matthieu utilise pour parler du doute est un mot qui s'applique toujours aux disciples dans son Evangile, il décrit le doute à l'intérieur de la foi. Il décrit ce moment d'équilibre instable où l'on hésite entre la foi et l'incrédulité, entre le "c'est merveilleux" et le "c'est trop incroyable" entre "je n'en crois pas mes yeux" et "je ne crois que ce que je vois", entre la confiance et la défiance.
    Matthieu comprend cette hésitation, elle habite toute personne en quête de la vérité. Et à celui qui est sur le ballant, Matthieu dit  — étrangement — retourne en Galilée, c'est là que Jésus te précède et t'attend. Pourquoi en Galilée, alors que dans les autres Evangiles, Jésus apparaît à ses disciples à Jérusalem ?
    Je crois que Matthieu nous renvoie au ministère de Jésus, à la montagne où il a prononcé son sermon sur la montagne, aux lieux de ses rencontres et de ses guérisons. Matthieu nous dit — dans un langage un peu crypté — si tu hésites encore, eh bien retourne aux premières pages de mon Evangile et suis Jésus encore une fois, retrouve-le et suis-le, surtout écoute-le.
    Car, comme le dit l'apôtre Paul :
    "La foi vient de ce qu'on écoute la nouvelle proclamée et cette nouvelle est l'annonce de la Parole du Christ." (Rm 10:17)
    Dans cette bonne nouvelle se trouve la puissance de la résurrection.
    Amen
    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 5. Les Béatitudes

    Matthieu 5
    6.2.2005
    Les Béatitudes
    Ps 1 : 1-3 Mt 16 : 21-26 Mt 5 : 1-10

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    L'Evangile de Matthieu contient le texte le plus connu des évangiles — après le Notre Père — les Béatitudes. Ces Béatitudes ouvrent un discours de Jésus qu'on a surnommé le Sermon sur la Montagne. Jésus y expose en quelque sorte son programme, le cœur de sa pensée : Il est venu accomplir la Loi de Moïse; à travers lui, le Royaume des Cieux s'est approché.
    Cette présence du Royaume des Cieux, cette proximité de Dieu change, transforme, transfigure la réalité vécue des croyants. Des relations nouvelles sont instaurées qui remplacent les relations anciennes, périmées. L'enseignement de Jésus porte sur cette nouveauté de l'irruption de Dieu dans l'existence humaine. En tant que Fils de Dieu, de Dieu prenant forme humaine — ce qu'on appelle l'incarnation — Jésus est lui-même Dieu qui s'approche de nous.
    Jésus transmet cette bonne nouvelle à ses disciples qui sont tout près de lui, sur cette montagne, mais Matthieu précise aussi que la foule est là. L'enseignement de Jésus n'est pas réservé à des initiés, il est destiné à tous. Et Jésus commence par déclamer les Béatitudes.
    Chacun de nous a cette musique des Béatitudes dans l'oreille, avec une traduction préférée. Mais comme il s'agit toujours de traductions, et bien il y a des variations, qui essaient, chacune, de dire au mieux ce qui a été dit par Jésus. Mais qu'a dit exactement Jésus ? Il s'exprimait sûrement en araméen ou en hébreu, or les Evangiles nous sont parvenu en grec, donc déjà en traduction.
    Disposer de plusieurs traductions, c'est comme avoir plusieurs instruments dans un orchestre, il faut les écouter ensemble et en retenir leur harmonie. Voici quelques variations sur la première Béatitude :
    Celle du Psautier (189) "Heureux ceux qui ont l'esprit de pauvreté, le Royaume des Cieux est à eux.
    TOB : "Heureux les pauvres de cœur…
    Français courant : "Heureux ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes…
    Moins classiques, Chouraki : "En marche, les hommes au souffle de pauvres…
    La Nouvelle Traduction : "Joie de ceux qui sont à bout de souffle…
    J'aime bien cette transformation du littéral "pauvres en esprit" en concret "à bout de souffle." N'était-ce pas la condition de ceux qui suivaient Jésus — peut-être à bout de souffle de l'avoir rejoint en hâte au sommet de la montagne — mais surtout la condition de ces gens des campagnes, laissés pour compte de la vie économique et sociale, ces gens sans importance aux yeux des propriétaires ou des commerçants des villes, juste bons à être de la main d'œuvre bon marché, exploitable à merci, parce qu'incapables de se défendre.
    A la première lecture, les Béatitudes c'est beau, c'est harmonieux, c'est idéal. Mais si l'on y réfléchit, si on lit vraiment ce qui est écrit : Joie pour eux qui sont à bout de souffle, Joie pour les éplorés, Joie pour les persécutés… n'est-ce pas déplacé de parler de joie, de bonheur, n'est-ce pas déplacé de faire des promesses à ces pauvres, à ces laissés-pour-compte, n'est-ce pas un jeu cruel ou démagogique que de les laisser espérer quelque chose qui ne se réalisera jamais dans cette vie, sur cette terre ?
    A la deuxième lecture, les Béatitudes ne sont pas raisonnables, n'ont pas de sens, tout est à l'envers ! Heureux ceux pleurent ! Heureux les doux ! Dans notre monde, il faut être fort, il faut se battre, lutter, être compétitifs, c'est le seul moyen d'être heureux, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ce qu'on nous dit, ce qu'on nous répète, ce qu'on nous serine ?
    Où est la vérité ? Où est la réalité ? Ces Béatitudes sont tout le contraire de notre monde, c'est le monde à l'envers, lorsqu'on écoute les personnes importantes, les décideurs.
    Alors je vous propose de les retourner pour les remettre à l'endroit, pour voir l'effet que cela fait. Allons-y.
    Heureux les riches, les pleins d'eux-mêmes…
    Heureux les violents…
    Heureux ceux qui rigolent…
    Heureux ceux qui sont écœurés par la justice…
    Heureux les sans coeurs…
    Heureux les cœurs partagés, divisés…
    Heureux ceux qui sèment le trouble, la discorde…
    Heureux ceux qui vivent tranquilles et qui ne se mêlent de rien.
    Ça fait un drôle d'effet, cette troisième lecture ! Les Béatitudes semblaient à l'envers, mais une fois qu'on les retourne pour les mettre à l'endroit aux yeux du monde, la nouvelle formule paraît encore plus insensée ! Bon, cela ressemble bien à ce que le monde vit maintenant. Mais ce monde, n'est-ce pas lui qui est à l'envers ? N'a-t-il pas besoin, et nous avec, d'entendre les Béatitudes à l'endroit ! Après ce parcours, les Béatitudes reprennent sens.
    Bien sûr, Jésus n'a jamais dit qu'il venait ôter le malheur et les souffrances du monde. Il a dit qu'il venait pour souffrir, pour vivre notre souffrance. Le contraire du bonheur, ce n'est pas le malheur, c'est la désespérance, la perte du sens. Jésus vient redonner de l'espérance à l'humanité, il vient pour redonner du sens dans nos malheurs.
    Si l'on observe attentivement les situations décrites dans les Béatitudes, ce ne sont certainement pas des situations confortables, mais par contre, ce sont des situations, des attitudes, des comportements où se vit quelque chose de vrai, d'authentique, de profond. On peut rire superficiellement, du bout des lèvres, mais je n'ai jamais vu quelqu'un pleurer pour le paraître ! Lorsque Jésus dit : "Heureux…" il veut signifier que l'on touche à la vraie vie, à ce qui donne du sens à la vie, à ce qui lui donne du poids.
    Lorsque nous sommes sans voix, à bout de souffle, il nous ouvre l'horizon offert par Dieu. Lorsque nous sommes en pleurs, il nous dit que dans les pleurs même, il y a vie et consolation. Et il promet une vie peine de sens — mais pas sans épreuves — à ceux qui font preuve de compassion, qui créent des conditions de paix, qui luttent pour la justice et à ceux qui vivent les rétorsions que leur valent leur combat ou leur foi.
    Jésus n'a jamais promis la tranquillité à ses disciples. C'est lui-même qui ouvre la route en annonçant qu'il va monter à Jérusalem pour souffrir. Ce n'est qu'après avoir ouvert la route lui-même, qu'il engage ses disciples à porter leur croix et à entrer dans le paradoxe de la vie chrétienne :

    "Celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la retrouvera." (Mt 16:25)
    Et j'aimerais conclure par ces mots du scientifique et croyant Théodore Monod :
    "Imaginez que le Sermon sur la Montagne devienne la règle de vie de tous les humains, à commencer par les chrétiens : le lendemain, il n'y aurait plus ni guerre, ni esclavage, ni torture, ni cruauté. C'est là l'évidence. Mais bien des choses en nous nous empêchent d'appliquer à la lettre le Sermon sur la Montagne. Voilà pourquoi je n'ai jamais dit que le christianisme avait échoué; j'ai toujours dit qu'il n'avait pas encore été essayé. Le jour où nous essaierons le christianisme, ce jour-là, quelque chose se produira; le monde changera. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Alors, soyons modestes !"*
    Amen

    *Citation tirée de "Itinéraires" no 49, hiver 2005, page de couverture II.

