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education - Page 22

  • Genèse 37. Joseph, figure messianique

    Genèse 37
    9.7.2000
    Joseph, figure messianique
    Genèse 37 : 2-36
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-09.pdf


    Chers amis,
    Pendant ce mois de juillet, je vous propose de faire un parcours suivi dans la vie de Joseph, le fils de Jacob. Aujourd'hui, vous avez entendu les trois premiers passages de sa vie que nous présente le livre de la Genèse.
    Le premier passage nous décrit la situation familiale dans la fratrie des fils de Jacob. Le deuxième nous fait part des rêves de Joseph et le troisième du complot des frères pour se débarrasser de lui.
    A. La famille de Jacob est plus compliquée qu'aucune des "familles recomposées" qu'on rencontre de nos jours. Imaginez : un père avec douze fils nés de quatre femmes différentes, dont deux sont soeurs et les deux autres leurs servantes. L'une de ces épouses, la bien-aimée de Jacob est décédée.
    Cela fait un fils aîné, Ruben, le premier-né de la première femme (Léa) et trois autres fils premiers-nés des autres femmes qui peuvent chacun réclamer une prééminence. Ce sont Dan (fils de Bila), Gad (fils de Zilpa) et Joseph (fils de Rachel) le onzième fils de Jacob. Joseph est donc le cadet, c'est-à-dire l'avant-dernier fils, le dernier étant Benjamin, le benjamin de la famille.
    Pour tout compliquer, Joseph est aussi le préféré de son père, ce qui est manifesté ostensiblement par la robe — particulièrement riche — qu'il reçoit de son père.
    Cette fratrie est donc animée de rivalités qui tiennent aux rangs réels, numériques, de chacun dans la famille et à la jalousie qui vient de la prééminence que Jacob accorde à Joseph. Dans ce sens, Jacob n'a jamais été guéri de ce que j'appellerai "sa haine contre le droit d'aînesse héréditaire." Il reporte sur ses propres enfants le problème qui l'habite ! En même temps, cette "haine contre le droit d'aînesse héréditaire" est quelque chose que Dieu partage, parce que ce prétendu droit s'apparente trop souvent au simple "droit du plus fort".
    Ainsi cette fratrie sans chef évident ("de droit divin"!) ressemble en miniature à toute société humaine. Cette famille est l'image de toute société humaine avec ses luttes de clans, ses haines et ses jalousies, ses rivalités et ses envies d'exclusion et de meurtres.
    B. Là au milieu, il y a Joseph, que l'on peut voir péjorativement — comme le voient ses frères — comme l'homme aux rêves, aux songes, dans les nuages, ou positivement comme le visionnaire, celui qui a un projet pour cette société qu'est cette fratrie, comme — plus tard — il aura un projet pour l'Egypte, un projet social pour traverser la famine sans perdre un habitant du pays.
    La problématique qui traverse toute l'histoire de Joseph est celle de la vie fraternelle de toute l'humanité. Comment vivre tous ensemble en paix ? Joseph est le porteur de cette problématique, il va vivre dans son corps toutes les étapes qui feront de cette famille divisée par la haine, une famille réconciliée et sauvée de la mort.
    La vie de Joseph ressemble à une tragédie grecque. Son destin est énoncé dans ses rêves et toutes les tentatives faites autour de lui pour l'empêcher d'accomplir son destin, seront autant de pas en direction de cet accomplissement.
    C. Ainsi le complot des frères contre Joseph est un moment nécessaire à cet accomplissement. Ici, on peut commencer à observer les parallèles avec la Passion de Jésus, notamment dans la phrase : "ils complotèrent de le faire mourir" (Gn 37:18 et Mt 26:4 et par.) et ce côté nécessaire et inéluctable du déroulement des événements.
    Les frères n'en peuvent plus de voir Joseph tourner autour d'eux. Ils trouvent Joseph extrêmement désagréable, c'est vrai, il dénonce, il rapporte à son père, il est d'un orgueil plus qu'agaçant, il est toujours du côté de son père, en un mot, il trahit ses frères, il n'a aucune loyauté à leur égard : il faut donc l'éliminer!!!
    On remarquera ici que c'est la première solution — la solution la plus primitive — que toute société envisage lorsqu'elle est confrontée à un problème : éliminer celui qui soulève le problème, désigner un bouc émissaire et l'exclure. Les frères ont pris une décision, reste à trouver le meilleur moyen. Le meilleur moyen serait qu'un animal, une bête féroce, s'en charge ou de faire comme si un animal s'en était chargé. Cette simple mention montre que le meurtre dégrade l'homme de sa dignité humaine et le réduit au rang d'animal.
    Sur l'intervention de Ruben — l'aîné qui reprend de l'autorité — la vie de Joseph est épargnée. Joseph sera finalement vendu comme esclave. Les frères devaient bien rire en eux-mêmes. Le prétentieux qui pensait les dominer tous, le voici réduit au rang d'esclave ! Mais c'est aussi ainsi que s'accomplit le destin de Joseph, ce destin qui le conduira à les dominer tous.
    Ce n'est pas sans raison qu'on prête à Joseph d'être une figure messianique. Il est — comme le sera Jésus — "la pierre rejetée des bâtisseurs qui est devenue la pierre principale" (Ps 118:22). Ce rejet, qui passe par l'esclavage, qui passera par la prison, donc par des position "basses", subalternes, voire humiliantes, sont des voies qui vont ouvrir à la vraie autorité, celle qui fait grandir au lieu d'asservir. C'est aussi une chose que Jésus va reprendre et réaffirmer, quelque chose que Joseph a vécu dans sa personne :

    "Jésus et ses disciples arrivèrent à Capernaüm. Quand il fut dans la maison, Jésus demanda à ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. Alors Jésus s'assit, il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. »" (Marc 9:33-35).
    Mes amis, il y a dans nos vies des moments où le destin nous fait descendre d'un cran (ou de plusieurs), apprenons à avoir la foi de Joseph que cette descente n'est pas abandon, terminus, situation désespérée. Apprenons à avoir la sagesse de Joseph d'espérer en l'avenir et surtout en Dieu qui accompagne l'exclu et qui le réhabilite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Hébreux 11. Nous avons besoin d’un horizon, d’un avenir ouvert…


    23.6.2013
    Hébreux 11

    Nous avons besoin d’un horizon, d’un avenir ouvert…


    Jérémie 29 : 10-14      Hébreux 11 :1-2+8-12
    téléchargez ici la prédication :P-2013-06-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans les lectures que vous venez d’entendre, il est question de foi : « La foi, c’est être sûr de ce qu’on espère, c’est être convaincu de la réalité de ce qu’on ne voit pas » (Hb 11 :1).
    De nos jours, on entend plutôt dire : « Je ne crois que ce que je peux voir ou toucher. » La foi, c’est plutôt le contraire : croire malgré l’incertitude, croire en dépit du risque, faire confiance malgré le risque d’être déçu. Dans ce sens-là, la foi est plutôt déraisonnable, incertaine, risquée.
    Mais alors, qu’en est-il de l’absence de foi ou de confiance ? Peut-on vivre dans la méfiance, dans la défiance ? N’est-ce pas plus désespérant, que de prendre le risque — de temps en temps — d’avoir fait confiance une fois de trop ?
    La défiance continuelle ferme l’avenir, c’est renoncer à penser qu’il y a une promesse qui nous tire en avant, qui nous ouvre un avenir. Or nous avons besoin d’un horizon, d’un avenir ouvert pour continuer à vivre et pour vivre heureux.
    Quel est notre moteur ? Quelle est la promesse que nous avons reçue et qui nous tire en avant ? Au fond de nous, nous avons tous reçu une promesse, transmise par nos parents, notre entourage, nos ancêtres. Une promesse qu’ils ont relayée, mais qui est ancrée dans l’infini, qui est ancrée en Dieu, dans le Dieu de la vie et des vivants. Une promesse qui dit que la vie a un sens, une direction, qu’elle ouvre sur un avenir, sur une vie possible, malgré les épreuves, les difficultés, les deuils.
    La lettre aux Hébreux fait une liste de personnages bibliques qui ont fait confiance en cette promesse de vie, qui ont été animés par cette foi en l’avenir. Dans cette liste de personnages, vous avez entendu ce qui a été dit d’Abraham et de sa femme Sarah.
    Abraham a entendu un appel à quitter le pays de ses ancêtres pour marcher vers une terre promise (Gn 12). Et Abraham s’est mis en marche vers cet inconnu, fort de cette promesse, fort de la confiance dans cet appel. A cette promesse de pays était aussi ajoutée la promesse d’une descendance avec Sarah sa femme. Et Sarah s’est accrochée à cette promesse, malgré le temps qui passe, malgré l’étiquette de stérilité qui lui a été accolée. Elle ne s’est pas résignée, elle a mis sa confiance dans cette promesse et elle a fini par enfanter leur fils Isaac.
    Et le texte dit d’Abraham et de Sarah : « Ils ont eu la foi que Dieu tiendrait sa promesse » (Hb 11 :11). Abraham et Sarah sont deux exemples d’attitudes de foi, mais des attitudes personnalisées, peut-on dire, deux expressions personnelles, différentes de la foi.
    La foi d’Abraham est une foi d’ouverture vers l’inconnu. Il a une foi qui le rend capable d’aller à la découverte, d’entreprendre, d’innover, de partir. C’est une foi qui va de l’avant, qui s’ouvre à l’inconnu.
    La foi de Sarah est plutôt dans la persévérance, la continuité : elle va mettre toutes ses forces, toute son énergie pour faire en sorte que se réalise ce qu’elle attend. Elle est dans la patience, mais jamais dans la résignation.
    Avec les autres personnages bibliques peuvent se découvrir encore d’autres modèles de foi.
    D’Abraham et Sarah, on nous dit encore qu’ils vivent sous une tente, mais qu’ils aspirent à une cité dont Dieu soit l’architecte et le fondateur. Il y a toujours une tension entre le présent et l’avenir, entre le présent et la promesse.
    Le présent — alimenté par la promesse — est toujours précaire et provisoire (c’est ce que nous dit l’image de la tente). C’est vrai que nous sommes rarement satisfait de ce que nous avons, nous attendons plus de la vie ! Justement parce que nous avons dans la tête cette promesse d’une vie qui comble, d’une vie faite de plénitude, alors que nous vivons dans le manque et dans l’inquiétude. C’est notre tension entre la tente et la cité promise.
    Interrogeons-nous sur notre insatisfaction ! Parce que cette insatisfaction révèle justement l’écart entre notre présent et la promesse dont nous attendons la réalisation, entre notre présent et notre horizon. Quelle est donc la promesse dont nous attendons la réalisation ? D’où, de qui vient cette promesse ? Cette promesse est-elle assez solide pour que nous en fassions notre horizon de vie ? Cette promesse va-t-elle nous donner le courage d’affronter l’inconnu, la nouveauté ? Cette promesse est-elle assez solide pour que nous persévérions à la poursuivre malgré tous les obstacles ? Cette promesse est-elle suffisamment belle pour que nous voulions la transmettre à nos enfants ou nos petits-enfants ?
    En un mot, avons-nous la foi dans ce que nous poursuivons, dans ce que nous recherchons ?
    « La foi, c’est être sûr de ce qu’on espère, c’est être convaincu de la réalité de ce qu’on ne voit pas » (Hb 11 :1).
    Cela vaut la peine de réaliser après quoi l’on court dans notre vie, pour nous orienter vers quelque chose qui en vaut vraiment la peine, qui vaut la peine d’y passer sa vie, d’y consacrer sa vie.
    Abraham et Sarah avaient la foi, la certitude que Dieu tiendrait sa promesse. Dieu nous fait aussi la promesse d’ouvrir devant nous un avenir. Par la bouche du prophète Jérémie, Dieu dit : « Je veux vous donner un avenir à espérer. » (Jr 29 :11). A chacun de trouver comment déployer sa foi en l’avenir.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Luc 24. Un chemin de reconstruction, parcours thérapeutique.


