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prédication - Page 17

  • 2 Samuel 13. Femmes de la Bible (IV) : Tamar, fille de David

    2 Samuel 13
    26.7.2015
    Femmes de la Bible (IV) : Tamar, fille de David

    2 Samuel 13 : 1-22      Luc 12 : 2-7

    Télécharger le texte : P-2015-07-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il y a dans la Bible des histoires terribles ! C’est le cas de ce récit du viol de Tamar. Comment une telle histoire peut-elle faire partie de l’Histoire sainte, du livre qui contient la Parole de Dieu, de l’Ecriture qui doit nous rapprocher de Dieu ? Eh bien justement, la Bible témoigne de la rencontre entre Dieu et le monde, du choc que représente l’irruption de Dieu dans le monde réel. Ainsi la Bible est-elle en même temps le reflet du monde et de la vie réelle et le jugement de Dieu sur ce monde ! D’où la présence de textes violents, de situation perturbantes. C’est le reflet du monde réel. C’est pourquoi la Bible n’est pas moins violente que nos journaux !
    Aujourd’hui nous accompagnons Tamar dans son parcours. Le récit la concernant nous montre comment se prépare le piège qui va se refermer sur elle, le crime dont elle a été victime et les conséquences qui en découlent. Nous allons voir d’abord quelques éléments de la réalité sociale et humaine, ensuite les perturbations que produit ce viol, enfin le jugement de Dieu sur ces violences.
    A. D’abord quelques éléments de la réalité sociale et humaine qu’on trouve dans toutes les sociétés et à toutes les époques (évitons de penser : aujourd’hui nous sommes plus civilisé). C’est la domination des hommes sur les femmes. La violence qui est toujours sous-jacente dans les rapports humains, y compris dans la sexualité. Et le fait, statistiquement reconnu, que la majorité des violences sont le fait de personnes connues ou proches de la victime et pas de psychopathes tombant au hasard sur une personne dans la rue. Tous ces éléments sont présents dans notre récit et sont toujours actuels.
    B. Ensuite j’aimerais m’attarder sur les perturbations induites par le viol (v. 15-22). On observe un retournement des sentiments d’Amnon. Il se croyait fou amoureux, il se découvre juste la marionnette de ses désirs. Il se dégoûte lui-même, mais n’ose pas regarder ce sentiment en face, aussi projette-t-il ce dégoût sur Tamar et la prend-il en haine. Il fait de sa victime la coupable de ce qui s’est passé. C’est une deuxième négation de la victime. Cela conduit au rejet de Tamar et à son expulsion de l’appartement d’Amnon (même terme que dans Genèse 3 pour l’expulsion du jardin d’Eden). Cela conduit à la désolation pour Tamar. Le viol est une négation de sa personne, de sa parole (elle essaye d’éviter la violence par le dialogue), la négation de son être intérieur. La victime n’est plus sûre de rien, le sol se dérobe sous ses pas. L’état de choc conduit à un état de deuil, la perte de ses repères, la perte de ses soutiens, la perte de son estime de soi. Cet isolement est renforcé par les prises de positions et les « conseils » de ses proches : «Garde le silence», « N’en fait pas une histoire». Il y a une minimisation des faits, de la douleur, de la blessure intérieure. Cela conduit à la paralysie, à l’inaction, au sentiment d’impuissance : personne ne veut entendre le cri de Tamar. La solidarité se crée autour des coupables, des complices, au lieu de se former autour de Tamar. Cela conduira à une augmentation de la violence, puisqu’Absalom va tuer Amnon, mais sans que Tamar soit réhabilitée et puisse vivre une vie à peu près normale. Voilà les conséquences du viol que nous présente le texte biblique.
    C. Que peut-on y lire du jugement de Dieu ? Il faut lire entre les lignes et tenir compte de la Bible en entier, y compris le Nouveau Testament, pour voir le jugement de Dieu. Le récit ne fait pas intervenir les foudres divines, c’est plus plus subtil et plus encourageant pour nous ainsi. Ce qui est révélateur du jugement de Dieu, c’est la position du narrateur. Le narrateur se pose comme une sorte de chroniqueur judiciaire. Il ne passe rien sous silence. Il montre la planification du crime, sa préméditation, la construction minutieuse du piège, le rôle des complices, puis l’exécution pas-à-pas de ce qui a été planifié. Rien n’est passé sous silence, tout est dévoilé. Cette chronique est déjà — en soi — une dénonciation du crime, elle pointe les coupables et innocente totalement Tamar. Elle n’y est pour rien, elle est juste victime, elle est victime juste. Aucun reproche ne peut être imputé à Tamar, alors qu’on sait combien de fois les procès pour viols tournent à l’accusation de la victime.
    Le crime est dénoncé comme un crime dans le récit. Cela nous rappelle le procès de Jésus, sa Passion, où les narrateurs font ce même travail de déconstruction minutieuse du mensonge habituel qui fait de la victime le coupable, responsable de ce qui lui arrive. Non, ici, le texte dit bien où est le mal, où est le bien. Nous avons ici un récit précurseur du récit de la Passion, une chronique judiciaire qui montre le juste qui n’est pas reconnu comme tel par les personnes autour de lui, mais que le lecteur peut reconnaître comme innocent. Ce qui aurait dû être caché dans la vie de David et de ses fils — parce que cela ternit l’image de la royauté — cela-même est révélé dans le récit biblique. Le juste n’est pas toujours reconnu comme juste et innocent de son vivant, mais Dieu le voit et ne l’oublie pas : «Tous ce qui est caché sera découvert, tout ce qui est secret sera connu» dit Jésus (Luc 12 :2).
    Les actes et les gestes de Jésus apportent une lumière sur les relations sociales. Lorsque Jésus mange chez Simon le Pharisien et que celui-ci juge « de mauvaise réputation» la femme qui baigne les pieds de Jésus de parfum et les essuie avec ses cheveux (Luc 7:16-50), Jésus réhabilite cette femme. Lorsque les pharisiens amènent à Jésus la femme adultère (Jean 8:1-11) (qui comparait seule accusée, comme si elle avait pu commettre l’adultère sans homme !) Jésus renvoie tout le monde au compte de ses propres péchés. Chaque fois, le jugement de Dieu se manifeste par la réhabilitation, la restitution de la dignité à la personne blessée. Le monde écrase la victime, Dieu relève la victime.
    Quelles que soient les atteintes, les blessures, aux yeux de Dieu la victime est sans tache, sans traces de collaboration avec le bourreau, sans reproche à se faire, sans honte à éprouver. Le Christ en croix est la figure de toutes les victimes maltraitées, violentées, abusées. Et on peut élargir le cercle des personnes abusées pour y joindre les enfants placés, les enfants soldats, la traite des femmes, les victimes d’inceste et d’abus, les conjoints battus etc. sans parler des victimes des violences étatitques et institutionnelles et celles des violences guerrières ou économiques.
    Toutes ces personnes sont assimilées au destin du Christ dans le cœur de Dieu. Dieu souffre de les voir souffrir injustement dans les mains des hommes et il leur réserve la même réhabilitation, la même résurrection, la même vie nouvelle qu’à Jésus.
    De même que la vie du Christ est gardée intacte dans la main de Dieu, de même le noyau intime de toute personne abusée est gardé intact dans le cœur de Dieu.
    Comme Jésus blessé sur la croix meurt et ressuscite, chaque personne blessée ressuscite avec lui, avec les marques de ses blessures, mais vivante à nouveau.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • 1 Samuel 25. Femmes de la Bible (II) : Abigaïl