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 10. Rusé comme le serpent, innocent comme la colombe

    Mt 10
    2.2.2003
    Rusé comme le serpent, innocent comme la colombe
    Eccl. 9 : 13-18 Mt 10 : 16-20 Mt 5 : 38-42

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Tous nos journaux — qu'ils soient en papier ou à la télévision — s'en préoccupent et nous l'annoncent comme prévisible, prévue, inévitable : je veux parler de la guerre en Iraq ! La guerre en Iraq est une préoccupation pour beaucoup d'entre nous, comme j'ai pu m'en rendre compte dans mes dernières visites. Que pouvons-nous faire ? Où va le monde ? Pourquoi cette guerre nous est-elle présentée comme inévitable ?
    Je ne vais par répondre à toutes ces questions, d'abord parce que je n'en serais pas capable, ensuite parce que n'est pas le lieu ici, nous ne sommes pas sur un plateau de télévision. Cependant, je pense qu'il est nécessaire que nous y réfléchissions en tant que chrétiens. L'évangile a sûrement quelque chose à nous dire sur les circonstances que nous vivons. L'Eglise a sûrement quelque chose à faire entendre dans le concert des opinions présentes.
    Bien sûr, il y a le risque que l'Eglise se mette à "faire de la politique." Certains pensent qu'elle devrait en faire davantage, d'autres qu'elle ne devrait pas y toucher. Ce dont je m'aperçois, c'est d'une part que le monde se plaint de ne plus avoir de points de repères pour penser les problèmes d'aujourd'hui, et d'autre part que nous sommes dépositaires d'un message, d'une bonne nouvelle qui n'est pas silencieuse sur le problème de la violence et de la vengeance. Politique ou pas, nous sommes des témoins et nous avons la mission de témoigner de l'évangile.
    Lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, il les avertit que cette tâche n'est pas sans risque. Témoigner de l'évangile soulève des oppositions, voire des persécutions. Témoigner de l'évangile peut même conduire "à comparaître devant des dirigeants et des rois, pour pouvoir apporter son témoignage devant eux." (Mt 10:18)
    L'Eglise a un rôle de témoignage, même face aux grands, aux puissants. L'Eglise doit donc dire quelque chose face à l'annonce d'une guerre inévitable ! Oui, mais alors dire quoi ?
    Lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, il décrit la situation où ils vont se trouver en ces mots : "Je vous envoie comme des moutons au milieu des loups" et il leur dit l'attitude qu'ils doivent avoir : "Soyez donc prudents / rusés comme des serpents et innocents comme des colombes" (Mt 10:16)
    Ce langage imagé exige une interprétation. Comment comprendre ces deux images mises ensemble ? Le serpent et la colombe, voici bien deux animaux que tout oppose, et voilà que Jésus les met ensemble. Le serpent est image du mal, de la ruse, de la corruption (pensez à Genèse 3). La colombe est image de paix (pensez à l'arche de Noé), de pureté, de blancheur.
    Mettre ces deux images ensemble, c'est inviter à dépasser les solutions simplistes où tout est blanc ou noir; c'est inviter à penser paradoxalement, penser plus loin, différemment du monde; c'est sortir des sentiers battus du réalisme, du pragmatisme, des stratégies habituelles.
    Il faut manier en même temps toute l'habileté, l'intelligence, la sagesse possible dont les humains disposent et toute l'innocence, l'ingénuité envisageable. Il faut inventer des solutions originales qui sortent des ornières communes.
    Jésus nous a laissé dans le Sermon sur la montagne un discours sur la vengeance devenu célèbre : "Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends lui la joue gauche" (Mat 5:39). Ce texte a très souvent été qualifié d'utopique, d'irréaliste, voir de capitulation. Et si Jésus, là, donnait l'exemple de ce que cela signifie "être avisé comme le serpent et innocent comme la colombe" ? A quoi conduit la vengeance de "oeil pour oeil, dent pour dent" ? Cela conduit à l'affrontement, à l'escalade de la violence, à la course aux armements, au "je dois être prêt à riposter !"
    La riposte est la solution réaliste, pragmatique, stratégique, mais conduit-elle quelque part ? La riposte va attiser la haine et le désir de vengeance, etc... La riposte est une impasse. C'est pourquoi Jésus nous invite à chercher d'autres voies, des voies qui déstabilisent l'adversaire sans le détruire.
    Jésus nous appelle à une sagesse qui diminue la haine et le désir de vengeance pour conduire à une vraie solution. "Tends l'autre joue" cela ne signifie pas "résigne-toi", mais "cherche d'autres voies d'autres solutions qui mènent quelque part, qui mèneront à une entente.
    Jésus dit encore "Si quelqu'un veut te prendre ta chemise, laisse-le prendre aussi ton manteau" (Mat 5:40). C'est chercher une solution qui engage à ne pas chercher à tout prix à préserver ses intérêts, mais oser renoncer à quelque chose, oser perdre quelque chose pour éviter la rupture ou la destruction de l'autre. Cela peut signifier, pour nous, renoncer à un certain confort pour diminuer les injustice de ce monde et gagner des amitiés plutôt qu'attiser la haine.
    Bien sûr, ce message a peu de chance de passer dans les hautes sphères dirigeantes. Jésus est comme cet homme "pauvre et sage" qui pouvait sauver la ville, dont parlait l'Ecclésiaste :
    "Il aurait pu sauver la ville grâce à sa sagesse. Cependant, personne ne songea à s'adresser à un homme pauvre comme lui. Eh bien, je l'affirme : la sagesse vaut mieux que la bravoure, mais lorsqu'un homme sage est pauvre, les gens le méprisent et n'écoutent pas ses conseils. Pourtant il vaut mieux écouter un homme sensé qui parle calmement qu'un chef qui crie en s'adressant à des sots. La sagesse est plus efficace que les armes, mais un seul maladroit détruit le bien qu'elle procure." (Eccl. 9:15-18)
    Face à une guerre qu'on nous dit inévitable, il faut répéter avec l'Ecclésiaste que "la sagesse vaut mieux que la bravoure" et que "la sagesse est plus efficace que les armes." Cette sagesse — qui comprend la ruse du serpent et l'innocence de la colombe, Jésus nous l'a transmise au travers des Evangiles et plus encore au travers de sa mort où il a mis en pratique — au prix de sa vie — le refus de la violence.
    Jésus a accepté de souffrir plutôt que de voir la violence se déchaîner contre les humains. La guerre est évitable si nous acceptons de porter notre part de sacrifice pour que cette violence ne se déchaîne pas.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 10-11. Dieu place dans notre monde des signes discrets, fragiles — à l'image d'un nouveau-né

    Matthieu 10-11
    16.12.2001
    Dieu place dans notre monde des signes discrets, fragiles — à l'image d'un nouveau-né
    Es 35:1-7 / Jacq. 5:7-8 / Mat. 10:40 — 11:6

