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  • Luc 24. Pas de vision directe du ressuscité, pour l'évangéliste Luc.

    Luc 24
    6.5.2012
    Pas de vision directe du ressuscité, pour l'évangéliste Luc.
    Luc 24 : 13-35

    Télécharger la prédication ici : P-2012-05-06.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Christ est ressuscité ! C'est ce que nous proclamons depuis Pâques, comme chrétiens. C'est ce que les premiers chrétiens ont proclamé, cru et transmis, et que d'autres chrétiens ont relayé jusqu'à aujourd'hui. Il y a des Eglises encore aujourd'hui, et nous sommes-là en ce moment, parce que ce message a été proclamé.
    Il n'en reste pas moins que cette proclamation reste difficile à comprendre, à saisir ou à accepter. Et c'est bien aussi ce que nous dit le récit de Luc, de ces "pèlerins d'Emmaüs" qui cheminent, qui s'éloignent de Jérusalem pour retourner chez eux. Ils étaient montés à Jérusalem plein d'espoir, ils pensaient que ce Jésus était celui qui allait délivrer Israël (Luc 24:21). Ils rentrent attristés, déçus, tout a mal tourné.
    C'est dans ce contexte, cette situation, triste et bouchée, que Luc vient parler de résurrection, de Jésus ressuscité. Luc veut nous faire comprendre de quelle nature est la résurrection. Luc était médecin, il avait fait des études, ce n'était pas un illuminé, prêt à croire une fable ou l'illumination d'exaltés. Luc ne cherche donc pas à éblouir ou à aveugler par des éclairs. C'est le contraire; le récit est tout en retenue, Luc est même extrêmement économe dans ses récits d'apparition de Jésus.
    Dans ce récit des "pèlerins d'Emmaüs" Jésus chemine avec Cléopas et un autre homme, mais sans qu'ils ne le reconnaissent. Pour eux deux, c'est un inconnu qui chemine avec eux. Cela peut-être n'importe quel voyageur. Ensuite, quand les yeux de Cléopas et de l'autre homme s'ouvrent, Jésus disparaît.  Jésus n'est reconnu qu'après coup. (v.31)
    Pourquoi Luc joue-t-il à ce jeu de cache-cache ? Parce qu'il doit exprimer par des mots une réalité qui nous échappe, une réalité inconnue, toute nouvelle : Jésus est présent malgré le fait qu'il soit mort sur la croix. Sa présence persiste au-delà du mur de la mort. Mais cette présence n'est pas celle de quelqu'un qui aurait été réanimé, ni la présence d'un fantôme.
    Cette présence de Jésus chemine avec nous et dialogue avec nous. Jésus n'est ni sous terre, ni loin dans le ciel, il est sur les chemins de nos vies et il vient pour partager nos moments de vie et il vient incognito.
    Nous ne pouvons pas dire — à coup sûr — "il n'est pas là maintenant !" parce que nous ne le voyons pas. Il est dans notre cheminement. Il est dans notre questionnement, dans nos interrogations, dans nos déceptions ou nos joies.
    Il nous invite à penser notre vie. "De quoi discutiez-vous", "qu'est-il arrivé" demande-t-il. Il nous invite à raconter ce que nous vivons, à mettre des mots sur les faits, sur nos pensées, sur nos sentiments, sur nos émotions.
    Alors, ce processus nous met en contact avec nous-mêmes, avec notre être intérieur, avec notre histoire, pour coller ensemble, pour rassembler les différents épisodes de nos vies pour en faire un récit qui ait du sens. C'est dans ce processus que les yeux des deux hommes vont s'ouvrir. Ils racontent leur histoire, leurs pensées, leurs sentiments.
    Ensuite, Jésus fait deux choses : a) il relie ces faits et ces pensées avec la tradition, l'histoire du peuple d'Israël qu'on trouve dans l'Ecriture, dans la Bible. b) ensuite il répète les gestes que les disciples ont vécu : le partage du pain, vécu lors du dernier repas avec Jésus.
    Là, ça leur fait tilt. Leurs yeux s'ouvrent, ils comprennent, l'histoire a, tout à coup, un sens. Ce qui était absurde et désespérant prend la forme d'une histoire avec un plan, un but, une orientation. La mort de Jésus n'était pas la fin de l'histoire, mais le début. Jésus n'a pas été assassiné, mais il a donné sa vie pour nous ouvrir les yeux.
    Quand tout s'illumine pour ces deux disciples, Jésus n'a plus besoin d'être assis avec eux à la table, la présence de Jésus est maintenant en eux-mêmes, ils sont habités, ils peuvent se lever, se relever — c'est le verbe de la résurrection qui est utilisé là. Ils peuvent retourner à Jérusalem vers les autres disciples, parce que l'histoire commence maintenant.
    Dans ce récit, ce que Luc montre, c'est qu'il y a deux lieux où l'on peut reconnaître la présence du Christ : premièrement, c'est dans les Ecritures, dans la Bible. A la lumière du Premier Testament, la vie de Jésus et sa mort prennent un sens nouveau, qui est le début d'un histoire et non le terminus. Deuxièmement, c'est dans le partage du pain, dans la Cène que se révèle la vie du Christ ressuscité. C'est là, dans l'Ecriture et dans la Cène que se révèle la vie du Christ ressuscité.
    Pour Luc, il n'y a pas de vision directe du ressuscité. Il n'y a pas besoin de vision directe pour être croyant, pour comprendre. La vérité du Christ n'est ni sous terre dans un tombeau, ni au ciel — en sécurité dans le ciel, loin de la méchanceté humaine. Non, la vérité du Christ est dans cette présence invisible parmi nous qui se vit dans le lien entre notre histoire et l'histoire des croyants racontée dans la Bible et dans le partage du pain, signe du partage des biens et du partage des soucis de la vie quotidienne.
    A nous d'ouvrir les yeux pour voir qui chemine avec nous. Pour entendre les questions que nous posent ceux qui cheminent avec nous. Pour entendre les liens que tissent notre histoire avec les personnages de la Bible. Pour reconnaître le Christ dans ceux qui partagent le pain de l'existence avec nous.
    Christ n'est ni enfermé dans son tombeau, ni éloigné dans le ciel. Il chemine avec nous pour nous ouvrir les yeux, pour nous relever et pour nous donner la vraie vie avec lui.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 24. "Souvenez-vous des paroles que Jésus vous a dites en Galilée."

    Luc 24
    8.4.2012
    "Souvenez-vous des paroles que Jésus vous a dites en Galilée."
    Luc 23 : 50-56    Luc 24 : 1-12

    Télécharger le texte de la prédication : P-2012-04-08.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu à Vendredi saint comment l'Evangéliste Luc interprète la Passion de Jésus. Luc présente la mort de Jésus sur la croix comme une injustice frappant un innocent. Jésus est présenté comme la figure du Juste qui souffre, mais qui garde confiance. Il pardonne à ses bourreaux. Il donne espérance au malfaiteur qui reconnaît ses propres fautes et témoigne de l'innocence de Jésus. Il remet à Dieu son esprit en toute confiance.
    Comment Luc nous présente-t-il maintenant la résurrection ? Cela commence par la mise au tombeau. Dans cette scène sont mis en place les lieux et les personnes qu'on retrouve le dimanche matin. La tombe est un tombeau individuel, neuf, n'ayant pas servi. Il est vu et reconnu par les femmes qui vont s'occuper, après le sabbat, de la toilette mortuaire et des rites funéraires. Il n'y aura pas de confusion de lieu ni de dépouille lors du retour des femmes.
    Ainsi, tout repose pendant le samedi, dans une stricte observance du commandement divin.
    A l'aube du lendemain du sabbat, notre dimanche, les femmes reviennent pour les rites funéraires. Elles ont à l'esprit les gestes traditionnels qui rendent hommage aux morts et nous préparent à la séparation. Elles ne s'attendent donc pas du tout à ce qu'elles vont trouver et ne pas trouver.
    Elles trouvent la pierre roulée et elles ne trouvent pas le corps du Seigneur Jésus. Et le récit nous dit là qu'elles ne savent pas quoi faire. Elles sont venues avec leur savoir-faire — le rite funéraire — mais il n'y a plus de mort. Elles sont désemparées.
    Apparaissent deux hommes avec des vêtements de lumière qui vont dire les paroles décisives : "Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts. Il n'est pas ici, il est réveillé" (Luc 24:6) et "Souvenez-vous des paroles qu'il vous a dites en Galilée !" (v.6). Ces paroles sont les annonces de la Passion que Jésus a répété trois fois aux disciples.
    Lorsqu'elles se souviennent, lorsqu'elles rassemblent leurs souvenirs, alors elles repartent du tombeau pour retrouver les autres disciples et elles leur racontent ce qu'elles ont vu. Mais les disciples ne les croient pas, pas encore. Seul Pierre doute assez pour aller voir de ses propres yeux et confirme que le tombeau est vide.
    Voilà le récit du matin de Pâques rapporté par Luc.
     Ce récit de Luc se différencie des trois autres Evangiles en ceci : chez Luc, les femmes vont du tombeau vide vers les disciples sans rencontrer Jésus. Dans les trois autres Evangiles, les femmes découvrent le tombeau vide d'abord, mais sur le chemin du retour elles rencontrent le Christ ressuscité et c'est de cette rencontre que les femmes vont témoigner auprès des disciples.
    Ici, Luc fait le tour de force de nous donner le récit de la résurrection sans rencontre avec le Ressuscité ! Que faut-il en penser ?
    Je crois que Luc place les femmes directement dans la situation de ses auditeurs et de ses lecteurs, ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui, dans une situation où ni elles, ni nous, ne voyons de nos yeux le Christ ressuscité. Nous ne pouvons plus dire : c'était plus facile pour ces femmes que pour nous aujourd'hui ! Nous sommes dans la même situation que les disciples, les disciples sont dans la même situation que nous. Tout repose sur la foi.
     Ce qui est intéressant dans le récit de Luc, c'est de voir comment naît et se développe la foi. Les témoins aux vêtements de lumière disent aux femmes : "Souvenez-vous des paroles que Jésus vous a dites en Galilée." (v.6). Et le déclic se passe effectivement pour les femmes (v.8) lorsqu'elles se remémorent les paroles de Jésus.
    Ce processus de remémoration, c'est le fait de mettre ensemble, de relier des événements, de faire des liens entre des mots et des faits. C'est ainsi que l'on donne sens à une suite de faits dans sa vie, quand on peut se dire : "En fait, tout se tient !" ou "Cela prend sens !" ou encore "Je comprends maintenant."
    Mettre les choses ensemble se dit en grec "symbolon" ce qui est le contraire de séparer, diviser qui se dit "diabolon." Cela parle par soi-même.
    Le lieu de la révélation, dans le récit de Luc, c'est la mémoire qui permet de mettre ensemble des éléments qui n'avaient pas encore de liens. Ce dimanche matin, les événements de la vie de Jésus prennent sens. Les femmes découvrent — devant le tombeau vide — que la vie du Juste n'est pas anéantie, mais que Dieu l'a relevée. Le Vivant n'est pas parmi les morts. Et c'est toute la vie de Jésus qui en témoigne.
    C'est la vie de Jésus qui est une attestation de la résurrection, pas une apparition ou une autre. C'est pourquoi Jésus n'apparaît pas aux femmes et que la première "apparition" de Jésus, chez Luc, devant les pèlerins d'Emmaüs, sera simultanément une transposition dans le pain et une disparition aux yeux des pèlerins (Luc 24:31).
    Chez Luc, la résurrection se passe avant tout dans le témoignage de la vie de Jésus avant sa mort, pas après la croix. Après la croix, c'est le Saint-Esprit qui témoigne de la présence de Jésus.
    C'est pourquoi, sans avoir vu Jésus, les femmes peuvent aller témoigner auprès des disciples de la résurrection du Christ.
    Et c'est la chaîne des témoins qui commence et se déroule. Des deux hommes vêtus de lumière aux femmes; des femmes à Pierre et aux premiers disciples; des disciples aux habitants de Jérusalem, puis jusqu'aux extrémités de la terre, jusqu'à nous. C'est une chaîne qui ne doit pas être interrompue.
    A chacun de se demander : Qu'ai-je entendu ? Qu'ai-je reçu ? De quelle parole puis-je me souvenir qui fasse lien, qui fasse sens et témoigne de la résurrection dans ma vie ?
    C'est de cette vie-là, de ce sens-là que je suis appelé à témoigner. Le Vivant est présent dans ma vie.
    Amen.
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 23. Luc présente la mort de Jésus comme une erreur judiciaire

