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spiritualité - Page 18

  • Jean 19. Vendredi-saint : INRI, un écriteau qui a du sens

    Jean 19
    3.4.2015
    Vendredi-saint : INRI, un écriteau qui a du sens

    Esaïe 53 : 1-12       Jean 19 : 16-30

    Télécharger le texte : P-2015-04-03.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce jour de Vendredi-saint, nous sommes confrontés au mystère le plus absolu de notre foi ! Il y a un décalage total entre l’image que nous avons sous les yeux d’un crucifié et le message que reçoivent nos oreilles : ici se révèle notre Dieu. Comment vivons-nous avec ce paradoxe, cette invraisemblance, cette contradiction ?Comment Les disciples ont-ils pu faire ce retournement ? Comment passer du récit d’une exécution sordide à un récit de la Passion qui révèle un amour infini ?
    Il y a là un long travail d’interprétation, de relecture, de rédaction et de redirection du récit. Il y a une vraie récitation, un travail important de narration. Ce travail a donné naissance au récit de la Passion, qui raconte, qui explique, qui donne des indices et des pistes pour ouvrir à une deuxième lecture des événements. Le récit raconte les faits bruts, sans fioritures ni enjolivements ou atténuations. Jésus a été brutalisé, il a fait face à des accusations violentes et injustes, il a été malmené, finalement exécuté de la manière la plus violente et dégradante qu’avait inventé le pouvoir romain.
    Mais le récit ajoute des indices, des signes, des renvois, des phrases à double sens, qui sont autant de clés de lecture pour ouvrir à une autre compréhension. Derrière le drame des corps il y a un drame cosmique qui se joue. Derrière la trame politique — juifs contre romains, messianisme contre empereur — il y a une trame divine qui se joue et que le récit révèle entre les lignes. Tout le récit est tendu entre deux réalités, deux lectures, des doubles sens. Le récit est écrit pour que le lecteur puisse — au final — se déterminer, prendre position et choisir si Jésus était un un criminel, un blasphémateur, un agitateur rebelle, justement condamné… ou bien un être relié à Dieu, envoyé du Père, messager de la réconciliation entre Dieu et l’humanité ! Jésus est-il juste un anarchiste qui menace tous les pouvoirs ? Où est-il l’envoyé de Dieu, le représentant de Dieu, l’image vraie du Dieu de nos pères ?
    Le récit de la Passion utilise différents indices pour nous mettre sur la piste et nous convaincre que Jésus est bien la juste image de Dieu, malgré cette condamnation. Il y a d’abord des phrases directes, à prendre au premier degré, comme cette déclaration de Pilate : « Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme » (Jn 19:4).
    Il y a des renvois, nombreux à l’Ecriture sainte, pour montrer comment ce destin accomplit ou répète des situations déjà vécues par des personnes approuvées par Dieu. C’est le cas de tous les renvois, soit au poème du Serviteur souffrant d’Esaïe, soit au Psaume 22 qui commence par les mots : « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ». Le partage des vêtements et le tirage au sort de la tunique, ainsi que la soif, renvoient également au Psaume 22.
    Et il y a le passage qui parle de l’écriteau placé sur la croix. Écriteau souvent appelé « titulus » de son nom latin. Sur cet écriteau figure le motif de la condamnation de Jésus. On y lit : « Jésus de Nazareth, le roi des juifs ».
    L’écriteau est rédigé en latin, en grec et en hébreu. Le latin est la langue administrative, celle qui dit le droit, le droit romain. C’est aussi la langue de l’occupant, du pouvoir, de la force. Le grec est la langue de la culture et de la philosophie, la langue internationale, comme l’anglais aujourd’hui. L’hébreu est la langue de la religion, celle dans laquelle se déroule le culte de la synagogue. Ces trois langues représentent aussi tous les espaces géographiques connus autour de la Méditerranée, de l’Espagne jusqu’à l’Égypte. L’écriteau annonce donc une nouvelle pour le monde entier et pour toutes les facettes de la civilisation. Abrégé en latin, l’écriteau se lit : INRI, ces lettres qu’on voit beaucoup sur les tableaux et sur les icônes représentant la crucifixion.
    Nous avons là une phrase à double sens : un sens littéral qui se veut une moquerie, une dérision, et un sens spirituel qui dit une affirmation de foi : celui-ci, ce Jésus, est bien celui que Dieu a placé pour régner sur les juifs et sur toute humanité. Cette phrase nous dit — lorsqu’on lit le message théologique — que Dieu n’a pas abandonné Jésus. Que Jésus est toujours celui qui a été envoyé et qui accomplit ici encore sa mission.
    On pourrait même se dire que les autorités juives s’aperçoivent du malentendu possible puisqu’elles viennent réclamer auprès de Pilate qu’il change l’inscription. Elles refusent que ce Jésus puisse être vu et accepté comme un roi, le roi du peuple élu. Elles ne veulent pas être son royaume, le Royaume de Dieu. Alors elles demandent qu’on change le texte comme ceci : Il a prétendu « je suis le roi des juifs». En demandant cela, les autorités introduisent sur le titulus les mots « je suis » ce qui renforce l’ironie et ajoute encore un double sens théologique !
    N’est-ce pas Jésus qui — dans l’Évangile selon Jean — prononce une série de phrases en  « je suis» : Je suis le pain descendu du ciel. Je suis la lumière du monde. Je suis le bon berger. Je suis la vigne. Je suis la porte. Je suis le chemin, la vérité et la vie. Je suis la résurrection et la vie. En voulant rajouter ce « il a dit : je suis le roi des juifs » les autorités s’enfoncent encore plus dans la réalisation de ce qu’elles voulaient absolument empêcher : que Jésus soit reconnu comme celui qui vient de Dieu ! N’est-ce pas Dieu, en effet, qui s’est révélé à Moïse, au buisson ardent, sous le nom : « JE SUIS », « Je suis qui je suis» ? (Ex 3:14)
    Ce titulus, cet écriteau, nous révèle que c’est bien Dieu lui-même qui se trouve sur la croix, renversant toutes nos valeurs, tous nos systèmes, toutes nos croyances superstitieuses.
    Dieu n’est pas dans la violence, dans la puissance. Dieu n’est pas le garant des pouvoirs, des empereurs, des tyrans et des potentats. Dieu n’a rien à voir avec les rois « de droit divin», ni avec aucun des pouvoirs qui se réclament de Dieu, de la loi divine, ou de la sainte foi. Aujourd’hui, Dieu est sur la croix, il est aux côtés des deux autres brigands qui souffrent. Il est aux côtés de ceux qui passent Pâques dans un lit d’hôpital. Il est à côté de ceux dont chaque mouvement est douloureux. Il est à côté de ceux qui traversent le deuil, qui pleurent une perte. Il est à côté de ceux qui se dévouent corps et âme pour s’occuper des autres. Il est à côté des proches-aidant, comme des professionnels des soins et de l’aide, ceux qui ont fait du service leur raison de vivre, à la suite de Jésus lavant les pieds de ses disciples.
    Dieu est à côté de chacun de nous aujourd’hui, parce que chacun a besoin d’être approché et aimé, totalement. Aujourd’hui — maintenant — Dieu est avec nous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • 1 Rois 10. Une rencontre qui transforme !

