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Clamans - Page 18

  • L’Ascension

    Marc 16
    5.5.2016
    L’Ascension

    Jean 3 : 11-16       Jean 12 : 27-32       Marc 16 : 19-20

    Télécharger le texte : P-2016-05-05.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous fêtons aujourd’hui le jour de l’Ascension, c’est-à-dire le moment où Jésus quitte ses disciples après les apparitions qui suivent Pâques. Ce que les Evangélistes doivent exprimer n’est pas facile ! Jésus part, mais il reste. Jésus n’est plus là, mais il est toujours présent. Il nous a quitté, mais il n’est pas mort, il est vivant.
    Pour exprimer cela, les Evangélistes recourent aux précédents qui sont mentionnés dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire l’enlèvement au ciel d’Hénoch (Gn 5:24) et du prophète Élie (2 R 2:11). Plus tard au XIXe siècle l’Eglise catholique y aura encore recours pour l’Assomption de Marie.
    Les Evangiles ont donc recours à cette mesure plutôt mythologique pour exprimer le paradoxe inexplicable du départ de Jésus (il ne va pas continuer à apparaître indéfiniment) et de la permanence de sa présence auprès de ses disciples.
    Les Evangélistes s’expriment avec le plus de sobriété possible : pas de char de feu comme pour Elie, juste un départ vers le ciel, une disparition dans la nuée. Ce qui est important, c’est la destination céleste, au sens théologique du ciel comme dimension divine. Vous vous souvenez de la phrase qu’à dit (ou qu’on a fait dire à) Youri Gagarine : «j’étais dans le ciel et j’ai bien regardé : je n’ai pas vu Dieu !» C’est normal : Gagarine est monté dans la stratosphère, il n’est pas monté au ciel au sens biblique. Il est important de distinguer le langage matériel et le langage symbolique ou théologique. Être dans la lune n’a pas le même sens que marcher sur la lune.Avec le récit de l’Ascension nous avons un récit théologique, qui — parce qu’il est théologique — est beaucoup plus riche que si nous avions une description matérielle. Examinons les différents sens portés par ce récit.
    1) L’affirmation selon laquelle Jésus monte au ciel indique que Jésus appartient bien au monde divin. Il est venu de Dieu et il retourne à Dieu. Vis-à-vis de ceux qui pensaient que la mort de Jésus sur la croix était l’expression d’une malédiction, d’une disqualification de Jésus, le récit de l’Ascension affirme que ce Jésus crucifié est bien toujours en bonnes relations avec Dieu. Dieu ne l’a pas abandonné. Au contraire, il l’a recueilli, accueilli et accepté auprès de lui. Il n’y a pas de distance entre ce Jésus et Dieu.L’Évangéliste Jean fait même de la croix le lieu de l’Ascension, de l’exaltation de Jésus. C’est sur la croix que Jésus est élevé de la terre (Jn 12:32). Jean compare même la croix de Jésus au serpent d’airain que Moïse élève dans le désert et que chacun doit regarder pour être sauvé (Jn 3:14-15). Pour l’Evangéliste Jean, le salut tout entier se joue sur la croix et il y condense Vendredi-saint, Pâques, l’Ascension et Pentecôte. Sur la croix « tout est accompli » comme l’exprime la dernière parole de Jésus sur la croix (Jn 19:30). L’Ascension affirme donc en premier lieu la divinité de Jésus, sa proximité, sa parenté à Dieu.
    2) Ensuite l’Ascension affirme que Jésus est associé au règne de Dieu. « Jésus s’est assis à la droite de Dieu »(Mc 16:19). Cela signifie, dans le vocabulaire de l’époque, que Jésus est le bras droit de Dieu, celui qui exerce le pouvoir. Comme un premier ministre dirige pour le président. Jésus est donc vraiment « Seigneur » avec tous les pouvoirs. Il y a unité d’esprit et de projet, même volonté à l’égard des humains, Jésus règne.
    On est un peu piégé par notre vocabulaire, parce qu’on voit trop de personnes séparées. Or la Trinité représente un seul Dieu, sous trois manifestations différentes, mais sans perdre leur unité. Dieu, Jésus et l’Esprit Saint forment le même Dieu qui dirige l’univers, comme l’électricité est une seule force qui peut s’exprimer sous forme de lumière, de chaleur ou de mouvement.
    L’important ici, c’est de reconnaître que le Jésus crucifié est celui qui règne, le Jésus serviteur est celui qui règne, ce qui donne une couleur très spéciale à ce règne. Un règne qui se fait sans oppression, sans contrainte, dans l’amour.
    3) Une troisième dimension de l’Ascension et de faire passer le message que cette montée au ciel ouvre un chemin, au passage, une liaison entre la terre et le ciel, entre l’humain et le divin, entre le matériel et le spirituel. « Quand j’aurais été élevé, j’attirerai tous les hommes à moi » dit Jésus (Jn 12:32).
    L’œuvre de Dieu continue. Elle n’est pas terminée. C’est un processus qui va continuer jusqu’à la fin des temps. Ce que Dieu a commencé auprès d’Abraham — se rapprocher, se réconcilier avec les humains — Jésus l’a accompli et cela se réalise pour tous les humains présents et à venir. La porte du ciel est ouverte à tous ceux qui saisissent l’offre de Dieu. L’échelle de Jacob n’est pas réservée aux anges, le chemin du ciel est ouvert pour nous.
    4) Enfin, le départ de Jésus s’accompagne d’une lettre de mission pour les disciples et pour toute l’Eglise. Lorsque Jésus se retire, tout ne s’arrête pas : au contraire tout commence sur la terre. Il fallait ce départ de Jésus pour que le témoin soit transmis. C’est particulièrement flagrant dans le récit de Marc. Aussitôt Jésus disparu « les disciples s’en allèrent prêcher partout. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les miracles qui l’accompagnait.» (Mc 16:20).
    L’Ascension correspond à un envoi en mission. D’ailleurs si vous lisez la finale de Matthieu, ce dernier n’a gardé que l’envoi en mission (celle qu’on rappelle lors des baptêmes) sans mention d’Ascension : « tout pouvoir m’a été donné, dans le ciel et sur la terre : allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant (...) leur enseignant à observer mes commandements. Et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.» (Mt 28:18)
    L’Ascension ouvre le temps de la parole, du témoignage, du service. L’Ascension ouvre le temps de l’Eglise — seul Luc décale ce temps de dix jours jusqu’à la Pentecôte — un temps où Dieu s’incarne dans chaque disciple, dans chaque être humain. L’Évangile devient notre responsabilité, notre mission, une mission soutenue par la présence de l’Esprit saint.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Quand le détail nous fait perdre l’essentiel.

    Luc 11
    1.5.2016
    Quand le détail nous fait perdre l’essentiel.