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il y a des moments où l'on voudrait bien avoir un signe clair de la présence et de l'action de Dieu dans notre monde, surtout après la période troublée que nous avons vécue cet automne.
    Il nous arrive bien quelque fois d'avoir le sentiment que les choses n'arrivent pas par hasard — ou arrivent par hasarD avec un grand D, un D majuscule — mais on se dit souvent vite : "Ce n'est qu'une coïncidence" et on tourne la page, même si on aurait bien voulu que cela soit un signe ! Recevoir un signe, un signal, et à partir de ce moment-là se sentir soutenu, encouragé, affermi.
    Savez-vous qu'aux Etats-Unis et en Europe, plusieurs millions de dollars sont investis chaque année pour financer des radars et des équipes de scientifiques qui écoutent l'univers, pour tenter de capter les émissions d'une intelligence extraterrestre !
    Mais comment reconnaître un signal intelligent parmi le brouhaha de l'univers. On ne va tout de même pas recevoir un message radio en anglais ou en français. Comment reconnaître une langue, un signal extraterrestre ?
    Pour nous se pose le même problème : Comment reconnaître, parmi tous les messages, le message qui vient de Dieu ? Comment reconnaître, parmi toutes les personnes que nous croisons, la personne porteuse d'un message divin. Comment Jean Baptiste peut-il reconnaître parmi tous ses contemporains : « celui qui doit venir » ?
    Jean Baptiste est à la recherche du Messie, de « celui qui doit venir », celui qui est annoncé, promis, par l'Ecriture. Bien qu'il soit en prison, Jean Baptiste persiste dans sa quête et envoie ses disciples questionner Jésus : "Es-tu « celui qui doit venir » ?"
    Jésus va donner une réponse indirecte à cette question : il dit en quelque sorte à Jean-Baptiste : "Observe les signes, scrute ce qui se passe ! N'est-ce pas ce qui était annoncé dans l'Ecriture ?"
    En effet, ce qui est impossible aux hommes se réalise : "les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts reviennent à la vie, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres". (Mt 11:5)
    Jean Baptiste a vu ces signes-là, ils nous ont été transmis dans les quatre évangiles, mais lorsque j'ouvre les yeux sur notre monde, aujourd'hui, je ne vois pas ces signes-là ! Le signe que je vois aujourd'hui, c'est seulement le signe de Noël que nous attendons, une naissance, la venue d'un nouveau-né. Des enfants continuent à naître dans notre monde ! Est-ce bien raisonnable ?
    Le signe que Dieu nous donne, sa signature, c'est la venue d'un bébé dans un pays occupé par les Romains, où des rébellions se déclenchent, suivies de représailles répressives, exactement la situation de la Palestine d'aujourd'hui ! Dans ce monde d'alors, comme dans notre monde d'aujourd'hui, Dieu donne comme seul signe "un nouveau-né, emmailloté et couché dans une crèche" (Luc 2:12).
    Un signe dérisoire face à nos attentes ! Dieu se moque-t-il de nous ? Quel est son plan ? Ce bébé Jésus est-il vraiment « celui qui doit venir » ?
    C'est à douter de tout, de Dieu, de Jésus, du salut ! Probablement est-ce pour cela que Jésus ajoute cette phrase — après les signes énumérés : "Heureux celui qui n'abandonnera pas la foi en moi, ou à cause de moi" (Mt 11:6). Oui, Jésus, tel qu'il est né, tel qu'il s'est présenté, tel qu'il a vécu, tel qu'il est mort, ne vient pas remplir nos désirs de toute puissance, nos attentes de bouleversements soudains, d'anéantissement radical et rapide du mal.
    Nous voudrions bien que Dieu intervienne radicalement dans notre monde d'aujourd'hui pour mettre fin à nos guerres, à nos injustices, à nos incapacités à partager... Mais il ne le fait pas. Il n'en a pas l'intention. Ce n'est pas sa façon de nous aimer et de nous respecter.
    Dieu place dans notre monde des signes discrets, fragiles — à l'image d'un nouveau-né. Des signes qui ne s'imposent pas, qui n'éblouissent pas, qui ne retiennent pas l'attention des médias. Des signes discrets, mais qui sont partout, qui sont dans tous nos gestes, qui sont dans tous les gestes faits à notre égard.

    "L'homme qui vous reçoit, me reçoit; et l'homme qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé (Mt10:40) Celui qui donne même un simple verre d'eau à l'un de ces petits, recevra sa récompense." (Mt 11:42).
    Chaque geste est un signe, un signal qu'il faut recevoir comme venant de Dieu. Chaque geste que nous faisons, veillons à le faire comme un geste qui peut porter la signature de Dieu.
    Cessons de porter nos regards vers le ciel comme des radars fixés vers l'immensité vide de l'espace en attendant un signal extra-terrestre. La venue de Dieu sur la terre, que nous attendons dans cette période de l'Avent et qui se réalise à Noël, signifie que les signes de Dieu se réalisent maintenant sur notre terre, directement autour de nous et au travers de nous, à travers nos gestes, des gestes tout humains.
    Croire à l'incarnation de Dieu, c'est ouvrir les yeux sur notre réalité présente et y chercher, y voir sa trace, ses signes, sa signature.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 25. Discerner la présence mystérieuse du Christ dans le monde

    Matthieu 25
    16.11.97
    Discerner la présence mystérieuse du Christ dans le monde
    Genèse 18 : 1-8 Matthieu 25 : 31-40 Romains 13 : 8-10

    Avez-vous vu Dieu ce matin ? ou ces derniers jours ?
    Si je vous disais que je l'ai croisé dans les rues de Bussigny ou qu'il est venu sonner à ma porte, il ne serait pas étonnant que vous vous mettiez à penser que ce pasteur déraille, ou qu'on est tombé sur un illuminé. Surprise et incrédulité, voilà une réaction bien normale.
    Cette surprise et cette incrédulité, c'est bien la réaction prêtée aux personnes dépeintes dans la fresque du jugement dernier que nous venons d'entendre. Alors que le Christ en gloire a séparé les gens en deux groupes, il dit aux uns "vous m'avez accueillis, nourris, vêtus", etc. et aux autres qu'ils ne l'ont pas fait. Mais dans les deux groupes des voix s'élèvent : "Quand t'avons nous vu ? Surprise et incrédulité.
    Au travers de toute la Bible nous trouvons deux affirmations contradictoires : d'un côté, elle dit: on ne peut pas voir Dieu, de l'autre elle nous demande de reconnaître que Dieu est présent.
    Voilà le paradoxe : Dieu est présent incognito dans le monde, mais il nous fait des visites surprise.
    Voyez Abraham. Il voit arriver trois visiteurs. Il les accueille avec faste. Rien, sauf le titre du récit, ne dit qu'ils diffèrent de simples voyageurs. Pourtant Dieu est présent dans les paroles de ces trois hommes. Dieu invisible présent dans le visible, dans les paroles de ces mystérieux visiteurs.
    Ces trois personnages savent-ils seulement qu'ils sont ambassadeurs, messagers de Dieu ? Comment le savoir ? Si ce n'est en prenant le message au sérieux, en écoutant, en accueillant, en se faisant réceptif. La présence mystérieuse de Dieu semble insensiblement glisser des messagers vers Abraham. N'est-ce pas lui qui croit entendre Dieu parler, qui entend ces paroles comme parole de Dieu, non pas "comme si", mais "en tant que" Parole de Dieu ? C'est le pas de la foi, la réceptivité du croyant qui guette les signes, qui attend les messages, qui attend des réponses à ses prières.
    Dieu nous fait des signes, Dieu nous met des gens sur notre chemin, pour nous parler, nous révéler à nous-mêmes, pour nous faire avancer, grandir, croître.
    Chaque personne rencontrée est peut-être porteuse d'un message pour nous, d'une révélation pour notre vie, d'une réponse à une question qu'on se pose depuis longtemps. Sommes-nous ouverts à ces messages, à ces réponses ? Sommes-nous vigilants pour les recevoir ? La vigilance est le thème des chapitres 24 et 25 de l'évangile de Matthieu (Les vierges folles et les vierges sages, la parabole des talents).
    Revenons à cette fresque du jugement dernier. Parmi tous les peuples rassemblés, chacun a été confronté à des rencontres, chacun a reçu des visites, des sollicitations, des messages. Remarquez cependant qu'aucun n'a vu l'invisible, aucun n'a vu le Christ directement dans ces rencontres. Le récit ne dit pas "ceux qui ont reconnu le Christ ont hérité du Royaume" ! Personne n'a vu Dieu, n'a vu le Christ. L'incognito a été total, mais chacun a réagi différemment à ces visites.
    Les uns ont été touchés, au fond de leur coeur, ils ont été émus par ces situations de détresse et se sont ouverts à leur prochain. Ils ont eu les yeux de la compassion et ils ont agi en suivant leur coeur.
    Les autres n'ont pas été touchés. Ils n'ont pas vu la détresse à secourir. Ils se sont fermés, enfermés.
    Selon cette fresque imagée, nous savons maintenant que nous pouvons tous rencontrer le Christ incognito, que nous l'avons tous croisé, un jour ou l'autre. Personne cependant ne peut dire : il est là, ou, il est ici, venez voir. Sa présence est toujours une surprise (comme pour les témoins d'Emmaüs).
    Nous pouvons passer notre vie à refuser de voir autre chose que la réalité, la réalité vraie, scientifique et statistique. Refuser de voir autre choses que les réalités économiques :
    - celui qui se donne de la peine trouve toujours un boulot
    - celui qui veut manger n'a qu'à travailler
    - celui qui s'est endetté/nu, n'avait qu'à ...,
    - celui qui se retrouve en prison, n'avait qu'à ...,
    - celui qui est malade, n'avait qu'à ..., pas fumer, pas boire, pas...
    Ou bien nous pouvons laisser notre coeur ou notre troisième oeil s'ouvrir, se montrer réceptif, comme Abraham.
    Nous pouvons guetter, dans chaque rencontre, sur chaque visage, dans chaque parole échangée la présence mystérieuse de ce Christ qui vient habiter la détresse de chacun.
    Dieu nous visite, Dieu nous parle, Dieu nous réclame, saurons-nous l'accueillir, l'entendre, le secourir ?
    Amen.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 5. La peine de mort pour Saddam Hussein ?

