1 Rois 21
10.12.2000
La vigne de Naboth
1 Rois 21
Avez-vous signé la pétition pour la réhabilitation de Simon Naboth ?
Comment, vous n'êtes pas au courant ?
Mais d'où venez-vous pour ne pas avoir entendu parler de toute cette affaire ?
Ah, quand même ? On vous en a déjà parlé !
Mais vous voulez connaître ma propre version de l'histoire ?
Qui me dit que vous n'êtes justement pas un agent de sa police secrète ?
Ah, vous venez d'Egypte !
Alors il faut que je vous explique comment mon père s'est retrouvé complètement piégé !
Mon père avait une vigne, oh, pas très grande, mais quand même, elle produisait bien. Elle nous assurait assez de vin pour acheter ce qu'il fallait de blé, d'huile et de viande pour vivre toute l'année. C'est qu'elle était bien située, sur la pente de la colline, bien exposée au soleil. C'est ça qui a été notre malheur.
Oui, en haut de la colline, il y avait le palais du roi Achab.
Non, la vigne n'était pas à Samarie, le palais dont je parle est une résidence d'été, pas le palais de la capitale.
Non, mon père est d'ici, comme mon grand-père et le grand-père de mon père. Cette vigne elle est depuis toujours dans la famille, c'est notre héritage et la garantie de notre appartenance au peuple d'Israël. Chez nous l'héritage d'une terre, c'est comme notre passeport ou notre carte de vote. On ne peut ni l'abandonner, ni la vendre à qui que ce soit, c'est une terre reçue de Dieu et ce serait gravement l'offenser que de s'en séparer.
Alors lorsque le roi Achab est venu pour dire à mon père qu'il avait des projets d'extension de son palais et qu'il voulait acheter notre vigne, cela a mis mon père dans un grand embarras. Il est bien difficile de refuser quelque chose au roi, on risque de se le mettre à dos. Mais n'est-ce pas pire de blesser Dieu en abandonnant le cadeau qu'il nous a laissé en héritage ?
Mon père a réfléchi longtemps, il n'en dormait plus, cela le hantait. Comment choisir ? Et surtout, comment ne pas choisir de plaire à Dieu, plutôt qu'aux hommes ?
Mon père, c'était quelqu'un, il était droit, il savait comment conduire sa vie et jamais il n'aurait voulu offenser Dieu, ni le roi d'ailleurs, mais s'il fallait choisir, il savait où était son devoir.
Alors il a dit non au roi Achab. Je l'admire, c'était un acte de grand courage.
C'est alors que les ennuis ont commencé.
Tout ça, juste parce que mon père avait une vigne au pied du palais royal !
Déclaration universelle des Droits de l'Homme
Article 17
"Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété."
* * *
Le roi Achab n'était pas un mauvais roi ou une mauvaise personne. Mais il était mal conseillé (vous voyez ce que je veux dire...). Il y a à ses côtés (tourner la tête pour voir si l'on est observé, baisser la voix et dire avec terreur) la reine Jézabel.
Lui, le roi Achab, il aurait laissé tomber. Il est des nôtres, il est le gardien de nos lois et de nos coutumes, il avait compris que les raisons de mon père n'étaient pas de la mauvaise volonté. Il avait essayé, il avait espéré tomber sur quelqu'un qui n'était pas attaché à la coutume ou qui avait plus envie de faire fortune que de suivre le chemin du Seigneur. Mais il était tombé sur mon père.
Tout seul, le roi Achab, il aurait changé les plans d'extension de son palais. Mais avec Jézabel, cela n'allait pas passer comme cela. Vous voyez, Jézabel, elle vient de Sidon en Phénicie. Elle a gardé ses dieux de là-bas et elle détourne le roi du chemin de ses pères. Elle a beaucoup d'influence sur lui. Elle a réussi, à Samarie même, la capitale, à faire construire un temple à Baal. Baal, voilà un dieu qui demande des choses affreuses. Pour qu'il donne la vie à travers la pluie, eh bien, les hommes doivent lui sacrifier des vies. En temps normal, des animaux suffisent. Mais si la pluie ne vient pas, alors Baal réclame des enfants. C'est une véritable abomination. Après ça, étonnez-vous que cette Jézabel n'ait aucun respect pour la vie humaine et n'hésite pas à trucider tous ceux qui se mettent en travers de son chemin.