    1 Samuel 25
    5.7.2015

    Femmes de la Bible (II) : Abigaïl

    1 Samuel 25 : 2-42

    Télécharger ici le texte : P-2015-07-05.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd’hui nous découvrons la personne d’Abigaïl dans un épisode qui pourrait quasiment sortir du recueil des mille et une nuits, une sorte d’histoire racontée dans un style oriental où se mêlent richesse et pouvoir, vie et mort, beauté et orgueil. Alors on peut se demander pourquoi cette histoire est restée dans la Bible, à part le fait qu’elle appartient à la saga de David ? Comment s’inscrit-elle dans l’histoire de David et dans l’histoire biblique ?
    Quelques mots sur le contexte de cette histoire. En gros, le premier livre de Samuel nous relate l’établissement de la royauté avec Saül comme premier roi. Un roi insatisfaisant, un roi qui n’est pas fait sur le modèle de la royauté que Dieu veut établir sur Israël. Aussi ce livre mêle-t-il la royauté de Saül à l’histoire de l’ascension de David vers le trône d’Israël. Le deuxième livre de Samuel est consacré au règne de David. Les deux livres des Rois traitent ensuite de sa succession et de ses successeurs.
    Mais là nous sommes encore dans le premier livre de Samuel. Il est donc question de l’ascension de David à la royauté et, en quelque sorte, de sa formation en tant que roi.
    On voit d’abord David au service du roi Saül, on ne le voit vaincre Goliath, s’allier à Jonathan contre Saül, être en guerre contre Saül et — dans le chapitre 24 — celui qui précède le nôtre,  on voit David épargner la vie de Saül, pourtant à sa merci dans la grotte d’En-Guédi. Épisode qui se répète dans le chapitre 26, où, là non plus, David ne porte pas atteinte à la vie de Saül, car la vie de celui qui a été oint comme roi par le prophète de Dieu est sacrée !
    Notre chapitre 25, avec l’histoire de David face à Nabal et Abigaïl, comporte une unité de thème avec ses deux chapitres qui l’encadrent : celui de la vengeance. Lorsque Nabal refuse de payer les services de protection de David que la bande armée a assurée autour de ses troupeaux, David est furieux, il ne pense qu’à tuer celui qui lui fait affront. Le récit n’est pas clair : David vient-il chercher le payement d’un contrat loyal, ou bien vient-il racketter Nabal pour une « protection » de type sicilienne, mais peu importe. Peu importe que la colère de David soit justifiée ou orgueilleuse. Il y a un désir de vengeance, de faire couler le sang. Et David en a le pouvoir, comme chef d’une petite armée.
    C’est là qu’intervient Abigaïl. Elle parle longtemps à David pour le convaincre de renoncer à son geste funeste. Les prédicateurs parlent beaucoup de la nourriture et des gâteaux qu’elle apporte, mais c’est son discours qui est remarquable ! C’est d’ailleurs le discours de femme le plus long rapporté dans la Bible.
    Que dit-elle à David pour le convaincre ? Quels arguments utilise-t-elle ? D’abord ceux qu’elle n’utilise pas. L’appel à la pitié ; la compensation ou la réparation (tu as ce que tu voulais, j’ai apporté la nourriture que tu voulais de Nabal) ; l’appel à sa beauté — qui est remarquable comme le souligne le texte.
    Non, dans son discours, elle commence par en faire une affaire personnelle, interpersonnelle entre elle et David. Elle prend sur elle toute la faute. Cela nous paraît injuste — et faux en plus ! Cela ressemble à un discours misérabiliste, culpabilisé : « tout est de ma faute, n’en veut pas aux autres ». Elle aurait pu négocier un échange : « c’est ma faute, prends-moi et laisse la vie sauve aux autres ». Mais ce n’est pas ce qu’elle fait. En affirmant que la faute lui revient, elle se pose en interlocutrice unique et responsable, en position de négocier et d’arriver à un accord. En fait elle évacue Nabal, son mari, de la négociation. Abigaïl règle d’ailleurs son compte à son mari dans une phrase pleine de jeux de mots puisque Nabal veut dire vaurien ou fou ou imbécile. Abigaïl prend les rênes de la négociation, mais elle se place en position inférieure à David, non pas parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle sait être en face de celui qui a été oint par Dieu et qui sera le prochain roi d’Israël. Un homme on aurait fait autant (sauf son fou de mari).
    Ensuite, Abigaïl met en question la volonté de vengeance et la violence de David : « Mais maintenant, par le Seigneur vivant et par ta propre vie, le Seigneur lui-même te retient d'en venir au meurtre et de te faire justice toi-même. » (1S 25:26) Et là, on voit la parenté avec les chapitres 24 et 26. Vis-à-vis du roi Saül, David a su se retenir d’exercer sa vengeance. Ne devrait-il pas agir de même envers la maison de Nabal ? Oui, mais là, David n’a pas affaire avec un oint du seigneur ! Quelle raison aurait David d’épargner Nabal et sa maison ?
    C’est là le génie d’Abigaïl, et selon moi, la raison pour laquelle ce récit a sa pleine place dans la Bible et devient pour nous un enseignement. Abigaïl rappelle à David les promesses que Dieu lui a faites : « Lorsque le Seigneur accomplira tous les bienfaits qu'il t'a promis et fera de toi le chef d'Israël… » (v.30). Abigaïl rappelle à David sa raison d’être, les raisons pour lesquelles il a rassemblé une armée. Elle lui rappelle que l’accomplissement est à bout touchant et qu’il pourrait tout risquer, maintenant, en commettant un faux pas. Abigaïl fait donc appel aux fondamentaux de la vie de David, à sa raison d’être, à sa vocation, à sa mission, pour avoir un critère de décision pour savoir ce qu’il est juste de faire ou injuste de faire dans ces circonstances. Abigaïl pose un principe éthique fondamental, une méthode de décision dans les situations difficiles : ce que je dois faire dans cette situation, doit être en cohérence avec ma vocation, avec le but de ma vie, avec la personne que je suis et que je veux être. Toutes les petites décisions doivent être orientées vers l’ essentiel, en cohérence avec les valeurs supérieures que je poursuis.
    Abigaïl en appelle donc à la vocation, à la mission de David. Elle ne lui dit pas ce qu’il doit faire ! Elle lui demande : soit cohérent avec qui tu es et qui tu vas devenir, ne fait pas quelque chose que tu regretteras, quelque chose qui sera une tache dans ton parcours.
    Abigaïl donne ici une leçon de politique extrêmement sensée, qui s’applique à David, mais dont tous les hommes politiques devraient s’inspirer. Pas seulement dans la période où ils visent le pouvoir, mais également dans l’exercice du pouvoir.
    C’est une des questions qui tourmente les rédacteurs de la Bible : savoir comment limiter le pouvoir, le pouvoir de ceux qui sont au sommet, au sommet du pouvoir ! « Capitaine après Dieu ! » Qui pourra limiter leurs pouvoirs ? Les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois essaient des pistes sur cette question de la limitation du pouvoir. Et la réponse est toujours la même : c’est la loi divine, le respect de Dieu, ce savoir soumis à une loi supérieure qui peut seule limiter le pouvoir de ceux qui ont le pouvoir de la force. Ainsi se sont mit en place, au fil du temps, des mécanismes de régulation. Au XXe siècle ce sont les droits de l’homme et les tribunaux internationaux, comme tentatives de limiter le pouvoir des superpuissants.
    Ici nous sommes dans le dialogue entre Abigaïl et David et on voit que le discours d’Abigaïl, l’appel à la mission et à la vocation de David, l’appel aux promesses divines fait réfléchir David. Et en effet, il va subordonner sa fureur à sa vocation. Il va renoncer à entacher son parcours avec le sang de Nabal et de sa maisonnée. C’est tout seul que Nabal va aller vers son sort, une crise cardiaque ou un AVC l’emporte.
    Ensuite David va profiter du veuvage d’Abigaïl pour l’épouser de manière à avoir auprès de lui une femme d’un tel niveau d’intelligence et de si bons conseils. Les compétences psychologiques et relationnelles d’Abigaïl sont, en quelque sorte, récompensées dans le récit par le fait qu’elle est débarrassée d’un mari sans valeur, pour devenir l’épouse du roi. Le conte oriental finit bien, non sans nous avoir laissé une maxime de valeur : «Oriente tous les choix de ton existence de manière à ce qu’ils te fassent avancer vers tes plus hautes valeurs. »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Juges 4. Femmes de la Bible (I) : Déborah

    Juges 4   
    28.6.2015
    Femmes de la Bible (I) : Déborah


    Juges 4 : 1-16 +23-24    Luc 8 : 1-3

    Télécharger le texte : P-2015-06-28.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous voilà, aujourd’hui, avec Déborah dans le livre des Juges. J’ai choisi, pour cette été, de vous faire découvrir quelques femmes de la Bible, et parmi les femmes de la Bible celles qui ne sont pas très connues.
    On a tout dit sur le caractère patriarcal, voire macho, de la Bible. Et pourtant, la Bible met en scène un grand nombre de femmes, ce qui nous offre un tableau très complet de la condition féminine au temps de la Bible.
    Déborah est définie comme une femme prophète et comme une juge, dans le livre des Juges (Jg 4:4). Elle se tient sous un palmier (qui a pris son nom), comme saint Louis sous son chêne. Le livre des Juges présente diverses histoires — souvent rocambolesques — qui sont situées dans le temps entre la conquête du pays Canaan par Josué et l’établissement de la monarchie avec Saül puis David. C’est une période troublée, où les tribus d’Israël subissent souvent l’oppression ou le pillage. Le fil littéraire qui rapproche ses histoires très variées est le suivant : dans une période de détresse extrême, le peuple crie à Dieu pour être délivré de ses oppresseurs. Dieu appelle alors quelqu’un — qui est appelé un « juge » — pour délivrer son peuple. Cette personne est un médiateur qui va réaliser la délivrance qui vient de Dieu.
    Dans notre histoire, aujourd’hui, c’est Déborah qui est appelée par Dieu pour apporter cette délivrance. Déborah a déjà un rôle de leader dans sa communauté puisqu’elle porte le titre de prophète, comme plus tard Samuel ou Nathan. En tant que telle, elle reçoit les messages de Dieu et les transmet. C’est ainsi qu’elle va transmettre à Barak l’appel de Dieu pour qu’il lève une armée et délivre les tribus du nord du roi Yabin en battant le général Sisra.
    Ce qui est étonnant dans ce récit, c’est que Barak cherche à se défiler. Dans l’ordre des choses d’une société de l’époque, c’est Barak qui aurait dû recevoir le titre de juge, comme Ehoud avant lui et Gédéon après lui. Ici Barak ne veut pas partir, il demande, il exige la présence de Déborah à ses côtés. C’est donc Déborah la personnalité moteur du récit. C’est elle qui mobilise, qui encourage, qui construit la stratégie de mobilisation et de combat. Je n’ai pas trouvé de figures de femme à la tête d’une armée dans la littérature antique, à part les mythiques Amazones ou la reine Zénobie. La Bible, elle, n’a pas de réticence à faire passer une femme avant les hommes, elle n’a pas cherché à l’effacer non plus.
    Déborah nous est présentée comme la personne providentielle, celle que Dieu a choisie, a appelée et a envoyée pour délivrer Israël. C’est une femme lucide, qui a une vision politique, voir militaire, qui est dans le concret et à l’écoute de son peuple.
    Dans le chant de victoire du chapitre 5 — un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament — elle se présente comme « une mère pour Israël » (Jg 5:7). Dans son rôle de leader, elle ne perd rien de son identité. Elle met tout son être, toutes ses capacités, toutes ses compétences personnelles au service de Dieu. En ce sens, c’est une vraie cheffe, mais pas une guerrière.
    Du point de vue de la guerre, le livre des Juges est particulier. Il y a des batailles, des soldats qui combattent, mais ce n’est pas ce qui est décisif ! Dans ce livre, c’est Dieu qui remporte la victoire, pas les soldats. Les batailles sont remportées plutôt par les circonstances favorables ou exceptionnelles, ce qui fait qu’elles sont attribués à Dieu. Dans notre récit, ce qui est suggéré, c’est que les chars du général Sisra se sont embourbés dans la plaine inondée par le torrent du Quichon. Et cela ne ne peut revenir qu’à Dieu, pas à la bravoure des soldats.
    Un autre point dans ces guerres du livre des Juges, c’est qu’elles interviennent toujours quand la situation de détresse est devenue intenable. C’est une délivrance qui est en route, pas une guerre de conquête ou une recherche de pouvoir. Ensuite le chef revient dans les rangs du peuple. Il n’y a pas de victoire personnelle, seulement un acte salvateur de Dieu qui rétablit la paix et des conditions de vie acceptable.
    Dans ce sens sens là, le livre des Juges, même s’il est un livre qui raconte des histoires plutôt sanglantes, est un livre d’espoir et de confiance en Dieu. Chaque fois qu’il y a une crise, que le peuple est en détresse et qu’il crie à Dieu, Dieu adresse une vocation à quelqu’un et ce quelqu’un se lève pour agir. C’est un encouragement à espérer dans les situations difficiles. Quelque chose de neuf peut toujours à nouveau surgir, du cœur même de la crise. Des hommes et des femmes sont appelés par Dieu, au cœur même des difficultés, pour apporter des solutions, pour apporter la délivrance de Dieu.
    Il y a un mixte toujours présent d’initiative divine et d’initiative humaine. Si personne ne se mobilise, il ne peut pas y avoir d’intervention divine. Si Déborah ne s’était pas levée, n’avait pas poussé Barak à agir, à lever son armée, les chars de Sisra ne seraient pas descendus s’embourber dans la plaine du Quichon. Dieu n’intervient pas sans nous, il a besoin d’intermédiaires, de « Juges ». Il a besoin de nos mains, de nos voix, de nos pieds pour que son action puisse avoir lieu et soit visible dans le monde. Il a besoin de chacun d’entre nous, hommes et femmes Dieu ne fait pas de différence. Il n’a pas besoin de notre force, de notre puissance, il a besoin de notre présence.
    Deborah a répondu à l’appel de Dieu et cela a changé le sort du peuple d’Israël. La Bible a gardé mémoire de son histoire (Jg 5) mais aussi de ces paroles dans le Chant de victoire du chapitre 5.
    Dieu garde en mémoire chacun de nos gestes, de nos actes, chaque action qui apporte réconfort, soutien ou délivrance. Rien ne lui échappe, plus encore Dieu démultiplie le pouvoir de nos gestes à un point que nous ne connaissons pas. Cela doit nous encourager à ne pas baisser les bras. Encourageons-nous à être plutôt comme Déborah que comme Barak qui n’osait pas répondre à sa vocation. Lorsque nous répondons présent Dieu est là, il se rend lui-même présent et tout change.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • 1 Pierre 2. Bâtir sur les valeurs de justice, de compassion et de service.