    Matthieu 5
    12.11.2006
    La peine de mort pour Saddam Hussein ?
    Rm 13 : 1-5 Mt 5 : 21-22

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Une fois n'est pas coutume, aujourd'hui, je vais prendre le risque de commenter un fait d'actualité. Cette semaine, la nouvelle est tombée : le Haut tribunal pénal irakien a condamné Saddam Hussein à la peine de mort. Celui-ci pourra faire appel et remettre ce verdict en question.
    Deux réactions rapides, réflexes : (i) si Saddam Hussein n'est pas condamné à mort, qui pourrait encore l'être pour des crimes civils ? Ne serait-il pas injuste qu'une personne ayant tué une, deux, trois, voir même 18 personnes s'en tire moins bien que Saddam Hussein ? (ii) La peine de mort est-elle une sanction appropriée pour Saddam Hussein si l'on entre dans des considérations qui tentent de mesurer la gravité des faits et arriver à un châtiment qui soit "à la mesure" de ses crimes. A cette échelle, la peine de mort est trop clémente !
    Pourtant, vous avez pu le voir et l'entendre dans la presse, Amnesty International, l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) et d'autres, dont les Eglises, demandent que la peine de mort ne soit pas appliquée, même dans ce cas !
    Cette position n'est pas facile à défendre. En fait l'abolition de la peine de mort est un discours récent dans les Eglises, une idée du XXe siècle et de l'Eglise primitive. Jusqu'à la déclaration par Constantin que le christianisme devenait la religion d'Etat de l'Empire romain, l'Eglise était opposée à toute mise à mort qu'elles qu'en soient les raisons. Ensuite, en s'appuyant sur les paroles de Paul aux Romains (Rm 13:1-5) — qui dit que l'autorité a le pouvoir du glaive pour faire respecter l'ordre public — les Eglises ont soutenu les Etats et la peine de mort contre les criminels.
    Des groupes marginaux dans l'histoire, les Cathares, les Vaudois, les Anabaptistes s'y sont opposés, comme ils s'opposaient à la guerre. Ce n'est qu'au XXe siècle, le théologien bâlois Karl Barth en tête, que le mouvement abolitionniste s'est développé et a gagné presque tous les pays de tradition chrétienne.
    Cette opposition à la peine de mort est une opposition de principe. Elle fait valoir les arguments suivants :
    - la peine de mort est irréversible. Des innocents peuvent être exécutés par erreur judiciaire.
    - la peine de mort n'est pas dissuasive.
    - la peine de mort frappe avant tout les minorités et les pauvres, elle est donc injuste.
    Ces premiers arguments ne s'appliquent pas dans le cas de Saddam Hussein. Voyons les suivants :
    - Il n'appartient pas aux êtres humains de fixer le moment de la mort, seul Dieu a ce pouvoir.
    - Si coupable soit-il, un homme pour qui Jésus-Christ est mort, ne saurait être privé du temps de patience et de repentance que Dieu offre à tout pécheur.
    -La peine de mort n'est pas un moyen de légitime défense puisqu'elle s'applique sur quelqu'un qui est déjà hors d'état de nuire puisqu'il est déjà en prison.
    - la peine de mort s'exprime par le "même langage", c'est-à-dire avec les mêmes méthodes et moyens que l'on condamne chez le coupable.
    Je ne vais pas analyser chacun de ces arguments. C'est le dernier argument qui me semble en même temps le plus "chrétien" et le plus "universel", le plus compréhensible pour toutes les cultures : La peine de mort utilise le même langage de violence que celui qui est condamné chez le coupable.
    Je trouve cet argument particulièrement pertinent parce qu'il ne s'attache pas au caractère légitime ou non, légal ou non, humain ou non de la peine de mort, mais au caractère violent de la peine de mort. Quelques que soient les méthodes utilisées pour une exécution (on le voit au Etats-Unis avec la diversité de moyens engagés) la peine de mort est toujours l'application d'une violence qui contredit nos valeurs, pas seulement chrétiennes, mais les valeurs de base de toutes les démocraties.
    On utilise la même violence que l'on dénonce chez le condamné. On est dans la violence du "œil pour œil, dent pour dent" même avec tout un arsenal juridique. D'ailleurs, Saddam Hussein utilisait aussi tout un arsenal juridique en Irak qui devait légitimer ses exactions !
    Condamner Saddam Hussein "légalement" à mort, c'est une façon de reconnaître qu'il y a des violences légitimes. Pourquoi celles des nazis ou celles de Saddam Hussein sont-elles illégitimes en fin de compte puisqu'elles reposaient sur des lois d'Etat ? Bien sûr, on dira — après coup — que c'étaient des Etats criminels. Et on le fait en se plaçant au-dessus de ces Etats — p. ex. en se plaçant au niveau de l'ONU ou du TPI (Tribunal pénal international). On voit qu'il faut chaque fois "monter d'un étage" pour poser un jugement. Les chrétiens affirment simplement qu'à l'étage supérieur, il faut placer Dieu et surtout pas les hommes. Le dernier jugement doit être laissé à Dieu !
    C'est une façon de reconnaître que les jugements humains sont toujours trop étroits, trop limités, trop faillibles. La violence est une force bien trop grande, trop explosive pour être laissée entre les mains des humains (surtout quand ils prétendent faire le bien !). Comme humains, nous sommes trop tentés par la vengeance.
    Nous voudrions que la justice venge les victimes. Dans cet esprit, la peine de mort est trop clémente ! Certains ne voudraient-ils pas réintroduire les châtiments tels que la roue, l'écartèlement ou l'écorché vif ? Mais quelle violence supplémentaire améliorerait d'un cheveu le sort des victimes ? Le sort des victimes est bien la première préoccupation chrétienne. La peine de mort ne pourrait qu'assouvir — mais jamais assez — le désir de vengeance des victimes, mais on n'a jamais vu que la vengeance améliorait le sort des victimes.
    Qu'est-ce qui améliorerait leur sort ? Du temps pour mener de nombreux procès, pour faire droit, pour réhabiliter les victimes, pour faire office de mémoire, de mémorial, voilà qui soulagerait les victimes ou leurs proches. Suspendre ou abolir la peine de mort pour faire droit aux victimes de réclamer une condamnation des actes qui ont été perpétrés contre eux, voilà qui serait bienfaisant.
    Reste la question du jugement de Dieu. Comment Dieu allie-t-il justice et amour ? Justice pour les victimes, justice pour le coupable ? Amour pour les victimes, amour pour le coupable ? Nous n'en savons rien ! Pour moi, en tout cas, cela reste un grand mystère. Cependant, nous avons quelques indices à méditer dans la Passion de Jésus.

