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spiritualité - Page 13

  • La découverte de soi mène à la découverte du Père

    Jean 1

    24.9.2017

    La découverte de soi mène à la découverte du Père

    Jean 1 : 35-42        Jean 1 : 43-51

     

    Télécharger la prédication : P-2017-09-24.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous poursuivons notre redécouverte de l’Evangile selon Jean, avec ces récits des appels des disciples. Comme souvent, l’évangéliste Jean écrit un texte en deux parties, deux étapes qui ont des parallèles entre eux, mais qui montrent surtout une progression dans la révélation de Jésus au monde.

    Ces deux récits où Jésus rencontre, recrute de nouveaux disciples ont plusieurs similitudes. C’est chaque fois une rencontre et cette rencontre est la conséquence d’un témoignage. Jean Baptiste dit à ses propres disciples qui est Jésus « Voici l’agneau de Dieu » (Jn 1:36). André dit à son frère « Nous avons trouvé le Messie » (v.41). Philippe dit à Nathanaël « Nous avons trouvé celui dont Moïse et les prophètes parlent, c’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth » (v.45). La progression se voit dans le fait que le flambeau des témoignages passe des mains de Jean Baptiste dans les mains des disciples eux-mêmes. Dans chacun des récits, un disciple en amène un autre vers Jésus.

    Dans chacun des récits, on trouve la même phrase : —« Venez et vous verrez » dit Jésus aux deux disciples. « Viens et tu verras » dit Philippe à Nathanaël qui est plutôt sceptique. La découverte de qui est Jésus, commence, certes, par un témoignage, une information, mais elle ne s’accomplit que dans un déplacement décidé et une observation personnelle. Il faut se décider une fois à aller voir, à aller observer, constater. Il faut une envie de découverte, ne serait-ce qu’un début de curiosité : « Où demeures-tu ? » ou le besoin de confronter son doute : « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » A partir de là, chacun doit pouvoir constater par lui-même. C’est la liberté que donne le Christ : faites l’expérience par vous-mêmes de ce que je donne, de ce que je révèle. La progression se marque aussi par les paroles de Jésus à la première approche des disciples. Aux premiers il demande « Que cherchez-vous ? » Au second, il dit « Suis-moi ! »

    Le dernier parallélisme que je veux relever — et qui est le plus important et le plus marquant — ce sont les paroles transformatrices de Jésus. Dans le premier récit, André amène son frère Simon à Jésus et le texte raconte : « Jésus le regarda et lui dit : Tu es Simon, le fils de Jean, tu porteras le nom de Céphas, qui signifie Pierre. » (v.42)

    On sait de l’Evangile selon Marc (Mc 3:16) que Jésus a renommé Simon du nom de Pierre. Mais là, Jésus fait plus. Selon le récit, ils ne se sont jamais vus, mais Jésus regarde Simon et il lui dit qui il est et de qui il est le fils et il lui donne — j’ai envie de dire — un totem, un nom qui a une signification en rapport avec sa personne profonde. Jésus révèle à Simon qu’il est un rocher, un roc, une montagne de pierre. Il lui révèle à lui-même son être et sa vocation.

    Comment puis-je dire cela à partir de cette petite phrase ? Parce que c’est justement le même phénomène qui se passe avec Nathanaël dans la deuxième partie du récit. Un parallèle et une progression en même temps.

    « Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui et il dit à son propos : « Voici un véritable Israélite en qui il n’est point d’artifice. » « D’où me connais-tu ? » lui dit Nathanaël ; et Jésus de répondre : « Avant même que Philippe ne t’appelât, alors que tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » (v.47-48)

    Jésus a vu Nathanaël, il l’a regardé comme il a regardé Simon. Et Jésus a vu clair en lui. Jésus voit la vraie nature de Nathanaël et il le révèle au monde : « Voici un véritable israélite, il n’y a rien de faux en lui. » Nathanaël se reconnaît dans les paroles de Jésus, il en est bouleversé. Tout ça parce que Jésus l’a vu. Le texte dit « Je t’ai vu sous le figuier » et je vous en ai déjà parlé en juin dernier (P-2017-06-25).

    Aujourd’hui, je vais prendre le texte au sens littéral. Sous le figuier, sous ton figuier, cela veut dire dans la cour de ta maison, chez toi, dans ta vie quotidienne, dans ton intimité. Jésus lui dit en quelque sorte : j’ai vu qu’entre ta vie personnelle et ta vie publique, là devant moi, tu ne changes pas, tu n’as pas de façade, tu n’as pas de secret, tu es authentique. Et Nathanaël se sent reconnu, accepté, compris. Peut-être même — maintenant que Jésus l’a dit — mieux compris qu’il ne se percevait lui-même auparavant.

    Avec Simon, avec Nathanaël — plus tard avec Nicodème et avec la Samaritaine — Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun. L’évangéliste Jean nous montre Jésus comme ayant une connaissance profonde, intime de chacun de ses disciples. Une connaissance qui ne s’accompagne d’aucun jugement, pas même pour les cinq maris de la Samaritaine.

    L’évangéliste Jean va plus loin dans sa façon de raconter, il montre que cette révélation du disciple à lui-même par Jésus conduit le disciple à reconnaître la vraie personne de Jésus. Alors, le disciple se met à confesser sa foi en Jésus. Nathanaël, qui doutait que quoi ce soit de bon puisse sortir de Nazareth, en vient à confesser : « Maître, tu es le Fils de Dieu » ce qui est la confession de foi la plus parfaite pour l’évangéliste Jean.

    On voit donc que ces deux récits d’appel de disciples répondent à la question : « Comment devient-on chrétien ? » L’évangéliste répond qu’on devint chrétien par un chemin qui passe par la mise en marche, par curiosité ou par quête (« Venez »), par l’observation et l’expérience (« Voyez »), mais surtout par la rencontre avec la personne de Jésus qui nous révèle à nous-mêmes dans notre vérité.

    Jésus se montre comme le Révélateur, de notre personne et du Père. Et parce qu’il peut nous révéler à nous-mêmes, il peut aussi nous révéler le Père. C’est le chemin que font les disciples. Ils reconnaissent en Jésus celui qui peut leur révéler les clés de leur existence, cette existence qui est tendue entre eux-mêmes et le Père.

    Jésus lui-même fait le lien entre la révélation de soi-même et la révélation du Père lorsqu’il dit à Nathanaël : « Parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes. » Et Jésus ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (v.50-51)

    La découverte de soi mène à la découverte du Père, et vice versa. Calvin l’avait bien compris puisqu’il ouvre son Institution de la Religion Chrétienne par ces mots : « Toute la (…) sagesse est située en deux parties : c’est qu’en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse. (IRC I, I, 1.) La foi naît de ce sentiment d’avoir été totalement compris par le Père et d’être dorénavant englobé dans sa vie et son amour. Alors le ciel s’ouvre et nous pouvons voir le Père à travers le Fils.

    Cette parole sur le ciel ouvert répond à celle qui termine le prologue « Personne n’a jamais vu Dieu. Mais le Fils unique (…) l’a fait connaître » (Jn 1:18). Le Fils unique est plus grand que Jacob sur qui montaient et descendaient les anges dans son songe (Gn 28:12) (allusion à la parole de la Samaritaine : « es-tu plus grand que Jacob ? » Jn 4:12). Par la foi, à travers le Fils de Dieu, le croyant a accès aux réalités divines et à la vraie vie. C’est ce que l’évangéliste Jean expose et développe dans tout son Evangile.

    Amen 

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Matthieu 6. Qu’est-ce qui nous rassure ?

    Matthieu 6

    10.9.2017

    Qu’est-ce qui nous rassure ?

    Genèse 6 : 5-8      Genèse 7 : 6-10      Matthieu 6 : 24

    Télécharger le texte : P-2017-09-10.pdf

    Chères frères et sœurs en Christ,

    Quand nous allions, en famille, manger chez mon grand-père, au début du repas il prononçait toujours cette prière : « Mon âme bénit l’éternel et n’oublie aucun de ses bienfaits (Ps 103:2).

    La pratique de la prière avant le repas— le bénédicité — s’est largement perdue aujourd’hui. Pourquoi remercier Dieu pour une nourriture qu’on est allé acheter soi-même au supermarché, avec l’argent qu’on a gagné en travaillant ? Nous ne ressentons plus le besoin d’être reconnaissant d’avoir de la nourriture chaque jour sur notre table.

    J’ai été frappé, dans les émissions de télé-réalité qui mettent des personnes en situation d’avoir faim (comme Kohlanta ou d’autres), combien la reconnaissance refait surface, après le manque, quand les aventuriers trouvent de la nourriture. Tout à coup on se remet à bénir Dieu pour ce cadeau.

    C’est pareil si l’on jette un regard sur le passé : les chasseurs-cueilleurs éprouvent de la reconnaissance quand ils tombent sur une proie ou des plantes qui portent des fruits. Plus près de nous, quand chaque famille avait ses champs et son propre potager et subissait les aléas de la météo. Quelle reconnaissance d’avoir à manger ou d’avoir des voisins qui partagent en cas de pépin ! On pouvait se rendre compte en direct combien la nature est généreuse, ou quand elle ne l’avait pas été, combien le voisin ou la famille lointaine pouvait être charitable.

    Aujourd’hui plus personne ou presque ne bénit la table parce que nous n’avons plus l’impression de reposer sur la générosité, mais seulement sur le mérite de nos efforts, de notre travail ou de notre épargne. Notre position est assurée par ce que nous avons fait. Et nous sommes prompts à penser que ceux qui sont en moins bonne posture le sont par manque d’effort, de travail ou d’épargne. Pourquoi remercier Dieu pour ce qu’on doit à soi-même ?

