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Christianisme - Page 24

  • Jean 3. Regarder le mal en face (Typologie V)


    Jean 3
    15.9.2013

    Regarder le mal en face (Typologie V)
    Nombres 21 : 4-9        Jean 3 : 12-18

    Télécherger la prédication : P-2013-09-15.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,
    Quand on entend cette phrase de l’Evangile de Jean : « De même que Moïse a élevé le serpent de bronze sur une perche dans le désert, de même le Fils de l’Homme doit être élevé » (Jn 3:14) c’est comme si on regardait à travers une fenêtre qui nous fait remonter de près de 2'000 ans en arrière. On y voit comment la communauté rassemblée autour de l’apôtre Jean interprétait l’Ancien Testament et comment elle comprenait le destin mystérieux de Jésus.
    Il faut bien s’imaginer que les premiers chrétiens ne disposaient pas comme nous des Evangiles, puisqu’ils étaient en train de les composer. Ils se racontaient les événements de la Passion et de la vie de Jésus, et ensemble, en communauté, ils essayaient de les comprendre, d’en saisir le sens et la portée. Ils le faisaient en puisant dans l’Ecriture disponible, c’est-à-dire l’Ancien Testament. Et c’est ainsi qu’ils ont mis en relation ce récit assez obscur du livre des Nombres avec la Passion de Jésus.
    La communauté johannique essaie de comprendre la relation entre ce qui est terrestre et ce qui est céleste. Comment Jésus fait-il le lien entre le haut et le bas, la terre et le ciel, Dieu et les humains ? Comment ces deux univers se rejoignent et en même temps se séparent ?
    Ce récit du livre des Nombres nous donne quelques pistes. Le serpent représente ce qui est terrestre, obscur, ce qui vient des profondeurs, des ténèbres, le négatif. Le serpent apporte la mort par sa morsure, comme par sa ruse et sa tromperie dans le récit d’Adam et Eve devant l’arbre.
    A l’opposé, Jésus vient du ciel, il apporte la lumière et le salut, il représente tout ce qui est positif. Et pourtant ,Jean met le serpent et Jésus en parallèle : «  de même que le serpent… de même le Fils de l’Homme doit être élevé. » Jean les superpose, qu’est-ce que cela signifie ?
    Que se passe-t-il dans le récit de l’Ancien Testament ? Si l’on essaie de sortir de l’anecdotique, de la situation matérielle, que signifie ces gestes, ce procédé ? Pour parer à une attaque du mal, Dieu demande à Moïse de placer ce mal-même sur une perche pour que tout le monde puisse le regarder, avec pour but de guérir ceux qui le regardent. C’est une façon de regarder le mal en face, pour y échapper.
    L’attitude opposée, c’est de faire comme si le mal n’existait pas, en espérant y échapper. C’est quelque chose que nous faisons facilement. On a peur d’aller chez le médecin, de crainte qu’il ne nous trouve une maladie. On refuse de voir que notre relation avec quelqu’un se dégrade, de sorte qu’on ne fait rien pour la corriger et améliorer les choses et en effet elle se détériore. Cela s’appelle le déni.
    Le récit de l’élévation du serpent au désert nous invite à sortir du déni pour embrasser les problèmes à bras-le-corps pour les corriger et les résoudre. Le salut est dans le fait de voir ce qui nous fait mal et de pouvoir le corriger. Cela à un niveau terre-à-terre, pour éviter de mettre la poussière sous le tapis.
    Comment cela se passe-t-il au niveau céleste, avec Jésus ? L’Evangile de Jean nous dit que c’est la même chose. Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal qui nous ronge, le mal que nous subissons et le mal que nous commettons, afin d’en être délivré.
    C’est osé pour Jean de nous dire — entre les lignes — que Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal en face ! Enfin quoi, Jésus n’est pas le mal !
    Non, il n’est pas le mal, mais il est le miroir de notre mal, comme le prophète Esaïe l’avait annoncé : « il s’est laissé mettre au rang des malfaiteurs, alors qu’il avait pris sur lui toutes nos fautes » (Es 53:12).
    C’est le mal que nous faisons, qui est exposé sur la croix. Jésus est la figure de toutes les victimes, de tous ceux qui sont bafoués, persécutés, blâmés. Par cette comparaison avec le serpent d’airain, Jean fait apparaître les deux faces de la croix : mort et élévation, jugement et salut, châtiment et libération, mort et résurrection.
    Sur la croix, c’est le mal, le malheur et toute la violence humaine qui est montrée au monde : voici à quoi aboutit l’accumulation de toutes nos petites fautes qui apparaissent dérisoires prises une à une, mais qui finissent par créer un monde irrespirable et invivable où le plus faible finit par être évincé, exclu, éliminé.
    Mais sur la croix se voit aussi le don de Dieu. Dieu fait don à l’humanité du remède contre le mal. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique… » (Jn 3:16). Dieu a accepté que son Fils descende sur la terre et prenne le risque d’être mis à mort pour révéler la nature violente de nos comportements.
    Regarder la croix de Jésus, c’est voir le mécanisme du mal qui s’abat sur lui, comment les hommes se liguent contre celui qui leur tend un miroir…
    Regarder la croix et la Passion de Jésus, c’est voir le mécanisme de la violence humaine à l’œuvre et peut-être, on l’espère, apprendre de cette vision à reconnaître ce mécanisme dans le temps présent, chaque fois que la violence s’abat sur un faible.
    Voir chaque fois que les puissances — aujourd’hui elles sont économiques — broyent des petits dans des horaires de travail impossible. Voir en notre cœur chaque fois que le blâme prend la place de la compassion. Voir chaque fois que l’institution entrave les relations interpersonnelles.
    Regarder la croix nous permet d’adopter une attitude conforme à celle de Jésus qui fait passer l’amour, l’agapè, avant toute autre considération.
    Voir la croix comme le lieu de l’élévation de Jésus comme sauveur, c’est accepter qu’il nous guérisse de tout germe de violence, de haine, de racisme, pour nous ouvrir à l’accueil et à l’amour les uns à l’égard des autres. C’est à cet amour-là — non-violent et accueillant — que le Christ nous invite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 45. Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)

    Genèse 45
    8.9.2013

    Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)

    Genèse 37 : 1-9      Genèse 45 : 1-10     Marc 9 : 33-37
    Télécharger la prédication : P-2013-09-08.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    J’aime beaucoup cette histoire de Joseph, le fils de Jacob. Cette histoire nous parle de la vie, de la vie réelle, avec ses hauts et ses bas, les relations difficiles, les chutes et les ascensions vertigineuses.
    Précisément, cette histoire nous parle de la jalousie dans une fratrie, de la haine et du rôle de bouc émissaire quand les frères veulent tuer Joseph, et finalement le vendent comme esclave. Cette histoire parle du travail qui fait progresser et de l’injustice qui fait chuter, Joseph se retrouve en prison. Cette histoire nous parle de compétence et de réseau social quand la capacité à interpréter les rêves fait sortir Joseph de prison et l’amène devant Pharaon qui le nomme premier ministre.
    Ce récit nous parle de relations familiales difficiles, de mise à l’épreuve pour sonder les intentions, de tentatives de réconciliation, de savoir s’il faut ou non montrer ses émotions, de remplacer la rancune par la générosité.
    Ce récit peut donc être lu comme un enseignement sur la vie, comme une histoire déployant une certaine sagesse, dont nous pouvons tirer des leçons pour notre vie. Mais cette histoire n’est pas seulement cela. Cette histoire peut également se lire à un deuxième niveau, en regardant ce qui donne la force à Joseph de tout supporter et de surmonter les événements contraires, les malheurs. Oui, comment supporter la haine de ses frères, comment supporter d’être injustement jeté en prison, comment rester zen à ce point ?
    Joseph peut le faire parce qu’il regarde ce qui lui arrive d’une façon différente de l’ordinaire.
    Reprenons les rêves d’adolescent que Joseph raconte à ses frères : les onze gerbes de blé et les onze étoiles figurent ses frères qui se prosternent devant lui. Les frères lisent cela au premier degré : Joseph veut devenir leur maître, il veut que ses frères, ses aînés, soient ses serviteurs. Et cela les rend fous et on les comprend.
    La lecture que Joseph fait de ces rêves n’a rien à voir avec la domination. La clé nous en est donnée dans le chapitre 45 de la Genèse, lorsque Joseph dit à ses frères : «  Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de Pharaon. » (Gn 45 :8) En effet, ici le rêve de Joseph s’est réalisé, ses frères se sont prosternés devant lui pour obtenir du blé, mais c’est dans une perspective de salut et pas de domination.
    Joseph ajoute encore — laissant tomber toute rancune : « Ne vous faites pas de reproches pour m’avoir vendu ainsi. C’est Dieu qui m’a envoyé ici à l’avance, pour que je puisse vous sauver la vie. » (Gn 45 :5).
    Joseph ne regarde pas la jalousie et la haine passée de ses frères, il voit la trame sous-jacente de sa vie, comment Dieu a tout organisé pour sauver sa famille. Joseph surmonte tous les obstacles parce qu’il fait pleinement confiance en Dieu, en un Dieu qui le soutient et le relève à chaque étape de sa vie.
    Joseph arrive à avoir et à garder ce regard sur sa vie. C’est le regard qu’essaient de nous donner les Evangiles en nous racontant la vie de Jésus. Un regard qui voit comment Dieu agit, quelles positions Dieu prend dans la vie, pour nous. Et c’est là que nous pouvons faire des parallèles entre la vie de Joseph et celle de Jésus, des parallèles qui viennent de la constance de l’action de Dieu, de sa position permanente. C’est ce que nous apprend la lecture typologique de la Bible, comme nous l’avons déjà vu précédemment.
    Comme les frères de Joseph complotent pour le faire mourir, les prêtres et les pharisiens complotent contre Jésus pour le faire mourir.
    Comme Joseph est écarté, exclu de sa fratrie, Jésus est écarté, exclu de la société des hommes par sa condamnation à mort, « La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle » (Mt 21:42; Mc 12:10; Lc 20:17; Ac 4:11; 1 P 2:7).
    Comme Joseph devient le sauveur de ses frères, Jésus devient le sauveur de l’humanité.
    Dans les deux récits de vie, on voit la position que Dieu prend. Celui que les hommes écartent, Dieu lui donne une place de choix ; celui qui tombe, Dieu le relève. Et là, il est à noter que les évangiles utilisent deux mots pour parler de la résurrection, tantôt Dieu réveille Jésus, tantôt Dieu relève Jésus de la mort.
    Ainsi Dieu cherche toujours à nous relever de nos malheurs, de nos échecs, des injustices qui nous arrivent. Le Dieu de Joseph, auquel il fait confiance, est un Dieu qui recueille les exclus, les laissés pour compte, les méprisés.
    Vous avez entendu Jésus parler à ses disciples quand il les surprend à se demander lequel d’entre eux est le plus important. Il leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9:35).
    Dieu a une autre échelle de valeur que celle de notre société actuelle. L’importance ne dépend pas de la célébrité ou du nombre d’amis sur Facebook. La vraie grandeur se révèle dans le service et souvent dans le service le plus humble, le moins visible.
    Ah si notre société donnait plus de valeur à l’attention d’une maman pour chacun de ses enfants ! Ah si notre société donnait plus de valeur aux gestes de respect des uns envers les autres, on verrai moins d’incivilités ! Ah si notre société donnait plus de signes de reconnaissance à ceux qui exercent des fonctions publiques indispensables au bon fonctionnement de la société : enseignant, gendarmes, infirmières, voyers, caissières, personnel des EMS, etc…
    Ces fonctions de service, si souvent méprisées, Dieu les place en haut de l’échelle des valeurs et nous pouvons nous aussi leur donner une plus juste appréciation.
    Joseph a su voir, dans sa vie, la valeur que Dieu donne à ces services, à ces personnes méprisées et cela lui a donné la force de tenir, de surmonter le malheur, jusqu’au retournement de sa situation.
    Saurons-nous avoir le courage de lire la trace de Dieu dans nos vies, la valeur qu’il donne à chacun de nos gestes ?  Saurons-nous voir comment il retourne les valeurs dans nos vies, comment il peut changer notre regard pour adopter la valeur que lui-même donne plutôt que le mépris qu’affiche la société ? Saurons-nous voir comment Dieu travaille à nous relever, à nous redonner vie et force pour avancer ? Saurons-nous être fiers d’être au service de la société, sachant que Dieu — à défaut des hommes — que Dieu apprécie à sa juste valeur ce que nous faisons et ce que nous sommes ?
    Amen.
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Exode 14. La mort est engloutie (Typologie III)

