(4.7.1999)
Matthieu 11
"Mon joug est facile" dit Jésus
Romains 8 : 9-11. Matthieu 23 : 1-4. Matthieu 11 : 27-30
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(4.7.1999)
Matthieu 11
"Mon joug est facile" dit Jésus
Romains 8 : 9-11. Matthieu 23 : 1-4. Matthieu 11 : 27-30
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(29.9.2002)
Matthieu 7
Ouverture du catéchisme 1ère année : Prendre la peine de construire sa personnalité
Psaume 127 : 1-5. 1 Pierre 2 : 4-7. Matthieu 7 : 24-27
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1.12.2019
Matthieu 2
Avent I - Tous appelés à venir devant la crèche
Nombres 24 : 15-17. Matthieu 2 : 1-9. Apocalypse 22 : 16-17.
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Chers frères et soeurs en Christ,
Nous entrons aujourd'hui dans le temps de l'Avent, commencement de l'année liturgique, recommencement du cycle de la vie de Jésus qui va de Noël à Pentecôte, en passant par Pâques. Temps de l'Avent, Avent qui signifie advenue, temps où nous attendons la venue de Jésus, dans le double sens où nous célébrons sa première venue et où nous espérons, attendons sa venue sous la forme de la réalisation de son règne sur terre, la venue d'un monde plus juste, plus humain, plus charitable.
Dans ce temps du mois de décembre, chacun fait des efforts d'accueil, des efforts de générosité (en tout cas, beaucoup d'oeuvres attendent que nous utilisions les bulletins de versement qu'elles nous envoient) ou des efforts de décorations. C'est le temps de sortir les guirlandes lumineuses et les santons pour disposer nos crèches.
Nos crèches traditionnelles — et je pense particulièrement aux crèches provençales — font de gentils mélanges et de doux anachronismes (par. ex. en y plaçant un curé). Pourtant ces anachronismes — des erreurs du point de vue historique — révèlent pourtant bien le sens de la nativité : tous, qui que nous soyons, d'où que nous venions, aujourd'hui, nous sommes invités à nous agenouiller devant Jésus et à l'adorer.
Selon les évangiles, on ne devrait pas voir en même temps les bergers et les mages ensemble dans l'étable ! Le récit de Luc se passe au moment de la naissance et les bergers sont invités à voir un bébé emmailloté et posé dans une crèche. Dans le récit de Matthieu, les mages voient une étoile qui signale une naissance et se mettent en route à ce moment-là et arrivent plusieurs mois plus tard à Bethléem.
La vérité, cependant, ne se trouve pas dans une réalité historique sous-jacente qu'il faudrait à tout prix reconstituer (comme les efforts de certains astronomes pour savoir s'il y a véritablement eu un signe dans le ciel — une supernovae ou une comète ou une conjonction de planètes — qui expliquerait le voyage des mages). Cette réalité historique ne nous est de toute façon plus accessible.
Les évangiles ne nous livrent pas des preuves, mais cherchent à nous fournir des raisons de croire, des éléments pour alimenter notre foi, des événements qui donnent du sens à notre vie. Ainsi la question n'est pas : Que s'est-il exactement passé autour de cette étoile et de ces mages ? Mais plutôt : Que veut nous communiquer Matthieu en écrivant ce récit et en plaçant cette étoile dans ce récit ?
Oui, cette étoile — qui a un si grand rôle — est étrange sous la plume de Matthieu ! Il n'est pas dans les habitudes de la tradition juive de se référer à l'astrologie pour asseoir une démonstration théologique. Alors pourquoi Matthieu introduit-il de l'astrologie dans la vie de Jésus ?
Bien sûr, Matthieu utilise là un lieu commun de l'Antiquité. Il va quasiment de soi qu'une naissance royale est accompagnée d'un signe dans le ciel. On dit encore "Naître sous une bonne étoile." En s'exprimant ainsi, Matthieu est sûr de se faire comprendre de ses contemporains qui sont — selon les exégètes d'aujourd'hui — les chrétiens de la ville d'Antioche en Syrie, une communauté formée autant de grecs, anciens païens que d'anciens juifs.
Matthieu, cependant, a aussi une autre idée, celle de montrer que la venue de Jésus est l'accomplissement des prophéties de l'Ancien Testament. C'est ainsi que son récit est construit autour de plusieurs citations de l'Ancien Testament. Les prêtres consultés par Hérode pour savoir où ce roi doit naître trouvent la ville de Bethléem dans les Ecritures. De même, Matthieu va appuyer la fuite en Egypte sur une autre citation.
L'étoile des mages rappelle une prophétie de Balaam dans le livre des Nombres (24:17) qui dit :
"Je vois ce qui arrivera — mais ce n'est pas pour aujourd'hui — je discerne un événement — mais il se produira plus tard — un astre apparaît parmi les descendants de Jacob, un souverain surgit au milieu du peuple d'Israël."
Chez Matthieu, le récit de la naissance de Jésus est là — pour ses auditeurs d'origine juive — pour faire le lien entre l'Ancien Testament et Jésus, pour assurer une continuité entre l'héritage de la Torah et la nouveauté de la bonne nouvelle de Jésus-Christ. Ce Jésus de Nazareth est bien celui qui devait venir, celui qui était annoncé, il est bien le Messie annoncé par les prophètes.
Mais ce langage n'est pas directement compréhensible pour les auditeurs d'origine païenne de Matthieu. Ces prophéties, ils ne les connaissent pas, ils sont nouveaux par rapport à cette traditionde l'Ancien Testament, alors en quoi sont-ils concernés par ce Jésus ?
C'est là qu'interviennent justement ces mages. Ces mages ne sont pas juifs puisqu'ils viennent d'Orient et qu'ils sont sensibles aux signes astronomiques — pourtant ils voient le signe et ils viennent.
Le récit de Matthieu fait donc place à ceux qui sont rattachés à la tradition comme à ceux qui viennent ensuite, du dehors. Pour ceux-là Dieu aussi donne des signes. A ceux-là Dieu aussi se manifeste. Ceux-là aussi sont invités par Dieu à venir adorer Jésus.
Par ce récit, Matthieu ouvre l'évangile à une dimension universelle. Cette naissance concerne tout le monde, chacun, d'où qu'il vienne, est invité à reconnaître en Jésus le souverain, celui qui règne sur tous, au point que certains auteurs, plus tard, lui donneront le titre "d'étoile brillante du matin" (Apoc 22:16).
Vous connaissez, vous, une étoile du matin, une étoile bien brillante ? Moi, je ne connais qu'une seule étoile qui peut être appelée comme cela, c'est le soleil !
Cet universalisme de ceux qui sont rassemblés autour de Jésus, c'est bien ce que nos crèches anachroniques nous disent aussi : nous sommes tous invités à converger vers Jésus pour l'adorer, d'où que nous venions.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2019
Matthieu 9
16.6.2019
Jésus regarde jusqu'au coeur de la personne
Matthieu 9 : 9-13 Matthieu 9 : 35-37
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Chers frères et sœurs en Christ,
Pour commencer notre réflexion sur les textes bibliques qui vous ont été lus, je vous demande de regarder les personnes qui sont autour de vous, celle qui sont proches (que vous connaissez probablement) et celle qui sont plus loin.
Voilà, vous avez pu échanger des regards, voir des gens que vous reconnaissez, en découvrir d'autres qui vous sont inconnus.
En regardant un groupe de personnes, notre esprit fait rapidement des catégories, il y a les gens connus et les inconnus, les plus jeunes et les moins jeunes que soi, les paroissiens habituels et les autres, et dans la rue, les suisses et les étrangers, les passants corrects et les marginaux douteux, etc… Toute société génère ses catégories.
Du temps de Jésus, il y avait aussi des catégories, celles qu'on pouvait côtoyer, avec qui on pouvait partager un repas et celles qui étaient infréquentables : par exemple certains malades comme les lépreux; certaines ethnies, comme les samaritains; certaines professions, comme les collecteurs d'impôts.
Les pharisiens étaient passés maîtres dans l'art d'établir des listes de gens fréquentables (on disait "purs") et infréquentables (on disait "impurs"). Le problème, c'est qu'ils le faisaient "au nom de Dieu." Cela, Jésus ne pouvait pas l'accepter. C'est pourquoi l'Evangéliste nous raconte cet épisode du repas que Jésus prend chez Matthieu, le péager, le collecteur d'impôt, l'agent du fisc romain.