    Luc 24
    16.6.2013
    Un chemin de reconstruction, parcours thérapeutique.
    Luc 24 : 13-25
    Téléchargez ici la prédication : P-2013-06-16.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, nous allons cheminer avec les disciples d’Emmaüs. Nous allons découvrir ce chemin comme un chemin de reconstruction, avec le Christ comme compagnon, comme guide, comme thérapeute des disciples d’Emmaüs.
    Oui, je crois que ce chemin d’Emmaüs est un exemple où l’on voit Jésus à l’œuvre comme thérapeute. Les Evangiles nous rapportent plusieurs guérisons de Jésus, mais toujours sous forme de miracles. Le miracle met l’accent sur le résultat et il dissimule le processus, le déroulement. Dans le récit des disciples d’Emmaüs, le déroulement l’emporte sur le résultat et cela va nous aider à voir comment Jésus conduit des disciples à une guérison et comment nous pouvons, à notre tour emprunter ce chemin de guérison.
    La situation de départ est un deuil récent. Clopas et son compagnon sont encore sous le choc de la perte de leur maître. Ils sont dans leur chagrin, leur incompréhension. Ils ont laissés leurs espoirs à Jérusalem et s’en retournent — la mine sombre (Lc 24 :17) — chez eux, à Emmaüs. Ils parlent entre eux et on peut imaginer qu’ils repassent sans cesse les événements, en boucle, dans leurs têtes. Ils ressassent, ils ruminent. Vous savez comment tournent les pensées : « Et si… et si on avait fait cela … ? Et si ils n’avaient pas… Et si… » ou encore « C’est pas possible…, c’est pas juste… c’est trop injuste… » Ressassement et rumination, réécrire l’histoire… « Et si seulement… » Ça peut tourner en rond longtemps, longtemps. 
    Arrive quelqu’un qui se joint à leur marche. Le récit dit — dans un premier temps — simplement qu’il marche avec eux. Compagnon de route silencieux. Il écoute sans intervenir. Plus tard, il se renseigne, il fait parler les deux hommes. Il les fait raconter. Il leur donne la possibilité de mettre leur histoire en récit. C’est une façon de faire sortir de la rumination et de les inclure dans le récit. Ils disent : « Nous espérions… v.21 » « les femmes nous ont stupéfié… v.22 ».
    Faire un récit cohérent de ce qui nous arrive est une étape importante dans notre reconstruction. Souvent tout s’arrête-là. Il y a récit, mais on ne sait pas quoi en faire.
    Jésus va reprendre ce récit et en faire une relecture avec un nouvel éclairage des récits bibliques. Il fait un lien, un pont entre l’expérience de vie et quelques récits bibliques pour éclairer la vie.
    Jésus leur laisse cet éclairage et va continuer son chemin. Tout pourrait s’arrêter là, parce que Jésus tient à leur laisser la liberté de prendre ou non cette interprétation. Jésus ne cherche pas à convaincre, il ne s’incruste pas, il a proposé un éclairage. C’est aux disciples de faire un choix, prendre ou laisser, s’approprier cette nouvelle lecture ou la laisser. C’est le moment où les disciples doivent prendre leur vie en main, choisir, décider, demander.
    Visiblement, ils ont perçu quelque chose de précieux — qu’ils n’identifient pas encore clairement — dans les paroles de Jésus. Alors, ils lui demandent de rester avec eux. C’est une étape importante. Les disciples formulent leur besoin, ils expriment leur demande, une façon de prendre soins d’eux-mêmes.
    Cette demande débouche sur un partage qui leur uvre les yeux (Luc 24 :31), ils reconnaissent Jésus qui disparaît au même moment de devant eux. Jésus se retire quand son travail thérapeutique est fini. Tout est accompli, les disciples n’ont plus besoin de béquilles, ils marchent par eux-mêmes, ils sont devenus autonomes.
    Mais la démarche n’est pas tout à fait terminée, la démarche continue dans la tête et dans le corps des disciples. Ils ont encore à faire leur propre lecture personnelle, leur propre récit de ce qu’ils ont vécu. Cela se fait par un retour en arrière, pour voir le chemin parcouru : « Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? » (Luc 24:32).
    Jésus avait fait une lecture des événements avec son éclairage. Maintenant, les disciples doivent faire leur propre relecture des événements et de ce qui leur est arrivé. C’est par un regard en arrière, sur le chemin parcouru, qu’on peut voir les traces, les compagnonnages, les rencontres qui ont mis du baume sur nos plaies, qui ont donné un sens, une direction à notre vie. 
    Cette relecture personnelle — une appropriation profonde — permet un nouveau départ : les disciples se remettent en route, pour retourner à Jérusalem. Cette relecture personnelle leur permet un retour, une réintégration dans la communauté qu’ils avaient quittée, la tristesse dans le cœur.
    Cette réintégration va les conduire à pouvoir partager leur expérience avec les autres personnes restées à Jérusalem et s’apercevoir que ces autres ont aussi vécu une expérience, semblable et différente. Les disciples ne sont plus dans le ressassement, la culpabilité ou le regret, mais dans le partage joyeux de leurs découvertes.
    Voilà le chemin d’Emmaüs, faire le récit de son malheur, trouver ou recevoir un éclairage — qui est passé par des récits bibliques qui éclairent notre épisode de vie. Pour cet éclairage, il s’agit de trouver un personnage, une histoire, une parabole ou un psaume où l’on retrouve sa propre histoire, où l’on puisse se dire « c’est de moi que le texte parle ! »
    Le chemin n’est pas complet sans l’invitation, sans la demande que Jésus reste pour partager un repas avec nous. Allons-y pour le jeu de mot : il n’y a pas de restauration sans un bon repas, sans un partage de vie, sans recevoir une nourriture pour sa vie. Jésus est cette nourriture qu’il partage avec nous pour nous restaurer dans notre intégrité, pour nous réinstaller dans une vie pleine, une vie digne d’être vécue, une vie de relations abondantes.
    C’est à ce chemin d’Emmaüs, c’est à ce chemin de reconstruction, c’est à ce chemin de restauration que Jésus nous invite tous, pour nous donner la vie et la vie en abondance.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Lévitique 19. Laisser l’autre glaner dans mon champ ?