    1 Pierre 2
    7.6.2015
    Bâtir sur les valeurs de justice, de compassion et de service.

    Ps 118 : 19-24      1 Pierre 2 : 4-10       Matthieu 18 : 1-5

    Télécharger le texte : P-2015-06-07.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pour fêter ensemble ces 40 ans de la construction de la Chapelle, J’ai choisi ce texte de la première lettre de Pierre qui parle justement de construction, d’édification, de matériaux à choisir ou à laisser de côté. Quand on construit, c’est évidemment essentiel de choisir les bons matériaux, les bonnes pièces qui feront que l’édifice tient debout, brave le temps et les intempéries.
    L’auteur de la lettre parle de construction et de pierre, mais c’est dans un sens symbolique, métaphorique. L’auteur ne parle pas de bâtiment, mais de communauté ou de société humaine. Lorsqu’il parle de cette pierre angulaire, il l’emploie comme une image, une image des valeurs que nous privilégions pour fonder notre vie ou la vie de notre société. Très vite on voit surgir une opposition, même un conflit, parce que cette pierre capitale est soit rejetée soit choisie et considérée comme précieuse.
    « La pierre que les bâtisseurs avaient rejetée, est devenue la pierre principale. » (Ps 118 :22) Cette phrase, tirée du Psaume 118, illustre le conflit ou le dilemme, la question : qu’est-ce qui a de la valeur ?Tout bâtiment a besoin d’une pierre angulaire. Ici dans cette Chapelle on peut penser aux blocs de béton, bien visibles à l’extérieur de la Chapelle, sur lesquels repose la charpente du toit, ces poutres qui s’entrecroisent au-dessus de nos têtes.
    Toute société a besoin de ces fondements, de ces appuis — qu’on peut appeler valeurs — pour tenir. Et voilà que notre texte nous dit que les valeurs que les bâtisseurs avaient rejetées, sont justement celles que Dieu a choisies et qu’il estime précieuses.
    « La pierre que les bâtisseurs avaient rejetée, est devenue la pierre principale. » (Ps 118 :22) Cette phrase, tirée du Psaume 118, illustre le conflit ou le dilemme, la question : qu’est-ce qui a de la valeur ?Tout bâtiment a besoin d’une pierre angulaire. Ici dans cette Chapelle on peut penser aux blocs de béton, bien visibles à l’extérieur de la Chapelle, sur lesquels repose la charpente du toit, ces poutres qui s’entrecroisent au-dessus de nos têtes.
    Toute société a besoin de ces fondements, de ces appuis — qu’on peut appeler valeurs — pour tenir. Et voilà que notre texte nous dit que les valeurs que les bâtisseurs avaient rejetées, sont justement celles que Dieu a choisies et qu’il estime précieuses.
    Ce choix et ce rejet sont illustrés par l’histoire de Jésus, racontée dans les Évangiles. Ce Jésus que Dieu a choisi pour se faire connaître, il a été rejeté par les hommes de son temps, au point qu’il a été crucifié. Mais Dieu l’a réhabilité en l’élevant à lui, en le déclarant juste malgré les diffamations à son égard. Dieu l’a choisi comme la pierre principale, comme la tête de son peuple, de son Eglise. Jésus incarne ces valeurs que Dieu souhaite voir adoptées par l’humanité. Mais l’humanité rejette ses valeurs : de justice, de compassion, de service. Cette histoire de Jésus est comme un signal qui montre les dangers que court notre société quand elle rejette ces valeurs, quand elle se construit sur l’injustice, la haine et le profit à tout prix. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Quelle société voulons nous construire ? Quelles valeurs choisissons nous comme fondement pour notre société ?
    Clairement, Dieu marque son opposition à une société qui exploite, qui oppresse, qui détruit pour l’avantage des quelques-uns. Clairement, Dieu marque son opposition à un système économique qui rejette et abandonne sur le bord du chemin ceux qui ne sont pas au top de la performance. Dieu, au contraire, veut revaloriser chacun, tel qu’il est, même s’il est blessé par la vie, même s’il est porteur de handicap ou de faiblesse.
    J’aimerais prendre encore une autre image. Il y a une nouvelle cuisine qui devient à la mode, c’est la cuisine sans restes et sans déchets. Une cuisine qui recherche la valorisation de tout. Pas de rebut, pas de rejet des légumes qui ne sont pas standards, qui comportent des taches ou des formes bizarres. Tout est bon. Eh bien, je crois que Dieu fait cela avec l’humanité. Pour Dieu il n’y a personne « de reste ». Pour Dieu il n’y a pas de rebut de la société. Pour Dieu il n’y a personne qui ne vaille pas la peine qu’on s’occupe et se préoccupe de lui.
    Lorsque la société, des entreprises ou des groupes trouvent qu’il ne vaut pas la peine de s’occuper de certaines personnes, ce n’est pas l’avis de Dieu. Tout le monde compte pour lui, il n’y a pas de déchets, pas de rebut. Il n’y a que des êtres humains à part entière, des personne dignes d’intérêt, dignes d’avoir une place, dignes d’avoir un logement ou un travail. Nous ne pouvons accepter que les gens soient considérés comme des Kleenex que l’on jette après emploi.
    Jésus est cette pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie par Dieu, et — nous dit le texte — cette pierre devient un refuge pour les uns (un sanctuaire) et une pierre qui fait trébucher, qui fait tomber les autres. Cette ambivalence est bien présente dans le message du Christ. Il est bien refuge, accueil, soutien pour ceux qui se sentent exclus, mis en marge par la société. Ces petits sont ceux qui sont accueillis par le Christ et ceux qui deviennent figures du Christ quand on leur donne à boire, à manger, lorsqu’on leur rend visite ou qu’on leur donne un vêtement (Mt 25). Mais le Christ est aussi pierre d’achoppement, jugement pour ceux qui exploitent et détruisent. Leurs valeurs d’accaparement et de destruction sont clairement condamnées par Dieu.
    Ainsi le Christ nous invite à créer une société qui soit basée sur ces valeurs de justice, de compassion et de service. Et la communauté de l’Eglise devrait en être le premier exemple, une communauté qui se bat pour de plus de justice, une communauté ouverte et accueillante pour tous, sans exclusion, une communauté qui se place au service de la société et des plus faibles.
    C’est cette communauté, les personnes porteuses de ces valeurs que j’aimerais voir réunies ici semaine après semaine, pour s’encourager à cette mission d’humanisation de la société. C’est à cela que doit servir cette Chapelle pour toutes les années qui s’ouvrent devant nous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz 2015