Jésus a passé devant Matthieu au péage. Matthieu est à son poste de travail (comme la caissière d'un péage d'autoroute française). Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, quand je passe au péage d'autoroute, je m'occupe d'avoir la monnaie, de tendre mon ticket et de récupérer ma monnaie. Je regarde à peine celui ou celle qui travaille. Ce n'est pas quelqu'un dont je vais faire la connaissance. C'est la même chose avec la caissière de la Coop ou le buraliste postal. Il y a des gens avec qui on a une relation purement commerciale, purement mécanique. D'ailleurs les entreprises l'ont bien compris, elles qui remplacent les employés par des automates !Eh bien, Jésus, lui, il a eu un autre regard pour Matthieu le péager !
Un regard de personne à personne, au point qu'il a vu en lui quelqu'un à appeler à devenir disciple ! Jésus n'a pas été retenu par des idées préconçues, il n'a pas pensé : « de toute façon, c'est un péager, de toute façon, on n'a pas le temps ». Jésus a vu en Matthieu une personne. Jésus a vu au-delà des apparences, au-delà de la façade et du rôle. Jésus a regardé jusqu'au cœur de la personne. Il s'en est suivi un repas, un repas avec les amis de Jésus et tous les collègues de Matthieu, des gens infréquentables aux yeux des pharisiens. D'où leur question : "Pourquoi Jésus mange-t-il avec des gens de mauvaise réputation ?" (Mt 9:10)
Vous aurez remarqué que les pharisiens parlent de ces gens en termes de groupe, pas en termes d'individu, de personne. C'est comme aujourd’hui lorsqu’on parle de “vague migratoire” au lieu de parler de personnes qui ont besoin de secours, d’un refuge. Quand on utilise le terme de “vague”, de “migrants”, de “réfugiés” au pluriel, comme une masse indistincte, on créée de toute pièce la réaction :
— On ne peut pas accueillir tout ces gens-là ! (variante de “la barque est pleine”) Cela change quand il est question d’une personne concrète.
— Mais, tu connais pas Untel ? Il est très correct…
— Oui, alors celui-là ça va.
Là où les pharisiens voient une catégorie de personnes, Jésus voit des individus et des individus qui souffrent de leur exclusion, de leur stigmatisation. Et Jésus refuse de participer à leur mise à l'écart de la société. C'est pourquoi il vient partager un repas avec eux, il communie avec eux, lui qui va vivre cette exclusion jusqu'à la mort sur la croix. Jésus mange avec les exclus et explique à ceux qui le critiquent que les étiquettes humaines n'expriment pas la pensée de Dieu.
Toute étiquette est une barrière qui nous empêche d'appréhender la réalité telle qu'elle est. Personne ne peut être réduit à une idée que nous nous faisons d'elle. L'être humain n'est pas réductible à sa profession, sa nationalité, sa couleur, son genre, sa provenance, son apparence ou ses gestes.
Connaître vraiment quelqu'un, c'est dépasser toutes ces étiquettes, tous les qualificatifs pour accéder à la personne. C'est accueillir l'autre en lui laissant la place de devenir réellement qui il est et non tel que nous voudrions le voir.
Vous vous souvenez, sous le chêne de Mambré, Abraham accueille les trois visiteurs qui passent comme des messagers de Dieu. Il pense que c'est Dieu lui-même qui vient le visiter. C'est comme cela que Jésus regarde tous ceux qui se trouvent autour de lui. Même lorsque la foule l'entoure, il ne perçoit pas des anonymes, mais des êtres qui souffrent, qui portent des fardeaux derrière l'apparence, derrière la façade. Une façade derrière laquelle nous nous cachons.
Combien de fois pensons-nous (par exemple lorsque nous recevons un compliment) : "Ah, s'il savait qui je suis vraiment à l'intérieur de moi !" Qui n'a pas peur d'être démasqué ?Il y a de quoi avoir peur si nos faiblesses sont retournées contre nous pour nous démolir. Mais si c'est le contraire ?
En réponse aux pharisiens, Jésus se présente comme le médecin de ces souffrances intérieures : "Les bien-portants n'ont pas besoin de médecins, ce sont les souffrants qui en ont besoin." (Mt 9:12) Jésus vient non pas pour juger selon les catégories des hommes, mais pour guérir, pour soulager. C’est pour tous ceux-là que Jésus est rempli de compassion et qu’il cherche des ouvriers. Jésus regarde les humains, nous regarde, avec les yeux de l'amour inconditionnel et nous invite à deux choses :
- d'abord, il nous invite à accepter d'être regardé ainsi, d'être accueilli, aimé, invité à vivre avec lui, partager son repas. Jésus nous appelle — comme Matthieu — à partager sa vie.
- Ensuite, dans les pas de Jésus, nous sommes encouragés à adopter ce même regard envers les autres. C'est le culte que Jésus nous invite à rendre à Dieu : "Je désire la bonté, non les sacrifices." (Mt 9:13).
Parce que nous avons été reçus, accueillis par Dieu, nous pouvons à notre tour accueillir notre prochain et marcher dans les pas du Christ.
© Jean-Marie Thévoz, 2019
Matthieu 2
13.1.2019
Jésus vit les déplacements de son peuple
Jérémie 31 : 2-9 Matthieu 2 : 13-18 Matthieu 2 : 19-23
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Chers frères et sœurs en Christ,
Dimanche passé, nous avons vécu le dimanche des Rois. L’occasion de rappeler la visite des mages auprès de Jésus. Souvent, on passe directement du récit des mages au baptême de Jésus. D’un coup on passe 30 ans de la vie de Jésus. Il est vrai que nous ne savons quasiment rien de cette période de la vie de Jésus.
Luc nous donne quelques épisodes, Jésus présenté au Temple par ses parents, la rencontre avec le vieux Siméon et avec la prophétesse Anne, puis, 12 ans plus tard ce pèlerinage à Jérusalem où Jésus fausse compagnie à ses parents pour rester au Temple discuter avec les maîtres de la loi.
De son côté — et c’est ce qui va nous intéresser ce matin — Matthieu fait faire tout un voyage à Jésus et sa famille, la fameuse fuite en Egypte. On voit dans ces différences entre les récits d’enfance, que chaque Evangile a des préoccupations propres.
Même si les trois Evangiles Matthieu, Marc et Luc se ressemblent beaucoup — parce qu’ils sont bâtis sur le même plan, le même déroulement et qu’ils ont beaucoup de textes en commun — chaque Evangéliste donne une couleur propre à son texte. Pourquoi ces différences entre eux ? Simplement parce que — même s’ils parlent à partir des mêmes souvenirs, des mêmes données de bases — ils parlent dans des lieux géographiques différents et à des communautés différentes.
Les Evangiles sont plus des prédications que des reportages. Mais le particulier peut devenir universel. Dans les deux lectures de l’Evangéliste Matthieu que vous avez entendues ce matin, il y a un récit en trois parties : la fuite en Egypte, le massacre des enfants et le retour d’Egypte. Ces trois petits récits sont propre à Matthieu, ils n’ont pas d’équivalents dans les autres Evangiles. On y voit donc concrètement Matthieu à l’œuvre dans son travail de prédicateur-écrivain.
Chacun de ces trois petits textes commence par exposer une histoire et se termine, se conclut par une citation biblique. Il y a donc une trame narrative assortie, ponctuée de citations de l’Ancien Testament. Ces références fréquentes (plus fréquentes chez Matthieu que chez Marc ou Luc) à l’Ancien Testament sont une des particularités de Matthieu. Il connaît bien les Ecritures et il parle à des gens pour qui les textes bibliques sont importants, sont connus et représentent une autorité. On peut en déduire que Matthieu parle à une communauté formée — en grande partie au moins — de juifs. Il essaie de convaincre des juifs, des coreligionnaires que Jésus est celui qui accomplit les Ecritures.
La première citation : « J’ai appelé mon fils à sortir d’Egypte. » (Os 11 :1) est une attestation messianique de la filiation divine de Jésus. Attester cette filiation divine de Jésus est le but des deux chapitres que Matthieu consacre à l’enfance de Jésus. Mais la citation ajoute le voyage — et surtout le retour — d’Egypte. Parler de la sortie d’Egypte, c’est faire allusion à Moïse, le grand législateur de l’Ecriture.