    Lévitique 19
    26.5.2013
    Laisser l’autre glaner dans mon champ ?
    Lévitique 19 : 9-10      Ruth 2 : 2-8       Luc 15 : 25-31

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-05-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Qu’avons-nous à apprendre de vieilles prescriptions de l’Ancien Testament, du livre du Lévitique ? Je suis tombé sur cette prescription concernant la moisson et le fait de laisser glaner : 
    « Quand vous moissonnerez, vous ne couperez pas les épis qui ont poussé en bordure de vos champs, et vous ne retournerez pas ramasser les épis oubliés ; vous ne repasserez pas non plus dans vos vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lév 19:9-10)
    Ce commandement m’a interpellé. Je me suis demandé : qu’avons-nous à laisser glaner de nous-mêmes par les autres ? Même si nous n’avons plus de champs à moissonner !
    D’abord, constatons que cette recommandation est complétement contraire à la mentalité d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il ne faut rien laisser perdre, ne rien gaspiller, il faut tout optimiser, rendre efficace, efficient. Le paysan qui laisserait un mètre de son champ non récolté passerait pour négligent. On a encore en mémoire des phrases comme : « Finis bien ton assiette, il y a des enfants qui ont faim ! » Il faut faire la chasse aux « gaspi ».
    Rien ne doit se perdre. Et voilà que la loi de Moïse demande qu’on ne ramasse pas tout, qu’on laisse trainer une partie de la récolte !?
    Une explication est donnée qui éclaire ce commandement : « Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. » (Lév 19:10) En fait, c’est à laisser, mais ce n’est pas perdu, cela a un rôle, un rôle social.
    On peut voir ce commandement comme une trace du passage de la société de l’état de chasseur-cueilleur ou éleveur à la société agricole. Pour être agriculteur, il faut posséder de la terre, avoir des champs délimités et reconnus, cela demande une continuité dans le temps, le temps entre les semailles et la moisson.
    Dans la période de transition entre nomade et sédentaire, il y a des laissés pour compte, des sans-terre. La Loi de Moïse prévoit un filet social pour ceux-ci, sous la forme d’une autorisation à glaner et sous la forme d’une prescription de laisser cette possibilité.
    Nous n’avons plus de champs, notre société a passé d’une société de paysans à une société d’artisans et d’ouvriers aux XIXe et XXe siècle, et nous passons maintenant d’une société industrielle à une société de services. L’industrie est délocalisé, en Chine, au Vietnam et maintenant au Bengladesh et l’emploi est perdu en Europe, seuls les services subsistent.
    Et se pose donc aujourd’hui la question de comment s’occuper des laissés pour compte de ce nouveau passage. Quelle est la version moderne, actuelle, du glanage ? Que peut-on glaner  aujourd’hui ?
    Il y a des filets sociaux mis en place pour les gens établis et qui se plient au jeu de la bureaucratie. Pour les autres, il reste la mendicité ou les container des supermarchés. Et puis, si l’on n’est pas dans le niveau de l’extrême pauvreté, on se rend compte qu’il existe des niches d’échanges qui cherchent à échapper à la monétarisation, à l’échange d’argent.
    Il y a d’abord tous les services gratuits, du journal aux offres internets, en passant par les milieux associatifs, dont font partie les Eglises. Nous avons encore la chance de pouvoir offrir des services gratuits, pas seulement les actes ecclésiastiques, mais aussi des conférences, des soirées, des rencontres, des apéritifs et des concerts. Une gratuité qui repose bien sûr sur la générosité de ceux qui ont un peu d’argent et qui en font don, qui partagent. C’est une façon d’offrir quelques épis à glaner après que la moisson est rentrée.
    Mais j’aimerais aussi dépasser le niveau économique, pour aborder le niveau relationnel ou symbolique. Au lieu de penser au champ de blé à la campagne, essayons de penser que nous sommes le champ de blé ou la vigne.
    Sommes-nous un champ, une vigne ouverte aux glaneurs ou un champ fermé, entouré de murs ou de barbelés ? (Entendons-nous bien, on parle de glaner, on ne parle pas d’être pillé avant la moisson ou la vendange.) Quelle place laissons-nous à l’intérieur de nous-mêmes, dans nos relations, dans nos rencontres à celui qui a besoin de nous, de notre présence, de notre aide ?
    Vous avez entendu un passage du livre de Ruth, qui — comme étrangère venue en Israël — est dans la situation précaire de devoir glaner pour assurer sa subsistance et celle de sa belle-mère. On a là un exemple de quelqu’un, Booz, qui ouvre son champ aux glaneuses. Il prend particulièrement soin, il veille à ce que Ruth soit respectée, accueillie. Il lui donne même un sérieux coup de pouce en passant le mot selon lequel les moissonneurs peuvent même sortir des épis des gerbes liées pour faciliter la récolte de Ruth.
    Bien sûr, c’est facile pour Booz de faire cela pour Ruth, il est grand propriétaire. Se défaire d’un sac de grain, ce n’est rien pour lui. Qu’en est-il pour nous ? Quelle présence, quelle compagnie pouvons-nous offrir à d’autres qui en auraient besoin ? Qu’est-ce qui nous retient de le faire ? Qu’est-ce qui nous fait peur ? Souvent le sentiment — au contraire de Booz — de ne pas nous sentir riches, de penser n’avoir rien à offrir ! Je me place toujours ici sur le plan des relations, hors du champ économique.
    Sommes-nous comme le deuxième fils de la parabole du Fils prodigue (Luc 15)? Il est jaloux du veau gras tué pour son vaurien de frère, parce qu’il a le sentiment de ne rien posséder pour lui-même, de n’avoir pas même pu disposer d’un chevreau pour faire la fête avec ses amis.
    Voici ce que le Père dit au fils aîné : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce que je possède est aussi à toi. » (Luc 15 :31) Cette parole, Jésus la dit pour nous. Tous les biens du Père, il les partage avec nous. Il nous dit que Dieu partage avec nous son amour, tout son amour. Nous ne vivons pas dans la pauvreté ou la pénurie, mais dans la richesse de l’amour du Père.
    Booz avait assez de champs pour laisser les glaneuses et Ruth ramasser plus que leur part. Nous partageons tout l’amour de Dieu et avons donc assez de richesses pour laisser d’autres venir glaner du temps, de la présence, des relations auprès de nous. « Tout ce que je possède est aussi à toi » nous dit Dieu. Ouvrons nos champs, nos vies aux glaneurs.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Marc 13. Ascension : voler de ses propres ailes

    Marc 13
    9.5.2013
    Ascension : voler de ses propres ailes
    Actes 1 : 32-37      Marc 13 : 32-37

    téléchargez la prédication ici : P-2013-05-09.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce jeudi de l’Ascension , nous nous rappelons le moment où Jésus a quitté définitivement cette terre pour monter au ciel. Cette élévation, cette ascension est un passage obligé pour marquer la fin des apparitions du ressuscité aux disciples.
    Il doit y avoir une séparation, mais elle ne peut pas être marquée par la mort, puisque Jésus est ressuscité et qu’il est le Vivant, pour toujours avec nous. Il n’y a pas d’explication à chercher ou à fournir sur le comment de l’ascension. Ce qui est important, c’est la rupture et la séparation, et ce qu’elle instaure dans notre relation à Dieu.
    L’Ascension est séparation. Les disciples ne verront plus Jésus, ils ne mangeront plus ensemble, ils ne le verront plus agir et faire des miracles. Mais il y a séparation et séparation.
    Il y a les séparations qui font mal, qui sont blessantes, mutilantes, déchirantes. On pense ici à la mort qui nous sépare d’êtres chers, au divorce, aux abandons, à l’exil, à toutes les pertes. C’est ce qu’ont vécu les disciples à Vendredi-saint. Ils ont perdu leur maître, leur ami, leur guide et l’épreuve a été déchirante.
    Et puis, il y a les séparations qui font grandir, qui donnent de l’autonomie, qui font grandir la liberté, qui augmentent les responsabilités ; ou qui augurent de retrouvailles joyeuses. Dans cette catégorie, regardez l’enfant qui demande au parent de lui lâcher la main pour qu’il puisse marcher tout seul sur le muret, ou l’apprenti qui peut effectuer seul une tâche pour la première fois.
    L’autre jour, sur Arte, je suis tombé sur un documentaire qui suivait le parcours d’un jeune qui apprenait à piloter un petit avion (de type Pilatus ou Cessna). Il y avait d’abord une phase d’enseignement au sol pour connaître le rôle de chaque instrument de bord. Puis une phase d’apprentissage en double commande, puis seul au commande avec l’instructeur assis à ses côtés.
    Enfin le moment où l’élève pilote va faire son premier vol seul. L’instructeur reste au sol, il n’y a plus que les liaisons radio avec la tour de contrôle. L’instructeur se sépare de son élève parce que celui-ci est devenu autonome, il a appris à voler de ses propres ailes, il a assimilé, intériorisé les instructions, les check-listes, les manœuvres.
    Voilà ce qu’est l’Ascension. Jésus a instruit ses disciples, il leur a laissé le manuel de vol et il leur laisse le contact avec la tour de contrôle. Jésus s’en va, il se retire en nous laissant les commandes. Il nous laisse la responsabilité de la maison (Mc 13:34). Il a formé ses disciples et il leur fait confiance : ils peuvent voler de leurs propres ailes.
    Les disciples nous ont transmis le manuel de pilotage : la Bible. Nous pouvons échanger avec la tour de contrôle, recevoir quelques consignes, vérifier quelques paramètres, mais c’est nous qui sommes aux commandes. C’est nous qui sommes aux manœuvres, même si nous pouvons nous adresser à la tour de contrôle.
    Notre situation est un peu différente de celle des disciples, en ceci que nous pouvons être à différents stades de notre apprentissage selon notre âge ou notre parcours. Ceux qui découvrent Jésus et l’Evangile ne peuvent pas être laissés immédiatement sans instructeur. Ils ont besoin de temps pour apprendre et éprouver ce qu’ils ont appris.
    Même quelqu’un avec plusieurs heures de vol derrière lui a besoin de formation continue, d’exercice et de perfectionnement. Sans exercice et pratique régulière, les choses s’oublient, les routines se perdent, les réflexes s’émoussent. Ce n’est peut-être pas grave pour des petits trajets par beau temps, mais que se passera-t-il s’il faut affronter une tempête ? Ou que se passera-t-il si l’on traverse une zone où l’on n’a plus de liaison avec la tour de contrôle ?
    Nous avons une responsabilité, nous avons un travail à faire pour rester à niveau et pouvoir faire face aux situations imprévues de l’existence. A l’Ascension, Jésus nous quitte parce qu’il nous a transmis tout ce dont nous avions besoin et parce qu’il nous fait confiance. Il nous a confié la maison comme à des serviteurs fidèles. Il ne souhaite pas entretenir notre dépendance à lui ; il est comme un parent qui laisse aller un jour ses enfants parce qu’ils sont adultes.
    Mais il ne nous quitte pas pour que nous lui tournions le dos et le laissions tomber. Le laisser tomber, c’est nous laisser tomber, ce serait renoncer à notre équipement face à la vie et aux épreuves de la vie. « Restez éveillés » dit Jésus à ses disciples (Mc 13:35,37). Il nous appelle à la vigilance, à ne pas relâcher notre attention, parce que la vie peut à tout moment nous confronter à un écueil, à une tempête, à une épreuve.
    Jésus nous a enseigné, nous a préparé, maintenant c’est à nous de conserver, d’entretenir ce savoir et de le transmettre à ceux qui nous entourent pour qu’ils profitent aussi des outils et des savoir-faire qui nous permettent de traverser la vie avec confiance.
    Ne perdons pas nos facultés de vol et notre liaison avec la tour de contrôle, maintenant que l’instructeur nous laisse voler de nos propres ailes.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • 1 Cor 12. Envoyés pour porter une bonne nouvelle

