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Christianisme - Page 32

  • Jonas 3. "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!"

    Jonas 3

    25.4.1999

    "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!"

    Jonas 2:11 + chap. 3    1 Jean 2:9-11    Mt 5:1-10

    Chers amis,
    Depuis plus de 30 jours, une guerre fait rage en Europe, entre pays européens. Nous sommes tous touchés par les événements qui se déroulent dans les Balkans. Nous sommes tous sensibles à l'horreur de cette guerre — qui se voulait propre, mais se révèle sale ! Qui voulait sauver le Kosovo et ses habitants et qui laisse la voie libre à toutes les exactions.
    Toute cette semaine, ces images de guerre, de réfugiés ont côtoyé, dans ma tête, le texte de Jonas et sa prédication contre Ninive. Et des ponts, des passerelles sont apparus dont j'aimerais vous faire part, sachant, et vous avertissant, que ce sont des passerelles fragiles et des interprétations de circonstances. D'abord, les mots se mêlant dans ma tête, le texte s'est transformé en :
    "Jonas, lève-toi et pars pour Belgrade. Prononce des menaces contre elle, car j'en ai assez de voir la méchanceté de ses habitants."
    On comprend que Jonas ait d'abord fui devant une tâche, une mission aussi périlleuse ! Cependant — et je l'ai esquissé dimanche dernier — Jonas vit dans sa fuite, dans la tempête, une évolution spirituelle. Il accepte de prendre la responsabilité de sa vie et de la remettre entièrement à Dieu en risquant de la perdre. Et c'est ainsi qu'il est sauvé, par l'entremise du grand poisson. Ayant accompli, vécu sa propre conversion, Jonas peut accepter, maintenant, de retourner à Ninive. ayant plongé au fond de la mer (symbole de l'inconscient et des souffrances passées...), ayant été ressuscité par Dieu, il est revêtu d'une force toute nouvelle !
    Jonas doit annoncer le message de Dieu dans une ville qu'on met trois jours à traverser. Or au bout d'un seul jour, l'incroyable arrive :
    "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!" (Jonas 3:5)
    Ah ! le rêve... notre rêve à tous. Les avertissements, les menaces sont efficaces ! Pourquoi le sont-elles à Ninive et ne le sont-elles pas à Belgrade ? Pourquoi la prédication de Jonas a-t-elle réussi alors que celle de Jésus a échoué ? N'ayons pas peur des mots : la prédication de Jésus pour la conversion immédiate d'Israël et de Jérusalem a échoué. Jésus lui-même l'a reconnu lorsqu'il dit, en parlant du signe de Jonas, que la génération de Ninive jugera la génération présente.
    Alors, que faire de ce texte qui annonce la réussite de la prédication de Jonas et la réalité — celle d'aujourd'hui, comme celle de Jésus — qui nous dit que cela est complètement utopique ? Ce caractère utopique est d'ailleurs déjà présent dans le texte de Jonas, puisque ce texte a été écrit ou est apparu à une époque ou Ninive n'existait déjà plus. Alors, que faire de ce texte ?
    Je pense qu'il y a une façon de s'en sortir. Le texte a pour thème fondamental le retournement, le renversement.
    •    Jonas doit aller à Ninive, mais part à l'opposé.
    •    Jonas est "retourné" par le naufrage et renvoyé à la terre par le grand poisson.
    •    Dieu menace de renverser Ninive.
    •    Les habitants, le roi, les ministres et même les bêtes se repentent, changent de comportement.
    •    Dieu lui-même revient sur sa décision.
    Autant de retournements impliquent que nous devons aussi lire ce texte en nous retournant, en changeant de point de vue.
    En effet, pourquoi nous identifions-nous toujours à Jonas ? Pourquoi Ninive et ses habitants sont-ils toujours les autres ? Nous habitons Ninive. Et les cris de Jonas parviennent jusqu'à nos oreilles.
    Voici ce que pourrait nous dire Jonas : "Vous allez être renversés — comme Ninive — si vous ne vous repentez pas . Vous allez risquer une 3e guerre (mondiale ou européenne) si vous ne prenez pas au sérieux la Parole de Dieu. Changez de comportement, rejetez le mal, choisissez le bien, pour ne pas être engloutis dans un nouveau déchaînement de violence !"
    Prenons au sérieux la Parole de Dieu, pas seulement en temps de crise, mais en tout temps, pour construire des rapports qui développent la paix, pour construire des relations qui endiguent la contamination du mal, de la violence.
    Voici ce que déclare l'apôtre Jean : "Celui qui affirme vivre dans la lumière (= en chrétien) et qui a de la haine pour son frère, se trouve encore dans l'obscurité" (=loin de Dieu) (1 Jn 2:9). La haine de soi, des autres, de Dieu ou de la vie est à la racine de toute violence. La haine est contraire à l'amour, non seulement parce que celui qui hait n'aime pas, mais surtout parce que celui qui est haï ne peut plus aimer.
    Pour nous garder de la haine, nous devons nous garder de juger, c'est-à-dire d'étiqueter et de mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des coupables et des victimes dans tous les camps, même si ce n'est pas dans les mêmes proportions.
    Pour nous garder de la haine, il faut réaliser que la paix se prépare d'abord à l'intérieur de soi-même, en se mettant en paix avec soi-même, avec Dieu, avec ses proches et élargir toujours plus ce cercle. "Heureux ceux qui créent la paix autour d'eux, car ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5:9).
    L'évangile est retournement de nos valeurs habituelles qui misent plutôt sur la menace et la violence. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire au niveau international pour le Kosovo, mais ce que je sais, c'est que Bussigny va accueillir — probablement à partir du 3 mai prochain — des réfugiés du Kosovo. Nous avons une tâche d'accueil et de pacification à mener ici à Bussigny, dans deux directions : d'une part envers ceux qui viennent trouver refuge chez nous, d'autre part envers la communauté des habitants de la commune afin que les craintes et les barrières s'abaissent.
    En tant que chrétiens, nous avons une vocation d'accueil, d'écoute et de création de paix. J'attends de notre paroisse qu'elle prenne au sérieux la Parole de Dieu, autant que les habitants de Ninive, afin que nous devenions ici des artisans de paix et de réconciliation.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • Jonas 1-2. L'itinéraire spirituel de Jonas