    - Un homme désigné comme coupable par tous est condamné à la peine de mort.
    - Un innocent se retrouve sur la croix. victime de la violence des hommes.
    - Tous les humains coupables aux yeux de Dieu, mais Dieu qui leur offre le salut malgré tout.
    - Une victime enterrée, que Dieu ressuscite le troisième jour et enlève au ciel.
    - Un jugement différé pour les humains, pour faire place à un amour possible entre les humains et Dieu et entre les humains.
    Aujourd'hui, ce n'est pas dans la figure de Ponce Pilate que l'on reconnaît Dieu, c'est bien dans celle de Jésus et Jésus crucifié. Si un jugement est nécessaire, c'est bien pour que justice soit rendue aux victimes. C'est bien à leur égard que Dieu allie justice et amour.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 20. A nos manques, Dieu répond par l'abondance de ses dons

    Matthieu 20
    22.9.2002
    A nos manques, Dieu répond par l'abondance de ses dons
    Ps 145 : 13-21 Es 55 : 6-9 Mt 20 : 1-16

    Chères paroissiennes, chers paroissiens de nos communautés,
    Nous sommes invités — ce matin — à méditer sur cette parabole bien connue des "ouvriers de la 11e heure" et sur les paroles du prophète Esaïe qui rapporte des propos qui semblent sévères de la part de Dieu :
    "Vos pensées ne sont pas mes pensées, vos projets ne sont pas mes projets" (Es 55:8).
    Ces paroles sont comme une remise au pas de l'être humain, une remise en place, à sa juste place, de l'humain par Dieu. Il semble que — dans ces paroles — Dieu veuille nous rappeler toute la distance qu'il y a entre lui et nous, une distance aussi grande que celle qui sépare la terre du ciel, entendez : une distance infinie.
    Je pense qu'il faut prendre cette distance au sérieux, et reconnaître que nos systèmes de pensées ne sont pas ceux de Dieu, que nos projets de société ne sont pas ceux de Dieu, que nos idées sur la réalité ne sont pas celles de Dieu. Mais le prophète ne parle pas d'une distance infranchissable, qui serait une séparation de Dieu ! En effet, Esaïe a commencé son apostrophe en disant que Dieu "se laisse trouver" et "qu'il est maintenant près de nous" (Es 55:6).
    La distance entre Dieu et nous existe, mais elle n'est pas là où on la pense. La distance n'est pas une affaire kilométrique, elle est une affaire d'attitude ! Le prophète nous invite à ne pas créer nous-mêmes notre propre distance vis-à-vis de Dieu en projetant sur lui nos manières de penser.
    Cessons d'attribuer à Dieu nos raisonnements, nos sentiments, notre façon de considérer les choses. Dieu a sa propre façon d'agir, de raisonner, de considérer les situations. Et c'est ce qui est illustré dans la parabole des "ouvriers de la 11e heure."
    Jésus commence par dire : "Voici à quoi ressemble le Royaume des cieux." Comprenons aujourd'hui que cela signifie : "Je vais vous illustrer la façon de penser et d'agir de mon Père." Et que voit-on ? Un maître généreux. Non seulement il remplit son contrat en donnant la somme convenue, mais il arrondit vers le haut le salaire de tous.
    Évidemment, en terme de salaire horaire, c'est inéquitable ! Mais il faut savoir qu'une pièce d'argent par jour est la somme nécessaire pour nourrir sa famille ce jour-là. Le maître ne se préoccupe pas de savoir si son geste crée des inégalités, il est préoccupé par le sort de chaque ouvrier. Il veut que chacun puisse vivre et nourrir sa famille.
    Et le maître agit ainsi quoi qu'en pensent ceux qui l'observent. Les pensées des mécontents, des jaloux le laissent indifférent. "Etes-vous jaloux parce que je suis bon ?" dit-il seulement. Là est bien la question; là est bien la distance qui sépare les humains de Dieu !
    Lorsque nous voyons Dieu à notre image, nous projetons sur lui nos exigences de "bon droit", de rétribution. Nous projetons sur lui notre peur de manquer, notre angoisse d'être moins bien lotis que notre voisin. Ces pensées ne sont pas celles de Dieu. Et nous n'avons pas à les projeter sur lui.
    Hélas, trop souvent, en tant qu'Eglises, nous projetons cette image de Dieu aux yeux de nos concitoyens. Nous créons nous-mêmes la distance avec Dieu en plaçant des obstacles sur le chemin de ceux qui veulent s'approcher de Dieu. Combien de fois nos jugements rapides ou quelques mots critiques renvoient une personne à sa solitude ou son désarroi ? Combien de fois nos préjugés nous retiennent-ils d'offrir à quelqu'un le sourire ou la main tendue qui lui feraient du bien ? Combien de fois nos peurs ou nos rigidités institutionnelles mettent-elles un frein à l'oecuménisme ? Là où Dieu ouvre les bras pour accueillir tous les humains, nous mettons des obstacles, des barrières.
    Au lieu d'imaginer un Dieu à notre image, apprenons à nous réjouir de la bonté du Père, à nous réjouir de sa générosité et de l'abondance de biens qu'il donne à tous. C'est à nous d'adopter Dieu pour modèle, c'est le retournement auquel le prophète Esaïe nous invite et nous exhorte.
    Oui, nous avons peur du manque, peur de l'injustice. Oui, nous sommes envahis par la jalousie, mais Dieu n'est pas semblable. A notre manque il répond par l'abondance de ses dons. A notre peur de l'injustice, il répond par la réhabilitation des victimes et le soins de nos blessures. A notre jalousie, il répond que tous ses biens nous sont déjà donnés en Jésus-Christ (Luc 15:31).
    A nous de recevoir vraiment les paroles du prophète :

    "Tournez-vous vers le Seigneur,
    maintenant qu'il se laisse trouver.
    Faites appel à lui,
    maintenant qu'il est près de vous." (Es 55: 6)
    Tout ce dont Dieu dispose, il nous l'a déjà donné, apprenons à puiser à cette source pour être comblé de plénitude.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 18. Le pardon, un fusible dans la chaîne du mal

    Matthieu 18
    12.9.1999
    Le pardon, un fusible dans la chaîne du mal
    Ez 33 : 7-9 Rm 13 : 8-10 Mt 18 : 15-20