    1 Rois 10
    1.2.2015
    Une rencontre qui transforme !

    1 Rois 10 : 1-10+13        Luc 11 : 29-32

    Télécharger ici le texte : P-2015-02-01.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce dimanche Terre Nouvelle, DM-Echange et Mission nous invite au voyage et à la rencontre. Il nous invite à suivre la rencontre de la reine de Saba avec Salomon et de découvrir tout ce qui se passe dans cette rencontre et ce que cela peut nous apprendre sur la mission, sur les voyages d’échange avec d’autres pays.
    Dans ce récit, on voit donc que la reine de Saba décide de se rendre à Jérusalem pour voir le grand roi Salomon. Les traditions divergent quant au pays ou à la région d’où elle provient ; sa réputation a fait que plusieurs pays se l’approprient, notamment le Yémen et l’Ethiopie. 
    L’important, c’est que c’est une grande reine et qu’elle est décidée à faire impression sur Salomon, autant sur le plan intellectuel — elle a préparé une épreuve et des énigmes — que sur le plan de la richesse — elle arrive avec une caravane chargée de cadeaux aussi précieux qu’onéreux. Mais cela ne se passe pas comme elle l’avait prévu. C’est elle qui tombe dans l’admiration. Elle est épatée, séduite par la sagesse de Salomon (certaines traditions voient plus large et plus intime, quand elles disent qu’elle mettra au monde un fils de Salomon au retour dans son pays).
    Ce qui est remarquable dans ce récit, c’est la transformation de la relation au fil du temps de la rencontre. Au départ, la reine de Saba se déplace pour lancer un défi au roi Salomon. Elle vient avec sa supériorité. Elle est persuadée que son savoir et son intelligence sont supérieurs à ceux de Salomon. Elle va le mettre au défi de répondre à ses questions, elle va le mettre à l’épreuve. Ensuite, elle lui apportera les solutions.
    Dans notre aide aux « pays en voie de développement » n’est-ce pas comme cela que nous faisons ? Ne sommes-nous pas persuadés — avant de partir — que nous pouvons leur apporter des solutions, avant même d’être arrivés et de les avoir entendus ? On part souvent avec l’idée d’être supérieurs et cela conduit à dominer l’autre.
    Autre écueil qui est emblématique des rencontres qu’on peut faire lorsqu’on voyage dans un pays étranger : on arrive avec ce qu’on a lu dans les livres, ce que des amis nous ont raconté, ou ce que nous pensions en préparant le voyage. Des ouï-dire, des récits, voir des préjugés C’est ce qui arrive à la reine de Saba : « Alors elle dit au roi : « Dans mon pays, j'avais entendu parler de toi et de ta sagesse, mais avant d'être venue voir de mes propres yeux, je ne croyais pas ce qu'on me disait. Or tout cela était bien vrai, et même on ne m'en avait pas raconté la moitié : ta sagesse et ta prospérité dépassent tout ce que j'avais entendu dire. » (1 R 10:6-7). La rencontre réelle transforme les choses, en tout cas si on est ouvert !
    Rencontrer l’autre tel qu’il est, l’écouter répondre, l’écouter parler de lui, de son pays, de sa situation, cela transforme la rencontre, parce qu’on se met à rencontrer une personne et plus la représentation abstraite d’une nation. C’est ainsi que la reine de Saba ouvre son cœur, dit le récit. Elle découvre Salomon, sa cour, son palais, sa réalité. Et elle se met à l’apprécier, peut-être à l’aimer. En tout cas, elle a réalisé la distance entre l’image qu’elle avait par ouï-dire et la personne réelle en face d’elle. Elle passe du fantasme à la connaissance, du préjugé à la réalité.
    Cela la conduit à dire à Salomon ce qu’elle apprécie, ce qu’elle aime. Elle lui tresse des louanges et lui adresse une bénédiction et une confession de foi (v.9). La vraie rencontre, lorsqu’on laisse tomber son propre savoir projeté, pour rencontrer vraiment l’autre, conduit au moins à la compréhension, souvent à l’admiration ou à l’émerveillement. Et cela conduit au plaisir d’être ensemble, de partager du temps, de la présence.
    Et cela ouvre sur le temps des cadeaux. On savait dès le début que la reine de Saba était venue avec une caravane chargée de riches cadeaux. Mais elle ne les a pas tout de suite offerts. Elle a attendu. Le risque des cadeaux offerts en préambule, avant que des liens ne se tissent, c’est qu’ils soient perçus comme une façon d’acheter l’amitié, de se rendre favorable. C’est ce qui se passe lorsque Jacob revient à la rencontre d’Esaü en se faisant précéder de cadeaux (Gn 33).
    Ici les cadeaux arrivent vraiment comme un acte de reconnaissance. C’est la joie de donner parce qu’on a déjà beaucoup reçu à un autre niveau. On rencontre cette même problématique en théologie lorsqu’on discute du salut par la foi ou par les œuvres. Quelle est la place des œuvres, parce que la foi n’est rien sans les œuvres dit Jacques (Jc 2:14-20) ? Le protestantisme a tranché en disant que les œuvres ne peuvent pas acheter le salut mais que les œuvres sont la réponse reconnaissante d’avoir reçu le salut par grâce. Les cadeaux arrivent ici comme signes de reconnaissance.
    On est frappé par l’énormité des cadeaux, 3,5 tonnes d’or, plus les parfums, les aromates, etc. C’est juste fou ! N’a-t-elle pas peur de s’appauvrir ? Et bien non ! Parce qu’elle est dans un autre registre que celui de l’économie d’épicerie. Dans l’économie d’épicerie, ce que je dépense, je ne l’ai plus, une fois que j’ai mangé ce que j’ai acheté. Chaque fois qu’une pièce sort de mon porte-monnaie, je m’appauvris.
    La reine de Saba est dans une autre économie, une économie relationnelle, où chaque sortie (dépense) est un enrichissement. S’il faut comparer cela avec une autre partie de l’économie financière de notre monde, on peut le comparer à une économie d’investissement. Ce qui sort du porte-monnaie est investi et produit de nouvelles richesses. Comme la personne qui achète un appartement pour le louer, elle va recevoir chaque mois un loyer.
    Ce récit, en nous parlant de cadeaux et de relations nous invite à entrer dans l’économie relationnelle où plus nous donnons, plus nous recevons en échange. Plus nous donnons de nous-mêmes dans les relations, plus les autres se rapprochent de nous et nous donnent en retour. Il n’y a pas de perdants (sauf ceux qui refusent d’entrer dans les échanges), il n’y a que des gagnants.
    C’est ce que Jésus nous répète lorsqu’il nous dit que Dieu nous aime. Il nous invite à entrer dans cette économie relationnelle qui est à l’opposé de notre économie mondiale fondée sur la pénurie et la peur de perdre. Dieu est amour, il a un amour infini, qui ne manque jamais. Ne laissons pas nos relations être formatées par le langage de pénurie du monde économique. Osons la rencontre, osons les échanges et le don.
    Amen

    L’impulsion de cette prédication m’a été donnée par le dossier de DM-Echange et Mission :
    Pistes de travail pour le culte du 25 janvier 2015 : Quand le voyage est prétexte à la rencontre de l'Autre.