    Luc 23
    6.4.2012, Vendredi-saint
    Luc présente la mort de Jésus comme une erreur judiciaire
    Luc 23 : 22-56
    Télécharger la prédication : P-2012-04-06.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous sommes face au mystère de la mort de Jésus, face au mystère de la croix. Un mystère, pas une énigme, car nous savons comment cela s'est passé. L'enquête est close, les faits sont établis, nous savons comment Jésus est mort. Ce qui reste un mystère, c'est pourquoi est-il mort ?
    Les apôtres dans leurs lettres, puis les quatre Evangélistes, nous livrent chacun des pistes d'interprétation, pour répondre à la question "Pourquoi est-il mort ?"
    Le mystère ne signifie pas qu'il n'y a aucune réponse. L'existence du mystère signifie plutôt qu'aucune de ces réponses n'épuise le sujet. Même, toutes ces réponses ensemble ne comblent pas nos interrogations.
    Comment cela a-t-il pu arriver, que l'humanité présente puisse faire exécuter le Fils de Dieu ? Chacun de nous a besoin d'aborder ce mystère et de trouver une réponse qui le satisfasse, une réponse qui fasse sens, pour soi.
    En rédigeant le récit de la Passion, l'Evangéliste Luc apporte la réponse de sa communauté Le fruit de méditations, de réflexions, d'études des Ecritures et de la vie de Jésus.
    Dans son récit du procès et de la mort de Jésus, Luc met en évidence l'innocence de Jésus. Par trois fois, Pilate déclare qu'il ne trouve aucun raison de condamner Jésus (Luc 23:4, 14, 22). Ensuite, seul Luc rapporte le dialogue entre les deux malfaiteurs sur les croix. L'un accusant Jésus et l'autre protestant : "Pour nous cette punition est juste (…), mais lui n'a rien fait de mal." (v.41). Enfin, troisième témoignage — une fois que Jésus est mort — l'officier romain déclare : "Réellement, cette homme était juste" (v.47). Ainsi Luc nous présente-il la mort de Jésus comme une erreur judiciaire, comme la mise à mort d'un innocent, d'un juste.
    Et Luc montre les conséquences catastrophiques pour l'humanité et la création tout entière. Luc est le seul à parler des femmes qui suivent Jésus sur le chemin de Golgotha et à rapporter les paroles de Jésus : "Ne pleurez pas à cause de moi ! Pleurez plutôt sur vous et vos enfants" (v. 28). Jésus met en évidence que son exécution n'est que la figure, la mise en exemple de toutes les mises à mort injustes à venir dans l'Histoire. Ou si l'on regarde en miroir, il avertit qu'il nous faudra regarder les malheurs, les victimes futures comme son propre martyre.
    On peut penser ici à toutes les femmes et tous les enfants, victimes collatérales des conflits violents, ou celles directement visées et abusées, utilisées, pour faire plier et décourager les aspirations à la liberté. Dans ces femmes et ces enfants, c'est la Passion du Christ qui se répète. Et chaque fois que ces martyres se répètent, c'est le ciel qui s'obscurcit sur toute la terre, de midi à trois heures. Métaphore pour dire la tristesse de Dieu de voir des humains torturés et maltraités.
    Ainsi, dans son récit de la Passion, Luc nous montre toute la noirceur du monde en train d'assassiner le Juste, celui qui venait apporter la lumière aux humains. En ce moment, le Juste est réduit à l'impuissance, la lumière s'éteint, le mal triomphe.
    Il y a cependant, dans le récit de Luc, trois lampes qui brillent dans cette obscurité : ce sont les trois paroles de Jésus sur la croix.
    1) "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font" (v.34). Jésus demande à son Père de ne pas ajouter du malheur au malheur. La situation est déjà assez sombre pour ne pas y ajouter des punitions supplémentaires. La culpabilité est évidente, les hommes se punissent assez eux-mêmes en agissant comme cela. Il n'y a rien à y ajouter.
    2) Sur la croix, Jésus répond en ces termes à la demande du malfaiteur qui reconnaît l'innocence de Jésus : "Je te le déclare, c'est la vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" (v. 43). Une parole de délivrance et d'espérance. Il y a une issue pour ceux qui savent identifier où est le mal et où est le bien, pour celui qui sait distinguer entre le bourreau et la victime.
    Le récit de la Passion lui-même doit nous servir de grille de lecture, de grille d'interprétation dans notre lecture des nouvelles du monde. Nous devons apprendre à distinguer victimes et bourreaux. Jésus sur la croix, se tient résolument aux côtés des victimes, victimes tant des malheurs que de l'injustice.
    3) Au moment de mourir, Jésus crie : "Père, je remets mon esprit entre tes mains" (v.46). Une parole de confiance, une parole de certitude, le Père est là, près du Fils, les bras ouverts. Quand toute la violence du monde et des humains s'est liguée contre Jésus, il n'est pas seul, il n'est pas abandonné. Dieu est de son côté, il peut se réfugier en Lui et Lui remettre sa vie.
    Ces trois paroles illustrent, dans ces sombres événements, trois repères qui vont permettre de traverser la nuit de la mort et préfigurer Pâques : le pardon, l'espérance et la confiance.
    Le pardon sur le passé, sur notre passé, pour se relever comme le paralytique et nous mettre en marche à la suite de Jésus. L'espérance qui nous assure un avenir, l'espérance du royaume de Dieu, qui nous donne un but et une tâche pour mettre un peu de lumière dans notre monde obscur. La confiance pour notre présent, confiance dans la bonté, la bienveillance de Dieu qui veille sur nous comme un Père lorsque nous traversons l'obscurité.
    La mort du Juste nous montre l'obscurité du monde, mais le Juste a allumé les lampes — au cœur de cette obscurité — du pardon, de l'espérance et de la confiance.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 6. "Celui qui tient un marteau dans la main cherche des clous"

    Luc 6
    25.3.2012
    "Celui qui tient un marteau dans la main cherche des clous"
    1 Thess 5 : 15-18     Luc 6 : 46-49
    Télécharger la prédication : P-2012-03-25.pdf