    Jonas 1-2    18.4.1999

    L'itinéraire spirituel de Jonas

    Jonas 1 + 2: 1-2 +11    Rm 6:3-4    Mt 12 : 38-41

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Aux Pharisiens qui lui demandaient un miracle, Jésus a toujours renvoyé à l'histoire de Jonas. Jésus n'était pas un magicien qui faisait des tours spectaculaires pour convaincre ses spectateurs de sa supériorité ou de son origine divine. Jésus n'avait qu'un seul but : amener ses auditeur à connaître le vrai visage de Dieu et les amener à la foi, c'est-à-dire à faire pleinement confiance à la bonté de Dieu. C'est ce chemin qu'emprunte Jonas, ce chemin que je souhaite vous faire parcourir tout au long du livre de Jonas.

    L'aventure de Jonas est un itinéraire spirituel. Un itinéraire qui n'est pas réservé aux seuls prophètes ! C'est le chemin de tout être humain aux prises avec la vie. Comme Jonas, tout être humain reçoit une mission pour le temps de sa vie sur la terre. Une mission, une tâche, un rôle, une légende personnelle... quel que soit le nom qu'on lui donne, nous avons tous quelque chose à accomplir, à développer. Ce quelque chose est en relation avec notre constitution, notre être profond; il s'agit d'être soi-même et d'agir en pleine cohérence, en communion avec cette identité vraie qui nous habite.

    Mais, comme pour Jonas, accomplir cette mission nous fait peur ! Qui suis-je vraiment ? Et si je me révèle complètement, tel que je suis, ne va-t-on pas voir mes côtés d'ombre, ne serais-je pas dévoilé, démasqué ? Mieux vaut fuir loin de cette mission, loin de celui qui pourrait voir jusqu'au fond de mon âme !

    Aussi, Jonas va-t-il au port et y affrète un bateau — pour lui seul, il loue un bateau avec tout son équipage. Ah ! être maître à bord, voilà un bon antidote à la peur, un masque efficace pour ne pas révéler ses vulnérabilités. Jonas est aux commandes, il dirige son destin / bateau. Il va cependant découvrir qu'on ne peut pas se fuir longtemps, la vie le rattrape, le Seigneur, qui veille sur Jonas, fait se lever un tempête.

    La tempête, double image. D'une part, image de notre être profond qui ne se laisse pas berner par une fuite et se manifeste, se fait entendre. D'autre part, image même de la croyance de Jonas. Lorsque les marins l'interrogent sur son Dieu, Jonas confesse : "Je suis hébreu et j'adore le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a créé les mers et les continents". (Jonas 1:9). (Si l'équipage est grec, ils doivent comprendre Poséidon, s'il est romain, Neptune avec peut-être une touche de Jupiter pour le ciel.)

    Jonas a une vision très partielle du Dieu d'Israël, il ne pense qu'au Dieu créateur, tout-puissant, un Dieu qu'il est difficile de différencier de la nature. Est-il celui qui dirige le vent, ou est-il le vent lui-même ? Jonas —  tout prophète qu'il soit — est comme beaucoup de nos contemporains, il croit en une puissance supérieure, forte et menaçante, mais qui est loin du visage du Dieu d'Israël ou du Dieu de Jésus-Christ.

    Jonas a beaucoup à apprendre. Et c'est de là, de cette croyance, dans cette tempête, que va partir son chemin, son itinéraire spirituel. C'est à partir de cette situation qu'il va être conduit, mené à découvrir et à rencontrer un Dieu différent. Dieu ne renie pas l'image que Jonas a de lui, il s'en sert. Plus encore, il s'en est déjà servi dans la vocation de Jonas. Jonas — le colérique — doit annoncer à Ninive la colère de Dieu.

    L'image que Jonas a de Dieu est en relation directe avec sa propre identité et Dieu se sert de cette colère (qui est mise en évidence au chap. 4) pour faire avancer Jonas sur son chemin. Vois ce dont un Dieu en colère est capable ! Il est capable de lever une tempête contre toi comme il est capable de menacer Ninive d'être renversée. En faisant cela, Dieu permet à Jonas de voir, de regarder son côté d'ombre, ce qu'il déteste en lui-même.

    A partir de là, Jonas passe la première étape : il reconnaît sa responsabilité dans ce qui lui arrive. Refuser son être profond conduit droit au conflit — illustré par la tempête (intérieure) — et conduit droit à la mort. Dans une deuxième étape il va oser voir, que même dans cette situation, il a le choix. Il a le choix entre, d'un côté, s'obstiner, rester sur le bateau et périr avec tous ceux qui sont embarqués avec lui, ou de l'autre côté, accepter son ombre et sauter dans le vide, sauter par dessus bord avec deux pensées : les autres auront la vie sauve et "à-Dieu-vat", c'est-à-dire faire une confiance totale à Dieu, lâcher prise.

    Faire confiance à Dieu — en se jetant par dessus bord, à corps perdu dans la confiance — c'est accepter que Dieu a peut-être un autre visage que le terrible Dieu du ciel et des mers. Se jeter à l'eau, c'est l'image du baptême que donne l'apôtre Paul : "Par le baptême, nous avons été ensevelis avec Christ afin que (...) nous aussi vivions une vie nouvelle avec lui" (Rm 6:4). C'est pourquoi Jésus a donné Jonas en exemple, exemple de la foi totale (qui dépasse la vision d'un miracle) et exemple de sa mort et de sa résurrection.