    Exode 14
    25.8.2013
    La mort est engloutie (Typologie III)
    Exode 14 : 5-31     1 Corinthiens 15 : 51-58

    Télécharger la prédication : P-2013-08-25.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Je continue ma série de l'été qui nous permet de voir comment l'Ancien Testament éclaire certaines paroles du Nouveau Testament et leur donne une dimension plus compréhensible. Cela demande d'entendre les récits de l'Ancien Testament davantage comme des images de notre vie et moins comme des reportages historiques.
    Pour ce matin, j'ai choisis cette parole de l'apôtre Paul qui dit "La mort a été engloutie dans la victoire du Christ" (1 Co 15:54). L'apôtre Paul — dans son annonce de l'évangile —  met la mort et la résurrection de Jésus au centre de son message. C'est sur la croix que tout se joue pour nous. C'est vraiment difficile à comprendre et à croire pour nous aujourd'hui.
    Que veut dire "la mort est engloutie" ? Il est important de s'en faire une idée, puisque c'est ce que nous disons qu'il se passe dans le baptême. Sur la croix, la mort a été engloutie.
    Pour comprendre cette notion, il faut aller voir le récit de l'Ancien Testament que vous avez entendu, sur le passage à pied sec de la Mer Rouge par les hébreux, sous la conduite de Moïse. Souvenez-vous, depuis Joseph, le fils de Jacob, le peuple hébreu habitait dans le delta du Nil, en Egypte. Le peuple s'est développé au point que le pharaon l'a vu comme une menace et l'a réduit en esclavage. Le pharaon a soumis les hébreux à de lourdes corvées, au point de les mener à la révolte.
    C'est Moïse qui mène la révolte et négocie avec le pharaon le départ des hébreux, d'où la célèbre chanson "Let my people go", "Laisse aller mon peuple." Pharaon finit par céder, laisse partir le peuple d'Israël, mais se ravise et se met à les poursuivre avec son armée. Ici commence le récit que vous avez entendu.
    Le peuple a peur, il fait des reproches à Moïse, à quoi bon nous libérer d'Egypte si c'est pour mourir au désert, il y avait assez de tombeaux en Egypte. Sortons de l'histoire d'il y a 3'000 ans pour voir à quel aspect de nos vies ce récit ressemble.
    Parfois, on se trouve à un tournant dans nos vies. On doit quitter une situation établie pour une autre que nous espérons meilleure, Quitter un logement pour un autre. Espérer un autre emploi après avoir été licencié. Et nous vivons des sentiments ambivalents. A un moment nous nous réjouissons de l'avenir, ce sera mieux, il y aura de la place, ce sera plus intéressant.
    Et par moments, nous sommes remplis d'inquiétude, est-ce que ça va jouer, ne devrais-je pas regretter le connu que j'abandonne pour de l'inconnu ? Regrets de ce qu'on quitte et peur de ce qui doit venir. Cela aussi nous habite.
    Ainsi, nous sommes le peuple en marche vers l'inconnu, avec une armée de soucis et d'inquiétude à nos trousses, avec nos interrogations : ai-je fait le bon choix, vais-je réussir ou échouer, vais-je tenir la pression, le stress ?
    A chacun de donner un nom à cette armée qui nous poursuit dans le chenal que Moïse a ouvert devant nous dans la Mer Rouge. A chacun de donner un nom à la terre promise qui nous attend après la traversée du désert. A chacun de nous de donner un nom à la force qui ouvre un chemin devant nous et qui engloutit derrière nous les soucis, les angoisses ou le désespoir qui nous poursuivent.
    Comme chrétiens, nous entendons comme venant de Dieu les paroles de Moïse à son peuple : "N'ayez pas peur, tenez bon et vous verrez comment le Seigneur interviendra." (Ex 14:13) Le Seigneur intervient pour ouvrir une voie devant nous. Une route qui éloigne des tombeaux de l'Egypte et qui nous conduit à la vie, à une vie vraie, enrichissante. Cette traversée, de la mort vers la vie, nous la symbolisons dans le baptême en Christ.
    L'eau du baptême, nous la recevons comme l'eau de la Mer Rouge, que nous traversons vers la vie et qui vient engloutir tout ce qui nous poursuit, qui vient engloutir le mal que nous traînons derrière nous. Evidemment, lorsque nous baptisons un tout petit enfant, nous ne pensons pas à ce qui l'encombre maintenant, mais plutôt aux fardeaux qu'il accumulera petit à petit, comme nous l'avons fait nous-mêmes jusqu'à maintenant. 
    En nous rappelant notre propre baptême, nous pouvons demander à Dieu de nous faire — à nous aussi — traverser à nouveau la Mer Rouge pour qu'il noie derrière nous tout ce qui nous encombre et nous freine. Pour noyer, engloutir tout ce qui nous retient dans notre Egypte intérieure et nous empêche de marcher, de progresser vers la terre promise. Pour noyer, engloutir nos angoisses et nos peurs, pour pouvoir marcher dans la confiance et la sérénité. Pour noyer, engloutir tout ce que nous n'arrivons pas à nous pardonner à nous-mêmes.
    Sur la croix, le Christ a à nouveau traversé cette Mer Rouge pour que la mort elle-même soit engloutie, anéantie, pour que tout ce qui doit mourir en nous soit emporté avec le Christ sur la croix, afin que nous recevions la vie, la vraie vie, la vie en abondance.
    "N'ayez pas peur, tenez bon, Dieu nous donne la victoire en Jésus-Christ." (Ex 14:54 et 1 Co 15:57) Si nous acceptons de faire ce chemin avec lui, à entrer dans ce chemin de la Mer Rouge, à faire le saut de la foi, alors Dieu engloutira derrière nous tout ce qui nous fait peur, tout ce qui nous angoisse, toutes nos fautes, pour nous conduire dans une vie libérée et joyeuse. 
    Oui, Dieu ouvre devant nous un avenir et nous pouvons avancer à notre tour avec cette confiance qu'un chemin se dessine sous nos pas et que Dieu engloutit derrière nous — en Christ — nos peurs et nos angoisses.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 22. D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

    Genèse 22
    18.8.2013
    D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