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui, j'aimerais vous parler du pardon. S'il est une chose, une action qui caractérise tout le ministère de Jésus, c'est sa capacité de pardonner. C'est aussi ce qui lui a été vivement reproché ! Car le pardon, le fait de pardonner les péchés, avait toujours été une prérogative de Dieu lui-même, de Dieu seul.
    Lorsqu'au début de son ministère — devant un parterre de théologiens — Jésus pardonne ses péchés au paralytique (Mt 9:1-7), cela engendre une vive discussion. Jésus marche sur les plates-bandes de Dieu, lui reprochent ses adversaires. L'être humain peut bien pardonner une offense, mais pas un péché.
    Jésus va renverser ces subtilités de théologiens, il annonce le pardon de Dieu à tous et affirme la capacité de chacun, de chaque homme, de chaque femme à pardonner, à délier les liens du mal avec un extrême efficacité. En effet, vous l'avez entendu, Jésus affirme que ce que nous délions, pardonnons, sur la terre, sera délié, pardonné, dans le ciel. La portée de notre pardon est illimitée !
    Ces paroles de Jésus sur le pardon : "Si ton frère se rend coupable à ton égard, va le trouver..." (Mt 18 : 15) montrent que l'initiative est entre les mains de celui qui a subi du mal, un tort. L'offensé n'a pas à attendre un geste de celui qui l'a blessé, il peut prendre l'initiative. Le but de cette initiative est de gagner un frère, de restaurer la relation.
    Examinons un peu le chemin qui va de l'offense au pardon. En réalité, c'est un double chemin, celui que parcourt l'offensé, celui qui a été blessé, et celui que parcourt celui qui a blessé, fait du tort. Au départ, ils sont ensemble au moment où l'un blesse et l'autre est blessé. Comme vous le savez, cela peut se produire de toutes sortes de manières, Tout à coup, le mal est fait, la parole blessante a surgi et fait son oeuvre.
    Jésus ne cherche pas à établir des responsabilités, à trouver un coupable. On se rappellera — dans le texte qui vient juste avant le nôtre, celui de la brebis perdue — que la brebis s'est égarée sans qu'on cherche à savoir si c'était la faute de la brebis, du chien ou du berger. Le mal est fait, point. L'un a subi le mal, l'autre a commis le mal, le mal est là.
    Vient alors une phase de prise de conscience, phase essentielle autant pour l'un que pour l'autre. Réaliser le mal subi, sa nature, où cela nous touche, nous blesse, est une étape nécessaire à notre guérison. Réaliser le mal qui a été commis et ce qui échappe à celui qui l'a fait. Sur la croix, Jésus réalisait le mal qu'il subissait, mais il a demandé à Dieu : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font !" Qui sait vraiment le mal qu'il fait, qu'il commet, toute son étendue ?
    On fait rarement le mal volontairement, délibérément, mais plutôt par lâcheté, par peur, pour se défendre ou poussé par des forces internes qu'on ne s'explique pas. Cela n'excuse pas le mal commis, mais cela aide à le comprendre et de là, à le pardonner. Pardonner, c'est renoncer à penser que l'autre est simplement méchant, pour envisager qu'il souffre aussi, qu'il n'est pas si libre qu'il ne le pense, qu'il est peut-être lié par le mal qu'il commet.
    Le pardon, c'est la possibilité d'une double libération. Pour l'offensé, c'est lâcher prise de sa colère, lâcher sa position de victime, lâcher sa position de dépendance face à l'agresseur, le quitter, l'abandonner pour redevenir soi.
    Pour l'agresseur, c'est le délier de ce mal qu'il a commis, c'est-à-dire cesser de l'enfermer dans son acte pour considérer qu'il y a d'autres forces en lui qui peuvent le faire sortir du cercle du mal. S'il réalise cela, l'agresseur pourra entamer une vie nouvelle, qui passe par la repentance, la réparation et conduit à la réconciliation.
    Le mal — comme nous l'apprennent beaucoup d'études savantes, mais aussi la simple actualité du Kosovo — est une chaîne, un enchaînement de mal subi qui conduit à une vengeance qui engendre une violence en retour et qui n'a plus de raison de finir. Le pardon est comme un fusible qui rompt cet enchaînement, cette propagation du mal.
    En tant qu'Eglise de Jésus-Christ, — Eglise de celui qui a démasqué ce mécanisme sur la croix et a opposé à cette violence son pardon — en tant que disciples, nous avons à apprendre à pardonner, comme Dieu pardonne.
    Encore un mot sur une phrase bizarre de ce texte :

    "Si celui qui t'a offensé refuse d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme le païen et le collecteur d'impôts" (Mt 18:17).
    Cette phrase a souvent été comprise comme une condamnation de l'offenseur et une invitation à ne plus avoir de contact avec lui. C'est une erreur, car pour Jésus (l'ami des païens et des collecteurs d'impôts, lui reprochait-on, Mt 11:19) cette phrase signifie plutôt : "Qu'il soit pour toi comme pour moi, l'objet de toute ton attention, comme le berger à l'égard de la brebis perdue." Le but de la démarche du pardon est de "gagner un frère", un interlocuteur amical, une personne avec laquelle on peut renouer.
    Dieu ne nous demande pas d'être parfaits, irréprochables et purs, il nous demande de nous accepter les uns les autres, tels que nous sommes, en nous pardonnant mutuellement le mal que nous subissons ou commettons.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • 11.6.2006 / Matthieu 7, Le chemin du bonheur est étroit parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant"

    Matthieu 7
    11.6.2006
    Le chemin du bonheur est étroit parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant"
    1 Rois 17 : 5-16 Mt 7 : 7-14

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers membres de l'Abbaye,
    J'ai retrouvé récemment deux livres amusants, mais plein de sagesse. L'un s'intitule : « Comment réussir à échouer » et l'autre : « Faites vous-même votre malheur »*. Je crois que ces deux livres sont de parfaites illustrations de la parole de Jésus :

    "Entrez par la porte étroite ! Car large est la porte, facile est le chemin qui mènent à la ruine, et nombreux sont ceux qui les utilisent. Mais étroite est la porte, difficile est le chemin qui mènent à la vie, et peu nombreux sont ceux qui les trouvent." (Mt 7:13-14).
    Larges sont les boulevards pour échouer, pour pourrir sa vie, pour faire son propre malheur. Mais combien plus difficile est-il de créer du bonheur, de vivre heureux. Pourtant le bonheur est quelque chose à quoi nous aspirons tous, c'est une quête fondamentale de l'être humain. C'est même sûrement ce qui nous différence le plus de l'animal, cette capacité d'organiser sa vie, de prévoir (ou choisir) ses actions, en vue d'un but et la conscience de réussir ou d'échouer.
    Lorsque les évangélistes Matthieu ou Luc rapportent cette parole de Jésus, cette injonction : "Entrez par la porte étroite…" ce n'est donc pas une brimade. Bien sûr, on ne peut pas passer sous silence les quelques siècles où cette parole a été interprêtée comme un appel au renoncement et à la condamnation de bien des plaisirs terrestres, dénoncés comme lieux de tentations… Mais je ne crois pas que ce soit le sens que Jésus voulait y mettre.
    Jésus prononce cette phrase comme une véritable invitation au bonheur. Mais il est conscient qu'il est plus facile d'échouer et de faire son propre malheur que de trouver le bonheur, d'où cette mise en garde : "Large est le chemin qui mène au malheur, étroit est le chemin qui mène à la vie, à la vie en plénitude."
    Nous aspirons tous au bonheur, mais nous sommes maladroits à le recevoir et nous sommes prompt à le voir là où il n'est pas, à nous laisser tromper par des miroirs aux alouettes. On nous propose effectivement plusieurs modèles sociaux du bonheur. Les plus anciens (santé, amour et fortune) contiennent un peu plus qu'une apparence de bonheur — ils sont des ingrédients qui rendent la vie plus facile — mais ne sont pas encore en eux-mêmes le bonheur.
    Bien sûr, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade… dit la sagesse populaire : on s'en serait bien douté. Mais n'y a-t-il aucun espoir de bonheur pour ceux qui ne correspondent pas à ces critères prescrits ? Celui qui perd son travail, son conjoint ou la santé, n'a-t-il plus aucune chance d'être heureux ? Eh bien l'Evangile nous dit que le bonheur peut survenir dans toutes les situations de vie, mais sans sous-estimer l'effort et l'énergie que cela demande.
    J'ai parlé des modèles anciens (santé, amour et fortune), il y en a de plus récents, érigés par notre société médiatique qui sont : la consommation, la célébrité et l'évasion. Pas besoin de longues explications pour voir à quel point ces idéaux sont fragiles, illusoires et éphémères.
    Mais j'aimerais revenir sur le problème de la précarité qui semble être le plus grand obstacle d'aujourd'hui au bonheur. Comment trouver un bonheur durable dans une société qui rend précaire aussi bien l'unité du couple que la durée d'un contrat de travail ?
    C'est là que j'aimerais prendre l'exemple de la Veuve de Sarepta à qui Elie demande à manger. Elle et son fils sont dans une précarité totale : demain, ils n'auront plus rien. Pourtant, le lendemain et les jours suivants, la farine et l'huile ne sont pas épuisées, elles se renouvellent. Evidemment, c'est un miracle et comme événement impossible, cela me dérange : c'est trop facile de s'en sortir comme ça ! Tout arranger par un miracle, c'est du chiqué, nous savons que cela ne se passe pas comme ça dans la vie ordinaire.
    Alors que faut-il comprendre de ce récit ? Deux choses. Si c'est impossible matériellement, qu'en penser ? D'abord, prenons au sérieux que c'est impossible matériellement. Prenons acte qu'il est impossible de nous satisfaire matériellement. Il y aura toujours une voiture plus puissante que la mienne, un ordinateur plus rapide que celui que je viens d'acheter, une nourriture plus fine que celle de ma table, des vacances plus belles que mes dernières. Et nous n'aurons pas tout ça ! Si nous attendons un bonheur matériel, il sera toujours quelques pas devant nous et nous pourrons courir derrière pendant toute notre vie sans jamais le rattraper. Allons-nous créer notre propre malheur en gémissant toute notre vie sur ce fait ? A nous de choisir…
    Deuxième chose, si nous prenons le récit à un autre niveau, il illustre que chaque jour est un jour nouveau qui apporte son lot de possibilités. Chaque jour, le "pot de la vie" est réapprovisionné, en chance de bonheur, de vraie vie. Le destin, la vie, ou Dieu, nous sert chaque jour un nouveau pot avec de la farine et de l'huile pour nourrir notre bonheur. Savons-nous saisir cette chance ?
    Enfin, le piège final — qui récapitule les autres — et que nous créons nous-mêmes, c'est de croire que le bonheur est toujours ailleurs ou pour plus tard. Il est avec le nouveau produit, le nouvel objet; avec un autre travail ou un autre patron; avec un autre conjoint; lorsqu'il fera beau temps; après ce culte; après les vacances; quand j'aurais enfin du temps; demain, après-demain, mañaña, etc…
    Large est le chemin, l'éventail des possibilités où le bonheur pourrait venir, si… Avec cela nous faisons notre malheur, parce que tout cela est en dehors de nous, hors de notre maîtrise.
    Le chemin du bonheur est étroit, parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant", dans l'instant présent que je vis ! Juste maintenant — que puis-je apporter à ma vie? Dans l'instant, que puis-je recevoir, trouver, comment puis-je entrouvrir la porte au bonheur ?
    La promesse divine, c'est que chaque jour est le lieu et le moment de l'ouverture au bonheur, chaque jour apporte sa farine et son huile. Chaque jour : demandez la touche de bonheur et vous la recevrez, cherchez le bonheur et vous le trouverez.
    Large est le temps de passer à côté du bonheur: il y a tout le passé à regretter et tout l'avenir à espérer ou à craindre. Etroit est le temps du bonheur puisque ce n'est que dans le "juste maintenant" et pourtant c'est le moment que nous ne cessons de vivre, tout le temps. Personne n'est privé du moment présent, quelles que soient les circonstances de la vie. Ce moment présent est donné à tous, constamment et c'est là que se trouve le moment du bonheur, juste maintenant… et maintenant… et maintenant… et lorsque je trinquerai avec mon voisin de table; le bonheur d'un vrai regard échangé, de personne à personne.
    Oui, pétrissons la galette de vie de ce moment-là, juste maintenant.
    Amen


