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Christianisme - Page 21

  • Matthieu 25. Faire fructifier nos talents

    16.11.2014
    Matthieu 25
    Faire fructifier nos talents

    1 Thess 5 : 1-5      Matthieu 25 : 14-30
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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans l’Evangile selon Matthieu, l’enseignement de Jésus se conclut par une série de paraboles. Celle que vous venez d’entendre est l’avant-dernière. Elle est précédée de la parabole des 10 jeunes filles, dont certaines étaient imprévoyantes (Prédication du 24.11.2013). Elle est suivie de la grande parabole du jugement où Jésus déclare que donner un verre d’eau au plus petit des humains, c’est lui donner à boire à lui.
    Dans cette parabole dite des talents, Jésus illustre le temps de l’Eglise, entre son départ et son retour. Il est question d’un maître qui laisse sa maison et ses biens à ses serviteurs, pendant le temps de son absence. Il leur confie la gestion des ses biens.
    Selon les traductions, il leur confie des pièces d’or, ou des talents, ce qui reproduit le texte grec. J’ai fait une petite recherche sur ce qu’était un talent. Un talent, c’est d’abord la quantité contenue dans une amphore. Selon les époques, cela a varié entre 60 et 20 litres. A l’époque gréco-romaine de Jésus, l’amphore moyenne de 26 litres était devenue la norme. Un talent d’or correspond donc à 26 kg d’or, ce qui, au prix actuel, représente un million de francs suisses.
    Ainsi, dans cette parabole, le premier serviteur reçoit 5 millions, le deuxième 2 millions et le troisième un million. Autant dire que le don est immense, ce qui souligne non seulement la générosité du maître, mais surtout sa confiance, sa confiance dans chaque serviteur.
    Ensuite la parabole nous montre deux attitudes face à cette remise. Le premier et le deuxième serviteur se mettent au travail. Le récit utilise trois verbes : ils vont, ils travaillent (font du commerce) et ils gagnent. Puis pour le troisième serviteur, le texte dit : il s’éloigne, il creuse la terre, il cache.
    Rien n’est dit de ce que pensent les premier et deuxième serviteurs. Par contre le récit nous dit ce que pense le troisième. Il pense que le maître est « dur, qu’il moissonne où il n’a pas semé, qu’il récolte où il n’a pas planté » (Mt 25:24). Ce serviteur a peur (v.25) de son maître. Il est dans une attitude de défiance. Il pense carrément que son maître est un voleur et un accapareur injuste.
    On voit là, combien notre action peut être modelée par notre vision, notre interprétation des choses. Si nous voyons la vie comme injuste, le monde comme dur et cruel, alors nous allons nous replier dans la peur et le retrait. Nous serons paralysés.  Il ne nous sera pas possible de nous déployer, de nous ouvrir, de partager nos talents avec d’autres. Il s’en suivra, tout naturellement pourrait-on dire, que la vie sera amère et que tout finira dans les grincements de dents (v.30).
    Le repli entraine le repli. La fermeture conduit à plus de fermeture encore. Alors que l’ouverture conduit à plus d’ouverture encore, le succès entraine le succès, comme on dit.
    Au point qu’un sociologue a défini la phrase « On donnera à celui qui a et l’on retirera à celui qui n’a pas » (v.29) comme l’« effet Matthieu »* qu’on peut observer aussi bien dans le monde économique que dans celui des célébrités et du show-biz.
    Mais ce n’est pas à cela que pensait Jésus. Par cette parabole, Jésus nous interroge sur ce que nous faisons du don merveilleux de la vie que nous avons tous reçu. Avec la vie, nous avons reçu des capacités relationnelles qui valent des millions. C’est notre richesse. Ce sont nos talents. Au point que le nom de cette mesure de quantité est devenu le synonyme de dons extraordinaires, de capacités, d’aptitudes.
    Chacun de nous a reçu des talents, et Jésus nous invite à les mettre en œuvre, à aller, travailler et faire fructifier nos aptitudes, nos talents.
    Et ce qui différencie les serviteurs, ce n’est pas la quantité obtenue, le premier et le deuxième serviteurs doublent leurs parts de la même façon. Ce qui différencie les serviteurs, c’est la confiance ou la défiance qu’ils ont par rapport au maître — ou à la vie.
    Celui qui est défiant, et bien il enterre son talent. Il enterre en fait sa vie, il renonce à vivre. Dans cette vie-là, il est déjà mort et enterré.
    Celui qui fait confiance, il se lance et il est récompensé. Il gagne, il double sa mise, il est félicité par le maître et il « entre dans sa joie », c’est-à-dire faire la fête avec son maître, entrer dans le Royaume de Dieu.
    Tout se joue sur la confiance, et la confiance entraine la confiance. Et des petites choses confiées on peut passer à de grandes choses.
    Chacun a reçu un talent, au moins. Chacun, s’il fait confiance en la bonté du maître, de Dieu, de la vie, peut le faire fructifier.
    Aujourd’hui, nous sommes-là aussi, pendant l’Assemblée paroissiale qui va suivre, pour reconnaître que Sylvie Dépraz a fait fructifié son talent. Nous sommes là pour lui confirmer que nous souhaitons lui confier la responsabilité d la paroisse, parce qu’elle a été fidèle en toutes sortes de choses pendant ces deux années écoulées. Nous lui faisons confiance. Nous reconnaissons son talent. Nous nous réjouissons qu’elle puisse être un exemple pour chacun et spécialement pour notre jeunesse, un exemple d’engagement, un exemple de vocation, un exemple de prise de responsabilité dans l’Eglise.
    Chacun a reçu un talent, que chacun aille, travaille et fasse fructifier son talent et entre dans la joie du maître.
    Amen

    * Le terme est dû au sociologue américain Robert K. Merton
    Robert K. Merton, « The Matthew Effet », Science, vol. 159, no 3810, 1968, pp. 56-63 (pdf à télécharger)

    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 23. Que doit faire un protestant ?

    Matthieu 23
    2.11.2014
    Que doit faire un protestant ?


    Phil. 3 : 8-11      Matthieu 23 : 1-13


    Téléchargez le texte : P-2014-11-02.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Voilà que Jésus tombe à bras raccourcis sur les scribes et les pharisiens. Ce chapitre 23 est une attaque en règle contre ces deux groupes de religieux qui maîtrisent la lecture et l’enseignement de la Torah au Temple et dans les synagogues.
    Jésus reconnaît leur expertise de la Bible (puisqu’il dit aux foules et à ses disciples de les écouter et de suivre leurs enseignements sur la loi de Moïse), mais Jésus s’en prend à leurs pratiques, ou à l’inexistence de leur pratique : les scribes et les pharisiens ne font pas ce qu’ils enseignent. On a résumé cela, chez nous, en disant, ce sont des gens qui disent « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
    Ainsi Jésus les accuse d’être un contre témoignage, tellement il y a d’écart entre leurs paroles et leurs actes. Et ce contre témoignage empêche les gens d’avoir accès à Dieu. Jésus dit « Vous fermez la porte du Royaume des cieux aux hommes. Vous n’y entrez pas vous-mêmes et vous ne laissez pas y entrer ceux qui le désirent » (Mt 23:13).
    En quoi ce récit a-t-il un rapport avec la Réformation que nous rappelons en ce dimanche ? Et bien, le mouvement de la Réforme est né du même constat que fait Jésus dans ce récit. Les responsables religieux monopolisent la Bible et son interprétation, mais ne mettent pas en pratique son message. Bien plus, ils deviennent un obstacle à la recherche de Dieu.
    C’est ce que les Réformateurs ont reproché, au XVIe siècle, à l’Eglise romaine, qui vivait bien loin des idéaux de l’évangile. Les Réformateurs ont cherché de nouvelles voies pour retrouver l’évangile, un nouvel accès à Dieu, ils ont cherché à rendre Dieu à nouveau accessible à tout un chacun.
    La grande redécouverte — à la lecture des Evangiles — a été de voir que l’accès à Dieu ne vient pas de nos compétences ou de nos capacités à trouver la bonne clé pour entrer dans le Royaume de Dieu, mais de réaliser que la porte du Royaume de Dieu est déjà ouverte, que c’est Dieu lui-même qui l’a ouverte en Jésus-Christ et que nous avons seulement à faire le pas de la franchir. Pas d’indulgences à acheter, pas de pèlerinages à faire, pas d’interminables rosaires à murmurer. Dieu nous accueille à bras ouverts et malheur à ceux qui mettent des obstacles entre Dieu et les humains.
    C’est la redécouverte de Paul, l’ancien pharisien, qui a balayé les obstacles sur le chemin du Royaume. Je le cite : « Je n’ai plus la prétention d’être juste grâce à ma pratique de la Loi. C’est par la foi au Christ que je le suis, grâce à la possibilité d’être juste, créée par Dieu et qu’il accorde en réponse à la foi. » (Phil 3:9).
    Notre protestantisme a merveilleusement réagit à la condamnation des pharisiens par Jésus. Oui, merveilleusement ! Nous avons compris qu’il fallait renoncer à tout ce qui est ostentatoire, à tout fardeau, à toute contrainte, à toute pratique visible ! Au point que nous sommes devenus invisibles dans la société ! Oups ! La lampe est sous le seau.
    C’est vrai, pouvez-vous me citer un acte, une tâche, un geste, que les protestants se doivent d’accomplir pour qu’on puisse les voir, les reconnaître comme protestants ? Que doit faire un protestant ?
    Un catholique doit aller à la messe, ou donner le denier du culte, ou se confesser, faire un signe de croix, jeûner en carême. Un musulman doit accomplir les cinq piliers de l’islam. Un juif doit aller une fois dans sa vie à Jérusalem, fêter le sabbat et les cinq fêtes de l’année.
    Que doit faire un protestant ?
    Nous avons fait nôtre la phrase « pas de contrainte en religion » ! Pas de devoirs, pas de contraintes, pas de discipline. Le bon côté, c’est la liberté de chacun. S’il fait quelque chose, c’est vraiment librement, par et pour lui-même, certainement pas pour les apparences ou pour se faire voir.
    Mais les inconvénients :
    •    c’est la paresse à laquelle cela a conduit. Tout est optionnel et donc sans grande valeur,
    •    c’est la dissolution dans l’invisibilité,
    •    c’est la diminution de toute pratique communautaire et finalement l’assèchement de la pratique individuelle.
    Parce qu’il y a deux pratiques, typiquement protestantes, qui subsistent comme signes du protestantisme (bien que pas exclusivement, les catholiques se rapprochent de nous sur ces deux points) : la lecture de la Bible et la prière dans sa chambre. Mais même cela n’est-il pas en perte de vitesse, et à vitesse grand V dans les jeunes générations ?
    Je ne vais pas vous embarrasser en vous demandant de lever la main, mais vous pouvez répondre dans votre tête : quand avez-vous lu votre Bible pour la dernière fois ? Pendant la semaine écoulée, le mois dernier, les six derniers mois, plus ? Je pense que les résultats seraient heureusement meilleurs pour la prière dans la chambre.
    Jésus a plaidé pour qu’il y ait un accord entre nos paroles et nos actions et que nous ne fassions pas de la religion un spectacle pour nous mettre en valeur. OK. Mais il n’a pas plaidé pour la disparition du christianisme de la place publique, ni pour la disparition de la pratique, au contraire. Il a plaidé pour que chacun réalise que Dieu est directement accessible, qu’il se laisse approcher par chacun.
    Notre tâche, en tant que chrétiens (et nous en tant que protestants), c’est de connaître ce Dieu qui nous ouvre la porte, le connaître à travers les récits de la Bible, qui nous parlent de lui. Notre tâche, c’est de lui parler, de lui faire connaître notre état d’esprit et nos besoins, par la prière.
    Notre tâche, c’est de nous réjouir que Dieu nous accueille tels que nous sommes et donc de venir le louer en communauté. Notre tâche, c’est de le servir, puisque le service est le degré suprême d’accomplissement aux yeux de Dieu.
    Ainsi, nous pouvons agir, pratiquer en accord avec nos paroles. Puisque ce n’est pas une façade, réjouissons-nous de le faire voir autour de nous. Que nos actes parlent à nos contemporains et qu’ils voient une Eglise qui fait envie, qu’ils voient une communauté qui se réjouit d’être accueillie et aimée de Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 22. Culte du souvenir : réaliser qu’on ne perd pas tout.