    En tant que société, nous sommes passés du risque de l’aléatoire — qui s’accompagne de reconnaissance et de partage — à la sécurité, qui s’accompagne trop souvent d’un cœur sec. La cigale chantait, et bien qu’elle danse maintenant, mais sans moi.

    Je pense que la parole de Jésus sur Mamon parle exactement de cela. «On ne peut servir deux maîtres, Dieu ou Mamon.» Il s’agit ici d’une posture, pas de l’épaisseur du portefeuille. Mamon est l’illustration de la sécurité matérielle. Jésus dit : on ne peut pas recevoir sa subsistance, sa sécurité, de deux maîtres opposés.

    La question sous-jacente c’est : qu’est-ce qui nous rassure ? Qu’est-ce qui fait taire notre angoisse existentielle ? Cela vient-il de Dieu, des relations, du côtoiement des humains et des possibilités de partage, de recevoir des autres ? Ou cela vient-il de mes biens matériels, de mon épargne, de l’accumulation des biens de consommation ?

    Où est ce que je puise ma sécurité intérieure ? Ai-je foi dans une Providence divine ? Suis-je conscient que tout ce que je possède, je l’ai reçu dans des échanges. J’y ai mis de moi-même, mais combien d’autres aussi, et peut-être même davantage ?

    La Providence n’est pas à la mode, bien plus, c’est l’ennemi déclaré du système économique. Je constate que le système économique capitaliste a réussi à évacuer la bénédiction de la table. Le capitalisme ne peut que combattre l’idée de Providence divine — avec elle pourquoi travailler si dur ?

    Ce que le capitalisme a réussi avec la Providence divine, il est en passe de le faire avec la providence sociale. Croire au partage des ressources, à l’entraide, à l’échange gratuit, c’est ruiner le système économique qui table sur la peur individuelle de manquer, la peur de la pénurie. Le capitalisme a tout à gagner à ce que chacun augmente ses réserves individuelles, le dieu Mamon vit de notre peur de manquer. Il nous susurre que nous devons être autosuffisant, que nous ne devons dépendre de personne, que notre sécurité repose sur nos avoirs et nos biens.

    Jésus nous invite à ne pas nous laisser piéger dans ce fantasme d’autarcie et d’autosuffisance. Jésus nous présente un Dieu généreux qui nous assure de notre valeur — indépendamment de nos biens, de nos efforts et de notre travail. Jésus nous dit que nous sommes riches de l’amour que nous avons les uns pour les autres. Nous pouvons miser sur nos richesses intérieures et sur le partage de ces richesses intérieures.

    Notre système économique pousse au pillage et à la destruction de notre planète. Notre consommation effrénée appauvrit notre terre et dérégle le climat. Dieu avait assuré qu’il ne renouvellerait pas le Déluge, mais maintenant nous sommes capables de déchaîner nous-mêmes ces catastrophes. Les cyclones Harvey et Irma sont plus énormes que les cyclones précédent à cause du réchauffement climatique. Si nous continuons — en tant que société — à servir Mamon, nous courrons à la perte de l’humanité.

    Nous avons besoin de changer le lieu de notre réassurance existentielle. Dans chaque acte de la vie quotidienne, dans chaque choix de consommateur, nous avons à nous demander qui nous voulons servir : Dieu ou Mamon ? En qui mettons-nous notre confiance ? Avons-nous besoin de plus de consommation ou de plus de partage, de reconnaissance ? Allons nous remettre Dieu dans le cheminement de notre nourriture, de la terre à l’assiette ?

    Notre société industrielle et financière a misé depuis deux siècles sur Mamon et nous voyons où cela nous mène. En qui allons-nous mettre notre confiance ? Au fond de nous, de quoi avons-nous le plus besoin : de davantage de biens matériels ou d’un amour véritable ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

     

  • Paraboles relationnelles

    Marc 4

    20.8.2017

    Paraboles relationnelles

    Marc 4 :1-9      Marc 4 : 26-29

    télécharger le texte : P-2017-08-20.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Voilà deux paraboles de Jésus qui mettent en scène un semeur. « Un semeur sortit pour semer ». On est dans la normalité, dans la banalité : un travailleur va travailler, va juste accomplir ce qu’il est habitué à faire, et donc tout va se passer normalement. Eh bien non, comme il y a une histoire, pour quelle ait de l’intérêt, il faut ce qu’on appelle une « complication ». Il faut quelque chose qui dévie de la normalité pour qu’il y aie quelque chose à raconter.

    Dans la première parabole, il y a quatre événements qui sont racontés. Premièrement une part du grain tombe sur le chemin ; deuxièmement une part sur un terrain rocailleux ; troisièmement une part du grain tombe dans les broussailles ; enfin une part tombe dans la bonne terre du champ.

    Sur le chemin les graines n’ont pas le temps de germer, les oiseaux les picorent. Sur la rocaille, les graines germent, mais ne peuvent prendre racine et se dessèchent. Dans les ronces, ça pousse, mais c’est étouffé. C’est seulement dans la bonne terre que le grain devient épi et produit en abondance, un est multiplié par 30, par 60, par 100.

    On ne mesure pas l’abondance que cela représente ! Pas 30 ou 60 ou 100 pour cent, mais 30 ou 60 ou 100 pour UN ! On est loin de nos carnets d’épargne. On est là dans un registre d’abondance, on est là dans un registre de générosité.

    On observe une progression entre les quatre terrains. Sur le premier il ne pousse rien. Sur le deuxième il y a juste germination, sur le troisième la plante pousse mais n’arrive pas à ma maturité. Ce n’est que sur le quatrième terrain que la plante produit des grains. Et quelle récolte ! Mais si vous observez des épis dans les champs, avec les quatre rangées de grains, 60 ou 100 grains, c’est une production normale, il n’y a pas de miracle sous-entendu. Cette abondance est généreusement offerte dans la vie.

    Si je reviens à la construction du récit, de la parabole, ce qui est étrange, c’est qu’après la présentation de l’action « le semeur sortit pour semer » et les quatre complications et bien il n’y a plus rien ! Il n’y a pas de dénouement, seulement une invitation à entendre. Entendre ce qui n’est pas dit ? A nous les travail d’interprétation. C’est le propre des paraboles par rapport aux anecdotes ou aux romans. L’interprétation est ouverte, donc il y a plusieurs interprétations possibles.

    Par exemple on peut lire cette parabole comme exprimant la générosité fondamentale de Dieu. Il sème partout, il n’a pas peur de gaspiller le grain. Le don de Dieu n’est pas réservé à quelques-uns, qui seraient bien préparés ou plus purs que les autres. Non Dieu donne — à commencer par la vie — à tous.

    Ensuite il y a l’interprétation que Jésus donne lui-même un peu plus loin dans ce même chapitre 4 (vv. 13-20). Le grain c’est la Parole. Certains ne la reçoivent pas du tout. D’autres sont enthousiastes au début, mais ne persévèrent pas. D’autres se laissent envahir par les soucis qui les submergent. Enfin certains mettent en pratique cette parole — l’enseignement de Jésus — et ils portent du fruit.

    On peut encore considérer que le Royaume de Dieu qu’illustrent toutes ces paraboles est une image du monde relationnel (voir ma prédication du 27.9.2009). Chaque terrain serait une image de notre relation aux autres. Le chemin : un cœur trop souvent piétiné, dur et fermé sur lequel rien accroche, rien ne se développe. Le terrain rocailleux : un cœur ou un esprit qui s’émeut et s’enflamme pour une cause, puis une autre, mais ne sait pas mettre de l’énergie dans un engagement si bien que cela ne débouche sur rien. On peut voir les ronces comme l’image d’un esprit compliqué qui ne voit que les obstacles et les difficultés si bien que le découragement fait abandonner les projets ou les relations à mi-course.

    Enfin il y a des personnes qui savent soigner leurs amitiés et se retrouvent généreusement entourées et savent rassembler et créer de la vie autour d’eux.

    Quelle que soit l’interprétation qu’on choisit, cette parabole est une invitation à progresser vers la bonne terre. Pour soi et pour les autres.

    On peut y voir une invitation pour les éducateurs, les enseignants, les parents, les grands-parents, à conduire ceux qui sont sous leur responsabilité d’une position de retrait ou de fermeture vers l’ouverture, vers des relations abondantes, des relations de plénitude. C’est une parabole qui nous invite à la responsabilité, à l’effort, au travail. Allez, il faut labourer le chemin, dépierrer la rocaille, débroussailler les ronces !

    Mais beaucoup de responsabilités et de tâches conduit souvent à la culpabilité : en ai-je fait assez ? Et si ce n’est pas parfait : est-ce de ma faute ?

    C’est pourquoi Jésus ajoute une deuxième parabole qui met en scène un semeur. Une parabole qui prend le contre-pied de la première. Si nous avons une tâche quant au terrain, cette deuxième parabole nous rappelle que la croissance de la plante n’est pas entre nos mains, quelle est hors de notre maîtrise. Il est inutile de tirer sur les pousses pour les faire croître. Il y a un mystérieux travail qui se passe sans nous et qui ne dépend pas de nous.

    Il y a une invitation à faire tout ce qui est entre nos mains, et ensuite à faire confiance, à laisser aller, à lâcher prise.