  • Actes 11. Une Eglise surprise par l’Esprit Saint

    24.5.2015
    Actes 11
    Une Eglise surprise par l’Esprit Saint

    Actes 2 : 1-13      Actes 11 : 1-18

    Télécharger le texte : P-2015-05-24.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Vous avez entendu le récit traditionnel de Pentecôte. Ce récit ouvre l’histoire de la première Eglise, histoire dépeinte dans le livre des Actes des Apôtres qui fait suite à l’Évangile selon Luc.
    Luc donne un cadre temporel aux apparitions de Jésus — de Pâques jusqu’à l’Ascension — puis décrit le don du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte : 10 jours après l’Ascension, 50 jours après Pâques.
    Ce récit du don de l’Esprit marque la date de naissance de l’Eglise. Avant la Pentecôte, il y a un groupe de disciples, craintifs et désorganisés. Ils se réunissaient en cachette, en s’enfermant dans la chambre haute pour se rappeler — entre eux — ce qu’ils avaient vécu avec Jésus. Ils sont encore à Jérusalem, et ce dimanche de la fête juive des semaines — Chavouot en hébreu, Pentecôte en grec — ils sont encore réunis entre eux.
    Mais ce dimanche-là un événement spécial se passe. Le Saint-Esprit descend sur la maison, puis sur les disciples à la façon de la révélation bruyante et lumineuse de Dieu à Moïse au Sinaï.
    Cela ameute du monde, tous les pèlerins juifs montés à Jérusalem des quatre coins de la diaspora juive. Beaucoup de pays ou régions sont mentionnés, de l’Iran actuel jusqu’à Rome, mais il est précisé que ce sont des juifs de souche ou des convertis à la foi juive. Le don de l’Esprit-Saint concerne — à ce moment —prioritairement les juifs, les descendants d’Abraham, les dépositaires de la révélation du Dieu d’Israël.
    Pour les disciples, il était évident que Jésus était le Messie annoncé dans les Ecritures, celui qui est venu pour accomplir les promesses de Dieu à l’égard de son peuple. C’est une affaire interne. Il est important d’annoncer aux juifs que l’Ecriture est accomplie, que le Messie est venu et qu’il s’agissait de Jésus ! Mais cela ne concerne que le peuple Israël. Voilà la croyance des disciples. Or, l’Esprit souffle où il veut et Dieu ne veut pas être limité par nos étroitesses d’esprit !
    L’évangélisation par les disciples se fait, en Judée, en Samarie et en Galilée. Mais — comme le racontent le livre des Actes — les persécutions poussent les premiers chrétiens à l’exil : à Damas, à Antioche et plus loin !
    Et voilà nos disciples confrontés aux Grecs et aux Romains. Et ceux-ci reçoivent favorablement l’évangile ! Que doivent-ils faire ? L’Esprit Saint convainc Pierre qu’il peut aller chez Corneille, et Pierre constate que Corneille reçoit l’évangile et qu’il reçoit l’Esprit Saint aussi bien que les juifs. Pierre le traite donc comme les autres nouveaux chrétiens.
    C’est lorsqu’il vient raconter cette merveilleuse histoire à Jérusalem que les choses se gâtent. Il est désapprouvé, il est contesté. Il est accusé d’avoir mangé avec des païens, donc d’avoir transgresser les règles du judaïsme qui s’appliquaient encore dans la première Eglise. C’est alors que Pierre explique comment cela s’est passé, comment il a agi sous l’inspiration divine. Ainsi Pierre nous raconte ce que les spécialistes des Actes des Apôtres appellent « la Pentecôte des Gentils » c’est-à-dire la Pentecôte des païens.
    Pierre raconte : «Je commençais juste à leur parler, quand le Saint-Esprit est descendu sur eux, tout comme il était descendu sur nous au commencement. (…) Dieu leur a accordé ainsi le même don que celui qu’il nous a fait à nous quand nous avons cru au Seigneur Jésus-Christ : qui étais-je donc pour m’opposer à Dieu ! » (Ac 11:15,17)
    L’Esprit Saint souffle où il veut. Il était là pour créer l’église, et il est là pour la faire évoluer, pour la faire grandir et avancer, pour la diriger, parfois vers des lieux ou des formes qui surprennent même les disciples, les chrétiens. L’Eglise n’est pas une Association ou une Entreprise avec des statuts et une assemblée générale. L’Eglise a certes besoin de personnes qui assurent l’organisation pratique, la petite cuisine — et ce n’est pas négligeable. Mais l’Eglise dépasse notre petite organisation humaine et nos buts humains.
    Au jour de la Pentecôte, nous devons nous souvenir que c’est l’Esprit Saint qui souffle sur l’Eglise et qu’il l’a conduit. L’Eglise n’est pas née de volontés humaines, elle est née d’un don, d’un surgissement qui a dépassé tous ceux qui étaient présents — on les a d’ailleurs pris pour des fous, on les a cru ivres, ce jour là !
    L’Eglise naît d’un appel, d’un bouleversement, elle naît d’une ouverture : c’est le Christ qui apparaît dans une chambre fermée ; c’est l’Esprit qui souffle et se manifeste en langues de feu. L’Eglise est appelée à cette ouverture qui est le contraire du repli sur soi.
    Cette ouverture est intérieure, c’est un déblocage, un élargissement par rapport à nos étroitesses, une confiance en l’Esprit Saint par rapport à nos peurs, une ouverture par rapport à nos préjugés.
    Cela n’a pas dû être facile pour les disciples juifs élevés dans la peur du contact avec les non-juifs,  la peur d’être souillé, d’être contaminé, d’être rendus impurs en entrant dans leurs maisons ou en partageant leurs repas.
    Cette ouverture, cette transformation intérieure conduit à une ouverture aux autres. Le Christianisme n’est pas réservé à une ethnie ou à une catégorie de la population. Le message de Jésus est universel, il est destiné à tous les humains, parce qu’il n’y a pas diverses catégories d’humains.
    L’Esprit Saint souffle sur tous les humains, sans différences. « Ne considère pas comme impur ce que Dieu déclare pur !» entend Pierre. Dieu fait souffler son Esprit Saint sans barrières, sans discrimination sur tous les humains, sur toute la terre, voici le souffle de Pentecôte !
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Luc 24. La vie : comme un jeu vidéo.

    Luc 24
    14.5.2015
    La vie : comme un jeu vidéo.
    Phil 2 : 5-11       Matthieu 16 : 24-27        Luc 24 : 50-53

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce jeudi de l’Ascension, nous rappelons que Jésus est monté au ciel. Monter au ciel ? Peut-on encore dire cela au XXIe siècle ? Peut-on encore croire cela au XXIe siècle ? Si dans cet épisode de l'Ascension nous voulons nous raccrocher à une élévation physique de Jésus, à une ascension au travers des nuages, de la stratosphère, nous avons un problème et il n'est pas étonnant que nos contemporains se détournent des Eglises. Ne confondons pas Jésus avec Superman ou avec Yves Rossi le jetman suisse !
    Les évangiles ne nous révèlent pas une une anecdote bizarre à travers l’Ascension de Jésus, mais un élément très sérieux quand on en saisit la portée symbolique, théologique.
    L’Ascension est une image qui s’inscrit dans la vision du monde de l’époque de Jésus. Le monde est vu comme constitué de trois étages, de trois niveaux, « le ciel, la terre et les enfers » comme le dit le cantique 34–32 (strophe 2) que nous venons de chanter. Le ciel (qui n’est pas celui de la météo !) est la dimension divine. C’est l’espace que Dieu habite, qu’il remplit, c’est le lieu (ou le temps) de la communion avec Dieu.
    Les « enfers », ou la Shéol dans l’Ancien Testament, c’est le séjour des morts, qu’il ne faut pas se représenter comme l’enfer des peintures de la Rennaissance, c’est simplement le lieu de la mort, lieu marqué par l’absence de Dieu, un lieu ou un temps d’immobilisme, de léthargie, de non-vie. Dans cette vision des choses, la vie sur terre est le temps décisif où se joue soit la montée au ciel, soit la descente dans la Shéol.
    Je vais prendre une comparaison actuelle. Essayons de penser que la vie est un jeu vidéo ! Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les jeux vidéo, essayez de penser à un rallye semé d’embûches et d’énigmes et d’indices permettant d’aller à l’étape suivante. Dans un jeu vidéo, le personnage qu’on incarne ce meut dans un univers qui se trouve derrière l’écran. Il est confronté à trouver son chemin, à trouver des objets qu’il doit prendre ou laisser sans savoir lesquels seront utiles dans la suite. Il peut par exemple se trouver face à une porte pour laquelle il aura besoin d’une clé, ou face à un mur pour lequel il aurait besoin d’une barre à mine, mais qui veut s’encombrer d’une barre à mine ? etc. Il va faire des rencontres, les unes bénéfiques, les autres maléfiques, il aura donc besoin de cadeaux ou d’armes etc. pour arriver en vainqueur au niveau le plus haut, au paradis. Dans certains jeux on peut se procurer des indices supplémentaires pour éviter des pièges ou des détours. Voilà les ressorts des jeux vidéo.
    Si nous imaginons que le monde est un gigantesque jeu vidéo, notre rôle sur terre est de trouver une notre voie, faire notre chemin pour monter vers le niveau « ciel» et éviter de tomber dans la shéol, de mourir, d’être « game over ».
    L’épisode de l’Ascension de Jésus montre qu’il a réussi à passer au niveau supérieur, il a gagné le jeu. Il a donc une connaissance de toutes les astuces et des justes comportements pour gagner le ″jeu de la vie″. Plus encore, avant son Ascension — c’est ce que son Ascension nous révèle — il nous a enseigné comment on peut à notre tour gagner le ″jeu de la vie″ et accéder au ciel ! Il a pu le faire parce qu’il est le fils du concepteur du ″jeu de la vie″. Il a toutes les astuces et toutes les réponses aux énigmes, il a le mode d’emploi et il est venu pour nous le communiquer. Quel est son enseignement pour que nous puissions réussir au ″jeu de la vie″ et gagner le ciel ? Il nous donne trois enseignements fondamentaux.
    1. La première chose : c’est de le croire. Croire qu’il est bien le messager, le révélateur de celui qui a conçu, créé le ″jeu de la vie″. Pour faire notre chemin dans le jeu, nous devons choisir qui croire, lui ou les autres ? En qui allons nous faire confiance ? Dans son enseignement ou dans ce que le monde nous dit de faire ?
    2. Ensuite, Jésus nous dit de ne pas suivre le monde. Le monde — et ses conseils ordinaires — court à sa perte. Le monde est basé sur de fausses valeurs qui ne peuvent que nous faire perdre le ″jeu de la vie″. Vous connaissez les valeurs du monde : consommer, paraître, devenir célèbre, être mieux que les autres quitte à les piétiner, réussir, posséder, etc. Tous ces conseils ne mènent qu’à des impasses. Tous ces objets qu’on nous conseille d’acheter nous alourdissent, nous empêchent de monter au ciel.
    3. L’enseignement positif que Jésus nous donne consiste en un retournement des valeurs du monde. Ce sont les valeurs des béatitudes, ce sont les valeurs que Jésus a transmises à travers le lavement des pieds, ce sont les valeurs que Jésus a vécues en se dépouillant de tout pouvoir, de toute grandeur, pour servir, comme le rappelle la lettre aux Philippiens (Ph 2:5-11). C’est le don de soi, le don de sa vie qui conduit à la grandeur et à l’élévation. Dans le ″jeu de la vie″ : « celui qui voudra sauver sa vie la perdra et celui qui acceptera de la donner la sauvera » (Mt 16:25).
    C’est quelque chose qui est totalement caché au monde, mais que Jésus nous a révélé, à ses disciples et à nous. Nous avons le mode d’emploi du ″jeu de la vie″, nous avons les clés pour accéder au niveau du ciel.
    À nous de croire et faire confiance en Jésus. À nous de le suivre, de suivre ses enseignements. À nous d’emprunter ce chemin paradoxal, où celui qui perd en fait gagne.
    Découvrir que c’est ce chemin même — que le monde voit comme perdant, comme un abaissement, comme déraisonnable — c’est ce chemin qui se révèle être celui qui a du sens et apporte la vraie satisfaction, qui apporte des relations de plénitude avec les autres, qui apporte une communion d’amour avec Dieu, un rendez-vous avec le ciel.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • 1 Pierre 3. Suivre Jésus pour donner plus de vie à la vie