    Genèse 22 : 1-14    Hébreux 11 : 11+17-19     Jean 1 : 24-31
    Télécharger la prédication : P-2013-08-18.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans ma série de l’été sur la lecture typologique de la Bible, nous embarquons ce matin dans un des textes les plus difficiles de l’Ancien Testament, la ligature d’Isaac, titre préférable — et utilisé par les juifs — au sacrifice d’Isaac, parce que justement ce sacrifice n’a pas eu lieu.
    Un mot d’abord sur la lecture typologique. C’est la lecture qui a été pratiquée par la première Eglise, avant la rédaction du Nouveau Testament et poursuivie plus tard, qui consiste à chercher dans l’Ancien Testament ce qui est dit du Christ et de son destin. Le Père de l’Eglise Irénée disait : « Partout dans l’Ecriture se trouve disséminé le Fils de Dieu » (Contre les hérésies, IV, 20 et 39). Chercher la présence du Christ dans l’Ancien Testament donne une saveur au texte et à la recherche, et contribue à éclairer notre compréhension des mystères du Christ.
    Voyons comment cela peut apparaître avec le récit de Genèse 22. Une première lecture du récit, avec les lunettes du XXIe siècle nous fait apparaître des personnages aux comportements inacceptables ! Quel père indigne, quelle image de maltraitance que de soumettre un enfant à un simulacre d’exécution !
    Mais la Bible n’est pas un journal du matin, ce récit n’est pas un reportage. Le texte est le fruit d’une histoire et d’une longue réflexion qui expose une construction théologique, que nous allons nous efforcer de comprendre.
    S’il est effectivement choquant que surgisse la demande d’un sacrifice humain, il faut relever que le récit est justement construit pour l’éviter, puis pour condamner la pratique des sacrifices humains. Ce but a sûrement été la première raison de la rédaction de ce récit : Dieu ordonne de sacrifier un animal, pas un humain.
    Le récit de la ligature d’Isaac est donc un récit sur la substitution, sur l’échange : la vie humaine est sauvée par son remplacement par la vie animale, un bélier ou un agneau. Cela a probablement été le « premier travail » du Dieu d’Israël d’abolir les sacrifices d’enfants (Michée 6:7) qui étaient pratiqués dans la religion phénicienne ou celle du dieu Moloch. L’institution du Temple et des sacrifices animaux en découle. C’est un net progrès de la vie religieuse, mais cette économie du sacrifice reste une économie de marchandage entre l’être humain et Dieu. « Je te sacrifie cela, mais alors donne-moi ceci… » ou « Si tu me donnes cela, alors je te sacrifierai ceci… » Vous connaissez ces marchandages qu’on fait avec Dieu quand on est pris dans une situation inextricable.
    Est-ce vraiment le type de relation que Dieu veut entretenir avec nous ? Est-ce que ces marchandages suffisent à tenir éloignée de nous l’angoisse d’en faire assez, d’être à la hauteur ou d’être assez juste devant Dieu ? Soyons honnêtes, cette économie du marchandage religieux ne peut qu’aboutir à notre désavantage devant Dieu. Qui peut se prétendre sans tache, sans péché ?
    La substitution d’Isaac par le bélier annonce l’intention de Dieu de sauver l’être humain, mais pas seulement d’éviter d’être sacrifié, mais aussi d’être sauvé de l’angoisse de l’insuffisance, d’être sauvé de la mort pour vivre, d’être réhabilité dans la présence de Dieu. Ainsi, cette substitution d’Isaac annonce une nouvelle substitution et un nouvel échange, celui du Christ. Et c’est là que nous pouvons repérer les similitudes entre ce récit et celui de la Passion de Jésus énoncées dans le Nouveau Testament. Isaac et Jésus sont dit « fils unique » ; ils se soumettent tous deux à la volonté de leur père. Abraham arrive sur la montagne le troisième jour (Gn 22:4). Jésus porte sa croix comme Isaac porte le bois du sacrifice. Il y a substitution d’Isaac par le bélier. Une substitution a lieu avec Jésus-Christ. Cette substitution est exprimée de différentes façons dans le Nouveau Testament.
    On peut mentionner la phrase de Caïphe que j’ai mentionnée dimanche passé : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt plutôt que tout le peuple. » (Jn 18:14) Cette phrase de l’Evangéliste Jean est à double sens. Elle dit aussi bien l’utilité pragmatique qu’y voit Caïphe que la vérité théologique de la substitution : en effet, la mort de Jésus remplace la mort de toute l’humanité. Et on peut mentionner le personnage de Barrabas (Jn 18:40) qui a la vie sauve parce qu’il est remplacé par Jésus comme condamné à mort.
    Et puis, il y a l’annonce de Jean-Baptiste qui dit à propos de Jésus : « Voici l’agneau de Dieu. » (Jn 1:29) Cela donne l’impression que Jean-Baptiste fait une substitution inverse du récit de Genèse 22 : l’agneau du sacrifice redevient un être humain. Mais justement, le récit de la ligature d’Isaac nous interdit ce retour en arrière. Dieu ne va pas défaire ce qu’il a fait précédemment. La mort de Jésus n’est pas un sacrifice humain. Il y a bien une substitution, mais elle est d’homme à homme, d’être humain à être humain et pas sur le mode du sacrifice.
    Je reviens un peu en arrière. Nous avons vu que le mode de fonctionnement du Temple est un système de marchandage ou de rétribution. Il a fallut mettre cela en place pour supprimer les sacrifices humains. Cet échange était une bonne chose, mais ce n’est pas l’idéal auquel Dieu voulait aboutir. Il y a encore un changement à faire.
    En fait Dieu — et on le voit abondamment chez les prophètes, quand ils disent, ce ne sont pas les sacrifices, mais la justice que je demande (Prov 21:3, Es 1:10-17, Michée 6:6-8) — Dieu souhaite sortir du système des sacrifices pour arriver à un autre mode de relation, sur le mode de la justice et de la confiance. C’est la confiance, la foi, que Dieu cherche, pas la soumission par le marchandage et la rétribution.
    Pour arriver à une relation de confiance entre l’être humain et Dieu il faut sortir de l’économie du Temple, il faut sortir du tribunal où tout se paie. Pour sortir de ce système marchand, il faut effacer l’ardoise et repartir sur une autre base. Ce n’est pas le débiteur qui peut effacer l’ardoise, mais seulement le créancier, en donnant un gage de sa bonne volonté, de sa bonne foi. Et Dieu l’a fait en se donnant lui-même à l’humanité, sous la forme de ce qu’il a de plus précieux, son fils unique. Ainsi, Dieu lui-même opère la deuxième substitution, notre dette contre son bien le plus précieux. C’est ce qu’on exprime lorsqu’on dit que Jésus est mort à notre place, qu’il est mort pour nous. Ce n’est pas un sacrifice, c’est un don. Cela ne relève plus de l’économie marchande du Temple, mais de l’économie non-marchande de l’amour.
    Ainsi, ce que nous apprennent ensemble Genèse 22 et le Nouveau Testament, c’est que deux substitutions successives — Isaac remplacé par le bélier, l’humanité remplacée par Jésus-Christ — ont produit le changement voulu par Dieu : quitter le domaine du marchandage religieux pour entrer dans une relation nouvelle avec Dieu,  une relation marquée par le don et plus par la dette; une relation marquée par l’amour et plus par la peur; une relation marquée par la reconnaissance et plus par le sacrifice ; une relation marquée par la vie et plus par la mort.
    La ligature d’Isaac remplace le sacrifice humain par le sacrifice animal, mais reste dans le système de rétribution. Jésus, qui donne librement sa vie pour remplacer tous les sacrifices et les marchandages avec Dieu, ouvre une relation nouvelle avec Dieu, une relation faite de confiance et d’amour réciproque. Ainsi la Passion du Christ nous révèle la nouvelle nature de la relation à Dieu, une relation d’amour.
    Dimanche prochain, nous traverserons la Mer Rouge avec Moïse et nous verrons ce que ce récit apporte à notre compréhension du baptême.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 4. Abel, figure du Christ (Typologie I)