    *Paul Watzlawick, Comment réussir à échouer, Paris, Seuil, 1984.
    Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Paris, Seuil, 1988.


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Matthieu 7. Dépasser quelques obstacles qui rendent la prière difficile.

    Matthieu 7

    12.2.2006
    Dépasser quelques obstacles qui rendent la prière difficile.
    Luc 18 : 1-8 Mt 7 : 7-11


    Questions écrites par les catéchumènes à propos de la prière :

    Nous nous sommes posés quelques questions pratiques sur la prière :

    Pourquoi devons-nous assembler nos mains pour prier ?
    Pourquoi doit-on fermer les yeux et joindre les mains pour la prière ?
    Pourquoi doit-on dire « Amen » à la fin d’une prière ?
    Pourquoi suivant les religions on prie différemment ?
    Pourquoi des religions prient-elles en groupe ?

    Et puis quelques questions sur les effets de la prière :

    Quand on est plusieurs à prier, est-ce d’une plus grande valeur ?
    Pourquoi Dieu ne me fait-il pas faire des bonnes notes ?
    Est-ce que la prière peut faire revivre une personne disparue, morte ?
    Est-ce qu’une prière peut faire changer l’esprit d’une personne sur une chose ?
    Est-ce que la prière peut changer le cours de ma vie ?

    Enfin, des questions sur la communication avec Dieu :

    Est-ce que toutes les personnes peuvent entendre Dieu ?
    Est-ce que Dieu peut me répondre ?
    Est-ce que Dieu nous écoute tout le temps lorsqu’on prie ?

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aborder la question de la prière avec des adolescents n'est pas facile. En fait, je ne suis pas sûr que prier soit beaucoup plus facile pour des adultes, même si certaines questions, notamment pratiques, sont résolues. Je n'ai pas de "recettes" concernant la prière; je ne pense pas non plus être le détenteur des "bonnes" réponses aux questions que vous avez entendues. Les catéchumènes en ont sûrement découvert eux-mêmes dans leurs groupes. J'aimerais plutôt relever quelques obstacles à la prière qui appartiennent à notre société et à notre temps. Je vais illustrer ces obstacles par quelques petites histoires.

    Imaginez maintenant un alpiniste qui se prépare à escalader un sommet difficile dans les Alpes. C'est le soir, il vérifie son matériel dans la cabane qui va lui servir de point de départ. Il est concentré. Le gardien de la cabane vient vers lui et lui demande ce qu'il veut faire le lendemain. L'alpiniste lui nomme le sommet et lui dit en même temps ses craintes et son espoir d'y arriver. A ce moment, le gardien lui dit : " L'hélicoptère doit me livrer des marchandises demain. Si tu veux, il peut te déposer au sommet. Comme ça tu y seras et tu n'auras pas à avoir peur d'échouer !"

    L'attitude du gardien est celle de toute notre société : le bonheur, c'est d'atteindre le but sans effort. Et souvent nos prières reflètent cet état d'esprit. Nous demandons à Dieu d'aplanir les difficultés, de réaliser nos souhaits sans notre participation, sans notre engagement. Une partie de nous souhaite cela. Mais une autre partie voit que cela n'a aucun sens.
    Le projet de l'alpiniste n'est pas de poser le pied sur le sommet seulement. C'est le chemin qui est important. C'est la lutte, l'effort, le combat qui donne un sens à sa présence ensuite au sommet. Demander la réalisation de nos souhaits, c'est prendre Dieu pour le Père Noël. Prendre Dieu pour le Père Noël, c'est se priver du bonheur de faire le chemin soi-même, même si le chemin se révèle difficile. Le Père Noël donne le but sans le chemin, donc en fin de compte il nous prive de l'expérience de la vie. Ce serait comme recevoir un bébé sans vivre la rencontre amoureuse ! Ne nous laissons pas prendre dans l'illusion que le bonheur est dans le but. La vraie vie est dans le chemin.

    Un homme arrive au paradis. Il est fâché. Il dit à Dieu : "Toute ma vie j'ai prié pour gagner à la loterie et jamais tu ne m'as exaucé !" Dieu lui répond : "Tu aurais pu m'aider en achetant au moins une fois un billet, non ?"
    Qu'est-ce que je fais de mon côté pour que ma prière se réalise ?

    La prière, ce n'est pas donner des ordres à Dieu, ni le faire plier à force de paroles. Bien sûr, la prière peut être un cri (voyez les Psaumes) dans une situation d'impuissance totale : "Je suis perdu, viens à mon secours !" Dans ce cas la prière permet de situer Dieu (au-dessus de moi) et de me situer moi-même et de faire le point.

    Mais le plus souvent, la prière va nous révéler que là où nous nous sentons impuissants à faire quelque chose à l'extérieur, nous pouvons au moins commencer à le faire à l'intérieur de nous-mêmes ! Tout changement commence à l'intérieur de soi-même. Lorsque je demande que quelqu'un change, je peux me demander pourquoi ce qu'il fait me dérange tellement et voir en moi ce que je peux transformer pour faire bouger la situation. Puis-je demander à l'autre de pardonner (tolérer) mes défauts, si je ne pardonne (tolère) pas les siens ? Commençons par acheter ce fameux billet de loterie avant de nous plaindre de ne jamais gagner.

    Un homme raconte à ses amis son voyage dans le Sahara.
    — Et puis le 3e jour, je me suis perdu. Je ne retrouvais pas le campement. J'ai marché toute la journée, puis la nuit. Le jour suivant, j'étais désespéré, je n'avais ni eau ni vivres. J'étais sûr de mourir, alors je me suis mis à prier : « Seigneur, sauve-moi, sauve-moi ! » Un de ses amis l'interrompt et lui dit :
    — Alors Dieu a répondu à ta prière puisque tu es là aujourd'hui !
    Et lui de répondre :
    — Non, il n'en a pas eu le temps ! A ce moment-même j'ai aperçu une caravane qui surgissait de derrière la dune.