    Tout ne dépend pas de nous. Il y a une force ailleurs qui agit et fait croître. Chaque être a une force en lui-même, qui lui ai donnée et qui est à l’œuvre. Tout ne repose pas sur les parents, les éducateurs, les enseignants, le voisinage. Il y a une force intérieure qui vient d’ailleurs — la parabole pointe le doigt vers Dieu.

    Nous avons une tâche, mais elle n’est pas infinie, elle est limitée. Encore plus limitée quand il s’agit des autres. Notre tâche c’est nous-mêmes, notre jardin intérieur. C’est en soignant notre jardin intérieur que nous atteignons, influençons les autres, sans les forcer ou les manipuler.

    Je vais reprendre une image dans le domaine des plantes : si mon jardin et plein d’herbes folles, voire de mauvaises herbes, le vent va disperser les graines indésirables dans les jardins voisins. Mais si je soigne mon jardin et choisis ce que j’y fait pousser, alors ce qui débordera de mon jardin sera également bon pour ceux qui m’entourent.

    La première parabole nous invite à réaliser comment est notre cœur ou nos relations et à travailler vers l’ouverture et le partage pour entretenir des relations riches. La deuxième parabole nous invite à faire confiance dans la force de germination et de croissance qui réside en chacun.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Je t'ai vu quand tu étais sous le figuier

    Jean 1

    25.6.2017

    Je t'ai vu quand tu étais sous le figuier

    Genèse 3 : 1-8       Jean 1 : 43-50

    Télécharger le texte : P-2017-06-25.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    "Je t'ai vu quand tu étais sous le figuier !" dit Jésus à Nathanaël. Voilà la phrase qui bouleverse Nathanaël. Voilà la phrase qui change sa vie, qui le fait découvrir Jésus, qui lui fait reconnaître l'être divin en Jésus. "Je t'ai vu quand tu étais sous le figuier !" Qu'y a-t-il là de bouleversant, d'extraordinaire pour que cela décide Nathanaël à tout abandonner pour suivre Jésus ? Pourquoi cette parole est-elle décisive ?

    Une interprétation rabbinique nous dit que "être sous le figuier" c'est étudier la Torah, l'Ecriture. Il n'y a pas de doute que Nathanaël devait connaître les Ecritures. Son ami Philippe — pour lui présenter Jésus — lui dit avoir "trouvé celui dont Moïse a parlé dans le livre de la Loi et dont les prophètes ont aussi parlé" (Jn 1:45). Et quand Philippe lui dit que Jésus vient de Nazareth, il s'étonne — sceptique — "peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ?" (Jn 1:46) puisque Nazareth n'est jamais mentionnée dans l'Ancien Testament.

    Certainement, Nathanaël a étudié la Bible, "il a été sous le figuier," mais cela ne suffit pas pour lui faire reconnaître Jésus comme le Messie. Heureusement, Philippe l'invite à venir voir par lui-même : "Viens et vois !" Et c'est en venant, en rencontrant Jésus qu'il va entendre cette parole qui l'interpelle : "Je t'ai vu sous le figuier !"

    Dans l'Ancien Testament, le figuier (souvent avec la vigne) est évoqué comme signe de sécurité, d'un pays en paix (1 R 4:25; 2 R 8:31; Mi 4:4). La menace, c'est d'être privé de son figuier et de sa vigne, par la destruction ou la nécessité de fuir sa maison ou son pays (Jér 5:17; Os 1:12; Jl 1:7). Il semble que chaque habitant pouvait avoir un figuier et quelques plants de vigne dans son jardin. C'est là qu'on exerce l'hospitalité envers ses voisins et ses amis (Za 3:10). Viens boire un verre chez moi, sous la tonnelle, dit-on chez nous. Viens boire un verre sous mon figuier devait-on dire en Israël.

    Le figuier évoque donc le jardin de sa maison, le chez soi, l'aspect de la vie privée, son jardin secret. Lorsque Jésus dit à Nathanaël qu'il l'a "vu sous le figuier" il semble que Nathanaël comprend que Jésus l'a vu alors qu'il pensait ne pas être vu. Jésus a vu en lui quelque chose de personnel, quelque chose que Nathanaël porte en lui, sans le révéler à personne, mais que Jésus a découvert et lui révèle en retour. C'est à mettre en parallèle avec le récit de la Samaritaine lorsqu'elle dit de Jésus : "Il m'a dit tout ce que j'ai fait" (Jean 4:39). Jésus voit ce qu'il y a dans le cœur de Nathanaël.

    Cela paraît extrêmement menaçant, non ? N'avons-nous pas tous quelque chose à cacher au fond de nous-mêmes ? Mais il ne faut pas oublier que Jésus a abordé Nathanaël en lui disant ces mots : "Voici un véritable Israélite, il n'y a rien de faux en lui !" (Jn 1:47) Ouf pour Nathanaël, il semble qu'il n'y avait rien de noir en lui, mais en nous ? Nous qui nous connaissons de l'intérieur, n'avons-nous pas à trembler d'être percé à jour par Jésus ? C'est là qu'il faut revenir au premier emploi du figuier dans la Bible.

    Adam et Eve, découvrant leur vulnérabilité fondamentale après avoir goûté du fruit défendu dans le jardin d'Eden, s'habillent avec des feuilles de figuier. "Je t'ai vu sous le figuier !" pourrait aussi vouloir dire : "Je vois en toi se refléter Adam dans son égarement, le vieil homme peureux, honteux et gêné." C'est comme si Nathanaël entendait Jésus lui dire : "Je reprends avec toi l'histoire de l'humanité exactement là où elle avait déraillé."

    Jésus ne vient pas accabler Nathanaël, Jésus ne vient pas nous accabler avec son regard sur nos vies, non, comme Jean Baptiste l'a proclamé : "Jésus est l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde" (Jn 1:29).Si Jésus nous voit "sous le figuier" c'est-à-dire dans notre condition de vulnérabilité, de fragilité humaine, avec nos zones d'ombre et nos fautes, c'est pour nous sortir de là. Il vient à nous avec sa compréhension fondamentale de notre parcours de vie : y mettre sa lumière pour panser nos plaies, pour soigner ce qui nous fait mal, pour nous sortir de notre misère.

    Lorsque Nathanaël entend Jésus lui dire : "Je t'ai vu sous le figuier !" Nathanaël se sent compris. Il se sent compris et accepté jusqu'au fond de lui-même. Il se sent relevé. Il doit se dire : "je me sens remplis de fautes, mais il n'en tient pas compte, il ne tient compte que de mes efforts à être droit, il ôte mon péché, il me soulage de mes poids.

    Il me connaît jusqu'au fond de moi-même — même ce que je ne voudrais avouer à personne — mais il ne me le fait pas peser, il m'en délivre, alors je peux marcher avec lui, le suivre partout où il m'entraînera." Nathanaël peut mettre sa confiance en Jésus. Jésus l'a accepté tel qu'il est, il reçoit sa foi et il promet à Nathanaël de confirmer, d'affermir sa foi : il va découvrir de plus grandes choses encore. Jésus inaugure la nouvelle création, fondée sur le pardon (le pardon originel, comme le dit Lytta Basset) et l'amour infini de Dieu. Une création qui commence au cœur de chacun d'entre nous quand nous acceptons que Jésus nous voit sous notre figuier.

    Amen

     

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Un programme de transformations

    Jean 2

    18.6.2017

    Un programme de transformations

    1 Corinthiens 3 : 5-11     Jean 2 : 13-22

    Message pour les enfants

    Pour le message de ce matin, j’ai choisi l’épisode de la vie de Jésus où il chasse les marchands du Temple. Dans le Temple, il y avait des animaux à vendre pour les sacrifices. Cela n’a pas plu à Jésus. Il a pris des cordes ce qui se trouvaient là. Il en a fait un fouet et a chassé les bœufs, les moutons et les chèvres et demandé aux vendeurs de colombes de partir. Jésus voulait faire cesser les sacrifices d’animaux. Savez-vous à quoi sert un sacrifice ? Vous est-il arrivé de faire un vœu ; j’entends un vœu sérieux après une bêtise ou un malheur ? Quand j’étais petit, lors d’une balade en forêt, j’avais posé ma veste pour construire une cabane. Et en repartant j’avais oublié de reprendre ma veste. Quand je m’en suis aperçu, j’avais peur de devoir dire à ma mère que j’avais perdu ma veste. Alors j’ai fait un vœu : si je retrouve ma veste alors je donnerais ma voiture préférée à mon frère.

    L’idée c’est d’accepter de perdre quelque chose qui nous est précieux pour éviter un plus grand malheur. Mais si on applique cela à Dieu, c’est qu’on pense que Dieu va nous envoyer des malheurs si on ne lui sacrifie pas quelque chose (et au Temple, c’était des animaux de son troupeau). Cela suppose un Dieu méchant et un homme rusé qui peut tromper Dieu en lui disant : « je te donne un animal, ne me prend pas la vie.» Mais Dieu n’est pas comme cela, et Jésus le sait. Dieu n’a pas besoin de sacrifices, il n’a pas besoin de violence pour nous aimer. Dieu n’aime pas la violence, Dieu n’aime pas la mort, même pas la mort des animaux, Dieu aime la vie. Et depuis Jésus, il n’y a plus de sacrifices d’animaux. On a compris que Dieu n’aimait pas ça. Dieu aime la vie !

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  • Le miracle éblouit, il risque donc d’aveugler.

    Jean 2

    11.6.2017

    Le miracle éblouit, il risque donc d’aveugler.