La troisième citation — je reviendrai sur la deuxième juste après — va dans le même sens : « Il sera appelé le Nazaréen. » Ici Matthieu fait un jeu de mot entre Nazareth et Nazir qui désigne l’homme consacré à Dieu (Cf. Juges 16 :17). Matthieu désigne Jésus comme un prophète et un libérateur à l’image de Samson — l’homme consacré à Dieu qui ne se coupe pas les cheveux.
La deuxième citation (Mt 2 :18) est étrange pour nous. Il est difficile de savoir si le récit du massacre est constitué pour utiliser la citation ou si la citation est ajoutée pour donner un sens au massacre des nouveau-nés. Mais il y a deux choses intéressantes dans ce passage :
(i) le parallèle entre le massacre des nouveau-nés ordonné par le pharaon auquel Moïse échappe et celui d’Hérode auquel Jésus échappe. Matthieu fait ici un nouveau parallèle entre Jésus et Moïse ;
(ii) le contenu du chapitre de Jérémie d’où vient cette citation sur les enfants de Rachel. Cette citation est tirée du chapitre 31 du livre de Jérémie. Ce chapitre 31, on l’appelle le « Livret de la consolation. »
Il contient notamment l’annonce de la Nouvelle Alliance « Je graverai mes instructions dans votre cœur » (Jér 31:33) et la déclaration d’amour de Dieu envers son peuple que vous avez entendue dans les lectures. Dans cette déclaration, Dieu déclare à propos de son peuple : « Je vais les ramener du pays du Nord et les rassembler des plus lointaines contrées. » (Jér 31:8) Ce retour au pays est le retour du peuple d’Israël de son exil à Babylone.
Ainsi, on peut voir que Matthieu superpose — pour ses auditeurs bien au fait de l’histoire du peuple juif et connaisseurs des Ecritures — l’Exode hors d’Egypte et le retour d’Exil. Et il décrit un Jésus qui vit les périples — géographiques, mais surtout existentiels et souffrants — de son peuple. Matthieu montre par ce trois récits assortis de leurs citations que Jésus a lui-même revécu les pérégrinations du peuple d’Israël, que Jésus est donc totalement assimilé à ce peuple, y compris à ce peuple en exil. L’incarnation de Jésus est autant une incarnation dans la chair humaine que dans l’histoire de son peuple !
Si l’on tient compte du fait que Matthieu parle ou écrit son Evangile pour une communauté d’origine juive de la diaspora (probablement à Antioche, en Syrie) on réalise que le voyage de Jésus — dans la géographie, mais surtout dans la dramatique historique du peuple de Dieu — est une sorte d’inclusion de la diaspora juive dans le vie de Jésus.
En image, Jésus a visité tous les exilés, vécu leur exil même, avant de commencer son ministère en Galilée et à Jérusalem. Comme croyants de tous les âges, de l’Exode, de l’Exil, de l’Empire romain ou d’aujourd’hui, nous sommes pris en compte dans la vie de Jésus. Matthieu assure ainsi à ses auditeurs d’Antioche — loin de Jérusalem et de la terre d’Israël — que le message de Jésus, que le salut les concerne aussi.
Matthieu l’avait déjà dit d’une certaine façon à travers le récit des mages venus d’Orient. Il le fait, là, d’une façon inversée, en faisant voyager Jésus. Il assure, là, à une communauté d’origine juive de la diaspora, non seulement qu’ils sont inclus dans la nouvelle alliance, mais qu’ils peuvent aussi accueillir les croyants non-juifs dans leur communauté.
Il y a là un message universaliste — d’ouverture — de la part de Matthieu, un message d’ouverture qu’il met en parallèle avec celui de la Nouvelle Alliance de Jérémie. Pour Matthieu, cette nouvelle alliance se réalise pleinement en Jésus, le Messie qui vient de Dieu, autant pour les juifs installés en Israël, que pour les juifs de la diaspora ainsi que pour tous les peuples de la terre.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2019
Matthieu 8
12.6.2016
Contamination positive.
Matthieu 5 : 21-24 Matthieu 7 : 28-29 + 8 : 1-4
Télécharger le texte : P-2016-06-12.pdf
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Dans notre recherche pour mieux connaître Jésus à travers le Sermon sur la Montagne, nous avons déjà vu comment il se place en surplomb lorsqu’il parle, il se place au-dessus de la Loi pour la commenter et la modifier (P-2016-05-22). Ensuite nous avons vu la radicalité des propos de Jésus, combien il exagère, proposant des conduites impossibles à tenir pour provoquer le changement (P-2016-05-29).
Aujourd’hui nous voulons voir comment Jésus se démarque de l’enseignement des pharisiens et des maîtres de la Loi. Jésus ne renie pas le judaïsme. Il s’inscrit dans cette tradition, il l’assume, il l’aime. Il fait référence à la Torah, à la volonté de Dieu, il se compte comme un fils d’Abraham ; il se voit dans la lignée des prophètes d’Israël. On voit même, dans la fin du récit de guérison du lépreux, qu’il l’envoie vers le prêtre et lui demande d’accomplir le sacrifice prescrit par Moïse.
Oui, Jésus s’inscrit bien dans la ligne du judaïsme. Mais en même temps, Jésus vient pour redire la volonté de Dieu pour son peuple et c’est là qu’il y a un hiatus. Il y a une distance entre le judaïsme des pharisiens et la juste relation que Dieu veut instaurer entre les êtres humains. Cette distance, c’est Jésus qui l’a fait remarquer, ce ne sont pas les chrétiens — ultérieurement— qui l’ont définie.
Jésus se démarque vraiment des pharisiens, il propose vraiment une relation différente à Dieu et aux êtres humains. Cette distance, cette nouveauté, c’est ce qui va créer l’insupportable et conduire à la mort de Jésus sur la croix.
L’enseignement de Jésus se démarque sur le point de vue moral, on le voit dans le Sermon sur la Montagne, dans les reformulations : « Il vous a été dit… mais moi je vous dis…». Mais des désaccords moraux, on peut vivre avec. Ce n’est pas là-dessus que la démarcation est assez forte pour conduire à la mort de Jésus.
La démarcation porte sur la vision globale du monde ; celle des pharisiens et celle de Jésus diffèrent complètement. Et l’ensemble des récits des Évangiles expriment cette distance, cette différence. Voyons ces différences. J’en relèverai trois.
1. Les pharisiens pensent qu’une bonne relation à Dieu, la relation qui peut leur assurer le salut, passe par une observance stricte de tous les détails de la Loi. Cette obéissance les différencie des païens qui n’ont aucun accès à Dieu. Cette vision des choses domine dans l’observance du sabbat, c’est là qu’on voit la différence entre les bons juifs et les autres. Jésus remet tout cela en cause par les guérisons qu’il opère le jour du sabbat, surtout lorsqu’il demande aux pharisiens : « Est-il permis de faire du bien de jour du sabbat ?» (Mt 12:12) Question combien embarrassante.
Jésus remet complètement en cause la vision du monde et de Dieu des pharisiens lorsqu’il pose le principe selon lequel le sabbat est fait pour l’homme, non pas l’homme pour le sabbat. Premier pas, Jésus place l’être humain au-dessus de l’obéissance.
2. Vous avez entendu dans les lectures que Jésus demande à celui qui se rend compte — au Temple — qu’il est toujours brouillé avec son frère, de laisser là son offrande et d’aller se réconcilier avec lui.
Deuxième pas : Jésus place les bonnes relations — la réconciliation — au-dessus du culte à rendre à Dieu. C’est incroyable ! C’est un renversement insensé pour tous les responsables religieux. Faire passer l’être humain avant Dieu! Faire passer la relation avant le rituel. C’est pourtant bien là l’avancée novatrice du Christianisme. Ce qui l’a rendu attractif et pertinent : être ensemble dans de bonnes relations, dans la joie et la bonne humeur, c’est cela rendre un culte agréable à Dieu.
3. Le troisième bouleversement concerne la vision de la pureté des pharisiens. Ils ont l’impression de vivre dans un monde et un environnement impur contre lequel il faut constamment se protéger et toujours à nouveau se purifier. Tout est occasion de perdre sa pureté. Oublier un commandement, mais aussi marcher sur une tombe ou un ossement, être frôlé par le vêtement d’un païen ou d’une femme, manger un aliment impropre ou mal préparé, se trouver dans le même espace qu’un étranger ou croiser un lépreux. Tout est occasion d’être contaminé de l’extérieur.