    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Psaume 16. De la liberté pour lire les Psaumes

    Psaume 16
    25.1.2015
    De la liberté pour lire les Psaumes


    Psaume 16 : 1-11       Actes 2 : 22-32

    Télécharger ici le texte : P-2015-01-25.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Le programme d’Exploration biblique qui commence en février porte cette année sur les Psaumes. Notre Bible compte 150 psaumes, c’est le plus long libre de l’Ancien Testament. C’est le livre le plus cité dans le Nouveau Testament. Les Psaumes ont été de tout temps une source d’inspiration pour la théologie, pour la liturgie et pour la prière, collective et individuelle. Dans tous les monastères, les Psaumes sont priés ou chantés chaque jour, tout au long de l’année.
    Malgré cela, les Psaumes sont souvent difficiles à lire, à écouter ou à prier. Il y a des obstacles de langage. Il y a des obstacles par rapport à la brutalité ou à la violence de certaines demandes, notamment lorsqu’il s’agit d’écraser les ennemis ou les adversaires. Faut-il pour autant les abandonner ? Comme le disait Thérèse Glardon dans sa conférence introductive au thème, on ne jette pas un poisson parce qu’il a des arêtes. Simplement, on enlève les arêtes pour en manger la chair délicieuse.
    Le premier pas, c’est de ne pas prendre les Psaumes pour des récits historiques. Si un Psaume demande l’écrasement des adversaires, c’est une demande, pas un acte, pas une mobilisation pour partir en guerre. C’est une demande de délivrance adressée à Dieu. Et dire sa colère soulage et permet de ne pas passer à l’acte.
    Le deuxième pas est de comprendre que les Psaumes sont des textes poétiques. La poésie n’est pas comme un texte de loi ou un article de journal. La poésie utilise un langage libre, des images, des métaphores, des comparaisons ; c’est un appel à l’interprétation. Le texte poétique doit être interprété pour être compris. Le texte poétique peut avoir plusieurs sens en même temps, il peut aussi avoir plusieurs niveaux de compréhension. Le texte poétique appelle à être interprété, en lien avec chaque époque où il est lu. Les images doivent souvent être retraduites.
    Le troisième pas, c’est de réaliser que la poésie ne fait pas appel à notre rationalité, mais à notre sensibilité, à nos émotions. La poésie parle souvent directement à notre inconscient, en passant par-dessus les barrières de la raison. Un texte poétique peut faire pleurer d’émotion, sans trop savoir pourquoi, ce qui n’est pas le cas du mode d’emploi de sa télécommande.
    Le texte poétique parle au corps et engage le corps autant que la tête. C’est pourquoi le langage poétique peut être pour nous une porte ouverte vers la spiritualité, vers Dieu. En effet, notre foi est vaine si elle est seulement un savoir, une réflexion sur Dieu. Notre foi devrait être confiance, assurance, réconfort pratique dans notre vie de tous les jours. C’est exactement ce dont parle ce Psaume 16 que vous avez entendu.
    Il commence par ces mots : « O Dieu, veille sur moi, je me réfugie (je me blottis) en toi » (Ps 16:1). Si le psalmiste peut dire cela, c’est qu’il éprouve vraiment un sentiment de sécurité. Que serait une sécurité théorique ? De quelle sécurité avons-nous besoin ? D’une sécurité pratique qui nous assure un sentiment intérieur de protection, de calme, de sérénité contre les assauts de l’angoisse.
    Ce psaume est construit comme une suite de vagues. On commence en haut avec la sécurité, on descend vers l’angoisse du choix, on remonte avec la confiance, on redescend vers l’angoisse de la mort et on remonte vers l’assurance d’être guidé et de pouvoir vivre dans la joie. Ce psaume mentionne donc deux types d’angoisse que tout être humain rencontre dans son existence. 
    D’abord aux vv. 3-4, il est question des idoles « les autres dieux qui augmentent les tourments ». C’est la question de savoir à qui se fier. En qui, en quoi pouvons-nous fondamentalement avoir confiance ? Sur quoi nous reposer ? Allons-nous où se ruent la majorité de nos concitoyens ? Allons-nous là où les consultants nous conseillent d’aller ?
    Le psalmiste confesse : « Seigneur, tu es la chance de ma vie ! » et il continue dans la reconnaissance : « Je remercie le Seigneur qui me conseille, même la nuit ma conscience m’avertit. » (v.7). Ce verset est très intéressant. Comme souvent en poésie hébraïque, on a deux phrases en parallèle qui se répondent, s’opposent ou se complètent. Ce parallélisme nous donne comme un effet 3D.
    La mention de la nuit dans la deuxième partie de la phrase nous permet de penser — c’est de la poésie — que la première partie a lieu le jour. On a l’opposition veille-sommeil. Donc le jour, le Seigneur me conseille. Dieu est présent par son enseignement, sa parole. Il parle à mon intelligence, à ma conscience.
    Et la nuit ? Littéralement le texte dit : « les nuits, mes reins m’avertissent ». Les reins, ce sont les trippes, les viscères. C’est le lieu du ressenti, mais aussi ce qui travaille en silence — ou avec quelques borborygmes — mais de façon non dirigée, non consciente. La digestion se passe sans directions de notre part. De plus, les découvertes récentes montrent que nous avons autant de neurones actifs dans la cavité abdominale que dans le cerveau et qu’une grande partie de nos humeurs ou de nos émotions pourraient prendre leur source dans ces tissus nerveux abdominaux.
    De là, il n’y a qu’un minuscule pas à faire pour traduire cette phrase de poésie « mes reins m’avertissent » par « mon inconscient me parle la nuit, comme Dieu me parle le jour ». Une façon pour le psalmiste de dire : corps et âme, vous ne faites qu’un. Unifiez votre personne. Dieu vous entend tout entier, corps et âme. Vous pouvez vous présenter entier devant Dieu, conscient et inconscient ensemble.
    La seconde angoisse que le Psaume aborde est l’angoisse face à la mort « Tu ne permets pas à ton fidèle de voir sa destruction » (v.10). Cette phrase a été reprise dans le texte des Actes que nous avons entendu. Elle est appliquée à Jésus, pour dire que la résurrection était prévue par Dieu pour Jésus. On voit là, la liberté que le Nouveau Testament prend dans l’interprétation des Psaumes. Liberté nécessaire, utile pour comprendre et nous approprier ces Psaumes. Nous les approprier jusqu’à ce qu’ils descendent en nous, jusqu’au fond de notre âme, de notre être, de nos « reins », de notre conscient comme de notre inconscient. Qu’ils imprègnent notre intelligence comme notre corps et nos émotions.
    C’est comme cela — en nous les appropriant — que nous pourrons goûter vraiment aux délices et à la sécurité qui sont évoquées dans ce Psaume 16, au contact de Dieu.
    Nous pourrons ainsi vivre de la promesse qui termine ce psaume : « Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (v.11).
    Découvrir, redécouvrir les Psaumes, c’est une occasion de se donner une nouvelle liberté de lecture ; une occasion d’unifier notre intelligence et nos émotions devant Dieu ; une occasion de découvrir cette école de prière et cette école de vie.
    Amen

    Des informations proviennent du livre de Thérèse Glardon, Ces Psaumes qui nous font vivre, Le Mont-sur-Lausanne, Editions Ouverture, 2014.

    Autres prédications sur les Psaumes : Psaume 8 (1), Psaume 8 (2), Psaume 114, Psaume 137.


    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Matthieu 2. "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte"

    Matthieu 2
    7.1.2001
    "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte"
    Deutéronome 16 : 1-3      Matthieu 2  : 1-15
    Télécharger le texte : P-20010107.pdf