    Matthieu 22
    19.10.2014
    Culte du souvenir : réaliser qu’on ne perd pas tout.

    Exode 3 : 9-15       Jean 12 : 20-25     Matthieu 22 : 23-33
    Téléchargez le texte : P-2014-10-19.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons entendu qu’on vient poser à Jésus une question sur la résurrection. L’idée de résurrection fait problème aujourd’hui, Mais, comme on l’a perçu dans le récit biblique, elle faisait déjà problème à l’époque de Jésus.
    Les pharisiens croyaient à la résurrection, à la fin des temps, une résurrection qui devait précéder le jugement dernier. De leur côté, les sadducéens n’y croyaient pas, elle posait trop de problèmes pratiques à leurs yeux. Ce groupe vient donc poser une question à Jésus, mais plus pour le mettre dans l’embarras ou pour montrer l’absurdité de l’idée de résurrection que pour recevoir une réponse.
    Mais Jésus les prend au sérieux. Il partage même avec eux l’idée que la résurrection est absurde si elle aboutit à une sorte de société de revenants qui reproduit notre réalité dans un autre monde. La résurrection n’a pas de sens si c’est la répétition de nos vies actuelles.
    La réponse de Jésus efface tous les cas particuliers. Jésus revient toujours aux fondamentaux, à la relation à Dieu. A chaque question, Jésus renvoie à la Bible et, dans la Bible, aux récits fondamentaux. Jamais il ne discute de l’application d’un cas particulier, d’une situation particulière en lien avec un commandement de la loi de Moïse. Jésus replace tout directement devant Dieu, comme s’il disait : Mais qu’en pense Dieu lui-même ? Jésus va toujours directement à l’essentiel.
    Là, il est question de la vie et de la mort. Où est Dieu quand il s’agit de vie et de mort ? Jésus déclare : « Dieu est le Dieu des vivants et non des morts. » Comment comprendre cette affirmation ? Surtout si on lit la phrase entière : « Dieu dit « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » le Dieu des vivants et non des morts » (Mt 22:32).
    Or nous savons qu’Abraham, Isaac et Jacob sont décédés ! Il y a très longtemps. Comment Dieu est-il le Dieu des vivants et le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui sont morts ? Si Dieu n’est le Dieu que des vivants, qui est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et le Dieu de nos morts ? Dire ces deux phrases, c’est dire que Dieu possède une puissance de vie qui transcende, qui dépasse la mort.
    Mais revenons à notre réalité. Quand un de nos proches décède, nous avons le sentiment de tout perdre, d’être amputé d’une partie de nous-même. Quelque chose qui nous faisait vivre nous est arraché. Que pouvons-nous opposer à cette perte ? Par nous-mêmes : rien. Nous nous sentons dans l’impuissance, nous nous sentons abandonnés, démunis.
    Nous avons à faire un travail de récupération pour nous relever du deuil. Je vais prendre une l’image d’une autre perte (peu comparable en intensité, mais peut-être éclairante). Vous perdez votre téléphone portable. Vous pourrez probablement récupérer certaines choses : votre numéro de téléphone, peut-être vos contacts, peut-être encore certaines données si votre téléphone était synchronisé avec votre ordinateur ou que vous avez sauvegardé des données sur le « cloud ».
    Nous pouvons faire un travail de récupération, de mémoire pour nous réapproprier ce que nous avons perdu lors de la séparation d’avec un proche. Lors d’un décès, la relation est brusquement interrompue. Il n’y aura pas de nouveau dialogue. Par contre, ce qui a été vécu, ce qui a été échangé, reçu, tout cela subsiste. Dans une relation, on a développé beaucoup de choses, on a été nourri. On est beaucoup plus riche après avoir connu cette personne qu’avant. Il est donc important de retrouver tout cela et de le nommer.
    Accepter l’absence, c’est retourner en arrière, rechercher les souvenirs, rechercher tout ce qui nous appartient dans cette relation.  Rechercher autant ce qui nous a nourri que ce qui nous a blessé ; ce qu’on a aimé et ce qu’on a regretté ; ce qu’on a vécu ensemble et ce qui nous a manqué.
    Ce travail de mémoire permet de laisser aller le mort, tout en récupérant ce qu’on a développé grâce à lui ou elle. Ce travail de mémoire permet de quitter le mort en tant que mort, et de garder ce qui est vivant de lui, une image de lui qui peut nous accompagner dans la vie et vers la vie. Faire ce travail de mémoire permet d’être plus riche après cette traversée du deuil qu’avant. Il permet de laisser la dépouille ou les cendres au cimetière et d’emporter le souvenir de son image vivante avec nous, pour avancer dans la vie et grandir. Faire son travail de deuil, c’est se bagarrer pour être plus vivant après qu’avant.
    Et si Jésus dit que Dieu est le Dieu des vivants et qu’il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, comme s’ils étaient vivants, c’est parce qu’Abraham, Isaac et Jacob nous ont laissé un héritage d’actes et de paroles qui les rendent vivants et qui nous permettent d’être vivants aujourd’hui.
    Nous n’avons rien à faire de leurs tombeaux, si nous sommes habités par leurs paroles vivantes. Celui qui peut garder d’un proche — quitté dans le chagrin — une parole qui le soutienne, un geste qui le nourrit, une image encourageante, celui-là sera plus vivant et plus fort.
    La mort nous fait perdre des êtres chers, elle nous rappelle aussi notre propre fragilité. Dès la naissance, nous pouvons mourir. La mort installe la réalité dans nos vies. Ce que nous vivons n’est pas « pour beurre » ! C’est très inconfortable, mais cela nous confronte aux vraies questions, celles que nous voudrions escamoter. Pourquoi la vie ? Pourquoi la mort ? Tout est-il absurde ?
    Si la mort nous apprend la fragilité de la vie, elle nous dit aussi que la vie est un vrai cadeau, dont on peut se réjouir. Méditer sur la mort, c’est méditer sur la vie ! Et cela afin d’être plus vivants, plus présents à la vie.
    Si la mort nous force à nous séparer, elle nous apprend aussi à rester en lien — malgré la séparation. Elle nous apprend à choisir nos attachements, à maintenir nos attachements malgré les pertes.
    Apprendre à vivre, c’est apprendre à perdre et à réaliser qu’on ne perd pas tout ! Quelque chose demeure ! Quelque chose vit ou revit !
    Jésus disait « Si le grain ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12:25). Dieu nous promet que nos pertes ne nous font pas tout perdre. Dieu est un Dieu de vie qui remet de la vie là où nous croyions avoir tout perdu. Dieu promet de nous relever et de nous donner toujours plus de vie dans nos vies, en gardant vivants, au dedans de nous, ceux que nous chérissons.
    Amen

    Cette prédication a largement puisé dans l’interview avec Alix Noble dans l’émission sur RTS « A vue d’esprit » La mort en fumée (3_5) du 5 mars 2014.

    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 22. Que rendez-vous à Dieu ?

    Matthieu 22
    12.10.2014
    Que rendez-vous à Dieu ?