    Deutéronome 14 : 22-29     Luc 11 : 37-42
    Télécharger le texte : P-2016-05-01.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il y a des textes bibliques qui sont absents des lectionnaires, ces listes de texte biblique proposés aux pasteurs pour chaque dimanche de l’année. Le texte de Luc que vous venez d’entendre et qui se prolonge, rythmé de « Malheur à vous pharisiens…» en fait partie. C’est vrai que ce sont des textes souvent difficiles à entendre. Mais ici, nous avons une petite perle, et il serait dommage de passer à côté de cette rencontre de Jésus avec ce pharisien.
    C’est un récit remarquable qui montre le génie de Jésus, sa capacité de rebondir sur des situations toutes simples de la vie quotidienne et en tirer un enseignement profond et tout à fait actuel, même au XXIe siècle ! Nous verrons comment ces paroles de Jésus concernent aujourd’hui les scandales qui font la Une des journaux. Mais voyons le récit en détail. Jésus est invité à un dîner chez un pharisien. Quand ils sont à table, le pharisien s’étonne de ce que Jésus n’ait pas pratiqué les ablutions rituelles.
    Ici, il n’est pas question de se laver les mains pour des raisons d’hygiène, mais d’être en règle avec Dieu, par une mesure de purification, au moyen des ablutions. Vous vous souvenez de ces vases de pierre dont il est question dans les noces de Cana. Il devait y en avoir dans chaque maison. Donc le pharisien fait une remarque de type religieuse à Jésus. Il met en question le rapport de Jésus à Dieu (ce qui est déjà ironique pour nous).
    Jésus va profiter de cet épisode de la vie quotidienne, de la vie ordinaire, pour en faire un enseignement fondamental. Pour les pharisiens, il est fondamental d’obéir à la Loi jusque dans les plus petits détails, pour montrer son attachement à Dieu. Pour eux —  pour les calvinistes souvent aussi — c’est dans les petits comportements que se jouent les grandes valeurs. Les petits manquements sont aussi graves que les grands. Le problème n’est pas avec cette idée, Jésus là aussi exposée et soutenue dans la parabole des Talents : « Celui qui est fidèle dans les petites choses le sera aussi dans les grandes » (Mt 25).
    Ce qui fait problème à Jésus, c’est lorsque l’arbre cache la forêt, lorsque l’attachement au détail prend une telle énergie qu’il n’en reste plus pour l’essentiel. Jésus va l’exprimer dans les catégories du dedans et du dehors. Il fait remarquer à son hôte que laver l’extérieur ne dispense pas de purifier l’intérieur. Et Jésus le fait avec ce génie rhétorique qui lui est propre : il transpose le principe du pharisien du corps à la vaisselle ! Personne ne va vouloir manger dans un plat qui m’a été lavé qu’à l’extérieur ! Il n’y a qu’un insensé pour faire cela.
    Ensuite Jésus renvoie à la création de l’être humain par Dieu. Dieu a créé l’être humain, intérieur et extérieur ensemble, comme une unité. Ce qui est sous-entendu, c’est que le rapport est Dieu passe par l’intérieur, par l’intériorité de l’être humain. C’est donc l’intérieur qu’on doit veiller à purifier ou garder pur autant que l’extérieur.
    En fait, Jésus reconnaît l’intention bonne du pharisien de se purifier pour être dans une bonne relation avec Dieu, mais il lui fait remarquer — un peu brutalement — que le moyen est inadéquat. Et — pour ceux qui ont des oreilles pour entendre — Jésus donne le bon moyen, littéralement : « Donnez du dedans, avec miséricorde, et vous serez purs. » (Luc 11:41)
    On peut faire deux lectures de cette parole. 
    1) une lecture matérielle — comme la traduction en français courant — « Donnez plutôt en aumône ce qui est dans vos plats et tout sera pur pour vous » ou bien 
    2) une lecture spirituelle : «Donner du dedans, de votre être intérieur, avec miséricorde, avec compassion, et tout sera purifié en vous. » Par cette parole, dont je préfère la lecture spirituelle, Jésus nous invite à puiser en dedans de nous-mêmes, dans notre être-même, l'élan de miséricorde, c'est-à-dire l'élan qui se penche vers la misère des autres, de la même manière que Dieu s'est penché sur la misère de son peuple en esclavage en Égypte. Ce qui rend pur, c’est-à-dire ce qui rend agréable à Dieu, ce ne sont pas des marques extérieures d’obéissance, mais une disposition intérieure tournée vers la sollicitude envers autrui.
    Ainsi, le résultat, recherché par le pharisien dans les ablutions, s’obtient pour Jésus par l’attention réelle portée à la détresse de son prochain. C’est là que se joue la relation à Dieu. Jésus nous fait donc passer d’une relation aux choses (la dîme) ou au corps (l’ablution) à une relation aux personnes. C’est là que se déplace le critère, la mesure de l’attachement à Dieu. Ensuite Jésus résume tout cela dans sa parole de deuil ou de malédiction : « Malheureux êtes-vous, pharisiens, qui donnez à Dieu la dîme de chaque plante de votre jardin, mais négligez la justice et l’amour !» (v.42)
    Je ne sais pas si vous avez remarqué une particularité dans les commandements du Deutéronome concernant la dîme ? La dîme est bien consacrée à Dieu — elle doit donc être consommée dans le Temple — mais elle n’est ni donnée aux prêtres, ni consommées par les prêtres, mais par le donateur et sa famille ! « Là, vous achèterez tout ce dont vous aurez envie (de la viande et de l’alcool) et vous les consommerez joyeusement avec vos familles… » Tous les trois ans, cette dîme servira de réserve pour les nécessiteux de la ville. Le but du don de la dîme est bien l’amour et la justice.
    Pour Jésus, il est non seulement important de redéfinir où se joue la relation à Dieu : dans l’attention aux personnes, mais surtout de redéfinir les priorités. Où est l’essentiel ? L’essentiel n’est pas dans les détails. L’essentiel, c’est que les grandes valeurs soient appliquées, mise en pratique. Rien — pas même le texte écrit de la Loi, encore moins les arguties juridiques — ne doivent faire oublier les valeurs essentielles, parce que ce sont elles — la justice et l’amour — qui ont un impact réel sur la vie quotidienne des populations.
    Et c’est bien ce qui est dit dans la dénonciation des derniers scandales : Lux Leaks, Panama Papers, et optimisation fiscale. Le scandale, c’est qu’il n’y a rien d’illégal dans ses pratiques ! Les lois en vigueur les permettent et nous empêchent de les combattre, mais la justice en tant que valeur est bafouée. Je suis sûr que Monsieur Schneider-Ammann est un homme honnête et qu’il signalerait à la caissière du supermarché si elle lui rendait trop de monnaie. Malgré cela il a pratiqué — sans fraude — l’optimisation fiscale pour son entreprise.
    Ce que Jésus nous dit en parlant à ce pharisien qui l’a invité à dîner, c’est qu’il ne faut pas perdre de vue les valeurs supérieures (la justice et l’amour) dans chacun de nos gestes. Et qu’il ne faut pas être aveuglé par notre honnêteté dans les petites choses au point de « filtrer le moucheron et d’avaler le chameau », une autre parole de Jésus (Mt 23:24).
    Il semble qu’à partir d’une certaine échelle (de millions ou de milliards), l’esprit se déconnecte de la réalité, et bien plus grave à cette échelle, c’est le contrôle éthique des comportements qui subitement se débranche, comme on le voit dans le scandale de VW et d’autres entreprises automobiles.
    Jésus met en garde contre ces deux fléaux contemporains : 1) Penser qu’on peut afficher longtemps une belle façade avec un intérieur corrompu. 2) Penser que tout ce qui est légal et forcément juste. Le génie de Jésus, c’est de nous faire voir de telles vérités universelles et intemporelles à partir d’une simple scène de la vie quotidienne.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Le récit de la Passion de Jésus est porteur d’espérance