Et voilà que Jésus vient et renverse tout. Vous vous souvenez (P-2016-05-01), il dit aux pharisiens : avec vos rituels vous ne lavez que l’extérieur des plats (Luc 11:39). Ce n’est pas ce qui rentre en l’homme, mais ce qui sort de lui qui le rend impur. De la pureté défensive des pharisiens, Jésus passe à une pureté offensive ou contagieuse. Pour Jésus c’est l’attitude intérieure qui est contagieuse, c’est la pureté qui va se répandre et changer les conditions autour de soi. Ainsi Jésus peut-il se laisser toucher et aborder par quiconque, c’est toujours lui le vainqueur de l’impureté, c’est l’autre qui devient pur à son contact !
C’est exactement ce qui se passe à la suite du récit du Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se conclut par la parabole des deux maisons et le rappel que Jésus enseigne avec autorité. Et le premier acte de Jésus en descendant de la montagne, c’est sa rencontre avec le lépreux qui exprime la vérité qui vient d’être illustrée dans le Sermon sur la Montagne : «Si tu le veux, tu peux me rendre pur » proclame le lépreux (Mt 8:2). Le lépreux fait appel à cette pureté contaminante, qui est bien plus forte que la lèpre. Voilà le retournement qui est insupportable pour les pharisiens, pour les religieux, mais qui va faire le succès du Christianisme. Toute relation est bonne et ne comporte pas de risque religieux. La relation, c’est ce que Dieu veut favoriser. La relation est possible avec tous. La relation est souhaitable avec tous ! La relation, le partage des repas, la célébration tous ensemble, voilà le souhait de Dieu pour l’humanité.
Personne n’est impur, par nature par accident. Jésus remporte toujours la victoire du pur sur l’impur déclaré par la société. Il n’y a plus d’intouchables. Donc il n’y a plus besoin de mur de protection, il n’y a plus besoin d’exclusion, de mise à l’écart. Ce qui l’emporte, c’est le principe du rayonnement, c’est le principe de la contamination positive. C’est pourquoi le discours du Sermon sur la Montagne commence avec l’image du sel la terre et de la lumière. Deux images de contamination positive, le sel qui donne du goût et la lumière qui répand sa clarté dans l’obscurité.
Il n’y a rien d’impur dans le monde, il n’y a que des réalités qui attendent d’être illuminées, d’être sanctifiées. Notre rôle de chrétien — à la suite de Jésus — c’est de continuer cette contamination positive que les théologiens appelle la sanctification.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2016
Matthieu 6
29.5.2016
Le Sermon sur la Montagne (II) : Jésus, lanceur d’alerte
Matthieu 6 : 19-32 Matthieu 7 : 1-5
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Non, mais, franchement, Jésus exagère ! Ce Sermon sur la Montagne est plein de prescriptions impossibles à tenir, impossibles à réaliser. Jésus nous dit que les pauvres, les affamés, les endeuillés sont bienheureux. Jésus nous dit d’aimer de nos ennemis (Mt 5:44), de tendre la joue gauche (v.39), de donner sans retour (v.42), de céder à celui qui nous prend (v.42), de ne pas juger (Mt 7:1), de ne pas divorcer, ni de se remarier (Mt 5:32). Jésus nous dit de reconnaître que nous avons une poutre dans l’œil (Mt 7:5), de ne pas se soucier de notre nourriture et de nos vêtements (Mt 6:31), donc de renoncer à toute prévoyance, de nous détacher des richesses (v.19). Mais que faire de toutes ces injonctions ?
Et ce ne sont pas les seules paroles choquantes de Jésus. Les Évangiles — et particulièrement les paroles qui ont été identifiées comme venant du document intitulé la Source*1 qui a recueilli très tôt les paroles de Jésus — nous livrent encore d’autres paroles chocs de Jésus : rien ne restera caché, tout sera dévoilé (Mt 10:26) ; c’est du feu que je suis venu jeter sur la terre (Lc 12:49) ; je suis venu diviser, le fils contre le père, la fille contre la mère, la belle-fille contre la belle-mère (Lc 12:53); celui qui ne hait pas père et mère ne peut pas être mon disciple (Lc 14:26); les derniers seront les premiers (Lc 13:30); quiconque s’élève sera abaissé (Lc 14:11); etc.
Nous avons perdu l’habitude d’être confrontés à cette facette de Jésus. Au fils du temps le message de Jésus s’est couvert de poussière et ses couleurs vives, provocantes, ont été recouvertes et atténuées. C’est comme les fresques de la Chapelle Sixtine qui étaient toutes grises mais qui sont devenues tellement lumineuses après leur nettoyage. Les couleurs de Jésus peuvent être retrouvées. Jésus n’est pas un hippie aux cheveux longs qui déambule en Galilée en proclamant « Peace and love» !
Si on revient aux paroles de Jésus, si on les prend au sérieux, au pied de la lettre, dépoussiérées et décapées, alors Jésus apparaît davantage comme un trublion, un provocateur, quelqu’un qui dérange !Oui, Jésus est un dénonciateur, un lanceur d’alerte. Il dénonce des dysfonctionnements sociaux, il dénonce les mises à l’écart des handicapés et des malades, les discriminations entre les petits et les élites. Il dénonce des dysfonctionnements religieux, il dénonce le fardeau des lois, l’accaparement du pouvoir par les prêtres et le temple.
Jésus dénonce, mais ne propose pas de programme social, politique ou religieux. Jésus est dans l’excès, Jésus est dans l’urgence. Ce qu’il veut c’est faire bouger les choses, appeler au changement, changement d’attitude, de mentalité, ce que les évangiles appelle la « metanoia », mais il se refuse à enfermer ses disciples dans une nouvelle conduite à tenir, d’où des mesures idéales mais intenables. Vous ne construisez pas une société sur les principes du Sermon sur la Montagne. Les mesures sont excessives, radicales, exagérées. Il n’y a rien de pratique et de pragmatique. Jésus provoque pour provoquer le changement. Jésus ne se préoccupe pas du réalisable, du faisable, Jésus n’est pas un politique, ni un réformateur. Jésus vient bousculer.
On pourrait comparer Jésus à un dessinateur de presse : il met en lumière une situation qui déraille, mais il ne propose pas la solution pragmatique. Au lecteur de ce retrousser les manches et voir comment agir. Retrouvez Jésus pour aujourd’hui, c’est retrouver l’homme, la personne, l’acteur (celui qui agit, pas le comédien). Il s’agit de retrouver le prophète Jésus. La Passion de Jésus viendra confirmer ces paroles prémonitoires de Jésus : « Ô Jérusalem, toi qui tues tes prophètes… » (Mt 23:37).
Jésus est un prophète au sens fort de l’Ancien Testament, celui qui est porteur d’une parole qui vient de Dieu, celui qui est porteur d’un jugement qui vient de Dieu. Jugement sur les situations de dysfonctionnement, sur les relations tordues, sur les oppressions et les inégalités, sur les discriminations et les exclusions.
C’est ce Jésus, cette figure prophétique qui a bouleversé son temps et les siècles qui suivent. Ce sont ces paroles percutantes qui se sont propagées d’une manière fulgurante tout autour de la Méditerranée pour qu’en 280 ans (de 33 à 313 de notre ère) le message et la Passion de Jésus deviennent la religion de l’Empire romain. Il faut des paroles vraiment percutantes pour arriver à ce résultat-là ! De quoi changer notre regard sur Jésus.
J’ai comparé Jésus à un dessinateur de presse, c’était par rapport au côté percutant de son message et au renoncement à l’aspect réaliste, pragmatique. Pour se rapprocher de l’image de la personne même de Jésus, on peut faire d’autres comparaisons. À notre époque, je pense que Jésus serait un artiste — pas pour le côté baba-cool — mais pour le côté d’impact public et le côté implication personnelle.Pour le premier aspect (impact public) je pense à des photographes qui essaient de faire bouger les mentalités, comme Yann Arthus-Bertrand ou Sébastiao Salgado pour l’écologie ; ou JR pour le rapprochement des peuples (c’est lui qui a photographié des Israéliens et palestiniens qui font des grimaces pour les coller sur le mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie).