    10.5.2015

    Suivre Jésus pour donner plus de vie à la vie

    1 Pierre 3 : 8-11    Matthieu 7 : 7-12

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chère famille,
    Pourquoi les chrétiens sont-ils chrétiens ? Pourquoi sommes-nous, comme paroissiens, attaché au christianisme ? Eh bien le chrétien pense que Jésus a apporté, nous a apporté, une image de Dieu qui correspond à sa réalité. Une image qui s’approche le mieux de ce que nous humains, pouvons penser de Dieu, d’un Dieu « plus vrai que nature ».
    Nous pensons que cet homme Jésus a su trouver les mots, les gestes, les comportements propres à nous faire apercevoir un Dieu dont l’image est la moins déformée par nos idées humaines, nos a priori, nos filtres etc. C’est le problème avec l’image que nous nous faisons de Dieu, c’est que nous risquons toujours de la déformer. Ce que Voltaire avait bien exprimé dans une phrase : « Dieu a fait l’homme à son image, et l’homme lui a bien rendu ! »
    Au temps de Jésus, l’image de Dieu— au moins aux yeux de Jésus— était déformée. Dieu était considéré comme un surveillant du comportement, qui punissait tout écart à la loi de Moïse. Un contrôleur, rétributeur, exigeant une obéissance formelle à toute une série de règles, de commandements. La vie était canalisée, conditionnée, enfermée. Jésus a fait éclater ce cadre oppressant.
    À chaque époque on risque de nouvelles déformations. La Réforme protestante est née en réaction aux déformations du Moyen Âge. Et la Réforme a proposé une sorte d’antidote aux déformations : assurer à tous l’accès le plus large aux paroles de Jésus, au message le plus original possible en rendant la Bible lisible et accessible par chacun. Elle a profité de l’invention de l’imprimerie pour diffuser la Bible en langage courant. Pour que chacun puisse se faire sa propre idée. Nous pouvons donc tous aller voir quelle image de Dieu Jésus propose.
    Mais pourquoi avoir une image de Dieu ? En fait — sans toujours le savoir — chacun a déjà, en lui, une image, une conception de Dieu. En fait chacun de nous se fait une image lorsque nous définissons la vie, le monde, la société. Lorsque nous disons quelle est notre attitude face à la vie, face à l’univers, face aux événements autour de nous, face à notre destin, nous créons une image ! Certains disent : « tout ce paye un jour…» ; d’autres « après moi le déluge…» ou « la vie est magnifique/elle est absurde » ou « vivons le temps présent…». Chacune de ses phrases dit quelque chose sur les forces qui nous dépassent, sur ce qui régit le monde, sur l’organisation de l’univers, ce que les philosophes placent sous le terme générique de « Dieu ». À partir de ce terme générique qui organise l’univers — au moins dans notre cerveau — chacun a décliné et développé des applications plus détaillées.
    Les chrétiens reconnaissent dans les paroles de Jésus une expression sensée et satisfaisante de Dieu comme le principe qui gère, organise l’univers, au moins l’univers des relations humaines. Alors, que nous dit Jésus, puis ses disciples qui ont essayé de transmettre et déployer sa parole ? Dans les paroles de l’Évangile selon Matthieu que nous avons entendues ce matin, Jésus décrit un Dieu généreux, qui répond, qui ouvre et qui donne. Jésus part de l’expérience humaine, des relations entre parents et enfants. Et que voit-il ? Que tout imparfaits que soient les parents— fatigués d’avoir été réveillés trois fois pendant la nuit, ou sous pression au travail— malgré tous les écueils, les parents donnent de bonnes choses à leurs enfants. Combien plus Dieu, qui est généreux, nous donnera-t-il ce dont nous avons besoin, ce dont nous sommes à la recherche, ce qui nous manque.
    Dieu est généreux et cette générosité n’est pas soumise à conditions. La vie est offerte à tous, comme un cadeau premier et cette vie se veut généreuse. Dieu a fait la vie pour le bonheur, pour que nous puissions aimer la vie et la vivre à pleines dents.
    On retrouve cet amour de la vie dans la lettre de Pierre. Pierre donne des conseils à ceux qui veulent aimer la vie. On a plus de chance d’avoir une vie heureuse si on suit une ligne qui tend vers le bien plutôt que vers le mal. Et notre vision, notre image de Dieu, oriente nos attitudes, nos comportements et donc notre aptitude au bonheur. Pierre décrit d’abord quatre attitudes relationnelles qui donnent de la vie à la vie, puis un moyen d’y arriver.  C’est quatre attitudes sont : la compassion, l’esprit fraternel, la bienveillance et l’humilité.
    1. La compassion, c’est la capacité à être touché par la situation de l’autre, à s’ouvrir à ce que l’autre vit.
    2. L’esprit fraternel, c’est la capacité à considérer l’autre comme appartenant à ma famille, donc à me préoccuper de son sort comme je le fais pour mes proches.
    3. La bienveillance, c’est la capacité de traduire cela en actes concrets, en gestes, en comportements positifs.
    4. L’humilité, c’est la capacité de voir en chaque personne une personne digne d’être servie.
    Enfin, le moyen d’arriver à vivre ses attitudes, selon Pierre, c’est de renoncer aux attitudes en miroir, rendre le mal pour le mal, l’insulte pour l’insulte. C’est notre premier mouvement de réagir en miroir, d’être fâché contre celui qui se fâche contre nous, de crier sur celui qui crie contre nous. Cette attitude en réaction amplifie la réaction en chaîne et multiplie la violence, on le voit tous les jours dans le monde.  L’invitation qui nous est donnée, c’est de ne pas se laisser contaminer « par le côté obscur de la force », mais au contraire d’injecter du bien dans la relation, d’infuser de la bienveillance, de propager de la bienveillance.
    C’est notre rôle de parents, de grands-parents, de citoyens, de tenir aux valeurs positives, de résister au mal, c’est-à-dire à la tentation de réagir en miroir. C’est notre rôle, parce que Dieu a été généreux avec nous, de répandre du bien autour de nous comme un reflet de cette générosité. Non pas du bien pour bien faire, mais du bien pour bien vivre, parce que c’est la voie qui mène au bonheur.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Jean 20. Thomas a besoin de trouver sa propre conviction

    Jean 20
    12.4.2015
    Thomas a besoin de trouver sa propre conviction

    Jean 14 : 1-7       Jean 20 : 24-31

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Thomas n’était pas là dimanche passé ! Il n’a pas assisté à l’apparition de Jésus dans la pièce fermée ou étaient réuni tous les disciples. Alors Thomas a des doutes. Il entend bien ses compagnons lui dire : « nous avons vu le Seigneur ! » Mais cela ne lui suffit pas. Il a besoin de voir pour croire.
    Nous pouvons lire— dans nos rues — les affiches bleues qui proclament en écriture jaune : « Jésus est ressuscité ! » Mais est-ce que cela va convaincre l’incroyant ? En cela, Thomas est bien aussi une figure dans laquelle nous pouvons nous reconnaître. 
    Lorsque Jean rédige son Évangile, probablement pour la communauté d’Ephèse, vers l’an cent, il n’y a pas tellement — s’il en reste — de témoins directs du ressuscité ! Aussi ce récit avec Thomas a-t-il un écho tout particulier pour cette deuxième génération de croyants qui n’était pas là à la première Pâque.
    Cette deuxième génération — comme toutes celles qui lui ont succédé, jusqu’à nous y compris — doit se suffire de ces témoignages indirects. Et comme Thomas, nombreux sont ceux qui disent avec lui : tant que je n’aurais pas un signe, une preuve, je ne croirais pas.
    Oui, notre aspiration, c’est d’avoir un signe tangible, une manifestation qui ne puisse pas être contestée, comme pour Thomas de constater, de toucher les marques laissées par la croix et le coup de lance sur le corps de Jésus.
    Nous voudrions une preuve. Mais en même temps, si nous sommes honnêtes, nous combattons avec force tout ce qui pourrait nous obliger à croire, nous forcer à adhérer, nous contraindre à adopter un système de pensée. Comment réagissons-nous face à un site internet qui va nous apporter la preuve— ça existe— que la Bible se trompe, qu’elle est fausse, etc… ?
    Nous ne souhaitons peut-être pas vraiment de preuves, nous souhaitons plutôt nous faire une idée par nous-mêmes, choisir ce que nous voulons penser. Nous voulons faire le chemin nous-mêmes pour trouver nous-mêmes notre propre conviction. Il faut que notre liberté soit respectée pour nous faire une conviction.
    Notre besoin n’est donc pas tant de recevoir un signe ou une preuve que de trouver notre chemin pour arriver à une conviction personnelle. La foi, c’est donc arriver à se persuader soi-même que nous avons choisi nous-mêmes notre conviction. Nous devons être persuadés de l’intérieur, pas de l’extérieur.
    Voyons comment cette persuasion intérieure naît à Thomas dans sa rencontre avec le Christ ressuscité. Thomas a posé des exigences pour croire. Il doit voir Jésus, toucher les plaies de ses mains et la blessure faite par la lance au côté de Jésus. Lorsque Jésus apparaît au milieu des disciples dans la chambre haute, il interpelle aussitôt Thomas en lui disant qu’il va pouvoir mettre le doigt dans ses plaies et voir et toucher son côté.
    En disant cela, avant que tout autre mot soit prononcé de la part des disciples ou de Thomas, Jésus montre à quel point il connaît ses disciples et Thomas. Jésus a une connaissance intime de chacun.
    Vous vous souvenez de la rencontre de Jésus et Nathanaël, qu’il avait vu sous le figuier et qu’il déclare « juste» (Jn 1:47) [P-2014-02-02]. Vous vous souvenez aussi de la connaissance que Jésus a de la situation matrimoniale de la Samaritaine, connaissance qui lui fait réaliser que Jésus est le Messie (Jn 4:29) [P-2008-03-02] ! Cette connaissance intime de chacun, Jésus l’utilise comme un miroir révélateur envers chacun (Jn 2:25).
    Ainsi, chacun se sent compris et— par-là — révélé à lui-même. C’est une découverte révélatrice. Maintenant je sais pourquoi je suis comme cela, je vais pouvoir avancer et déployer de plus en plus mon être véritable.
    Cette compréhension de Jésus a cet effet, parce qu’elle est accompagnée de la plus grande bienveillance. Pas de manipulation, pas d’utilisation de cette compréhension pour rabaisser, humilier, ou prendre du pouvoir sur la personne. Cette compréhension profonde est accompagnée de tendresse, d’amour, d’empathie. Elle est utilisée dans le seul but de faire grandir la personne, de la révéler à elle-même pour qu’elle puisse déployer toutes ses capacités, toute sa créativité.
    À cette compréhension de Thomas, Jésus ajoute une touche de confrontation, parce que la compréhension véritable s’accompagne de vérité. Mais cette vérité confrontante peut passer, peut être acceptée, seulement parce qu’il y a cette bienveillance fondamentale.
    Jésus demande à Thomas de cesser de douter et de croire. Jésus confronte Thomas à son incrédulité, il la questionne. Jésus accepte l’aspiration humaine de Thomas à recevoir un signe, une preuve. Il peut lui donner tout cela, mais il le met en garde : cette preuve serait un obstacle plutôt qu’une aide ! Si Jésus lui donne cette preuve, ce serait une preuve extérieure. Or, Thomas a besoin que ce signe naisse à l’intérieur de lui, pour avoir une conviction personnelle. C’est tout le paradoxe.
    On retrouve ce paradoxe dans nombre de dialogues de films : « Pourquoi devrais-je vous croire ? vous faire confiance ? » Aucune parole — même de bonne foi — ne peut devenir une preuve de bonne foi. La conviction, la confiance doit venir d’une décision intérieure.
    En mettant le doigt sur le doute intérieur de Thomas, Jésus le conduit sur un chemin qui doit le mener à faire un choix, un choix qui reposera sur le chemin parcouru et la relation qui s’est déjà établie. Il est plus facile de croire un proche qu’un inconnu. Jésus renvoie donc Thomas au chemin parcouru ensemble. Et notamment à ce dialogue sur le chemin qui mène au Père, qui se terminait par cette parole de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne peut aller au Père que par moi ! » (Jn 14:5) [P-2014-06-29].
    Lorsque Jésus dit à Thomas : « Cesse de douter et crois » c’est comme si il lui disait :
    – Rappelle toi le chemin parcouru ensemble ;
    – ne me reconnais-tu pas ?
    – ne me fais-tu pas confiance ?
    C’est le même appel que Marc lance aux disciples lorsqu’il dit qu’ils retrouveront le Christ en Galilée (Mc 16:7).
    Le Christ se trouve sur les chemins de la vie, plus que dans la chambre haute un dimanche après Pâques. C’est pourquoi Jésus dit : « Heureux ceux qui croisent sans m’avoir vu » (Jn 20:29).La foi pascale ne naît pas de preuves extérieures, serait-ce de toucher les plaies de Jésus, mais la foi naît du chemin parcouru avec la Parole, en faisant mémoire de l’histoire de Jésus, de sa façon de rencontrer les humains, de nous rencontrer avec sa compréhension et sa bienveillance.
    Nous rencontrons Jésus lorsque sa Parole nous révèle à nous-mêmes et nous pouvons confesser alors, comme Thomas: « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Marc 14. Pâques : Marc nous engage dans un paradoxe qui nous mobilise.