    Chers paroissiens, chères paroissiennes,
    Vous avez sûrement mangé de la couronne des rois, hier, le 6 janvier, date traditionnelle de la fête des Rois, aussi appelée Epiphanie. Traditionnellement, les rois mages, venus d'Orient n'arrivent pas vers Jésus le soir de sa naissance comme les bergers. Ils arrivent plus tard, car ils voient l'étoile qui paraît lors de la naissance de Jésus. Puis ils voyagent jusqu'à Jérusalem pour savoir où on peut trouver le futur roi des Juifs (tient, ce titre de "roi des Juifs" sera celui inscrit sur l'écriteau qui surmonte la croix !). Ensuite, il faut encore rassembler les autorités, les savant pour percer ce mystère. Finalement, c'est l'Ecriture sainte (Michée 5:1) qui révèle l'endroit où doit naître le Messie. La vérité ne se trouve pas dans les étoiles, mais dans l'Ecriture sainte.
    Plus on lit le récit biblique de l'avenue des mages, plus on se rend compte des différences et des contrastes qu'il y a entre la légende des rois mages — qui se raconte de Noël à l'Epiphanie — et le récit biblique qui n'a rien d'un conte de Noël.
    Matthieu ne nous raconte pas un conte où la naissance de Jésus apporte joie et paix dans le monde ! Matthieu nous montre comment — dès la naissance de Jésus — la venue de Dieu qui réclame sa royauté sur le coeur des humains crée des tensions, suscite des conflits.
    Que le règne de Dieu s'approche et le pouvoir temporel tremble de peur — ici Hérode. La venue de Jésus ne débouche pas sur un paradis, la venue de Jésus amorce un rapport de force — qui va persister tout au long du ministère de Jésus — entre les forces de la mort et les forces de vie de Dieu. Dès le moment de sa naissance, Jésus est l'objet de menaces : "Hérode cherche l'enfant pour le faire mourir" (Mt 2:13).
    Ce premier affrontement va être esquivé, car Dieu avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte. Peut-être une indication, un conseil pour les parents pour leur dire : Votre enfant devra affronter la réalité — et elle n'est pas facile — mais votre rôle pour le moment, tant que l'enfant n'est pas mûr, c'est de le protéger, en lui évitant, autant que possible, le moment de faire face au mal qui viendra bien assez tôt. 
    Dieu avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte. L'Egypte — dans l'histoire et la pensée israélite — est un pays symbole. Symbole de l'esclavage et de l'oppression. C'est le pays du malheur, des dix plaies. C'est le pays du passé — où l'on a vécu — mais dont il faut sortir pour vivre vraiment.
    Il est intéressant et significatif que Matthieu nous montre que Jésus a aussi passé par l'Egypte, son Egypte intérieure, le pays de la frustration, le pays des blessures intérieures, de la violence subie — le massacre des innocents d'Hérode n'est pas sans rappeler le massacre des bébés hébreux ordonné par Pharaon autour de la naissance de Moïse !
    Personne — pas même Jésus, nous dit l'Evangile de Matthieu — personne n'échappe à un passage en Egypte, le plus souvent pendant son enfance. Malgré tous les soins, toutes les attentions que des parents peuvent porter à leurs enfants, il est impossible que l'enfant ne ressente pas des frustrations, des injustices, des malchances blessantes, des humiliations, des vexations. Le monde n'est pas le paradis... la vie n'est pas un conte de fée, malgré tous les cadeaux — et les trois rois mages en apportent d'importants — il y a une réalité qui fait que nous existons dans un monde limité où le malheur, à toutes les échelles, surgit, sans que ce soit la faute de quelqu'un en particulier. Peut-on reprocher aux mages d'avoir contacté Hérode et enflammé sa colère ?
    L'Egypte intérieure existe pour chacun. Le malheur n'est pas d'y avoir été exilé, c'est inévitable, le malheur c'est d'y rester, de ne pas en sortir, de ne pas entendre l'appel de Dieu : "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte" (Mt 2:15).
    Descendre en Egypte et remonter d'Egypte, c'est le parcours historique du peuple d'Israël, Abraham, Jacob, Moïse. Descendre et sortir d'Egypte, c'est aussi comme un parcours initiatique qui marque l'appartenance au peuple d'Israël (dans la liturgie de la Pâque, "vous vous souviendrez à jamais du jour où vous êtes sortis d'Egypte"); un parcours qui marque aussi la vie du croyant aujourd'hui; un parcours qui passe par l'association à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ, au travers du baptême.
    Chacun, à l'âge où il se rend compte qu'il séjourne en Egypte, peut entendre l'appel de Dieu pour lui : "J'ai appelé mon fils à sortir d'Egypte". « Je t'appelle, mon fils, ma fille, à sortir d'Egypte.»
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz

  • Luc 2. Veillée de Noël

    Luc 2    2
    4.12.2014

    Veillée de Noël
    Esaïe 9 : 1-6    Luc 2 : 1-20    Jean 8 : 12

    Télécharger la prédication : P-2014-12-24.pdf

    Partie 1 : Esaïe 9 : 1-6
    « Après la longue et sombre nuit, le ciel a rayonné » Oui, c’est dans la nuit que résonne le message de Noël, c’est dans notre monde réel qu’est annoncé une bonne nouvelle. Nous connaissons notre monde, monde de détresse, monde de violence et de haine, monde d’une barbarie qu’on croyait abolie.
    C’est pour ce monde-là que Dieu fait briller sa lumière. C’est dans ce monde-là que Dieu veut étendre sa paix. Oh paradoxe ! il le fait à rebours de ce qu’on pourrait attendre !
    On voudrait que Dieu étende sa puissance sur le monde. On voudrait que Dieu fasse preuve de force et anéantisse ses adversaires. Mais n’est-ce pas ce que nous reprochons à ceux qui étendent la guerre au nom de Dieu ? Aucune violence ne peut abattre la violence, Dieu l’a bien compris.
    La paix ne peut venir qu’avec une offre de paix. La paix ne peut venir qu’avec la possibilité du sacrifice. Dieu avance vers nous sous la forme d’un enfant inoffensif, pour apporter la paix avec lui, à tout homme de bonne volonté. Il s’offre à nous, dans ce dénuement et cette vulnérabilité comme une bougie dans la nuit. Que cette lumière nous guide dans la nuit de notre monde.


    Partie 2 : Luc 2 : 1-20
    C’est dans une famille humaine que Dieu choisit de s’incorporer. Jésus naît de Marie, avec Joseph à ses côtés. C’est dans la famille humaine que Dieu choisit de s’incorporer, avec les bergers et les mages à ses côtés, avec les marginaux, les délaissés, comme avec les savants et les marchands venus de loin.
    C’est dans une famille de déplacés, loin de chez elle, qui ne trouve pas sa place, rejetée dans une sombre étable que Dieu choisit de rejoindre l’humanité.
    C’est dans une famille de la descendance du roi David, appartenant au peuple qu’il a pris sous son aile depuis des générations que Dieu a choisi de rejoindre l’humanité. Dieu rassemble son peuple et l’ouvre à l’universalité. Le Messie est offert à ce petit peuple à peine sorti de l’ombre, mais pour devenir un personnage pour le monde entier, le sauveur du monde, le messager d’une bonne nouvelle pour le monde entier.
    Dieu n’appartient à personne. Dieu ouvre son cœur à toute l’humanité. L’amour est universel, il s’adresse à tous, il est le moteur et l’énergie de tout humain où qu’il habite sur la planète terre. Dieu est amour pour tous.

    Partie 3 : Jean 8 : 12
    Lumière ! Lumière du monde ! Pas tant un soleil qui illumine tous les coins de la planète. Plutôt un phare qui perce l’obscurité d’un rayon étroit qui traverse la nuit, régulièrement, inlassablement. C’est le phare qui guide le marin pour éviter l’écueil. C’est le phare qui mène à bon port, qui permet de se repérer dans l’obscurité du monde.
    C’est le faisceau des phares qui permet de rouler dans la nuit, éclairant les obstacles, illuminant les bas-côtés, permettant d’avancer et d’atteindre son but.
    C’est la lumière qui éclaire le monde de significations nouvelles, qui permet de comprendre ce qui anime les hommes et les sociétés. La lumière sculpte et dénonce les égos surdimensionnés de ceux qui ne pensent qu’à amasser richesses et pouvoirs. C’est cette lumière qui illumine les gestes de bonté anonymes sans lesquels le monde serait triste et froid.
    C’est la lampe qui permet de lire ce qui, sinon, resterait indéchiffrable : une mère qui sans cesse s’oublie pour que ses enfants aient une vie meilleures ; un patron qui préfère couper dans ses profits plutôt que de se séparer de son premier employé, devenu invalide ; une dame âgée qui accueille des réfugiés dans sa cuisine et à qui ceux-ci préparent quelques plats exotiques ; un enfant reconnaissant de la patience de son enseignante qui lui offre un dessin fait avec son cœur.
    Ce sont des gestes invisibles au monde, mais toujours illuminés par le regard de Dieu. Il est la lumière qui fait voir le monde sous un jour nouveau.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 1. Joseph