    Jonas accepte donc de jeter le masque, de lâcher prise et de plonger à la découverte de son être véritable en même temps que du vrai visage de Dieu. Et l'inattendu arrive. Qui aurait pu imaginer ce qui allait se passer ? Jonas est sauvé par l'entremise de ce grand poisson. Image de la grâce qui sauve et de la puissance d'un Dieu capable de commander un monstre — bien plus : de suspendre la mort.

    Pour Jonas, cela n'a pas été cependant une partie de plaisir : il passe trois jours et trois nuits, seul avec lui-même et dans le doute le plus absolu sur son devenir...

    La recherche de sa voie, de son être profond, de sa vocation ou de sa légende personnelle passe par des temps de doutes et d'incertitudes comme celui de Jonas. Mais celui qui s'y engage totalement, avec une pleine confiance sera remis sur la terre ferme pour débuter une nouvelle vie, avec une nouvelle force.

    La suite du livre, nous montre comment, la vie de Jonas a complètement changé, alors même que tout a l'air de recommencer à l'identique, puisque le chapitre 3 commence ainsi :"Une deuxième fois, le Seigneur donna cet ordre à Jonas : — Debout, pars pour Ninive et fais-y entendre le message dont je t'ai chargé." (Jonas 3:1-2).

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • Genèse 9. Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

    Genèse 9

    25.3.2007

    Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

    Gn 6 : 9-22 Gn 9 : 8-13 Jn 18 : 28-40

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Jeudi de cette semaine, 25 paroissiens ont suivi une visite guidée de l'exposition "Visions du Déluge" à Lausanne et samedi j'y ai emmené 16 catéchumènes. Cette exposition nous présente une série d'œuvres — des gravures et des peintures — de la Renaissance jusqu'au XIXe siècle qui tournent autour du thème du Déluge. C'est évidemment la partie inondation, engloutissement de l'humanité, qui donne lieu aux représentations les plus dramatiques. À l'opposé, la survie de Noé et de sa famille est peu spectaculaire et n'intéresse pas beaucoup les peintres.
    Ce qui est remarquable dans cette exposition, c'est de voir l'évolution des mentalités de la société à propos du récit du Déluge. Les peintres présentent le Déluge, mais aussi un point de vue sur le Déluge, sur la décision divine.
    Ainsi, au Moyen Age et à la Renaissance, les peintres mettent l'accent sur le châtiment mérité de cette humanité violente et méchante. Il y a foule sur les tableaux, les gens se battent entre eux pour défendre qui son radeau, qui sa barque ou son tonneau. Le spectateur n'est pas invité à la pitié mais plutôt à la peur, à la peur du châtiment.
    Au XVIe siècle, le déluge est souvent représenté comme un avertissement, il préfigure le jugement dernier et nous invite — toujours par la peur — à nous détourner du mal.
    Au XVIIe siècle, les peintres diminuent le nombre de personnages sur leurs tableaux et invitent plutôt les spectateurs à l'émotion et à la compassion.
    Aux XVIIIe et XIXe siècles, les peintres ne représentent plus que quelques personnages, 6 ou 4, voir même seulement deux et attirent notre attention sur l'injustice de leur sort. Comment cette femme, cet enfant pourraient-ils être coupables d'un tel châtiment ? Il y a là, dans des tableaux qui précèdent et suivent la Révolution française, un mouvement de révolte contre les morts innocentes, notamment causées par les tremblements de terre (Lisbonne et Messine) et les éruptions volcaniques (Vésuve, Etna).
    D'un juste châtiment, les représentations du Déluge sont passées à l'expression de l'injustice de la mort innocente. Cette révolte, qui ne nous étonne pas aujourd'hui, s'accompagne d'un rejet de Dieu, du Dieu du Déluge. Les peintres remplacent d'ailleurs souvent le Déluge par d'autres catastrophes pour révéler l'injustice du monde.
    Les tableaux, comme la société, expulsent de plus en plus le thème biblique et le Dieu juge du Déluge. On passe de la représentation du Déluge à celle de la catastrophe, de la représentation du châtiment à celle de l'injustice, de la représentation de la Bible à celle de l'athéisme et du rejet de Dieu. Ce mouvement est très fort et entraîne encore les sociétés actuelles. Faut-il s'en plaindre ou s'en réjouir ?
    Je pense que ce mouvement est inscrit au cœur même de la Bible et du christianisme. C'est la puissance libre de l'évangile qui est à l'œuvre !
    Ce mouvement — révolte contre l'injustice et contre la mort de l'innocent, finalement contre le Dieu qui menace et punit — s'est développé à l'extérieur du christianisme établi parce que (autour de la Révolution française) l'Eglise officielle était trop liée au pouvoir et à la royauté, elle avait perdu son sel évangélique, elle défendait les puissants et non les petits, les exclus, les affamés.
    Ce mouvement qui crie la révolte de voir l'innocent écrasé — même par les catastrophes — c'est l'essence même du christianisme.
    Cette exposition s'arrête sur la représentation de deux personnages, deux amoureux, qui vont périr dans le Déluge, deux amoureux aux cœurs purs qui ne méritent pas la mort. Pourquoi l'exposition s'arrête-t-elle à deux personnages ? N'y a-t-il aucun tableau qui représenterait une seule personne injustement condamnée dans les réserves du Musée cantonal des Beaux-Arts ?
    Ponce Pilate déclare à ceux qui accusent Jésus : "Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme" (Jn 18:29). Voilà le personnage unique, innocent, mais condamné par tous, qui manque pour achever cette exposition.
    Le récit de la mort de Jésus — l'innocent cloué sur la croix — n'est-il pas le modèle premier de dénonciation de la mort innocente qui a fait comprendre, petit à petit, à l'humanité combien est révoltant toute mort d'innocents ?
    La graine de la révolte contre le châtiment du Déluge, c'est Dieu lui-même qui l'a plantée dans le cœur de l'homme en nous montrant la croix de Jésus. Dénoncer les morts innocentes, ce n'est pas s'en prendre à Dieu, c'est prendre son message au sérieux !
    C'est parce que l'évangile de la Passion est lu et relu chaque année dans nos Eglises que la société ne peut plus accepter le châtiment du Déluge, ne peut plus accepter les catastrophes sans aller porter secours, ne peut plus accepter les maladies sans financer la recherche médicale et les soins, ne peut plus accepter les accidents sans chercher de nouveaux moyens de prévention.
    En cela, la mort de Jésus a parfaitement réussi — avec et parfois malgré l'Eglise et les pratiquants — à changer le monde, à changer notre façon de regarder les événements autour de nous.
    Il est donc important de ne pas jeter Dieu avec l'eau du Déluge.
    Il est important que l'histoire de la Passion soit relue, reméditée, redite continuellement.
    Il est important de renforcer notre témoignage chrétien en répétant avec force qu'aucun intérêt ne peut justifier le sacrifice de qui que ce soit.
    Il est important de relever que nos valeurs modernes (démocratie, droits humains, égalité) sont enracinés dans l'évangile de la Passion, même si elles ont été laïcisées.
    Il est important de refuser que le christianisme soit renvoyé dans la sphère privée — hors de l'espace public, politique et économique — ce serait la mort de nos valeurs occidentales.
    Nous pouvons être fiers de porter en nous les valeurs de l'évangile. Nous pouvons être fiers d'être fidèles à cette tradition qui a formé et porte encore notre société. Nous pouvons être fiers et le dire autour de nous.
    Amen