    21.4.2013
    1 Corinthiens 12
    Envoyés pour porter une bonne nouvelle
    Actes 20 : 32-36      1 Corinthiens 12 : 12-27

    téléchargez ici la prédication : P-2013-04-21.pdf

    Cette prédication est précédée d'un message du pasteur Benjamin Corbaz qui présente le parcours de Jérémie Ramelet, nouvel envoyé de DM-Echange et Mission qui partira de mai à octobre au Cameroun.


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pour la deuxième fois en deux ans, nous vivons un culte d'envoi avec DM-Echange et Mission. J'aimerais dire — au nom de la paroisse — notre reconnaissance à Dieu de susciter des vocations, d'appeler des hommes et des femmes qui s'engagent dans le dialogue et l'entraide, dans le partage au-delà des frontières qui risquent toujours de nous enfermer.
    Oui, nous sommes reconnaissants d'avoir quelqu'un à envoyer, quelqu'un dont nous a parlé Benjamin Corbaz à l'instant. Aussi, voulons-nous remettre Jérémie Ramelet à Dieu d'abord, et puis nous voulons l'envoyer au Cameroun, comme un signe de notre lien avec les Camerounais, même si nous ne les connaissons pas, si nous ne pouvons leur donner un nom ou nous figurer des visages : ils sont nos frères et nos sœurs en Christ. Jérémie Ramelet sera là-bas le signe de l'unité du corps du Christ par delà les mers et les continents. Il sera un lien entre des parties différents du corps, dans des lieux différents, mais unis par le Christ dans la même Eglise universelle.
    L'apôtre Paul développe cette idée de corps organique, où chacun a sa place, son rôle, malgré les fonctions différentes, malgré des rangs différents, malgré des différences évidentes. Malgré tout cela, chacun est digne d'être respecté, tous sont nécessaires au bon fonctionnement de l'ensemble, aucune exclusion n'est tolérable, aucune division n'est acceptable. Notre unité par delà les différences, c'est notre attachement au Christ, par le même baptême, par le même Esprit saint. Cette unité a pour conséquences que les mêmes émotions parcourent tout le corps, "si un membre souffre, tous les membres souffrent, si l'un est honoré, tous se réjouissent" (1 Co 12:26).
    Nos Eglises — suisses et camerounaises — vivent des choses différentes, de manière différentes. Cet envoi va permetttre de communiquer au Cameroun ce que nous vivons en Suisse, dans notre Canton, dans notre paroisse. Et Jérémie pourra nous communiquer — au travers de ses lettres, puis de vive voix à son retour — ce que vivent les camerounais dans leur Eglise, dans leur pays. Ainsi nous pourrons nous réjouir ensemble, ou souffrir ensemble, selon nos expériences partagées.
    Pour que ce partage soit possible, notre envoyé a besoin du soutien de la prière de sa paroisse, de son Eglise, c'est notre tâche à tous; c'est quelque chose que chacun peut faire, au culte ou dans le secret de sa chambre. Pour que ce partage soit possible, notre envoyé, au travers de DM-Echange et Mission, aura besoin de notre soutien financier. Je connais votre générosité, j'ai confiance.
    Nous avons aujourd'hui un envoyé et nous nous en réjouissons. Mais nous avons besoin de davantage de vocations. De vocations d'entraide et de partage comme aujourd'hui. Mais aussi de vocations pour des postes à responsabilité dans nos Paroisses, dans nos Régions, dans notre Canton. Nous avons aussi besoin de vocations diaconales et pastorales. La Journée d'Eglise (JEERV) du 7 septembre prochain sera d'ailleurs axée sur le thème de la Vocation.
    Pour susciter des vocations, il faut des témoins, des témoins d'une Eglise vivante, d'une Eglise qui fait envie. Nous faisons partie du corps du Christ, unis par le même baptême et le même Esprit. Nous sommes ses témoins, les témoins du Christ ressuscité à Pâques, les témoins d'une bonne nouvelle; nous sommes ses envoyées aujourd'hui au côté de Jérémie Ramelet. Partons ensemble vivre et témoigner de cette bonne nouvelle.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Luc 14. Pâques : tous ensemble à une même table !

    Luc 14
    31.3.2013
    Pâques : tous ensemble à une même table !
    Luc 24 : 13-16 + 28-35     Luc 14 : 12-14