    11.8.2013
    Genèse 4
    Abel, figure du Christ (Typologie I)

    Genèse 4 : 2b-11       Luc 24 : 25-27

    Télécharger la prédication : P-2013-08-11b.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui et les prochains dimanches de cet été, je vais vous entraîner dans la redécouverte d'une très ancienne façon de lire les textes bibliques, une méthode qui s'appelle la "typologie." Nous allons reprendre des textes de l'Ancien Testament pour voir ce qu'ils nous apportent comme compréhension nouvelle du Nouveau Testament et particulièrement de la personne et du ministère de Jésus.
    Cette lecture "typologique" de l'Ancien Testament a été, en fait, la lecture de la première Eglise. C'est tout ce qu'elle pouvait faire avant la rédaction du Nouveau Testament. Comment cette première Eglise, issue des apôtres, pouvait-elle comprendre la vie et la mort de Jésus, si ce n'est en allant puiser dans les textes de la tradition juive, la Torah et les prophètes ? Et c'est bien cette méthode qui apparaît dans le récit des disciples d'Emmaüs, dans le passage qui vous a été lu.
    Les deux disciples marchent en compagnie de Jésus qui est encore incognito. Ils ne comprennent pas la mort tragique de Jésus à Jérusalem. C'est alors que Jésus leur révèle la clé, la source de la compréhension de ce qui lui est arrivé : (ma traduction) "Vous serez dans l'ignorance, tant que vous ne vous mettrez pas à croire ce qu'ont déjà énoncé les prophètes." (Luc 24:25). Pour Jésus, l'Ancien Testament est une longue préparation à la compréhension de ce qui lui est arrivé.
    Et Luc continue son récit en décrivant ce que Jésus fait pour ces deux disciples : " En commençant par Moïse et en continuant par tous les prophètes, il leur expliqua tout ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Ecritures." (Luc 24:27). Voilà un catéchisme qu'il serait utile de posséder ! Jésus explique donc à ces deux disciples tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament, de la première à la dernière page.
    Tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament. Comment fait-il ? Parce que dans le texte littéral, dans les textes, il n'y a rien qui annonce directement la venue d'un Jésus. L'Ancien Testament n'est pas un livre de prévisions comme les horoscopes de Mme Soleil ou d'Elisabeth Tessier. Pourtant, la première Eglise s'est appliquée à la relecture de l'Ancien Testament et elle a trouvé. Elle a trouvé des récits, des événements et des personnages qui portent en eux une préfiguration du Christ.
    Pour faire cette relecture, il faut apprendre à lire ce qui est écrit entre les lignes, comme les héros de l'écrivain Dan Brown dans le Da Vinci Code ou dans Inferno. Il faut — et c'est souvent difficile pour nous les protestants — sortir de l'interprétation historique littérale, pour privilègier le sens symbolique. l'articulation du récit, ou les types de personnages qui apparaissent (d'où le nom de méthode "typologique.")
    C'est ce que je vous propose de faire ce matin avec le récit de Caïn et Abel. Ce récit fait partie des chapitres "mythologiques" de la Genèse, c'est-à-dire des récits qui visent l'universalité et pas la particularité du récit de vie individuelle. Il ne faut pas en faire une lecture historique et vouloir donner des dates de naissance à Adam et Eve, Caïn et Abel ou Noé.
    Dans le récit qui nous occupe, nous sommes face à des universaux, l'universalité de la rivalité ou compétition entre deux frères, l'universalité de l'injustice ou de l'infortune, l'universalité de la colère et de la violence, l'universalité du crime et du châtiment.
    C'est la façon dont le récit expose ces grands thèmes qui nous intéresse, et la possibilité d'établir des parallèles avec le destin de Jésus. C'est la voix de Dieu et sa position par rapport à ces thèmes universels qui vont être révélatrices des points communs entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
    Que voyons-nous dans ce récit : deux hommes qui ont des professions différentes — Abel est berger et Caïn cultivateur — ils font tous deux un même geste et ils obtiennent des résultats opposés, la réussite pour l'un, l'échec pour l'autre. Aucune explication, aucune raison ne sont données. On nous met juste devant cette réalité : de manière incompréhensible, le malheur tombe sur l'un plutôt que sur l'autre.
    Cette injustice ou cette infortune suscite la jalousie, la colère, l'envie de meurtre. Et le récit, par l'entremise d'un dialogue entre Dieu et Caïn, met en avant la possibilité d'un choix, d'une résistance à l'envie de meurtre. Mais ici, l'envie devient passage à l'acte. Caïn tue Abel.
    Mais le récit ne s'arrête pas là, il y a une parole divine qui sanctionne : "J'entends le sang de ton frère qu crie vengeance !" (Gn 4:10). La victime n'est pas oubliée, la mort n'efface pas l'injustice subie; on n'escamote pas l'injustice en faisant disparaître le corps. Et puis, une parole de condamnation est prononcée sur le criminel. Justice est rendue.
    Le récit de la Genèse évite deux solutions souvent utilisée dans la vie courante ou l'histoire. On trouve la première solution dans un récit similaire, celui de la fondation de Rome* par Remus et Romulus, où le bien de la cité, du plus grand nombre, justifie le meurtre de Remus. Justification qu'on retrouve dans la bouche de Caïphe pour demander la mise à mort de Jésus : "Il vaut mieux qu'un seul homme meurt plutôt que tous le peuple." (Jn 18:14). Le récit de Genèse 4 refuse le critère de l'utilité qui justifierait de commettre le mal pour obtenir un plus grand bien.
    La deuxième solution évitée est celle de blâmer la victime, dire qu'elle y est quand même pour quelque chose dans ce qui lui arrive. C'est ce que dit un des amis de Job. Le récit de Genèse 4 évite ces deux échappatoires.
    La position exprimée par le texte biblique — et qui est absolument parallèle au récit de la Passion de Jésus — 1) c'est que la victime est innocente, il ne peut rien lui être reproché qui l'aurait entraînée dans cette position de victime et justifierait ce qui lui arrive; 2) c'est que la victime est reconnue comme victime, ce n'est pas un dégât collatéral, ou ne nécessité malheureuse. Un meurtre est un meurtre; 3) le coupable est désigné comme tel, il n'est ni excusé, ni blanchi, il est coupable.
      Ces trois éléments se retrouvent aussi bien chez Abel que dans la Passion de Jésus, c'est pourquoi on peut dire qu'Abel est, dans l'Ancien Testament, une figure du Christ. Non pas parce que le rédacteur a eu une vision d'avance de ce qui allait arriver à Jésus, mais parce que Dieu est constant dans sa justice et que du début à la fin de la Bible, sa justice déclare innocent l'innocent et coupable le coupable.
    A partir de là, les disciples d'Emmaüs qui devaient être plein de doutes concernant Jésus, qui pouvaient se demander, comme Caïphe, s'il n'était pas préférable que Jésus meurt seul plutôt qu'avec tous les disciples ou tout Israël, ou bien qui pouvaient se demander ce que Jésus avaient fait de faux ou de mal pour mériter son châtiment, ces disciples d'Emmaüs peuvent comprendre, à la lumière de l'Ecriture, que des innocents meurent injustement, pas par leurs propres fautes, et que Dieu les réhabilitent.
    La résurrection — découverte dans le partage du pain — est le signe divin de cette réhabilitation, de cette déclaration d'innocence de Jésus par Dieu. Ainsi, par la relecture du récit de Caïn et Abel, les disciples d'Emmaüs peuvent commencer à comprendre le mystère de la mort de Jésus.
    Amen
    * Tite-Live, Histoire romaine 1, La Fondation de Rome, Livre 1, §VII, Paris, Les Belles Lettres, 2000, (Classiques en poche 25), p. 25-27.

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 44. Joseph, artisan d'une réconciliation fraternelle

    Genèse 44
    23.7.2000
    Joseph, artisan d'une réconciliation fraternelle

    Genèse 44 : 1-34    Genèse 45:1-7
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-23.pdf


    Chers amis,
    Le plan qu'a mis en place Joseph pour éviter la famine en Egypte, après les rêves de vaches grasses et de vaches maigres du Pharaon, fonctionne à merveille. L'Egypte a des réserves. Le pays joue son rôle de grenier pour ses habitants, même pour ceux des pays voisins.
    C'est ainsi que les frères de Joseph viennent s'approvisionner en Egypte, par deux fois. Cependant, chaque fois, ils sont en butte à des tracasseries, ou même pire. Etrangers et vulnérables, loin de chez eux, ils sont accusés, d'abord d'être des espions, puis d'être des voleurs.
    Le récit souligne cependant deux choses à propos de ces accusations. D'abord, qu'elles sont fausses. Les dix frères sont innocents, ils sont faussement accusés. Ensuite que ces accusations sont montées de toutes pièces par Joseph. C'est lui qui tire les ficelles. Il manipule ses frères. Alors, on peut se demander : Pourquoi Joseph fait-il cela ? Est-il sadique ? Cherche-t-il à se venger de ses frères ?
    On connaît assez bien ce mécanisme aujourd'hui, où celui qui a été victime répète la même violence, soit en retour contre les mêmes personnes, sous forme de vengeance ouverte (voire ce qui se passe au Kosovo où les victimes deviennent si facilement des bourreaux), soit contre d'autres personnes, sans même le savoir comme le font les victimes de violence ou d'abus. Ainsi, en filigrane, le récit attire notre attention sur le risque du phénomène de répétition : Joseph ne le fait-il pas deux fois, lors de chaque voyage ? C'est peut-être le côté ombre de Joseph ! Il ne peut s'empêcher d'être violent à son tour.
    Mais le texte ne s'arrête pas là. Ces pièges que dresse Joseph contre ses frères ont aussi une valeur de test. Joseph veut se rendre compte dans quelle mesure l'attitude de la fratrie est restée celle du temps de son expulsion, ou si cette attitude a changé. "Joseph soumet ses frères coupables [envers lui] en somme, à une tentation qu'ils connaissent bien puisqu'ils y ont déjà succombé [une fois], celle d'abandonner impunément le plus jeune et le plus faible d'entre eux."*
    Dans son deuxième piège, Joseph, d'abord par l'intermédiaire de son intendant, puis de sa propre bouche, propose une solution simple à ses frères pour s'en sortir :

    "le coupable seul deviendra mon esclave; les autres seront libres" (Gn 44:10 et 17)
    Les frères peuvent sauver leur peau, se sortir de cette situation périlleuse s'ils abandonnent leur jeune frère ! C'est là le test. Vont-ils choisir la lâcheté ou la solidarité ? D'un côté, il y a le chemin de la répétition du mal et de la culpabilité; de l'autre, il y a le difficile chemin de risquer de perdre sa liberté pour sauver l'unité de la fratrie, pour sauver la relation et la vérité de la relation.
    C'est Juda — au nom de tous ses frères probablement — qui affronte l'égal de pharaon et tente de sauver Benjamin. Il a choisi la voie de la solidarité. Il est prêt à prendre la place de Benjamin, comme esclave, plutôt que de l'abandonner en Egypte et provoquer la mort de leur père !
    Les paroles de Juda sont celles qu'attendait Joseph ! Ses frères ont changé, découvre-t-il. Ils ont renoncé à leur attitude passée, ils sont devenus une vraie fratrie, il ne reste qu'à y réintégrer Joseph lui-même. L'heure de la réconciliation a donc sonné, heure de la révélation, du dévoilement de l'identité de ce premier ministre.
    Joseph peut pardonner pleinement à ses frères et vivre une vraie réconciliation avec eux. Il peut évoquer le passé avec eux, sans ressentiment, sans rancune. La fraternité l'a emporté sur la haine.
    Joseph va faire lui-même une relecture de sa propre histoire, non pas en termes de victime, mais avec les yeux de Dieu :