Pour l’aspect implication personnelle, je verrais l’artiste Marina Abramovic, notamment dans sa performance « The artist is present » au musée d’Art moderne de New York (MoMA) où elle était assise 75 jours de suite, immobile, toute la journée, dans le musée. Et les visiteurs venaient s’asseoir en face d’elle, pendant quelques minutes, pour se regarder, les yeux dans les yeux, dans une présence totale. Les visiteurs qui n’ont cessé de faire la queue pour vivre cette expérience en ressortaient complètement bouleversés par cette présence et ce contact si profond.
C’est ce contact, cette présence bouleversante de Jésus — même si nos regards ne peuvent pas se croiser aujourd’hui — que nous avons à rechercher en relisant les Évangiles.
Les propos de Jésus sont irréalistes, parfois choquants, mais c’est pour nous déplacer, nous bouleverser, nous émouvoir, nous qui restons tellement figés dans nos habitudes et nos petites sécurités.
Par ses propos, Jésus nous invite à retrouver l’urgence de la relation — par-dessus toutes les barrières — et retrouver la proximité fondamentale de Dieu — par-dessus tous les discours religieux qui éloignent et divisent. Jésus lance un cri, un appel, au-delà de tous les conseils pratiques, pour que nous retrouvions la pleine présence de Dieu.
Amen
*1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.
© Jean-Marie Thévoz, 2016
Matthieu 5
22.5.2016
Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.
Jean 5 : 33-36 Matthieu 5 : 38-48
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
On ne cesse de nous répéter que le Christianisme n’a pas la cote, que la religion est dépassée, tout au plus peut-on récupérer un peu de spiritualité au final. Je ne crois pas du tout que le Christianisme soit dépassé, mais il est vrai que le Christianisme n’est plus compris de nos contemporains. Un certain nombre d’énoncés ne sont plus compréhensibles : « Dieu créateur », « Fils de Dieu », « être sauvé » etc. Le concept de « Dieu » devient incompréhensible dans ce monde tourné vers la matérialité, le concret, la sécurité. Une bonne assurance, qui couvre en cas de pépin, voilà qui rassure, voilà qui nous sauve ! Face à ce constat, je me dis qu’il faut parler différemment à nos contemporains, peut-être à nous-mêmes aussi. Et je me dis que la meilleure porte d’entrée dans le Christianisme reste la personne de Jésus. C’est quand même lui qui est au centre, lui qui est à la base du Christianisme.
Pour revenir à Jésus, à son message, je vais vous proposer — ces prochains dimanches — une suite de prédications sur le Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se trouve dans les chapitres 5 à 7 de l’Évangile selon Matthieu, avec un parallèle chez Luc au chapitre 6. Le Sermon sur la Montagne, tel que Matthieu nous le présente, de façon très construite, repose sur un ensemble de paroles de Jésus qui ont dû être primitivement réunies dans un document dont disposent et Matthieu et Luc. Ce document dont on n’a pas retrouvé d’exemplaires a été reconstitué à partir des citations reprises par Matthieu et Luc dans leurs Evangiles. Ce document est appelé « la Source » (die Quelle) par les spécialistes*1. Cette Source rassemble des paroles de Jésus, recueillies et mises par écrit très tôt après la mort de Jésus. Cette Source nous donne donc une bonne image de la prédication de Jésus à ses disciples, de ce que les spécialistes — comme Daniel Marguerat*2 — appellent le Jésus historique.
Aujourd’hui je vais vous parler de la position qu’adopte Jésus lorsqu’il parle de Dieu, lorsqu’il parle à ses disciples et au peuple d’Israël, dans le Sermon sur la Montagne. Ces prochains dimanches, je vous parlerai du radicalisme de Jésus, de sa façon de se démarquer des pharisiens ou du judaïsme traditionnel et de sa vision de Dieu. Donc aujourd’hui, nous allons voir la position d’où Jésus parle. La Source livre des phrases chocs de Jésus telles que : « si on te frappe sur la joue droite, tend la joue gauche » (Mt 5:39). « Si on veut prendre ta chemise, donne aussi ton manteau » (v.40). « Si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? » (v.47). « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v.44).
Ces phrases chocs, Jésus les dit pour que ses auditeurs s’interrogent sur leurs pratiques. Pour que chacun s’interroge et se remette en cause. Vous connaissez la résistance que chacun a à se remettre en cause. Combien de fois ai-je entendu des personnes à qui je rendais visite comme pasteur essayer de se justifier de ne pas venir à l’Eglise me dire : « vous savez, je suis croyant, même si je ne viens pas à l’Eglise et je ne suis pas plus mauvais que ceux qui vont ! »
Jésus aussi devait rencontrer des gens qui lui disaient que les autres n’étaient pas meilleurs, alors pourquoi s’en faire, pourquoi se remettre en cause, pourquoi changer et se convertir ? Jésus, lui, osait venir avec un questionnement qui balaye tout sur son passage : « pourquoi t’attendre à une récompense, les collecteurs d’impôts en font autant ! » (v.46).
Jésus attaque la bonne conscience de celui qui croit ne pas être pire que la moyenne. Mais cette attaque ne prend pas la forme d’un jugement et d’une condamnation, mais prend la forme d’une invitation à changer de registre. L’idéal n’est pas de se fondre dans la moyenne. Pour Jésus l’idéal est de se rapprocher de Dieu. L’idéal est de prendre Dieu pour modèle !
Ces paroles de Jésus étaient percutantes « tends la joue gauche» (v.39), « aimez vos ennemis ! » (v.44). Matthieu l’évangéliste les inscrits dans un cadre qui va encore augmenter leur portée, souligner la position d’où Jésus parle. Matthieu enveloppe ces phrases chocs dans la formule suivante : « il vous a été dit — sous-entendu par Moïse ou dans la Torah — mais moi je vous dis…» La formule est reprise six fois (Mt 5:22, 28, 32, 34, 39, 44).
Qu’est-ce que cela veut dire sur Jésus ? Cela signifie que la parole de Jésus se place au moins à l’égal de celle de Moïse ! Mais comme la parole de Jésus introduit des changements par rapport à la Loi de Moïse, on peut dire que la parole de Jésus est plus importante que celle de Moïse. Jésus devient le nouveau législateur, le nouveau Moïse, c’est-à-dire le nouveau porte-parole de Dieu, son nouveau messager, avec un message nouveau et plus fort que la Torah. Jésus — comme l’a beaucoup souligné l’Évangile selon Jean — se place comme l’envoyé de Dieu (Jn 5:36) pour porter sa parole, sa volonté, sa nouvelle alliance. Jésus parle avec une connaissance interne, intime de Dieu. Jésus traduit le message qui vient de Dieu pour les humains dans ces paroles du Sermon sur la Montagne, et cela sonne juste ! Les disciples, les apôtres, les chrétiens reconnaissent dans les paroles de Jésus une dimension divine, tellement ça sonne juste.
Jésus fait plus appel à l’observation et à l’expérience qu’à la révélation de la Torah pour décrire l’action de Dieu et ouvrir la présence de Dieu à tout un chacun. Regardez : « Dieu fait lever sans soleil aussi bien sur les méchantes que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal.» (Mt 5:46) Alors agissez comme Dieu : « aimez vos ennemis ! » (v.44). Quel paradoxe ! De la bonté et de l’égalité de la nature, Jésus nous pousse à déployer au maximum la bonté qui est en nous et à l’étendre à tous, même les plus improbables, nos ennemis.
Jésus adopte une posture en surplomb, au-dessus de la Loi, au-dessus de Moïse et des prophètes, à l’égal de Dieu, auquel tout de même il se soumet, tout en marquant une proximité affective en l’appelant « papa » ce qui est la traduction juste de « Abba, Père » (Mc 14:36).
Nous ne savons pas qui est Dieu, mais un homme surgit qui nous dit tout à coup : moi je le connais, c’est mon papa ! De par cette proximité, cette connaissance intime, Jésus peut nous dire : il vous a été dit… mais moi je vous dis : c’est différent ! Il vous a été dit : Dieu est exclusif, réservé à son peuple, mais moi je vous dis : Dieu est universel, proche de tous. Il vous a été dit : Dieu veut être obéi dans les moindres détails, mais moi je vous dis : Dieu est généreux, il se laisse aborder, il se laisse toucher par la détresse du monde.