    "Celui qui tient un marteau dans la main cherche des clous."
    J'ai entendu cette phrase étrange dans une émission de radio qui parlait de la recherche du bonheur. "Celui qui tient un marteau dans la main cherche des clous." Cette phrase m'a donné à réfléchir sur le lien entre ce que fait notre corps et ce que nous pensons. Quand notre corps tient un objet, cela influence notre pensée. Quand nous faisons certains gestes, cela oriente notre esprit dans une direction plutôt que dans une autre.
    Cette phrase veut nous dire que notre regard, notre attention ne sont pas les mêmes selon que nous avons un marteau, un tournevis, un sarcloir ou une éponge à la main.
    Nous avons l'habitude de penser que tout est dans la tête. Que c'est notre cerveau qui dirige, que ce sont nos pensées qui nous façonnent. Nous pensons prendre des décisions de manière rationnelle et les faire exécuter par notre corps. La tête commande et le corps obéit, c'est notre façon habituelle de voir les choses.
    Et pourtant, combien de fois voyons-nous que c'est inefficace ! Entre nous, combien de temps avez-vous tenu les bonnes résolutions de Nouvel An ? Depuis combien de temps essayez-vous de vous débarrasser d'une certaine habitude… sans y parvenir ?
    Hélas, souvent, la volonté ne suffit pas ! L'apôtre Paul — déjà — ne disait-il pas : "Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas" (Rom 7:19).
    Peut-être bien que nous prenons les choses à l'envers ? Nous cherchons à dominer le corps par l'esprit, peut-être vaut-il mieux en faire un allié, un collaborateur, un associé, un ami.
    "Celui qui tient un marteau dans la main cherche des clous." Cette phrase m'a fait penser à cette parole de Jésus à propos des deux maisons. Jésus oppose deux attitudes : celui qui écoute sa parole et la met en pratique et celui qui écoute sa parole et ne la met pas en pratique. Remarquez que les deux personnes écoutent la Parole de Jésus.
    La différence est dans la mise en pratique, dans la mise en route du corps, dans la mobilisation de tout l'être. L'intuition formidable de Jésus, c'est que la vie n'est pas seulement affaire de pensée, de réflexion, de volonté, d'intention. La vie est affaire d'action, d'émotion, de pratique, d'exercice, de mise en mouvement du corps, d'action transformatrice du monde.
    Je vous donne un exemple : au collège, j'avais un copain qui était tombé amoureux d'une camarade de classe. Celle-ci faisait de l'équitation. Mon copain s'est alors acheté un livre sur l'équitation. Il pensait pouvoir en apprendre assez sur l 'équitation — dans un livre — pour se rapprocher de cette fille. C'est sûr : il pouvait parler d'équitation, mais il ne savait pas monter à cheval.
    Ce que Jésus veut nous dire, c'est qu'on peut connaître la Bible par cœur, si on n'a pas de pratique, si on n'a pas exercé ce savoir dans la vraie vie, ça ne sert à rien.
    Et Jésus précise à quoi sert cette pratique, il en définit le but : à construire une maison solide dans la tourmente, ce qui est une image pour décrire une personnalité qui résiste aux épreuves de la vie. Le but est donc de construire sa personnalité pour pouvoir vivre heureux, sage ou serein, malgré les tempêtes de l'existence.
    Le savoir théologique ou psychologique ne suffit pas. Il faut s'être exercé. Il ne suffit pas de lire un livre pour savoir monter à cheval. Ce que Jésus nous dit, c'est que la pratique crée l'état d'esprit et la compétence, en même temps. 
    Je vais prendre un exemple qui sera aussi la matière sur laquelle vous pourrez vous exercer toute la semaine qui vient, si vous le souhaitez. Je vais prendre l'exhortation de Paul aux Thessaloniciens : "Soyez joyeux, priez sans cesse, soyez reconnaissants en toute occasion." (1 Thess 5:16-18).
    Cela ressemble typiquement à un ordre du genre : "Soyez spontanés !" impossible à mettre en œuvre ! Comment je fais si je ne suis pas joyeux ? Comment je fais s'il ne m'arrive rien de positif pour lequel être reconnaissant ?
    Et bien, ça ne marche pas, en effet, si on met la charrue avant les bœufs, si on pense qu'il faut d'abord être joyeux pour se sentir bien; s'il faut d'abord qu'il nous arrive quelque chose de vraiment bien ou d'extraordinaire pour être reconnaissant. C'est lié à l'idée que nos émotions doivent diriger nos comportements.
    Et si l'inverse était possible aussi, et si l'inverse était vrai ?
    J'aimerais vous parler d'un journaliste new-yorkais, A. J. Jacobs — spécialiste des paris un peu fous (son expérience précédente avait consisté à lire l'Encyclopédie Britannica en entier !) — ce journaliste a décidé de vivre selon la Bible pendant une année*. Lui, juif agnostique complet, a voulu tenter l'expérience d'obéir à tous les commandements bibliques, les uns après les autres.
    Et il est tombé sur ce commandement de Paul : "Soyez reconnaissants en toutes circonstances." Et il a essayé. Voici ce qu'il dit de cette expérience-là : "Je commence à voir la vie différemment. Quand on remercie Dieu à la moindre petite joie — à chaque repas, chaque fois qu'on se réveille, chaque fois qu'on boit une gorgée d'eau — on ne peut pas s'empêcher d'être davantage reconnaissant de la vie elle-même, du fait improbable et miraculeux qu'on existe." (p.242). Et il ajoute : "le comportement façonne les émotions" (p.409).
    "Celui qui tient un marteau dans la main cherche des clous." Celui qui lève les mains vers le ciel pour rendre grâce trouve toutes sortes d'occasions de remercier et par là même embellit sa vie et la rend joyeuse.
    Lancez-vous dans cette mise en pratique, prenez un carnet ou une feuille de papier dans votre poche et notez toutes les petites choses agréables qui vous arrivent, que vous voyez autour de vous, et vous verrez qu'il y en a, et vous serez surpris de les voir s'accumuler, vous en découvrirez de nouvelles, vous vous arrêterez à des choses à côté desquelles nous passions sans les voir.
    Ecouter les paroles de l'Evangile et les mettre en pratique n'est pas un devoir, un pensum, une charge, c'est le chemin d'une vie heureuse, d'une vie sereine et solidement établie.
    Amen

    * A. J. Jacobs, L'année où j'ai vécu selon la Bible, Actes Sud, 2008 (Babel 1007), traduit de l'américain par Yoann Gentric.

    Site de Jacobs en anglais
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Luc 10. Apprendre à habiter chacun de ses gestes

    Luc 10
    9.10.2011
    Apprendre à habiter chacun de ses gestes
    Eccl. 3 : 1-4   Lc 10 : 38-42

    télécharger ici la prédication : P-2011-10-09.pdf
    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers catéchumènes et familles,
    J'ai choisi pour le message d'aujourd'hui de partir d'une rencontre de Jésus — comme je l'ai fait il y a quinze jours pour l'accueil des nouveaux catéchumènes. C'est au travers des récits de ses rencontres et de ses actions que nous découvrons qui est Jésus et c'est en découvrant qui est Jésus que nous pouvons découvrir qui est Dieu. C'est en tout cas ce que nous croyons comme chrétiens : c'est le Christ qui nous donne accès à Dieu.
    Dans ce récit Jésus rencontre deux femmes. Jésus entre dans la maison de Marthe et Marie, deux sœurs. Dans l'Evangile de Jean, on découvre qu'elles ont encore un frère qui s'appelle Lazare — mais il n'apparaît pas dans le récit de Luc — et nous apprenons que Jésus fréquente souvent cette maison de Béthanie (Jn 11:1).
    Marie et Marthe connaissent donc bien Jésus. Des habitudes ont été prises. Quand Jésus arrive, Marthe s'occupe de préparer le repas et Marie s'assied auprès de Jésus pour parler, pour écouter. Les choses se sont établies comme cela, mais, comme le récit nous le fait découvrir, cette situation crée un malaise : Marthe est fâchée et elle va se plaindre auprès de Jésus de l'attitude de sa sœur Marie. Marthe se plaint d'être seule à assurer le service alors que sa sœur ne fait rien en restant à écouter Jésus.  
    Jésus répond à Marthe, mais sans désavouer l'attitude de Marie dont il dit qu'elle a choisi la bonne part et qu'il ne va pas la lui enlever. Traditionnellement, pendant longtemps, cette réponse a été comprise comme la désapprobation de l'activisme de Marthe et la valorisation de l'attitude contemplative de Marie. En résumé, mieux vaut une vie de prière et de lecture de la Bible qu'une vie active dans le monde.
    Je pense qu'on peut dépasser ce clivage "action-contemplation" issu d'une lecture superficielle de ce récit. Essayons de voir plus en détail le dialogue entre Marthe et Jésus :
    "Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour accomplir tout le travail ? Dis-lui donc de m'aider." (v.40)
    Essayons d'imaginer la scène : Marthe bondit hors de la cuisine et s'en prend à Jésus "Ça ne te fait rien…" On voit la colère de Marthe, elle est irritée, fâchée, mais derrière cette colère on voit la souffrance. Si Marthe se plaint, c'est qu'elle se sent lâchée, abandonnée dans sa cuisine, seule, isolée, en train de ruminer que sa sœur ne fait rien, ne l'aide pas et profite de l'invité.
    Il y a là — en plus du sentiment d'abandon — une certaine jalousie : moi aussi j'aimerais être là-bas en train d'écouter Jésus, être dans sa présence. Mais au lieu de ce bon moment, Marthe est débordée par toutes les tâches d'accueil et de préparation du repas. Donc, quand elle n'en peut plus, elle sort et va râler auprès de Jésus.
    On s'attendrait à ce que Marthe demande à Jésus de la sortir de là, mais ce n'est pas ce qui se passe. C'est le deuxième aspect de ce dialogue : la demande est décalée. Marthe en veut à sa sœur, mais elle s'en prend à Jésus ("Ça ne te fait rien que…" et "Dis à ma sœur de m'aider"). Marthe est incapable de formuler une demande directe. Au lieu de s'adresser à sa sœur en disant "J'ai besoin de ton aide" ou "Veux-tu venir m'aider" elle râle et donne des ordres.
    Combien de fois agissons-nous aussi de cette façon indirecte et décalée ? Marthe n'est pas à blâmer, elle agit comme tout le monde, elle agit comme nous tous : nous passons plus de temps à râler, à nous plaindre — pas toujours au bon endroit — plutôt que de voir ce dont nous avons besoin et de le demander directement à la personne qui peut nous le donner. La colère est une émotion et une force qui est positive lorsque nous arrivons à la transformer en une demande — polie — envers la bonne personne.
    Jésus reçoit donc cette demande décalée. Comment réagit-il ? Il répond : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses." Jésus commence par dire deux fois le prénom de Marthe. Une façon de prendre contact, de créer un lien personnel avec elle. "Marthe, Marthe, je suis avec toi, regardons-nous et voyons ce qu'on peut faire ensemble."
    Ensuite Jésus reformule ce qui se passe pour Marthe : il reconnaît la réalité que vit Marthe. Oui, elle vit dans l'inquiétude et le débordement. Jésus ne gomme pas les sentiments de Marthe, il les reconnaît, il en donne quittance.
    Ensuite seulement, Jésus pose une affirmation énigmatique : "Une seule chose est nécessaire." Face à la tempête de sentiments qui agite Marthe, Jésus pose la question de l'essentiel, des priorités. "Quelle est la seule chose nécessaire ?" Et il montre Marie, la sœur de Marthe, pour dire qu'elle a choisi l'essentiel et que cet essentiel ne lui sera pas ôté à cause du désarroi de Marthe.
    Cet essentiel n'existe pas à un seul exemplaire qu'il faille le retirer à Marie pour le donner à Marthe ! Marthe peut le trouver aussi. Marthe peut aussi découvrir l'essentiel qu'a trouvé Marie.
    Ce que Marie a choisi, c'est d'habiter son présent. Ce que Marthe n'arrive pas à faire, c'est d'habiter son propre présent, qui peut aussi bien être le présent du service. Marthe a l'impression de ne pas avoir choisi ce qu'elle fait. Elle râle donc pour ce qu'elle "doit" faire. Elle râle pour ce que les autres ne viennent pas faire avec elle.
    Comment prenons-nous la vie ? Comment choisissons-nous d'habiter notre présent ? Comme catéchumène, comment vais-je vivre mon année de catéchisme ? Comme une corvée que d'autres ne font pas ou comme un moment où profiter de découvrir quelque chose à vivre avec des copains ?
    Comme mère de famille, comment est-ce que je vis mes activités ? Comme des corvées, avec des courses, du ménage, du travail, ou bien comme des moyens de faire plaisir à ceux que j'aime ?
    Comme père de famille, comme employé, comme patron, qu'est-ce que j'ai ? De dures journées pour avoir de quoi boucler les fins de mois et ça ne suffit pas toujours ou une façon de participer à la construction de la société, de mon entreprise, d'un projet ?
    Marie habite son écoute de Jésus et elle se sent bien. Marthe n'arrive pas à habiter son service et elle se sent mal. Jésus n'oppose pas action et écoute. Il nous invite à habiter pleinement chaque geste, chaque activité que nous faisons au fil du temps. Habiter pleinement notre présent, c'est la bonne part et elle ne sera pas retirée à ceux qui l'ont trouvée.
    Jésus nous invite à trouver comment habiter notre vie, en choisissant ce que nous faisons, en comprenant pourquoi nous faisons les choses, en orientant nos actions vers un but. A partir de cela, il n'y a aucune activité inutile ou dégradante. Tout prend sens et nous avons trouvé la meilleure part.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2011