    "Dieu m'a envoyé dans ce pays avant vous, pour que vous puissiez y avoir des descendants et y survivre; c'est une merveilleuse délivrance." (Gn 45:7)
    Pas facile de relire sa propre histoire, notre propre histoire, avec ses hauts et ses bas, comme l'histoire que Dieu lui-même a dessinée pour notre vie. Certaines choses restent longtemps incompréhensibles, et pourtant, notre vie a-t-elle plus de sens si nous n'y voyons pas la main de Dieu ? Combien de coïncidences, de rencontres, d'événements ne viennent-ils pas s'intégrer dans notre vie au bon moment, comme une réponse, comme un stimulant à avancer, à découvrir une nouvelle dimension, une nouvelle direction à notre vie ?
    Une personne me disait lors d'une visite à l'hôpital : "Quand je regarde ma vie, je vois la synchronisation que Dieu met dans mes rencontres... comme il me prépare à ce qui va arriver..." Il appelait cela de la synchronisation. Combien de choses viennent à point nommé ? Savons-nous les recevoir, les interpréter comme un signe de la Providence ?
    Voir comment Dieu agit dans nos vies, nous aide également à pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, comme Joseph le dit à ses frères :

    "Ne vous tourmentez pas et ne vous faites pas de reproches pour m'avoir vendu ainsi. C'est Dieu qui m'a envoyé ici à l'avance, pour que je puisse vous sauver la vie"
    (Gn 45:5)
    Joseph, d'abord figure du Messie rejeté, abaissé, devient le Messie qui sauve l'humanité de la mort, de la pénurie, puis, ici, finalement celui qui, par d'étranges détours — des pièges au pardon — inaugure une réconciliation fraternelle qui met fin à toute violence.
    Le repas des retrouvailles, de la paix et de l'entente peut avoir lieu, anticipation et actualisation du repas du Royaume auquel Dieu nous invite tous, sans exclusion.
    Amen

    * Citation de : René Girard, Je vois Satan
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 41. La sagesse de Joseph, anticiper pour assurer le salut de tous les habitants du pays

    Genèse 41
    16.7.2000
    La sagesse de Joseph, anticiper pour assurer le salut de tous les habitants du pays

    Genèse 41 : 14-57
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-16.pdf
    Chers amis,
    Dimanche dernier, nous avons laissé Joseph alors qu'il était emmené comme esclave en Egypte. Aujourd'hui, nous le retrouvons en prison ! Le destin s'acharne contre lui. Chez son maître Potifar, Joseph a été injustement accusé (relisez le chap. 39) et jeté en prison. C'est comme une descente aux enfers, la situation de Joseph ne peut guère être pire. Et pourtant, il ne désespère pas, il fait confiance en Dieu. Cette confiance ne le place pas "en attente", comme si tout devait tomber du ciel.
    En fait, Joseph ne reste pas inactif, à se plaindre de son destin et à maudire le ciel. Dans toutes les circonstances, on le voit prendre les devants, prendre des initiatives. Esclave chez Potifar, il était devenu l'intendant de la maison. Ici en prison, il se fait remarquer par le chef de la garde et se voit confier la direction des travaux des prisonniers (Gn 39:22). Joseph sait tirer parti, faire ressortir ce qu'il y a de bon de toutes les circonstances, il sait apprendre de ses malheurs. Il est celui qui sait rebondir en toutes occasions.
    C'est en cela que l'histoire de Joseph est souvent considérée comme un petit traité de sagesse. Joseph est un sage, parce qu'en toutes circonstances — même les pires — il est capable d'apprendre quelque chose, de prendre des dispositions qui améliorent son sort, de témoigner de patience, tout en se laissant interpeller par la situation et les malheurs de ses compagnons d'infortune. C'est ainsi que Joseph est remarqué et se voit offrir des responsabilités.
    Dans les responsabilités qu'il obtient, Joseph fait l'apprentissage de la direction. Il est en contact avec de hauts personnages (l'échanson et le panetier) et ne manque pas d'en tirer quelque chose, tout en se mettant à leur service, en exerçant son don d'interprétation des rêves.
    C'est ainsi qu'il va être tiré de sa prison, le jour où plus aucun magicien ne peut interpréter les rêves de Pharaon, ses rêves de vaches grasses et de gros et beaux épis.
    Dans le dialogue entre Pharaon et Joseph, il y a deux choses remarquables : 1) Joseph refuse de s'octroyer le mérite de l'interprétation des rêves. S'il possède ce don, ce don vient de Dieu seul. Tout comme le rêve de Pharaon lui-même ! C'est Dieu qui agit, qui informe Pharaon de ce que va se passer. Joseph est là l'instrument de Dieu pour que Pharaon comprenne le message et que des mesures soient prises. Dans l'évangile, Jésus parlera de "serviteurs inutiles", simples serviteurs qui n'ont fait que leur devoir (Luc 17:7-10).
    2) La deuxième chose remarquable, c'est que Joseph ne se contente pas de dire la signification des deux rêves, il prend l'initiative de dire au Pharaon ce qui peut être fait pour que le pays ne soit pas dévasté. Joseph a son plan, son projet pour l'Egypte, il en fait part à Pharaon et il attend.
    Joseph a là une attitude impressionnante. Il n'est ni inactif, face à la crise qui s'annonce, ni réactif, attendant de voir si ce qui est annoncé se réalise (alors les années d'abondance auront passé et il sera trop tard pour agir), il est ce que les psychologues appellent aujourd'hui "pro-actif". Joseph est pro-actif, ce qui signifie qu'il anticipe la situation et qu'il propose une mesure innovante pour éviter les effets catastrophiques de la famine avant que celle-ci ne s'installe.
    Maintenant, ce qu'il a appris dans la maison de Potifar, dans sa prison et plus tôt dans sa famille va lui servir ! Il est l'homme de la situation et Pharaon le remarque. C'est à Joseph qu'il va donner des rennes de l'économie de l'Egypte pendant deux septennats — un septennat d'abondance et un septennat de pénurie.
    Joseph va planifier ces 14 ans avec à coeur la problématique qu'il a emporté avec lui de sa famille : Comment les humains peuvent-ils vivre ensemble fraternellement, même en temps de crise ? C'est un véritable défi, car s'il est déjà souvent difficile de vivre pacifiquement quand tout va bien, qu'en est-il lorsque les tensions augmentent ?
    Ici, en Egypte, le domaine économique devient un lieu d'enjeu de la fraternité humaine. Joseph sait bien qu'avec la famine, la crise et les tensions vont monter et faire augmenter dangereusement le risque de la désintégration de la société, le risque des exclusions, le risque de phénomènes de boucs émissaires, le risque de mort. De par son expérience personnelle, Joseph connaît tout cela de l'intérieur, et il a décidé d'anticiper, d'agir pour éviter ces catastrophes. Il dresse un plan social pour que la famine ne fasse pas de victimes.
    Je ne ferai pas l'apologie des moyens que Joseph utilise pour parvenir à ses fins. Je ne crois pas qu'ils soient transposables dans le temps, ni qu'ils soient proposés par le narrateur de l'histoire comme un idéal. En effet, ils conduisent à une nationalisation totale des biens de tous les égyptiens en faveur de Pharaon.
    Ce qui est important ici, c'est la préoccupation de Joseph pour le bien commun de tous. Le projet social de Joseph est de faire en sorte que tous puissent se nourrir, que tous puissent vivre, que l'abondance des premières années puisse profiter à tous dans les années de disette.
    Le maintien de la fraternité humaine passe par ce partage, par cette solidarité de tous pour tous. Sans cette attention au bien commun qui passe par l'attention aux plus fragiles, aux plus vulnérables, la cohésion de la société risque de disparaître et donc aboutir à un désastre social, un désastre humain, inhumain, faudrait-il dire !
    La figure messianique de Joseph que nous évoquions dimanche dernier se marque aussi dans ce souci du salut de tous. Ce salut n'est pas seulement celui de l'âme au-delà de la mort. C'est le salut, une vie en abondance dès maintenant. La vie que Dieu veut voir changée est déjà celle que nous vivons ici et maintenant, sur cette terre. C'est donc déjà ici et maintenant que nous pouvons avoir ce souci économique des moins bien lotis et marcher ainsi dans les pas de Joseph.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 37. Joseph, figure messianique

    Genèse 37
    9.7.2000
    Joseph, figure messianique
    Genèse 37 : 2-36
    téléchargez ici la prédication : P-2000-07-09.pdf