     

    1 Rois 17 : 5-16    Jean 2 : 1-11

     

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    Chers frères et sœur en Christ,

    Avec les noces de Cana, l’Évangile selon Jean présente le premier miracle de Jésus. Jean n’a pas choisi ce récit au hasard pour le placer là. Le miracle de l’eau changée en vin annonce le programme de l’action de Jésus, annonce le sens de sa mission dans le monde. Jean l’explicite par le verset explicatif — un commentaire pour le lecteur— à la fin du récit : « Tel fut à Cana de Galilée, le premier signe de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2:11)

    Trois choses sont dites : Jésus commence son œuvre par un signe (Jean n’utilise en fait pas le terme habituel de « miracle » utilisés par les autres évangiles). L’accent n’est pas sur la réalité transformée ou les lois naturelles transgressées, mais sur la signification du geste, sur le sens de l’action de Jésus.

    Donc premièrement un signe, deuxièmement le signe révèle la gloire de Jésus, troisièmement cela a pour but de susciter la foi des disciples. Le signe qui révèle la gloire de Jésus comporte trois aspects. D’abord il a lieu lors d’une noce, d’une fête de mariage. Pour tout lecteur de l’Ancien Testament, le mariage est une image symbolique de l’alliance d’amour que Dieu propose à son peuple. Le prophète Osée est celui qui a poussé le plus loin cette image. Dieu souhaite re-séduire la fiancée qui l’a quitté.

    Ensuite Jésus transforme de l’eau en vin — c’est à dire quelque chose d’absolument ordinaire — en boisson de fête, qui sème la joie, l’ivresse, qui fait oublier les soucis. Le vin a aussi une dimension messianique. C’est la boisson que Dieu offre pour le banquet du retour d’Exil ou de la fin des temps (Esaïe 25:6).

    Enfin, les quantités suggérées par les vasques de pierre et la qualité du vin — meilleur que le premier vin servi— montre que l’abondance, la prodigalité, la plénitude vient abolir le manque, la pénurie, la disette. Cela s’était déjà passé pour Élie et la veuve (1 Rois 17:16), c’est maintenant le programme de Jésus pour la multitude.

    Jésus manifeste donc sa gloire par ce signe éclatant ! Mais quelle gloire est manifestée ? Le risque du miracle, c’est d’attirer par le côté spectaculaire ou de rebuter par le côté incroyable. Nombre de nos contemporains rejettent les évangiles à cause des miracles incompréhensibles qui s’y trouvent racontés. Le miracle éblouit, il risque donc d’aveugler.

    L’évangéliste Jean est conscient de ce risque, il le mentionne après la multiplication des pains : « Vous me cherchez parce que vous avez eu beaucoup de pain, non pas parce que vous avez saisi le sens de mes signes. » (Jn 6:26) Le miracle, tout seul, est donc ambigu. Il peut fourvoyer, il peut conduire à une fausse image de Jésus.

    Il y a le miracle et il y a le signe. L’évangéliste Jean veut nous aider à mettre le miracle au second plan pour mettre le signe en évidence, au premier plan. Il le fait en construisant le récit comme sur deux plans. Il y a d’un côté la scène — comme celle d’un théâtre — ou se déroule le récit, où parlent et se déplacent les personnages. Ce sont les planches du théâtre. Et il y a les lecteurs de l’Évangile — comme les spectateurs dans les fauteuils du théâtre — auquel évangéliste parle : il situe la scène « Trois jours plus tard… à Cana ». Et à qui il dit « Voici le premier signe de Jésus pour révéler sa gloire, et ses disciples crurent en lui. ».

    Maintenant que nous avons séparé ces deux plans, nous pouvons voir que les acteurs sur les planches, ne voient pas le miracle ! Le majordome interroge le marié sur la provenance du vin et lui dit son incompréhension que n’ait pas été respectée la règle habituelle de servir le meilleur vin en premier. Le miracle n’est donc pas pour la noce ! C’est un signe pour les lecteurs–spectateurs, pour nous ! La matérialité du miracle n’a aucune importance — ce vin ne sera jamais servi à nous les disciples. Mais nous sommes invités par l’évangéliste Jean a passer du matériel au spirituel. À comprendre que la gloire de Jésus n’est pas dans les exploits matériels, mais dans le mystère de son lien avec Dieu.

    Le miracle de Cana n’est pas dans le vin nouveau, mais dans le signe que Dieu est capable de tout transformer. Le vin nouveau de Cana a été bu. Il nous reste le signe, le programme de Jésus : il est venu pour transformer nos vies ordinaires — ordinaires comme l’eau du puits ou du robinet — en un vin de fête. Il est venu pour transformer nos manques et nos pénuries en moments d’abondance et de plénitude.

    Pour comprendre cela, nous devons changer de plan, de niveau. Le miracle de Jésus sur le plan matériel est le signe d’une autre réalité : relationnelle et spirituelle.

    Oui, au niveau matériel le manque et la pénurie existent. Ce n’est pas drôle, c’est dur, cela fait souffrir. Mais ce n’est pas une raison d’appliquer cette économie au monde relationnel et spirituel. L’amour et les relations n’obéissent pas aux mêmes règles que l’économie de l’argent. L’amour partagé se multiplie. L’amour donné renaît et croît d’autant plus.

    Le programme de Jésus signifié dans ce signe de Cana, c’est que la vie, relationnelle et spirituelle, nous est offerte en abondance. C’est ce que l’Évangile selon Jean appelle la « vie éternelle », c’est-à-dire la vie en plénitude, la vie en abondance (Jn 10:10).

    Cet amour en abondance — illimité et inconditionnel — Jésus va l’accomplir dans sa Passion, sur la croix, où sa gloire sera définitivement révélée. Une gloire paradoxale évidemment, puisque ce n’est pas le Messie glorieux et militairement vainqueur. Mais un Messie qui passe incognito dans le monde, à l’image du vin de Cana dont personne ne connaît la provenance (à part les serviteurs qui représentent les disciples, les lecteurs de l’Évangile). C’est ainsi que seuls ceux qui servent Jésus et entendent la voix de l’évangéliste arrivent à décoder le signe derrière le vin nouveau, la victoire derrière la croix, la gloire derrière le don de sa vie.

    C’est ainsi que Jean développe et fait croître la foi des disciples, notre foi, en révélant un Jésus que ses contemporains directs n’arrivaient pas à voir sur le moment. Aujourd’hui, nous sommes des privilégiés de pouvoir lire et comprendre l’évangile, de pouvoir voir la vraie gloire de Jésus au-delà des apparences, de pouvoir grandir dans la foi, foi que l’amour est abondant, qu’il nous est donné sans limite et que nous pouvons le partager comme un vin de fête sans peur d’en manquer jamais.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Jésus part, mais ne nous abandonne pas.

    Jean 14

    25.5.2017

    Jésus part, mais ne nous abandonne pas.

    Jean 14 : 1-12      Jean 16 : 5-7 + 13-15

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    Chers frères et sœur en Christ,

    Nous commémorons aujourd’hui l’ascension de Jésus. Selon le calendrier propre à l’Évangile de Luc l’Ascension a lieu 40 jours après Pâques et 10 jours avant la Pentecôte, le don de l’Esprit Saint. Ainsi l’évangéliste Luc a donné une durée déterminée et symbolique (40 jours) au temps des apparitions de Jésus à ses disciples après la résurrection. Et l’Eglise à adopté ce timing dans son calendrier des fêtes.

    L’évangéliste Jean ne définit pas de calendrier, mais il développe longuement — dans les discours d’adieu de Jésus (Jn 13—17) — le sens du départ de Jésus. Car ce départ pose problème ! Ce départ après les apparitions aux disciples ne marque-t-il pas la fin du contact avec Jésus ? N’est-ce pas une deuxième séparation, une deuxième mort ? Puisque Jésus va être définitivement absent.

    Les disciples ne le reverront plus à leur table. Les disciples ne marcheront plus avec lui dans les campagnes. Les disciples ne l’entendront plus enseigner. Allons-nous entrer dans l’époque du souvenir et de la commémoration ; un temps... puis retourner aux affaires courantes et n’en plus parler dans deux ou trois générations ? Est-ce que le souvenir, encore vif, ne va pas se dégrader pour finir par disparaître, comme le souvenir de nos aïeux de la quatrième et cinquième génération, ceux qu’on n’a jamais vu ? Pourquoi en irait-il différemment avec Jésus ?

    Les discours d’adieu que rapporte l’évangéliste Jean servent à préparer les disciples à cette transition. Jean revisite les paroles de Jésus et compose une théologie du départ pour assurer la pérennité de la présence de Jésus dans son absence, malgré son absence.

    Ce qu’on voit d’abord dans les dialogues entre Jésus et les disciples, c’est que les disciples ne comprennent pas les paroles de Jésus. Thomas dit: « Nous ne savons pas où tu vas ! » (Jn 14:5) Philippe dit : « Montre nous le Père ! » (Jn 14:8) Et chaque fois Jésus doit les corriger et leur expliquer ce qui se passe.

    Par ces successions d’incompréhensions des disciples, Jean souligne que la situation des disciples aux côtés de Jésus n’est pas plus facile que la situation des croyants après le départ de Jésus. Même — entre les lignes — Jean laisse penser que grâce à son Évangile, pour ses lecteurs, les choses sont plus claires. Notamment parce que — comme lecteurs — nous connaissons l’histoire de Jésus jusqu’au bout. Il y a un paradoxe temporel dans ces discours d’adieu : les disciples ne savent encore rien de la fin de Jésus, de sa Passion, alors que l’évangéliste et les lecteurs ont plus de connaissances que les disciples. Le lecteur peut penser : les disciples sauront bientôt ce que Jésus voulais dire !