  • Luc 7. La foi chrétienne, c'est découvrir une personne, la comprendre et la suivre

    Luc 7
    25.9.2011
    La foi chrétienne, c'est découvrir une personne, la comprendre et la suivre
    Lc 7 : 36-50

    Téléchargez le texte ici : P-2011-09-25.pdf

    Chers catéchumènes, chers parents, chères paroissiennes, chers paroissiens,
    "Mais qui est cet homme ?" se demandent les invités au repas auquel participe Jésus. Qui est cet homme Jésus pour que aujourd'hui — 2'000 ans plus tard — il y ait des Eglises, des paroisses, des cultes où on continue de parler de lui, de lui rendre un culte.
    Qui est cet homme Jésus pour que des parents inscrivent leurs enfants au catéchisme pour qu'ils apprennent à connaître Jésus ? Qui est cet homme Jésus ? C'est bien ce qu'il y a à découvrir dans le parcours de catéchisme, comme dans les cultes de chaque dimanche.
    La foi chrétienne n'est pas un ensemble de croyances à apprendre ou à adopter, ou de gestes à répéter. La foi chrétienne, c'est s'attacher à une personne, à la découvrir, à la comprendre et à la suivre. Dans le christianisme, la personne de Jésus est le message. La Bible est aujourd'hui notre source d'information sur Jésus, sur ce qu'il a fait (dans le Nouveau Testament) et sur d'où il vient (dans l'Ancien Testament).
    Ce matin, nous nous arrêtons sur une petite scène de la vie quotidienne de Jésus, un repas où il est invité. Jésus a été invité chez Simon le Pharisien. Les pharisiens sont des gens très religieux. Ils veulent vivre selon la loi divine, telle qu'ils la comprennent. L'accent est mis sur la pureté. Ils doivent éviter tout ce qui pourrait les souiller, les rendre impurs, sales aux yeux de Dieu. Ce qui fait qu'ils doivent éviter les contacts avec les gens qui ne se lavent pas, ou qui ont des métiers salissants ou pas très honnêtes (les collecteurs d'impôts) ou qui sont d'une autre religion (comme les romains) ou encore éviter les contacts avec les femmes qui ne sont pas de leur famille.
    Jésus — on le voit dans d'autres textes — ne partage pas ces points de vue. Il entre dans toutes les maisons où on l'invite, il s'invite même chez des romains ou chez des collecteurs d'impôts comme Zachée. C'est une des premières choses qu'on découvre de la personnalité de Jésus : il ne met pas de barrière entre les gens et lui, il est ouvert et accueillant.
    Ce n'est pas le cas des pharisiens, aussi est-ce un scandale pour Simon lorsqu'un femme inconnue entre chez lui et se met à toucher les pieds de Jésus. Aussitôt, Simon se met à juger cette femme et Jésus ! Cette femme sans gène ne peut être qu'une femme dérangée ! Et que Jésus ne s'aperçoive pas qu'elle dépasse toutes les limites et les convenances le fait dégringoler dans l'estime de Simon qui pense : "Si Jésus était vraiment un prophète (un homme proche de Dieu) il saurait qu'il ne doit pas se laisser faire." (Lc 7:39). Ainsi, Simon le Pharisien croit tout savoir, qui est cette femme et qui n'est pas Jésus.
    Jésus saisit ce qui se passe, il voit combien Simon est en train de juger tout le monde ! Mais Jésus ne se met pas à blâmer Simon. Jésus ne se met pas — comme nous en général — en position de miroir (il est fâché alors je me fâche, il m'agresse alors je lui rends). Non, Jésus se met à raconter une petite histoire qui semble ne rien avoir à faire avec la situation.

    "Si deux homme te doivent de l'argent et que tu supprimes leurs dettes, à l'un 500.- et à l'autre 50.-, qui te sera le plus reconnaissant ?" (v.41-42)
    Simon, qui a du bon sens, voit bien que plus la dette remise est élevée, plus grande sera la reconnaissance. Alors Jésus lui explique comment il voit les choses entre la femme et lui, Simon. Simon n'a vu que l'extérieur de cette femme, son apparence. Jésus, lui, a vu l'intérieur de cette femme, il a vu l'intention du geste, l'amour qui remplissait ses gestes, ses larmes, ses cheveux et ce parfum.
    Simon voyait le dérangement extérieur dans son organisation du repas. Jésus voit l'amour de cette femme dans chacun de ses gestes. En révélant l'inspiration intérieure des gestes de la femme à son égard et le manque de ces mêmes gestes chez Simon, Jésus les amène à se connaître eux-mêmes.
    Jésus fait prendre conscience à Simon qu'il a manqué d'amour. Simon a manqué d'amour, de prévenance à l'égard de Jésus, mais plus encore Simon a manqué d'amour reçu. N'est-il pas celui qui pensait n'avoir pas (ou presque pas) de dette envers Dieu tellement il obéit bien aux lois de pureté ?
    Jésus fait découvrir tout cela à Simon, toujours sans le blâmer, sans lui faire de reproche. Jésus n'est pas celui qui punit, il est celui qui libère celui qui annonce le pardon — comme il le dit à la femme.
    Ce récit nous fait comprendre comment Jésus agit, comment il se comporte à notre égard, comment il est là pour nous révéler à nous-mêmes comment nous vivons, comment nous sommes en relation avec les autres.
    Nous avons découvert le personnage de Jésus à travers cette histoire, nous comprenons comment il agit, quelle attitude il a à notre égard. Il reste à suivre Jésus dans ses manières de faire. Bien sûr, on peut rester spectateur, comme les autres invités au repas auquel Jésus participe et qui se demandent à la fin du repas : "Mais qui est cet homme ?"
    Mais nous pouvons aussi relever le défi d'aller à la rencontre de cet homme Jésus, d'essayer de le comprendre à travers la lecture de la Bible et de la participation à la vie de l'Eglise, et finalement prendre la décision de le suivre.
    Le christianisme n'est pas un savoir, ou une ensemble de dogmes. Le christianisme est un choix de vie. Le choix de découvrir Jésus, de le comprendre et de le suivre.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2011

  • Jean 1. Noël, une lumière dans la nuit !

    Jean 1
    25.12.2010
    Noël, une lumière dans la nuit !
    Luc 2 : 1-20    Jn 1 : 1-10

    téléchargez la prédication : P-2010-12-25.pdf


    Chers Amis,
    Nous voici à nouveau devant ce récit de Noël de l'Evangile de Luc, ce récit de la naissance de Jésus, avec la crèche et la visite des bergers; ce récit premier de l'Evangile qui a été alimenté ensuite de toutes les légendes et de tous les contes que nous avons entendus, années après années; les ajouts avec le bœuf et l'âne, les rois mages et tous les personnages qui viennent porter des cadeaux ou leur simple présence comme dans les crèches provençales.
    Tous ces embellissements par rapport au récit premier, nous aident et nous trompent sur ce qu'est Noël ! Nous aident et nous trompent dans notre compréhension du sens de la venue de Jésus.
    Les contes nous aident à percevoir le caractère merveilleux, voir incroyable du cadeau de Dieu. Il nous donne son Fils, il vient habiter parmi nous. Cela doit être salué par un accueil digne de Lui, digne de ce don suprême.
    Aussi faut-il des histoires pour dire que toute le monde accourt à la crèche et vient avec un cadeau. Et il faut aussi que soit souligné que la richesse du cadeau n'est pas dans son prix ou sa beauté, mais dans le don intérieur, dans le don de soi qu'il implique.
    Et puis les contes soulignent la part divine, la part miraculeuse de cette naissance par les conversions, les guérisons, les transformations du cœur qui ont lieu à la vue de Jésus. L'avare devient généreux, le tyran devient compatissant, l'obscurité devient lumière.
    Tout cela nous amène à entrevoir le pouvoir transformateur de Jésus sur nous et sur notre être intérieur.
    Mais d'un autre côté, ces légendes peuvent aussi nous tromper sur ce qui se passe dans cette étable, ce qui se passe à ce moment entre Dieu et le monde.
    Tous ces cadeaux déposés devant la crèche masquent la pauvreté assumée et acceptée du Fils de Dieu qui naît pauvre et misérable dans une étable.
    Tout ce monde qui se presse pour voir l'enfant Jésus masque le fait que seuls quelques bergers appelés par les anges ont fait le déplacement. Cela masque les absents. Le Fils de Dieu débarque dans le monde, hors du champ des caméras, dans l'anonymat. Dieu vient sur terre incognito, personne n'est là.
    L'étoile, la joie, l'émerveillement masquent le fait que la vie de Jésus va être marquée par la persécution et le rejet, pour finir abandonné de tous. Il n'y a que quelques femmes au pied de la croix.
    Je ne veux pas gâcher la fête en soulignant le côté obscur du récit. Je souhaite seulement qu'on accepte ces deux faces et que nous pouvons les garder toutes les deux.
    C'est ce que l'Evangéliste Jean met en mot, lui qui ne met pas la naissance de Jésus en scène. Il résume le venue de Jésus en quelques mots qui reflètent les deux aspects que j'ai mis en évidence : "La lumière brille dans l'obscurité, mais l'obscurité ne l'a pas reçue." (Jn 1:5).
    Oui, Noël, c'est la venue de cette lumière divine dans notre monde obscur. Nous avons donc bien raison de fêter Noël et de fêter Noël un 25 décembre, au plus sombre de la nuit, là où les nuits sont les plus longues. Et nous avons bien raison de mettre des bougies, des illuminations dans la nuit, parce que Noël, c'est bien la lumière qui brille dans l'obscurité.
    Mais ce que nous voyons aussi, c'est que cette lumière n'est pas reçue, elle n'est pas reconnue ni acceptée. Au point que Noël devient une corvée pour les gens.
    Avez-vous vu les deux sondages parus simultanément mercredi dernier dans 24Heures et dans Migros Magazine ? Dans Migros Magazine la question posée était celle-ci : Vous réjouissez vous de fêter Noël ? Un tiers répond : Non (35%), un tiers répond : Bof ! (33%) et un tiers répond : Oui, j'adore ! (32%). Dans 24Heures, la question était : Pour vous, Noël, est-ce un plaisir ou une corvée ? Deux tiers des gens répondent : Une corvée (59%) et un tiers : Un plaisir (35%), 6% sans opinion.
    Dans ces deux sondages, seul un tiers des gens se réjouissent de fêter Noël !
    Aujourd'hui, l'obscurité ne reçoit pas la lumière. Ce qui devrait être une fête avec des retrouvailles en famille, des cadeaux et de la joie devient pour deux tiers de la population un jour de tensions familiales, un jour où le poids des dépenses est plus lourd ce celui du don, où la fête devient corvée.
    L'obscurité du récit de Noël est en train de reprendre le pas sur la lumière, sur la joie. C'est triste et c'est dommage. Cela montre que le combat pour la lumière est toujours d'actualité.
    L'étable était dans l'obscurité de la nuit, mais à l'intérieur brille la lumière divine. Et ce jour-là, les bergers sont venus — appelés par les anges. Ce matin, vous êtes venus, comme les bergers, pour voir cette lumière et vous réjouir de cette naissance de l'enfant Jésus.
    Vous êtes les bergers recueillis devant le Sauveur. Alors réjouissez-vous de cette lumière qui nous est donnée. Oublions un moment l'obscurité du dehors. Repoussons l'obscurité pour adorer la lumière divine qui nous est donnée.
    Jésus nous dit : "Je suis la lumière du monde." (Jn 8:12) et c'est cette lumière qu'il nous donne qui nous permet à notre tour de devenir lumière pour le monde, comme Jésus l'a dit dans le Sermon sur la Montagne : "Vous êtes la lumière du monde !" (Mt 5:14).
    Ce matin, laissons-nous baigner dans cette lumière divine, malgré l'obscurité du monde, pour nous réjouir de sa venue.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Actes 10-11. Et L'Eglise devint universelle...