    Chers amis,
    Pendant ce mois de juillet, je vous propose de faire un parcours suivi dans la vie de Joseph, le fils de Jacob. Aujourd'hui, vous avez entendu les trois premiers passages de sa vie que nous présente le livre de la Genèse.
    Le premier passage nous décrit la situation familiale dans la fratrie des fils de Jacob. Le deuxième nous fait part des rêves de Joseph et le troisième du complot des frères pour se débarrasser de lui.
    A. La famille de Jacob est plus compliquée qu'aucune des "familles recomposées" qu'on rencontre de nos jours. Imaginez : un père avec douze fils nés de quatre femmes différentes, dont deux sont soeurs et les deux autres leurs servantes. L'une de ces épouses, la bien-aimée de Jacob est décédée.
    Cela fait un fils aîné, Ruben, le premier-né de la première femme (Léa) et trois autres fils premiers-nés des autres femmes qui peuvent chacun réclamer une prééminence. Ce sont Dan (fils de Bila), Gad (fils de Zilpa) et Joseph (fils de Rachel) le onzième fils de Jacob. Joseph est donc le cadet, c'est-à-dire l'avant-dernier fils, le dernier étant Benjamin, le benjamin de la famille.
    Pour tout compliquer, Joseph est aussi le préféré de son père, ce qui est manifesté ostensiblement par la robe — particulièrement riche — qu'il reçoit de son père.
    Cette fratrie est donc animée de rivalités qui tiennent aux rangs réels, numériques, de chacun dans la famille et à la jalousie qui vient de la prééminence que Jacob accorde à Joseph. Dans ce sens, Jacob n'a jamais été guéri de ce que j'appellerai "sa haine contre le droit d'aînesse héréditaire." Il reporte sur ses propres enfants le problème qui l'habite ! En même temps, cette "haine contre le droit d'aînesse héréditaire" est quelque chose que Dieu partage, parce que ce prétendu droit s'apparente trop souvent au simple "droit du plus fort".
    Ainsi cette fratrie sans chef évident ("de droit divin"!) ressemble en miniature à toute société humaine. Cette famille est l'image de toute société humaine avec ses luttes de clans, ses haines et ses jalousies, ses rivalités et ses envies d'exclusion et de meurtres.
    B. Là au milieu, il y a Joseph, que l'on peut voir péjorativement — comme le voient ses frères — comme l'homme aux rêves, aux songes, dans les nuages, ou positivement comme le visionnaire, celui qui a un projet pour cette société qu'est cette fratrie, comme — plus tard — il aura un projet pour l'Egypte, un projet social pour traverser la famine sans perdre un habitant du pays.
    La problématique qui traverse toute l'histoire de Joseph est celle de la vie fraternelle de toute l'humanité. Comment vivre tous ensemble en paix ? Joseph est le porteur de cette problématique, il va vivre dans son corps toutes les étapes qui feront de cette famille divisée par la haine, une famille réconciliée et sauvée de la mort.
    La vie de Joseph ressemble à une tragédie grecque. Son destin est énoncé dans ses rêves et toutes les tentatives faites autour de lui pour l'empêcher d'accomplir son destin, seront autant de pas en direction de cet accomplissement.
    C. Ainsi le complot des frères contre Joseph est un moment nécessaire à cet accomplissement. Ici, on peut commencer à observer les parallèles avec la Passion de Jésus, notamment dans la phrase : "ils complotèrent de le faire mourir" (Gn 37:18 et Mt 26:4 et par.) et ce côté nécessaire et inéluctable du déroulement des événements.
    Les frères n'en peuvent plus de voir Joseph tourner autour d'eux. Ils trouvent Joseph extrêmement désagréable, c'est vrai, il dénonce, il rapporte à son père, il est d'un orgueil plus qu'agaçant, il est toujours du côté de son père, en un mot, il trahit ses frères, il n'a aucune loyauté à leur égard : il faut donc l'éliminer!!!
    On remarquera ici que c'est la première solution — la solution la plus primitive — que toute société envisage lorsqu'elle est confrontée à un problème : éliminer celui qui soulève le problème, désigner un bouc émissaire et l'exclure. Les frères ont pris une décision, reste à trouver le meilleur moyen. Le meilleur moyen serait qu'un animal, une bête féroce, s'en charge ou de faire comme si un animal s'en était chargé. Cette simple mention montre que le meurtre dégrade l'homme de sa dignité humaine et le réduit au rang d'animal.
    Sur l'intervention de Ruben — l'aîné qui reprend de l'autorité — la vie de Joseph est épargnée. Joseph sera finalement vendu comme esclave. Les frères devaient bien rire en eux-mêmes. Le prétentieux qui pensait les dominer tous, le voici réduit au rang d'esclave ! Mais c'est aussi ainsi que s'accomplit le destin de Joseph, ce destin qui le conduira à les dominer tous.
    Ce n'est pas sans raison qu'on prête à Joseph d'être une figure messianique. Il est — comme le sera Jésus — "la pierre rejetée des bâtisseurs qui est devenue la pierre principale" (Ps 118:22). Ce rejet, qui passe par l'esclavage, qui passera par la prison, donc par des position "basses", subalternes, voire humiliantes, sont des voies qui vont ouvrir à la vraie autorité, celle qui fait grandir au lieu d'asservir. C'est aussi une chose que Jésus va reprendre et réaffirmer, quelque chose que Joseph a vécu dans sa personne :

    "Jésus et ses disciples arrivèrent à Capernaüm. Quand il fut dans la maison, Jésus demanda à ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. Alors Jésus s'assit, il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. »" (Marc 9:33-35).
    Mes amis, il y a dans nos vies des moments où le destin nous fait descendre d'un cran (ou de plusieurs), apprenons à avoir la foi de Joseph que cette descente n'est pas abandon, terminus, situation désespérée. Apprenons à avoir la sagesse de Joseph d'espérer en l'avenir et surtout en Dieu qui accompagne l'exclu et qui le réhabilite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Hébreux 11. Nous avons besoin d’un horizon, d’un avenir ouvert…


    23.6.2013
    Hébreux 11

    Nous avons besoin d’un horizon, d’un avenir ouvert…


    Jérémie 29 : 10-14      Hébreux 11 :1-2+8-12
    téléchargez ici la prédication :P-2013-06-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans les lectures que vous venez d’entendre, il est question de foi : « La foi, c’est être sûr de ce qu’on espère, c’est être convaincu de la réalité de ce qu’on ne voit pas » (Hb 11 :1).
    De nos jours, on entend plutôt dire : « Je ne crois que ce que je peux voir ou toucher. » La foi, c’est plutôt le contraire : croire malgré l’incertitude, croire en dépit du risque, faire confiance malgré le risque d’être déçu. Dans ce sens-là, la foi est plutôt déraisonnable, incertaine, risquée.
    Mais alors, qu’en est-il de l’absence de foi ou de confiance ? Peut-on vivre dans la méfiance, dans la défiance ? N’est-ce pas plus désespérant, que de prendre le risque — de temps en temps — d’avoir fait confiance une fois de trop ?
    La défiance continuelle ferme l’avenir, c’est renoncer à penser qu’il y a une promesse qui nous tire en avant, qui nous ouvre un avenir. Or nous avons besoin d’un horizon, d’un avenir ouvert pour continuer à vivre et pour vivre heureux.
    Quel est notre moteur ? Quelle est la promesse que nous avons reçue et qui nous tire en avant ? Au fond de nous, nous avons tous reçu une promesse, transmise par nos parents, notre entourage, nos ancêtres. Une promesse qu’ils ont relayée, mais qui est ancrée dans l’infini, qui est ancrée en Dieu, dans le Dieu de la vie et des vivants. Une promesse qui dit que la vie a un sens, une direction, qu’elle ouvre sur un avenir, sur une vie possible, malgré les épreuves, les difficultés, les deuils.
    La lettre aux Hébreux fait une liste de personnages bibliques qui ont fait confiance en cette promesse de vie, qui ont été animés par cette foi en l’avenir. Dans cette liste de personnages, vous avez entendu ce qui a été dit d’Abraham et de sa femme Sarah.
    Abraham a entendu un appel à quitter le pays de ses ancêtres pour marcher vers une terre promise (Gn 12). Et Abraham s’est mis en marche vers cet inconnu, fort de cette promesse, fort de la confiance dans cet appel. A cette promesse de pays était aussi ajoutée la promesse d’une descendance avec Sarah sa femme. Et Sarah s’est accrochée à cette promesse, malgré le temps qui passe, malgré l’étiquette de stérilité qui lui a été accolée. Elle ne s’est pas résignée, elle a mis sa confiance dans cette promesse et elle a fini par enfanter leur fils Isaac.
    Et le texte dit d’Abraham et de Sarah : « Ils ont eu la foi que Dieu tiendrait sa promesse » (Hb 11 :11). Abraham et Sarah sont deux exemples d’attitudes de foi, mais des attitudes personnalisées, peut-on dire, deux expressions personnelles, différentes de la foi.
    La foi d’Abraham est une foi d’ouverture vers l’inconnu. Il a une foi qui le rend capable d’aller à la découverte, d’entreprendre, d’innover, de partir. C’est une foi qui va de l’avant, qui s’ouvre à l’inconnu.
    La foi de Sarah est plutôt dans la persévérance, la continuité : elle va mettre toutes ses forces, toute son énergie pour faire en sorte que se réalise ce qu’elle attend. Elle est dans la patience, mais jamais dans la résignation.
    Avec les autres personnages bibliques peuvent se découvrir encore d’autres modèles de foi.
    D’Abraham et Sarah, on nous dit encore qu’ils vivent sous une tente, mais qu’ils aspirent à une cité dont Dieu soit l’architecte et le fondateur. Il y a toujours une tension entre le présent et l’avenir, entre le présent et la promesse.
    Le présent — alimenté par la promesse — est toujours précaire et provisoire (c’est ce que nous dit l’image de la tente). C’est vrai que nous sommes rarement satisfait de ce que nous avons, nous attendons plus de la vie ! Justement parce que nous avons dans la tête cette promesse d’une vie qui comble, d’une vie faite de plénitude, alors que nous vivons dans le manque et dans l’inquiétude. C’est notre tension entre la tente et la cité promise.
    Interrogeons-nous sur notre insatisfaction ! Parce que cette insatisfaction révèle justement l’écart entre notre présent et la promesse dont nous attendons la réalisation, entre notre présent et notre horizon. Quelle est donc la promesse dont nous attendons la réalisation ? D’où, de qui vient cette promesse ? Cette promesse est-elle assez solide pour que nous en fassions notre horizon de vie ? Cette promesse va-t-elle nous donner le courage d’affronter l’inconnu, la nouveauté ? Cette promesse est-elle assez solide pour que nous persévérions à la poursuivre malgré tous les obstacles ? Cette promesse est-elle suffisamment belle pour que nous voulions la transmettre à nos enfants ou nos petits-enfants ?
    En un mot, avons-nous la foi dans ce que nous poursuivons, dans ce que nous recherchons ?
    « La foi, c’est être sûr de ce qu’on espère, c’est être convaincu de la réalité de ce qu’on ne voit pas » (Hb 11 :1).
    Cela vaut la peine de réaliser après quoi l’on court dans notre vie, pour nous orienter vers quelque chose qui en vaut vraiment la peine, qui vaut la peine d’y passer sa vie, d’y consacrer sa vie.
    Abraham et Sarah avaient la foi, la certitude que Dieu tiendrait sa promesse. Dieu nous fait aussi la promesse d’ouvrir devant nous un avenir. Par la bouche du prophète Jérémie, Dieu dit : « Je veux vous donner un avenir à espérer. » (Jr 29 :11). A chacun de trouver comment déployer sa foi en l’avenir.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Luc 24. Un chemin de reconstruction, parcours thérapeutique.