    Marc 14
    5.4.2015

    Pâques : Marc nous engage dans un paradoxe qui nous mobilise.

    Marc 14 : 22-31        Marc 16 : 1-8

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce matin de Pâques, nous nous rappelons que nous célébrons la résurrection du Christ. Après être mort sur la croix, le Christ est revenu à la vie, il s’est réveillé d’entre les morts, il est le premier-né d’entre les morts, disent les formules traditionnelles. Et les Évangiles mettent cela en récit en racontant comment les femmes vont au tombeau, le dimanche matin, après le sabbat, quand les activités peuvent reprendre. Et les Évangiles racontent la découverte du tombeau vide, les apparitions aux femmes, puis aux disciples et finalement l’ascension de Jésus au ciel. Cela, c’est ce dont nous nous souvenons, en rassemblant ensemble, dans un doux mélange, les récits des quatre Évangiles.
    Ce matin, j’aimerais rester uniquement sur le récit de l’Évangile selon Marc. Vous savez que l’Évangile de Marc est le plus ancien des Évangiles qui nous restent. C’est lui qui a inventé le genre littéraire des Évangiles. Mathieu et Luc en ont repris le plan et une partie du contenu, en y ajoutant leurs sources propres. L’Évangile selon Marc remonte — pense-t-on — aux années 70 et témoigne des événements qui se sont passées dans les années 30 à 33. Si l’on rapporte cette échelle de date à notre période, en 2015, nous n’aurions pas à douter d’un écrit des années 1970 qui raconterait des événements des années 1930.
    Le récit de la Passion de Marc est d’autant plus crédible qu’il est très sobre : pas d’éléments miraculeux, pas d’éléments merveilleux. En fait, il pourrait même nous paraître trop sobre ! Il ne nous donne pas de preuve, seulement un tombeau ouvert, un tombeau vide, une absence. Le récit nous donne trois indices qui parlent de résurrection : le tombeau vide, la présence du jeune homme en vêtement blanc, et le renvoi en Galilée où l’on pourra retrouver Jésus.
    Ce renvoi en Galilée est le rappel de la parole de Jésus, lors du dernier souper, lorsqu’il invite ses disciples à le retrouver en Galilée après tous ces événements. D’une manière cryptée, Jésus leur avait déjà annoncé sa résurrection et des retrouvailles. Il y a là une invitation de Marc au lecteur à retourner au début de son Évangile et à en faire une deuxième lecture, maintenant qu’on en connaît la fin !
    Les disciples ont vécu avec Jésus au jour le jour, sans perspective, sans véritable compréhension, sans connaître les tenants et aboutissants. Ils côtoyaient Jésus sans véritablement le connaître, sans comprendre sa mission, comme nous le montre les diverses réactions de Pierre. La Passion de Jésus donne une couleur toute nouvelle à ce qui s’est passé et l’évangéliste invite les disciples à revivre tout ce parcours avec cette nouvelle lumière, ce nouvel éclairage.
    C’est en Galilée que les disciples revivront avec le Christ. C’est pourquoi il n’y a pas de récits d’apparition de Jésus dans cette finale de l’Évangile selon Marc. Certains d’entre vous pourraient dire « Oui, mais vous n’avez pas lu le texte jusqu’au bout, les apparitions viennent après. » En fait, j’ai arrêté ma lecture où les plus anciens manuscrits s’arrêtent aussi ! Le texte original tel que l’a voulu l’évangéliste Marc se terminait ainsi : « Elles sortirent alors et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et remplies de crainte. Et elles ne dirent rien à personne, parce qu’elles avaient peur » (Mc 16:8).
    Oui l’Évangile selon Marc s’arrête comme cela ! Les femmes fuient, elles tremblent, elles sont troublées, elles ont peur et ne disent rien à personne ! Cette fin est tellement abrupte— et incompatible avec la réalité que vivent les lecteurs de l’Évangile et que nous vivons : enfin si elle n’avait rien dit, alors nous ne serions pas là ! — que d’autres fins sont venues compléter l’Évangile de Marc.
    Une fin courte qui dit que les femmes ont rapporté à Pierre ce qu’elles avaient vu et que la bonne nouvelle a été annoncé de par le monde. Une fin longue qui raconte brièvement trois apparitions, puis Jésus qui donne des pouvoirs aux disciples et une mention de l’ascension de Jésus, sur le modèle des autres évangiles.
    Mais que voulait nous dire Marc en arrêtant son Évangile sur le silence des femmes qui découvrent le tombeau vide ? Pour s’approcher de l’intention de Marc il faut faire résonner on nous cet… inachèvement. Que ressentez-vous à l’annonce que les femmes gardent le silence sur la résurrection et que le texte s’arrête là ?
    On peut penser :
    Elles ne font pas leur travail…
    - Tout risque de s’arrêter là… quel gâchis !
    - Si tout s’arrête là, Jésus n’est-il pas mort pour rien ?
    - Comment serait le monde si la résurrection de Jésus n’était pas annoncée, proclamée ?
    En s’arrêtant sur le silence des femmes, Marc souligne que la nouvelle de la résurrection ne peut pas ne pas être transmise. Il le faut absolument. C’est une fin subtile qui nous met en mouvement !
    Si notre premier réflexe est de nous mettre à juger ses femmes et à les mépriser pour leur peur et leur timidité, il ne reste qu’à tourner le miroir pour voir la timidité de notre propre témoignage. Si notre réaction c’est de dire « Mais quel dommage, ce message mérite d’être transmis ! » alors cette fin abrupte nous met en route et fait de nous des disciples.
    Marc nous engage dans un paradoxe qui nous mobilise. Il nous met en situation de vouloir témoigner. En effet, le message est venu jusqu’à nous, quelqu’un est donc sorti de sa peur est de son silence. Si nous sommes là ce matin, c’est que des personnes ont reçu le message de la bonne nouvelle de la résurrection et nous la transmis. Il y a une chaîne de témoin jusqu’à nous… cette chaîne s’interrompra-t-elle… avec nous ? Saurons-nous aller en Galilée, vivre avec Jésus, ses guérisons, ses enseignements, sa Passion, pour en témoigner— à notre tour— autour de nous ?
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Jean 19. Vendredi-saint : INRI, un écriteau qui a du sens