    Jean 19
    25.3.2016
    Le récit de la Passion de Jésus est porteur d’espérance
    Jean 19 : 16-37
    Télécharger le texte ici : P-2016-03-25.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Trois jours après les attentats de Bruxelles qui nous font désespérer du monde, nous nous rappelons la mort de Jésus, une autre mort violente, absurde. Les récits de la Passion nous racontent et nous rappellent années après années un fait désespérant : la violence s’abat sur des innocents et nous regardons ce spectacle chaque fois sidérés et impuissants.
    Pourtant le récit de la Passion selon l’évangéliste Jean n’est pas teinté de désespoir et d’impuissance. En fait, Jean fait de cet événement désespérant, le lieu d’une espérance, le lieu d’un commencement, le lieu d’un départ vers une nouvelle façon de vivre.
    Jésus parlait en paraboles, nous disent les Évangiles. L’évangéliste Jean a retenu la leçon et — à la suite de Jésus — il nous invite à lire entre les lignes, à chercher dans les événements une symbolique qui nous ouvre à la réalité de Dieu. La spiritualité consiste à voir le divin au-delà ou au travers de la réalité brute. C’est avec ses lunettes-là que nous allons relire le récit de la Passion, pour voir où l’évangéliste Jean nous ouvre des fenêtres vers la réalité divine.
    Jean injecte du symbolique, de la profondeur dans chaque épisode de la Passion de Jésus. D’un événement désespérant, il fait un événement chargé d’espérance, une espérance réalisée pour les lecteurs de sa communauté ! Il nous invite à voir, à comprendre ce qui se passe réellement sur la croix — au delà du supplice de Jésus. Il nous montre comment cet événement — à première vue absurde est désespérant (c’est comme cela que le vivent, par exemple, les témoins d’Emmaüs sur leur chemin, Luc 24 :17-18) — comment cet événement est porteur de sens et d’espoir.
    Jean nous permet de « retourner » cet événement, cette page noire de l’Évangile, en moteur d’espoir et de vie. Quatre passages montrent cela. Dans ces quatre passages, Jésus perd quelque chose qui va devenir un gain pour la communauté de l’Eglise. Il perd (1) ses habits, (2) sa mère, (3) sa vie, (4) le sang et l’eau qui coulent de son côté. Reprenons ces quatre pertes l’une après l’autre.
    1. Jésus est dépouillé de ses vêtements et de sa tunique. Cela montre son humiliation, il est mis à nu, dans une vulnérabilité totale. Les soldats se partagent ses habits, mais tirent au sort sa tunique qui est faite d’une seule pièce. Les Pères de l’Eglise y ont vu symboliquement, en même temps la dissémination des croyants — de la foi — aux quatre coins de l’empire romain et la permanence de l’unité de l’Eglise. Saint Augustin l’exprime dans ces termes : «le vêtement de notre Seigneur Jésus-Christ divisé en quatre pièces représente son Eglise distribuée en quatre parties, c’est-à-dire répandue partout dans le monde. (...) graduellement elle y réalise sa présence dans toutes ses parties (...). Quant à la tunique tirée au sort, elle symbolise l’unité de toutes les parties ensemble par le lien de la charité. »* Jésus est dévêtu, mais les chrétiens sont revêtus de sa gloire. Jésus est dépouillé, mais les chrétiens sont enrichis de sa grâce. Jésus est humilié comme un esclave, mais les chrétiens sont élevés au rang d’amis du Christ. La croix n’est pas le lieu de la mort de l’humanité, mais le lieu de son élévation.
    2. Ensuite vient l’épisode de Jésus qui remet sa mère aux bons soins du disciple bien-aimé. C’est le moment émouvant et terrible où Jésus se sépare de sa mère. Il va en être séparé par la mort. A ce moment, à cette heure, Jésus est actif et confie sa mère au disciple bien-aimé. C’est le geste symbolique de la création de la communauté de l’Eglise. Jésus confie l’Eglise au disciple bien-aimé qui va désormais la conduire, à la place de Jésus. C’est ce disciple bien-aimé qui est institué responsable de la transmission du message de Jésus. L’heure de la mort de Jésus est considérée par l’évangéliste Jean comme l’heure de l’élévation et comme l’heure de la création de l’Eglise en tant que telle. De cette mort naît la nouvelle communauté, celle qui va faire vivre le message Jésus, la nouvelle communion à Dieu, dans l’amour.
    3. Cette transmission se réalise en fait pile au moment de la mort de Jésus. C’est le troisième élément symbolique. Au moment de mourir, Jésus dit cette dernière parole : «tout est fini / accompli / achevé / parachevé. Pour l’évangéliste Jean, tout ce joue au moment de la mort de Jésus : la mort, l’élévation et la Pentecôte. Après que Jésus dit que tout est accompli, il baisse la tête et remet l’esprit. La façon réaliste de lire «remettre l’esprit» c’est de penser « rendre l’âme » c’est-à-dire mourir. Mais la façon symbolique de lire cela, c’est de lire littéralement le grec : Jésus livre, délivre l’esprit. Jésus donne l’Esprit saint à l’Eglise, à ses disciples. Le verbe traduit par «remettre» est aussi celui qui est utilisé quand Judas «livre» Jésus lors de son arrestation. C’est apporter, donner, livrer, faire une livraison. Et pour l’esprit, le grec ancien n’a pas de minuscules ou de majuscules, c’est aussi bien l’esprit de Jésus ou l’Esprit de Dieu. Mais l’Évangile n’a-t-il pas enseigné tout du long que Jésus était justement habité par l’Esprit de Dieu ? Ainsi Jean laisse-t-il entendre que Jésus donne l’Esprit saint, ici, sur la croix, à son Eglise et à ses disciples. Voici l’heure du don du Paraclet, de l’Esprit saint.
    4. Reste la quatrième perte, celle du sang et de l’eau. Qu’est-ce que cela nous dit ? C’est un récit qu’on ne trouve que dans l’Évangile selon Jean. Au premier niveau, le coup de lance au cœur atteste de la mort de Jésus, contre certains courants qui pouvaient dire que l’agonie de Jésus avait été trop courte et qu’il avait été descendu de la croix avant d’être vraiment mort. Mais la lecture symbolique est plus riche. À quoi nous font penser le sang et l’eau dans les Évangiles ? L’eau est symbole du baptême. Le baptême prend son sens le plus profond comme assimilation à la mort et à la résurrection du Christ. Par le baptême nous revivons le parcours du Christ, nous sommes assimilés à lui et à sa vie divine. Ensuite le sang est symbole de la sainte-cène. Le sang, c’est la vie, la vie partagée dans le vin de la coupe de cène. La cène renvoie au corps du Christ rompu sur la croix, signe de sa présence pour nous. La cène renvoie au sang versé sur la croix, symbole de sa vie répandue pour la multitude, pour toute la communauté de l’Eglise. Jean ancre ainsi les deux sacrement de l’Eglise dans la Passion même du Christ. La croix devient porteuse de la vie de la communauté de l’Eglise.
    Du récit d’une mort absurde et cruelle, vaine et désespérante, l’évangéliste Jean passe à un récit porteur d’espérance et de vie. Ils montre que la mort de Jésus n’est pas vaine, elle est créatrice de vie, créatrice d’une nouvelle vie communautaire. De la vulnérabilité acceptée de Jésus, l’Eglise reçoit sa force. De l’abandon des liens familiaux de Jésus, l’Eglise reçoit des témoins conducteurs et la possibilité pour chacun de devenir le disciple bien-aimé de Jésus. De la remise de son esprit à Dieu, l’Eglise reçoit le Paraclet, l’Esprit saint qui anime la vie de l’Eglise. Du don de la vie de Jésus, l’Eglise reçoit les sacrements qui la constituent et la nourrissent.
    La mort de Jésus — bien loin d’être désespérante et vaine — devient source de vie, de force et d’espérance. Que nous aussi, nous puissions nous nourrir de cette vie et de cette espérance et devenir lumière dans ce monde obscurité !
    Amen