    Matthieu 1
    14.12.2014
    Joseph

    Luc 2 : 41-52       Matthieu 1 : 18 — 2 : 2

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ma précédente prédication parlait de Marie. Je me dois aujourd’hui de vous parler de Joseph. Ce pauvre Joseph, tellement délaissé et rejeté au second plan. Regardez les peintures de la nativité : Joseph est dans l’ombre, on l’aperçoit tout juste en silhouette ou dans un manteau couleur muraille se confondant avec les parois de la grange ou de la grotte. L’âne et le bœuf sont bien plus visibles que lui !
    Pauvre Joseph ! Peut-on le réhabiliter un peu ? Que sait-on de Joseph ? Que nous disent les Evangiles ? L’Evangile le plus ancien, Marc, le passe entièrement sous silence, aucune mention de lui. Matthieu et Luc lui donnent une place dans les récits de la naissance de Jésus, au côté de Marie. Là il est important.
    Joseph est le lien de Jésus avec la dynastie davidique. C’est par Joseph que Jésus est un descendant de David, qu’il peut s’inscrire comme Messie issu du tronc de Jessé. Ça n’est pas rien.
    Que sait-on encore ? Joseph est fiancé à Marie et l’épouse. Il habite Nazareth. Il est charpentier ou artisan dans le bois et toujours considéré comme le père de Jésus, jusque dans l’Evangile selon Jean où Jésus est nommé à deux reprises comme le fils de Joseph.
    Joseph est présent à la naissance de Jésus et à la présentation au Temple. Il organise la fuite en Egypte et le retour à Nazareth « divinement averti en songe » (Mt 2:19). Et il est présent lors du pèlerinage à Jérusalem lorsque, à 12 ans, Jésus reste au Temple à l’insu de ses parents. Ce récit parle toujours des parents de Jésus et lorsque Marie gronde Jésus, elle lui dit : « Ton père et moi étions très inquiets en te cherchant » (Luc 2:48).
    Temporellement, c’est la dernière mention de Joseph. Il n’apparaît plus en tant que tel dans les récits, sinon pour des indications « patronymiques » notamment lors d’une controverse avec les autorités juives. Pour expliquer le sens de la multiplication des pains, Jésus dit qu’il est le « pain descendu du ciel » (Jean 6:41). Alors, ceux qui sont autour de lui disent : « N’est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Nous connaissons son père et sa mère, comment peut-il dire maintenant qu’il est descendu du ciel ? » (v.42).
    Voilà pour les mentions de Joseph. C’est Matthieu qui lui donne la plus grande place en le dépeignant comme le récepteur, le dépositaire des révélations divines (en songe) ; ces révélations qui assurent la survie de Jésus déjà en butte à l’hostilité du monde qui préfigure déjà la croix. Joseph a donc là un rôle extrêmement important, même si ce rôle ne s’étend pas au temps du ministère de Jésus dont il est complétement absent.
    Pendant le temps de rédaction des Evangiles, on ne voit aucune raison de le faire disparaître des textes. Même la défense de la virginité de Marie ne réclame pas qu’il soit gommé, d’autant plus que personne n’a gommé (dans les Evangiles) les frères ou les sœurs de Jésus. Il est donc probable que Joseph soit mort avant le début du ministère de Jésus, ce qui est la façon la plus simple et logique d’expliquer qu’il n’est plus présent dans ces récits.
    Matthieu, donc, revalorise la place d’un Joseph plutôt absent dans la vie de Jésus. C’est un peu un paradoxe pour un évangéliste qui défend en même temps la virginité de Marie. En fait, Matthieu peut défendre les deux, la place de Joseph et la virginité de Marie, en se plaçant comme héritier spirituel de l’Ancien Testament.
    L’histoire des patriarches nous montre qu’on peut dépasser les hiérarchies naturelles (le droit d’aînesse par exemple) par des bénédictions (c’est tout le conflit entre Jacob et Esaü, ou la bénédiction croisée de Jacob envers les fils de Joseph). L’histoire du roi David (David contre Goliath) et le fait que Dieu choisit le petit dernier pour monter sur le trône d’Israël plutôt que les grands frères baraqués, en est aussi le signe. Ensuite vient l’appel à dépasser le clan pour s’ouvrir à l’humanité et à l’universalité.
    La Bible appelle à remplacer les liens du sang par des relations ouvertes et universelles. La Bible appelle à remplacer la force par la justice et l’agapè. Dans l’histoire de la naissance de Jésus, les Evangiles appellent à faire le même chemin : tisser des liens spirituels et c’est bien le chemin que doit parcourir Joseph. Joseph est le prototype de ces nouveaux liens que nous devons tous créer : nous ouvrir à une double filiation.
    Nous sommes les enfants de nos parents, selon la chair, mais nous avons à nous ouvrir à une relation avec « notre Père qui est dans les cieux ». C’est ce que fait Jésus à 12 ans dans le Temple, quand il laisse partir ses parents. Nous avons à apprendre à nous relier au Père céleste, ce qui n’empêche pas de retrouver ou d’être retrouvé par ses parents biologiques. Il n’y a pas d’exclusion, il y a une addition bénéfique.
    Et puis, il y a lieu aussi d’apprendre à laisser aller nos enfants. Comme Joseph, nous avons à nous effacer pour laisser une place à Dieu. Comme le dit le poète Khalil Gibran :
    « Vos enfants ne sont pas vos enfants.
    Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
    Ils viennent à travers vous mais non de vous.
    Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. (…)
    Vous êtes les arcs par qui vos enfants,
    comme des flèches vivantes, sont projetés.
    L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini,
    et Il vous tend de Sa puissance
    pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
    Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
    Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable. *»
    Ce n’est pas perdre sa place de parents, de père, que de laisser ses enfants découvrir et accéder à Dieu. C’est faire notre travail, c’est remplir notre rôle. Heureux celui qui donne la vie, mais plus heureux encore celui qui permet l’ouverture à la vraie vie. Ce rôle-là ne se fait pas par l’action, par la puissance, mais par le retrait, en laissant la place.
    Si nous occupons la place de Dieu, celui-ci ne peut la prendre. Comme Joseph, nous avons à laisser cette place libre pour que Dieu puisse venir l’habiter de sa présence et ainsi nous faisons, à nos enfants, le plus beau cadeau du monde : ils peuvent découvrir leur Père céleste.
    Amen
    * Khalil Gibran, Le prophète, Paris, Castermann, 1956. p.19.
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Luc 1. Marie