  • Genèse 6-9. Premier récit du Déluge

    Premier récit du Déluge dans le livre de la Genèse, des extraits des chapitres 6 à 8. (Texte pour la prédication du 18.2.2007)

    Deux traditions entremêlées constituent le récit biblique actuel. Vous lisez aujourd'hui seulement la tradition la plus ancienne.

    6 5 Le Seigneur vit que les hommes étaient de plus en plus malfaisants dans le monde, et que les penchants de leur cœur les portaient de façon constante et radicale vers le mal. 6 Il en fut attristé et regretta d'avoir fait des hommes sur la terre. 7 Il se dit : « Il faut que je balaye de la terre les hommes que j'ai créés, et même les animaux, grands ou petits, et les oiseaux. Je regrette vraiment de les avoir faits. » 8 Mais Noé bénéficiait de la bienveillance du Seigneur. 7 1 Le Seigneur dit à Noé : « Entre dans l'arche, toi et ta famille, car j'ai constaté que tu es le seul parmi tes contemporains à m'être fidèle. 2 Prends avec toi sept couples de chaque sorte d'animaux purs, mais un couple seulement de chaque sorte d'animaux impurs. 3 Pour les oiseaux, prends aussi sept couples de chaque sorte, afin de sauver leur espèce sur la terre. 4 Encore une semaine et je ferai tomber la pluie pendant quarante jours et quarante nuits; je balayerai ainsi de la surface du sol tous les êtres que j'ai faits. » 5 Noé exécuta tout ce que le Seigneur avait ordonné.7 Il entra dans l'arche avec sa femme, ses fils et ses belles-filles, pour échapper à l'inondation. 8 Les animaux purs, les animaux impurs, les oiseaux et les petites bêtes qui se meuvent au ras du sol, 9 tous arrivèrent jusqu'à l'arche de Noé, deux par deux, un mâle et une femelle, comme Dieu l'avait ordonné. 10 Au bout de la semaine la grande inondation submergea la terre.
    12 Il se mit à pleuvoir sur la terre; la pluie allait durer quarante jours et quarante nuits. 16b Puis le Seigneur ferma la porte derrière Noé. 17b Quand le niveau de l'eau monta, l'arche fut soulevée au-dessus du sol et se mit à flotter. 22 Sur l'ensemble de la terre ferme tout ce qui possédait un souffle de vie mourut. 23 Le Seigneur balaya ainsi de la terre tout ce qui vivait, depuis l'homme jusqu'aux grands animaux, aux petites bêtes et aux oiseaux. Ils furent éliminés de la terre. Seul Noé survécut et, avec lui, ceux qui étaient dans l'arche.
    8 2b La pluie cessa de tomber. 3 Les eaux se retirèrent progressivement de la terre. 6 Au bout de quarante jours Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait ménagée dans l'arche. 7 Il laissa partir un corbeau. Celui-ci sortit et s'en revint bientôt : il fallait attendre que l'eau se résorbe sur la terre. 8 Puis Noé laissa partir une colombe, pour voir si le niveau de l'eau avait baissé. 9 Mais elle ne trouva aucun endroit où se percher, car l'eau couvrait encore toute la terre; elle revint donc à l'arche, auprès de Noé. Celui-ci tendit la main, prit la colombe et la ramena dans l'arche. 10 Il attendit une semaine et la laissa de nouveau partir. 11 La colombe revint auprès de lui vers le soir; elle tenait dans son bec une jeune feuille d'olivier. Alors Noé sut que le niveau de l'eau avait baissé sur la terre. 12 Il attendit encore une semaine et laissa partir la colombe, mais celle-ci ne revint pas. 13b Noé ôta le toit de l'arche, il regarda dehors et constata que toute la surface du sol était sèche.
    20 Noé bâtit un autel qu'il consacra au Seigneur. Parmi les grands animaux et les oiseaux il prit une bête de chaque espèce considérée comme pure et les offrit au Seigneur sur l'autel en sacrifice entièrement consumé par le feu. 21 Le Seigneur respira l'odeur apaisante de ce sacrifice et il se dit : « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais.