    * cité dans Zumstein, L’Evangile selon saint Jean (13—21), Commentaire du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2007, p.246.

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • La valeur assurée de l’être humain

    2 Corinthiens 5
    6.3.2016
    La valeur assurée de l’être humain

    Genèse 3 : 8-19        2 Corinthiens 5 : 17-21

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans ce temps de Carême, nous sommes invités à nous tourner vers le Christ, à regarder son ministère et le chemin qui l’emmène vers Jérusalem et son destin. Jésus a assumé ce chemin qu’il sait conduire à Vendredi-saint et à Pâques. Il choisit de donner sa vie pour l’humanité, pour nous.
    Tous les récits du Nouveau Testament essayent d’expliquer ce chemin et les changements que ce destin de Jésus amorce dans le monde. Chaque auteur du Nouveau Testament essaie, dans ses mots et dans ses catégories et celle de ses auditeurs, d’illustrer, d’expliquer, de montrer ce que Jésus change, transforme.
    C’est aussi ce que Paul fait dans ce passage de 2 Corinthiens 5 que vous venez d’entendre. Paul se sert de deux références pour expliquer ce que signifie le fait de « vivre en Christ » ou d’être « uni au Christ », la référence à la nouveauté et la référence à la réconciliation.
    1) Paul commence avec la nouveauté en disant : « Dès que quelqu’un est uni au Christ, il est une nouvelle créature, ce qui est ancien à disparu, ce qui est nouveau est là. » (2 Co 5 :17) En parlant de « nouvelle créature », Paul fait allusion à la création et au récit de Genèse 2 et 3 qui raconte comment Dieu a créé l’humanité en Eden, comme un monde idéal où il n’y a pas de séparation entre l’homme et Dieu et entre les humains.
    Cependant à voir le monde tel qu’il est par rapport à tel qu’il a été voulu, il doit y avoir eu un « bug » à un moment donné. La Genèse l’explique par la faute humaine. La transgression humaine crée une division, une séparation qui provoque une dégradation du monde, illustrée par la sortie du jardin d’Eden. Plus rien n’est comme avant, le malheur et la dureté de la vie sont là. L’être humain vit dans la dysharmonie avec ses semblables et dans la séparation d’avec Dieu. Pour que le monde soit tel que nous le voyons, quelque chose a été irrémédiablement rompu, détruit. Dans ce contexte de dégradation, Paul annonce que l’union avec le Christ ouvre une ère nouvelle, une re-création, où ce monde dégradé appartient au passé. L’être humain devient une nouvelle créature, dans un monde rénové, ré-harmonisé, recréé, et — cela ouvre à la seconde référence — réconcilié avec Dieu.
    2) En effet, la seconde catégorie que Paul développe pour dire l’effet de la vie du Christ est celle de la réconciliation. La réconciliation s’oppose à la séparation, à la désunion. La réconciliation est de l’ordre de la restauration de la situation première voulue par Dieu lors de la création : la possibilité d’une vie harmonieuse et unie entre Dieu et les êtres humains, les êtres humains entre eux et les êtres humains avec la création, la nature.
    La dysharmonie du monde, ou entre les êtres humains, est patente. Nous éprouvons un monde qui va de plus en plus mal, qui court à sa perte, tellement il y a de tensions et de volontés contraires. On n’arrive pas à se mettre d’accord sur le désarmement, sur la préservation de notre environnement, sur la sauvegarde des emplois etc. Nous avons besoin de ré-harmonisation, de ré-unification, de réconciliation. Nous sommes nostalgiques de temps meilleurs. Le Christ nous dit que ces temps ne sont pas derrière nous, mais devant nous, comme des temps nouveaux.
    Paul explique que Dieu avec le Christ ont accompli cette réconciliation et qu’elle est là pour nous, et pour que nous en fassions notre mission. Paul parle de nous comme des ambassadeurs de cette réconciliation (v. 20). Cette réconciliation a été réalisée par le Christ, par un mécanisme de substitution. Il a pris notre place et nous avons été conduit à sa place (v. 21). Voilà les deux références — nouveautés et réconciliation — que Paul utilise pour faire comprendre à ses auditeurs l’œuvre du Christ pour eux.
    Comment pouvons nous exprimer cette œuvre aujourd’hui pour nos concitoyens, nos contemporains, dans un vocabulaire qu’ils puissent comprendre, sachant qu’ils ne connaissent plus les références à l’Ancien Testament que Paul met en avant. Quelles sont les préoccupations de nos contemporains ? Dans quels termes expriment-ils leurs préoccupations, leurs doutes face à la société d’aujourd’hui ? Je vais en retenir deux : le sentiment de perte des valeurs sociales et le sentiment de ne rien valoir soi-même.
    A. Commençons par le sentiment répandu que tout est égal, qu’il n’y a plus de valeurs partagées. C’est l’idée que chacun peut faire comme il veut selon son système de croyances. Tout le monde a raison, on n’a plus le droit de dire que certains comportements ne sont pas admissibles. L’individu est devenu le seul référent. « Ça me plaît alors c’est bon ! » Cela conduit à une société atomisée ou l’individualité, pour ne pas dire l’égoïsme, est roi. « Personne ne doit me limiter, c’est une atteinte à mes droits ! » Rien ne doit m’empêcher de soigner mon nombril. Évidemment cela crée de l’isolement, de l’écrasement et de l’oppression des faibles par les plus forts. Il y a beaucoup de laissés-pour-compte au bord de la route.
    Et bien l’œuvre du Christ, c’est de donner de la place à ceux qui sont écrasés par l’égoïsme des autres. L’œuvre du Christ c’est de restaurer le lien entre tous les humains en redonnant du sens et de la valeur à la pratique de l’altruisme, à la défense des petits et à la dénonciation des nombrils qui prennent trop de place et écrasent tous les autres.
    B. La deuxième préoccupation de nos contemporains que j’ai choisie, c’est la question de la valeur de soi. Dans le monde économique qui veut s’imposer à tous aujourd’hui, le discours dominant, c’est de dire que la valeur de la personne, est à la mesure de ce qu’elle rapporte en fonction de ce qu’elle produit. Ainsi on parle des employés et du personnel comme des « ressources » humaines qu’il faut valoriser ou jeter comme un Kleenex, si ces gisements sont épuisés ou ne sont plus rentables. Cette forme de discours touche tous ceux qui travaillent, mais envahit maintenant perfidement ceux qui se retrouvent à la retraite et pire encore ceux qui se retrouvent en EMS. « Je suis devenu un poids inutile » entend-on de plus en plus souvent.
    Le message clair du christianisme, à travers l’œuvre du Christ, c’est d’affirmer que tout être humain a une valeur irrévocable. La valeur de l’être humain ne dépend pas de son travail ou de ce qu’il rapporte ou produit ; souvenez-vous de la parabole des ouvriers de la 11e heure, (Mat 20:1-15).
    Une banque nationale assure la valeur de ses billets de banque. Quel que soit l’état d’un billet — chiffonné, déchiré, taché — la banque le remplace à sa valeur faciale. De même Dieu assure la valeur de chaque être humain quelque soit son âge, sa santé ou son statut ! La valeur faciale de chaque être humain, c‘est le Christ. Personne n’a le droit de rabaisser quelqu’un, de le déclarer sans valeur, quand Dieu l’a racheté au prix de la vie de Jésus.
    En ce temps de Carême, qui nous prépare au temps de la Passion du Christ, souvenons nous en qu’elle estime Dieu nous tient, à quelle valeur il nous estime : la valeur de son fils Jésus-Christ. Comme ambassadeurs de ce message de Dieu pour tous les humains sur cette planète, nous sommes porteurs d’un beau message, d’un message d’espérance et de réconfort pour tous. Soyons fiers de l’œuvre du Christ pour le monde. Soyons fier de ce message. Nos concitoyens en ont besoin, ils l’attendent.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5
    31.1.2016
    Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5 : 27-30         Matthieu 15 : 10-11+15-20
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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, j’ai choisi ce texte difficile du Sermon Sur la Montagne qui parle de l’adultère (Mt 5:27-30). Mais je ne vais pas parler de conjugalité ou de sexualité. Ces paroles de Jésus vont bien au-delà d’une question de morale sexuelle. Ce qui est intéressant — primordial — dans ces paroles, dans cet enseignement, c’est la posture de l’être humain mise en place par Jésus. Ce récit est une réponse à la question sous-jacente : dans les situations de tentations, qui est responsable, où sont les responsabilités ? Quand l’occasion d’être tenté se présente, que dois je faire ? Quelle est ma responsabilité et celle de l’autre ?
    Prenons un exemple, disons, un billet de banque ou un millefeuilles traîne sur le bureau de mon collègue dans notre open-space. Puis-je le prendre en me disant : « Tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas le laisser traîner ! » ? Ou bien dois-je le laisser là et y renoncer ? Là c’est un objet inerte, c’est peut-être facile pour nous. Mais si c’est une situation qui implique d’autres personnes ? Trois situations de cette sorte ont été évoquées en détail dans les médias récemment :
    - D’abord les violences de Cologne à Nouvel-An, où des femmes ont subi des violences et des attouchements non désirés dans la foule.
    - Ensuite un enseignant juif de Marseille a été attaqué et blessé. Le président du consistoire juif de Marseille à recommandé à ses fidèles d’être prudents et de renoncer à porter la kippa dans la rue jusqu’au retour de jours meilleurs.
    - Enfin la missionnaire bâloise Béatrice Stockli a été enlevée par AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) pour la deuxième fois au Nord du Mali. Un journaliste pose la question : « Jusqu’où doit-on aller pour secourir une tête brûlée ? *»
    Dans ces trois situations on a entendu des gens soulever le problème de la responsabilité ou de l’imprudence des victimes : « N’est-ce pas imprudent pour des jeunes femmes de sortir le soir dans un espace public ? » ; « N’est-il pas imprudent de montrer qu’on est juif dans un quartier où il y a des musulmans ? » ; «  N’est-il pas imprudent pour une occidentale d’habiter ou de continuer à habiter (elle y vivait depuis des années) dans un pays où sévit AQMI ? » Ainsi, selon certains, les victimes sont coupables de s’être trouvées là où il ne fallait pas, de s’être habillées comme cela ne convenait pas, de porter un signe religieux distinctif où cela pouvait être pris pour une provocation.
    Que pouvons-nous dire sur ses propos, depuis une position chrétienne, qui repose sur l’enseignement du Christ ? Reprenons le passage du Sermon Sur la Montagne. Jésus cite une ligne du Décalogue : « Tu ne commettras pas d’adultère » et il la réinterprète à sa façon : « Celui qui regarde une femme pour la désirer commet l’adultère dans son cœur. » (v.28)
    Décomposons la séquence. Première étape : Un homme voit une belle femme qui passe. C’est l’événement déclencheur. Cela arrive, simplement. On ne peut pas marcher dans la rue les yeux fermés ! Cet homme est frappé par cette beauté. Jusque-là c’est neutre, il n’y a qu’une image.
    Mais, deuxième étape, cette image fait naître en lui une émotion : admiration, plaisir,  désir. C’est là qu’on se trouve à un tournant. À tout moment peut naître en nous une émotion, c’est quelque chose de spontané en nous que rien ne peut éviter. Cela surgit. Tout à coup on peut avoir peur, ou éprouver de la colère ou du dégoût ou de la tristesse. Cela — ce surgissement— nous ne pouvons pas l’éviter.
    Mais nous avons quelque chose à en faire, c’est la troisième étape. C’est à nous qu’appartient de savoir comment nous allons gérer ou transformer cette émotion. Allons nous la contrôler ou la laisser s’échapper ? Allons-nous simplement sourire au plaisir d’avoir croisé une belle femme ou allons nous fantasmer pendant des heures ? Cette troisième étape, c’est ce que j’appelle la résolution. C’est là qu’intervient notre intention, notre volonté. Dans le texte, c’est le passage du regard au désir.
    C’est dans la résolution que notre responsabilité est engagée. C’est sur la résolution que Jésus met l’accent, il y consacre les versets 29 et 30, qui sont d’une grande violence : «Si ton œil ou ta main est occasion de chute, débarrasse-t-en ! Il vaut mieux perdre un membre que de se perdre tout entier. » Une remarque importante, qui désamorce l’aspect violent. Tout ce que dit Jésus se passe dans le théâtre intérieur de la personne. Il n’y a ni juge, ni tribunal, ni bourreau pour arracher l’œil ou couper la main. C’est un processus totalement intérieur et autonome, une réflexion personnelle sur son propre être et son propre devenir.
    Que tout se passe dans ce théâtre intérieur, sans intervention extérieure, est très important. Cela veut dire qu’aucun facteur extérieur de tentation n’est déterminant. Aucun de ces facteurs extérieurs ne peut orienter la résolution ou exempter de la responsabilité personnelle. En d’autres termes, la femme — aussi belle soit-elle — n’est pas responsable de la décision intérieure de l’homme. Elle n’a pas à modifier son comportement, à ce cacher, à se voiler ou à disparaître de la scène publique. C’est à l’homme de se maîtriser et d’assumer la responsabilité de ses émotions, de ses sentiments, de ses désirs.
    Jésus a repris cela lorsqu’il parle de ce qui entre en nous et ne peut pas nous contaminer (Mt 15:11). Par contre, il insiste sur le fait que c’est ce qui sort de notre cœur (dans la vision de l’être humain qu’a la Bible, le cœur est le siège de notre volonté), c’est-à-dire comment nous agissons, ce que nous exprimons, comment nous dirigeons notre volonté qui détermine la qualité de nos comportements. C’est la résolution de notre émotion première dont nous sommes responsables.
    Il y a là un clair refus de l’extériorisation de la contamination ou de la provocation ou de la tentation. C’est sur ce principe de responsabilité personnelle, intérieure, que s’est bâtie notre société occidentale. Et cela vient directement de la bouche de Jésus ! Je suis responsable de ma vie intérieure, de mes émotions et de mes pulsions, de mes réactions, de ma résolution. Je ne peux pas en blâmer l’autre et lui faire assumer la responsabilité de mes comportements. Cela bannit quelques phrases qu’on entend trop souvent et qui reviennent à blâmer la victime : « Elle l’a bien cherché », « Il/elle l’a provoqué en portant (choisissez votre accessoire) la kippa, le voile, la mini jupe…
    Le christianisme est bâti sur la confession que la condamnation de Jésus était injuste, qu’il n’avait rien fait pour mériter cela. Que c’était un homme juste, injustement blâmé et condamné. C’est pourquoi les chrétiens devraient être en première ligne pour débusquer et dénoncer tous les propos qui blâment les victimes, qui les rendent responsables de ce qui leur arrive, des violences qu’elles subissent.
    Nous avons le devoir de rappeler aux violents que leur violence vient d’eux-mêmes et pas des comportements de leurs victimes. C’est à eux de changer — pas aux victimes — que ce soit à Cologne, à Marseille ou au Mali.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

     

    * TSR, Journal du matin du 28.1.2016 à 7:53 (enregistrement TSR, minute 18:54)

  • Rappeler qu’on peut rencontrer tout le monde.

    Luc 7
    17.1.2016
    Rappeler qu’on peut rencontrer tout le monde.