    Nous comprenons donc que la fin de l’histoire — le temps de la Passion — est indispensable pour comprendre la mission de Jésus et découvrir le vrai visage de Dieu. Le départ de Jésus fait partie intégrante de l’histoire, c’en est même la clé de voûte, la partie la plus significative.

    La croix révèle la vraie position divine. Non pas un Dieu tout-puissant qui domine et asservit, mais un Dieu qui se défait de sa toute-puissance pour rentrer dans une démarche d’offre aimante, dans la même faiblesse que tous les humains.

    C’est pourquoi Jésus insiste auprès de Philippe en disant : « celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14:9). Ce qui est exactement exprimé sur la représentation de Dieu sur la fresque qui est devant vous : Dieu a le même visage que Jésus sur la croix (voir la fresque et son explication). L’Ascension — dans l’Évangile de Jean — a lieu sur la croix même.

    Fresque Rivier Saint-Jean.jpg

    Le départ de Jésus n’est pas l’arrêt de tout ce qui a été vécu entre Jésus et les disciples. Au contraire, c’est un commencement. Un commencement qui n’est pas marqué par une absence, mais pas une substitution. Jésus s’en va — en tant que personne physique —mais il est remplacé par le Consolateur, le Paraclet (Jn 14:16,26, 15:26, 16:7,13), par l’Esprit Saint, qui n’est pas dépendant de l’espace et du temps. Cet Esprit qui vient remplacer Jésus a deux tâches, deux rôles, celui de rappeler les paroles de Jésus et celui de faire comprendre, expliquer, ce que Jésus a voulu dire.

    Et on peut dire, rétrospectivement, que les évangiles sont le fruit de cet Esprit qui a rappelé les gestes et les enseignements de Jésus. Et l’Évangile selon Jean les explique, les développe particulièrement, comme les lettres du Nouveau Testament le font aussi d’une autre façon.

    Ce rôle de rappel, de mémoire des actions et des paroles de Jésus — en Galilée et à Jérusalem — est important, parce qu’il rappelle que c’est dans cette personne, dans ce Jésus de Nazareth que la parole de Dieu a pris chair, a pris corps.

    Les évangiles insistent sur le parcours terrestre de Jésus bien plus que sur ses apparitions, dans lesquelles d’ailleurs l’enseignement est absent. Tout ce qui est décisif s’est passé avant et pendant la croix. C’est dans cette vie incarnée et brusquement arrêtée sur la croix que se révèle véritablement le nouveau visage de Dieu.

    C’est pourquoi la relecture et la compréhension de l’évangile et si nécessaire aux croyants. C’est pourquoi Jésus dit qu’il est le chemin qui mène au Père (Jn 14:6). Si Jésus est l’accès au visage du Père, les évangiles sont l’accès à la personne de Jésus. Le Christ qui vient, qui revient est le Jésus qu’on découvre toujours à nouveau dans les évangiles. Jésus revient à nous dans notre lecture de l’évangile, dans la prédication et l’explication de l’évangile et dans la mise en pratique de son enseignement qui culmine dans l’amour, de Dieu et du prochain.

    L’Ascension n’est pas la fin du chemin, mais le commencement d’un chemin nouveau où Jésus promet de nous accompagner par l’Esprit Saint. Un chemin qui mène au Père, à travers la connaissance de Jésus qui a parcouru les routes de Galilée, de Samarie et de Jérusalem.

    Un chemin qu’on redécouvre dans son évangile et un chemin qui mène à des œuvres pareilles à celle du Christ, et même à de plus grandes (Jn 14:12). Il n’y a pas de perte pour les disciples à laisser partir Jésus. Il reste présent à chacun sous une forme nouvelle. Il nous donne l’énergie de marcher dans ses pas. Il nous le donne de l’énergie d’aimer pleinement à notre tour.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Matthieu 13. Un rien peut tout embellir ou tout gâcher

    Matthieu 13

    14.5.2017

    Un rien peut tout embellir ou tout gâcher

    1 Corinthiens 5 : 1-2 + 6-8      Matthieu 16 : 5-12      Matthieu 13 : 31-35

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    Chers frères et sœur en Christ,

    Vous le savez aussi bien que moi, Jésus aimait parler en paraboles. Mais pourquoi utilisait-il des paraboles avant toutes choses ? Là-dessus les avis sont partagés. On a dit aussi bien que Jésus parlait en parabole pour mieux se faire comprendre, en partant de petites histoires qui font appel à l'expérience pratique de ses auditeurs. L'expérience de celui qui cultive ou de celui qui fait du pain. Mais on a aussi dit que Jésus parlait en parabole pour ne pas être compris par tous et que Jésus réservait son enseignement à ses disciples auxquels il expliquait ses paraboles, comme celle du semeur sur quatre terrains ou l'ivraie et le bon grain.

    Pour ma part, je ne crois pas que parler en parabole était un jeu pour Jésus ou même un choix, c'était plutôt une nécessité. Pour dire ce qui est impossible à décrire, à définir, il est nécessaire de faire des détours, il est nécessaire d'utiliser des images, des illustrations. Il est impossible de parler directement de Dieu et de son action, de les décrire comme un objet, parce que Dieu n'est justement pas un objet et que son action est mystérieuse.

    Pourtant Jésus est justement là pour nous en parler. Alors il utilise des images pour enseigner. Par exemple "le Royaume des cieux ressemble au levain qu'une femme enfouit dans de la farine et qui fait lever toute la pâte." (Mt 13:33)

      Voilà, en une petite phrase, Jésus nous dit quelque chose sur la présence mystérieuse de Dieu dans le monde, ou en nous... oui, au fait ! est-ce en nous ? dans le monde ? dans l'Eglise ? En parlant de farine, Jésus laisse libre notre imagination.

      C'est l'avantage des paraboles, elles laissent ouvertes les portes de notre imagination, c'est un langage ouvert qui accueille diverses explications, diverses interprétations, un langage qui rend même les interprétations nécessaires. Personne ne peut dire : "Je sais !", "Je connais la vérité de cette parabole !" Il n'y a pas une interprétation unique et seule juste de cette petite parabole : "le Royaume des cieux ressemble au levain qu'une femme enfouit dans de la farine et qui fait lever toute la pâte." Voyez plutôt.

    On peut l'interpréter en concordance avec la parabole de la graine de moutarde qui devient un arbre où s'abritent les oiseaux (Mt 13 : 31-32). C'est-à-dire qu'une puissance insoupçonnée habite le levain comme la graine. Que cette puissance est là, cachée et présente en même temps, même si elle n'est pas encore réalisée. Dans ce sens, le Royaume des cieux, ce sont d'énormes potentialités qui vont se développer. C'est là l'interprétation la plus classique. Mais il y en a d'autres, dont la suivante.

    Le levain était considéré, dans la société juive, comme un élément corrupteur, impur. Le levain est un ferment et le processus de la fermentation peut gâter un aliment. Par exemple, lorsque votre confiture fermente parce qu'elle aurait dû être conservée au frigidaire, vous n'êtes pas contents, il faut la jeter, elle n'est plus bonne à rien.

    Le levain, le ferment est souvent vu comme négatif et nous en avons l'exemple lorsque Jésus parle du levain des pharisiens avec ses disciples ou lorsque l'apôtre Paul décrit l'immoralité comme un levain qui risque de corrompre toute la communauté.

    Pendant la fête de la Pâque, aussi appelée la fête des pains sans levain, il était important — et cela le reste pour les juifs aujourd'hui — de faire disparaître toute trace de levain dans la maison, parce qu'à partir d'un trace infime tout le processus de fermentation peut reprendre.

    Ainsi, cette parabole peut aussi être lu comme un avertissement : "un rien de levain et toute la pâte est corrompue, inutilisable". Cette interprétation viendrait ainsi faire le pendant à l'optimisme absolu de la parabole du grain de moutarde. Le levain corrupteur vient nous dire que tout n'est pas joué d'avance, automatiquement. Certes le Royaume des cieux est une puissance dynamique formidable, mais ne sous-estimons pas la puissance du mal. A partir d'éléments qui semblent négligeables, auxquels nous ne voulons même pas faire attention, le mal peut soudain se déployer d'une façon que nous n'aurions pas soupçonnée. Cette parabole nous enseigne donc la vigilance quant à chacun de nos actes. Aussi petits et insignifiants paraissent-ils... leurs conséquences — en positif comme en négatif — sont incommensurables.

    Peut-être devrions-nous nous méfier un peu plus du levain des pharisiens modernes, comme Jésus le recommandait à ses disciples. Nous méfier un peu plus — mais comment le faire sans paraître moralisateur ? — du levain contenu dans nos programmes TV; dans nos façons de désigner un peu vite des coupables (la violence des jeunes, comme si les adultes ne développaient pas aussi de la violence, même si elle se voit moins que des tags); du levain contenu dans nos discours économiques qui vantent tant le succès, la force et la compétitivité; dans nos relations quotidiennes qui deviennent vite tendues, agressives, méprisantes; du levain répandu dans les discours politiques qui désignent des boucs émissaires, qui appellent au rejet et à l’exclusion.

    Jésus nous laisse donc libre d’interpréter sa parabole dans un sens positif ou dans un sens négatif. La levure peut être vue comme l’expression de nos actions — bonnes ou mauvaises, avec les résultats qui en découlent. Mais c’est une lecture en extériorité.