« Alors soyez miséricordieux, comme mon père est miséricordieux » comme le dit Luc (6:36). Je préfère cette tournure à celle de Matthieu qui dit « soyez parfait comme votre Père est parfait » (Mt 5:48). En effet dans le protestantisme la perfection entraine souvent l’idée de scrupule. La perfection dont parle Jésus, c’est la perfection de l’amour qu’on retrouve aujourd’hui mieux dans la formule de Luc « soyez miséricordieux ».
Jésus nous interroge dans notre sentiment de n’être pas plus mauvais que les autres, pour nous entraîner à voir comment nous pouvons nous élever bien plus haut pour se rapprocher de la bonté et de la bienveillance de Dieu. Est-ce que cela ne sonne pas plus juste ? Est-ce que Jésus n’a pas vraiment saisi la justesse du message généreux de Dieu ?
Amen
*1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.
*2 Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu, à la recherche du Jésus de l’histoire, Labor et Fides, 2016.
© Jean-Marie Thévoz, 2016
Matthieu 22
13.9.2015
Jésus, guide dans l’interprétation de l’Ecriture
Marc 10 : 1-9 Matthieu 22 : 34-40
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Comme chrétiens, mais plus encore comme protestants réformés, nous affirmons que la Bible est notre livre de référence, notre mode d’emploi de notre relation à Dieu et le guide de nos valeurs éthiques ou de nos comportements. Nous obéissons à ce que dit la Bible !
Vraiment ? En fait pas tellement ! Et là je ne parle pas de nos faiblesses ou de nos transgressions, comme de mentir sciemment pour nous tirer de ce que nous pensons être mauvais pas. Cela nous arrive, et nous avons mauvaise conscience et nous nous en repentons. Donc dans ce domaine la Bible reste notre référence.
Quand je dis que nous n’obéissons pas à la Bible, je parle de toutes ces prescriptions bibliques que nous avons abandonnées, en toute bonne conscience, comme des prescriptions caduques, dépassées, inutiles ou inappropriées. Alors que c’est interdit par la Bible, nous mangeons du lapin, de l’autruche, des fruits de mer ou du porc. Alors que c’est prescrit par la Bible, nous ne faisons plus de sacrifices d’animaux, nous ne consacrons plus à Dieu les prémices de nos récoltes, nous avons d’autres lieux de culte que Jérusalem, et nous ne lapidons pas les couples adultères.
Nous ne considérons donc pas que toute phrase imprimée dans la Bible a une valeur de commandement. Nous n’accordons pas à toutes les lois bibliques la même valeur, la même autorité. Enfin, nous — en tant que protestants réformés — ne le faisons pas.
Mais certaines personnes ou certains groupes prennent une autre position et adoptent une lecture plus littérale. J’ai identifié trois positions différentes :
A. Ceux qui croient à la vérité littérale de l’entier de la Bible, groupe dans lequel on trouve beaucoup d’évangéliques, dont, à l’extrême, les créationnistes qui pensent que le poème de la création est une description littérale de la formation de l’univers à valeur égale avec la science.
B. Les détracteurs du judéo-christianisme, qui s’emparent de quelques versets violents pour discréditer toute la Bible, comme si les chrétiens appliquaient cette violence dans la réalité.
C. Enfin les opportunistes qui piquent l’un ou l’autre verset de la Bible pour asseoir leurs préjugés personnels d’une aura divine. Nous en avons eu un exemple cet été dans la bouche de l’évêque de Coire.
Comme réformés, nous pensons qu’il existe une hiérarchie des textes, que certains sont plus importants, plus normatifs que d’autres et qu’il faut donc toujours faire un travail d’interprétation. En résumé nous refusons de dire que l’Ecriture est la Parole de Dieu, nous disons qu’elle contient la Parole de Dieu.
Voici comment notre Eglise l’exprime dans ses principes constitutifs : « A la lumière du Saint Esprit, l’Eglise cherche à discerner dans les Ecritures la Parole de Dieu. (…) Avec les Eglises de la Réforme, elle affirme que la Bible doit toujours être interprétée et soumet cette interprétation à la Bible elle-même. »*
Ce principe n’a pas été inventé de toute pièce par les réformés au XVIe siècle ! Il vient de la lecture de la Bible elle-même, de la compréhension de ce que Jésus fait lui-même.
Lorsque les pharisiens essaient de tendre un piège à Jésus — justement sur la question de la hiérarchie des commandements — en demandant : « Quel est le plus grand commandement ? » (Mt 22:36) Jésus répond par une hiérarchie : « Tu dois aimer Dieu… c’est le plus grand commandement et voici le second qui est d’une importance semblable… Tu aimeras ton prochain… » (vv. 37-39)
1. Le premier principe que Jésus applique, c’est de soumettre toute la loi de l’Ancien Testament à une relecture, en fonction de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. Tout doit s’ordonner, s’aligner sur ces deux commandements. Et tous ce qui pourrait leur être contraire sera réinterprété ou aboli. Aussi devient-il inutile de ressortir un verset particulier — qui prône la violence par exemple — pour discréditer toute la Bible ; nous avons fait ce travail d’élagage avant nos opposants. Et les chrétiens qui prôneraient cette violence — comme l’apartheid — se discréditent eux-mêmes.
2. Le deuxième principe que Jésus applique, nous le voyons dans la discussion qu’il a à propos du divorce. Là aussi les pharisiens essayent de lui tendre un piège. La méthode de Jésus, c’est de remettre les choses en perspective, du point de vue de l’intention de Dieu. Jésus fait dire aux pharisiens ce qui est prévu dans la loi et il leur explique qu’il y a deux niveaux en jeu. Il y a l’intention divine « Au commencement… » (Mc 10:6) et Jésus cite deux verset de Genèse 2 et 3 où il montre que Dieu a fait l’homme et la femme l’un pour l’autre. Puis, Jésus explique que la réalité (nous avons le cœur dur) oblige à trouver des solutions pratiques quand la vie commune est devenue impossible. Par-là Jésus montre que le commandement pointe vers un idéal — ce qui est voulu par Dieu — mais que cet idéal n’est pas donné pour l’asservissement de l’être humain, c’est un idéal de bonheur. On voit la même méthode à l’œuvre quand il s’agit de l’observance du sabbat : « Le sabbat est fait pour l’être humain, pas l’être humain pour le sabbat. » (Mc 2:27)
3. Le troisième élément, c’est que la Parole de Dieu s’est incarnée en Jésus-Christ. « La parole s’est faite chair » (Jn1:14) nous dit l’évangéliste Jean. La clé d’interprétation de l’Ecriture devient toute la vie et tous les gestes de Jésus. Notamment le mystère de la croix et de la Passion. L’épître aux Hébreux définit Jésus comme le nouveau grand-prêtre (Hb 9:11); et l’Évangile selon Jean le définit comme l’agneau du sacrifice (Jn 1:36). Si bien que les premiers chrétiens ont vu dans la personne de Jésus le remplacement de toutes les normes cultuelles de l’ancienne alliance.
Ainsi ces trois éléments, (i) la suprématie de l’amour, (ii) le retour à l’intention première de Dieu et (iii) la personne même de Jésus-Christ comme Parole de Dieu ont conduit la première Eglise à abolir les lois coutumières (alimentaires et sociales), les lois cultuelles et les lois morales, pour ne retenir que les deux commandements d’amour. Les questions morales devant être toujours à nouveau reprises, réfléchies, réinterprétées en fonction de la suprématie de l’amour et de la réalité de nos cœurs endurcis.
C’est peut-être pourquoi il est difficile d’être protestant : rien n’est acquis. Toujours à nouveau il faut se remettre en question et faire appel à sa conscience pour prendre une bonne décision.
Mais c’est aussi la grandeur de notre protestantisme de ne pas nous considérer comme des automates qui obéissent aveuglément à des lois pré-écrites.
Dieu fait confiance à notre liberté, à notre réflexion, pour faire des choix qui ne sont pas dictés par la Loi mais inspirés par l’amour.
Amen
* Principes constitutifs de l’Eglise Evangélique Réformée du Canton de Vaud, article 2.