Où en étais-je ? Ah oui, Achab aurait laissé tomber pour la vigne de mon père. Mais Jézabel — maudite soit-elle — a pris cela pour un affront personnel contre son mari.
— Non mais, tu ne vas pas te laisser faire par ce nabot de Naboth — oui notre nom c'est Naboth, alors le jeu de mot est facile, j'en ai assez souffert à l'école ! — tu ne vas pas te laisser retenir par cette coutume idiote, tu es le roi d'Israël quand même !
Qui c'est qui règne ici ? Tu ne vas pas t'incliner comme ça, simplement parce qu'il a dit non ! Tu passeras pour une lavette, personne ne te respecteras plus. C'est une honte.
Elle criait tellement fort que tous les serviteurs ont entendu la savonnée qu'elle passait à son mari. J'aurais presque pitié de lui, s'il n'avait pas fait ce qu'il a fait. Ou plutôt laisser faire...
Jézabel, en fait, lui a simplement demandé de la laisser régler l'affaire elle-même. Et il a accepté, et pour cela je lui en voudrais toujours, tout roi qu'il est. Ou justement parce qu'il est roi et qu'il aurait dû refuser pour faire respecter le droit.
Jézabel a monté un piège, un vrai traquenard. Mon père n'avait aucun moyen d'y échapper. Alors elle l'a fait arrêter par sa milice.
Tout ça, juste parce que mon père avait une vigne au pied du palais du royal !
Article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme
"Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé."
* * *
Ah, vous voulez savoir quel était ce piège ? Eh bien, elle a écrit des lettres au nom du roi Achab, avec le cachet royal, pour faire organiser un banquet. Elle s'est arrangée pour que les anciens de la ville désigne mon père pour présider ce banquet officiel. Mon père était président de la confrérie des vignerons de la ville, cela n'avait rien d'anormal qu'on lui demande de présider ce banquet.
Jusque-là, tout allait bien.
Mais Jézabel avait envoyé deux membres de la mafia de Samarie à ce banquet. Pour sûr que ces deux-là avaient une dette envers Jézabel ou comptaient obtenir en échange l'impunité pour un racket quelconque. Bref, ils avaient reçu des cartons d'invitation et se trouvaient au banquet. Là, lorsque mon père commençait son discours de bienvenue, ils sont intervenus pour dire qu'ils l'avaient entendu maudire Dieu et tenir des propos antiroyalistes. Ces deux là avaient tellement bien monté leur coup qu'ils sont arrivés à retourner l'opinion de l'assemblée, qui pourtant tous connaissaient mon père de vue et de réputation.
Comme ils étaient deux, cela faisait deux témoignages et cela suffisait pour le faire arrêter. C'est vraiment bizarre que la milice ait été là sur place si rapidement, alors qu'il faut l'attendre des heures lorsque des vauriens viennent se servir dans nos vignes. Cela montre bien que tout était manigancé d'avance !
Le pire, c'est qu'après cette arrestation, mon père a été emmené tout de suite hors de la ville, sur le terrain vague, sans aucune forme de procès. D'habitude, on laisse retomber l'excitation de l'arrestation et on prépare un procès. On nomme un juge et l'on permet à l'accusé de produire aussi des témoins.
Là, rien.
Tout ça, juste parce que mon père avait une vigne au pied du palais du royal !
Article 11 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme
"Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées."
* * *
La foule était rassemblée là, sur le terrain vague. Il y avait ceux qui venaient du banquet et qui injuriaient mon père. Et il y avait les gens qui étaient simplement dans la rue au moment où les gens du banquet étaient sortis et avaient fait cortège pour amener mon père jusque-là. Il faisait chaud, cela criait de partout, mon père était malmené, mais on pouvait encore penser qu'il serait juste passé à tabac et qu'on le laisserait tranquille. Beaucoup pensaient qu'il fallait juste lui faire la leçon et que tout le monde se souviendrait simplement qu'il ne faut pas dire du mal du roi.