    Aujourd’hui, je me rends compte que ce qui fait plus souvent problème, ce qui nous met en difficulté — plus que nos comportements à l’extérieur — ce sont nos actions et réactions intérieures. Ce sont nos voix intérieures, notre théâtre intérieur, qui nous met en difficulté. Ces voix qui viennent mettre en doute notre valeur, qui viennent saper notre moral, qui vienne insinuer que nous sommes coupable ou que nous n’allons laisser aucune trace valable de notre passage sur cette terre.

    Quand une de ces voix se fait entendre dans notre tête (et souvent nous arrivons même à identifier qui parle !) nous partons dans la rumination, dans la répétition et ces messages se mettent à tourner en boucle dans nos têtes, minant notre moral, envahissant notre mental. Un petit peu de ce levain et toute notre journée est gâchée.

    Je crois que le Christ vient prononcer d’autres paroles. Le Christ murmure à nos oreilles un message de paix et de pardon sur nos vies. Le Christ souffle à nos oreilles des paroles de vie eet d’espérance. Le levain de Jésus fait lever un nouveau jour dans nos vies. Lui, peut faire lever un nouveau règne dans nos existences, une voix qui vient couvrir nos ruminations et nos récriminations. Une voix dont le chant vient remettre de la lumière et de la paix dans nos vies.

    Entendrons-nous cette voix du Christ ? Est-ce que nous lui laisserons de la place ? Est-ce que nous laisserons sa voix dominer le concert qui nous habite et souvent nous envahit ? Une pincée de levain fait lever toute la pâte. Faisons en sorte que ce soit le levain du Christ.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

    L'idée du levain corrupteur vient de : A. Maillot, Les paraboles de Jésus aujourd'hui, Genève, Labor et Fides, 1973, pp.32-33.

  • Métier, vocation... et retraite.

    2 Thessaloniciens 3 

    30.4.2017

    Métier, vocation... et retraite.

     

    2 Thessaloniciens 3 : 6-10      1 Corintihiens 7 : 20-24      Matthieu 20 : 1-10

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous sommes à la veille du 1er mai : la fête du travail. Aussi j’aimerais vous parler du travail, à travers la vie et à travers le temps, en passant notamment par la Réforme.

    Le travail a été reconnu — dès le récit de création de la Genèse (Gn 3:19) — comme faisant partie de la condition, la dure condition humaine. On n’y échappe pas. Mais, il ne doit pas pour autant tout envahir, d’où la préservation d’un espace sans travail : le sabbat.

    Dans le Nouveau Testament, Jésus ne fait pas de doctrine du travail. Il raconte simplement des paraboles qui mettent en scène la vie quotidienne, et donc le travail ou des travailleurs. Au détour de ces paraboles, ils posent des valeurs. Avec les ouvriers de la 11e heure, il propose comme un salaire minimum : tous devraient pouvoir manger à leur faim et nourrir leur famille après leur travail. Il relève l’attente de fidélité, de confiance entre le maître et le gestionnaire, le maître et le serviteur. Une attente précédée de la remise de bien avec confiance, comme dans la parabole des talents. Le travail est également valeur de test dans les petites choses en vue d’en confier de plus grandes. Les paraboles évoquent également la générosité de la nature et de Dieu, l’aspiration à la prospérité et au partage.

    Chez Paul, se pose la question de la spécificité chrétienne. Qu’est-ce que le chrétien a ou fait de spécial dans le monde ? Eh bien, le chrétien ne fait rien de spécial. Il agit « pour le Seigneur» dans tout ce qu’il fait.

    Dans un contexte où Paul attend le retour du Christ pour le lendemain, il propose une posture « attentiste » : que chacun garde sa place et agisse à sa place comme un chrétien, c’est-à-dire en faisant bien ce qu’il fait. À l’attention de ceux qui croient qu’on peut tout arrêter et attendre il dit : « que celui qui ne veut pas travailler, arrête aussi de manger » (2 Thes. 3:10).

    Pour Paul, le changement, la libération est intérieure, il n’y a pas lieu de changer le régime social, seulement changer les relations courtes, avec ses proches, son conjoint etc. et se tourner vers le Seigneur.

    Lus littéralement ces propos de la lettre aux Corinthiens vont conduire à un grand conservatisme social. Le compartimentage de la société entre propriétaires-dirigeant en haut, et travailleurs-paysans en bas, s’est pérennisé. A ces deux classes sociales est venue s’ajouter celle des moines et des clercs, formée de ceux qui voulaient consacrer toute leur existence à Dieu. C’est dans ce type de société en trois classes que naît Luther. Celui qui veut consacrer sa vie à Dieu n’a que le choix d’entrer dans les ordres, devenir moine. À cette époque, c’est le chemin de l’excellence devant Dieu.

    Ce que Luther va découvrir, c’est que ce qui est présenté comme le plus souhaitable aux yeux de Dieu est une imposture. Ce chemin ne peut pas procurer le salut. Aucun chemin humain ne le peut. Le salut est donné par grâce. Une fois le salut reçu le croyant est animé de reconnaissance et libéré d’un grand poids, ce qui lui donne de l’énergie pour agir.

    Luther découvre que cette énergie libérée peut être mise au service de Dieu et du prochain et qu’il y a mille manières d’être utile à la société et à autrui. Dieu n’appelle pas à être moine pour lui plaire, il appelle chacun à mettre ses compétences particulières au service du prochain et de la société.

    Ainsi, tout à coup, chacun a une place donnée dans la société (on retrouve Paul parlant aux Corinthiens) chacun est appelé à travailler où il est pour le bien commun. Chacun est appelé, c’est-à-dire chacun reçoit ou doit trouver sa vocation pour trouver sa place, son utilité dans la société.

    Le service de Dieu passe par le métier, le métier apporte un service qui contribue à l’édification d’une société où chacun a une place, un rôle, une vocation. Tout métier trouvé son utilité. Tout chrétien se trouve placé à pied d’égalité avec les autres par cet appel à servir la société, c’est la vocation générale à contribuer au bien commun. Et chacun doit trouver à quoi il est appelé : sa vocation particulière. Cela implique un processus de discernement pour choisir sa voie, une responsabilité pour se donner les moyens de devenir compétent dans cette vocation. Parfois la vocation personnelle est d’abord reconnue par les proches : « dis donc, tu es particulièrement doué pour cela, pourquoi ne pas le mettre au service de la communauté, en faire ton métier ? »

    La vocation devient métier et contribue autant à l’utilité sociale qu’au plaisir de celui qui la pratique. Ce plaisir ou cet épanouissement personnel étaient déjà reconnus comme faisant partie du discernement de la vocation. Voir sa vocation comme un appel qui vient de Dieu et comme l’occasion de servir Dieu amène un état d’esprit qui pousse au soin, à l’application, à l’amour du travail bien fait. Le travail devient prière, il est exécuté devant Dieu, soli Deo gloria, sans recherche d’approbation, de reconnaissance sociale.

    Au XXe siècle est apparu un phénomène nouveau : la retraite. La retraite vient bouleverser le travail comme vocation ! S’il y a une vocation, comment pourrait-elle s’arrêter à une date déterminée par quelqu’un d’autre ? En même temps, être libéré de la contrainte de « gagner sa vie » ouvre des horizons nouveaux, en tout cas pour ceux dont le travail n’a pas coïncidé avec leur vocation profonde.

    La retraite pose une deuxième fois la question de la vocation. Parce qu’on ne peut pas rester sans rien faire, sans but. Nous avons besoin de sens, nous avons besoin de nous sentir utile, d’avoir le sentiment d’accomplir quelque chose.

    Notre société a beaucoup limité, réduit le sens de l’utilité. Elle nous dit : seul est utile celui qui est productif. Mais c’est un langage économique réducteur. L’utilité sociale (s’il faut garder ces termes) passe par des phases successives.

    On commence par une phase d’apprentissage, d’éducation, d’études, d’accumulation de savoir. Ensuite on continue par l’application de ces savoirs dans des savoir-faire, c’est l’étape productive. Elle peut déboucher sur une phase de transmission, de partage des savoirs et des savoir-faire. Mais il y a encore une phase, sous-évaluée et sous-estimée, qui est la phase du savoir être, de la sagesse, du rayonnement.

    Cette phase ne dépend pas de notre mobilité, de nos forces, de notre état de santé. Cette phase repose sur les compétences relationnelles, sur notre être, sur notre vocation la plus spirituelle. Elle peut s’exercer partout, même en EMS.

    Où en sommes-nous dans ses phases ? Saurons-nous passer d’une phase à l’autre ? Saurons-nous nous préparer, nous former pour ne pas rester dans la perte de la phase précédente, mais dans le gain de l’étape suivante ? L’Eglise peut être le lieu de développement de cette progression. Le culte, le partage biblique, la vie communautaire de l’Eglise devraient être une aide dans ses passages, un lieu de croissance en savoir-être et en rayonnement. Ce chemin, nous pouvons le faire ensemble.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Si le grain ne meurt...

    16.4.2017

     

    Si le grain ne meurt...

     

    Matthieu 28 : 1-10         Jean 12 : 23-25

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Un ange a roulé la pierre... Jamais Marie de Magdala et l'autre Marie n'auraient imaginé vivre cela! Jésus-Christ est ressuscité... Jamais les disciples n'auraient imaginé une telle suite à Vendredi saint! Les femmes et les disciples se réjouissent, dansent et chantent de joie.... Jamais personne n'aurait pu imaginer une telle joie après le désarroi et la peine des jours précédents !