    Luc 24
    16.6.2013
    Un chemin de reconstruction, parcours thérapeutique.
    Luc 24 : 13-25
    Téléchargez ici la prédication : P-2013-06-16.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, nous allons cheminer avec les disciples d’Emmaüs. Nous allons découvrir ce chemin comme un chemin de reconstruction, avec le Christ comme compagnon, comme guide, comme thérapeute des disciples d’Emmaüs.
    Oui, je crois que ce chemin d’Emmaüs est un exemple où l’on voit Jésus à l’œuvre comme thérapeute. Les Evangiles nous rapportent plusieurs guérisons de Jésus, mais toujours sous forme de miracles. Le miracle met l’accent sur le résultat et il dissimule le processus, le déroulement. Dans le récit des disciples d’Emmaüs, le déroulement l’emporte sur le résultat et cela va nous aider à voir comment Jésus conduit des disciples à une guérison et comment nous pouvons, à notre tour emprunter ce chemin de guérison.
    La situation de départ est un deuil récent. Clopas et son compagnon sont encore sous le choc de la perte de leur maître. Ils sont dans leur chagrin, leur incompréhension. Ils ont laissés leurs espoirs à Jérusalem et s’en retournent — la mine sombre (Lc 24 :17) — chez eux, à Emmaüs. Ils parlent entre eux et on peut imaginer qu’ils repassent sans cesse les événements, en boucle, dans leurs têtes. Ils ressassent, ils ruminent. Vous savez comment tournent les pensées : « Et si… et si on avait fait cela … ? Et si ils n’avaient pas… Et si… » ou encore « C’est pas possible…, c’est pas juste… c’est trop injuste… » Ressassement et rumination, réécrire l’histoire… « Et si seulement… » Ça peut tourner en rond longtemps, longtemps. 
    Arrive quelqu’un qui se joint à leur marche. Le récit dit — dans un premier temps — simplement qu’il marche avec eux. Compagnon de route silencieux. Il écoute sans intervenir. Plus tard, il se renseigne, il fait parler les deux hommes. Il les fait raconter. Il leur donne la possibilité de mettre leur histoire en récit. C’est une façon de faire sortir de la rumination et de les inclure dans le récit. Ils disent : « Nous espérions… v.21 » « les femmes nous ont stupéfié… v.22 ».
    Faire un récit cohérent de ce qui nous arrive est une étape importante dans notre reconstruction. Souvent tout s’arrête-là. Il y a récit, mais on ne sait pas quoi en faire.
    Jésus va reprendre ce récit et en faire une relecture avec un nouvel éclairage des récits bibliques. Il fait un lien, un pont entre l’expérience de vie et quelques récits bibliques pour éclairer la vie.
    Jésus leur laisse cet éclairage et va continuer son chemin. Tout pourrait s’arrêter là, parce que Jésus tient à leur laisser la liberté de prendre ou non cette interprétation. Jésus ne cherche pas à convaincre, il ne s’incruste pas, il a proposé un éclairage. C’est aux disciples de faire un choix, prendre ou laisser, s’approprier cette nouvelle lecture ou la laisser. C’est le moment où les disciples doivent prendre leur vie en main, choisir, décider, demander.
    Visiblement, ils ont perçu quelque chose de précieux — qu’ils n’identifient pas encore clairement — dans les paroles de Jésus. Alors, ils lui demandent de rester avec eux. C’est une étape importante. Les disciples formulent leur besoin, ils expriment leur demande, une façon de prendre soins d’eux-mêmes.
    Cette demande débouche sur un partage qui leur uvre les yeux (Luc 24 :31), ils reconnaissent Jésus qui disparaît au même moment de devant eux. Jésus se retire quand son travail thérapeutique est fini. Tout est accompli, les disciples n’ont plus besoin de béquilles, ils marchent par eux-mêmes, ils sont devenus autonomes.
    Mais la démarche n’est pas tout à fait terminée, la démarche continue dans la tête et dans le corps des disciples. Ils ont encore à faire leur propre lecture personnelle, leur propre récit de ce qu’ils ont vécu. Cela se fait par un retour en arrière, pour voir le chemin parcouru : « Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? » (Luc 24:32).
    Jésus avait fait une lecture des événements avec son éclairage. Maintenant, les disciples doivent faire leur propre relecture des événements et de ce qui leur est arrivé. C’est par un regard en arrière, sur le chemin parcouru, qu’on peut voir les traces, les compagnonnages, les rencontres qui ont mis du baume sur nos plaies, qui ont donné un sens, une direction à notre vie. 
    Cette relecture personnelle — une appropriation profonde — permet un nouveau départ : les disciples se remettent en route, pour retourner à Jérusalem. Cette relecture personnelle leur permet un retour, une réintégration dans la communauté qu’ils avaient quittée, la tristesse dans le cœur.
    Cette réintégration va les conduire à pouvoir partager leur expérience avec les autres personnes restées à Jérusalem et s’apercevoir que ces autres ont aussi vécu une expérience, semblable et différente. Les disciples ne sont plus dans le ressassement, la culpabilité ou le regret, mais dans le partage joyeux de leurs découvertes.
    Voilà le chemin d’Emmaüs, faire le récit de son malheur, trouver ou recevoir un éclairage — qui est passé par des récits bibliques qui éclairent notre épisode de vie. Pour cet éclairage, il s’agit de trouver un personnage, une histoire, une parabole ou un psaume où l’on retrouve sa propre histoire, où l’on puisse se dire « c’est de moi que le texte parle ! »
    Le chemin n’est pas complet sans l’invitation, sans la demande que Jésus reste pour partager un repas avec nous. Allons-y pour le jeu de mot : il n’y a pas de restauration sans un bon repas, sans un partage de vie, sans recevoir une nourriture pour sa vie. Jésus est cette nourriture qu’il partage avec nous pour nous restaurer dans notre intégrité, pour nous réinstaller dans une vie pleine, une vie digne d’être vécue, une vie de relations abondantes.
    C’est à ce chemin d’Emmaüs, c’est à ce chemin de reconstruction, c’est à ce chemin de restauration que Jésus nous invite tous, pour nous donner la vie et la vie en abondance.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Lévitique 19. Laisser l’autre glaner dans mon champ ?

    Lévitique 19
    26.5.2013
    Laisser l’autre glaner dans mon champ ?
    Lévitique 19 : 9-10      Ruth 2 : 2-8       Luc 15 : 25-31