    Luc 7 : 36-50       Luc 19 : 1-10

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Vous avez entendu le récit de deux rencontres que Jésus a faites, l’une chez Simon le pharisien, avec une femme que les gens de la maison disqualifiaient et l’autre avec Zachée, un homme méprisé et haï par les habitants de son village pour sa rapacité.
    J’ai choisi ces deux récits, parce qu’ils sont représentatifs des rencontres que Jésus se permettait.
    A. Jésus osait aller au devant des autres et faire des rencontres improbables ou carrément interdites. Dans un pays occupé, il rencontre des romains, il guérit même le serviteur d’un officier romain (Lc 7:1-10). Il rencontre des agents du fisc qui récoltent l’impôt pour l’occupant, c’est le cas de Lévi/Matthieu (Mt 9:9-13) et Zachée. Il converse avec des étrangers, des syriens (Luc 6:17-19), des cananéens (Mc 7:24-30), des samaritains (Jn 4). Il parle, voir il touche ou est touché par des femmes (Mt 9:20-22), ce qui était considéré comme absolument inconvenant. Il entre en contact avec des handicapés, des infirmes, des malades et des personnes bannies de la société pour le risque de contagion : les lépreux (Luc 17:11-19).
    Les Evangiles nous racontent toutes ces rencontres pour nous dire à quel point Jésus sortait de l’ordinaire, bousculait les barrières sociales, combien il n’avait pas peur des conventions et du qu’en-dira-t-on. Il ne le faisait pas pour choquer ou ridiculiser la société dans laquelle il vivait. Il faisait cela pour transmettre le message divin suivant : Devant Dieu chaque être humain a la même valeur ; Devant Dieu chaque être humain est important ; Tous peuvent vivre ensemble devant Dieu ; Tous peuvent vivre les uns avec les autres : les barrières peuvent tomber.
    B. Quand Jésus renverse les barrières, ce n’est pas pour détruire, mais pour construire le vivre ensemble. Dans chaque rencontre, il repêche la personne exclue, limitée, handicapée, pour la remettre debout et la réintroduire dans sa communauté de vie. C’est pourquoi tant des rencontres de Jésus nous sont racontées sous la forme de guérisons, de résurrection ou de démons chassés. Jésus est là pour redonner de la vie, pour redresser ce qui a été tordu, pour réhabiliter ceux qui ont été exclus.
    C. Ainsi, les Évangiles ne sont pas des textes de morale ou des listes de principes. Ce sont des récits qui nous content, qui nous racontent la vie de Jésus. Ils nous racontent son existence parmi les humains pour nous dire qu’un vivre ensemble est possible, qu’il est souhaitable, que c’est même la seule issue pour sortir de la violence du monde.
    Les Evangiles nous disent aussi le coût qu’il y a à se risquer sur cette voie de la rencontre. Jésus se fait des amis parmi les personnes rencontrées, mais il se fait aussi des ennemis parmi ceux qui profitent des barrières et des haines entre groupes différents. Et Jésus en payera le prix, de sa vie.
    Ainsi, les Évangiles et la Bible racontent une vision du monde, celle d’un monde fondé sur l’égale valeur de tous les individus, une valeur garantie en Dieu. La Bible nous raconte un monde où chacun est invité à honorer ce Dieu qui garantit la valeur de chacun. Un monde où chacun est invité à aimer son prochain, puisque ce prochain est aimé de Dieu, que ce prochain est un représentant, une image du Christ lui-même.
    Voici le narratif, l’histoire — en résumé — que l’Évangile, la Bible nous propose, propose à la société d’aujourd’hui ! Une histoire qui dit notre origine commune (tous créés à l’image de Dieu) ; notre présent commun (tous aimé de Dieu) ; et notre destin commun (vivre ensemble en frères et sœurs).
    D. Mais, comme vous le savez, ce message, cette histoire, est aujourd’hui délaissée, n’est plus racontée, enseignée… Le message chrétien est traité de ringard, de vieux, de dépassé. Le christianisme est jeté aux orties avec toutes les autres religions, accusées ensemble de ne susciter que des guerres de religion et des massacres, voir la dernière couverture de Charlie Hebdo. Tout le monde se donne le mot pour dénigrer les religions. Mais qui dit aujourd’hui le besoin de vivre ensemble ? Qui dit d’où nous venons, pourquoi nous sommes ici et quel est notre destin pour l’avenir ? Personne.
    Il n’y a plus de récit commun ! Nous sommes dans une société morcelée où chaque âge, chaque groupe, a des références différentes. Et nos jeunes vont chercher sur YouTube ou sur Google l’histoire du monde et de leur avenir. Au mieux ils y trouvent des séries romantiques et des ados déjantés pour leur expliquer le pourquoi de la vie. Mais ils y trouvent aussi toutes les théories du complot, tous les « illuminati » ou les djihadistes du monde.
    Pas étonnant que tant de personnes — qui n’ont aucun ancrage — partent à la dérive et suivent la première théorie séduisante qui fera d’eux le héros médiatique d’un moment, parfois le moment de leur mort.
    Que voulons-nous pour nos enfants ? Nous avons dans le christianisme une tradition éprouvée, solide, qui met l’amour comme but suprême. Certes, notre tradition chrétienne doit être relue et reformulée en termes compréhensibles pour nos contemporains. Mais je crois fermement qu’elle contient tous les éléments pour un vivre ensemble en paix, dans le respect et la tolérance, y compris de ceux qui trouvent les mêmes valeurs dans une autre doctrine ou une autre religion.
    Jésus, par sa vie et ses rencontres, nous montre trois choses :
    1. On peut rencontrer tout le monde. Chaque personne est un trésor, chaque personne est aimable, quels que soient son origine, sa religion, sa culture.
    2. L’ouverture et la confiance sont des valeurs sûres. Elles nous permettent d’aller à la rencontre de tous et ce mouvement vers les autres, avec ouverture et confiance, les aident à déployer le meilleur d’eux-mêmes.
    3. Cette voie n’est pas facile et elle peut coûter cher. Il y a des ennemis de l’ouverture et il n’y a pas d’autres façons de les rencontrer que d’aller vers aussi, désarmés, au risque de sa vie.
    Jésus n’a cessé de prêcher l’amour et vivre l’ouverture dans toutes ces rencontres, et il en a payé le prix, le prix de sa vie. Mais c’est justement parce qu’il est allé jusqu’au bout, jusqu’au bout avec amour, sans violence et sans haine, que son message est le plus fort, que son message est encore entendu et vécu aujourd’hui, que son message est plus actuel que jamais, que son message est plus nécessaire que jamais.
    C’est ce message d’amour inconditionnel qui vaincra la haine, la violence et la terreur qu’on veut nous imposer. C’est ce message d’espérance que nous avons à diffuser auprès de nos enfants, de nos proches, de nos voisins et dans le monde entier.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz 2016

  • Les mages chez Hérode : un roman d’espionnage

    Pour cette période, retrouvez la prédication : Les mages chez Hérode : un roman d’espionnage

     

  • Des signes pour comprendre qui vient de naître

    Luc 2
    25.12.2015

    Des signes pour comprendre qui vient de naître

    Jérémie 23 : 1-5        Luc 2 : 1-20

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    C’est Noël et nous retrouvons le traditionnel récit de Noël tel que l’évangéliste Luc nous le raconte. Ce récit est construit pour nous ouvrir au mystère de la venue de Jésus, au mystère de cette naissance. Ce récit est construit, moins pour nous raconter exactement ce qui s’est passé au moment de la naissance de Jésus, que pour nous dire qui est celui qui naît et ce qu’il va devenir.
    C’est plus un récit théologique qu’un récit historique. Chaque phrase, chaque mot est choisi pour que nous puissions nous approcher du mystère de cette naissance, et surtout découvrir qui est en train de venir au monde.
    Il y a des éléments directs et factuels, des noms de lieux et des noms de personnes. Et il y a un discours indirect, allusif, comme des mots-valises qui — de manière très résumée  — doivent nous emporter vers d’autres récits et d’autres pensées.
    Dans un cours pour apprendre à raconter des contes, la conteuse nous encourageait à renoncer à dire directement ce que ressentait le héros : « Il est triste » ou « il est joyeux. » Elle nous apprenait à décrire ce qu’on aurait pu voir comme signes sur le héros pour déduire qu’il était triste ou joyeux. Le récit était plus riche si l’auditeur pouvait découvrir par lui-même, grâce à ces signes, ce que ressentait le héros.
    En posant quelques signes indirects, on ouvre tout un univers dans l’esprit de l’auditeur, un univers plus riche que les quelques mots utilisés. Ainsi si la conteuse parle d’odeur de cannelle et de coriandre et du chant des grillons, on est tout de suite emmené quelque part en Orient, et on peut soi-même placer dans le récit la tente du bédouin et les chameaux.
    Il en est de même dans ce récit de la naissance de Jésus, ou la mangeoire mentionnée nous fait placer immédiatement l’âne et le bœuf, les moutons et les dromadaires, même si ceux-ci ne sont pas présents dans le récit.
    C’est comme cela qu’on peut entendre ce récit et découvrir ce qu’il nous dit de ce petit enfant qui vient de naître. Évidemment, nous devons faire un petit effort — puisque nous connaissons la suite de l’Évangile — pour ne pas tenir compte de ce qui suit et nous en tenir à ce récit seulement.
    A. Ce récit — grâce à l’artifice du recensement — nous informe que Jésus est un descendant de David. Cette mention du roi David fait revivre en nous quelques pages de l’Ancien Testament et la promesse d’un Messie descendant de David. Mais bon, tous les descendants de David n’ont pas été le Messie attendu. Donc il faut attendre d’autres indices pour confirmer cette messianité.
    B. Marie et Joseph n’ont pas eu accès à la salle de l’hôtellerie et doivent se contenter d’une étable. Cela nous informe sur le statut économique de la famille. Jésus va être élevé et évoluer dans la pauvreté. Cela contredit plutôt la messianité de Jésus, ou bien cela va nous aiguiller vers un autre type de messianité, celle décrite dans le livre d’Esaïe (voir prédication du 4.12.2011), sous la forme de la figure du Serviteur souffrant. Un Messie qui ne vient pas dans la gloire, qui n’exerce pas son autorité par la force, mais qui porte les souffrances de son peuple.
    C. Ensuite vient l’annonce faite au berger par les anges. C’est l’irruption du divin qui vient apporter un message pour comprendre la naissance de Jésus. On comprend ici qu’il y a un lien tout particulier entre Dieu et ce nouveau-né. Le message est clair, lumineux, transparent. Cet enfant est béni par Dieu, il naît sous sa protection, de par sa volonté. Il reçoit par là au moins une caution divine, si ce n’est un caractère divin.
    Si je résume, on a reçu trois signes concernant ce nouveau-né : il est le fils de David, Messie potentiel ; il est proche de la figure du Serviteur souffrant ; et il est confirmé dans ses titres par la voix des anges.
    C’est clair que c’est déjà suffisant pour faire de Jésus un être important et décisif dans le plan de Dieu. Mais je pense que le récit nous met sur la piste d’une quatrième identité pour Jésus. Jusque-là les trois premiers titres étaient affirmés en clair, le quatrième titre est donné indirectement à Jésus. Le récit nous y faire penser, sans le dire explicitement. Le récit, en effet, travaille en miroir : ce qu’on voit ailleurs va se réaliser avec Jésus. Je crois que c’est cela qui explique que la révélation des anges s’adresse à des bergers qui passent la nuit dans les champs.
    Le récit nous met, indirectement, sur la piste du souvenir de ce qui est dit des bergers et du troupeau dans l’Ancien Testament. Souvenez-vous des paroles entendues dans le livre de Jérémie : Dieu dit « Il y a de mauvais bergers qui laissent mon troupeau dépérir. Eh bien, je vais rassembler moi-même les survivants de mon troupeau. Je les ramènerai à leurs pâturages et je les ferai prospérer. » 
(Jér. 23:1-5)
    Le récit de Luc introduit ici des bergers, des bergers qui reçoivent une révélation divine et qui l’écoutent, qui agissent en fonction de cette voix divine. Ce sont des bergers fidèles : ils se rendent à l’étable et découvrent la véracité de la parole qu’ils ont entendue. Et après avoir vu et cru, ils vont répandre la bonne nouvelle.
    Cette action des bergers nous invite à voir en avance que Jésus va être lui-même le nouveau berger d’Israël, le nouveau berger du troupeau de Dieu, le nouveau berger de tous les égarés, de tous ceux qui se sentent perdus, délaissés, abandonnés.
    Jésus va prendre cette place de guide, de lumière pour guider chacun dans ce monde de nuit et de frayeur. Voici la bonne nouvelle, depuis cette naissance, nous ne sommes plus seuls, nous avons un guide, un berger pour nous conduire avec sécurité dans ces temps d’incertitude.
    Jésus vient, Jésus est là. Joyeux Noël !
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Esaïe 49. Le Christ voit la lumière qui réside en nous