    Le peuple d'Israël jubile en prenant possession de la terre promise.... Lesquels d'entre eux auraient imaginé cela après avoir été pourchassés par les soldats de pharaon et être presque morts au désert ! La Pâque juive est un passage de l'esclavage en Égypte à la liberté.

    Notre Pâques est un passage aussi. Un passage de la nuit vers la lumière. Pâques est un passage qu'on n'aurait jamais imaginé ! Un passage à travers l'ombre de la mort. Qui aurait imaginé qu'il y avait un passage ?

    Que savons-nous de la mort, nous qui sommes vivants ? La mort nous est inconnue, sauf par petits bouts. Nous l'avons vécue au travers de nos deuils, au travers de nos pertes, ou de nos renoncements à ce que nous n'avons pu entreprendre, aux rêves ou aux espoirs non-réalisés. La mort ne nous est pas totalement inconnue et — dans cet ordre — nous avons aussi vécu des passages, des résurrections.

    Jésus a parlé de la résurrection comme d'un grain de blé. S'il ne meurt pas, il reste seul, inchangé, perdu. S'il meurt, il porte du fruit, il vit, il crée l'abondance. Le grain de blé, image d'un passage à portée de notre compréhension. Sans l'acceptation de certaines pertes, de certains deuils, nous nous retrouvons seuls, c'est-à-dire pauvres dans le domaine des relations, pauvres ou en manque d'amour, d'affection. Mais le passage qui nous est offert — et qui ne se fait pas sans pertes, sans souffrances — débouche sur une vie relationnelle pleine de fruits, de richesses.

    Le grain comme image de la vie donnée du Christ, image d'expérience dans nos vies. Jésus continue son explication sur la résurrection à ses disciples par ces mots paradoxaux : "Celui qui aime sa vie, la perd, et celui qui hait sa vie dans ce monde la gardera pour la vie éternelle". (Jean 12:25)

    Une explication qui aurait plutôt tendance à nous embrouiller, nous, aujourd'hui. En effet, deux mots grecs différents sont traduits par "vie" en français, ce qui crée une certaine confusion. Il y a en effet une opposition entre la vie dans ce monde-ci et la vie éternelle. On peut donc reformuler la phrase de Jésus comme cela : "Celui qui se satisfait de sa vie terrestre en l'état va tout perdre (maintenant et plus tard), par contre celui qui ne peut pas se contenter de sa vie terrestre gagnera la vraie vie (maintenant et plus tard)." Celui qui se contente de ne vivre que dans la réalité visible — dans le réalisme positiviste — passe à côté de la vraie vie, de ce qui est durable et qui subsistera encore après la mort, une fois sorti de la réalité visible.

    La résurrection appartient au monde de l'invisible, à cette réalité au-delà du tangible, que les évangiles nomment le Royaume de Dieu ou la vie éternelle. Une réalité au-delà du réel qui a déjà fait irruption dans notre monde et que nous pouvons saisir pour vivre vraiment, dès aujourd'hui. Une réalité que nous ne pouvons pas imaginer, s'il ne nous est pas donné de la vivre, vivre ce retournement où l'ombre est traversée, où l'obscurité devient lumière.

     

    Ecoutez ce témoignage d'une personne âgée qui était endeuillée :

    "Pendant cinq ans, j'ai porté le deuil de mon mari. Je trouvais sa mort injuste. Pourquoi avais-je à rester seule, sans lui. Une nuit, j'ai enfin obtenu une réponse ! Mon mari savait que l'amour est le secret de la vie et il le vivait tous les jours. Je connaissais l'amour inconditionnel, mais je ne l'avais jamais vécu pleinement. Voilà, c'est pourquoi il est parti en premier et pourquoi je devais rester derrière. Tout ce temps, j'ai cru que j'étais punie pour quelque chose, mais cette nuit-là, j'ai découvert que le fait que je sois restée était un cadeau de Dieu ! Il m'a laissée sur terre pour que je puisse transformer ma vie en amour. J'ai compris que les leçons ne s'apprennent pas là-haut. L'amour doit se vivre ici, sur terre." (Résumé de Canfield et Hansens, J'ai Lu 7155, p.72)

    Jamais cette femme n'aurait imaginé — avant cette nuit-là — sortir de sa peine et retrouver goût à la vie. Ce retournement n'a pas été le produit d'un effort de sa part, elle s'est plutôt abandonnée, abandonné à faire confiance : "Et si ce qui m'est arrivé, je le considérais comme une opportunité ?"

    Mettons-y plus de confiance : "Et si ce qui m'est arrivé, je le considérais comme une chance !"

    Mettons-y plus de confiance encore : "Et si ce qui m'arrive était un cadeau !"

    Difficile à imaginer ? Impossible à imaginer ? Oui, certainement, si l'on ne regarde que le visible, si on ne lit que le journal.

    Impossible à imaginer ? Peut-être pas si l'on écoute les femmes revenir du tombeau vide...

    Impossible à imaginer ? Sûrement pas... puisque Jésus est ressuscité !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Genèse 27. Que d’histoires pour une bénédiction !

    Genèse 27

    5.3.2017

    Que d’histoires pour une bénédiction !

    Genèse 27 : 1-40

    Télécharger le texte : P-2017-03-05.pdf

    Quelle histoire pour une bénédiction ! La mère complote contre le père. Le frère trahit le frère. On utilise la ruse, le mensonge, le déguisement, la duplicité, la tromperie, la dissimulation. Que de stratagèmes et d’habileté mises en œuvre ! Ça ne peut être que pour quelque chose d’important, de vital même. Ce récit — dans son immoralité même — montre combien cette bénédiction est importante à recevoir. Sinon on n’en ferait pas toute une histoire.

    Bien sûr on peut se dire que c’est une histoire ancienne, que c’est dépassé, que les lois sur l’héritage sont devenues plus égalitaires et que si chacun reçoit la même part, une telle bataille n’a plus de raison d’être. Oui et non... Parce qu’ici il n’est pas tant question d’héritage matériel que d’une bénédiction spirituelle, immatérielle.

    Alors de quoi est faite cette bénédiction pour que Jacob y tienne tellement qu’il prend le risque de se fâcher avec toute sa famille et de devoir s’exiler pendant des années ?

    Le récit nous dit que la bénédiction d’Isaac pour son fils contient quatre choses :

    - de bonnes conditions de vie (la rosée)

    - la prospérité

    - une position dominante à l’extérieur comme à l’intérieur de son clan. Cela signifie ne pas devoir être soumis à maître extérieur, donc d’être libre de ses décisions, de sa vie.

    - enfin une protection contre les mauvaises intentions des autres, ce que j’appellerais « l’effet boomerang ». Celui qui te maudit sera maudit, sa malédiction lui retombera dessus, et celui qui te bénit sera béni. C’est l’ancêtre de la Règle d’or : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’il te fasse ».

    Cette bénédiction donne à celui qui la reçoit la certitude d’avoir de la valeur, d’avoir une place dans la société, de se sentir au moins l’égal des autres, aussi puissants soient-ils. Cette bénédiction donne à celui qui la reçoit l’assurance d’être quelqu’un, d’être une personnalité, d’être respecté, voit admiré. « Voilà quelqu’un d’important » se disent ceux qui le voient. Mais l’important ici n’est pas le regard des autres, mais le sentiment intérieur. Ce que donne la bénédiction, c’est ce sentiment intérieur, cette assurance intérieure de savoir ce qu’on vaut, de connaître sa vraie valeur, sans orgueil mais aussi sans complexe de l’imposteur.

    Combien voit-on d’adultes, aujourd’hui, qui doutent de leur valeur ? Qui se sentent tout petits en compagnie des autres ? Qui voient les autres au-dessus d’eux-mêmes ? Qui n’osent pas prendre la parole, dire leur avis, parce qu’ils ont l’impression qu’ils vont dire une bêtise ? Combien de personnes se sentent-elles désécurisées, face à un uniforme, face à une figure d’autorité ? Combien de personnes n’arrivent pas à se sortir d’un sentiment d’infériorité face à d’autres ou face à tous ? Combien mettent alors en place des stratagèmes pour cacher ce sentiment intérieur, pour se donner de la valeur, pour paraître — face à l’extérieur — autrement qu’ils se sentent à l’intérieur ? Le signe le plus commun est la puissante voiture de sport rouge qui en impose aux autres !

    Je fais le pari que ces personnes insécures n’ont malheureusement pas reçu les paroles de bénédiction qu’elles méritaient et dont elles avaient besoin. Ce manque pousse beaucoup de personnes dans des quêtes insensées et dangereuses et les mettent à la merci du premier gourou qui les flattera.

    Cela montre à quel point nous avons besoin — tous — de recevoir cette bénédiction qui vient d’en haut. Cette bénédiction qui donne l’assurance d’être porteur de valeur, la certitude qu’il y a en nous de bonnes choses !

    Nous avons tous été en quête de cette bénédiction, de ces paroles valorisantes, de ces paroles qui disent l’amour inconditionnel. Certains l’ont reçu dès leur tendre enfance. D’autres ont dû lutter, bagarrer, travailler, acquérir des diplômes ou conquérir des sommets pour la recevoir. Pour certains même les plus grands exploits n’ont pas suffi et ils continuent à vivre dans ce manque.