  • Genèse 8. Après le Déluge, Dieu décide de changer


    Genèse 8

    18.2.2007

    Dieu décide de changer

    Extraits de Genèse 6-7-8 Voir la note "Déluge, premier récit"    Osée 2 : 20-22


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Combien de fois n'entendons-nous pas des gens dire : "Si Dieu existait, il mettrait fin aux guerres, il mettrait fin à la violence des humains!" Ces personnes ont raison de s'interroger sur la présence du mal, et du mal radical, dans notre monde. Mais quand on demande que Dieu éradique le mal de la surface de la terre, on ne sait pas ce qu'on demande !  On ne sait pas le risque qu'on prend ! On ne sait pas si nous en apprécierions les conséquences ! Et si Dieu nous prenait au mot ?
    S'il fallait éradiquer toute violence, ne faudrait-il pas détruire toute vie sur terre, comme le récit du Déluge nous le rapporte ?  Et pas seulement les humains, les animaux aussi ! La loi de la nature est violente : manger ou être mangé. La nature si adorable que nous contemplons est aussi cruelle. Le coucou que nous aimons entendre chanter ne grandit qu'en chassant les oisillons du nid où il prend place. Et la guêpe qui pond ses œufs dans le corps d'une chenille qui va être dévorée de l'intérieur…
    L'être humain — quel qu'il soit — a toujours une part d'ombre en lui-même. Cette part d'ombre est bien cachée par le vernis social, mais on a vu —pendant l'invasion américaine en Irak — les pillages des banques et des musées dès que le pouvoir s'est effondré.
    Le récit du Déluge dans la Bible essaie de trouver une réponse à ce problème de la présence du mal dans le monde. Comment expliquer sa présence et que nous puissions malgré tout vivre avec ce mal ? Il est à remarquer que ce récit est le contraire d'un paradis perdu.
    Le récit dit que nous vivons dans un deuxième temps de l'histoire et que le premier temps —antédiluvien, avant le Déluge — était un enfer de violence et de confusion. Un tel enfer de violence et de confusion que Dieu a décidé de l'anéantir et de donner la possibilité d'un nouveau départ. Ce récit du déluge est donc un texte pour les rescapés que nous sommes, depuis Noé.
    Quelques mots sur la composition du texte du Déluge (Gn 6-9). Dans la Bible, ces 4 chapitres nous relatent deux récits du Déluge qui ont été entremêlés. Un texte ancien — celui qui est présenté plus haut — qui est de la même plume que Gn 2-3 l'histoire d'Adam et Eve, l'arbre et le serpent, Gn 4 Caïn et Abel et Gn 11, l'histoire de la tour de Babel. L'autre texte, qui date probablement de l'Exil, est de la même plume que le poème de la création de Gn 1 et les généalogies de Gn 5 et 10. Les deux récits du Déluge ont des accents théologiques différents. Aujourd'hui, je ne m'attache qu'au récit le plus ancien.
    Dans ce récit, il est intéressant de voir les places et les rôles respectifs de Dieu et de Noé. Dans le début de notre texte, c'est Dieu qui est aux commandes. Il constate la domination du mal, il est attristé, il prend la décision double d'anéantir la vie sur terre et de sauver Noé, sa famille et les animaux. Dans ce récit, l'arche est déjà prête. Noé peut embarquer. Dernier geste de Dieu : il ferme la porte de l'arche. Noé est passif jusqu'à la fin des 40 jours du Déluge.
    Après les 40 jours de décrue, Noé se met à agir en ouvrant la fenêtre et en procédant au lâcher des oiseaux. Puis il ôte le toit de l'arche pour faire sortir sa famille et les animaux. Enfin, il offre un sacrifice à Dieu. Ainsi, au fil du récit, Dieu laisse la place à l'être humain, il donne à l'être humain le pouvoir sur sa destinée et sa vie, il se fait moins intervenant. Cependant, Dieu n'abandonne pas Noé et les humains. A la suite du sacrifice de Noé, Dieu énonce sa promesse de maintenir les rythmes de la nature (l'arc-en-ciel et le thème de l'alliance appartiennent à l'autre récit). Voici la promesse de Dieu :
    « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais. (Gn 8: 21b-22)
    Ce qui est intéressant dans cette promesse, c'est que Dieu reconnaît que le mal persiste ! Le mal est inscrit dès le début au fond du cœur de l'être humain. Quel constat décevant. En quelque sorte, le Déluge a raté sa mission, cela n'a servi à rien. Quel gâchis !
    Oui, l'être humain et les lois de la nature n'ont pas été changées, alors Dieu prend un décision incroyable, inouïe : il décide que — puisque l'être humain ne change pas malgré le châtiment — c'est lui Dieu qui va changer ! Dieu change de stratégie pour modifier sa relation à l'être humain, il renonce à détruire, il renonce à sa puissance, à sa force pour contraindre l'être humain au changement.
    Dieu réalise : "on ne peut pas changer l'autre," aussi faut-il changer soi-même d'abord pour que la relation change. Alors Dieu change, il ne sera plus le maître et l'homme l'esclave. Dieu a choisi d'ouvrir la relation au partenariat. Plus fort encore, Dieu choisit la formule du mariage. Dieu renonce à l'obéissance et à la soumission de l'être humain, il veut un mariage d'amour.
    Dieu engage — à la suite du Déluge — une entreprise de conquête amoureuse, une démarche de séduction. Cette conquête, il l'entreprend en prenant la décision d'aimer l'être humain tel qu'il est. Il décide de laisser exister l'être humain tel qu'il est et de l'aimer ainsi quelle que soit la route qu'il emprunte.
    N'est-ce pas aussi le chemin que nous sommes invités à suivre : aimer les autres sans vouloir les changer ? C'est ainsi qu'Osée peut dire ces paroles de la part de Dieu envers son peuple :

    "Israël, c'est pour toujours que je t'obtiendrai en mariage. Pour t'obtenir, je paierai le prix : la loyauté et la justice, l'amour et la tendresse." (Osée 2:21)
    Oui, ce n'est pas le Déluge que Dieu nous envoie, mais une déclaration d'amour.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Exode 3. « Je SUIS qui je SUIS »

    Exode 3
    15.10.2000
    « Je SUIS qui je SUIS »
    Ex 3 : 1-8a+11-14 Phil. 2 : 5-11 Jean 10 : 11-15