    Esaïe 49
    6.12.2015
    Le Christ voit la lumière qui réside en nous

    Esaïe 49 : 1-6      Ephésiens 5:8-14

    Télécharger le texte : P-2015-12-06.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons sur la table de communion des bougies allumées sur une couronne de l'Avent. Certaines années, nous recevons dans nos boîtes aux lettres une grande bougie avec une sorte d'échelle numérotée de 1 à 24 pour pouvoir l’allumer chaque jour en attendant Noël. Les enfants adorent allumer cette bougie chaque jour, regarder la flamme vaciller. Ils ont les yeux qui brillent. Ils sont tout réjouis.
    Les bougies, la flamme, la lumière qu'elles dégagent, exercent sur nous une fascination. A divers moment de l'année, surtout au mois de décembre, nous allumons des bougies, souvent à placer sur le rebord d'une fenêtre pour manifester notre solidarité avec d'autres :
    • le 1er décembre pour les malades du sida 
• le 10 décembre pour l'application des droits humains dans le monde
    Nous le voyons à chaque fois qu’il y a un drame, les gens apportent des fleurs et allument des bougies pour rendre hommage, pour protester contre la violence, pour faire acte de solidarité avec les victimes. Allumer une bougie et la faire briller devant les autres, pour faire du bien, pour manifester sa solidarité, c'est un signe que nous pouvons tous faire. Mais que signifie-t-il s'il n'est pas accompagné, soutenu, motivé par une disposition intérieure, une disposition de l'âme et du cœur ?
    Dans la période de l'Avent nous attendons, nous rappelons l'attente de la venue de Jésus, de la venue de ce Serviteur dont parle Esaïe : celui qui a été choisi par Dieu, qui a reçu son nom — comprenez son être profond — de Dieu, celui qui est appelé à être LE serviteur, celui qui rassemble les descendants de Jacob, celui qui est la lumière des nations pour étendre le salut jusqu'au bout du monde.
    Il est venu comme Serviteur ! Cet envoyé de Dieu — que nous reconnaissons comme le Messie, le Christ et qui vient à Noël — n'est pas venu pour nous enseigner de nouvelles pratiques religieuses,  n'est pas venu pour nous demander d'accomplir de nouveaux rites (comme d'allumer des bougies ou des sapins de Noël !).
    Il est venu pour changer, transformer notre cœur, notre être intérieur, notre âme, notre compréhension du monde, notre vision des gens autour de nous. Il est la lumière du monde parce qu'il éclaire le monde d'un éclairage différent de notre propre éclairage humain.
     Ce choc des deux éclairages (divin - humain) nous le trouvons au milieu de ce texte d'Esaïe :
    "Dieu m'a dit : « C'est toi qui es mon serviteur, l'Israël dont je me sers pour manifester ma gloire. » Quant à moi, je pensais m'être donné du mal pour rien, avoir usé mes forces sans résultat, pour du vent. Or le Seigneur garantit mon droit, mon Dieu détient ma récompense." (Es 49:3-4).
    Le serviteur pensait avoir échoué dans sa mission, mais voilà que sous l'éclairage de Dieu la mission est accomplie. Lorsque Jésus dit : "Vous êtes la lumière du monde" (Mt 5:14) ne sommes-nous pas tentés de dire : "pas moi" ? Cependant, le Christ l'affirme : "Vous êtes la lumière du monde", non pas par nos propres forces, de notre propre initiative, mais parce que nous sommes sous l'éclairage, sous le projecteur de Dieu.
    Dans la lettre aux Ephésiens, l’apôtre dit que "la lumière révèle la vraie nature des choses" (Eph 5:13). Sous la lumière du Christ, notre vraie nature est révélée, celle que Dieu nous confère, nous offre, celle que Dieu transfigure par sa vraie lumière. La lumière du Christ révèle notre vraie valeur d'humanité.
    J'en entends déjà penser "oui, il révèle tout ce qui cloche en moi, la vraie nature de mes côtés sombres". Mais c'est là notre regard, pas celui du Christ. Le Christ voit la lumière qui réside en nous, même si nous la trouvons vacillante. Le Christ voit l'être que nous pouvons devenir, l'épi contenu dans le grain, l'arbre contenu dans la graine de moutarde.
    Contrairement à notre société qui attise nos désirs les plus sauvages, nos penchants pour la compétition et l'anéantissement des autres, le Christ encourage en nous le meilleur et le plus digne, le plus lumineux et le plus solidaire.
    Eclairé de cette lumière qui vient du Christ, nous pouvons alors "nous comporter comme des personnes qui appartiennent à la lumière" (Eph 5:8).
    Alors, nous pouvons allumer autant de bougies que nous voulons pour témoigner de la lumière du Christ, ou comme le dit Jésus dans le Sermon sur la Montagne : nous pouvons "manifester cette lumière devant les hommes afin qu'ils louent le Père qui est dans les cieux." (Mt 5:16).
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Mobiliser pour le « vivre ensemble »

    Luc 10
    22.11.2015
    Mobiliser pour le « vivre ensemble »