    Jean 2 : 23-25       Matthieu 22 : 15-22        Matthieu 22 : 34-40

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    « Est-il permis de payer l’impôt à César ? » (Mt 22:17) Voilà ce qu’on demande à Jésus. Mais cette question n’est pas posée pour recevoir une réponse. Elle est posée pour tendre un piège à Jésus. Alors il nous faut voir ce qu’il y a autour pour comprendre et le sens de la question et la portée de la réponse de Jésus.
    Voici la situation. Jésus attire les foules par son franc-parler, par des paroles neuves, des paroles et des gestes qui vivifient, qui donnent du sens et de l’espoir aux petites gens. Cela inquiète les autorités, d’autant plus que, maintenant, Jésus s’autorise à venir prêcher dans le Temple de Jérusalem.
    Nous avons vu dimanche dernier que Jésus ose dire que le peuple est plus près de Dieu que les autorités religieuses ! Alors ces autorités décident de coincer Jésus. Elles veulent pouvoir l’accuser d’être un adversaire, un ennemi, soit des romains, soit des juifs. D’où cette question sur l’impôt.
    Si Jésus répond qu’il ne faut pas payer l’impôt, il va pouvoir être livré aux romains comme un zélote, un résistant, un opposant au régime ou un terroriste. Si Jésus répond qu’on peut payer l’impôt, il aura à dos tous les pharisiens à la recherche de la pureté de la Loi. Les adversaires de Jésus sont sûrs de leur coup.
    Mais le récit nous dit trois choses. La première, c’est que Jésus est clairvoyant. Comme le souligne fréquemment l’évangéliste Jean (Jn 2:25), Jésus connaît le cœur humain. Il voit ce qui se passe en chacun, il voit derrière les paroles l’intention du cœur. Aussi, Jésus déjoue-t-il le premier coup : il affirme tout de go que cette question est posée dans l’intention de le piéger.
    Ensuite, il déjoue ce piège en leur demandant de lui présenter une pièce de monnaie. Quelqu’un en sort une de sa poche et la lui montre. Le piège est déjà retourné. On entre dans la deuxième partie. Par ce geste et cet échange, Jésus montre à ses adversaires qu’il est déjà trop tard pour se poser la question de l’impôt.
    Si refuser de payer l’impôt est une façon de garder les mains propres et le cœur pur face à Dieu en refusant le contact avec les romains païens, et bien c’est peine perdue si on a des pièces romaines dans son porte-monnaie. Ils sont déjà impliqués, ils sont déjà mouillés, ils ont déjà les mains sales, si c’est sale de faire du commerce avec les romains. La question de l’impôt est secondaire, subsidiaire.
    Aussi, Jésus peut-il dire de rendre à César ce qui est à César, ce qui veut dire qu’il est indifférent — aux yeux de Dieu et de la Loi de Moïse — de payer l’impôt, mais cela veut aussi dire que les romains ne leur prennent que ce qu’ils ont apporté, donné. Les juifs peuvent le leur rendre. Les juifs peuvent leur rendre leur monnaie, s’ils pensent que posséder ces pièces leur salit les mains ! C’est très ironique vis-à-vis de ceux qui pensaient garder les mains propres en refusant de débourses ces pièces.
    Jésus désamorce ainsi la possible accusation d’être contre les romains, mais aussi l’idée des pharisiens que payer l’impôt est une atteinte à la pureté de leur foi, puisque Jésus leur dit, en quelque sorte : si vous voulez être purs, débarrassez-vous de ces pièces en payant l’impôt.
    Mais le plus important vient dans la troisième partie.

    Jésus fait remarquer que les pièces romaines portaient une image, celle de César, et que cela indiquait quel était le propriétaire de la pièce. Et Jésus a complété sa phrase « Rendez à César ce qui est à César » par « et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22:21). C’est ce bout de phrase qui est le plus important. Comme s’il disait à ses interlocuteurs : Maintenant, regardez-vous. Regardez-vous les uns les autres et que voyez-vous ? La même question que lorsqu’on lui présente la pièce : « Ce visage et ce nom gravé, de qui sont-ils ? » (v.20) A qui appartiennent vos visages ? A la ressemblance de qui ont-ils été façonnés ?
    Avec ce « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » Jésus renvoie ceux qui l’écoutent à l’Ecriture, à la parole de leur créateur, au souvenir de ces paroles du premier récit de la Genèse : « Dieu dit : Faisons l’être humain ; qu’il soit comme une image de nous, à notre ressemblance. » (Gn 1:26).
    Alors que les pharisiens et les hérodiens réunis essaient de piéger Jésus avec une question sans importance, Jésus les recentre sur la question essentielle : quelle est votre relation à Dieu ?
    Jésus renvoie à Dieu ceux qui se perdent dans les questions annexes de comment bien faire ? Quelle attitude adopter dans la société ? Puis-je faire cela ou est-ce contre la Loi ? Dois-je plutôt manger ceci ou cela ? Contre cette façon de couper les cheveux en quatre, Jésus renvoie ceux qui l’écoutent à la question primordiale, essentielle : Que rendez-vous à Dieu ? Que faites-vous de votre vie ? A quoi la consacrez-vous ?
    « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » Par cette injonction, Jésus invite ses interlocuteurs à se décentrer, à quitter les questions secondaires pour aller à l’essentiel, pour se replacer devant Dieu. Jésus nous invite à nous déplacer pour nous recentrer. A passer d’un légalisme à une relation avec Dieu. A passer de l’obéissance à la confiance. A passer de la peur de faire faux à l’amour confiant. A passer du secondaire à l’essentiel.
    Et cet essentiel, Jésus va en parler un peu plus loin (Mt 22:34-40) en citant les deux commandements les plus grands : Aimer Dieu de toutes ses forces et aimer son prochain comme soi-même.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 21. Plus personne ne donne l’ordre à son fils d’aller travailler dans la vigne !

    Matthieu 21
    5.10.2014
    Plus personne ne donne l’ordre à son fils d’aller travailler dans la vigne !

    Matthieu 7 : 15-23        Matthieu 21 : 28-32

    Télécharger la prédication : P-2014-10-05.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Jésus raconte une parabole : un homme avait deux fils, mais ce n’est pas la parabole du fils prodigue. Jésus se trouve à Jérusalem, il est dans le Temple et il enseigne. Des prêtres et des anciens viennent alors lui demander ce qu’il fait là, de quelle autorité il se permet d’enseigner dans le Temple.
    C’est donc dans une atmosphère de conflit d’affrontement que Jésus leur raconte cette parabole. Ce n’est d’ailleurs qu’un début dans la polémique. Juste après cette parabole, Jésus raconte la parabole des méchants vignerons, puis des invités qui refusent de venir au banquet du royaume. Et cette partie se terminera par l’annonce de la destruction du Temple ! Nous avons donc là une parabole polémique, adressée aux autorités du Temple.
    Jésus engage donc le dialogue en leur demandant leur avis sur une situation : Un père donne le même ordre à ses deux enfants. Le premier dit non, mais fait le travail. Le second dit ou, mais ne fait pas ce qui lui est demandé. Qui a donc agit selon la volonté du père ? Les responsables du Temple sont d’accord que c’est celui qui a agit, même s’il a commencé par renâcler.
    Et c’est là que Jésus prononce son jugement sur ceux qui l’entourent. Le premier fils — qui dit non, mais qui fait le travail — ce sont les foules, les gens du peuple méprisés qui ont suivi Jean Baptiste et qui suivent maintenant Jésus. Le deuxième fils — celui qui dit qu’il va faire, mais ne fait rien — ce sont ceux qui tiennent des discours religieux, mais qui n’ont suivi ni Jean Baptiste, ni Jésus.
    [Une remarque sur la transmission de ce récit dans les manuscrits. Après la scission entre la synagogue et les judéo-chrétiens, cette parabole a été lue comme étant l’image du peuple juif qui a refusé Jésus et des païens qui l’ont accepté, au point que dans certains manuscrits, la parabole a été réécrite dans « l’ordre chronologique » : le premier fils étant celui qui dit oui et n’y va pas, le second fils étant celui qui dit non et qui y va. La bonne réponse donnée est alors le deuxième fils. Entre ces deux versions, celle du premier fils qui dit non et y va quand même a plus de chance d’être celle que Jésus a prononcée.]
    Restons sur la formule de Jésus. Il est question de paroles et d’actes. Et il est clair — Jésus l’a déjà dit dans le Sermon sur la Montagne — c’est l’action qui est déterminante. « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume de Dieu, mais seulement ceux qui font la volonté de mon Père » (Mt 7:21) ou encore : « un bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits » (Mt 7:18).
    On pourrait croire qu’on est dans une théologie des œuvres où le salut dépendrait de ses bonnes actions. Je crois plutôt qu’on est là face à la cohérence d’une vie. Les actes sont révélateurs de la vie intérieure. Tenir un discours et agir de manière inverse, c’est de l’incohérence ou de l’hypocrisie. C’est pourquoi Jésus s’attaque aux responsables religieux et qu’il met en garde son troupeau contre les faux prophètes qui sont des loups déguisés en agneaux. Jésus dit « vous les reconnaîtrez à leurs actions » (Mt 7:16).
    C’est ce que nous voyons souvent dans le fanatisme religieux : de grands discours sur la pureté — pureté du mouvement à l’interne et méchanceté de tous les autres — grands discours qui débouchent sur des appels, au minimum à la séparation, au pire à la violence.
    C’est malheureusement ce qu’on voit aujourd’hui avec le pseudo-état islamique en Irak et au Levant. De grands discours et l’imprécation du nom d’Allah et des violences innommables qui révèlent la vraie nature de ce mouvement.
    On pourrait se dire : mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Ce n’est pas ici, ce n’est pas notre religion. Le problème, c’est qu’il y a des gens de chez nous qui s’en vont là-bas, se battre et endosser cette idéologie. Ça c’est notre problème ! Qu’avons-nous manqué, en tant que société, pour que des jeunes de chez nous soient séduits par de tels prophètes ?
    Que voyons-nous chez nous ? (1) Sur le plan religieux, il y a peu de discours, peu d’actes, peu d’actions. Tout ce que notre société propose aux jeunes, c’est d’entrer dans la consommation et le divertissement. Les parents ont peur d’imposer quoi que ce soit à leurs enfants. Le parent propose, l’enfant dispose ! Il doit constamment choisir par lui-même, sans savoir la préférence de ses parents.
    Cela conduit à un deuxième constat. (2) Notre société a renoncé a toute prescription. Il n’y a plus de père qui donne l’ordre à son fils d’aller travailler dans la vigne. Il n’y a plus d’ordre, il n’y a plus de mission, il n’y a plus de désignation d’une tâche à faire pour que le monde tourne. Tout est optionnel, donc il semble que tout est égal, que tout est de même valeur.
    Il n’y a plus d’instance qui dise : il y a ce travail, cette tâche qui vaut la peine d’être réalisée. Plus personne ne dit qu’il y a des valeurs pour lesquelles il vaut la peine de se battre, ou bien des maux contre lesquels il vaut la peine de se battre. Alors des jeunes vont se battre là où on leur donne une raison, même mauvaise. Sommes-nous à ce point désillusionnés que nous ne pouvons plus nous mobiliser et appeler les jeunes à se mobiliser avec nous pour se battre, pacifiquement.
    En faveur de quoi pourrait-on se mobiliser aujourd’hui ? Essayez d’y réfléchir quelques secondes. L’absence de réponse qui saute aux yeux est bien révélatrice du problème.
    Voilà quelques causes pour lesquelles se mobiliser, se battre. Pour plus de justice, plus d’équité, plus de tolérance. Moins de discrimination, moins de machisme. Plus de respect, plus de transparence économique. Moins d’exploitation, moins de mépris ou de xénophobie, etc.
    Il y en a des objectifs pour lesquels se battre utilement. Mais qui les nomme ? Qui appelle à aller travailler dans la vigne ? Notre société n’est même plus dans les cas de figure qu’énonce Jésus ! Dire quelque chose et ne pas le faire ou ne rien confesser mais le faire.
    Aujourd’hui, c’est inquiétant, il y a comme un consensus à ne plus rien dire et à ne plus rien faire, on reste vautré devant son écran.
    Nous avons le droit, nous avons le devoir de dire nos valeurs, d’être prescripteur (prophètes) pour la justice, le droit, le respect, l’entraide… Ensuite chacun aura le choix d’y aller ou pas. Mais l’Eglise manque à sa tâche, à son but si elle ne dit plus rien, si ses fidèles ne disent plus où est l’Evangile.
    Nous avons à dire qu’il y a du travail dans la vigne. Si nous renonçons à ce rôle de prescripteur, de prophète, alors ce seront d’autres qui seront là, à notre place, avec d’autres valeurs et souvent comme des loups déguisés en agneaux. A nous d’agir.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

