Esaïe 1
3.8.2008
Esaïe, un prophète dans les tourmentes politiques
Es 1 : 21-28 Es 2 : 1-5
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Ce dimanche et les deux prochains, j'aimerais vous conduire dans les paysages variés et accidentés du livre du prophète Esaïe. Le plus long livre de prophète de la Bible, 66 chapitres, se présente en fait un trois parties. La première partie (chap. 1-39) présente la collection des paroles du prophète Esaïe, fils d'Amots, paroles prononcées entre 740 et 700 av. J-C., sous les règnes successifs de quatre rois de Juda.
Le pays du peuple élu est alors divisé en deux royaumes, celui du Nord, appelé Royaume d'Israël et celui du Sud, appelé Royaume de Juda, avec Jérusalem comme capitale. Esaïe conseille donc les rois de Juda, à Jérusalem.
Pendant ces 40 années, l'empire assyrien s'empare du Royaume du Nord (720) et grignote le Royaume de Juda, jusqu'à assiéger Jérusalem (701). Cependant, les troupes assyriennes lèvent le siège et s'en vont, sans prendre la capitale. Cette libération est vue comme un miracle de l'action divine à l'égard de son peuple. Les messages d'Esaïe s'arrêtent sur cette note d'espoir.
Le prophète est un conseiller critique des rois. Pendant toute cette période mouvementée et menaçante, il apporte les oracles de Dieu. En résumé, les rois veulent se prémunir militairement contre l'envahisseur assyrien (qui vient du nord) en concluant des alliances avec l'Egypte (au sud). Esaïe prône une politique de neutralité : pas d'alliance militaire, seule l'alliance avec Dieu peut préserver Juda et Jérusalem. Il faut mettre sa confiance en Dieu, pas dans les armes.
Le prophète délivre ses messages à contretemps et à contre-courant. Quand la menace militaire se fait forte, il rappelle l'exigence de se reposer sur Dieu seul et soutient l'espoir de la délivrance. Quand l'étau de relâche, il prêche le jugement de Dieu : attention à ne pas se reposer sur nos forces humaines et à ne pas négliger la justice.
C'est pourquoi cette première partie du livre d'Esaïe est remplie — ce qui rend sa lecture difficile — de jugements, de condamnations, d'annonces de châtiments, pour Israël, Juda, Jérusalem, mais aussi tous les peuples voisins.
Fondamentalement, il y a dans le livre d'Esaïe une recherche de compréhension du sens de l'histoire, de ce qui arrive au peuple de Dieu. En fait, les malheurs ne cessent d'arriver pendant toute la période d'activité du prophète. Le territoire du pays ne cesse de rétrécir, jusqu'à n'être plus que la citadelle de Jérusalem ! Que fait Dieu pendant ce temps ? Pourquoi cela arrive-t-il à son peuple, à celui qu'Il a choisi ?
Esaïe essaie de répondre à ces questions à partir d'un axiome de base : "Tout est entre les mains de Dieu." En partant de là, comment comprendre les malheurs qui ne cessent d'arriver ? Et comment garder espoir ?
Esaïe expose alors que ces malheurs sont la sanction des fautes des dirigeants et du peuple. A cause de l'injustice, des crimes et de l'idolâtrie, Dieu punit son peuple jusqu'à ce qu'il revienne dans le droit chemin. Ce schéma : "le malheur est une punition - le repentir conduit au retour en grâce" est très culpabilisant, mais comporte aussi une espérance : la possibilité de revenir à la justice, au juste culte, à la juste relation avec Dieu.
Ce schéma signifie également que ces malheurs ne sont pas une défaite du Dieu d'Israël face aux dieux assyriens, Dieu garde le contrôle et reprendra la main en temps voulu.
La délivrance de Jérusalem en 701 — racontée comme miraculeuse dans le livre d'Esaïe et dans son parallèle en 2 Rois (c'est un ange du Seigneur qui décime l'armée assyrienne pendant une nuit devant Jérusalem, Es 37:36 et 2 R 19:35) — vient confirmer ce schéma. Cette délivrance de Jérusalem est vue comme la fin du châtiment, le retour en grâce et valide — temporairement — le schéma de pensée d'Esaïe : transgression - punition - retour en grâce.
Il est intéressant de noter que la Bible nous montre un processus de pensée théologique en cheminement. Avec d'autres témoignages bibliques (Job dans l'Ancien Testament, les Evangiles dans le Nouveau) nous ne pensons plus comme Esaïe, que nos malheurs sont une punition méritée (du moins j'espère que vous ne le pensez pas !) Mais la Bible n'a pas peur de laisser et de montrer des voies qui se sont révélées sans issue. On voit que la découverte de l'être, de la nature de Dieu s'est faite aussi par essais-erreurs et que le souvenir d'erreurs passées peut nous éviter de les reproduire aujourd'hui. La grâce et l'amour fidèles de Dieu priment sur le jugement.
La validation du schéma d'Esaïe par la délivrance inexpliquée de Jérusalem explique probablement pourquoi deux autres parties sont venues s'ajouter à cette première partie du livre d'Esaïe. Le livre pourrait se terminer là sur une victoire de Dieu sur les armées assyriennes. Mais l'Histoire (avec un grand H) ne le permettra pas. 113 ans après cette délivrance miraculeuse, l'empire de Babylone s'empare de Jérusalem, la détruit et déporte les élites. C'est l'Exil.
A ce moment-là, il faut repenser la théologie d'Esaïe, il faut explorer d'autres pistes théologiques. Sans effacer cette première partie — qui témoigne des relations entre Dieu et son peuple, des efforts de compréhension et des relations mutuelles — il faut écrire de nouvelles pages à l'histoire de Dieu et de son peuple. C'est une relation en mouvement, en marche, pour nous encore aujourd'hui.
Nous explorerons donc dimanche prochain cette nouvelle étape avec la deuxième partie du livre d'Esaïe (chap. 40-55). A dimanche prochain.
Amen
@ Jean-Marie Thévoz, 2008