    Si notre bénédiction ne nous a pas été donnée, ou n’a pas été complète, on ne nous a pas satisfait, il n’est pas trop tard. Dieu continue a à dispenser à chacun une bénédiction. Dieu est la source de toute bénédiction. Il a béni la création. Il a béni Noé. Il a béni Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Ephraim et Manassé. Il a béni le peuple hébreu à travers Moïse, puis David et Salomon. Il a béni la terre entière à travers Jésus-Christ. Il continue à nous bénir, continuellement, pour nous assurer notre valeur, notre sentiment d’exister et d’être quelqu’un.

    Comme on le voit, la bénédiction vient de Dieu, mais elle se transmet d’une génération à l’autre. C’est notre rôle de parent — le rôle le plus important de notre vie, notre mission première — de transmettre à nos enfants cette bénédiction, ce sentiment de valeur, d’être quelqu’un qui compte. C’est une transmission verticale et les parents sont essentiels dans cette transmission.

    Cette transmission de la bénédiction est constitutive du rôle parental, on le voit dans les situations ou quelqu’un d’autre élève l’enfant. S’il transmet cette bénédiction, il devient père ou mère pour l’enfant. Il n’est jamais trop tard pour bénir, pour dire ces paroles de bénédiction qui affirment l’être. Elle peut se donner jusque sur son lit de mort, parce certains enfants l’espèrent jusqu’à ce moment-là ! Il n’est jamais trop tard pour recevoir la bénédiction de la part de Dieu, à défaut de l’avoir reçu des personnes qui auraient dû nous la transmettre.

    Comme Christ nous sommes appelés à entrer dans la grande chaîne des générations qui transmettent cette bénédiction qui vient de Dieu et qui aide à grandir, qui aide à s’épanouir, qui aide à devenir quelqu’un qui va pouvoir à son tour bénir et transmettre la bénédiction.

    Entrons dans la ronde, entrons dans la chaîne des générations et bénissons, nous serons alors de vrais enfants d’Abraham et de vrais enfants de Dieu.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

  • Genèse 25. Gérer ses angoisses

    Genèse 25

    26.2.2017

    Gérer ses angoisses

    Genèse 25 : 24-34         Matthieu 6 : 24-34

    Télécharger le texte :P-2017-02-26.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le choix des lectures bibliques que vous venez d’entendre est le résultat de la collision dans ma vie pastorale entre le récit de Jacob et Ésaü du programme du culte de l’enfance et de l’Évangile de ce dimanche proposé par le lectionnaire.

    Le point de rencontre qui m’est apparu entre les deux textes, c’est la gestion du temps, du présent et du futur. Jacob se soucie de son futur, il est à la quête d’un droit d’aînesse. Ésaü est indifférent par rapport à l’avenir, il est dans le temps présent, pourvu qu’il puisse manger.

    Cela fait écho à ces paroles du Sermon sur la Montagne de Jésus qui dit : « Ne vous inquiétez pas en disant : Qu’allons-nous manger ? Qu’allons nous boire ? Avec quoi nous habillerons-nous ? Ce sont les païens qui cherchent continuellement cela ! Votre Père qui est au ciel sait ce dont vous avez besoin. » (Mt 6:31-32) Et Jésus demande de regarder les lis des champs et les oiseaux du ciel comme exemples.

    J’aimerais d’abord relever que ce texte me choque, qu’il m’a toujours dérangé. Je le trouve très irrespectueux face à toutes les personnes qui traversent des moments de précarité, qui triment à l’extrême pour joindre les deux bouts. Comme si la nourriture allait tomber toute cuite dans l’assiette ! Comme s’il suffisait de tendre la main pour recevoir à manger, à boire et à se vêtir. Ce côté de « providence facile » me choque. Je ne peux pas lire ces paroles de Jésus du Sermon sur la Montagne au premier degré. Cela va en plus à l’encontre de la responsabilité protestante qui veut que chacun fasse tout ce qui est en son pouvoir pour s’assumer et vivre dignement, y compris prévoir son avenir et s’y préparer. Je ne peux pas accepter ce texte s’il signifie « carpe diem» ou« Hakuna Matata» ou « après moi le déluge».

    Pour retrouver un sens acceptable, un sens constructif à ces paroles, je vais faire de détour par le récit de Jacob et Ésaü.

    Le récit de Genèse 25 nous montre que — même s’ils sont jumeaux — tout différencie Ésaü et Jacob. Ils sont différents dans leur corps. Ils sont différents dans leurs goûts et leurs activités, l’un est chasseur, l’autre agriculteur. Ils sont même différents dans les yeux de leurs parents, l’un est préféré du père, l’autre de la mère. Ce qui est mis en évidence dans l’épisode autour de la soupe de lentilles, c’est que leurs soucis, leurs angoisses aussi sont différentes.

    Ésaü est en souci pour sa survie immédiate. En rentrant de la chasse, il est tellement crevé, qu’il croit qu’il va mourir sur place, qu’il va perdre la vie, donc en même temps son temps présent et son temps futur. C’est pourquoi il peut renoncer à son avenir, à son droit d’aînesse. S’il ne passe pas l’heure présente, à quoi lui servira un héritage dans vingt ans ? Ésaü est donc tout entier dans le temps présent, il est sans inquiétude pour l’avenir. En fait il correspond plutôt bien aux paroles sur les lis des champs et les oiseaux du ciel.

    De son côté, Jacob, est entièrement tourné vers le futur. Comme deuxième jumeau, il ne peut pas digérer l’idée de ne pas avoir la même chose que son frère. Il est tout entier dans la quête d’un avenir meilleur, récupérer le droit d’aînesse, quel que soit le coût dans le temps présent. Et dans les faits, en utilisant ici l’abus de faiblesse de son frère, plus tard la ruse et la tromperie pour recevoir la bénédiction d’Isaac, Jacob pourrit son présent pour gagner un futur. Son présent sera tellement pourri par la haine d’Esaü que Jacob va devoir fuir et s’exiler pendant de nombreuses années.

    En fait, Ésaü et Jacob sont renvoyés dos à dos pour leur gestion du temps et de leurs angoisses. Ni l’un ni l’autre n’est heureux, soit d’hypothéquer son avenir, soit de gâcher son présent.

    Pour revenir aux paroles de Jésus, il est difficile de penser que le discours sur les lis des champs et les oiseaux du ciel soit un plaidoyer pour la position d’Ésaü. L’accent n’est peut-être pas à chercher entre le présent ou l’avenir, mais plutôt sur la gestion de l’angoisse. Le refrain, la ritournelle, de ce passage, n’est-il pas « ne vous inquiétez pas, ne vous angoissez pas » ? (v.25, 28, 31, 34)

    En fait l’angoisse — souvent celle face au futur — nous vole notre temps, notre temps présent. Elle nous vole une énergie que nous pourrions utiliser autrement.

    La question n’est donc pas de savoir s’il faut se préoccuper davantage du présent ou plutôt du futur, s’il faut faire de la prévoyance ou tout dépenser dans le présent. Non la question est : comment ne pas se faire voler le présent et le futur par notre souci, par nos angoisses. Y a-t-il un moyen de tromper l’angoisse, d’être rusé comme Jacob, pour obtenir une garantie de notre avenir sans hypothéquer, gâcher notre présent ?

    Jésus donne une réponse à cela en disant : « Cherchez d’abord le Royaume des cieux et sa justice et tout le reste vous sera donné en plus. » (Mt 6:32)

    Le Royaume des cieux n’est évidemment pas un pays ou un régime terrestre, mais la façon de Dieu de regarder le monde. Le règne de Dieu, c’est l’échelle des valeurs de Dieu. Il y a 15 jours (P-2017-02-12), j’ai décrit comment l’échelle des valeurs de Dieu était à l’inverse des valeurs de notre monde.

    Contre l’angoisse qui nous habite, Jésus nous encourage à nous décentrer pour regarder au Père qui est bon (puisqu’il habille les lis et nourrit les oiseaux). Le propre de l’angoisse, c’est de nous faire tourner autour de nous-mêmes en nous isolant des autres, en nous esseulant jusqu’à ce que nous nous noyions dans le désespoir de notre solitude. Comme antidote, Jésus nous exhorte à nous décentrer, à cesser de nous regarder nous-mêmes pour regarder au Père et pour regarder autour de soi. Tout le discours de Jésus est en « vous » et ce n’est pas un « vous » singulier de politesse, mais un « vous » communautaire et solidaire.

    La première mesure contre l’angoisse, c’est de se tourner vers le Père, au lieu de ruminer sur soi-même. La seconde mesure, exprimée par le Sermon sur la Montagne, c’est d’adopter un ordre de priorités différent. Jésus parle du vêtement et du corps, de la nourriture et de la vie, pour nous rappeler que ce qui a une vraie valeur, c’est le corps et c’est la vie. La vie et le corps nous ont déjà été donnés. La nourriture et le vêtement leurs sont subordonnés. Si Dieu nous a déjà donné l’essentiel, pourquoi voir le verre à moitié vide ?

    Nous pouvons remettre les priorités dans le bon ordre, les valeurs de Dieu avant celle du monde, ce qui est déjà reçu avant ce qui pourrait manquer, la confiance avant la peur du lendemain.

    Regardons autour de nous et voyons combien nous avons déjà reçu, combien nous sommes déjà riches, combien nous sommes déjà comblés. Voyons l’essentiel qui est déjà là et nous n’aurons plus à perdre notre présent comme Ésaü ou gagner notre avenir par la ruse comme Jacob. Ne nous inquiétons pas, faisons le pari de la confiance !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017