    Actes 10-11

    15.8.2010

    Et l'Eglise devint universelle...

    Actes 10 : 24-48   Actes 11 : 1-18

    Télécharger la prédication : P-2010-8-15.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Le récit que vous venez d'entendre, aux chapitres 10 et 11 des Actes, est non seulement une petite merveille littéraire, c'est aussi le centre ou le sommet du livre des Actes des Apôtres. Le livre des Actes raconte l'expansion du christianisme de Jérusalem à Rome, comme l'accomplissement de l'ordre de mission donné aux disciples par les derniers mots de Jésus à l'Ascension : " Vous serez mes témoins, vous parlerez de moi à Jérusalem, dans la région de Judée et de Samarie et jusqu'au bout du monde." (Ac 1:8).

    Nous avons vu la prédication de Philippe en Samarie dimanche passé et aujourd'hui nous vivons l'entrée de l'Evangile dans le monde romain. Et bien cette entrée ne va pas de soi. Elle ne va pas de soi pour Pierre. Elle ne va pas de soi pour les apôtres et les frères restés en Judée, puisqu'ils demandent des comptes à Pierre à son retour de Césarée et que celui-ci doit raconter en détail ce qui s'est passé.

    La place que prend cet épisode dans le livre des Actes, le nombre et la répétition, dans le récit même des interventions divines — visions, paroles, anges, parlé en langue, descente de l'Esprit saint — pour justifier cette ouverture, montre que la résistance, au sein de l'Eglise primitive a dû être forte.

    Pierre lui-même a dû se laisser convaincre. Il a cette fameuse vision de la nappe remplie d'animaux purs et impurs et dans lesquels il doit se servir pour manger. Il a une réaction d'horreur : "Jamais ! Jamais je n'ai rien mangé d'impur ou d'interdit !" (Ac 10:14).

    Toute la vie d'un croyant juif de l'époque est construite sur la distinction du pur et de l'impur. Les païens n'en tiennent pas compte et ils sont donc souillés. Si l'on veut appartenir au peuple de Dieu, il faut distinguer ce que Dieu a déclaré pur et ce qu'il a déclaré comme interdit. C'est la base de la vie pieuse. Cela a conduit les juifs à vivre une vie séparée des autres, n'entrant pas dans les maisons des romains (c'est ainsi que les autorités juives ne voulaient pas entrer dans le palais de Ponce Pilate, Jn 18:28), partageant encore moins leurs repas — la nourriture ayant pu être consacrée aux idoles.

    Dans ce contexte, Pierre a cette vision de la nappe. Le récit nous dit alors que Pierre cherche encore la signification de cette vision. Il n'en voit pas tout de suite les conséquences. C'est à ce moment de sa réflexion qu'un romain le fait chercher.

    C'est avec six compagnons qu'il se rend chez Corneille. Entendant qu'un ange a parlé à Corneille, il ose entrer dans sa maison pour lui parler du Christ. Le lien entre la vision de la nappe et la demande de l'officier romain se fait petit à petit. Tout de vient clair lorsqu'il réalise que le Saint-Esprit est descendu sur Corneille et sa maison. Là, il voit que rien de fait plus obstacle à ce qu'il reçoive le baptême, c'est-à-dire qu'il entre dans l'Eglise, dans le peuple de Dieu.

    Pierre ressort donc transformé de la maison de Corneille, c'est presque un récit de la conversion de Pierre ! Il y a chez lui un véritable changement de mentalité, un changement de vision du monde. Pierre passe d'un monde cloisonné où chaque peuple, où chaque ethnie, où chaque culture vit séparée l'une de l'autre (ce qu'on appelle le communautarisme aujourd'hui) à une société ouverte où chacun peut non seulement se croiser mais se rencontrer, se toucher, se rassembler et manger à la même table !

    Mais Pierre n'est pas au bout de son chemin. Il a fait son chemin personnel, mais il doit encore convaincre l'ensemble de la communauté. Avec ironie, Luc, l'auteur des Actes, montre par là que les obstacles ou les résistances au message de Dieu sont souvent plus forts à l'intérieur de l'Eglise qu'à l'extérieur. A ce moment-là (mais est-ce seulement à ce moment-là ?) l'Eglise n'a pas tellement envie de devenir universelle. L'Eglise n'a pas tellement envie de changer, de s'ouvrir.

    Pierre va donc reraconter tout le parcours, sa vision, celle de Corneille, la rencontre, la descente du Saint-Esprit et le baptême à ceux qui doutent du chemin qu'il a pris. Et c'est comme si Pierre disait : moi aussi je ne voulais pas aller par ce chemin, moi aussi je suis le premier surpris, mais je n'ai rien pu faire, la volonté de Dieu s'est imposée à moi, les signes étaient là. Comment pourrais-je résister à la voix du ciel qui me disait : "Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur." (Ac 11:9). Et Pierre de conclure son plaidoyer : "Qui étais-je donc pour m'opposer à Dieu." (Ac 11:17).

    Les apôtres et les autres membres de l 'Eglise se rangent alors derrière Pierre. L'Eglise peut devenir universelle. Les barrières sont tombées.

    Pour nous aujourd'hui cela paraît tout naturel, normal. Mais pour l'Eglise d'alors, cette position de Pierre est comparable à la demande d'un politicien suisse d'offrir le passeport suisse à toute personne qui en ferait la demande, sans autre condition que de prononcer la phrase : "J'aime la Suisse et je respecterai ses lois." Vous percevez les réactions que cela entraînerait ?

    "Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur." (Ac 11:9). Cette phrase a façonné le christianisme et n'a pas fini de déployer ses effets. Elle est un défi pour tous les chrétiens et elle est un défi pour toutes les autres religions.

    Cette phrase signifie d'abord l'abolition de toutes les barrières entre les humains. C'est l'abolition de toutes les discriminations entre humains et comme telle à la source de la Déclaration universelle des droits humains qui déclare que toute personne a des droits "sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation." (Article 2).

    Cela nous interroge sur les barrières que nous maintenons en place dans l'Eglise ou dans la société. Plus important pour nous aujourd'hui — en tant qu'Eglise — cela nous rappelle que cette abolition des barrières est voulue par Dieu lui-même, ce qui signifie que nous ne devons pas, que nous ne pouvons plus ériger des barrières au nom de Dieu, au nom du culte ou au nom de la religion.

    C'est un véritable défi pour notre XXIe siècle qui voudrait que chacun vive chez soi et qu'on ne mélange pas les communautés différentes ! Pour rester fidèles, apprenons à faire tomber toutes les barrières.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

     

  • Luc 19. Jésus ne regarde pas l'apparence, mais les blessures intérieures.

    Luc 19

    4.7.2010

    Jésus ne regarde pas l'apparence, mais les blessures intérieures.

    Luc 15 : 1-7,  Luc 19 : 1-10

    Télécharger la prédication : P-2010-07-04.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    C'est la première fois que je prêche sur ce récit de Zachée. Pour moi, il a un goût d'enfance : une retraite d'enfant à Crêt-Bérard sur ce récit et une chanson, "C'était un homme, haut comme trois pommes…" Et puis cette fin très moralisatrice d'un homme qui fait don de la moitié de sa fortune et promet de réparer les torts financiers qu'il a commis. Est-ce qu'on a encore envie d'entendre qu'il faudrait renoncer aux biens matériels pour être un bon chrétien ? Tout ça fait que je n'ai jamais eu trop envie de me lancer dans une prédication autour de ce personnage.

    Pourtant, il y a quelque chose qui doit être différent dans ce récit. Ce n'est pas un récit de tristesse, mais de joie. Au centre de ce récit, il y a la joie de Zachée. Cette joie est l'exact contrepoint de la fin du récit de l'homme riche qui repart tout triste après sa rencontre avec Jésus et que Luc nous raconte un chapitre plus tôt dans son Evangile (Lc 18:18-30).

    Zachée est joyeux de sa rencontre avec Jésus. Donc quelque chose a changé pour lui dans sa rencontre avec Jésus. Partons à cette recherche. Qui est Zachée ? Luc nous le présente en nous donnant son nom, son métier : il est chef des agents des impôts et son statut social : il est riche. Plus loin, il nous dit qu'il est de petite taille.

    De ce portrait social, il faut esquisser un portrait un peu plus psychologique. De par son métier, qui implique une collaboration avec les romains et les autorités, il est craint, mais aussi méprisé voire haï. Les gens à qui il prélève l'impôt ne l'aiment pas et les élites intellectuelles ou religieuses le voient comme compromis avec l'occupant et jouissant de richesses pas propres.

    Il fait partie des exclus, avec la contrepartie — étant riche — qu'il peut acheter ce qu'on ne lui donne pas. Personne ne l'invite chez soi, mais il peut inviter à ses banquets, et on ne peut sûrement pas refuser ses invitations. Mais il doit bien sentier que les gens viennent chez lui contre leur gré, par obligation. Zachée peut faire de grandes fêtes, tout y est, la nourriture, le vin, les danseuses et les jongleurs, mais quelle valeur à la fête si le cœur des convives n'y est pas ?