© Jean-Marie Thévoz, 2015
Matthieu 2
7.1.2001
"J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte"
Deutéronome 16 : 1-3 Matthieu 2 : 1-15
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Chers paroissiens, chères paroissiennes,
Vous avez sûrement mangé de la couronne des rois, hier, le 6 janvier, date traditionnelle de la fête des Rois, aussi appelée Epiphanie. Traditionnellement, les rois mages, venus d'Orient n'arrivent pas vers Jésus le soir de sa naissance comme les bergers. Ils arrivent plus tard, car ils voient l'étoile qui paraît lors de la naissance de Jésus. Puis ils voyagent jusqu'à Jérusalem pour savoir où on peut trouver le futur roi des Juifs (tient, ce titre de "roi des Juifs" sera celui inscrit sur l'écriteau qui surmonte la croix !). Ensuite, il faut encore rassembler les autorités, les savant pour percer ce mystère. Finalement, c'est l'Ecriture sainte (Michée 5:1) qui révèle l'endroit où doit naître le Messie. La vérité ne se trouve pas dans les étoiles, mais dans l'Ecriture sainte.
Plus on lit le récit biblique de l'avenue des mages, plus on se rend compte des différences et des contrastes qu'il y a entre la légende des rois mages — qui se raconte de Noël à l'Epiphanie — et le récit biblique qui n'a rien d'un conte de Noël.
Matthieu ne nous raconte pas un conte où la naissance de Jésus apporte joie et paix dans le monde ! Matthieu nous montre comment — dès la naissance de Jésus — la venue de Dieu qui réclame sa royauté sur le coeur des humains crée des tensions, suscite des conflits.
Que le règne de Dieu s'approche et le pouvoir temporel tremble de peur — ici Hérode. La venue de Jésus ne débouche pas sur un paradis, la venue de Jésus amorce un rapport de force — qui va persister tout au long du ministère de Jésus — entre les forces de la mort et les forces de vie de Dieu. Dès le moment de sa naissance, Jésus est l'objet de menaces : "Hérode cherche l'enfant pour le faire mourir" (Mt 2:13).
Ce premier affrontement va être esquivé, car Dieu avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte. Peut-être une indication, un conseil pour les parents pour leur dire : Votre enfant devra affronter la réalité — et elle n'est pas facile — mais votre rôle pour le moment, tant que l'enfant n'est pas mûr, c'est de le protéger, en lui évitant, autant que possible, le moment de faire face au mal qui viendra bien assez tôt.
Dieu avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte. L'Egypte — dans l'histoire et la pensée israélite — est un pays symbole. Symbole de l'esclavage et de l'oppression. C'est le pays du malheur, des dix plaies. C'est le pays du passé — où l'on a vécu — mais dont il faut sortir pour vivre vraiment.
Il est intéressant et significatif que Matthieu nous montre que Jésus a aussi passé par l'Egypte, son Egypte intérieure, le pays de la frustration, le pays des blessures intérieures, de la violence subie — le massacre des innocents d'Hérode n'est pas sans rappeler le massacre des bébés hébreux ordonné par Pharaon autour de la naissance de Moïse !
Personne — pas même Jésus, nous dit l'Evangile de Matthieu — personne n'échappe à un passage en Egypte, le plus souvent pendant son enfance. Malgré tous les soins, toutes les attentions que des parents peuvent porter à leurs enfants, il est impossible que l'enfant ne ressente pas des frustrations, des injustices, des malchances blessantes, des humiliations, des vexations. Le monde n'est pas le paradis... la vie n'est pas un conte de fée, malgré tous les cadeaux — et les trois rois mages en apportent d'importants — il y a une réalité qui fait que nous existons dans un monde limité où le malheur, à toutes les échelles, surgit, sans que ce soit la faute de quelqu'un en particulier. Peut-on reprocher aux mages d'avoir contacté Hérode et enflammé sa colère ?
L'Egypte intérieure existe pour chacun. Le malheur n'est pas d'y avoir été exilé, c'est inévitable, le malheur c'est d'y rester, de ne pas en sortir, de ne pas entendre l'appel de Dieu : "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte" (Mt 2:15).
Descendre en Egypte et remonter d'Egypte, c'est le parcours historique du peuple d'Israël, Abraham, Jacob, Moïse. Descendre et sortir d'Egypte, c'est aussi comme un parcours initiatique qui marque l'appartenance au peuple d'Israël (dans la liturgie de la Pâque, "vous vous souviendrez à jamais du jour où vous êtes sortis d'Egypte"); un parcours qui marque aussi la vie du croyant aujourd'hui; un parcours qui passe par l'association à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ, au travers du baptême.
Chacun, à l'âge où il se rend compte qu'il séjourne en Egypte, peut entendre l'appel de Dieu pour lui : "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte". « Je t'appelle, mon fils, ma fille, à sortir d'Egypte.»
Amen
© Jean-Marie Thévoz
Matthieu 1
14.12.2014
Joseph
Luc 2 : 41-52 Matthieu 1 : 18 — 2 : 2
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Ma précédente prédication parlait de Marie. Je me dois aujourd’hui de vous parler de Joseph. Ce pauvre Joseph, tellement délaissé et rejeté au second plan. Regardez les peintures de la nativité : Joseph est dans l’ombre, on l’aperçoit tout juste en silhouette ou dans un manteau couleur muraille se confondant avec les parois de la grange ou de la grotte. L’âne et le bœuf sont bien plus visibles que lui !
Pauvre Joseph ! Peut-on le réhabiliter un peu ? Que sait-on de Joseph ? Que nous disent les Evangiles ? L’Evangile le plus ancien, Marc, le passe entièrement sous silence, aucune mention de lui. Matthieu et Luc lui donnent une place dans les récits de la naissance de Jésus, au côté de Marie. Là il est important.
Joseph est le lien de Jésus avec la dynastie davidique. C’est par Joseph que Jésus est un descendant de David, qu’il peut s’inscrire comme Messie issu du tronc de Jessé. Ça n’est pas rien.
Que sait-on encore ? Joseph est fiancé à Marie et l’épouse. Il habite Nazareth. Il est charpentier ou artisan dans le bois et toujours considéré comme le père de Jésus, jusque dans l’Evangile selon Jean où Jésus est nommé à deux reprises comme le fils de Joseph.
Joseph est présent à la naissance de Jésus et à la présentation au Temple. Il organise la fuite en Egypte et le retour à Nazareth « divinement averti en songe » (Mt 2:19). Et il est présent lors du pèlerinage à Jérusalem lorsque, à 12 ans, Jésus reste au Temple à l’insu de ses parents. Ce récit parle toujours des parents de Jésus et lorsque Marie gronde Jésus, elle lui dit : « Ton père et moi étions très inquiets en te cherchant » (Luc 2:48).
Temporellement, c’est la dernière mention de Joseph. Il n’apparaît plus en tant que tel dans les récits, sinon pour des indications « patronymiques » notamment lors d’une controverse avec les autorités juives. Pour expliquer le sens de la multiplication des pains, Jésus dit qu’il est le « pain descendu du ciel » (Jean 6:41). Alors, ceux qui sont autour de lui disent : « N’est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Nous connaissons son père et sa mère, comment peut-il dire maintenant qu’il est descendu du ciel ? » (v.42).
Voilà pour les mentions de Joseph. C’est Matthieu qui lui donne la plus grande place en le dépeignant comme le récepteur, le dépositaire des révélations divines (en songe) ; ces révélations qui assurent la survie de Jésus déjà en butte à l’hostilité du monde qui préfigure déjà la croix. Joseph a donc là un rôle extrêmement important, même si ce rôle ne s’étend pas au temps du ministère de Jésus dont il est complétement absent.
Pendant le temps de rédaction des Evangiles, on ne voit aucune raison de le faire disparaître des textes. Même la défense de la virginité de Marie ne réclame pas qu’il soit gommé, d’autant plus que personne n’a gommé (dans les Evangiles) les frères ou les sœurs de Jésus. Il est donc probable que Joseph soit mort avant le début du ministère de Jésus, ce qui est la façon la plus simple et logique d’expliquer qu’il n’est plus présent dans ces récits.
Matthieu, donc, revalorise la place d’un Joseph plutôt absent dans la vie de Jésus. C’est un peu un paradoxe pour un évangéliste qui défend en même temps la virginité de Marie. En fait, Matthieu peut défendre les deux, la place de Joseph et la virginité de Marie, en se plaçant comme héritier spirituel de l’Ancien Testament.