    Jean 19
    3.4.2015
    Vendredi-saint : INRI, un écriteau qui a du sens

    Esaïe 53 : 1-12       Jean 19 : 16-30

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce jour de Vendredi-saint, nous sommes confrontés au mystère le plus absolu de notre foi ! Il y a un décalage total entre l’image que nous avons sous les yeux d’un crucifié et le message que reçoivent nos oreilles : ici se révèle notre Dieu. Comment vivons-nous avec ce paradoxe, cette invraisemblance, cette contradiction ?Comment Les disciples ont-ils pu faire ce retournement ? Comment passer du récit d’une exécution sordide à un récit de la Passion qui révèle un amour infini ?
    Il y a là un long travail d’interprétation, de relecture, de rédaction et de redirection du récit. Il y a une vraie récitation, un travail important de narration. Ce travail a donné naissance au récit de la Passion, qui raconte, qui explique, qui donne des indices et des pistes pour ouvrir à une deuxième lecture des événements. Le récit raconte les faits bruts, sans fioritures ni enjolivements ou atténuations. Jésus a été brutalisé, il a fait face à des accusations violentes et injustes, il a été malmené, finalement exécuté de la manière la plus violente et dégradante qu’avait inventé le pouvoir romain.
    Mais le récit ajoute des indices, des signes, des renvois, des phrases à double sens, qui sont autant de clés de lecture pour ouvrir à une autre compréhension. Derrière le drame des corps il y a un drame cosmique qui se joue. Derrière la trame politique — juifs contre romains, messianisme contre empereur — il y a une trame divine qui se joue et que le récit révèle entre les lignes. Tout le récit est tendu entre deux réalités, deux lectures, des doubles sens. Le récit est écrit pour que le lecteur puisse — au final — se déterminer, prendre position et choisir si Jésus était un un criminel, un blasphémateur, un agitateur rebelle, justement condamné… ou bien un être relié à Dieu, envoyé du Père, messager de la réconciliation entre Dieu et l’humanité ! Jésus est-il juste un anarchiste qui menace tous les pouvoirs ? Où est-il l’envoyé de Dieu, le représentant de Dieu, l’image vraie du Dieu de nos pères ?
    Le récit de la Passion utilise différents indices pour nous mettre sur la piste et nous convaincre que Jésus est bien la juste image de Dieu, malgré cette condamnation. Il y a d’abord des phrases directes, à prendre au premier degré, comme cette déclaration de Pilate : « Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme » (Jn 19:4).
    Il y a des renvois, nombreux à l’Ecriture sainte, pour montrer comment ce destin accomplit ou répète des situations déjà vécues par des personnes approuvées par Dieu. C’est le cas de tous les renvois, soit au poème du Serviteur souffrant d’Esaïe, soit au Psaume 22 qui commence par les mots : « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ». Le partage des vêtements et le tirage au sort de la tunique, ainsi que la soif, renvoient également au Psaume 22.
    Et il y a le passage qui parle de l’écriteau placé sur la croix. Écriteau souvent appelé « titulus » de son nom latin. Sur cet écriteau figure le motif de la condamnation de Jésus. On y lit : « Jésus de Nazareth, le roi des juifs ».
    L’écriteau est rédigé en latin, en grec et en hébreu. Le latin est la langue administrative, celle qui dit le droit, le droit romain. C’est aussi la langue de l’occupant, du pouvoir, de la force. Le grec est la langue de la culture et de la philosophie, la langue internationale, comme l’anglais aujourd’hui. L’hébreu est la langue de la religion, celle dans laquelle se déroule le culte de la synagogue. Ces trois langues représentent aussi tous les espaces géographiques connus autour de la Méditerranée, de l’Espagne jusqu’à l’Égypte. L’écriteau annonce donc une nouvelle pour le monde entier et pour toutes les facettes de la civilisation. Abrégé en latin, l’écriteau se lit : INRI, ces lettres qu’on voit beaucoup sur les tableaux et sur les icônes représentant la crucifixion.
    Nous avons là une phrase à double sens : un sens littéral qui se veut une moquerie, une dérision, et un sens spirituel qui dit une affirmation de foi : celui-ci, ce Jésus, est bien celui que Dieu a placé pour régner sur les juifs et sur toute humanité. Cette phrase nous dit — lorsqu’on lit le message théologique — que Dieu n’a pas abandonné Jésus. Que Jésus est toujours celui qui a été envoyé et qui accomplit ici encore sa mission.
    On pourrait même se dire que les autorités juives s’aperçoivent du malentendu possible puisqu’elles viennent réclamer auprès de Pilate qu’il change l’inscription. Elles refusent que ce Jésus puisse être vu et accepté comme un roi, le roi du peuple élu. Elles ne veulent pas être son royaume, le Royaume de Dieu. Alors elles demandent qu’on change le texte comme ceci : Il a prétendu « je suis le roi des juifs». En demandant cela, les autorités introduisent sur le titulus les mots « je suis » ce qui renforce l’ironie et ajoute encore un double sens théologique !
    N’est-ce pas Jésus qui — dans l’Évangile selon Jean — prononce une série de phrases en  « je suis» : Je suis le pain descendu du ciel. Je suis la lumière du monde. Je suis le bon berger. Je suis la vigne. Je suis la porte. Je suis le chemin, la vérité et la vie. Je suis la résurrection et la vie. En voulant rajouter ce « il a dit : je suis le roi des juifs » les autorités s’enfoncent encore plus dans la réalisation de ce qu’elles voulaient absolument empêcher : que Jésus soit reconnu comme celui qui vient de Dieu ! N’est-ce pas Dieu, en effet, qui s’est révélé à Moïse, au buisson ardent, sous le nom : « JE SUIS », « Je suis qui je suis» ? (Ex 3:14)
    Ce titulus, cet écriteau, nous révèle que c’est bien Dieu lui-même qui se trouve sur la croix, renversant toutes nos valeurs, tous nos systèmes, toutes nos croyances superstitieuses.
    Dieu n’est pas dans la violence, dans la puissance. Dieu n’est pas le garant des pouvoirs, des empereurs, des tyrans et des potentats. Dieu n’a rien à voir avec les rois « de droit divin», ni avec aucun des pouvoirs qui se réclament de Dieu, de la loi divine, ou de la sainte foi. Aujourd’hui, Dieu est sur la croix, il est aux côtés des deux autres brigands qui souffrent. Il est aux côtés de ceux qui passent Pâques dans un lit d’hôpital. Il est à côté de ceux dont chaque mouvement est douloureux. Il est à côté de ceux qui traversent le deuil, qui pleurent une perte. Il est à côté de ceux qui se dévouent corps et âme pour s’occuper des autres. Il est à côté des proches-aidant, comme des professionnels des soins et de l’aide, ceux qui ont fait du service leur raison de vivre, à la suite de Jésus lavant les pieds de ses disciples.
    Dieu est à côté de chacun de nous aujourd’hui, parce que chacun a besoin d’être approché et aimé, totalement. Aujourd’hui — maintenant — Dieu est avec nous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • 1 Rois 10. Une rencontre qui transforme !

    1 Rois 10
    1.2.2015
    Une rencontre qui transforme !

    1 Rois 10 : 1-10+13        Luc 11 : 29-32

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce dimanche Terre Nouvelle, DM-Echange et Mission nous invite au voyage et à la rencontre. Il nous invite à suivre la rencontre de la reine de Saba avec Salomon et de découvrir tout ce qui se passe dans cette rencontre et ce que cela peut nous apprendre sur la mission, sur les voyages d’échange avec d’autres pays.
    Dans ce récit, on voit donc que la reine de Saba décide de se rendre à Jérusalem pour voir le grand roi Salomon. Les traditions divergent quant au pays ou à la région d’où elle provient ; sa réputation a fait que plusieurs pays se l’approprient, notamment le Yémen et l’Ethiopie. 
    L’important, c’est que c’est une grande reine et qu’elle est décidée à faire impression sur Salomon, autant sur le plan intellectuel — elle a préparé une épreuve et des énigmes — que sur le plan de la richesse — elle arrive avec une caravane chargée de cadeaux aussi précieux qu’onéreux. Mais cela ne se passe pas comme elle l’avait prévu. C’est elle qui tombe dans l’admiration. Elle est épatée, séduite par la sagesse de Salomon (certaines traditions voient plus large et plus intime, quand elles disent qu’elle mettra au monde un fils de Salomon au retour dans son pays).
    Ce qui est remarquable dans ce récit, c’est la transformation de la relation au fil du temps de la rencontre. Au départ, la reine de Saba se déplace pour lancer un défi au roi Salomon. Elle vient avec sa supériorité. Elle est persuadée que son savoir et son intelligence sont supérieurs à ceux de Salomon. Elle va le mettre au défi de répondre à ses questions, elle va le mettre à l’épreuve. Ensuite, elle lui apportera les solutions.
    Dans notre aide aux « pays en voie de développement » n’est-ce pas comme cela que nous faisons ? Ne sommes-nous pas persuadés — avant de partir — que nous pouvons leur apporter des solutions, avant même d’être arrivés et de les avoir entendus ? On part souvent avec l’idée d’être supérieurs et cela conduit à dominer l’autre.
    Autre écueil qui est emblématique des rencontres qu’on peut faire lorsqu’on voyage dans un pays étranger : on arrive avec ce qu’on a lu dans les livres, ce que des amis nous ont raconté, ou ce que nous pensions en préparant le voyage. Des ouï-dire, des récits, voir des préjugés C’est ce qui arrive à la reine de Saba : « Alors elle dit au roi : « Dans mon pays, j'avais entendu parler de toi et de ta sagesse, mais avant d'être venue voir de mes propres yeux, je ne croyais pas ce qu'on me disait. Or tout cela était bien vrai, et même on ne m'en avait pas raconté la moitié : ta sagesse et ta prospérité dépassent tout ce que j'avais entendu dire. » (1 R 10:6-7). La rencontre réelle transforme les choses, en tout cas si on est ouvert !
    Rencontrer l’autre tel qu’il est, l’écouter répondre, l’écouter parler de lui, de son pays, de sa situation, cela transforme la rencontre, parce qu’on se met à rencontrer une personne et plus la représentation abstraite d’une nation. C’est ainsi que la reine de Saba ouvre son cœur, dit le récit. Elle découvre Salomon, sa cour, son palais, sa réalité. Et elle se met à l’apprécier, peut-être à l’aimer. En tout cas, elle a réalisé la distance entre l’image qu’elle avait par ouï-dire et la personne réelle en face d’elle. Elle passe du fantasme à la connaissance, du préjugé à la réalité.
    Cela la conduit à dire à Salomon ce qu’elle apprécie, ce qu’elle aime. Elle lui tresse des louanges et lui adresse une bénédiction et une confession de foi (v.9). La vraie rencontre, lorsqu’on laisse tomber son propre savoir projeté, pour rencontrer vraiment l’autre, conduit au moins à la compréhension, souvent à l’admiration ou à l’émerveillement. Et cela conduit au plaisir d’être ensemble, de partager du temps, de la présence.
    Et cela ouvre sur le temps des cadeaux. On savait dès le début que la reine de Saba était venue avec une caravane chargée de riches cadeaux. Mais elle ne les a pas tout de suite offerts. Elle a attendu. Le risque des cadeaux offerts en préambule, avant que des liens ne se tissent, c’est qu’ils soient perçus comme une façon d’acheter l’amitié, de se rendre favorable. C’est ce qui se passe lorsque Jacob revient à la rencontre d’Esaü en se faisant précéder de cadeaux (Gn 33).
    Ici les cadeaux arrivent vraiment comme un acte de reconnaissance. C’est la joie de donner parce qu’on a déjà beaucoup reçu à un autre niveau. On rencontre cette même problématique en théologie lorsqu’on discute du salut par la foi ou par les œuvres. Quelle est la place des œuvres, parce que la foi n’est rien sans les œuvres dit Jacques (Jc 2:14-20) ? Le protestantisme a tranché en disant que les œuvres ne peuvent pas acheter le salut mais que les œuvres sont la réponse reconnaissante d’avoir reçu le salut par grâce. Les cadeaux arrivent ici comme signes de reconnaissance.
    On est frappé par l’énormité des cadeaux, 3,5 tonnes d’or, plus les parfums, les aromates, etc. C’est juste fou ! N’a-t-elle pas peur de s’appauvrir ? Et bien non ! Parce qu’elle est dans un autre registre que celui de l’économie d’épicerie. Dans l’économie d’épicerie, ce que je dépense, je ne l’ai plus, une fois que j’ai mangé ce que j’ai acheté. Chaque fois qu’une pièce sort de mon porte-monnaie, je m’appauvris.
    La reine de Saba est dans une autre économie, une économie relationnelle, où chaque sortie (dépense) est un enrichissement. S’il faut comparer cela avec une autre partie de l’économie financière de notre monde, on peut le comparer à une économie d’investissement. Ce qui sort du porte-monnaie est investi et produit de nouvelles richesses. Comme la personne qui achète un appartement pour le louer, elle va recevoir chaque mois un loyer.
    Ce récit, en nous parlant de cadeaux et de relations nous invite à entrer dans l’économie relationnelle où plus nous donnons, plus nous recevons en échange. Plus nous donnons de nous-mêmes dans les relations, plus les autres se rapprochent de nous et nous donnent en retour. Il n’y a pas de perdants (sauf ceux qui refusent d’entrer dans les échanges), il n’y a que des gagnants.
    C’est ce que Jésus nous répète lorsqu’il nous dit que Dieu nous aime. Il nous invite à entrer dans cette économie relationnelle qui est à l’opposé de notre économie mondiale fondée sur la pénurie et la peur de perdre. Dieu est amour, il a un amour infini, qui ne manque jamais. Ne laissons pas nos relations être formatées par le langage de pénurie du monde économique. Osons la rencontre, osons les échanges et le don.
    Amen