    Chers Amis,
    J'aimerais vous parler aujourd'hui d'un NOM sous lequel Dieu s'est révélé dans l'Ancien Testament. Lorsqu'on lit l'Ancien Testament dans nos traductions françaises, on rencontre le plus souvent deux termes pour parler de Dieu : "Dieu" et "le Seigneur". Or Dieu s'est révélé sous des noms plus différenciés en hébreu :
    • un nom commun : El ou Elohim qui signifie : un dieu, ou Dieu, ou les dieux. On le retrouve dans certains noms propres comme "Israël" ou "Nathanaël".
    • un autre nom commun : Adonaï, qui signifie le maître ou le seigneur.
    • et un nom propre de quatre lettres, le Tétragramme : YHWH qu'on peut prononcer Yahweh ou Jéhovah. On le retrouve aussi dans des noms propres sous forme de Jo... (Jonathan ou Joël) ou sous forme de finale ...yaou (Nethaniaou).
    Ce nom de quatre lettres n'apparaît pas tel quel dans nos traductions françaises, car il est rendu le plus souvent par "le Seigneur." Dans la TOB, le Tétragramme est traduit tantôt par DIEU ou le SEIGNEUR, tout en lettres majuscules pour nous le signaler.
    D'où vient ce nom, ce Tétragramme ? Le texte de l'Exode, que vous avez entendu, tente d'en suggérer une explication. Dieu se révèle à Moïse d'abord en disant : "Je suis le Dieu (Elohim) de ton père, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob" (Ex 3:6). Ensuite, lorsque Moïse demande à Dieu son nom, pour dire aux hébreux en Egypte qui l'envoie, Dieu ajoute "Je SUIS qui je SUIS" (Ex 3:14). Réponse énigmatique qui relève du jeu de mot explicatif.
    Je SUIS, en hébreu, s'orthographie presque comme le Tétragramme. C'est comme si Dieu disait "Je SUIS" et que l'être humain répondait "Il EST" (YHWH). Dieu se dévoile donc dans une phrase mystérieuse.
    1. « Je SUIS qui je SUIS » Cela paraît au premier abord comme le refus d'une explication, d'un dévoilement. "Je SUIS qui je SUIS et tu n'en sauras pas plus." Comme si Dieu, tout en disant un nom, ne voulait pas révéler son nom. "Je SUIS celui dont personne ne peut prononcer le NOM", c'est-à-dire que personne ne peut enfermer dans un nom, dans une définition, que personne ne peut mettre en cage, ne peut maîtriser pour utiliser la force à son profit. "Je suis un Dieu libre, un Dieu de liberté, un Dieu libérateur que personne ne tient sous sa puissance, dont personne ne peut se réclamer pour soutenir ou défendre ses propres intérêts ou justifier ses propres actes."
    2. En hébreu, le verte ETRE a un sens très fort, il signifie être présent, être-là, être avec, exister auprès de. Lorsqu'il s'agit simplement de dire "le ciel est bleu", l'hébreu n'utilise pas de verbe : "bleu, le ciel".
    Ainsi la réponse de Dieu à Moïse : "Je SUIS qui je SUIS" peut être entendue comme : "Je SUIS celui qui sera là. Ma présence vous accompagnera. C'est par ma présence, par mes actes auprès de vous que vous me connaîtrez. Mon nom n'est pas important, l'important c'est que j'agis, ma personne, ma nature vous la connaîtrez au travers de ce qui va vous arriver : Vous allez sortir de l'esclavage, d'Egypte. Votre propre existence va devenir le terrain de ma révélation. Regardez en vous-même ce qui se passe lorsque vous me suivez et alors vous connaîtrez qui je SUIS."

    3. Cet être-avec de Dieu avec son peuple se manifeste déjà devant le buisson ardent lorsque Dieu se révèle à Moïse. Dieu a choisi de se révéler à Moïse pour cette raison :

    "J'ai vu la misère de mon peuple en Egypte, je l'ai entendu crier sous les coups. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le libérer." (Ex 3:7-8).
    L'ETRE de Dieu révélé dans son NOM, c'est celui qui souffre avec celui qui souffre, qui compatit avec l'oppressé, qui est blessé avec celui qui reçoit les coups et les balles. C'est celui qui prend le parti de la victime contre l'oppresseur. Du temps de Moïse, Dieu prend le parti des hébreux contre Pharaon. Aujourd'hui, Dieu souffre avec ceux qui enterrent leurs morts tombés sous les balles.
    Le buisson d'épines n'est pas sans nous rappeler la couronne d'épines de celui qui s'est abaissé jusqu'à la mort sur la croix (Phil. 2:8). Jésus, Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu avec tous ceux qui souffrent et ont besoin d'une présence, d'un réconfort, d'une libération ou d'une réhabilitation. Jésus, celui qui dit — dans l'évangile de Jean — Je SUIS le pain de vie, la lumière, la porte, le bon berger, la résurrection et la vie — est vraiment le Dieu qui se révèle dans le désert à Moïse.
    Dieu, Yahweh, est vraiment celui qui se révèle dans le buisson comme sur la croix, celui qui révèle son vrai visage, sa vraie nature, son vrai nom, son être véritable. L'évangile de Jean ne peut être plus clair lorsqu'il rapporte ces paroles de Jésus : "Lorsque vous aurez élevé sur la croix le Fils de l'Homme, alors vous reconnaîtrez que "je SUIS celui qui SUIS" (Jn 8 : 28).
    En Jésus, Dieu lui-même nous accompagne sur nos chemins de vie, dans nos moments de joie et de fête — avec les baptisés d'aujourd'hui — comme dans les moments de tristesse, de peine et de souffrance — avec les habitants de Gondo, aujourd'hui .
    Je SUIS-là, avec vous, aujourd'hui, dit Dieu.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 18. Abraham, moins audacieux que Dieu

    Genèse 18
    8.10.2000
    Abraham, moins audacieux que Dieu
    Gn 18 : 20-32 1 Tim 2 : 1-6 Mat. 5 : 43-46