    Téléchargez la prédication ici : P-2013-03-31.pdf


    Qu'est-ce que ça change Pâques ? Qu'est-ce que la résurrection a changé dans le monde ?
    Je ne sais toujours pas ce qui s'est passé pour Jésus au matin de Pâques, mais je vois que cela a changé la vie des disciples. Je vois qu'il s'est passé quelque chose de suffisamment exceptionnel pour que les disciples aient rassemblé les paroles et les gestes de Jésus pour les proclamer dans le monde entier et provoquer quelques changements.
    Je vois que la résurrection a été comprise comme le OUI de Dieu aux paroles et aux gestes de Jésus, alors que tout devait faire oublier ce Jésus mort sur la croix, celui sur qui l'opprobre et la malédiction d'une condamnation à mort était tombées.
    Je vois que Dieu l'a relevé de là et que son message nous a été transmis comme parole libératrice !
    Quels gestes, quelles paroles, quel message pour nous, pour le monde ?
    Il faut revenir au monde qui entoure Jésus, à ses adversaires. Que reproche-t-on à Jésus ? Il y a deux sujets d'affrontements qui reviennent sans cesse dans les Evangiles : la place du sabbat et les repas.
    Le sabbat — pour les pharisiens — c'est le temps qui est mis à part pour Dieu. Plus on respecte le sabbat — en s'abstenant de toute action — plus on est proche de Dieu. Ce n'est pas l'opinion de Jésus : pour lui on ne peut pas séparer les gestes envers le prochain et les gestes pour Dieu.
    Le deuxième thème, moins souvent étudié, moins remarquable pour nous, est celui des repas. Avec qui avons-nous le droit de manger ? Ce n'est plus très remarquable pour nous, parce que nous avons assimilé dans la vie courante qu'on peut se mettre à table avec tout le monde.
    Ça n'a pas toujours été le cas, ce n'était pas le cas dans le monde juif, dans le monde grec ou dans le monde romain. Il y avait des règles strictes pour ne pas se compromettre. Sauf dans le cadre strictement familial, hommes et femmes ne mangeaient pas ensemble, sinon c'était pris pour une orgie ou une table d'échangistes. On ne mélangeait pas les catégories sociales, ou alors les tables étaient clairement hiérarchisées, le haut et le bas de la table, chacun selon l'honneur de son rang.
    Le christianisme a bouleversé passablement cela ! C'est un des fruits de Pâques !
    C'est incroyable le nombre de récits des Evangiles qui tournent autour de repas. Il y a les repas auxquels est invité Jésus, des noces de Cana à la maison de Marthe et Marie, en passant par Lévi et Zachée, des agents du fisc, et quelques pharisiens.
    Et puis, il y a toutes les paraboles mettant en scène un repas, un banquet, ou le veau gras tué pour le retour du fils prodigue (Lc 15). Enfin, il y a le dernier repas avec les disciples, un repas institué pour se souvenir de Jésus, pour recevoir la Présence divine.
    Et encore les repas pris avec le Ressuscité, à Emmaüs, celui dans la chambre haute ou sur les rives du lac de Galilée. C'est à la fraction du pain que les disciples reconnaissent le Ressuscité. C'est à la Cène que nous recevons la Communion, la Présence divine, tous ensemble : hommes et femmes, dignitaires et miséreux, malades ou bien-portants.
    C'est autour de la Table que nous formons le corps du Christ. C'est une révolution, c'est une transformation sociale. Le message de Jésus, c'est que tous les êtres humains peuvent partager un repas à la même table, unis par Dieu. Un repas unique voulu par Dieu, comme culte rendu à Dieu.
    On est bien loin des pharisiens qui voulaient préserver leur pureté en se séparant des pécheurs pour être sûrs de ne pas être coupés de Dieu. Jésus dit exactement le contraire : chaque fois que vous vous séparez des gens, vous vous séparez de Dieu. Chaque fois que vous vous rapprochez des autres, vous vous rapprochez de Dieu.
    Les sociétés imprégnées de christianisme ont fait plusieurs pas dans cette direction, elles ont aboli les castes, elles luttent contre le racisme, elles encouragent l'égalité hommes-femmes, mais nous ne sommes pas encore au but.
    Nous vivons encore en cercles fermés, nous invitons à notre table nos connaissances et nos amis, nos familles et nos voisins, alors que l'invitation de Jésus est totale, totalement ouverte : "quand tu fais une réception, invite les pauvres et les exclus, car tu seras heureux si tu ne reçois rien en retour. C'est à la résurrection des justes qu'il te sera donné en retour." (Lc 14:13-14).
    Nous avons de la peine avec de telles paroles. Nous avons encore du chemin à faire pour que le changement de Pâques s'inscrive pleinement dans nos cœurs et dans nos gestes. L'invitation de Jésus est totale. Il ouvre sa Table, la Table de Dieu, à tous sans exception. Et il attend que ses disciples suivent son exemple.
    Notre société occidentale a bien assimilé cette ouverture. Ne revenons pas en arrière. Ne nous laissons pas entraîner dans le communautarisme qui voudrait que chacun reste chez soi. Comme chrétiens, continuons à lutter pour que tous les peuples puissent cohabiter, vivre ensemble et partager mutuellement leurs tables. Continuons ce chemin qui est une chemin d'accueil, de libération et de joie.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • 1 Pierre 1. L'interprétation sacrificielle de la mort de Jésus

    1 Pierre 1
    9.4.2000
    L'interprétation sacrificielle de la mort de Jésus
    Lévitique 16 : 6-10     1 Pierre 1 : 17-19     Jean 1 : 29
    téléchargez ici la prédication : P-2000-09-04.pdf


    Chers amis,
    Le temps de la Passion que nous vivons maintenant nous conduit à Pâques, à la mort et à la résurrection de Jésus. Pour nous qui connaissons ce chemin, ce parcours de Jésus depuis notre tendre enfance, qui avons entendu, années après années, le récit de la Passion et de la résurrection, il n'y a plus de surprise, il n'y a pas d'incompréhension fondamentale face à ce destin (même si nous ne pouvons prétendre tout comprendre et saisir).
    Pourtant, essayons de nous replacer dans la perspective des disciples qui vivaient "en direct" la Passion, comme témoins. Que pouvaient-ils comprendre, saisir, sur le moment ? Et même juste après la résurrection, comment intégrer dans son esprit cette mort, cette mort ignominieuse, scandaleuse. Jésus a été assimilé à un criminel, "mis au rang des malfaiteurs", dit un texte. Comment comprendre que ce moment puisse entrer dans un quelconque "plan de Dieu" ?
    Le livre des Actes, dans ses premiers chapitres raconte un peu comment les disciples ont peu à peu construit un sens à ces événements incompréhensibles. Cette construction de sens s'est appuyée sur deux colonnes : le Saint-Esprit et la Bible, c'est-à-dire l'Ancien Testament actuel.
    En fait, il y a eu plusieurs reconstructions parallèles. On trouve effectivement dans le Nouveau Testament plusieurs sens, plusieurs interprétations différentes de la Passion, du destin de Jésus. On peut citer entre autres, la doctrine de la rédemption (l'homme à été racheté); la doctrine de l'affranchissement (l'être humain a été libéré et affranchi, sur le modèle du peuple hébreu sorti d'Egypte); la doctrine de la substitution (Jésus a reçu le châtiment que les humains auraient dû recevoir, à notre place); la doctrine du sacrifice.
    C'est cette dernière interprétation que j'aimerais développer ce matin. Nous avons entendu dans l'épître de Pierre cette phrase : "Vous avez été délivrés par le sang précieux du Christ sacrifié comme un agneau sans défaut et sans tache" (1 P 1:19). "L'agneau sans défaut et sans tache" est une référence directe au récit du repas de la Pâque qui commémore la sortie d'Egypte.
    Souvenez-vous. Moïse a annoncé au Pharaon la dixième plaie d'Egypte : la mort de tous les premiers-nés. L'ange de la mort va passer sur l'Egypte, dans chaque famille. Pour protéger les hébreux de ce fléau, Dieu les invite à sacrifier un agneau sans défaut et sans tache et à badigeonner du sang de cet agneau sur les montants des portes. Ainsi l'ange de la mort ne s'arrêtera pas dans cette maison pour prélever son macabre dû. C'est à ce sang précieux que les Israélites doivent leur salut en Egypte.
    Ainsi la mort de Jésus vient-elle — au travers de cette interprétation — s'inscrire dans toute la tradition sacrificielle de l'Ancien Testament. La mort de Jésus s'inscrit dans cette tradition, mais vient aussi y mettre fin, puisque le sacrifice de Jésus est parfait et unique. Il remplace par anticipation tous les sacrifices qui pourraient être nécessaires dans les temps qui suivent. C'est pourquoi le christianisme a tout de suite abandonné les pratiques sacrificielles et qu'aujourd'hui on ne sacrifie plus.
    Cette interprétation est intéressante car elle permet de relire tout l'Ancien Testament en voyant dans chaque sacrifice une sorte d'anticipation du salut apporté par Jésus-Christ. Ainsi, par exemple, après qu'Adam et Eve ont mangé du fruit défendu, ils se vêtent de feuilles d'arbres. Mais Dieu leur offre des vêtements faits de peau d'animal. On peut y voir le premier sacrifice, le premier geste de Dieu qui sauve et protège déjà des premiers humains, un geste dans lequel le Christ est déjà présent avec son amour.
    Cependant, cette interprétation sacrificielle est — pourrait-on dire — victime de son propre succès. En effet, la mort du Christ — en tant que mort du juste, sacrifice unique qui abolit tous les autres sacrifices — porte en elle la critique fondamentale de tout sacrifice. En cela, voir la mort du Christ comme un sacrifice dénonce la validité même de tout sacrifice, y compris celui de Jésus !
    La Bible a ceci de tout à fait particulier, spécifique, par rapport à tout autre écrit religieux, c'est qu'elle prend toujours le parti de la victime et dénonce la culpabilité du bourreau. Elle dénonce tous les mécanismes de bouc émissaire, ce bouc chargé de toutes les fautes de la communauté qu'on expulse au désert (Lév. 16). Nous le voyons déjà avec Caïn et Abel, avec l'histoire de Joseph expulsé de sa famille par ses frères, avec le peuple hébreu victime de la politique de Pharaon, avec les prophètes persécutés, etc...
    Nous le voyons aussi, de manière remarquable, dans le sacrifice interrompu d'Isaac. Dieu a en horreur le sacrifice humain. Il ne permet pas à Abraham de sacrifier Isaac. Comment aurait-il pu vouloir ou permettre le sacrifice de son Fils, ou même de n'importe quel être humain ? Il y a là une impossibilité qui tient à la nature même de Dieu.
    On peut comprendre la mort du Christ — après coup — à la lumière de la Pâque juive et des sacrifices, mais on ne peut pas la comprendre comme un sacrifice programmé à l'avance, encore moins par Dieu, à moins de concevoir un Dieu cruel et assoiffé de sang.
    On peut faire des constructions "après coup" qui nous aident à comprendre, mais on ne peut pas les retourner et en faire des plans qui cherchent à aboutir à nos constructions. Ainsi peut-on comprendre que Dieu se soit servi — après coup — de la mort de Jésus, qui est arrivée, pour sauver l'humanité, mais on ne peut pas dire que Dieu a tout planifié pour que cela arrive ainsi, sans défigurer Dieu.
    N'est-ce pas comme cela aussi que nous avons à lire les événements, les malheurs qui nous arrivent. Ils n'ont pas été programmés pour nous tomber dessus. Mais une fois qu'ils sont arrivés, nous pouvons avoir la certitude qu'ils peuvent prendre ou recevoir un sens qui nous permet de les vivre différemment, de les porter avec foi et espérance.
    Nous le pouvons car nous savons que, de la mort injuste de Jésus, Dieu a fait renaître la vie et la justice. Nous le pouvons car nous savons que, de la croix, a surgi notre salut.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