    L’impulsion de cette prédication m’a été donnée par le dossier de DM-Echange et Mission :
    Pistes de travail pour le culte du 25 janvier 2015 : Quand le voyage est prétexte à la rencontre de l'Autre.


    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Psaume 16. De la liberté pour lire les Psaumes

    Psaume 16
    25.1.2015
    De la liberté pour lire les Psaumes


    Psaume 16 : 1-11       Actes 2 : 22-32

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Le programme d’Exploration biblique qui commence en février porte cette année sur les Psaumes. Notre Bible compte 150 psaumes, c’est le plus long libre de l’Ancien Testament. C’est le livre le plus cité dans le Nouveau Testament. Les Psaumes ont été de tout temps une source d’inspiration pour la théologie, pour la liturgie et pour la prière, collective et individuelle. Dans tous les monastères, les Psaumes sont priés ou chantés chaque jour, tout au long de l’année.
    Malgré cela, les Psaumes sont souvent difficiles à lire, à écouter ou à prier. Il y a des obstacles de langage. Il y a des obstacles par rapport à la brutalité ou à la violence de certaines demandes, notamment lorsqu’il s’agit d’écraser les ennemis ou les adversaires. Faut-il pour autant les abandonner ? Comme le disait Thérèse Glardon dans sa conférence introductive au thème, on ne jette pas un poisson parce qu’il a des arêtes. Simplement, on enlève les arêtes pour en manger la chair délicieuse.
    Le premier pas, c’est de ne pas prendre les Psaumes pour des récits historiques. Si un Psaume demande l’écrasement des adversaires, c’est une demande, pas un acte, pas une mobilisation pour partir en guerre. C’est une demande de délivrance adressée à Dieu. Et dire sa colère soulage et permet de ne pas passer à l’acte.
    Le deuxième pas est de comprendre que les Psaumes sont des textes poétiques. La poésie n’est pas comme un texte de loi ou un article de journal. La poésie utilise un langage libre, des images, des métaphores, des comparaisons ; c’est un appel à l’interprétation. Le texte poétique doit être interprété pour être compris. Le texte poétique peut avoir plusieurs sens en même temps, il peut aussi avoir plusieurs niveaux de compréhension. Le texte poétique appelle à être interprété, en lien avec chaque époque où il est lu. Les images doivent souvent être retraduites.
    Le troisième pas, c’est de réaliser que la poésie ne fait pas appel à notre rationalité, mais à notre sensibilité, à nos émotions. La poésie parle souvent directement à notre inconscient, en passant par-dessus les barrières de la raison. Un texte poétique peut faire pleurer d’émotion, sans trop savoir pourquoi, ce qui n’est pas le cas du mode d’emploi de sa télécommande.
    Le texte poétique parle au corps et engage le corps autant que la tête. C’est pourquoi le langage poétique peut être pour nous une porte ouverte vers la spiritualité, vers Dieu. En effet, notre foi est vaine si elle est seulement un savoir, une réflexion sur Dieu. Notre foi devrait être confiance, assurance, réconfort pratique dans notre vie de tous les jours. C’est exactement ce dont parle ce Psaume 16 que vous avez entendu.
    Il commence par ces mots : « O Dieu, veille sur moi, je me réfugie (je me blottis) en toi » (Ps 16:1). Si le psalmiste peut dire cela, c’est qu’il éprouve vraiment un sentiment de sécurité. Que serait une sécurité théorique ? De quelle sécurité avons-nous besoin ? D’une sécurité pratique qui nous assure un sentiment intérieur de protection, de calme, de sérénité contre les assauts de l’angoisse.
    Ce psaume est construit comme une suite de vagues. On commence en haut avec la sécurité, on descend vers l’angoisse du choix, on remonte avec la confiance, on redescend vers l’angoisse de la mort et on remonte vers l’assurance d’être guidé et de pouvoir vivre dans la joie. Ce psaume mentionne donc deux types d’angoisse que tout être humain rencontre dans son existence. 
    D’abord aux vv. 3-4, il est question des idoles « les autres dieux qui augmentent les tourments ». C’est la question de savoir à qui se fier. En qui, en quoi pouvons-nous fondamentalement avoir confiance ? Sur quoi nous reposer ? Allons-nous où se ruent la majorité de nos concitoyens ? Allons-nous là où les consultants nous conseillent d’aller ?
    Le psalmiste confesse : « Seigneur, tu es la chance de ma vie ! » et il continue dans la reconnaissance : « Je remercie le Seigneur qui me conseille, même la nuit ma conscience m’avertit. » (v.7). Ce verset est très intéressant. Comme souvent en poésie hébraïque, on a deux phrases en parallèle qui se répondent, s’opposent ou se complètent. Ce parallélisme nous donne comme un effet 3D.
    La mention de la nuit dans la deuxième partie de la phrase nous permet de penser — c’est de la poésie — que la première partie a lieu le jour. On a l’opposition veille-sommeil. Donc le jour, le Seigneur me conseille. Dieu est présent par son enseignement, sa parole. Il parle à mon intelligence, à ma conscience.
    Et la nuit ? Littéralement le texte dit : « les nuits, mes reins m’avertissent ». Les reins, ce sont les trippes, les viscères. C’est le lieu du ressenti, mais aussi ce qui travaille en silence — ou avec quelques borborygmes — mais de façon non dirigée, non consciente. La digestion se passe sans directions de notre part. De plus, les découvertes récentes montrent que nous avons autant de neurones actifs dans la cavité abdominale que dans le cerveau et qu’une grande partie de nos humeurs ou de nos émotions pourraient prendre leur source dans ces tissus nerveux abdominaux.
    De là, il n’y a qu’un minuscule pas à faire pour traduire cette phrase de poésie « mes reins m’avertissent » par « mon inconscient me parle la nuit, comme Dieu me parle le jour ». Une façon pour le psalmiste de dire : corps et âme, vous ne faites qu’un. Unifiez votre personne. Dieu vous entend tout entier, corps et âme. Vous pouvez vous présenter entier devant Dieu, conscient et inconscient ensemble.
    La seconde angoisse que le Psaume aborde est l’angoisse face à la mort « Tu ne permets pas à ton fidèle de voir sa destruction » (v.10). Cette phrase a été reprise dans le texte des Actes que nous avons entendu. Elle est appliquée à Jésus, pour dire que la résurrection était prévue par Dieu pour Jésus. On voit là, la liberté que le Nouveau Testament prend dans l’interprétation des Psaumes. Liberté nécessaire, utile pour comprendre et nous approprier ces Psaumes. Nous les approprier jusqu’à ce qu’ils descendent en nous, jusqu’au fond de notre âme, de notre être, de nos « reins », de notre conscient comme de notre inconscient. Qu’ils imprègnent notre intelligence comme notre corps et nos émotions.
    C’est comme cela — en nous les appropriant — que nous pourrons goûter vraiment aux délices et à la sécurité qui sont évoquées dans ce Psaume 16, au contact de Dieu.
    Nous pourrons ainsi vivre de la promesse qui termine ce psaume : « Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (v.11).
    Découvrir, redécouvrir les Psaumes, c’est une occasion de se donner une nouvelle liberté de lecture ; une occasion d’unifier notre intelligence et nos émotions devant Dieu ; une occasion de découvrir cette école de prière et cette école de vie.
    Amen

    Des informations proviennent du livre de Thérèse Glardon, Ces Psaumes qui nous font vivre, Le Mont-sur-Lausanne, Editions Ouverture, 2014.

    Autres prédications sur les Psaumes : Psaume 8 (1), Psaume 8 (2), Psaume 114, Psaume 137.


    © Jean-Marie Thévoz, 2015