    Chers Amis,
    Vous savez que les trois grandes religions monothéistes du monde se réclament d'être des descendants spirituels d'Abraham. Ces trois religions sont le judaïsme (0,2 % de la population mondiale*), le christianisme (33,1 %) et l'islam (19,8 %). Ces trois religions ensemble groupent donc 53 % des habitants de la terre. Plus de la moitié des habitants de cette planète se reconnaissent dans la figure d'Abraham, le père de la foi, l'héritier de la promesse de Dieu d'avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel ou les grains de sable des plages.
    Qu'a-t-il donc de si extraordinaire, cet homme, qui vivait il y a près de 4'000 ans ? Ce qu'il a de particulier, c'est d'abord que Dieu l'a choisi pour lui parler, pour se faire connaître. Ensuite, c'est parce qu'Abraham n'a pas hésité à interpeller Dieu, à lui demander de se dévoiler, de se montrer sous son vrai jour ! Abraham n'hésite pas à demander à Dieu qui il est. Est-il un Dieu qui est vraiment Dieu ou simplement un miroir des hommes avec tous leurs défauts et toutes leurs faiblesses ?
    C'est pourquoi, Abraham — ayant entendu le jugement porté contre la ville de Sodome — va questionner Dieu sur ses intentions :
    "Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l'innocent et le coupable ?" (Gn 18:23)
    On sait que les humains ne sont pas très doués pour distinguer les innocents des coupables — même aujourd'hui, il suffit de se rappeler combien d'innocents ont péri sur la chaise électrique ou dans des camps d'extermination au XXe siècle. On sait aussi que la nature — à travers les catastrophes, les maladies ou les accidents — ne fait pas de tri. Ne dit-on pas "ce sont les meilleurs qui partent en premier" ?
    Alors, demande Abraham, Dieu n'est-il qu'une projection des idées de l'être humain sur le ciel ? Dieu n'est-il qu'un autre nom pour la nature impitoyable ? Abraham veut savoir ! Abraham va lutter, marchander avec Dieu pour tester son sens de la justice. Combien faut-il de "justes" pour sauver tout le monde ?
    Remarquez ici qu'il ne s'agit pas de savoir si l'on peut sauver les justes en laissant périr les coupables. L'enjeu est de sauver tout le monde, — les bons comme les méchants — grâce à la présence de quelques personnes différentes, des personnes qui vont faire la différence !
    On sent Abraham — en même temps — fort dans sa revendication et tremblant devant son audace ! Jusqu'où peut-on demander quelque chose à Dieu sans aller trop loin ?
    La négociation s'arrête à 10 justes. Mais le texte ne nous dit pas pourquoi on s'arrête à dix. Dieu n'a pas dit "Ça suffit" ou "Je ne descendrai pas plus bas". Simplement Abraham s'arrête de demander ! Est-ce la limite de Dieu ou est-ce la limite d'Abraham ? Abraham n'a-t-il pas, pour une fois, manqué de foi ?
    Ce que nous connaissons maintenant de Dieu au travers de la personne et de la vie de Jésus nous conduit à penser que la limite a été posée par Abraham et non par Dieu.
    Le Nouveau Testament nous apprend que le but de Dieu — incroyable pour les humains ! — c'est de descendre jusqu'à UN. Un seul juste et tous les humains sont sauvés. L'attitude d'un seul compte et peut tout bouleverser. L'attitude de chacun compte et fait la différence.
    Le Nouveau Testament nous confirme deux choses. Premièrement, Jésus-Christ a incarné cette figure du juste, mais elle a été rejetée par tous. Deuxièmement, Dieu ne fait pas de différences entre les gens. Comme le dit Jésus :

    "Dieu votre Père fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal" (Mat 5:45)
    Cette phrase suit immédiatement la recommandation de Jésus "d'aimer ses ennemis" (Mat. 5:44) "afin que vous deveniez les fils de votre Père" (Mat. 5:45). Dieu ne juge pas, Dieu ne fait pas de tri, il nous demande de l'imiter pour devenir comme lui. Par ces recommandations, Jésus nous demande de sortir de nos comportements communs, dirigés par nos intérêts ou une étroite réciprocité. N'importe qui apprécie celui qui l'aime, cela n'a rien d'extraordinaire. Mais Dieu ne se comporte pas comme cela, et il nous invite à autre chose.
    Il nous invite à cesser d'être simplement un miroir de l'attitude de l'autre, il nous invite à innover, à surprendre, à construire une attitude intérieure et à la maintenir face aux autres. Cela provoque inévitablement des changements puisque la plupart des gens réagissent en miroir.
    Face à Abraham, Dieu montre qu'il ne veut pas partager le monde entre innocents et coupables, entre bons et méchants. Si nous adoptons aussi cette attitude intérieure, nous allons devenir celui qui compte, celui qui fait la différence et le monde changera autour de nous.
    Amen

    * Chiffres tirés du "Calendrier interreligieux 2000/2001", Editions ENBIRO, CP 64, 1000 Lausanne 9.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 45. Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation

    Genèse 45
    29.1.2006
    Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation
    Gn 42 : 6-24 Gn 45 : 1-9 Rm 8 : 26-29