     

  • Luc 17. Le Royaume de Dieu ne s'observe pas, il se vit

    Luc 17
    17.3.2013
    Le Royaume de Dieu ne s'observe pas, il se vit

    Matthieu 6 : 16-18    Luc 17 : 20-30
    téléchargez ici la prédication : P-2013-0317.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous vivons le dernier dimanche du temps de la Passion, dimanche prochain nous vivrons les Rameaux, l'entrée de Jésus à Jérusalem, puis le procès de Jésus, son exécution à vendredi-saint et sa résurrection à Pâques.
    Les évangiles mentionnent que Jésus annonce par trois fois sa Passion pour préparer ses disciples à ce qui va arriver à Jérusalem, pour les préparer à comprendre et survivre à la perte de leur maître. Dans le texte de Luc que nous avons entendu, Jésus annonce pour la deuxième fois sa Passion. Il le fait à la suite d'une demande de quelques pharisiens.
    Ces pharisiens lui demandent : "Quand est-ce que viendra le Royaume de Dieu ?" (Lc 17:20) Luc ne parle pas de piège, ici, il est possible que la demande soit sincère. Ces pharisiens attendent vraiment le Royaume de Dieu, que Dieu se révèle à tous et établisse son règne de justice et de paix. Nous aspirons aussi à ce que la justice et la paix règnent et nous nous demandons aussi quand cela viendra.
    Mais Jésus va les décevoir — peut-être nous décevoir aussi. Jésus répond en deux temps. D'abord, il dit que le Royaume de Dieu ne vient pas ! En tout cas pas de manière observable, pas de manière constatable, objectivable.
    On ne peut pas se mettre en mode "observation" et attendre de voir ! Ce n'est pas par l'observation, par la surveillance — de signes, d'augures ou des astres — qu'on peut voir le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est inaccessible pour l'observateur extérieur, le Royaume de Dieu ne s'observe pas, il se vit !
    C'est ce que Jésus dit dans un deuxième temps : "Inutile de dire : il est là ou il est ici, en fait le Royaume de Dieu est au milieu de vous." (Lc 17:21) Jésus nous dit : le Royaume de Dieu est au milieu de vous. Ce "au milieu de vous" peut se traduire soit par "à l'intérieur" de chacun, si le vous est considéré comme une série d'individus, soit par "au milieu de vous" ou "parmi vous" si l'on considère le vous comme une communauté, un groupe. Dans les deux cas, l'accent porte sur l'intérieur, sur l'intériorité.
    Jésus dit aux pharisiens : Cessez de chercher à l'extérieur ce qui se trouve à l'intérieur. Cessez d'observer, impliquez-vous, mouillez-vous ! Le Royaume de Dieu n'est pas quelque chose à observer, c'est quelque chose à vivre de tout son être.
    On ne connaît pas la réaction de ces pharisiens à cet enseignement. Le récit continue avec un enseignement qui est destiné aux disciples, à ceux qui s'impliquent. Jésus les met en garde, il les averti que les temps à venir vont être difficile. C'est un texte difficile que je vais paraphraser pour vous communiquer ce que j'en comprends. :
    « Vous allez être privés de ma personne et votre plus grand désir sera de retrouver — ne serait-ce qu'un jour — ce que vous vivez maintenant. Ce désir vous rendra fragiles vis-à-vis de ceux qui ont des réponses et des solutions à tout. On vous dira : Il est ici, il est là ! Ne les suivez pas, ne vous précipitez pas vers ces promesses illusoires. Quand je reviendrai ce sera évident, vous me reconnaîtrez du premier coup (comme un éclair se voit dans le ciel d'orage).
    Mais d'abord, je dois traverser ma Passion. En ce qui concerne mon retour — la Parousie — ce sera comme le Déluge ou Sodome et Gomorrhe, cela surprendra ceux qui n'ont pas changé de vie. Vous mes disciples, je vous prépare à ce changement de vie. Acceptez que je doive souffrir. » Voilà ma traduction libre de ce passage difficile.
    Nous sommes dans le temps de la Passion, nous ne sommes pas encore dans le temps du retour glorieux du Christ. Nous avons à vivre dans ce temps intermédiaire, dans ce temps du monde où le Christ continue de souffrir tant que des êtres humains souffrent.
    Le Royaume de Dieu n'est pas encore advenu et établi sur cette terre, mais nous vivons de la promesse que Jésus a établi ce Royaume de Dieu en nous et parmi nous, ses disciples.
    Ici et maintenant, nous avons deux tâches qu'il nous appartient de réaliser et une tâche qui ne nous appartient pas. La tâche qui n'est pas la nôtre, c'est de faire advenir le Royaume de Dieu sur terre, c'est la tâche de Dieu et de Dieu seul. Tous les humains qui ont voulu faire le bonheur de tous n'ont réussi qu'à établir des dictatures et un surcroît de malheurs.
    Nos deux tâches sont celles-ci : 1) consolider en nous le Royaume de Dieu, c'est-à-dire la présence du Christ en nous. C'est une tâche intérieure, de développement spirituel, d'approfondissement. Creuser en nous le désir de Dieu. Ce chemin se fait personnellement, dans le tête-à-tête avec Dieu, comme l'enseigne Jésus dans le sermon sur la montagne (Mt 5—7). Il ne faut pas chercher le paraître devant les humains, mais la récompense que Dieu donne pour ce qui est fait dans le secret de son cœur.
    2) La deuxième tâche est éthique et altruiste, elle est tournée vers l'extérieur, vers les autres. Si nous n'avons pas la tâche d'établir le Royaume de Dieu sur la terre, nous avons par contre la tâche que chacun de nos actes soit compatible avec la justice de ce Royaume. Nous avons une responsabilité vis-à-vis du monde et des autres, sur cette terre : que nos actes soient imprégnés de l'amour de Dieu.
    Ces actions responsables et éthiques sont inspirées et nourries de notre face à face avec Dieu. Ainsi, répondre à notre première tâche, cultiver notre vie spirituelle intérieure, devient le terreau de l'accomplissement de notre deuxième tâche : agir humainement envers tous.
    Le temps de la Passion est notre temps d'apprentissage. Le don du Christ à vendredi-saint et à Pâques nourrit et inspire aussi bien notre vie intérieure que notre action vers l'extérieur.
    Les pharisiens voulaient voir et observer la venue du Royaume de Dieu. Jésus nous dit que nous avons d'abord à le vivre de l'intérieur, dans sa Présence pour qu'il devienne visible dans nos actes.
    Que toutes nos actions soient remplies de l'amour que le Christ a pour chacun de nous, pour rendre visible ce Royaume de Dieu que nous attendons.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013.

  • Matthieu 26. Le reniement de Pierre

    Matthieu 26
    14.3.1999
    Le reniement de Pierre
    Matthieu 26 : 31-35    Matthieu 26 : 69-75


    Téléchargez la prédication ici : P-1999-03-14.pdf

    Ce matin, j'étais juste réveillé de ce week end de cauchemar, quand deux des femmes de notre groupe, Marie de Magdala et l'autre Marie, ont brusquement fait irruption chez moi. Elles étaient dans un de ces états d'excitation, vous ne pouvez pas savoir. Elle ne cessaient de répéter :
    "Pierre, Pierre, Le tombeau est vide... le tombeau est vide..."
    Mais peut-on croire ces femmes. Elles étaient visiblement en état de choc. Elles sont noyées de chagrin. Ne se sont-elles pas trompées de tombe ? Il y a sûrement une explication logique à cela. Elles doivent être victimes d'une illusion due à leur peine. Nous sommes tous sous le coup de ce qui est arrivé il y a trois jours.

    Mais tout cela a commencé bien plus tôt.

    Vous vous souvenez, la dernière fois que je vous ai parlé, je me demandais si j'allais continuer à suivre Jésus ou retourner à mon bateau de pêche. Eh bien, il s'en est passé des choses depuis ce temps-là. Oui, j'ai continué à suivre Jésus...

    Encore deux fois, dans les mois qui ont suivi, il nous a dit que le Fils de l'homme devait souffrir, être rejeté et mourir. Je me demande comment Jésus pouvait vivre avec cette idée. Moi je n'arrivais pas à m'y faire. J'étais prêt à tout pour le protéger, pour le sauver.

    Enfin, ce qui est sûr, c'est que Jésus avait son plan. C'est ainsi qu'il y a quelques jours, il s'est dirigé vers Jérusalem. Il voulait être à Jérusalem pour le repas de la Pâque.

    Une fois arrivé à Jérusalem, je ne sais pas ce qui l'a pris. Je ne l'avais jamais vu comme cela. Vous savez, en Galilée, il accueillait tout le monde, on le voyait écouter tous ceux qui venaient vers lui, compatir aux misères de chacun, en guérir plusieurs. Là, à Jérusalem, il semblait avoir complétement changé. La dernière guérison qu'il ait faite, c'était un aveugle à la sortie de Jéricho. Dès qu'il est entré à Jérusalem, il est devenu agressif, violent même.