    La réponse à une prière restera toujours une question d'interprétation, une question de foi. On peut aussi bien évoquer l'intervention de Dieu que la coïncidence. Dieu ne s'impose jamais avec des preuves incontestables. C'est une question de confiance…
    Lorsque Jésus parle de la prière, il met en jeu la confiance que nous mettons en Dieu, et en l'homme ! Il décrit des situations humaines — bonnes ou mauvaises — un juge qui fait la sourde oreille ou des parents biens disposés envers leurs enfants. Et Jésus montre qu'avec des gens ordinaires on arrive à obtenir ce qu'on demande. Ce n'est pas la question de tomber sur une personne bonne ou sur la bonne personne.
    Alors, si l'on fait confiance dans la bienveillance fondamentale de Dieu à notre égard, nous pouvons nous risquer à demander, à prier ! Jésus nous appelle à faire confiance à Dieu, à sa bienveillance. Dieu n'est pas un obstacle, Dieu n'est pas un ennemi, il est là — dans sa grandeur — non pour faire les choses à notre place, mais pour être comme un entraîneur, un coach qui nous aide à aller au bout de nos possibilités.
    Que demanderions-nous à notre entraîneur pour améliorer nos performances, sachant que ce n'est pas lui, mais nous qui allons nous battre pour la médaille olympique, pour vivre vraiment notre vie ?
    Prions comme nous parlerions à notre entraîneur !
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Matthieu 1. Trois naissances marquées par la main de Dieu.

    Matthieu 1
    4.12.2005
    Trois naissances marquées par la main de Dieu.
    Ex 2 : 1-10 Jg 13 : 1-5+24-25 Mt 1 : 18-25


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    La Bible nous rapporte plusieurs récits de naissances au fil de ses pages, plusieurs témoignages de personnages qui confessent que Dieu les a choisis dès le sein de leur mère, dès leur naissance, comme Jérémie (Jr 1:5) ou l'apôtre Paul (Ga 1:15).
    C'est une démarche fréquente — lorsque quelqu'un devient célèbre — de chercher dans sa vie, dans son enfance, ou même dès sa naissance, des signes annonciateurs de son "génie." Ainsi on a été rechercher les carnets scolaires d'Albert Einstein, ou les dessins d'enfant de Picasso ou de Paul Klee; peut-être va-t-on rechercher les premières dictées que Bernard Pivot a écrites à l'école ?
    Après coup, on remonte le temps pour chercher l'origine du caractère particulier de la personne. On pense, en effet, qu'un personnage extra-ordinaire doit avoir eu une naissance ou une enfance extra-ordinaire.
    Dans la Bible, dans les récits de naissances, on trouve trois sortes de "marques," de "types" de naissances extraordinaires.
    A. En premier lieu, il y a les annonces de naissance. Un messager de Dieu, un ange, vient prévenir les parents. C'est le cas pour Samson — l'homme qui tirait la force de ses cheveux — dont la naissance est annoncée par "l'ange du Seigneur" à sa mère. C'est aussi le cas pour la naissance d'Ismaël, d'Isaac et de Jean-Baptiste.
    B. En deuxième lieu, il y a les naissances impossibles. Souvent, elles ont été accompagnées d'une annonce. Ce sont des naissances que j'appelle "impossibles" parce que les parents sont stériles ou trop âgés. elles sont impossibles aux yeux des humains, mais réalisables par Dieu. On retrouve Isaac et Jean-Baptiste, auxquels on peut ajouter Samuel. Certaines femmes passent par des stérilités temporaires comme Rébecca ou Rachel.
    C. Enfin, en troisième lieu, il y a les naissances d'enfants qui échappent à un décret de mort. C'est le cas de Moïse "sauvé des eaux", mais surtout sauvé du décret du pharaon qui voulait que tous les nouveaux-nés mâles du peuple hébreu soient tués à la naissance.
    Maintenant, lorsqu'on lit — dans les Evangiles de Matthieu et de Luc — les récits autour de la naissance de Jésus, on s'aperçoit que les trois types de récits de naissance ont été appliqués à celle de Jésus.
    A. Joseph, chez Matthieu, Marie, chez Luc, reçoivent d'un ange l'annonce de la naissance de leur enfant.
    B. La naissance de Jésus est une naissance "impossible" puisque Marie est vierge et que Marie et Joseph ne se sont point encore connus, selon la terminologie biblique (Mt 1:25, Luc 1:34).
    C. Enfin, dans l'Evangile de Matthieu, Jésus échappe au Massacre des Innocents commandé par Hérode. Ici le parallèle avec Moïse est frappant.
    Chacun de ces types de signes — déjà séparément — montre que la main de Dieu est posée sur ces enfants. Ensemble, ces signes accumulés sur Jésus indiquent que Jésus a un statut particulier dans le cœur de Dieu, ce qu'on a traduit dans notre langage en disant : Jésus est le fils de Dieu.
    Oui, la main de Dieu repose spécialement sur Jésus. La résurrection après la croix a été le début de la révélation de ce lien particulier entre Dieu et Jésus. A la lumière de la résurrection, il a été possible de voir la Passion du Christ sous une lumière nouvelle, puis de comprendre les signes parsemés tout au long de son ministère, depuis son baptême par Jean-Baptiste.
    Et quelques-uns des évangélistes ont voulu montrer que Dieu avait un lien intime et particulier avec Jésus depuis son origine. Matthieu et Luc font remonter ce début à l'annonce de la naissance, voir plus haut, puisque chacun d'eux donne une généalogie de Jésus. Matthieu remonte jusqu'à Abraham, Luc jusqu'à Adam. L'évangéliste Jean place même ce lien avant la création lorsqu'il dit : "Au commencement était la Parole (=Jésus) et la Parole était auprès de Dieu" (Jn 1:1).
    Ces récits sont donc des réflexions sur la question : d'où vient vraiment Jésus ? d'où et de qui lui vient qu'il nous montre si bien qui est Dieu ? Et la réponse, ou plutôt les réponses, ne peuvent pas mieux faire que de pointer Dieu lui-même. Jésus vient de Dieu, il révèle Dieu lui-même.
    Ces questions sur les origines de Jésus nous pouvons aussi nous les poser à propos de nous-mêmes. Que s'est-il passé "au début" pour que je sois maintenant qui je suis ? D'où me vient ma personnalité ? Il y a beaucoup de pistes à suivre dans cette quête :
    - l'arbre généalogique : qu'ai-je reçu de mes parents et de mes ancêtres ?
    - mes parrains et marraines, au sens large des personnes qui ont veillé sur moi et m’ont marquées,
    - mon milieu (histoire et géographie),
    - mes décisions personnes, et si l'on pousse assez loin l'introspection on va s'apercevoir que certaines décisions remontent tôt dans l'enfance, (par exemple pour certains choix professionnels),
    - et puis les événements, les circonstances qui ont bouleversés nos vies,
    - enfin, dernier sur ma liste, mais pas le moins important, quelle trace puis-je découvrir dans ma vie de la main de Dieu ? de l'ange du Seigneur ?
    Toute vie compte aux yeux de Dieu, toute vie est dans le creux de sa main. Que puis-je voir de sa présence ?
    Dans ce temps de l'Avent, de l'attente impatiente de la venue de Jésus à Noël, voulons-nous accueillir davantage "la main de Dieu", "l'ange du Seigneur" ? L'accueillir par la reconnaissance de la place qu'il a dans notre vie ? L'accueillir pour lui laisser une place de guide, de conseiller dans notre vie — au travers de la prière ?
    Se préparer à Noël, à la venue de Jésus, ce n'est pas seulement attendre qu'il fasse quelque chose dans le monde, c'est l'accueillir dans sa vie personnelle, pour qu'il soit un compagnon sur notre route, pour qu'il soit un guide dans notre vie et dans celle de nos enfants dès leur naissance, dès leur enfance, pour qu'ils puissent voir dans leurs vies les traces de sa présence. Dans ce temps de l'Avent, laissons-nous saisir par la main de Dieu.
    Amen

    © 2005, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.