    Jérémie 29 : 10-14      Luc 10 : 1-11

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il y a quelques semaines, j’ai lu ce récit de Jésus qui envoie ses 72 disciples en mission. Et mon attention avait été retenue par la fin du récit et par cette expression « secouer la poussière de ses pieds » (Lc 10:11). Je m’étais dit alors que j’allais garder ce texte et cette expression pour le dernier dimanche de l’année ecclésiastique, c’est à dire aujourd’hui.
    J’avais l’idée, en choisissant ce récit pour ce dimanche, que nous pourrions revenir sur les événements que nous avons traversés cette année et faire un tri. Un tri entre ce que nous voudrions garder, emmagasiner, les choses qui nous ont fait du bien, et les choses que nous voudrions laisser derrière nous, comme de la poussière qu’on secoue de ses pieds (de ses souliers aujourd’hui) pour ne pas traîner derrière nous des choses lourdes, des regrets ou des rancunes, des fardeaux.
    Ce besoin de regarder en arrière et ce tri subsiste, et je pense que c’est une bonne chose si nous arrivons à le faire. Mais entre-temps, il s’est passé des attentats qui réclament une réflexion plus profonde. Le 31 octobre, un avion russe explose en plein vol. Le 12 novembre, un attentat a lieu au cœur de Beyrouth au Liban. Et le 13 novembre voici les attentats de Paris.
    Nous avons besoin de plus que des pensées sur une bonne hygiène de vie par le tri de nos souvenirs de l’année, même si c’est toujours profitable de l’appliquer. Cette hygiène de vie, ce tri est juste un moyen qui doit servir un but, un projet. Et c’est bien ce que dit, justement, notre récit. Lorsque Jésus envoie ses disciples, il leur donne un but, un projet, on appelle aussi cela une mission. Cette mission s’articule sur trois points.
    D’abord Jésus envoie les 72 disciples « aux endroits où lui même devra se rendre » (Luc 10:1). Les disciples sont une avant-garde, ils sont des précurseurs, ils ouvrent le chemin à Jésus. Mais c’est Jésus lui-même qui vient. Nous pouvons juste lui ouvrir le chemin.
    Ensuite, les disciples apportent la paix en disant : « La paix sur cette maison » (v.5). C’est le premier message indiqué par Jésus. Ensuite il est question de vivre ensemble, de partager nourriture et boisson avec ceux qui sont là, dans la maison, et de guérir les malades.
    Enfin, deuxième partie du message, qui est plus une constatation : Dites « le Royaume de Dieu s’est approché de vous ! » (v.9) Il semble qu’il faut comprendre que la cohabitation et le compagnonnage — ce qu’on appelle aujourd’hui la convivialité et le vivre ensemble — sont constitutifs du Royaume de Dieu. Lorsqu’il y a vivre ensemble, le royaume de Dieu s’est approché, s’est manifesté.
    Et tant pis pour ceux qui ne veulent pas ce vivre ensemble, ou s’en éloignent, on secoue alors la poussière de ses pieds, mais le Royaume de Dieu s’est tout de même approché de ces gens là (v.11). Mais ils ont leur liberté et peuvent choisir de s’en tenir écartés. Le Royaume de Dieu est offert, il ne peut pas être imposé.
    Le projet de Jésus c’est que ce vivre ensemble soit proposé à tout le monde, ensuite chacun fait ce qu’il veut. Il y a assez de monde qui souhaitent ce vivre ensemble pour ne pas s’attarder auprès de ceux qui le refusent.
    On trouve la même idée de projet dans le texte de Jérémie. Dieu dit : « Je forme pour vous un projet de bonheur, de bonne vie. Je vous donne un avenir à espérer. »
    Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, je crois qu’il est nécessaire de le regarder à travers les lunettes d’un « avenir à espérer ». Là où les gens ont une vision claire de l’avenir qu’ils espèrent, alors ces gens sont forts, ils avancent, il peuvent surmonter tous les obstacles, la vie a un sens.
    Si l’on regarde vers le passé, vers l’Histoire, on peut énumérer quelques projets qui ont été des « avenirs à espérer », des moteurs : découvrir le monde avec Christophe Colomb ; inventorier le savoir avec Diderot ; apporter la civilisation ; vaincre les épidémies avec Pasteur ; construire une Europe unie pour éviter le risque de guerre ; marcher sur la lune. Évidemment, tous ces projets n’ont pas la même valeur, tous ces projets n’ont pas fait que du bien (on pense à la colonisation par exemple) mais ils ont mobilisé.
    Aujourd’hui : quel projet mobilise l’Occident ? Nous sommes plutôt en panne. Nous ressentons de l’impuissance, nous nous sentons sur la défensive. Les projets avec le vent en poupe, c’est de fermer les frontières, c’est de se défendre et de se méfier.
    En l’absence de projet constructif, il ne faut pas s’étonner que les pires projets, mais les projets qui promettent un but, une victoire, un combat glorieux : ceux-là remportent du succès, on le voit malheureusement avec Daech. En Europe, la réplique contre Daech ne veux pas être seulement militaire, c’est une lutte morale ou même spirituelle.
    Qui a un « avenir à espérer » à offrir, pour mobiliser la jeunesse qui cherche l’aventure, qui cherche les exploits, qui cherche l’adrénaline, la camaraderie ? Tant que notre occident n’a que la consommation ou la célébrité sur YouTube à offrir, nous ne pourrons pas rivaliser avec les recruteurs fanatiques ! Notre occident a besoin d’un « avenir à espérer », d’un avenir à créer, à construire. Sans projets mobilisateurs, ce sont d’autres qui mobiliseront les déçus de la société occidentale et les laissés pour compte, les jetés hors du système.
    Quel est notre espérance comme chrétien ? Qu’est-ce qui nous mobilise, nous motive et que nous pouvons proposer à d’autres ? Sur quels projets allons nous appeler d’autres à se joindre à nous, parce que ces projets ont du sens, parce qu’ils font du bien, parce qu’ils apportent de la paix.
    Dans ce récit, Jésus mobilise ses disciples parce que la moisson est grande. En effet ceux qui sont sans projets sont nombreux. Mais Jésus a un projet de paix, un projet de vivre ensemble. Jésus a le projet de faire s’approcher le Royaume de Dieu pour que tous les humains vivent en paix ensemble. Ce projet en vaut la peine. Le monde a besoin de paix et de vivre ensemble. Le monde a besoin des chrétiens. Le monde a besoin de nous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Exode 20. A quoi sert le dimanche ?

    Exode 20
    15.11.2015
    A quoi sert le dimanche ?

    Exode 20 : 1-2+8-11      Marc 2 : 23-28

    Télécharger : P-2015-11-15.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Vous avez reçu, cette fois, avec votre journal Bonne Nouvelle, la brochure : « Réformés ? Et alors ? 40 thèmes pour agir… » Des thèmes pour repenser notre vie et notre action comme protestants dans notre monde. Des thèmes de réflexion pour repenser notre façon de marquer notre appartenance au Christ dans ce monde.
    Aujourd’hui j’ai choisi le thème 18 qui porte sur la place du dimanche dans notre société et dans nos vies. Pour les chrétiens, le dimanche a une certaine importance, on y tient, mais en même temps il pourrait disparaître en tant que jour de repos pour tous. Certains se demandent pourquoi ne pas ouvrir les centres commerciaux le dimanche. Pourquoi ne pas travailler le dimanche ? Alors nous nous demandons : comment revaloriser le dimanche ou bien comment faire — comme chrétien, comme protestants — pour que nos dimanches deviennent quelque chose d’enviable ? Comment valoriser ce jour de congé pas comme les autres dans une société du 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, une société de l’agitation, du stress et du travail acharné ?
    D’où vient ce jour de congé, ce jour de repos ? Avant de nommer le sabbat et de voir ce qu’il recouvre, j’aimerais signaler que dans les civilisations voisines d’Israël, il y avait aussi des jours chômés. Chez les babyloniens, le 15e jour du mois était « jour d’expiation», on n’y travaillait pas. En Mésopotamie, il y avait des jours dits « jours de malheur» où il ne fallait pas avoir d’activités, celles-ci risquant de mal tourner.
    Dans cet environnement-là, et le Décalogue vient proclamer : « Moi le Seigneur, j’ai béni le jour du sabbat et je veux qu’il me soit consacré. » (Ex 20:11) Le sabbat n’est pas institué pour conjurer le malheur, il est institué comme une bénédiction. C’est souligné par le récit de la création où Dieu lui-même se repose le septième jour.
    Il y a du bon dans le fait d’arrêter ses tâches, son travail. Le sabbat est d’abord une bénédiction, qui vient comme une sorte d’antidote à la malédiction posée sur le travail lorsqu’Adam et Eve ont été chassés du jardin d’Eden. Vous vous souvenez du « tu cultiveras la terre à la sueur de ton front » (Gn 3:19). Une brèche est ouverte dans la nécessité du travail pour laisser passer un souffle et apporter du repos.
    A. Cet aspect « libération du travail » est le premier aspect du sabbat. C’est rompre la chaîne infernale des jours épuisants. C’est déclarer qu’il existe autre chose dans la vie que le labeur, la production, le rendement, la productivité, l’efficacité. Il y a place pour autre chose. La vie ne se réduit pas à « métro boulot dodo ».
    Dans ce sens-là, le sabbat n’est ni privation, ni interdiction, il s’agit d’une libération, et l’ouverture d’un espace où l’on peut souffler et se ressourcer. Lorsque les pharisiens ont transformé cela en liste d’interdit, Jésus intervient pour redonner la priorité à la libération, d’où toutes les guérisons qu’il effectue le jour du sabbat. C’est pourquoi Jésus redonne à l’humain la maîtrise du sabbat : « Le sabbat n’a pas été fait pour l’homme, pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2:28).
    Voilà le premier aspect du sabbat : sortir l’être humain de l’enfermement que peut représenter le travail, la production, la performance. Ce message a un sens — plutôt à contre-courant — dans notre monde qui ne jure que par « plus de productivité », « plus de croissance », au risque d’anéantir la planète.
    B. Le deuxième aspect du sabbat et le fait de consacrer ce temps à Dieu. Il y a là la volonté d’un décentrement radical. Toute la semaine, on est avec le nez dans le guidon, à pédaler pour avancer et produire ; le jour du repos on peut lever le nez du guidon et se demander : pourquoi ? Pourquoi fais-je tout cela ? Pourquoi ou pour quoi est-ce que je me tue à la tâche ? Où vais-je ? Quel est le sens ?
    Consacrer le sabbat à Dieu, c’est sortir de soi, c’est s’ouvrir à des dimensions qui nous dépassent, c’est reconnaître qu’il y a quelque chose qui me surplombe. Je ne suis pas le centre du monde ! C’est sortir de ses besoins et de ses affaires pour regarder autour de soi, élargir son horizon. C’est faire place à la communauté qui nous entoure et considérer les besoins communs, communautaires.
    Quand la société délimite cinq jours de travail et deux de jours de loisirs, pour soi, pour se divertir, pour se remettre en forme, pour être prêt à recommencer à travailler le lundi, ce n’est pas faire sabbat. La société des loisirs n’est pas une forme moderne de sabbat, c’est juste une façon de faire tourner la société de consommation et de production pendant les jours fériés.
    Les loisirs sont des occupations, comme le travail. Le sabbat se voudrait un temps dés-occupé. Un temps où nous ne sommes pas occupés mais disponibles. Un temps où nous ne sommes pas préoccupés, mais dépréoccupés de tout, un temps libre, un temps libéré. Un temps libéré du travail et des préoccupations, un temps libéré de soi pour être ouvert aux autres. Un temps non occupé par du « faire », pour être libre d’ « être » : être soi, être avec les autres, être avec Dieu.
    Ce temps ne peut pas être commandé, ordonné, prescrit. On ne peut pas prescrire d’être ! On peut par contre y aspirer, y tendre, se mettre en condition pour que cet état puisse émerger. On peut faire de la place pour favoriser ce passage à l’être.
    Le protestantisme déteste les règles et les prescriptions. Le protestantisme ne comporte pas d’obligation. On ne va donc pas reformuler une obligation de maintenir une journée sabbatique. Mais par contre, dans notre monde agité, stressé, préoccupé, nous pourrions être témoins d’une autre façon d’envisager et le travail et les congés.
    Nous pourrions être témoins de cette libération de l’asservissement au travail qui baigne notre société. Nous pourrions témoigner que la consommation, y compris des loisirs, n’est pas la seule façon d’être au monde. Nous pourrions marquer comment notre relation à Dieu, en même temps bénit et limite notre travail. Comment notre relation à Dieu nous invite à tenir davantage compte des autres dans notre façon de consommer ou dans notre façon de tout attendre de la croissance économique.
    Dans notre façon d’être — dans notre travail comme dans nos congés — nous pouvons témoigner des bénédictions que Dieu nous donne, en montrant combien il nous libère et combien il nous ressource.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Esaïe 56. Quelle communauté l’Évangile construit-il ?