    Lorsque nous sommes monté au Temple pour la première fois de notre séjour, eh bien il s'est emparé de quelques cordages qui trainaient vers les marchands de bétail, il en a fait un fouet et il s'est mis à le faire tournoyer autour de lui. Quelle pagaie cela a mis ! Les agneaux et les chèvres couraient appeurés dans tous les sens. Le fouet brisait les cages des pigeons et des tourterelles, renversait les barrières des enclos. Vous auriez dû voir ça. Ensuite, il est allé vers les tables où des banquiers faisaient du change, il a renversé leurs tables avec toute la monnaie. La foule s'est précipitée pour ramasser ce qu'elle pouvait. Je n'ai jamais vu Jésus aussi en colère, c'était terrible. Il traitait tout le monde de voleurs et de profiteur. Si j'ai bien compris, il trouvait que les autorités avaient laissé ce Temple devenir une caverne de voleurs, alors que Dieu voulait que ce soit une maison de prière.

    Mais les jours suivants Jésus est quand même retourné au Temple. Chaque fois, devant la foule, il condamnait l'hypocrisie des chefs et des maîtres de la loi qui exigent des choses inaccessibles des gens. Il a été jusqu'à annoncer que ce Temple bâtit de main d'homme serait détruit ! Vous ne pouvez pas imaginer la fureur des gardiens du Temple.

    Ce tombeau vide, il doit bien y avoir une explication logique. Peut-être les gardiens du Temple sont-ils venu reprendre le cadavre pour le montrer à la populace. Pour bien montrer au peuple ce qui arrive à ceux qui menacent l'ordre établi.

    Ce tombeau vide, on dirait l'image de ce que nous sommes tous, aujourd'hui. Vidés, lessivés, fatigués par ce qui s'est passé ces trois derniers jours.

    Imaginez. Jeudi soir, nous avons tous soupé avec Jésus. Bon l'atmosphère était tendue. Nous étions de nouveau à Jérusalem et nous savions que toutes les autorités voulaient s'emparer de Jésus. Ils avaient peur d'une rébellion.
    Après avoir soupé, Jésus a pris du pain, il a remercié Dieu, il l'a rompu et nous l'a distribué en disant "prenez en tous, ceci est mon corps, donné pour vous". Après cela il a pris un coupe de vin, et après avoir remercié Dieu il nous l'a passée en disant : " Ceci est ma vie, donnée pour vous, buvez-en tous. Je ne boirai plus de vin, jusqu'à ce que je le boive nouveau avec vous dans le Royaume de Dieu". Nous avons mangé de ce pain, bu de cette coupe et nous nous sommes sentis tellement unis à lui. Nous faisions corps. Nous pensions que nous ne serions plus jamais séparés les uns des autres et surtout de Lui.

    Pourtant, c'est cette nuit-là, que Judas a trahit. Jésus l'avait d'ailleurs prévu. A la fin de ce repas il a dit : "L'un de vous me trahira !"  C'est à ce moment que Judas est parti brusquement. Alors moi je me suis levé et je me suis mis critiquer le comportement de Judas, et j'ai déclaré à Jésus que je ne l'abandonnerai jamais. Mais Jésus m'a alors dit : "Avant que le coq ne chante, tu me renieras trois fois.

    Juste après ce repas, Jésus nous a emmené pour prier avec lui au jardin de Gethsémané. Eh bien, je me suis endormi, une première fois. Jésus m'a réveillé et m'a dit : Pierre, tu ne peux pas prier une heure avec moi ? J'ai essayé, mais je me suis rendormi. Ce que je m'en veux. Mes prières n'auraient-elles pas pu modifier le cours des choses ?

    Ensuite, toute une troupe de soldat, avec Judas en tête, est venue arrêter Jésus. J'ai sorti mon épée, je voulais me rattraper, me racheter. J'étais prêt à mourir au combat pour Jésus. Mais Jésus m'a regardé, de son regard si chaleureux. Il m'a regardé comme s'il était touché de mes efforts pour le défendre, mais il m'a dit : "Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent les armes mourront par les armes". J'ai obéis, mais bien à contre coeur. Quand est-ce que je pourrai enfin montrer que je suis au côté de Jésus, que je ne l'abandonnerai jamais ?

    J'ai suivi — de loin — la troupe qui emmenait Jésus. Ils ont emmené Jésus à la maison de Caïphe, le grand-prêtre. Je suis entré dans la cour pour voir ce qu'il se passerait. Là, il y avait des gardes et des serviteurs qui se tenaient prêt d'un feu. Je me suis mêlé à eux. Je les entendaient parler entre eux. Ils calomniaient Jésus, ils disaient que ces révolutionnaires il fallait les éliminer du pays et toute leur bande avec. Tout à coup, l'un de ces soldats m'a demandé si je n'avais pas des sympathies pour ce Jésus puisque j'étais Galiléen. Alors j'ai eu peur et j'ai dit que je ne le connaissait pas. Je me suis éloigné d'eux. Mais une servante qui était-là m'a encore demandé, par deux fois, si je ne faisait pas partie de la bande de Jésus. J'ai encore dit non. J'ai même juré que je ne le connaissais pas. Moi, Pierre, moi qui me croyait le meilleur des disciples, j'ai fait comme si je ne le connaissais pas. A ce moment-là un coq a chanté et je me suis souvenu que Jésus m'avait dit : "Avant que le coq ne chante tu m'aura renié trois fois". Là, je me suis écroulé, abattu par ma lâcheté, ma trahison. J'ai pleuré.

    Lorsqu'ils ont emmené Jésus sur le lieu de son exécution, j'ai suivi de loin, en me cachant. Ils l'ont cloué sur une croix — c'est la façon ordinaire d'appliquer la peine de mort pour les Romains. Je suis resté-là, à voir mes espoirs de vie meilleure mourir. Il y avait là quelques personnes et des soldats romains qui gardaient le lieu. Tout était fini.

    Pourtant, avant de mourir Jésus a prononcé une parole qui me revient. Il a dit :
    "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font".
    Ce pardon, n'est-il pas aussi pour moi ? Mon abandon n'est-il pas moins grave que le geste de ses bourreaux ? Oui, Jésus est capable de me pardonner à moi aussi.

    Un homme qui est capable de pardonner à ses bourreaux peut-il être abandonné de Dieu ?
    Comment Dieu peut-il rester indifférent à cette injustice ? Dieu ne pourrait-il pas décider de l'arracher à son tombeau ? Le tombeau vide ! Les femmes n'ont rien inventé ! Comment n'ai-je pas compris plus tôt. Excusez ! Je vous laisse ! Je veux aller voir de mes propres yeux ce qu'il en est de ce tombeau!

    (sortir en courant) - Jeu d'orgue.
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Matthieu 26. L'onction à Béthanie

    Matthieu 26
    7.3.1999
    L'onction à Béthanie
    I Samuel 8:26-27 + 10:1      Matthieu 26 : 1-13

    Téléchargez la prédication ici : P-1999-03-07.pdf

    Troisième dimanche du temps de la Passion. Dans notre marche vers Pâques, aujourd'hui, nous faisons halte à Béthanie. Nous sommes à deux pas de Jérusalem. Jésus y a prêché la bonne nouvelle au Temple, mais il s'est aussi affronté à la hiérarchie et aux gardiens du Temple. La tension est extrême avec le pouvoir de Jérusalem, Jésus y a même annoncé la destruction du Temple.
    On peut donc considérer que Jésus s'est retiré à Béthanie juste avant l'affrontement final. En effet, lorsqu'il retournera à Jérusalem, ce sera pour y mourir. Les premières lignes de notre récit le précisent bien :