    30.11.2014

    Luc 1.
    Marie
    Jean 1 : 10-13     Luc 1 : 26-38 

    Télécharger la prédication : P-2015-11-30.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Comme protestants, nous avons de la peine avec la figure de Marie. Nous la tenons à distance, nous la mentionnons le moins possible dans nos liturgie ou nos prédications. Nous pouvons prendre les disciples comme modèles, Pierre ou Thomas, même Zachée, mais pas Marie. Nous pouvons nous laisser inspirer par de grands personnages comme Martin Luther King, Mère Teresa, Mandela, l’abbé Pierre ou sœur Emmanuelle du Caire, mais pas Marie !
    Et bien, aujourd’hui, j’aimerais prendre Marie comme modèle ! La prendre comme modèle de foi, comme inspiration. Le moment de l’Annonciation, où Marie reçoit la visite de l’ange Gabriel, peut être une inspiration pour nous et notre foi.
    Ce moment, en tout cas, a été inspirant pour beaucoup de peintres de la Renaissance, ou après. On voit l’ange Gabriel haut placé d’un côté du tableau avec un rayon ou simplement son regard qui descend en diagonale vers Marie, dans une pose recueillie et accueillante.
    C’est une atmosphère qui exprime le don et la réception, l’annonce et l’acceptation. C’est l’atmosphère du temps de l’Avent, Dieu offre son fils au monde, comme cadeau vivant. Et cette offre merveilleuse trouve un cœur accueillant, troublé, impressionné, mais ouvert, réceptif. Si ce temps semble un peu passif, l’annonce de l’ange invite Marie à devenir active dans un triple mouvement : concevoir, enfanter, nommer.
    Concevoir, c’est accepter l’idée de ce projet de Dieu pour elle et le faire advenir dans son être intérieur. Ce sera nourrir et faire grandir en elle celui qui deviendra la Parole de Dieu.
    Enfanter, ce sera mettre au monde, donner au monde celui qui a grandi en elle, donc se séparer, laisser aller, lâcher prise, donner.
    Nommer, c’est dire le sens du projet : Jésus « Yoshua » signifie « Dieu sauve ». Dans cette nomination, il y a le témoignage et la confession que celui qui est donné au monde vient de Dieu avec le dessein merveilleux de sauver l’humanité.
    Voilà  le rôle, le travail, la mission de Marie. Mais le récit biblique n’est pas là que pour nous relater des événements du passé. Il est là pour nous pousser en avant et pour nous rejoindre dans notre présent.
    Le théologien médiéval Pierre de Blois (1135-1203) — à propos de l’annonciation — dit qu’il y a trois avènements du Christ. Le premier, à travers Marie, est son avènement historique, de la crèche à la croix, celui que je viens de décrire.  Le deuxième avènement est l’avènement du Christ en nous, « dans notre âme » dit Pierre de Blois. Le troisième avènement aura lieu à la fin des temps, lors du retour du Christ.
    J’aimerais développer ce deuxième avènement, en nous, du Christ. C’est là que Marie devient un modèle pour nous, une image spirituelle de ce qui se passe pour nous. Nous n’avons probablement pas vu l’ange Gabriel, mais la Parole de Dieu nous a été annoncée, elle a été proclamée et — si nous sommes là ce matin — c’est qu’elle nous a touchés.
    La Parole est semée sur tous les terrains, comme le dit la parabole du semeur, mais elle ne prend pas racine partout. Il faut une ouverture, une réception, un accueil pour que la Parole puisse germer en nous. Dieu souhaite habiter en nous et toujours à nouveau il couvre l’humanité de son ombre pour que la Parole puisse être conçue, puisse germer dans nos cœurs.
    L’évangéliste Jean rappelle que le Christ n’est pas accueilli partout les gras grands ouverts : « Le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu dans son propre pays, mais les siens ne l’ont pas accueilli. »  (Jn 1:10-11). L’accueil, l’ouverture, la réception ne va pas de soi.
    Ensuite, l’exemple de Marie nous montre qu’après avoir conçu, fait germé en soi la Parole, il faut l’enfanter, la mettre au monde, la donner au monde. Le Christ n’est pas un petit trésor personnel. Bien sûr, il nous fait du bien, il nous réchauffe de son amour, il nous apporte de la sérénité, de la paix, il nous aide à traverser les épreuves de la vie, mais il ne nous appartient pas. Nous avons à mettre cette Parole au monde, à la donner au monde.
    Enfin, nous avons à nommer Jésus, à confesser qu’il est le sauveur du monde. C’est ce que Noël nous annonce : « Un sauveur nous est né ! » (Lc 2:11). Le Christ est pour tous les humains, il est la lumière du monde, même si le monde ne veut pas la voir et la rejette.
    Ce monde a besoin de la lumière du Christ, celle qui apporte la paix pour le monde.
    Marie, en acceptant d’être la mère de Jésus, a porté le premier avènement du Christ. Elle devient le modèle, l’image spirituelle du deuxième avènement du Christ, son avènement en nous. Comme elle, nous pouvons être porteurs du Christ pour l’enfanter au monde et le nommer pour porter témoignage de son œuvre, de son amour pour tous les humains.
    Cette terre a besoin de voir naître toujours à nouveau le Christ et recevoir de lui lumière et paix.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Ezéchiel 34. Dieu juge !