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce dimanche Terre Nouvelle, nous nous penchons sur deux pays voisins — entre eux — le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). Ces deux pays ont fait la une de nos journaux depuis plusieurs années, la plupart du temps malheureusement pour des événements sanglants, génocide, guerre, déplacement de population, camps de réfugiés, guérilla, viols, etc…
    Cependant, même si les journaux en parlent moins, il y a aussi d'énormes efforts de réconciliation qui sont entrepris, notamment au Rwanda. Je n'ai pas la compétence pour vous parler des processus mis en place là-bas pour construire la réconciliation, mais je trouve que le roman autour de Joseph, dans le livre de la Genèse, est une histoire de réconciliation qu'il vaut la peine de regarder de plus près.
    Je ne prétends pas que cette histoire soit le modèle de toutes les réconciliations, mais elle offre une vision d'un parcours qui me paraît instructif. Il émane de cette histoire une vraie sagesse. Voyons cela !
    Vous connaissez les péripéties du début de l'histoire. Joseph, le 11e fis de Jacob se met à dos ses frères aînés en racontant des rêves où il les domine tous. Agacés et jaloux, ses frères veulent le tuer pour s'en débarrasser. Finalement, un peu calmé par un frère aîné, Joseph n'est "que" vendu comme esclave, mais déclaré mort à son père Jacob.
    En Egypte, Joseph — grâce au don divin d'interprétation des rêves qui lui avait valu son mauvais sort — devient premier ministre du pharaon. Il gère tous les greniers du pays. Un jour, il voit venir ses frères pour lui acheter du blé. C'est là que commence l'histoire de leur réconciliation.
    D'abord, il faut relever que cette réconciliation n'est pas donnée comme automatique ou évidente. Dans un premier temps elle va dépendre entièrement de Joseph. Lui seul reconnaît ses frères. Eux pas. Ils sont comme aveuglés. Comment pourraient-ils reconnaître dans l'homme d'Etat, second d'Egypte, le frère nu et misérable qu'ils ont vendu comme esclave ?
    Le récit nous a fait vivre les péripéties de Joseph, mais n'a rien dit de son parcours intérieur. Cependant, ce qu'on voit de lui, c'est un homme sûr de lui dans cette cour de pharaon, un homme reconnu et vénéré pour ses compétences de gestionnaire. C'est loin de l'image d'une victime (du sort ou des circonstances) qui en veut à tout le monde et cherche vengeance !
    Joseph nous apparaît comme quelqu'un qui a digéré ses revers, qui n'en veut plus à ceux qui lui ont fait du tort (et il n'y a pas que ses frères…). Il est pacifié à l'intérieur de lui-même. Cela ne veut pas dire qu'il est angélique et sans méfiance. Il reçoit ses frères avec une certaine rudesse qui relève de la distance de quelqu'un qui a déjà été échaudé. Avant de se dévoiler, il doit vérifier s'il peut ou non leur faire confiance. C'est de la simple prudence.
    Dans les dialogues qui s'instaurent entre Joseph et ses frères, on constate que c'est Joseph qui tient le couteau par le manche. Il a totalement quitté son rôle de victime, il n'a pas attendu de revoir ses frères pour cela, il n'a pas attendu une parole ou un geste de repentance de leur part. S'il avait attendu cela de ses agresseurs, il aurait maintenu vis-à-vis d'eux une dépendance, il serait resté dans son rôle de victime, il serait resté assujetti à leur bon vouloir.
    Il y a là l'idée intéressante que le sort, ou le sortir, du rôle de victime n'appartient absolument pas à ceux qui ont fait du tort, ou aux circonstances, ou à un jugement des coupables. Tout est entre les mains de Joseph. Tout est à l'intérieur de soi, c'est à chacun de choisir et décider de sortir de cet état. Il est clair que c'est plus facile si l'on peut s'appuyer sur des alliés bienveillant, notamment sur Dieu.
    Deuxième constatation, ce sont les frères qui vivent les affres de l'angoisse. Ce sont eux qui ont peur, qui ont honte, qui vivent la culpabilité. Entre eux, ils évoquent leur méfait et font le lien entre leur peur et le mal qu'ils ont commis. Sûr que cela fait du bien à Joseph de les entendre avoir des regrets et des remords. C'est un cadeau pour lui, mais nous avons vu que ce n'est pas une condition pour Joseph pour être en paix avec lui-même.
    Jusque-là, Joseph et ses frères ont parcouru des chemins séparés : Joseph a éteint en lui la rancune, les frères ont réalisé le mal qu'ils ont commis. Le chemin de la réconciliation peut commencer. On pourrait penser que ce chemin va se faire ensemble. Eh bien pas tout de suite. La mise à l'épreuve est encore un chemin séparé. Le récit nous rappelle que les dialogues se font au travers d'un interprète — qui occupe la place d'un médiateur. De fait, les frères ne reconnaissent toujours pas Joseph.
    Joseph est comme caché derrière le masque de sa fonction, cependant ce masque craque. Au fur et à mesure que Joseph découvre à quel point ses frères ont changé — à quel point ils sont unis et solidaires et ne laissent pas tomber celui qui doit rester en otage — Joseph est ému et pleure. Trois fois le texte souligne que Joseph pleure et doit se retirer (Gn 42:24; 43:30; 45:2) Enfin, Joseph, n'y tenant plus, il laisse tomber son masque et se dévoile à ses frères.
    La réconciliation se matérialise autour d'un repas partagé. Fête de retrouvailles où les rôles disparaissent, tous se retrouvent frères, enfants d'un même père. Et là se déroule la dernière étape de la réconciliation : la relecture de l'histoire de Joseph avec cette déclaration : "Ce n'est pas vous qui m'avez envoyé ici, mais Dieu." (Gn 45:8)
    Quelle confession de foi étonnante pour quelqu'un qui s'est retrouvé esclave et prisonnier avant d'être relevé ! "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" Il n'y a pas de plus belle déclaration pour dire qu'il n'existe plus de rancune entre ces frères. C'est peut-être là le secret de Joseph, la force qu'il a utilisée pour sortir du rôle de victime dans lequel ses frères l'ont précipité : s'en remettre à Dieu dans une confiance totale.
    "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" c'est une phrase de confiance totale en la Vie, en Dieu. Une phrase qui affirme que tous les événements peuvent receler un chemin, une voie vers le bien, vers le bonheur, même si l'on passe par des circonstances qui nous abattent.
    C'est cette même confiance totale qui se manifeste dans les paroles de l'apôtre Paul lorsqu'il affirme que "tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu" (Rm 8:28). Comment, dans notre vie, y compris lorsqu'on a été victime ou que l'on se sent victime, arriver à ce stade de sagesse ?
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.