    C'est là que la rencontre avec Jésus va être décisive. (Je passe sur l'épisode du sycomore — on pourrait sûrement y voir toutes sortes de symboles. Pour moi ce passage anecdotique, mais inutile dans la logique du récit et du message évangélique, atteste juste de l'authenticité de la rencontre.) Le point central de cette rencontre, c'est le contraste entre le mépris de la foule vis-à-vis de Zachée — et par ricochet vis-à-vis de Jésus qui parle à Zachée — et le fait que Jésus choisit justement de s'inviter chez lui.

    Remarquez bien, ce n'est pas Zachée qui invite Jésus chez lui, malgré son désir de voir Jésus, malgré son stratagème pour le voir en montant sur l'arbre au risque de voir se multiplier les quolibets à son égard. Oui, Zachée a envie de voir Jésus, non ce n'est pas lui qui l'invite. C'est Jésus qui s'invite chez Zachée. C'est Jésus qui prend l'initiative de s'inviter.

    Je ne pense pas que Jésus s'impose, je pense que Jésus s'invite chez Zachée pour lui signifier deux choses : (i) c'est mon désir de venir chez toi, sous-entendu, je ne viens pas par obligation; (ii) tu es digne de me recevoir, parce que je ne fais pas de différence entre les personnes. Toutes les personnes ont de la valeur aux yeux de Jésus, parce que Jésus regarde au cœur des gens.

    Jésus ne regarde pas l'apparence, mais il regarde les blessures intérieures, pour venir y mettre le baume de son amour. A la limite, pour Jésus, plus grande est la blessure, plus il va s'occuper de cette personne. Plus grand est le manque d'amour, plus grand est le besoin d'être aimé, plus Jésus va consacrer de temps à cette personne. "Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus" dit la fin du récit.

    Voilà que Jésus s'invite chez celui qui ne voyait défiler chez lui que des gens forcés, achetés, dégoûtés. Voilà enfin quelqu'un qui s'intéresse à lui, à ce qu'il est vraiment, un être humain, avec sa part d'ombre, mais aussi sa part de lumière — celle que tous les autres lui dénient.

    Où est-il dit que Zachée, avant sa rencontre avec Jésus, était foncièrement mauvais, un escroc, un voleur ? C'est la foule qui le dit, pas le narrateur. (Est-ce que vous avez fait le calcul proposé par le récit ? J'ai toujours aimé les maths et je me suis toujours dit : il y a quelque chose qui cloche dans ce récit. Comment Zachée peut-il en même temps donner la moitié de sa fortune aux pauvres et rembourser quatre fois ceux à qui il a trop demandé si toute sa fortune reposait sur des malversations ?)

    Zachée n'était pas forcément plus malhonnête que la moyenne des gens ! Ni complètement intègre, ni complètement malhonnête. Faut-il dire comme un banquier suisse ?

    Revenons à Jésus. Ce qu'il donne à Zachée, c'est ce qu'il n'avait jamais reçu : une place. Une place dans son peuple "c'est aussi un enfant d'Abraham" dit Jésus. Une place, une filiation, un enracinement, une considération. Voilà ce qui libère intérieurement Zachée.

    Jusque-là il devait acheter sa place dans la société. Maintenant que cette place lui est donnée, il n'a plus besoin de son argent dans ce rôle. L'argent peut maintenant servir à autre chose qu'à assurer son être. Zachée peut disposer de son argent autrement. La valeur de Zachée n'est plus dans sa fortune, elle est dans son être. Jésus a déplacé cette valeur. C'est là le point intéressant de ce texte, qui peut nous amener à réfléchir à notre place et à notre valeur.

    D'où tenons-nous notre place ? Qui nous la donne ? D'où tenons-nous notre valeur ? Qui nous la donne ? Ou en d'autres termes : où est notre manque ? Qu'est-ce qui nous comble ? Comment cherchons-nous à combler notre manque ?

    Comme Zachée, nous sommes en quête d'être comblés. Nous sommes en route, nous cherchons — et nous ne sommes pas mauvais de ne pas avoir complètement trouvé — comme Zachée.

    Retenons — comme avec Zachée — que Jésus déplace le sens de notre quête, renverse l'ordre des choses. C'est lui qui nous invite. C'est lui qui se met à notre recherche lorsque nous sommes perdus. Il n'attend pas que nous soyons guéris pour nous rencontrer, il vient à notre rencontre pour nous guérir.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Luc 6. Dimanche des réfugiés : étendre la main et l'ouvrir

    Luc 6

    20.6.2010

    Dimanche des réfugiés : étendre la main et l'ouvrir

    Télécharger en pdf : P-2010-6-20.pdf

    Luc 6 : 1-5, Luc 6 : 6-11

     

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Voyez vous le contraste entre ces deux récits de l'Evangile ?

    D'un côté ces mains qui s'activent, qui arrachent et frottent les épis, ces mains qui travaillent, qui apaisent la faim ! Mais voilà que les autorités du lieu déclarent à Jésus : "C'est illégal ! Tes disciples sont dans l'illégalité. C'est un jour de sabbat !"

    De l'autre côté, cette main desséchée, paralysée, incapable de se tendre, ni pour donner ni pour recevoir. Et Jésus qui veut redonner vie à cette main. Mais voilà que les autorités du lieu déclarent à Jésus : "C'est illégal ! Ne te lance pas dans l'illégalité. C'est un jour de sabbat !"

    Le jour du sabbat a été donné dans le Décalogue pour en faire un jour pour se souvenir du don de la création, un jour fait pour recevoir, recevoir la Création, recevoir autrui, se recevoir. Un jour fait pour rendre grâce, pour être dans la reconnaissance face au Créateur et face à autrui, en qui reconnaître le visage et la présence de Dieu. Un jour pour se souvenir d'une libération qui rend la vie à nouveau possible. Quelle dérive a poussé le sabbat de la libération à l'interdit ?

    Ces épis arrachés et frottés le jour du sabbat pour apaiser la faim des disciples nous rappellent que nos mains sont faites pour la liberté, libérées pour servir la vie, pour s'ouvrir et permettre la rencontre, pour se tendre et pour recevoir. Ces épis arrachés et frottés le jour du sabbat, ce geste des disciples — interdit pas la loi juive mais autorisé par Jésus — nous rappellent que nous vivons d'une libération et d'un don reçus du Christ.

    Mais vivons-nous vraiment avec les mains libres ? Avons-nous les mains libres pour recevoir ? Cette main desséchée, paralysée, mise en avant aux yeux de tous, nous questionne. Pourquoi cette tentation constante de revenir à l'interdit ?

    Lorsque nos lois, nos méfiances, nos préjugés façonnent une société qui paralyse l'autre et le prive de ses capacités de contribuer, de donner : que sommes-nous en train de faire ?

    Quand celui qui ne travaille pas assez vite, quand celui qui n'est plus assez rentable, quand celui qui est malade, quand celui qui est réfugié est stigmatisé : que sommes-nous en train de faire ?

    Lorsque nous acceptons que des hommes et des femmes — en groupe — soient dénoncés, avant enquête, comme des assistés, des profiteurs ou comme des abuseurs : que sommes-nous en train de faire ?

    Lorsque nos lois se font l'écho de nos peurs : que sommes-nous en train de faire ? N'avons-nous pas à nouveau verrouillé le sabbat. N'avons-nous pas, nous aussi, besoin d'être questionnés, interpellés, guéris ?

    Nous avons vraiment besoin de nous souvenir que tout homme, toute femme, dans ce monde, vit de pouvoir donner et recevoir. Nous qui nous définissons si souvent par ce que nous faisons, par notre travail, nous devrions le savoir. Nous devrions sentir combien il est douloureux de se voir priver de la possibilité de contribuer à la vie sociale par notre travail. Nous devrions sentir combien il est douloureux de voir ses compétences, ses talents, ses dons ignorés, laissés de côté.

    Comme êtres humains, nous savons combien nous avons besoin de donner autant que de recevoir. Donner de notre temps, donner de notre savoir-faire, mettre nos compétences au service de la société, d'une association et pourquoi pas de la paroisse.

    Pourquoi en aurions-nous besoin, mais pas eux. Eux, les chômeurs ou les retraités d'ici, trop vite mis sur la touche; eux les réfugiés qui arrivent ici avec le rêve de pouvoir participer et qui trop souvent se trouvent paralysés par nos peurs, nos préjugés, nos lois.

    Je rappellerai juste un chiffre à propos des réfugiés : ils constituaient 6 personnes pour 1'000 habitants en Suisse à fin 2009. 6 pour 1'000, cela représente 48 personnes sur les 8'000 habitants de Bussigny. Pas de quoi penser être débordés et ériger des murs juridiques.

    Pour ce dimanche des réfugiés, la campagne de l'EPER s'intitule "Miser sur les compétences." En parallèle, l'OSAR (Organisation suisse d'aide aux réfugiés) fait sa campagne avec le slogan : "Les réfugiés ont tout abandonné, sauf leur talent." C'est une façon de répéter aujourd'hui la parole de Jésus : "Etends la main" pour que des vies retrouvent leur sens, pour que des personnes puissent sortir de la paralysie à laquelle ont les a obligés.

    En Eglise, nous cheminons à la suite d'un homme libre, Jésus. Sa vie tout entière a pris la forme d'une vie sabbatique, une vie reçue de Dieu et sanctifiée par tous ses actes. Une vie qu'il a donnée à l'humanité pour nous libérer, pour nous guérir.

    A sa suite, notre vie est appelée à devenir vie sabbatique, une vie consacrée à Dieu, non pas dans l'interdit de faire quoi que ce soit de peur de transgresser un commandement, mais dans la liberté d'aller et venir, de rencontrer, de frotter des épis dans ses mains pour faire jaillir de la nourriture. Une vie qui se sait redevable, reçue d'un don premier et d'une libération. Une vie qui fait de la place à l'autre, y compris pour l'exclu, pour le réfugié afin que l'échange et le don soient possibles.Une vie qui fait de la place aux talents de chacun, afin qu'il soit possible pour tous, de donner et de recevoir, de se réjouir des compétences, des capacités, de la créativité de tous ceux qui vivent à nos côtés.

    Pour que je puisse reconnaître en mon prochain, qu'il soit suisse ou étranger de première, deuxième ou troisième génération, l'image du Dieu créateur, le Christ me dit aujourd'hui à moi aussi : "Etends la main." Soit vivant, vis ta vie, soit sans crainte, sans paralysie. Il y a une place pour toi dans ce pays ou dans le Royaume de Dieu, comme il y a une place pour chacun, pour chacune dans le cœur de Dieu.

    "Etends la main" dit Jésus.  Ensemble, nous sommes invités à être guéris, à vivre les mains déliées, ouvertes, pour recevoir de Dieu, et les uns des autres.