    23.11.2014
    Ezéchiel 34
    Dieu juge !

    Ezéchiel 34 : 15-24      Matthieu 25 : 31-46

    Télécharger la prédication : P-2014-11-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    C’est aujourd’hui le dernier dimanche de l’année ecclésiastique. Dimanche prochain, nous commençons le temps de l’Avent, la montée vers Noël. Pour ce dernier dimanche de l’année, les lectures bibliques proposées portent sur le jugement dernier, sur la fonction de Dieu juge. Dieu comme juge, cela ramène peut-être certains des années en arrière, lorsque parents ou pasteurs nous faisaient peur avec un Dieu juge, un Dieu qui punit, un Dieu qui gronde.
    On pourrait bien sûr laisser cette image aux oubliettes de l’Histoire… et se dire qu’il faut tourner la page. Alors oui, il y a une page à tourner, mais faisons-le consciemment, sans jeter le bébé avec l’eau du bain.
    La Bible nous présente, de temps en temps, un Dieu qui juge. Et on le verra dans le programme d’Exploration biblique de l’hiver, dès janvier prochain, autour des Psaumes, parce que la figure du Dieu juge est très présente dans les Psaumes.
    Alors, comment comprendre que la Bible nous présente en même temps un Dieu juge et un Dieu d’amour ? Est-ce compatible, et comment ? Je vais montrer que c’est compatible à une condition : il ne faut pas confondre le droit biblique et le droit romain.
     Notre culture occidentale est bâtie sur le droit romain. Encore aujourd’hui, les étudiants qui font le droit à l’université ne coupent pas au cours de droit romain et à un peu de latin. Le droit romain, figuré par une statue aux yeux bandés (pour ne pas faire de différences entre les personnes) avec une balance dans une main (pour l’équité) et une épée dans l’autre (pour la punition), est un droit qui tranche, qui recherche le coupable et qui le punit.
    Le but du juge est d’envoyer le méchant en prison quand la loi le lui permet. Le tribunal ne s’occupe que du coupable. La victime doit faire un second procès, au civil, si elle veut obtenir une réparation.
    Le droit biblique est tout différent. Le droit biblique est un droit fondé sur la réparation, sur la réhabilitation de la victime. Regardez ce qui se passe avec Zachée, lorsqu’il est confronté à Jésus. Zachée était un homme malhonnête et il veut changer du tout au tout. Et bien, il indemnise ses victimes. Aucune punition n’est proposée par Jésus. Zachée a fait ce qu’il fallait, il est juste aux yeux de Jésus en s’occupant des victimes.
    Prenons un autre jugement, celui de Salomon. Pas de recherche de cause, de coupable, de faute. Ce qui est recherché, c’est « à qui rendre l’enfant vivant » ! Il s’agit d’éviter de rajouter une injustice à un malheur. Ce qui est recherché, c’est comment rendre justice à la mère de l’enfant vivant.
    C’est ce que nous est décrit aussi Ezéchiel lorsqu’il dépeint Dieu comme le berger, juge de son troupeau. Celui qui juge est le berger, celui qui prend soin du troupeau, celui qui est le propriétaire et qui veut que son troupeau soit florissant, en bonne santé et en bonne entente.
    Ici il est bien dit que juger, c’est veiller sur les plus faibles. On a déjà là l’esquisse de la parabole de la brebis perdue. Il y a un parti pris pour le faible, pour la victime potentielle, pour le vulnérable et le fragile. Le juge est là pour les protéger contre les menées des forts, des puissants, des sans-gêne, des violents. On a même une touche contre les pollueurs qui gâchent l’herbe et l’eau de leurs voisins.
    Le juge contrôle, limite, met des barrières aux comportements de ceux qui pensent pouvoir empiéter sur les droits de tous. Ce sont des mesures de protection, et c’est bien le rôle de la justice, du droit, des lois, de limiter le pouvoir des forts pour que les moins bien lotis, les minorités puissent vivre sans être opprimés ou lésés.
    Le jugement, dans le droit biblique, est vraiment de porter secours, de sauver le faible des griffes du pouvoir des puissants. Et c’est bien ce qu’on lit dans les Psaumes lorsqu’il est question d’un Dieu juge. Il juge ceux qui empiètent sur les droits des plus faibles. C’est pourquoi la Bible peut associer la fonction de juge et de berger, parce que « juge » pourrait être remplacé par le mot « protecteur ». C’est tout le contraire du juge inique de la parabole, du juge qui méprise ou qui écrase.
    Comme il n’y a pas beaucoup de bergers dans notre cadre de vie, on pourrait prendre l’image de l’enseignant qui doit veiller à ce que les élèves qui ont le plus de peine aient toute leur place dans la classe, en faisant taire les élèves qui ont toujours la bonne réponse et en accordant plus d’attention à ceux qui ont plus de peine.
    Le jugement présenté dans l’Evangile selon Matthieu (Mt 25:31-46) s’inspire largement des images d’Ezéchiel et du droit biblique. Mais ce jugement opère un glissement intéressant de la fonction de juge dans le sens de protecteur.
    On a vu que dans le droit romain, il faut trouver un coupable. Avec un tel système, si on ne veut pas tomber dans la chasse aux sorcières, il faut des juges professionnels. La justice, la recherche et la punition des coupables, ne peut pas être l’affaire de tous, sinon il serait question de vengeance ou de vendetta. La justice romaine doit être étatisée pour être juste.
    Il en va autrement de la justice biblique et c’est ce que met en avant cette parabole du jugement. La réhabilitation de la victime, l’attention au plus faible, le soutien du plus pauvre, sont les critères pour départager les moutons des chèvres. C’est pourquoi — autant d’un côté que de l’autre — la réaction est l’étonnement : Quand avons-nous… ? Cette justice n’est plus l’apanage seulement du juge, du berger, du Messie, du protecteur.
    Cette justice est l’affaire de tous ! Tout le monde, à son niveau de vie et de compétence peut intervenir autour de lui pour faire appliquer la justice biblique.
    La justice biblique est l’affaire de tous ! Elle devient notre affaire dès que nous sommes en contact avec le Christ qui nous la transmet. Mais par un retournement incroyable, cette justice dans les plus petits gestes devient le moyen par lequel nous entrons au contact du Christ. « Chaque fois que vous l’avez fait, c’est à moi que vous l’avez fait » dit Jésus.
    La justice biblique est l’affaire de tous ! C’est la mise en pratique de l’amour reçu de Dieu, la charité (caritas en latin, agapè en grec), mais c’est aussi le canal par lequel nous nous approchons directement du Christ. Comme chaque humain est une figure du Christ, chaque humain est une occasion de rencontrer le Christ.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 25. Faire fructifier nos talents

    16.11.2014
    Matthieu 25
    Faire fructifier nos talents

    1 Thess 5 : 1-5      Matthieu 25 : 14-30
    Téléchargez le texte : P-2014-11-16.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans l’Evangile selon Matthieu, l’enseignement de Jésus se conclut par une série de paraboles. Celle que vous venez d’entendre est l’avant-dernière. Elle est précédée de la parabole des 10 jeunes filles, dont certaines étaient imprévoyantes (Prédication du 24.11.2013). Elle est suivie de la grande parabole du jugement où Jésus déclare que donner un verre d’eau au plus petit des humains, c’est lui donner à boire à lui.
    Dans cette parabole dite des talents, Jésus illustre le temps de l’Eglise, entre son départ et son retour. Il est question d’un maître qui laisse sa maison et ses biens à ses serviteurs, pendant le temps de son absence. Il leur confie la gestion des ses biens.
    Selon les traductions, il leur confie des pièces d’or, ou des talents, ce qui reproduit le texte grec. J’ai fait une petite recherche sur ce qu’était un talent. Un talent, c’est d’abord la quantité contenue dans une amphore. Selon les époques, cela a varié entre 60 et 20 litres. A l’époque gréco-romaine de Jésus, l’amphore moyenne de 26 litres était devenue la norme. Un talent d’or correspond donc à 26 kg d’or, ce qui, au prix actuel, représente un million de francs suisses.
    Ainsi, dans cette parabole, le premier serviteur reçoit 5 millions, le deuxième 2 millions et le troisième un million. Autant dire que le don est immense, ce qui souligne non seulement la générosité du maître, mais surtout sa confiance, sa confiance dans chaque serviteur.
    Ensuite la parabole nous montre deux attitudes face à cette remise. Le premier et le deuxième serviteur se mettent au travail. Le récit utilise trois verbes : ils vont, ils travaillent (font du commerce) et ils gagnent. Puis pour le troisième serviteur, le texte dit : il s’éloigne, il creuse la terre, il cache.
    Rien n’est dit de ce que pensent les premier et deuxième serviteurs. Par contre le récit nous dit ce que pense le troisième. Il pense que le maître est « dur, qu’il moissonne où il n’a pas semé, qu’il récolte où il n’a pas planté » (Mt 25:24). Ce serviteur a peur (v.25) de son maître. Il est dans une attitude de défiance. Il pense carrément que son maître est un voleur et un accapareur injuste.
    On voit là, combien notre action peut être modelée par notre vision, notre interprétation des choses. Si nous voyons la vie comme injuste, le monde comme dur et cruel, alors nous allons nous replier dans la peur et le retrait. Nous serons paralysés.  Il ne nous sera pas possible de nous déployer, de nous ouvrir, de partager nos talents avec d’autres. Il s’en suivra, tout naturellement pourrait-on dire, que la vie sera amère et que tout finira dans les grincements de dents (v.30).
    Le repli entraine le repli. La fermeture conduit à plus de fermeture encore. Alors que l’ouverture conduit à plus d’ouverture encore, le succès entraine le succès, comme on dit.
    Au point qu’un sociologue a défini la phrase « On donnera à celui qui a et l’on retirera à celui qui n’a pas » (v.29) comme l’« effet Matthieu »* qu’on peut observer aussi bien dans le monde économique que dans celui des célébrités et du show-biz.
    Mais ce n’est pas à cela que pensait Jésus. Par cette parabole, Jésus nous interroge sur ce que nous faisons du don merveilleux de la vie que nous avons tous reçu. Avec la vie, nous avons reçu des capacités relationnelles qui valent des millions. C’est notre richesse. Ce sont nos talents. Au point que le nom de cette mesure de quantité est devenu le synonyme de dons extraordinaires, de capacités, d’aptitudes.
    Chacun de nous a reçu des talents, et Jésus nous invite à les mettre en œuvre, à aller, travailler et faire fructifier nos aptitudes, nos talents.
    Et ce qui différencie les serviteurs, ce n’est pas la quantité obtenue, le premier et le deuxième serviteurs doublent leurs parts de la même façon. Ce qui différencie les serviteurs, c’est la confiance ou la défiance qu’ils ont par rapport au maître — ou à la vie.
    Celui qui est défiant, et bien il enterre son talent. Il enterre en fait sa vie, il renonce à vivre. Dans cette vie-là, il est déjà mort et enterré.
    Celui qui fait confiance, il se lance et il est récompensé. Il gagne, il double sa mise, il est félicité par le maître et il « entre dans sa joie », c’est-à-dire faire la fête avec son maître, entrer dans le Royaume de Dieu.
    Tout se joue sur la confiance, et la confiance entraine la confiance. Et des petites choses confiées on peut passer à de grandes choses.
    Chacun a reçu un talent, au moins. Chacun, s’il fait confiance en la bonté du maître, de Dieu, de la vie, peut le faire fructifier.
    Aujourd’hui, nous sommes-là aussi, pendant l’Assemblée paroissiale qui va suivre, pour reconnaître que Sylvie Dépraz a fait fructifié son talent. Nous sommes là pour lui confirmer que nous souhaitons lui confier la responsabilité d la paroisse, parce qu’elle a été fidèle en toutes sortes de choses pendant ces deux années écoulées. Nous lui faisons confiance. Nous reconnaissons son talent. Nous nous réjouissons qu’elle puisse être un exemple pour chacun et spécialement pour notre jeunesse, un exemple d’engagement, un exemple de vocation, un exemple de prise de responsabilité dans l’Eglise.
    Chacun a reçu un talent, que chacun aille, travaille et fasse fructifier son talent et entre dans la joie du maître.
    Amen