    Dans le même sens, cet éditorial paru le JE 9.10.2014 dans Le Temps :

    Leur djihad, notre vide  Par Par Sylvain Besson

    Pour triompher des combattants fanatisés de l’Etat islamique, l’Occident doit redonner un sens à sa propre civilisation... (suite pour les abonnés... droits réservés)
    fin de l'article : "Parler de liberté et de prospérité ne suffira pas. Toucher le public cible des terroristes – des jeunes en quête d’engagement existentiel – implique de discuter de notions évacuées de nos vies comme Dieu, la mort, le sacrifice. Et ce faisant, de retrouver la conviction que nos sociétés ont des valeurs plus nobles à offrir que la technique, l’amusement ou le confort matériel."
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  • Romains 5. Dieu ne tient pas compte de nos fautes

    Romains 5
    7.9.2014
    Dieu ne tient pas compte de nos fautes

    Romains 5 : 12+15-18      2 Corinthiens  5 : 17-19

    télécharger le texte : P-2014-09-07.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Après notre parcours dans Genèse 3, il restait encore à voir quelle reprise le Nouveau Testament fait du drame de la transgression d’Adam. C’est l’apôtre Paul qui fait cette reprise en mettant en parallèle Adam et le Christ. Il en fait un parallèle, mais disons le tout de suite, un parallèle inversé. Ce qu’Adam a détruit, le Christ le rétablit, le restaure. Adam et Christ se succèdent, mais s’opposent. Adam est la figure de la désobéissance, alors que le Christ est la figure de l’obéissance. Adam est rattaché au péché et le Christ à la grâce.
    L’apôtre Paul reprend donc la figure d’Adam telle qu’elle est vue par les pharisiens d’alors, comme celui qui a fait entrer la désobéissance, le péché dans le monde. Paul montre le rôle de la Loi pour désigner les transgressions, mais abandonne — comme nous l’avons vu le dimanche 17 août — son rôle comme voie de salut. La voie du salut, pour Paul, est le Christ, en tant que nouvel Adam, Adam inversé, le vrai homme qui peut rétablir la relation brisée avec Dieu, celui qui rend effective la réconciliation (Rm 5:15), impossible depuis la sortie du jardin d’Eden.
    Ainsi le Christ rompt la chaine de la malédiction qui se perpétuait depuis Adam à travers toute l’histoire humaine. C’est pourquoi Paul peut dire : « Si la faute d’un seul, Adam, a entrainé la condamnation de tous, l’œuvre juste d’un seul, Jésus-Christ, libère tous les humains du jugement et les fait vivre » (Rm 5:18). L’œuvre du Christ brise la malédiction et prononce une parole d’acquittement envers tous les humains. Comment cela est-il possible ? Comment cela se passe-t-il ?
    Il faut d’abord comprendre ce qui se passe avec Adam, c’est-à-dire avec l’humanité. A n’en pas douter — il suffit de regarder le monde autour de soi — les humains se conduisent mal. Adam, comme notre représentant à tous, est l’homme de la transgression, l’homme coupable. Il donne l’image d’un homme écrasé par le poids de sa faute, par le poids des malédictions. Avec ce poids, Adam ne peut que se sentir mal ! Il ne peut que se dire « Je ne suis pas OK » quelque chose cloche avec moi. Cette affirmation peut être reprise par chacun d’entre nous « je ne suis pas OK ». Cette image d’Adam rejaillit sur chacun d’entre nous.
    Bien sûr, nous pouvons nous révolter la contre et nous dire : « quand même, je n’y suis pour rien dans la faute d’Adam, ce n’est pas ma faute, je n’y étais pas, je n’ai rien fait. » De cette façon, nous adoptons la position « moi je suis OK, c’est l’autre qui n’est pas OK ». C’est vrai, en quoi suis-je responsable d’avoir reçu une tare dont je ne peux pas me débarrasser ? Une tare à laquelle personne ne peut échapper ? 
    J’ai donc le choix entre « je ne suis pas OK » ou « l’autre n’est pas OK » ou je peux encore cumuler les deux « je ne suis pas OK et l’autre n’est pas OK ». C’est ce que j’ai mis dans le tableau ci-dessous, qui présente les quatre positions fondamentales* face à la vie.

    thomas a. harris,i'm ok you're ok,analyse transactionnelle,position,jeu,psychologie,

    Ces quatre positions ont été développées dans le système psychologique de l’Analyse Transactionnelle, par le docteur Thomas Harris. Il les développe à un niveau psychologique, mais c’est un bon moyen de comprendre le niveau théologique développé par Paul.
    Il faut d’abord faire une différence, que Paul fait, entre le péché (au singulier) et les péchés (au pluriel). Les péchés sont des actes de transgression de la Loi, ce sont nos fautes, nos erreurs ou nos poids. Dans les Evangiles, Jésus les pardonne systématiquement, il ne s’en préoccupe pas. Le péché, par contre, est important, et c’est ce qui importe à Jésus ; c’est du péché que Jésus est venu nous libérer, nous sortir, nous sauver. Le péché, c’est une position dans la vie, c’est une croyance fondamentale, qui nous perd. C’est croire que je ne suis pas OK, que je ne suis pas aimable, que je ne suis pas acceptable, accepté par Dieu. Ou bien, c’est croire que l’autre (les autres, ou Dieu) n’est pas OK. C’est « tout de la faute des autres » ou « la faute à Dieu ». Ou bien, on peut aussi cumuler les deux, « je ne suis pas OK et l’autre n’est pas OK », ce qui peut se résumé par « tous pourris ». On se rend compte que vivre dans l’un ou l’autre de ces positions, c’est vivre malheureux. J’ai indiqué en majuscule dans le tableau les états ou les émotions auxquelles conduisent ces positions.
    Voilà ce que l’Evangile appelle les chemins de la perdition. Ce n’est pas commettre des fautes ou des péchés. C’est perdre son estime de soi, s’enfermer dans la culpabilité, se couper de Dieu, des autres ou de soi-même. Ce sont des positions sans issue, malheureuses, c’est le chemin d’Adam dans lequel l’humanité s’enferme et que chaque être humain adopte « naturellement » depuis sa petite enfance. Il a été montré que l’enfant — qui pense que tout tourne autour de lui — pense que tout ce qui se passe autour de lui arrive par sa faute. Et c’est ainsi que, lorsqu’il va voir du malheur autour de lui, il va adopter la position « c’est ma faute » ou si cela est trop lourd « c’est tout de la faute des autres ». Et nous nous construisons comme cela, à moins d’avoir autour de nous des témoins qui nous disent que nous sommes OK.
    C’est ce que le Christ est venu nous dire. C’est sa révélation : Dieu nous dit : « Je vous considère OK, croyez-moi ! » Le salut, ou la réconciliation dans Corinthiens, c’est de nous faire migrer des cases « pas OK » vers la case « Je suis OK et l’autre est OK ». Là encore, il faut rappeler qu’être OK ne veut pas dire parfait, sans faute, irréprochable. Cela veut dire que Dieu nous considère aimables. Cela veut dire que Dieu nous considère justes, malgré nos fautes ou nos imperfections. Je n’invente rien, Paul le dit lui-même : « Par le Christ, Dieu agissait pour réconcilier tous les humains avec lui, sans tenir compte de leurs fautes. » (2 Co 5:19).
    Jésus inaugure le nouvel humain, celui qui est OK avec Dieu, et il remplace l’ancien Adam et les trois autres positions. En faisant cela il nous ouvre cette position, sans condition. Il suffit d’accepter qu’il le fait, c’est-à-dire, comme le dit le théologien américain Paul Tillich : « accepter d’être accepté ». Nous avons à accepter que Dieu nous trouve acceptables, que nous sommes OK devant ses yeux. Il n’y a pas de conditions à remplir, c’est par grâce, par le moyen de la foi (Eph 2:8), c’est-à-dire par l’acceptation que Dieu le fait, que Dieu nous accueille vraiment, tels que nous sommes.
    Cela nous sauve du désespoir sur nous-mêmes et sur les autres. Cela nous sauve de la révolte de considérer les autres tellement inacceptables alors que nous le serions. Cela nous sauve de la culpabilité de penser que nos manquements ont tellement d’importance. Cela ne nous épargnera peut-être pas de la tristesse d’avoir à accepter notre faillibilité personnelle et d’accepter les défaillances des autres, mais cette tristesse de l’imperfection nous ouvrira à une humanisation, à une nouvelle empathie et à la bienveillance.
    C’est incroyable ! Dieu nous considère justes et aimables, malgré nos défaillances et nos insuffisances, qui ne sont que poussière à ses yeux. Arriverons-nous à lui faire confiance et à nous sentir acceptés, à nous sentir OK sous son regard d’amour ?
    Amen