L’histoire des patriarches nous montre qu’on peut dépasser les hiérarchies naturelles (le droit d’aînesse par exemple) par des bénédictions (c’est tout le conflit entre Jacob et Esaü, ou la bénédiction croisée de Jacob envers les fils de Joseph). L’histoire du roi David (David contre Goliath) et le fait que Dieu choisit le petit dernier pour monter sur le trône d’Israël plutôt que les grands frères baraqués, en est aussi le signe. Ensuite vient l’appel à dépasser le clan pour s’ouvrir à l’humanité et à l’universalité.
La Bible appelle à remplacer les liens du sang par des relations ouvertes et universelles. La Bible appelle à remplacer la force par la justice et l’agapè. Dans l’histoire de la naissance de Jésus, les Evangiles appellent à faire le même chemin : tisser des liens spirituels et c’est bien le chemin que doit parcourir Joseph. Joseph est le prototype de ces nouveaux liens que nous devons tous créer : nous ouvrir à une double filiation.
Nous sommes les enfants de nos parents, selon la chair, mais nous avons à nous ouvrir à une relation avec « notre Père qui est dans les cieux ». C’est ce que fait Jésus à 12 ans dans le Temple, quand il laisse partir ses parents. Nous avons à apprendre à nous relier au Père céleste, ce qui n’empêche pas de retrouver ou d’être retrouvé par ses parents biologiques. Il n’y a pas d’exclusion, il y a une addition bénéfique.
Et puis, il y a lieu aussi d’apprendre à laisser aller nos enfants. Comme Joseph, nous avons à nous effacer pour laisser une place à Dieu. Comme le dit le poète Khalil Gibran :
« Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. (…)
Vous êtes les arcs par qui vos enfants,
comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini,
et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable. *»
Ce n’est pas perdre sa place de parents, de père, que de laisser ses enfants découvrir et accéder à Dieu. C’est faire notre travail, c’est remplir notre rôle. Heureux celui qui donne la vie, mais plus heureux encore celui qui permet l’ouverture à la vraie vie. Ce rôle-là ne se fait pas par l’action, par la puissance, mais par le retrait, en laissant la place.
Si nous occupons la place de Dieu, celui-ci ne peut la prendre. Comme Joseph, nous avons à laisser cette place libre pour que Dieu puisse venir l’habiter de sa présence et ainsi nous faisons, à nos enfants, le plus beau cadeau du monde : ils peuvent découvrir leur Père céleste.
Amen
* Khalil Gibran, Le prophète, Paris, Castermann, 1956. p.19.
© Jean-Marie Thévoz, 2014
16.11.2014
Matthieu 25
Faire fructifier nos talents
1 Thess 5 : 1-5 Matthieu 25 : 14-30
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Dans l’Evangile selon Matthieu, l’enseignement de Jésus se conclut par une série de paraboles. Celle que vous venez d’entendre est l’avant-dernière. Elle est précédée de la parabole des 10 jeunes filles, dont certaines étaient imprévoyantes (Prédication du 24.11.2013). Elle est suivie de la grande parabole du jugement où Jésus déclare que donner un verre d’eau au plus petit des humains, c’est lui donner à boire à lui.
Dans cette parabole dite des talents, Jésus illustre le temps de l’Eglise, entre son départ et son retour. Il est question d’un maître qui laisse sa maison et ses biens à ses serviteurs, pendant le temps de son absence. Il leur confie la gestion des ses biens.
Selon les traductions, il leur confie des pièces d’or, ou des talents, ce qui reproduit le texte grec. J’ai fait une petite recherche sur ce qu’était un talent. Un talent, c’est d’abord la quantité contenue dans une amphore. Selon les époques, cela a varié entre 60 et 20 litres. A l’époque gréco-romaine de Jésus, l’amphore moyenne de 26 litres était devenue la norme. Un talent d’or correspond donc à 26 kg d’or, ce qui, au prix actuel, représente un million de francs suisses.
Ainsi, dans cette parabole, le premier serviteur reçoit 5 millions, le deuxième 2 millions et le troisième un million. Autant dire que le don est immense, ce qui souligne non seulement la générosité du maître, mais surtout sa confiance, sa confiance dans chaque serviteur.
Ensuite la parabole nous montre deux attitudes face à cette remise. Le premier et le deuxième serviteur se mettent au travail. Le récit utilise trois verbes : ils vont, ils travaillent (font du commerce) et ils gagnent. Puis pour le troisième serviteur, le texte dit : il s’éloigne, il creuse la terre, il cache.
Rien n’est dit de ce que pensent les premier et deuxième serviteurs. Par contre le récit nous dit ce que pense le troisième. Il pense que le maître est « dur, qu’il moissonne où il n’a pas semé, qu’il récolte où il n’a pas planté » (Mt 25:24). Ce serviteur a peur (v.25) de son maître. Il est dans une attitude de défiance. Il pense carrément que son maître est un voleur et un accapareur injuste.
On voit là, combien notre action peut être modelée par notre vision, notre interprétation des choses. Si nous voyons la vie comme injuste, le monde comme dur et cruel, alors nous allons nous replier dans la peur et le retrait. Nous serons paralysés. Il ne nous sera pas possible de nous déployer, de nous ouvrir, de partager nos talents avec d’autres. Il s’en suivra, tout naturellement pourrait-on dire, que la vie sera amère et que tout finira dans les grincements de dents (v.30).
Le repli entraine le repli. La fermeture conduit à plus de fermeture encore. Alors que l’ouverture conduit à plus d’ouverture encore, le succès entraine le succès, comme on dit.
Au point qu’un sociologue a défini la phrase « On donnera à celui qui a et l’on retirera à celui qui n’a pas » (v.29) comme l’« effet Matthieu »* qu’on peut observer aussi bien dans le monde économique que dans celui des célébrités et du show-biz.
Mais ce n’est pas à cela que pensait Jésus. Par cette parabole, Jésus nous interroge sur ce que nous faisons du don merveilleux de la vie que nous avons tous reçu. Avec la vie, nous avons reçu des capacités relationnelles qui valent des millions. C’est notre richesse. Ce sont nos talents. Au point que le nom de cette mesure de quantité est devenu le synonyme de dons extraordinaires, de capacités, d’aptitudes.
Chacun de nous a reçu des talents, et Jésus nous invite à les mettre en œuvre, à aller, travailler et faire fructifier nos aptitudes, nos talents.
Et ce qui différencie les serviteurs, ce n’est pas la quantité obtenue, le premier et le deuxième serviteurs doublent leurs parts de la même façon. Ce qui différencie les serviteurs, c’est la confiance ou la défiance qu’ils ont par rapport au maître — ou à la vie.
Celui qui est défiant, et bien il enterre son talent. Il enterre en fait sa vie, il renonce à vivre. Dans cette vie-là, il est déjà mort et enterré.
Celui qui fait confiance, il se lance et il est récompensé. Il gagne, il double sa mise, il est félicité par le maître et il « entre dans sa joie », c’est-à-dire faire la fête avec son maître, entrer dans le Royaume de Dieu.
Tout se joue sur la confiance, et la confiance entraine la confiance. Et des petites choses confiées on peut passer à de grandes choses.
Chacun a reçu un talent, au moins. Chacun, s’il fait confiance en la bonté du maître, de Dieu, de la vie, peut le faire fructifier.
Aujourd’hui, nous sommes-là aussi, pendant l’Assemblée paroissiale qui va suivre, pour reconnaître que Sylvie Dépraz a fait fructifié son talent. Nous sommes là pour lui confirmer que nous souhaitons lui confier la responsabilité d la paroisse, parce qu’elle a été fidèle en toutes sortes de choses pendant ces deux années écoulées. Nous lui faisons confiance. Nous reconnaissons son talent. Nous nous réjouissons qu’elle puisse être un exemple pour chacun et spécialement pour notre jeunesse, un exemple d’engagement, un exemple de vocation, un exemple de prise de responsabilité dans l’Eglise.
Chacun a reçu un talent, que chacun aille, travaille et fasse fructifier son talent et entre dans la joie du maître.
Amen
* Le terme est dû au sociologue américain Robert K. Merton.
Robert K. Merton, « The Matthew Effet », Science, vol. 159, no 3810, 1968, pp. 56-63 (pdf à télécharger)
© Jean-Marie Thévoz, 2014