    Ensemble, nous sommes appelés à devenir acteurs dans la société, chacun avec ses compétences, chacun avec son savoir et son histoire. Nous sommes appelés à devenir collaborateurs d'une humanité où chacun est quelqu'un, où chaque homme, chaque femme est reconnu comme image du Dieu créateur, capable de contribuer à la construction du monde, un monde qui peut ressembler toujours davantage au Royaume des cieux que Dieu promet.

    Amen

    Texte d'après les propositions homilétiques de l'EPER : Dimanche des réfugiés du 20.6.2010.

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Conte : De Noël à la Croix

    2.4.2010 - Vendredi-Saint

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    Luc 23 : 26-49

    Histoire du petit ange qui ne chanta pas

    Il y avait, en ce temps-là, dans la multitude de l'Armée des Cieux un petit ange. Il était beau, de la beauté immatérielle des créatures célestes, et son âme était limpide comme une goutte de rosée. Aussi les autres anges, serviteurs du Très-Haut, lui réservaient-ils leurs plus doux sourires et leurs plus innocentes gâteries.

    Les plus jeunes, qui servent d'estafettes et de courriers, et qui sillonnent constamment l'éther d'un astre à l'autre pour distribuer les consignes de la journée, l'appelaient de loin pour jouer avec lui. Les anges adultes, qui ont reçu le gouvernement d'une province de l'espace céleste : soleil, nébuleuse ou constellation, lui apportaient en cadeau des fleurs cueillies sur de lointains rivages. Quand aux archanges, qui ne se dérangent que dans de très rares occasions, parce qu'ils se tiennent constamment en présence du Seigneur, il l'appelaient pour le faire sauter sur leurs genoux.

    Mais, il n'est pas bon, même pour un petit ange, d'être gâté. Certes, nous savons que le Malin n'a point accès dans le Royaume des Cieux où les enfants de Dieu sont gardés contre toutes ses atteintes; cependant, à force d'être choyé, notre petit ange était devenu capricieux. Et comme il n'est point d'usage, là-haut, de contraindre personne, on ne faisait qu'en sourire doucement.

    Or, la nuit où Jésus naquit, un grand cri retentit dans le Ciel, et les anges de Dieu s'assemblèrent des contrées les plus distantes pour aller, sur la terre, apporter aux hommes le message de Noël. Ils étaient douze légions.

    Ils descendirent à travers l'espace, et la Judée resplendit de leur surnaturelle clarté. Les bergers qui vivaient aux champs, virent cette grande lumière, et le cantique inoubliable s'éleva :

    Gloire à Dieu, au plus haut des Cieux ! Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes !

    Jamais, depuis lors, l'univers n'a retenti de pareils accents. Les anges, êtres spirituels, chantent non seulement de leur bouche, mais de tout leurs corps, de toute leur pensée, de toute leur âme. Ils chantent, pleins d'amour, sans fatigue, sans effort; leur être tout entier résonne et vibre de joie comme un violon.

    Les anges s'abaissèrent encore, et c'est sur cette terre elle-même autour de l'étable de Bethléem qu'ils vinrent camper. Ils entourèrent le lieu saint d'un rempart de beauté et d'harmonie. Quelques-uns, même purent entrer; Jésus reposait dans la crèche; les bergers et les mages s'étant approchés se mirent à genoux et les anges se joignirent à eux. Toutes les voix célébraient leur reconnaissance envers Dieu.

    Seul, au premier rang, le petit ange, la bouche close se taisait.

    Il avait décidé qu'il ne chanterait pas. Simple caprice ? Oui, mais la bouche n'a-t-elle pas été créée pour la louange de Dieu ? Quand nos lèvres s'ouvrent, la gloire du Seigneur remplit notre cœur, et le mal n'a point de prise sur nous. Mais quand nos lèvres se ferment, en un si beau jour… et que nous sommes sur la terre…

    Et le Malin, qui guette la moindre de nos défaillances, aperçut le petit ange qui ne chantait pas. Il pénétra aussitôt dans son cœur et lui ouvrit les yeux : il lui montra l'humilité de la crèche et la fragilité du bébé Jésus, identique aux enfants des hommes. Il lui fit voir Joseph et Marie comme de pauvres paysans incultes. Il lui fit trouver ridicule la dévotion éperdue des adorateurs.

    « Et c'est pour cet enfant-là, songeait-il, que sont toutes ces musiques, tous ces cadeaux, tous ces hommages ! On dit bien qu'il est le Messie; cependant, il n'est pas aussi beau que moi, et puis, il a faim, il a soif, et il pleure comme les petits des hommes; depuis qu'il est né, plus personne ne fait attention à moi; tout le monde se tourne vers lui. »

    C'est la jalousie qui inspirait au petit ange ces vilaines pensées : non, ah! non, il ne pouvait pas se réjouir de la gloire d'un autre enfant. Il ne voulait plus se souvenir que l'enfant de la crèche était le Fils bien-aimé du Père, et que toute créature dans les Cieux et sur la Terre n'a été appelé à la vie que pour célébrer ses louanges.

     

    La nuit de Noël s'achevait. Les anges remontèrent au Ciel. Et quand leur petit compagnon d'un mouvement instinctif voulut les suivre, il ne le put pas, car ses ailes étaient tombées de ses épaules. Il resta seul dans la nuit.

    Et quand les bergers, au petit jour, sortirent de l'étable, ils trouvèrent devant la porte un enfant vêtu d'une longue robe blanche, et qui semblait avoir froid. Comme leur cœur était, ce matin-là, rempli de bonté, ils le couvrirent et l'emmenèrent chez eux, pour en faire un berger. Et ils lui donnèrent le nom de "Tolac" ce qui signifie "vermisseau".

    Les bergers ne furent pas récompensés de leur bon mouvement. Tolac était beau de figure et très intelligent, mais il dédaignait ses parents adoptifs, qu'il trouvait pauvres et grossiers. Le travail lui répugnait. Dès qu'il fut en âge de se débrouiller, il s'en alla vers la grand-ville, avec l'intention d'y devenir un prince de ce Monde.

    Nous ne raconterons pas ici les étapes de sa vie. Ce serait une bien longue et triste histoire : en effet, plus il grandissait, plus le souvenir de ses origines le poussait à mépriser les hommes qu'il savait inférieurs.

    S'il avait au moins accepté d'être un homme comme les autres, son intelligence lui eût permis de devenir l'un des premiers d'entre eux. Mais il se sentait d'une autre race. Toutes ses pensées, ses paroles et ses actes étaient dictés par le culte qu'il avait de lui-même. Sa jalousie envers tout ce qui le dépassait était tellement insatiable, qu'il ne pouvait même plus entendre parler de Dieu sans une sourde irritation. Le culte qu'on adressait à la divinité exaspérait son orgueil.

    Lorsqu'il eut atteint l'âge adulte, Tolac parcourut la mer, apprit le grec, visita Athènes, Rome et Alexandrie.

    Partout son charme et sa science lui attiraient des amis. Les succès qu'il remportait lui faisaient espérer les meilleures places, mais son incapacité de s'attacher à autre chose qu'à soi-même, éloignait bientôt de lui tous les cœurs. Il s'en irritait et s'aigrissait et quand ses amis l'abandonnaient, il s'en allait ailleurs.

    N'ayant pu l'emporter par la science, Tolac se jeta dans la débauche. Rentré en Judée, il étonna ses contemporains par le faste de sa vie scandaleuse. Sa maison devint le rendez-vous des moqueurs auxquels il enseignait à blasphémer. A trente-cinq ans, le corps déjà usé, animé d'une fureur croissante contre l'humanité, il rassembla quelques désespérés et se livra au brigandage. Il n'épargnait aucun voyageur, pas même les femmes et les enfants. Il pénétrait dans les synagogues le jour du sabbat et insultait Dieu. Il frappait les rabbins et s'emparait des prémices et de l'argent consacré. Sa cruauté était telle que tout le monde le redoutait. Les Juifs s'adressèrent à Ponce Pilate pour qu'il les débarrassât de lui. Tolac fut pris et conduit enchaîné à Jérusalem où le gouverneur ordonna qu'il fût crucifié.

    Le lendemain, on l'emmena au Calvaire avec deux autres condamnés : un brigand comme lui et un patriote galiléen, qui prétendait-on, avait prêché la révolte contre Rome. Sur la poitrine de ce dernier oscillait un écriteau ironique ainsi rédigé : Le Roi des Juifs.

    Tolac éprouva tout d'abord pour ce compagnon d'infortune une certaine sympathie, mais il fut bientôt écoeuré par son attitude pitoyable. Tandis que les deux brigands marchaient crânement, la tête haute à travers la foule imbécile, le Galiléen, trébuchant sous sa croix, pleurait avec des femmes et des enfants qui se lamentaient sur lui.

    Les trois hommes furent crucifiés. Le supplice de la soif atroce et du lent déchirement de leur chair commença. La foule se moquait du malheureux roi des Juifs : « Il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même ! S'il est le roi d'Israël, qu'il descende de sa croix et nous croirons en lui ! Il s'est confié en Dieu, que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime ! »

    Tolac, en ricanant, tordait déjà sa bouche pour joindre ses insultes aux leurs, lorsqu'un cri des passants l'arrêta : « Si tu est le Fils de Dieu, descends de ta croix ! »

    « Si tu es le Fils de Dieu ? … » Tolac tourna la tête vers le Galiléen et son regard d'ange déchu reconnut aussitôt, sous la couronne d'épines, l'enfant de Bethléem, le Fils de Dieu !

    Alors son cœur se souleva d'une haine triomphante : « Ah ! te voilà, mon rival ! disait-il en lui-même. Tu as voulu les hommages du monde entier, tu m'as enlevé la part d'admiration qui me revenait, tu m'as fait chasser du Paradis, tu as cru que les hommes s'agenouilleraient devant toi, comme les anges de la nuit de Noël ! Voilà ce que l'on gagne à vouloir faire le Sauveur ! Mais sur la terre, ce n'est pas Dieu qui règne, c'est le Malin ! Tu es vaincu. J'ai la satisfaction d'avoir contribué à ta défaite et d'assister, mourant à ta déchéance. Ta honte. C'est l'abaissement de Dieu lui-même. Je vais disparaître, mais je t'entraîne dans le néant avec moi ! »

    Comme s'il avait entendu les paroles que Tolac avait prononcées au-dedans de lui-même, Jésus tourna le tête et regarda le brigand. Tolac soutint fièrement ce regard : il était prêt à la lutte. Il attendait que Jésus répondît à sa haine par de l'indignation. Il y aurait de dures paroles peut-être, mais Tolac ne se laisserait pas abaisser !