    * d’après Thomas A. Harris, I’m OK, You’re OK, London, Pan Books, 1973.


    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 3. Sortir du « mode survie » et entrer dans une histoire

    Genèse 3
    24.8.2014


    Sortir du « mode survie » et entrer dans une histoire


    Genèse 2 : 8-9+15-17    Genèse 3 : 1-5    Genèse 15 : 1-6

    Télécharger le texte : P-2014-08-24.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chère famille,
    Pour la troisième fois, nous abordons ce chapitre 3 de la Genèse avec cette histoire d’Adam et Eve. Nous avons vu que ce récit est construit avec un avant et un après. Il y a d’abord une situation idéale, décrite comme le Paradis, situation qui est bouleversée par la transgression des premiers humains et qui conduit à une vie et une terre dégradée. Un avant et un après qui sont suivis d’une remédiation humaine et d’une remédiation divine.
    Nous avons suivi plusieurs pistes les dimanches précédents et il nous reste aujourd’hui celle de la vie et de la mort. En effet, Dieu déclare que celui qui mangera du fruit de l’arbre interdit va mourir. Il y a donc un avant tourné vers la vie et un après tourné vers la mort.
    Cependant, ce qui est étonnant, c’est que la promesse divine « celui qui mangera de ce fruit mourra » (Gn 2:17) ne se réalise pas ! Personne ne meurt dans ce récit, et un peu plus loin, on nous dit qu’Adam meurt à l’âge de 930 ans (Gn 5:5). Ce n’est pas un vie raccourcie, même si les chiffres sont d’ordres mythologiques. 
    Je pense qu’il faut lire ce récit, avec son avant et son après, comme une protestation contre la mort. Ici est exprimé le sentiment que la mort, le deuil, ne devraient pas exister dans un monde idéal. On se rend bien compte que ce n’est pas réaliste. Il ne peut y avoir de vie sans que celle-ci se termine, sinon ce ne serait pas de la vie, du vivant. On aurait quoi, juste de la pierre ?
    Mais en même temps, la mort, et surtout la mort précoce ou injuste, fait trop souffrir pour qu’elle ne soit pas le résultat d’une distorsion ou d’une transgression. Dans un monde de bénédiction, la mort est une anomalie. C’est pourquoi le récit de Genèse 3 donne à la mort ce statut de disharmonie, de dérèglement. Quelle peut être la remédiation humaine ?
    Cela va être de survivre ! La vie est précaire, elle est difficile, elle est en danger : il faut mettre son énergie à lutter pour sa survie. Il faut se nourrir, se battre, se faire une place. Mais survivre n’est pas vivre pleinement.
    Le remédiation divine va consister à faire sortir l’être humain du « mode survie » pour l’inviter à une vraie vie. La vie vaut mieux que juste survivre. Nous ne sommes pas faits pour nous contenter de « métro-boulot-dodo. » Dieu nous invite à sortir de la routine. Dieu nous invite à lever les yeux au ciel comme Abram (Gn 15:5), pour découvrir d’autres dimensions à la vie.
    Pour cela, Dieu nous fait deux cadeaux. Le premier cadeau est de faire alliance avec l’humanité. Dieu n’est pas contre nous, il est avec nous, il se tourne vers nous avec bienveillance, pour nous aider à nous en sortir, pour nous accompagner dans les bons et les mauvais moments de l’existence.
    Le deuxième cadeau que Dieu nous fait, ce sont les enfants. Il a donné à l’humanité le pouvoir de transmettre la vie. Transmettre la vie biologique, mais aussi la vie relationnelle et spirituelle. Parce que donner la vie biologique n’est pas tout. Comme chaque parent le sait, c’est l’éducation qui est le grand défi.
    Nous pouvons donner la vie, mais nous avons plus à donner et transmettre à nos enfants. Nous avons à leur donner une place dans le monde et dans la vie, une place dans une lignée, une place dans une histoire. C’est pourquoi la Bible est si pleine d’histoires de familles et de généalogies.
    Un enfant n’est pas un électron libre, il naît dans une famille, qui est une longue suite de parents, de grands-parents, d’aïeuls, d’ascendants. S’inscrire dans une histoire est un cadeau, c’est une assurance d’avoir une place, de se savoir situé. Pouvoir dire à son enfant, à ses petits-enfants : « Tu viens de quelque part ! » C’est lui dire son importance, son rôle, sa mission. Chacun a une place, sa place, en lien avec d’autres.
    La Bible nous dit à quel point la filiation est importante, mais aussi qu’il y a une filiation commune de tous les êtres humains. En affirmant que toute l’humanité descend d’Adam et Eve, la Bible affirme que l’humanité forme une seule famille humaine. Tous nous sommes reliés à Dieu. Tous nous pouvons nous rattacher à la lignée biblique. Tous nous pouvons faire remonter notre généalogie à Abraham au travers de la foi et jusqu’à Adam dans notre humanité commune.
    Quel cadeau faire à nos enfants et petits-enfants : les rattacher à Adam, à Abraham, à David, à Jésus. Les inscrire dans une histoire vivante, les rattacher à des hommes et des femmes dont on peut lire l’expérience de vie et s’en inspirer. Cela leur donne de l’assurance. Cela donne de l’assurance à ses enfants lorsqu’ils peuvent dire « Je sais d’où je viens. »
    Je sais qu’aujourd’hui on veut toujours laisser ses enfants choisir. Mais on n’imagine pas la difficulté devant laquelle on place ses enfants en leur faisant tout choisir. Pourquoi ne pas choisir pour eux, les faire commencer et les laisser se déterminer ensuite. Est-ce la peur qu’ils nous rejettent en rejetant les choix qu’on a fait pour eux qui nous empêche de faire des choix pour eux ?
    Vous faites un cadeau à vos enfants en les inscrivant dans une généalogie, une généalogie qui remonte à votre famille et saute ensuite vers les personnages bibliques. C’est une façon de mettre de la vie dans leur vie, de sortir du « mode survie ».
    Ce que Dieu veut pour nous, c’est que nous sortions du mode survie pour arriver à une vie en plénitude. Et une vie enracinée est une vie qui s’épanouit. La taille de l’arbre ne dépend-elle pas de la taille de ses racines ?
    Il n’y a pas de remède à la mort autre que la vie elle-même. Mettre le plus de vie possible dans sa vie et dans celle des autres. C’est ce que nous montre Jésus lorsqu’il guérit, lorsqu’il nourrit les foules, lorsqu’il renverse les tabous dans ses rencontres. Jésus nous donne libre accès à Dieu pour que nous recevions de lui le surplus de vie dont nous avons besoin. Sachons nous enraciner dans la vie qu’il nous donne.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 3. Deux impasses : l’obéissance et les sacrifices