Mais non, la tension montait. Quelques personnes avaient ramassé des pierres, mais personne n'osait jeter la première pierre. Chacun sait que la première pierre est le signal et qu'après tout peut arriver, qu'il n'est plus possible d'arrêter le délire d'une foule.
Puis tout à coup, le silence s'est fait, je ne sais pas comment. Et ceux qui étaient autour de mon père ont commencé à reculer. Le cercle s'élargissait autour de mon père et j'ai pensé qu'il était sauvé.
Mais alors, dans le silence de la foule, l'envoyé de Jézabel que le roi Achab n'avait pas arrêté dans son projet mortel, a lancé sa pierre en criant "A mort, le traître" et là j'ai su que tout était fini.
Tout ça, juste parce que mon père avait une vigne au pied du palais du royal !
Article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme
"Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne".
* * *
Vous ne pouvez pas savoir ma haine à ce moment-là pour tous ces gens qui se sont laissé entraîner dans cette violence collective. Pourquoi personne n'a pris la défense de mon père ?
Vous ne pouvez pas savoir comment cela a été les jours suivants. Personne dans la ville ne m'a plus regardé en face, tellement ils avaient honte.
Vous ne pouvez pas savoir ensuite mon désespoir lorsque le roi Achab est venu prendre possession de la vigne de mon père, celle dont je devais hériter et transmettre à mes enfants lorsque j'en aurais.
J'étais dans la vigne du voisin, caché derrière le pressoir. J'étais effondré, sans avenir, un exilé sans terre dans mon propre pays. Qui viendrait prendre ma défense après ce qui est arrivé ? Un mot et mon sort serait pareil à celui de mon père. On sait de quoi est capable Jézabel.
J'observais de loin ce qui se passait dans ma vigne, comment Achab parcourait ma vigne, la vigne de mon père, Naboth, en souriant, en s'exclamant sur ses réalisations futures.
Alors il s'est passé quelque chose d'incroyable !
Un homme est arrivé en courant. Il s'est placé en face du roi Achab, debout ! Il ne s'est pas incliné comme tous les autres, morts de peur.
Et il a commencé à déclamer :
« Voici ce que déclare le Seigneur :
— Ainsi, tu as assassiné quelqu'un,
et tu viens maintenant prendre possession de ses biens »
« Voici ce que déclare le Seigneur :
— A l'endroit même où les chiens sont venu lécher le sang de Naboth, les chiens viendront aussi lécher ton propre sang.»
"Puisque tu as pris du plaisir à faire ce qui répugne à Dieu, voici ce qu'il déclare :
« Je vais envoyer le malheur sur toi, je te ferai disparaître, parce que tu m'as extrêmement fâché et que tu as poussé le peuple d'Israël à commettre un meurtre. » (1 Rois 21 : 19+21)
Et le prophète ajouta ces paroles pour toute l'assemblée qui était autour du roi :
"— On vous a dit ce qui est bien et ce que le Seigneur demande de vous :
c'est de respecter la justice et le droit des autres,
d'aimer agir avec bonté
et de marcher humblement avec votre Dieu." (Michée 6:8)
Sur ce, le prophète s'en alla comme il était venu, sans que personne n'ose mettre la main sur lui. C'est la main de Dieu qui était sur lui.
Ainsi j'ai compris, qu'il y avait quelqu'un au-dessus du roi et que le roi ne pouvait pas faire ce qu'il voulait avec n'importe qui.
La contestation de l'injustice est soutenue par notre Dieu, le Dieu d'Israël, loué soit-il !
Depuis ce moment, je ne me suis plus senti seul dans ma révolte contre l'injustice, je me suis senti soutenu dans mon nouveau combat contre l'oppression des petits, des sans-voix, des sans-pouvoirs.
Merci mon Dieu d'avoir envoyé quelqu'un dire directement au roi ma colère contre le mal qu'il y a dans le monde.
Merci mon Dieu d'être du côté de la justice et du plus faible. Apprends-nous à nous mettre du même côté que toi dans la vie.
Amen.
© 2006, Jean-Marie Thévoz