    Quand Jésus eut achevé toutes ces instructions, il dit à ses disciples :
    — Vous savez que la fête de la Pâque aura lieu dans deux jours : le Fils de l'homme va être livré pour être cloué sur une croix.
    Alors les chefs des prêtres et les anciens du peuple juif se réunirent dans le palais de Caïphe, le grand-prêtre; ils prirent ensemble la décision d'arrêter Jésus en cachette et de le mettre à mort. (Mt 26:1-4)
    Dans ces lignes on a comme un duplex avec une image sur Béthanie et une image sur Jérusalem.
    A Béthanie, Jésus achève son enseignement à ses disciples, une page se tourne. Cet enseignement se termine par la troisième annonce de la passion. Annonce très précise : "le Fils de l'homme va être livré pour être cloué sur une croix". Pour l'évangéliste, Jésus a pleine conscience de son destin.
    En duplex à Jérusalem, on voit les autorités religieuses prendre la décision d'arrêter Jésus. Tout est en place pour le drame. Rien n'est laissé au hasard. C'est la chronique d'une mort annoncée.
    Imaginez l'atmosphère au sein de ce groupe. Ils ont entendu les paroles de Jésus, ils ont vu les affrontements avec les autorités et ils savent que le dénouement est proche. La tension est à son maximum, chacun est nerveux, à cran, tendu à l'extrême.
    Et là au milieu, une femme arrive, elle s'approche de Jésus, et avec des gestes lents, empreints de douceur et de tendresse, elle verse de l'huile parfumée sur la tête de Jésus. Il ne faut pas penser qu'elle l'arrose, mais plutôt — comme une coiffeuse — qu'elle répand délicatement ce parfum, qu'elle masse le crâne de Jésus, comme pour le détendre, par les gestes et par l'odeur qui se diffuse dans toute la maison. Cette femme oint Jésus et lui offre un moment d'exquise relaxation au sein de la tension exceptionnelle qui règne à cet instant.
    Ce geste exquis est bien perçu par Jésus comme une onction. Dans le peuple d'Israël, l'onction sert à revêtir quelqu'un d'une haute fonction, c'est une investiture. C'est le sacre d'un roi, comme on l'a entendu dans la lecture de l'Ancien Testament : Samuel oint Saül. De même, plus tard, Samuel va oindre David. Une investiture à la fonction royale.
    Mais à travers David et l'attente d'un nouveau David, l'onction s'est identifiée — nominalement et dans le vocabulaire — à la messianité. Oindre se dit "messiah" en hébreu, ce qui a donné le mot "messie". Oint se dit "christos" en grec. Ce geste est donc une investiture messianique. Cette femme — mieux que tous les disciples — a compris la vraie identité et la vraie destinée de Jésus. Il est le Messie, celui qui devait venir et celui qui va sauver Israël.
    A cette investiture royale et messianique, Jésus ne manque pas d'ajouter que ce parfum — comme les aromates plus tard — le prépare à la mort. Cette royauté et cette messianité vont s'accomplir dans le destin de la croix, où le Christ va assumer toutes les souffrances des humains. Les souffrances infligées et les souffrances subies.
    Cela est déjà préfiguré dans notre récit. Si le geste de cette femme a été apprécié et reconnu par Jésus, il provoque la réprobation des disciples. Ceux-ci rabrouent cette femme, ils la critiquent et la jugent. Sur quelles bases ? Sur la valeur marchande de son acte. Les disciples sont enfermés dans le royaume des choses dans une économie pécuniaire. Ils crient au gaspillage ! Ils sont aveugles au sens du geste et à sa beauté (cela devrait nous alerter de temps en temps sur nos soucis très puritains d'économie).
    Mais Jésus prend sur lui ces attaques et justifie cette femme. Il relève la beauté et la justesse de son action. Jésus récuse le jugement des disciples et leur austérité. Il invite à voir le monde sous le jour de Dieu.
    Au coeur des tempêtes, lorsque la tension est à son comble, il y a un apaisement, une détente.
    Là où les humains ne voient que pénurie, restrictions, manque, il y a des gestes qui prouvent l'abondance, la générosité, le don.
    Le temps de la Passion est un temps que Jésus partage avec nous — même s'il y a des pauvres dont il faut s'occuper — il ne faut pas oublier de mettre Jésus au centre, comme cette femme, et lui accorder ce qui est le plus précieux.
    Le temps de la Passion n'est peut-être pas seulement le temps de l'austérité, le temps des renoncements, le temps du jeûne. C'est un temps où nous pouvons nous réjouir — avec Jésus — malgré les tensions, nous réjouir des gestes exquis où se lisent la générosité et l'abondance annoncées comme la Bonne nouvelle de notre Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Luc 16. La conversion du gérant habile

    Luc 16
    27.2.2000
    La conversion du gérant habile
    Luc 3 : 7-14      Luc 16 : 1-9

    Téléchargez la prédication ici : P-2000-02-27.pdf

    Franchement, qu'est-ce qu'on peut tirer de cette histoire, de cette parabole du gérant malhonnête et astucieux. Qu'est-ce qui a pris Jésus ce jour-là de nous raconter une histoire pareille ? Qu'est-ce qui a pris à Luc de placer cette histoire dans son Evangile ? En tout cas, son étrangeté est une garantie pour nous de son authenticité. Si Jésus ne l'avait pas prononcée lui-même, jamais personne n'aurait eu l'audace de placer ces paroles dans sa bouche.
    On pourrait comprendre que Jésus raconte cette histoire de gérant malhonnête en nous disant de faire le contraire, comme un contre exemple, comme une voie à ne pas suivre. Mais ici, la morale que Jésus donne à cette histoire est : "Le maître de ce gérant malhonnête le loua d'avoir agi si habilement." (Luc 16:8). Cette histoire immorale doit donc nous servir d'exemple !
    De quoi Jésus veut-il nous parler, que veut-il nous faire comprendre ? Reprenons l'histoire pour ne rien manquer :
    •     Un propriétaire apprend que son gérant gaspille ses biens.
    •     Il le convoque, lui annonce son licenciement, et lui demande d'établir le bilan de sa gestion, un inventaire, avant de partir.
    •     Le gérant est paniqué, il se voit sans avenir, sans ressource et sans ami. Il ne voit pas vers quelle activité se reconvertir. Il est perdu et cherche son salut. C'est là qu'il se révèle astucieux : avec les derniers pouvoirs qui lui restent, il allège les dettes de ses clients, avec l'espoir — pas forcément une assurance — que ces débiteurs soulagés, reconnaissants, pourront ou voudront bien le recueillir lorsqu'il aura perdu son emploi.
    C'est l'astuce, l'intelligence de cette dernière manoeuvre que le maître loue ! (sûrement pas le gaspillage de ses biens ou la remise des dettes de ses débiteurs).
    1. Première leçon à tirer : nous avons à être aussi inventifs et intelligents que les gens malhonnêtes dans nos missions, dans nos tâches, dans nos relations. C'est comme si Jésus nous disait : "Voyez quelle énergie les gens mettent à trouver des solutions habiles pour se sortir d'un mauvais pas. Mettez autant d'énergie à développer, à maintenir ou préserver les relations qui comptent pour vous !
    2. Deuxième leçon à tirer : voyez comme tant de gens transforment le bien en mal — on lit cela tous les jours dans les journaux — appliquez-vous avec autant de soin que ce gérant à transformer le mal en bien, les dettes en amitié. Le maître loue les efforts du gérant plus que les moyens utilisés ou les résultats obtenus.
    3. Et puis, il y a une troisième chose intéressante : lorsque le gérant est acculé, qu'il se sent perdu, il change complètement son point de vue, sa façon de faire, il opère un renversement complet, — ce que j'aimerais appeler une conversion. Lorsque l'argent va le lâcher (il va être renvoyé), il se tourne d'un coup vers le relationnel. Il change brusquement de cheval lorsqu'il réalise qu'il avait misé sur le mauvais. Il réalise que la seule chose importante dans la vie, et surtout dans les coups durs, c'est d'avoir des amis.
    La conversion du gérant est un changement de valeurs. Même plus, c'est un changement de système, de cadre de référence.
    Il a vécu pleinement dans le système économique de l'argent, profitant du système, jouant selon ses règles, peut-être se jouant des règles. Mais il prend conscience tout à coup — au moment d'en être éjecté — que ce système n'assure aucune sécurité. En vitesse, il essaie de convertir la valeur économique en valeur relationnelle, comme quelqu'un convertirait sa monnaie locale en pleine dévaluation en or ou en monnaie forte pour sauver ce qui peut l'être encore.
    Cette parabole nous confronte donc à l'existence de ces deux systèmes qui subsistent en parallèle : d'un côté, l'économie de l'argent (que l'Evangile nomme Mammon) et de l'autre, l'économie du Royaume de Dieu ou de l'agapè (l'agapè est le terme grec qui signifie l'amour dans le Nouveau Testament). Ces deux économies ne fonctionnent pas selon les mêmes règles.
    L'économie de l'argent fonctionne selon les principes de la rareté et de la compétition. Le gâteau a une certaine taille et si je veux une plus grosse part, quelqu'un en aura une plus petite.
    L'économie de l'agapè ou du Royaume de Dieu fonctionne au contraire selon les principes de l'abondance et du partage. Il y a une quantité illimitée d'amour et son partage ne fait que le multiplier.
    C'est pourquoi Jésus dit aussi, quelques versets plus loin :
    "Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres; il haïra l'un et aimera l'autre; il sera fidèle à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent." (Luc 16:13).
    Ce qui signifie pour moi qu'on ne peut pas appliquer en même temps les règles de l'économie de l'argent et celle de l'économie de l'agapè. En d'autres termes, on ne peut pas appliquer les règles de l'économie de l'argent dans le domaine des relations interpersonnelles sans se détourner de ce que Dieu nous demande de vivre. Il est insensé d'être avare d'amour alors qu'on ne risque jamais d'en manquer.
    La conversion du gérant — qui lui vaut la louange du maître — nous encourage donc à réfléchir au type de règles (économiques) que nous mettons en oeuvre dans notre vie. La conversion du gérant nous encourage à miser sur l'économie du Royaume de Dieu pour nous en sortir, pour vivre pleinement.
                        *    *    *
    Reste à voir ensuite, comment nous pouvons mettre à profit l'économie de l'argent pour promouvoir l'économie du Royaume de Dieu, comme Jésus nous y exhorte lorsqu'il dit :

    "Et moi je vous dis : faites-vous des amis avec les richesses de ce monde, afin qu'au moment où elles viendront à vous manquer on vous reçoive dans les demeures éternelles. (Luc 16:9).
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2013