    Genèse 3
    17.8.2014
    Deux impasses : l’obéissance et les sacrifices
    Genèse 2 : 15-17       Genèse 3 : 1-7 + 21      Romains 3 : 19-26
    Télécharger le texte : P-2014-08-17.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dimanche dernier nous avons commencé notre analyse de ce troisième chapitre de la Genèse que nous continuons aujourd’hui. J’ai mis en évidence une structure du récit qu’on peut suivre sur plusieurs pistes, plusieurs fils. Cette structure est marquée par un avant et un après, ainsi que par une remédiation humaine suivie d’une remédiation divine.
    Dimanche passé, nous avons suivi le fil illustré par les malédictions, ainsi que le fil du non-savoir et du savoir en « croquant la pomme ». Aujourd’hui, nous allons suivre deux nouvelles pistes.
    Le premier fil est celui de l’interdit. Dans notre avant, Dieu interdit clairement de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. En « croquant la pomme », Adam et Eve passent une porte et entrent dans l’après qui est fait de faute et de honte. Il y a eu transgression de l’interdit, désobéissance.
    Quelle va être la remédiation humaine ? Comme pour d’autres fils, la remédiation n’est pas directement indiquée dans ce chapitre, mais tout au long de la Bible. La remédiation humaine face à cette désobéissance va être de réparer cette première attitude par son opposé, c’est-à-dire par l’obéissance. Il faut se rattraper, ne plus faire comme Adam. Tous les efforts vont porter sur l’obéissance à la Loi divine. « Si Adam n’a pas pu obéir, moi je le pourrai ! » se dit chacun d’entre nous.
    Ainsi, la Bible développe tout un catalogue de lois pour réglementer une vie qui puisse plaire à Dieu. Le judaïsme a dénombré 613 commandements bibliques. C’est la voie dans laquelle ont excellé les pharisiens. Mais c’est aussi une voie sans issue. Il est impossible à l’être humain d’être totalement obéissant*. D’où le constat de l’apôtre Paul : « La loi permet seulement à l’homme de savoir qu’il a péché » (Rm 3:20).
    L’obéissance pour accéder à la justice est une voie désespérée. Plus on regarde dans le détail de nos vies, plus on voit l’écart entre l’idéal et ce qu’on vit réellement. Il est impossible d’être juste aux yeux de Dieu. C’est une voie sans issue.
    Quelle a été la remédiation divine ? En lisant l’Ancien Testament, on voit que ceux qui l’ont écrit ont longtemps cru que la remédiation divine était la punition. Une punition inscrite dans les pages de l’histoire du peuple et du pays d’Israël (2 R 17:7). Les rois obéissants ont des succès militaires et les rois désobéissants des défaites (2 R 13:1-3). Les prophètes lient aussi la sécurité territoriale à la confiance que les rois mettent en Dieu (Jr 17:3). Mais le couple « punition - récompense » est lui aussi inefficace. Il n’y a pas moyens que la loi rende quiconque juste.
    Il a fallu des siècles pour qu’on se rende compte et qu’on réalise que Dieu propose un autre chemin, celui de la grâce : Dieu donne sa justice à celui qui la demande. Dieu rend lui-même juste celui qui croit en lui, et il l’a réalisé dans la personne de Jésus (Rm 3:26).
    C’est ce que nous allons mieux comprendre en suivant le deuxième fil, celui qui commence par la nudité. Dans le temps d’avant, « l’homme et la femme étaient nus, mais sans en éprouver aucune gène » (Gn 2:25). Après la transgression, ils se découvrent nus et se font des pagnes avec des feuilles de figuiers (Gn 3:7). C’est la remédiation humaine : se couvrir, se protéger, se cacher. Cependant, comme chacun le sait, mettre la poussière sous le tapis ne fait pas disparaître la poussière. Ce système D humain n’est pas efficace, cela n’ôte pas la faute de la transgression.
    Alors le récit nous montre la remédiation divine : Dieu habille lui-même les humains de peaux de bêtes (Gn 3:21). Pas question ici du slogan « Plutôt nus qu’en fourrure » des défenseurs des animaux, car — ne leur en déplaise — il est justement question ici de sacrifice d’animaux.
    Symboliquement, il est question ici du premier sacrifice animal pour sauver l’être humain ou l’humanité. La remédiation divine consiste en une substitution de victime : le sacrifice animal, c’est faire porter la punition de la transgression sur l’animal au lieu de l’humain. C’est une préfiguration de la substitution d’Isaac par le bélier, mécanisme de tout sacrifice religieux des animaux.
    L’animal reçoit la punition méritée par l’être humain, à sa place. On trouve cela également avec le sang de l’agneau appliqué sur les linteaux des portes en Egypte avant la sortie d’Egypte, qui deviendra l’agneau pascal.
    La remédiation divine est d’éviter à l’être humain de recevoir la punition en désignant une victime de substitution. Il y a donc dans ces vêtements de peaux le précurseur des sacrifices instaurés en Israël et réalisés au Temple de Jérusalem plus tard.
    Mais les sacrifices animaux ne sont aussi qu’une étape transitoire. Les prophètes l’avaient déjà proclamé, Dieu n’a pas plaisir dans l’abatage des animaux (Es 1:11), ce qu’il demande, c’est « de se préoccuper du droit des gens, de tirer d’affaire l’opprimé, de rendre justice à l’orphelin et de défendre la cause des veuves » (Es 1:17).
    Le mécanisme de substitution du sacrifice est important pour que le coupable ne soit pas tué, mais la machine sacrificielle est détestable, au point de faire du Temple « une caverne de voleurs » dira Jésus (Mt 21:13).
    Le dépassement de cette étape a passé par le « sacrifice » de Jésus qui remplace « une fois pour toute » — comme le dit nos liturgies de Cène — toutes les victimes et tous les coupables. On est là sur un terrain risqué, où le vocabulaire risque de nous piéger. Attention, Dieu n’a pas fait ce qu’il voulait éviter ! Dieu n’a pas sacrifié un être humain pour éviter le sacrifice des humains ou de l’humanité (c’est la pensée de Caïphe, Jn 18:14). Ce serait un contre sens, une négation des valeurs de Dieu lui-même.
    Dieu n’a pas sacrifié son fils. Mais Jésus a donné sa vie pour que soit révélé la vanité de tout sacrifice réel. Jésus a fait ce geste comme un sauveteur ou un pompier risque sa vie pour sauver une victime de catastrophe. La croix est une façon de dire que Dieu préfère risquer son être dans le sauvetage de chaque personne, plutôt que de perdre quelqu’un.
    Jésus sur la croix — que l’Evangéliste Jean désigne comme « l’agneau pascal » — est la dernière substitution pour sortir Adam et Eve de leur condamnation. Dernière substitution qui était préfigurée dans ces premiers habits de peaux destinés à protéger l’humanité qui s’était mise en danger.
    Ainsi, ces deux fils, celui de l’obéissance et celui des sacrifices, conduisent à Jésus. Dans le premier fil, Jésus met l’amour à la place de la Loi, la foi à la place de l’obéissance. Dans le deuxième fil, c’est Jésus qui porte les péchés de l’humanité, à notre place (Rm 3:25). C’est Jésus qui prend la place de Barrabas, qui prend notre place pour que nous soyons déclarés « justes devant Dieu », non pas grâce à nos mérites (obéissance ou sacrifices) mais grâce à l’amour que Dieu à pour nous.
    Amen
    * voir le livre (sérieux et drôle) de A. J. Jacobs, L'année où j'ai vécu selon la Bible, Actes Sud, 2008 (Babel 1007), traduit de l'américain par Yoann Gentric.


    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 3. Que faire du mal dans la création ? Premières pistes