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-05-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Qu’avons-nous à apprendre de vieilles prescriptions de l’Ancien Testament, du livre du Lévitique ? Je suis tombé sur cette prescription concernant la moisson et le fait de laisser glaner : 
    « Quand vous moissonnerez, vous ne couperez pas les épis qui ont poussé en bordure de vos champs, et vous ne retournerez pas ramasser les épis oubliés ; vous ne repasserez pas non plus dans vos vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lév 19:9-10)
    Ce commandement m’a interpellé. Je me suis demandé : qu’avons-nous à laisser glaner de nous-mêmes par les autres ? Même si nous n’avons plus de champs à moissonner !
    D’abord, constatons que cette recommandation est complétement contraire à la mentalité d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il ne faut rien laisser perdre, ne rien gaspiller, il faut tout optimiser, rendre efficace, efficient. Le paysan qui laisserait un mètre de son champ non récolté passerait pour négligent. On a encore en mémoire des phrases comme : « Finis bien ton assiette, il y a des enfants qui ont faim ! » Il faut faire la chasse aux « gaspi ».
    Rien ne doit se perdre. Et voilà que la loi de Moïse demande qu’on ne ramasse pas tout, qu’on laisse trainer une partie de la récolte !?
    Une explication est donnée qui éclaire ce commandement : « Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. » (Lév 19:10) En fait, c’est à laisser, mais ce n’est pas perdu, cela a un rôle, un rôle social.
    On peut voir ce commandement comme une trace du passage de la société de l’état de chasseur-cueilleur ou éleveur à la société agricole. Pour être agriculteur, il faut posséder de la terre, avoir des champs délimités et reconnus, cela demande une continuité dans le temps, le temps entre les semailles et la moisson.
    Dans la période de transition entre nomade et sédentaire, il y a des laissés pour compte, des sans-terre. La Loi de Moïse prévoit un filet social pour ceux-ci, sous la forme d’une autorisation à glaner et sous la forme d’une prescription de laisser cette possibilité.
    Nous n’avons plus de champs, notre société a passé d’une société de paysans à une société d’artisans et d’ouvriers aux XIXe et XXe siècle, et nous passons maintenant d’une société industrielle à une société de services. L’industrie est délocalisé, en Chine, au Vietnam et maintenant au Bengladesh et l’emploi est perdu en Europe, seuls les services subsistent.
    Et se pose donc aujourd’hui la question de comment s’occuper des laissés pour compte de ce nouveau passage. Quelle est la version moderne, actuelle, du glanage ? Que peut-on glaner  aujourd’hui ?
    Il y a des filets sociaux mis en place pour les gens établis et qui se plient au jeu de la bureaucratie. Pour les autres, il reste la mendicité ou les container des supermarchés. Et puis, si l’on n’est pas dans le niveau de l’extrême pauvreté, on se rend compte qu’il existe des niches d’échanges qui cherchent à échapper à la monétarisation, à l’échange d’argent.
    Il y a d’abord tous les services gratuits, du journal aux offres internets, en passant par les milieux associatifs, dont font partie les Eglises. Nous avons encore la chance de pouvoir offrir des services gratuits, pas seulement les actes ecclésiastiques, mais aussi des conférences, des soirées, des rencontres, des apéritifs et des concerts. Une gratuité qui repose bien sûr sur la générosité de ceux qui ont un peu d’argent et qui en font don, qui partagent. C’est une façon d’offrir quelques épis à glaner après que la moisson est rentrée.
    Mais j’aimerais aussi dépasser le niveau économique, pour aborder le niveau relationnel ou symbolique. Au lieu de penser au champ de blé à la campagne, essayons de penser que nous sommes le champ de blé ou la vigne.
    Sommes-nous un champ, une vigne ouverte aux glaneurs ou un champ fermé, entouré de murs ou de barbelés ? (Entendons-nous bien, on parle de glaner, on ne parle pas d’être pillé avant la moisson ou la vendange.) Quelle place laissons-nous à l’intérieur de nous-mêmes, dans nos relations, dans nos rencontres à celui qui a besoin de nous, de notre présence, de notre aide ?
    Vous avez entendu un passage du livre de Ruth, qui — comme étrangère venue en Israël — est dans la situation précaire de devoir glaner pour assurer sa subsistance et celle de sa belle-mère. On a là un exemple de quelqu’un, Booz, qui ouvre son champ aux glaneuses. Il prend particulièrement soin, il veille à ce que Ruth soit respectée, accueillie. Il lui donne même un sérieux coup de pouce en passant le mot selon lequel les moissonneurs peuvent même sortir des épis des gerbes liées pour faciliter la récolte de Ruth.
    Bien sûr, c’est facile pour Booz de faire cela pour Ruth, il est grand propriétaire. Se défaire d’un sac de grain, ce n’est rien pour lui. Qu’en est-il pour nous ? Quelle présence, quelle compagnie pouvons-nous offrir à d’autres qui en auraient besoin ? Qu’est-ce qui nous retient de le faire ? Qu’est-ce qui nous fait peur ? Souvent le sentiment — au contraire de Booz — de ne pas nous sentir riches, de penser n’avoir rien à offrir ! Je me place toujours ici sur le plan des relations, hors du champ économique.
    Sommes-nous comme le deuxième fils de la parabole du Fils prodigue (Luc 15)? Il est jaloux du veau gras tué pour son vaurien de frère, parce qu’il a le sentiment de ne rien posséder pour lui-même, de n’avoir pas même pu disposer d’un chevreau pour faire la fête avec ses amis.
    Voici ce que le Père dit au fils aîné : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce que je possède est aussi à toi. » (Luc 15 :31) Cette parole, Jésus la dit pour nous. Tous les biens du Père, il les partage avec nous. Il nous dit que Dieu partage avec nous son amour, tout son amour. Nous ne vivons pas dans la pauvreté ou la pénurie, mais dans la richesse de l’amour du Père.
    Booz avait assez de champs pour laisser les glaneuses et Ruth ramasser plus que leur part. Nous partageons tout l’amour de Dieu et avons donc assez de richesses pour laisser d’autres venir glaner du temps, de la présence, des relations auprès de nous. « Tout ce que je possède est aussi à toi » nous dit Dieu. Ouvrons nos champs, nos vies aux glaneurs.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Marc 13. Ascension : voler de ses propres ailes

    Marc 13
    9.5.2013
    Ascension : voler de ses propres ailes
    Actes 1 : 32-37      Marc 13 : 32-37

    téléchargez la prédication ici : P-2013-05-09.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce jeudi de l’Ascension , nous nous rappelons le moment où Jésus a quitté définitivement cette terre pour monter au ciel. Cette élévation, cette ascension est un passage obligé pour marquer la fin des apparitions du ressuscité aux disciples.
    Il doit y avoir une séparation, mais elle ne peut pas être marquée par la mort, puisque Jésus est ressuscité et qu’il est le Vivant, pour toujours avec nous. Il n’y a pas d’explication à chercher ou à fournir sur le comment de l’ascension. Ce qui est important, c’est la rupture et la séparation, et ce qu’elle instaure dans notre relation à Dieu.
    L’Ascension est séparation. Les disciples ne verront plus Jésus, ils ne mangeront plus ensemble, ils ne le verront plus agir et faire des miracles. Mais il y a séparation et séparation.
    Il y a les séparations qui font mal, qui sont blessantes, mutilantes, déchirantes. On pense ici à la mort qui nous sépare d’êtres chers, au divorce, aux abandons, à l’exil, à toutes les pertes. C’est ce qu’ont vécu les disciples à Vendredi-saint. Ils ont perdu leur maître, leur ami, leur guide et l’épreuve a été déchirante.
    Et puis, il y a les séparations qui font grandir, qui donnent de l’autonomie, qui font grandir la liberté, qui augmentent les responsabilités ; ou qui augurent de retrouvailles joyeuses. Dans cette catégorie, regardez l’enfant qui demande au parent de lui lâcher la main pour qu’il puisse marcher tout seul sur le muret, ou l’apprenti qui peut effectuer seul une tâche pour la première fois.
    L’autre jour, sur Arte, je suis tombé sur un documentaire qui suivait le parcours d’un jeune qui apprenait à piloter un petit avion (de type Pilatus ou Cessna). Il y avait d’abord une phase d’enseignement au sol pour connaître le rôle de chaque instrument de bord. Puis une phase d’apprentissage en double commande, puis seul au commande avec l’instructeur assis à ses côtés.
    Enfin le moment où l’élève pilote va faire son premier vol seul. L’instructeur reste au sol, il n’y a plus que les liaisons radio avec la tour de contrôle. L’instructeur se sépare de son élève parce que celui-ci est devenu autonome, il a appris à voler de ses propres ailes, il a assimilé, intériorisé les instructions, les check-listes, les manœuvres.
    Voilà ce qu’est l’Ascension. Jésus a instruit ses disciples, il leur a laissé le manuel de vol et il leur laisse le contact avec la tour de contrôle. Jésus s’en va, il se retire en nous laissant les commandes. Il nous laisse la responsabilité de la maison (Mc 13:34). Il a formé ses disciples et il leur fait confiance : ils peuvent voler de leurs propres ailes.
    Les disciples nous ont transmis le manuel de pilotage : la Bible. Nous pouvons échanger avec la tour de contrôle, recevoir quelques consignes, vérifier quelques paramètres, mais c’est nous qui sommes aux commandes. C’est nous qui sommes aux manœuvres, même si nous pouvons nous adresser à la tour de contrôle.
    Notre situation est un peu différente de celle des disciples, en ceci que nous pouvons être à différents stades de notre apprentissage selon notre âge ou notre parcours. Ceux qui découvrent Jésus et l’Evangile ne peuvent pas être laissés immédiatement sans instructeur. Ils ont besoin de temps pour apprendre et éprouver ce qu’ils ont appris.
    Même quelqu’un avec plusieurs heures de vol derrière lui a besoin de formation continue, d’exercice et de perfectionnement. Sans exercice et pratique régulière, les choses s’oublient, les routines se perdent, les réflexes s’émoussent. Ce n’est peut-être pas grave pour des petits trajets par beau temps, mais que se passera-t-il s’il faut affronter une tempête ? Ou que se passera-t-il si l’on traverse une zone où l’on n’a plus de liaison avec la tour de contrôle ?
    Nous avons une responsabilité, nous avons un travail à faire pour rester à niveau et pouvoir faire face aux situations imprévues de l’existence. A l’Ascension, Jésus nous quitte parce qu’il nous a transmis tout ce dont nous avions besoin et parce qu’il nous fait confiance. Il nous a confié la maison comme à des serviteurs fidèles. Il ne souhaite pas entretenir notre dépendance à lui ; il est comme un parent qui laisse aller un jour ses enfants parce qu’ils sont adultes.
    Mais il ne nous quitte pas pour que nous lui tournions le dos et le laissions tomber. Le laisser tomber, c’est nous laisser tomber, ce serait renoncer à notre équipement face à la vie et aux épreuves de la vie. « Restez éveillés » dit Jésus à ses disciples (Mc 13:35,37). Il nous appelle à la vigilance, à ne pas relâcher notre attention, parce que la vie peut à tout moment nous confronter à un écueil, à une tempête, à une épreuve.
    Jésus nous a enseigné, nous a préparé, maintenant c’est à nous de conserver, d’entretenir ce savoir et de le transmettre à ceux qui nous entourent pour qu’ils profitent aussi des outils et des savoir-faire qui nous permettent de traverser la vie avec confiance.
    Ne perdons pas nos facultés de vol et notre liaison avec la tour de contrôle, maintenant que l’instructeur nous laisse voler de nos propres ailes.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013