    Esaïe 56
    1.11.2015
    Quelle communauté l’Évangile construit-il ?

    Esaïe 56 : 1-7     Matthieu 5 : 1-10

    Télécharger le texte P-2015-11-01.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd’hui nous vivons un culte de reconnaissance pour toutes les personnes engagées dans la paroisse, les bénévoles qui font tourner la paroisse, qui animent des activités, qui donnent de leur temps, occasionnellement ou régulièrement. Ensemble, tous ensemble, nous formons l’Eglise, dans sa diversité et dans son unité.
    Aujourd’hui nous fêtons également le dimanche de la Réformation. Nous rappelons ainsi les événements qui ont façonné notre manière de formuler notre foi réformée. Dans deux ans, en 2017, nous allons fêter le 500e anniversaire du début de la Réforme, qu’on date du 31 octobre 1517, le jour ou Martin Luther a affiché les thèmes qu’il voulait voir débattus par les théologiens.
    Une démarche commence dès maintenant pour nous préparer à cet anniversaire. Avec le prochain Bonne Nouvelle que vous allez recevoir à la fin de la semaine, vous trouverez une petite brochure intitulée : « Réformés ? Et alors ! 40 thèmes pour agir… » Quarante thèmes sont proposés à notre réflexion dès maintenant et pour toute l’année 2016, avec pour but de transformer ses réflexions en proposition de formulations modernes et contemporaines de l’Évangile. Ces formulations actualisées seront exposées ensuite pendant toute l’année anniversaire 2017 au niveau Suisse par la FEPS. Chacun, chacune, chaque paroisse est invitée à participer à ce processus.
    Pour aujourd’hui j’ai choisi de vous présenter le thème 3 « Quelle communauté l’Évangile construit-il ? » Le texte biblique qui accompagne cette question est le texte d’Esaïe 56 que vous venez d’entendre.
    Un petit mot sur le contexte dans lequel est écrit ce texte. Cet oracle de la troisième partie du livre d’Esaïe a été prononcé après le retour de l’Exil, retour autorisé par l’empereur perse Cyrus. Les textes contemporains, dans la Bible, sont les livres d’Esdras et de Néhémie. La situation historique est la suivante : 47 ans plutôt (en 587 av. J.-C) le pays de Juda a été envahi par les babyloniens. Les élites et une partie de la population a été déportée à Babylone, le Temple et la ville de Jérusalem ont été détruits.
    Pendant ces 47 ans, dans le pays de Juda, ceux qui sont restés ont occupé les maisons et les terres de ceux qui sont partis ; d’autres personnes s’y sont aussi installées. Ceux qui ont été déportés à Babylone y ont refait leur vie, se sont mélangés à la population babylonienne et on élaboré une foi juive qui peut se vivre hors du pays et sans le Temple de Jérusalem. Après l’édit de Cyrus autorisant le retour (en 540 av. J.-C), certains reviennent au pays dans l’idée de reprendre leur vie d’avant. Mais voilà, le temps ayant passé, rien n’est comme avant. Des étrangers occupent leurs maisons et leurs terres et eux-mêmes sont considérés comme des étrangers par ceux qui sont restés sur place. Il y a deux populations qui se considèrent chacune être le peuple légitime et les autres comme des étrangers. Ils ont une origine commune, mais ont eu des chemins différents. Qui est l’étranger ? Qui occupe légitimement le pays ? Qui est le vrai peuple de Dieu ? Pour répondre à cette question nous pouvons regarder dans le livre d’Esdras ou dans le livre d’Esaïe, et trouver des réponses opposées.
    Esdras défend le maintien d’une lignée ethniquement pure et préconise le renvoi des épouses babyloniennes (Esd 9—10). Au contraire Esaïe, dans les lignes que vous avez entendues, préconise le regroupement de tous ceux qui reconnaissent Dieu et observent ses commandements, quelle que soit leur provenance, leur appartenance ethnique ou leur origine. Ce qui importe, c’est l’adhésion à la justice de Dieu, c’est la foi et le culte.
    Ce qui est intéressant, c’est qu’Esaïe ajoute à la problématique de l’étranger celle de l’eunuque. Dans la loi de Moïse (Dt 23:2; Lév 21:20-21), l’eunuque est rejeté de la communauté de foi et du sacerdoce parce qu’il ne peut pas avoir de descendance, donc son nom ne sera pas transmis, son nom va s’effacer de la surface de la terre. Et cela, c’est une une malédiction aux yeux de la loi juive. Mais voilà que, dans la bouche d’Esaïe, Dieu déclare qu’il va écrire le nom des sans-descendance sur les murs du Temple et que ceux-ci auront mieux que des fils et des filles. S’ouvre ici le thème de la vie éternelle, voire de la résurrection, une vie qui n’est pas attachée à la transmission des gènes ! Esaïe transmet ici une parole de Dieu qui ouvre à l’inclusion, qui lutte contre l’exclusion.
    Mais ce qui est intéressant à relever dans cette parole d’Esaïe, c’est qu’il n’est pas question d’une exclusion de l’étranger ou de l’eunuque par les autres, mais d’une auto-exclusion ! « Il ne faut pas que l’étranger aille s’imaginer : le Seigneur me met à l’écart ! Il ne faut pas non plus que l’eunuque se mette à penser : je suis en arbre sec ! » (v.3)
    Combien de fois n’imaginons-nous pas des jugements de la part de Dieu. Jugements qui ne sont que dans nos têtes, mais pas dans la pensée divine. Combien de fois pensons-nous être indignes d’approcher de Dieu, alors que lui nous attend et nous espère. Ne confondons pas nos pensées, nos projections et celle de Dieu.
    C’est souvent ce qui nous piège avec l’Eglise. Nous pensons à telle ou telle barrière, alors que cette barrière est dans notre tête, pas dans la pensée de Dieu. Dieu n’attend pas des gens parfaits, impeccables. Jésus n’a-t-il pas proclamé, dans les béatitudes, heureux les pauvres, heureux ceux qui sont tristes, heureux les doux-naïfs, heureux les miséricordieux, heureux les persécutés. Ce ne sont pas des héros. Heureux, non pas ceux qui baignent dans le bonheur, mais heureux parce que nous sommes pleinement accueillis par Dieu, acceptés par Dieu. L’accueil de Dieu est large, c’est pourquoi la maison de Dieu est dite être « une maison de prière pour tous les peuples » (v.7).
    Appartiennent au peuple de Dieu, non pas ceux qui sont d’une certaine condition, mais ceux qui agissent de la façon que Dieu désire. Le croyant n’est pas celui qui jouit d’une certaine condition, mais celui qui adhère, celui qui se joint au projet de Dieu.
    Nous n’avons pas d’avenir comme protestants si nous ne comptons que sur notre descendance pour maintenir vivante la foi protestante. Alors nous ne serions que des eunuques dans le nom va s’éteindre. Pourtant Dieu fait cette promesse de pérennité qui sera mieux que des fils et des filles. Nous avons une transmission spirituelle a assurer, parce que l’Évangile est un projet de vie. Jésus-Christ nous a transmis des valeurs de vie qui ont un sens et une place dans notre société.
    Au point de départ de notre réflexion de ce matin il y avait cette question : « Quelle communauté l’Évangile construit-il ? » Le Christ rassemble des hommes et des femmes avec leurs faiblesses et leurs insuffisances, leurs capacités et leurs compétences : NOUS. Nous ne sommes pas une élite ou des gens particulièrement forts, parce que Dieu ne met pas de barrière, pas de filtre, pas de tri à l’entrée des églises.
    Mais, c’est l’Évangile qui rend les gens plus forts, qui rend la communauté forte et solidaire. Ensemble nous sommes renforcés et rapprochés de Dieu. Ensemble nous pouvons ouvrir nos portes à l’image du cœur ouvert de Dieu. Ensemble nous pouvons faire de l’Eglise une maison de prière pour tous les peuples.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015