    Genèse 3
    10.8.2014
    Que faire du mal dans la création ? Premières pistes

    Genèse 2 : 25 — 3 : 24
    Téléchargez le texte : P-2014-08-10.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant mes vacances, j’ai vraiment vécu l’ambivalence du monde : d’un côté nous avons parcouru des paysages superbes, trouvé une mer cristalline et des gens accueillants et serviables. De l’autre, les nouvelles de crashs d’avions et des populations massacrées ou persécutées.
    Cette oscillation entre émerveillement devant le beau et le bon et répulsion devant le mal, c’est exactement le sujet de préoccupation de ce chapitre 3 de la Genèse. Pourquoi tant de souffrance dans un monde si beau ? Pourquoi tant de souffrance pour donner la vie ? Pourquoi tant de travail pour se nourrir ? Pourquoi tant de mensonges juxtaposés à tant d’émerveillement ?
    Ce troisième chapitre de la Genèse offre des amorces de réponses, des réponses qui se prolongent tout au long de la Bible. J’ai identifié cinq pistes, cinq fils différents de réponse à cette question de la présence du mal dans notre monde. Nous allons en voir deux aujourd’hui, deux dimanche prochain et le dernier le dimanche 24 août.
    Chacun des ces fils de réponse, je les présenterai à partir de la même structure qui marque ce récit. Ce récit de Genèse 3 est marqué par un avant et un après, une situation de départ qui se modifie et donne une situation d’arrivée. Cette situation d’après, d’arrivée est suivie d’une tentative de remédiation humaine. L’être humain essaie de corriger le biais introduit, ou de réparer les conséquences induites par le changement. Et finalement, il y a une remédiation divine. Dieu aussi prend des mesures pour corriger ce qui a été biaisé, tordu.
    Je ne me pencherai pas, cet été, sur l’interprétation du sens de « croquer la pomme », je le considère provisoirement juste comme une métaphore ouverte pour montrer où se tordent les rapports entre l’être humain et Dieu et non comment cela s’est passé. (voir P-1998-07-26.pdf / P-2006-02-19).
    La structure des cinq fils est donc la suivante : avant / après — remédiation humaine / remédiation divine.
    Le premier fil que nous allons suivre est celui des malédictions citées par le récit. On a clairement un avant et un après. Avant, on est dans le jardin d’Eden, après, la grossesse devient pénible, l’accouchement est un lieu de douleur, la sexualité devient un enjeu de pouvoir, le sol est difficile à cultiver, il ne produit pas spontanément des plantes nourricières, l’être humain doit suer pour vivre et finit par retourner à la poussière. Ainsi sont perturbées les fonctions essentielles de la vie humaine : l’amour avec le don de la vie, le travail et la mort.
    Quelle va être la remédiation humaine ? Que peut-on faire face à ces malédictions qui sont les réalités de la vie expliquées comme les conséquences de ce passage de l’avant à l’après ? Que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? « Que dois-je faire ? » et « Que puis-je espérer ? » se demandait le philosophe Emmanuel Kant.
    Le récit lui-même ne laisse rien entrevoir d’une remédiation humaine. L’être humain semble simplement devoir subir ce poids du destin. D’autres pages de la Bible montreront que l’être humain peut justement réinvestir positivement ces trois domaines de la vie que sont « aimer » « travailler » et «  se savoir mortel » pour retrouver goût à la vie, au-delà du malheur.
    Quand on demanda à Freud quel était le sens de la vie, à quoi l’être humain devait consacrer sa vie pour qu’elle ait du sens, il a répondu : « aimer et travailler ». Là où la difficulté de la vie ou du monde voudrait imposer le non-sens, c’est à nous d’y mettre du sens, de l’énergie.
    Que dire face à la mort ? Dans sa règle de vie monastique, Saint Benoît a mis en évidence deux tâches du moine, ce qu’il a résumé dans la formule latine « ora et labora », prie et travaille. Face à la conscience de notre mortalité nous pouvons opposer la prière, c’est-à-dire la vie spirituelle. Cela me semble compléter les propos de Freud. Aimer, travailler, prier sont nos trois réponses aux malédictions de ce récit.
    Qu’en est-il de la remédiation divine ? Là encore, le récit lui-même n’en donne aucune après la liste des malédictions. Mais nous devons nous souvenir du chapitre 2 et de ce que je vous ai dit le 6 juillet. La création a été faite bonne et cette bénédiction reste le cadre voulu par Dieu. Le mal existe, mais il est cadré, contenu, maintenu dans certaines limites. La bonté de la création ne peut être anéantie, la bonté est première.
    Passons au deuxième fil que je veux vous présenter. Il s’agit du fil de la connaissance, du savoir et du non-savoir. Il y a un avant qui est fait de non-savoir, exprimé par la formule « ils étaient nus, mais sans honte » (Gn 2:25). Ensuite, le serpent propose d’avoir accès à un savoir divin (Gn 3:5). Adam et Eve s’emparent du fruit et ouvrent cet accès au savoir.
    Sommes-nous là avec une autre version du mythe de Prométhée ? (Prométhée s’empare du feu réservé aux dieux et le donne aux humains). Non, Genèse 3 n’est pas pareil. Le nouveau savoir d’Adam et Eve ne leur donne aucun nouveau pouvoir. Au contraire, il s’agit plutôt d’une perte, au moins dans un premier temps. Adam et Eve découvrent leur nudité, c’est-à-dire leur vulnérabilité, leur fragilité. Et sans retour en arrière possible.
    L’après, c’est cette conscience de vulnérabilité. Le danger est entré dans leur vie. Ils se cachent de Dieu (v.8). Ils se font des pagnes pour se protéger (v.7). Ils s’aperçoivent d’un manque. C’est une perte. Mais il y a aussi un gain, marqué dans le récit par cette phrase de Dieu « l’être humain est devenu comme l’un d’entre nous ! » (v.22). Phrase qui rappelle l’exclamation du psalmiste « Tu as fait l’être humain presque à l’égal de Dieu » (Elohim dans le texte, parfois traduit par « ange », Ps 8:6). Il y a perte d’innocence, mais il y a gain d’une conscience de soi, de la possibilité d’un savoir, d’une connaissance nouvelle.
    La remédiation humaine annoncée est l’accroissement du savoir. La recherche de la connaissance du bien et du mal, la connaissance morale, avec toute l’ambivalence qui peut en découler. D’un côté une amélioration de la moralité avec une baisse de la violence. Mais de l’autre aussi, lorsque le savoir est pensé comme vérité absolue, il peut devenir violence de l’Inquisition ou violence de l’Etat islamique au Levant qui impose sa morale et sa religion au nom d’une connaissance absolue.
    Quelle remédiation divine ? La première remédiation est l’expulsion du paradis et la fermeture de ses portes (v.23-24). En quoi est-ce une remédiation, me direz-vous ? C’est une façon de signifier la fin d’un accès direct à Dieu. Cet accès direct à la vérité divine que proclamait l’Inquisition et que revendique l’Etat islamique au Levant. Dans le jardin d’Eden, Adam et Eve entendaient Dieu « en direct ». Dorénavant, il faut des médiations. Il y a de l’incertitude sur ce que Dieu dit et veut et c’est mieux comme cela.
    La seconde remédiation, c’est que Dieu va utiliser d’autres canaux (que la voie directe) pour se révéler. Le récit continue, le texte va se déployer : le récit biblique va révéler les autres conséquences (Caïn et Abel, le Déluge, Babel). Et il va montrer comment Dieu va mobiliser des humains, à partir d’Abraham pour se faire connaître. Cette remédiation, c’est toute la révélation de la Genèse à l’Apocalypse. La suite des fils pour les dimanches prochains.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 2. L’être humain, dès le jardin d’Eden, a été créé avec une faille !

    Genèse 2
    13.7.2014
    L’être humain, dès le jardin d’Eden, a été créé avec une faille !
    Genèse 2 : 4-9      Genèse 2 : 15-25      Mt 7 : 1-2

    Téléchargez le texte : P-2014-07-13.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur la création de l’être humain. Je ne reprends pas ce que j’ai dit dimanche dernier sur le fait que les textes ne nous donnent pas le déroulement de ce qui s’est passé, mais nous offrent une perspective sur ce que nous vivons maintenant.
    Le récit ancien de la création de l’être humain nous montre une progression. D’abord, la terre est vide, inhospitalière et inhabitée. Dieu crée l’être humain — il tire l’être humain de la poussière du sol —et la végétation pour l’habiter. Il les crée ensemble, une terre sans humain n’a pas de sens, comme le serait un humain sans terre.
    Un mot sur le vocabulaire hébreu utilisé. Pour désigner l’être humain, l’hébreu utilise le mot ADaM, qui a donné le nom propre Adam. Ce mot est parent avec le mot « sol » (ADaMaH) utilisé dans l’expression « tiré du sol ». Pour marquer cette parenté en français, on pourrait lire le texte en disant : le terrien (ADaM) a été tiré de la terre (ADaMaH), et remplacer « être humain » par « terrien » partout dans le récit. Ce mot ADaM ou terrien n’est pas le même terme que le mot « homme » qui se dit ‘iYSh, avec comme féminin ‘iYShaH. D’où le jeu de mot du v. 23 qui ne donne rien en français « On la nommera femme (‘iYShaH) parce qu’elle a été tirée de l’homme (‘iYSh) ». J’arrête ici la leçon d’hébreu.
    Mais c’était important de comprendre que le récit parle fondamentalement de l’être humain et que c’est fortuit, accidentel, qu’ensuite la femme est tirée de l’homme. Le récit ne changerait absolument pas de sens si l’homme était tiré de la femme pendant son sommeil à elle. Homme et femme sont ici interchangeables. C’est probablement à cause du risque de laisser croire que l’homme serait né d’un accouchement si l’homme avait été tiré de la femme, que le récit a opté pour sa forme « femme tirée de l’homme ». Avec un accouchement, le sens du récit en aurait été totalement changé.
    Le récit ne cherche donc pas à introduire de hiérarchie entre l’homme et la femme dans l’ordre du déroulement de la création. Le récit veut illustrer la place de Dieu. C’est lui qui façonne, aussi bien l’homme que la femme. S’il y a un décalage temporel entre les deux créations, c’est pour mettre autre chose en évidence.
    En effet, le texte introduit — bizarrement — deux failles dans ce récit de la création du jardin, jardin qu’on assimile au paradis, à un état parfait qui précède l’état actuel de la terre et de la vie humaine, un état qui s’est dégradé et que le chapitre 3 met en scène, brièvement dit « la chute » et « la sortie du paradis ». Nous sommes donc encore, dans ce récit, dans ce temps « avant », temps originel, idéal, sans faille !? Non, justement pas sans failles.
    Deux failles sont évoquées, la première avec l’interdit concernant l’arbre du bien et du mal. Et la deuxième lorsque le récit nous présente Adam souffrant de solitude. L’être humain est seul de son espèce, il est singulier, à part, mais de cet « à part » qui veut dire isolement, incomplétude, inachevé.
    Voilà qui est étrange ! Pas par rapport au sentiment d’isolement ou d’incomplétude que nous pouvons ressentir, nous sommes trop habitués à le réaliser. Non, étrangeté que cette incomplétude soit là dès l’origine, dans le jardin.
    Et Dieu s’en rend compte et il va chercher à y remédier par deux fois. Dans un premier essai, il crée tous les animaux et les présente au premier humain. Celui-ci les nomme, mais ne trouve pas l’aide qui lui corresponde, pas de partenaire qui viendrait le compléter.
    C’est alors que Dieu va créer quelqu’un qui sera de sa chair, mais qui ne sera pas son jumeau. Dieu ne crée pas un clone d’Adam. C’est quelqu’un qui lui correspond, mais qui n’est pas identique. Quelqu’un d’autre, mais dans lequel se reconnaître. D’où l’exclamation de l’homme voyant la femme : (littéralement) « voici l’os de mes os, la chair de ma chair » (Gn2:23). Ce n’est pas très poétique en français, mais cela dit la proximité, la parenté, la communion d’origine qui présage de la communion à construire ensemble.
    Le poète du Cantique des cantiques s’exprimera avec plus d’élégance (Ct 4:1-3) :
    1 Que tu es belle, ma tendre amie, que tu es belle ! Derrière ton voile tes yeux ont le charme des colombes. Tes cheveux évoquent un troupeau de chèvres dévalant du mont Galaad. 2 Tes dents me font penser à un troupeau de brebis fraîchement tondues, qui remontent du point d'eau. Chacune a sa sœur jumelle, aucune ne manque à l'appel. 3 Un ruban rouge : ce sont tes lèvres ; ta bouche est ravissante. Derrière ton voile tes pommettes ont la rougeur d'une tranche de grenade.
    Cette solitude d’Adam, comme son émerveillement, dit combien l’être humain (autant l’homme que la femme), combien nous sommes tiraillés entre notre besoin d’être uniques, singuliers, au risque de n’être jamais compris et aimés, et le besoin de faire partie d’un groupe, d’une équipe, d’un couple ou d’une famille. Nous avons en même temps besoin de nous distinguer du troupeau et d’en faire partie, d’être uniques et en même temps englobés, protégés, intégrés.
    Oui, il y a cette faille en nous, dès le jardin d’Eden, et encore en nous aujourd’hui. Elle fait partie de notre humanité, et Dieu n’a pas voulu la supprimer, l’ôter, parce que cela aurait ôté notre humanité, c’est-à-dire notre besoin, notre envie d’entrer en relation.
    Cette faille appartient à la vie elle-même. Le vivant est fait en même temps de force, de rayonnement, de production, d’adaptation, et en même temps de changement, de vulnérabilité, d’inachèvement, d’incomplétude. Dieu n’a pas voulu ôter cela de la vie. Il n’a pas voulu nous blinder. Il a préféré nous donner un autre semblable avec lequel partager ces vulnérabilités et cette incomplétude.
    C’est vrai, en fait, quand se rapproche-t-on le plus de quelqu’un et en même temps de nous-mêmes ? N’est-ce pas quand on trouve une âme sœur avec laquelle partager ses faiblesses, ses soucis, ses failles et ses vulnérabilités ? Ne vivons-nous pas nos moments les plus heureux lorsque nous pouvons montrer à un autre ce qu’il y a le plus au fond de nous-mêmes ? Lorsque nous pouvons nous ouvrir sans avoir peur, sans avoir honte de nous-mêmes, parce que nous nous sentons accueilli par l’autre, avec bienveillance, sans jugement (Mt 7:1-2), avec un cœur ouvert ?
    N’est-ce pas cette nudité du cœur qu’évoque le récit lorsqu’il dit du paradis qu’il est cet endroit (ou ce moment) où l’homme et la femme se sont dévoilés l’un à l’autre et qu’ils n’éprouvent aucune gène ? Dieu a placé l’être humain dans un jardin pour qu’il soit possible de vivre cette ouverture.
    Dieu a créé l’être humain, homme et femme, différents mais complémentaires, pour qu’aucun des deux n’aie la tentation (mais combien de fois l’humanité est-elle tombée dans le panneau ?) de penser qu’un seul des deux peut représenter à lui seul toute l’humanité.
    Dieu a créé l’être humain avec cette faille bienheureuse de ne pas être tout à lui tout seul, afin de trouver avec l’autre de quoi se compléter et vivre les pages heureuses de son existence. Dieu nous a laissé avec cette faille pour que nous découvrions qu’elle est — en fait — une bénédiction lorsque nous nous ouvrons à la présence de notre prochain.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Genèse 2. L’intention divine première c’est de bénir la terre et les humains qui y habitent.