    Or Jésus ne dit rien. Ses yeux étaient extrêmement tristes et extrêmement bons. Ils semblaient dire :

    « Je te reconnais, moi aussi, je sais qui tu es : l'ange déchu de ma nativité. Tu as voulu m'abattre et tu as réussi. C'est bien à cause de toi que je suis ici, à cause de ta jalousie et de celle de tous les hommes. C'est par ton crime que je vais mourir. »

    Mais, chose étrange, le langage des yeux de Jésus n'offrait à Tolac l'occasion d'aucune revanche.

    Si Jésus s'était mis en colère, Tolac se serait senti le plus fort, il se serait réjoui de l'avoir fait descendre à son niveau. Mais il ne s'attendait pas à une telle douceur.

    Et les yeux de Jésus continuaient de parler :

    « Oui, c'est à cause de toi et pour toi que je meurs. J'aurais pu te rejeter. C'est ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Eh bien, non ! Tu ne m'empêcheras pas de t'aimer, pauvre ange déchu. Je remporte sur toi la victoire de l'amour en donnant ma vie pour toi. »

    Et soudain le regard brillant et dur de Tolac se mouilla de larmes. Sous les yeux de Jésus, il baissa la tête.

    Or, à ce même instant, l'autre brigand, excité par la foule, se mit à injurier Jésus : « N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! »

    Tolac ne put supporter d'entendre insulter par un autre Celui qui volontairement s'était abaissé pour lui. Sans comprendre encore ce qui se passait en lui, il redressa la tête, ouvrit la bouche et se mit à défendre d'une voix forte son nouvel ami : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? »

    Et d'avoir ainsi, de sa bouche, confessé le Dieu qu'il avait tant haï, Tolac se trouva soudain libéré de sa jalousie. Il se souvint aussitôt du cantique appris jadis pour la nuit de Noël et se mit à chanter les strophes :

    Gloire à Dieu, au plus haut des Cieux ! Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes !

    Ce n'était certes plus la voix pure d'un enfant, ni la voix céleste d'un ange qui s'élevait ainsi, mais la voix rauque d'un homme tombé très bas, et près de mourir.

    Ce n'était certes par un chant harmonieux, mais un hymne quand même et un témoignage rendu devant l'autre brigand. Et quand Tolac eut terminé la strophe de Noël, il y ajouta la strophe de Vendredi-Saint :

    « Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes, mais celui-ci n'a rien fait de mal. »

    « Jésus n'a rien fait de mal ! songeait Tolac. Il était saint et c'est moi qui l'ai conduit à la mort en voulant me mettre à sa place ! Ah ! si je pouvais, à la dernière heure, tenter quelque chose pour le délivrer ! Mais il est trop tard. Jésus va mourir et moi aussi. Dieu est tout de même vaincu ! »

    Le regard de Tolac se tourna vers Jésus pour quêter au moins un peu d'espoir, mais la tête du Sauveur était penchée en avant, et ses yeux semblaient déjà voilés par la mort. Alors comme la vie de Tolac s'enfuyait également de son propre corps et que l'ombre de la mort envahissait son âme, sa bouche, plus croyante que son cœur, confessa de nouveau le Rédempteur en criant d'une voix forte : « Fils de Dieu, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. »

    Les lèvres de Jésus bougèrent à peine, mais Tolac entendit distinctement la réponse : « Je te le dis, en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis. »

    En cet instant, Tolac reconnut ce qu'il avait toujours su, lorsqu'il était encore un ange et même lorsqu'il reniait son Dieu.

    « L'amour est plus fort que la mort. Dieu ne peut périr. Celui qui vient de me donner sa vie ressuscitera. Par lui, je ressusciterai aussi. »

    Et il se laissa glisser dans la mort.

    © Récit de André Trocmé, Des anges et des ânes, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 9-16

  • Luc 7. Jésus est fâché ! Il déteste les excuses qui permettent de se dérober.

     

    31.1.2010

    Jésus est fâché ! Il déteste les excuses qui permettent de se dérober.

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    Luc 7: 18-48

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Jésus est fâché ! Oui, Jésus est fâché. Vous ne l'avez pas senti à la lecture de ces récits ? Oui, moi je sens toute l'exaspération de Jésus vis-à-vis de ceux qu'il rencontre. Il y a d'abord les envoyés de Jean Baptiste qui veulent savoir si Jésus est vraiment le Messie, ou pas.

    Pour répondre à leur question, Jésus ne dit rien, il part dans une frénésie de guérison, maladies, maux, souffrance, aveuglement; Jésus guérit à tour de bras. Puis, enfin, il parle aux envoyés : "Allez raconter à Jean ce que vous avez vu." (Luc 7:22) Une façon de dire : "Mais ouvrez les yeux ! Ce que je fais est explicite, non ?" Il faudrait une patience d'ange pour ne pas être exaspéré par cette incrédulité. Mais peut-être que Jésus avait cette patience ?

    Ensuite, Jésus interpelle les foules qui le suivent et qui avaient suivi Jean Baptiste auparavant. C'est une foule mélangée, le petit peuple, mais aussi ceux qui collaborent avec les Romains et collectent pour eux les taxes et les impôts, et quelques représentant des autorités, les scribes et de la bourgeoisie, les pharisiens. (Luc 7:29-31)

    Ils étaient attirés par Jean Baptiste. Maintenant, ils suivent Jésus qui se demande ce qu'ils cherchent. "Qu'êtes-vous aller chercher auprès de Jean Baptiste ?" (Luc 7:24-26) Qu'est-ce qui vous attirait chez lui ? Ni la fragilité, ni le luxe, peut-être le message ?

    Et Jésus sait que les gens ont été partagés. Le peuple et les collecteurs d'impôts ont demandé le baptême à Jean, alors que d'autres l'ont rejeté, il était trop extrémiste pour eux. Et Jésus — pensant tout haut, fâché contre leur versatilité, leurs incohérences — se demande à quoi il peut comparer la génération qu'il a sous les yeux.

    Alors, il les compare à un groupe d'enfants qui joue sur la place publique. Enfin, ils voudraient jouer, mais ils restent inertes. L'un propose : "Et si on jouait à la noce ?" Mais personne ne bouge, c'est bôf… Alors, un autre propose : "Vous êtes tellement amortis qu'on devrait jouer à l'enterrement !" (Luc 7:32) Mais même cette provocation ne fait bouger personne.

    Voilà à quoi ressemble cette génération dit Jésus à travers cette parabole, une génération d'indifférents, de blasés, de sans réaction, d'apathiques. Immobiles, bloqués, paralysés, repliés sur eux-mêmes.

    Je vous avais dit que Jésus était fâché. Oui, il voudrait secouer cette génération. Vous n'êtes contents de rien ni de personne. Jean Baptiste est venu comme un ascète et vous avez dit : « Il a un démon » (Luc 7:33). Je viens et je me mêle à la vie, je mange avec tout le monde et cela ne vous convient pas non plus. Qu'est-ce qui cloche ? Qu'est-ce qui vous paralyse ?

    Dans notre génération aussi on a cette impression de paralysie. Les gens ne s'engagent plus, ils ne sortent plus de chez eux pour des activités en commun. Toutes les sociétés locales ont de la peine à trouver des gens pour leurs Comités. chacun est scotché devant son journal ou sa TV. On entend beaucoup d'excuses : "J'ai trop à faire, je n'ai pas le temps. Je ne peux pas m'occuper de toute la misère du monde. Ce que je peux faire, ce n'est qu'une goutte d'eau dans la mer, c'est inutile. D'ailleurs, les chrétiens ne sont pas meilleurs que les autres. Ou encore : aider n'aide pas, mais maintient dans la dépendance."

    Autant de phrases qui servent à justifier l'inaction, l'immobilisme, la paralysie. De nos jours, il faut dépasser les 100'000 morts pour faire bouger les gens, n'est-ce pas ? Pas vous qui vous êtes déplacés ce matin à l'église, je parle de ceux qui sont restés chez eux.

    C'est contre cet immobilisme que Jésus se fâche. Et avec sa petite parabole, il coince ceux qui cherchaient à se défiler. Ceux qui avaient de bonnes excuses pour ne pas suivre Jean Baptiste, Jésus les coince, ils devraient le suivre lui !

    Jésus accuse, Jésus critique ces excuses, ces raisonnements qui justifient l'immobilisme, le retrait, la non-intervention, le non-engagement. Qui voulez-vous suivre si vous ne suivez ni celui qui jeûne, ni celui qui mange ? Qui voulez-vous suivre si vous ne suivez pas celui qui vit isolé dans le désert, ni celui qui se mêle à la vie des humains ? Décidez-vous nom d'une pipe !

    Jésus est fâché ! Mais fâché contre les excuses, les raisonnements tordus qui servent de paravent, d'échappatoire aux engagements ou aux responsabilités. Jésus n'a jamais coincé personnes sur ses faiblesses, ses incapacités, ses infirmités ou ses vulnérabilités. Par contre, il est intraitable face à l'hypocrisie, face aux raisonnements dilatoires, face à la logique tordue qui permet la fuite.

    Je pense que c'est ce qu'il dit dans la conclusion de la parabole, une conclusion un peu énigmatique dans nos traductions. Le texte grec nous dit ceci : "la sagesse est justifiée par tous les enfants de la sagesse" ce qui est généralement compris comme "seuls les sages peuvent reconnaître la sagesse" dans le même sens qu'il dit ailleurs "Que ceux qui ont des oreilles pour entendre écoutent" (Luc 8:8).

    Mais si Jésus est fâché, je pense qu'il met de l'ironie dans cette phrase. Alors, il faut la comprendre comme disant : les enfants de la sagesse justifient la sagesse, ce qui signifie en termes actuels : "les raisonneurs donnent raison à leurs raisons" ou en termes plus communs : "vous pouvez remballer vos excuses."

    Jésus est fâché parce qu'il déteste l'hypocrisie et les excuses qui permettent de se dérober à ses devoirs ou à la volonté de Dieu. Mais, tout fâché qu'il est, Jésus n'abandonne pas sa tendresse et sa compassion, comme le montre le récit suivant où il est invité à manger chez Simon le pharisien.

    Jésus combat toutes nos excuses, toutes nos dérobades, pour nous amener au cœur de la vie, là où il y a la joie des chansons et de la danse, comme les émotions de tristesse ou de colère dans les moment de perte.

    Jésus cherche à désarmer notre raison, nos bonnes raisons pour ouvrir notre cœur à nos sentiments et à nos émotions, pour ouvrir notre cœur à la présence de l'autre, à l'amour et à la charité. Jésus nous ouvre le cœur pour nous redonner toute notre mobilité, pour chanter et danser et pour nous permettre d'approcher les autres en confiance.

    Laissons Jésus nous guérir de nos paralysies et nous mettre en mouvement vers notre prochain.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010