    Genèse 2
    6.7.2014
    L’intention divine première c’est de bénir la terre et les humains qui y habitent.
    Genèse 2 : 4-15     Esaïe 55 : 6-13     Jean 4 : 10-14

    Télécharger le texte : P-2014-07-06.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Je vous propose pour les dimanches de cet été de nous plonger dans les récits de création que la Bible nous offre. Dans la plupart de nos confessions de foi, — notamment le Symbole des apôtres que nous trouvons à la dernière page de nos psautiers — nous déclarons : « Je crois en Dieu, créateur du ciel et de la terre. » Que voulons-nous dire par là ?
    Affirmons-nous que Dieu a créé le monde de ses propres mains ? Qu’il a conçu le plan de chaque atome du tableau périodique des éléments ou qu’il a inventé chaque plante et chaque animal ? Croyons-nous que Dieu a créé le monde en 6 jours, il y a quelques 6'000 ans ?
    Certains chrétiens le pensent. On dit alors qu’ils sont « créationnistes. » Ils remplacent le discours scientifique par le discours biblique, croyant que la Bible explique comment Dieu a créé le monde.
    Je n’arrive pas à me retrouver dans leurs théories. Je crois que la Bible nous dit autre chose que le « comment » des choses. Je crois que la Bible nous dit le « pourquoi » des choses, ou encore le « pour quoi », le « en vue de quoi » de la vie et du monde.
    Comment donc penser, et pouvoir confesser, Dieu créateur, sans être créationniste, en acceptant que la science dit des choses correctes sur l’origine de l’univers et de la vie sur terre ? Je crois que c’est possible en nous attachant au sens et à l’intention. La Bible nous dit l’intention qu’il y a derrière la présence du monde. Il nous dit le sens de l’existence, de notre présence sur terre et c’est une explication qui a une autre valeur que l’explication scientifique. Deux explications qui peuvent être juxtaposées sans que ni l’une ni l’autre ne perde de sa qualité ni de son sens, parce qu’elles ont des rôles différents.
    Je vais l’expliquer par un exemple concret qui porte aussi sur deux explications concernant une question d’origine. Lorsqu’un enfant demande à ses parents « Pourquoi est-ce que je suis là ? » Les parents ont le choix entre deux explications. Ils peuvent se lancer dans l’explication biologico-chimique : « Tu sais, lorsque le spermatozoïde rencontre l’ovule… etc… » Ou bien ils peuvent se lancer dans une explication de leurs intentions. « Tu sais, ta maman et moi, nous avions très envie d’avoir un enfant… »
    Les deux explications sont justes, pertinentes, exactes. L’une est scientifique, mais froide. L’autre est poétique, mais pleine de sens et de promesse pour l’enfant, elle va le soutenir dans son être et sa joie de vivre.
    Les récits bibliques de création sont de ce deuxième ordre : poétiques et plein de promesse. Lorsque nous disons que Dieu a créé le ciel et la terre, nous formulons un énoncé poétique qui nous rappelle que Dieu a une intention pour le monde et pour nous, il a un projet pour l’humanité et ce projet passe par notre vie sur cette planète terre.
    Le livre de la Genèse nous présente deux récits de création. Celui du chapitre 1 — un grand poème en 7 strophes pour 7 jours — remonte à l’époque de l’Exil à Babylone. Nous y reviendrons ultérieurement.
    Le récit des chapitres 2 et 3 est plus ancien et plus composite. On le sens plus fruste dans l’explication pratique, mais il est riche par contre d’une dramatique humaine qu’il dessine autour du bien et du mal.
    Le fait même d’avoir deux récits incompatibles entre eux au niveau factuel du « façonnage de la terre » devrait renvoyer les créationnistes à leur étude du texte biblique.
    Que nous dit le récit le plus ancien de l’intention divine pour l’être humain et le monde ? (En fait, je vais réserver la part sur l’être humain pour dimanche prochain.)  Que nous dit ce récit de Genèse 2 sur le monde ? Ce récit utilise l’eau comme une métaphore pour nous parler du monde.
    Il y a un état premier où la terre est sèche. Elle existe, mais rien ne pousse, c’est pire qu’un désert. Il n’y a ni arbuste, ni herbe, ni être humain.
    Dans un deuxième état, il y a une sorte de brouillard, de brume qui s’élève de la terre pour l’irriguer. Mais il n’y a toujours pas de végétation.
    Il faut un acte de Dieu pour y implanter l’homme, puis la végétation. L’homme est là pour cultiver cette végétation. Ensuite le récit s’interrompt pour parler géographie. Une sorte de parenthèse, un paragraphe copié-collé ici dont on ne connaît pas l’origine.
    Il situe l’Eden (vers l’est) et le donne comme la source d’un fleuve qui traverse le jardin et en sort en se séparant en quatre bras pour irriguer la terre. Deux fleuves ne sont pas identifiés et deux autres, le Tigre et l’Euphrate, sont connus, c’est le croissant fertile.
    Ce paragraphe lie le jardin et la terre habitée à la même source, unique, qui vient de l’Eden. L’eau voulue par Dieu va donner la vie, pas seulement au jardin — on anticipe le drame de Genèse 3 — mais à la terre entière, les territoires connus comme les territoires inconnus. 
    Il y a là l’affirmation d’une bénédiction première et universelle. Quoi qu’il se passe dans l’histoire humaine, la vie et la bénédiction sont premières. On sait déjà — parce qu’on connaît la suite, et tout être humain sait qu’il n’habite plus le jardin d’Eden — que la vie est difficile sur la terre. Mais ce récit de création affirme que cette vie difficile s’inscrit dans un cadre qui est fait de bénédiction. 
    Une façon de dire déjà que des limites sont posées face au mal et au malheur. L’intention divine première c’est de bénir la terre et les humains qui y habitent. A l’origine, il y a une bénédiction et à l’horizon, il y a la promesse d’un pays où habiter. C’est le cadre de la création. (On verra dans la lecture du poème de Genèse 1 à quel point le caractère « habitable » de la terre est souligné).
    Ainsi, ce récit, le plus ancien, confesse que le monde n’est pas le résultat d’un accident, mais d’une intention. Ce récit montre que l’être humain ne naît pas non plus accidentellement. Le monde est là pour accueillir l’être humain et sans lui le monde est comme en attente. Le monde est l’objet de la bénédiction divine, depuis le début. Nous ne sommes pas un accident de l’histoire, tombés par malheur dans un monde maudit.
    Comme des parents peuvent dire à leur enfant : « Nous avons souhaité que tu nous sois donné et nous sommes heureux que tu sois là et grandisse avec nous » dans ces récits de création, c’est comme si Dieu nous disait : « J’ai disposé le monde pour vous accueillir et j’ai souhaité que vous soyez là pour y habiter. Je suis heureux que vous puissiez y vivre sous mes yeux. »
    Voilà ce que nous confessions lorsque nous disons : « Je crois en Dieu, créateur du ciel et de la terre. »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014