    * Le terme est dû au sociologue américain Robert K. Merton
    Robert K. Merton, « The Matthew Effet », Science, vol. 159, no 3810, 1968, pp. 56-63 (pdf à télécharger)

    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 23. Que doit faire un protestant ?

    Matthieu 23
    2.11.2014
    Que doit faire un protestant ?


    Phil. 3 : 8-11      Matthieu 23 : 1-13


    Téléchargez le texte : P-2014-11-02.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Voilà que Jésus tombe à bras raccourcis sur les scribes et les pharisiens. Ce chapitre 23 est une attaque en règle contre ces deux groupes de religieux qui maîtrisent la lecture et l’enseignement de la Torah au Temple et dans les synagogues.
    Jésus reconnaît leur expertise de la Bible (puisqu’il dit aux foules et à ses disciples de les écouter et de suivre leurs enseignements sur la loi de Moïse), mais Jésus s’en prend à leurs pratiques, ou à l’inexistence de leur pratique : les scribes et les pharisiens ne font pas ce qu’ils enseignent. On a résumé cela, chez nous, en disant, ce sont des gens qui disent « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
    Ainsi Jésus les accuse d’être un contre témoignage, tellement il y a d’écart entre leurs paroles et leurs actes. Et ce contre témoignage empêche les gens d’avoir accès à Dieu. Jésus dit « Vous fermez la porte du Royaume des cieux aux hommes. Vous n’y entrez pas vous-mêmes et vous ne laissez pas y entrer ceux qui le désirent » (Mt 23:13).
    En quoi ce récit a-t-il un rapport avec la Réformation que nous rappelons en ce dimanche ? Et bien, le mouvement de la Réforme est né du même constat que fait Jésus dans ce récit. Les responsables religieux monopolisent la Bible et son interprétation, mais ne mettent pas en pratique son message. Bien plus, ils deviennent un obstacle à la recherche de Dieu.
    C’est ce que les Réformateurs ont reproché, au XVIe siècle, à l’Eglise romaine, qui vivait bien loin des idéaux de l’évangile. Les Réformateurs ont cherché de nouvelles voies pour retrouver l’évangile, un nouvel accès à Dieu, ils ont cherché à rendre Dieu à nouveau accessible à tout un chacun.
    La grande redécouverte — à la lecture des Evangiles — a été de voir que l’accès à Dieu ne vient pas de nos compétences ou de nos capacités à trouver la bonne clé pour entrer dans le Royaume de Dieu, mais de réaliser que la porte du Royaume de Dieu est déjà ouverte, que c’est Dieu lui-même qui l’a ouverte en Jésus-Christ et que nous avons seulement à faire le pas de la franchir. Pas d’indulgences à acheter, pas de pèlerinages à faire, pas d’interminables rosaires à murmurer. Dieu nous accueille à bras ouverts et malheur à ceux qui mettent des obstacles entre Dieu et les humains.
    C’est la redécouverte de Paul, l’ancien pharisien, qui a balayé les obstacles sur le chemin du Royaume. Je le cite : « Je n’ai plus la prétention d’être juste grâce à ma pratique de la Loi. C’est par la foi au Christ que je le suis, grâce à la possibilité d’être juste, créée par Dieu et qu’il accorde en réponse à la foi. » (Phil 3:9).
    Notre protestantisme a merveilleusement réagit à la condamnation des pharisiens par Jésus. Oui, merveilleusement ! Nous avons compris qu’il fallait renoncer à tout ce qui est ostentatoire, à tout fardeau, à toute contrainte, à toute pratique visible ! Au point que nous sommes devenus invisibles dans la société ! Oups ! La lampe est sous le seau.
    C’est vrai, pouvez-vous me citer un acte, une tâche, un geste, que les protestants se doivent d’accomplir pour qu’on puisse les voir, les reconnaître comme protestants ? Que doit faire un protestant ?
    Un catholique doit aller à la messe, ou donner le denier du culte, ou se confesser, faire un signe de croix, jeûner en carême. Un musulman doit accomplir les cinq piliers de l’islam. Un juif doit aller une fois dans sa vie à Jérusalem, fêter le sabbat et les cinq fêtes de l’année.
    Que doit faire un protestant ?
    Nous avons fait nôtre la phrase « pas de contrainte en religion » ! Pas de devoirs, pas de contraintes, pas de discipline. Le bon côté, c’est la liberté de chacun. S’il fait quelque chose, c’est vraiment librement, par et pour lui-même, certainement pas pour les apparences ou pour se faire voir.
    Mais les inconvénients :
    •    c’est la paresse à laquelle cela a conduit. Tout est optionnel et donc sans grande valeur,
    •    c’est la dissolution dans l’invisibilité,
    •    c’est la diminution de toute pratique communautaire et finalement l’assèchement de la pratique individuelle.
    Parce qu’il y a deux pratiques, typiquement protestantes, qui subsistent comme signes du protestantisme (bien que pas exclusivement, les catholiques se rapprochent de nous sur ces deux points) : la lecture de la Bible et la prière dans sa chambre. Mais même cela n’est-il pas en perte de vitesse, et à vitesse grand V dans les jeunes générations ?
    Je ne vais pas vous embarrasser en vous demandant de lever la main, mais vous pouvez répondre dans votre tête : quand avez-vous lu votre Bible pour la dernière fois ? Pendant la semaine écoulée, le mois dernier, les six derniers mois, plus ? Je pense que les résultats seraient heureusement meilleurs pour la prière dans la chambre.
    Jésus a plaidé pour qu’il y ait un accord entre nos paroles et nos actions et que nous ne fassions pas de la religion un spectacle pour nous mettre en valeur. OK. Mais il n’a pas plaidé pour la disparition du christianisme de la place publique, ni pour la disparition de la pratique, au contraire. Il a plaidé pour que chacun réalise que Dieu est directement accessible, qu’il se laisse approcher par chacun.
    Notre tâche, en tant que chrétiens (et nous en tant que protestants), c’est de connaître ce Dieu qui nous ouvre la porte, le connaître à travers les récits de la Bible, qui nous parlent de lui. Notre tâche, c’est de lui parler, de lui faire connaître notre état d’esprit et nos besoins, par la prière.
    Notre tâche, c’est de nous réjouir que Dieu nous accueille tels que nous sommes et donc de venir le louer en communauté. Notre tâche, c’est de le servir, puisque le service est le degré suprême d’accomplissement aux yeux de Dieu.
    Ainsi, nous pouvons agir, pratiquer en accord avec nos paroles. Puisque ce n’est pas une façade, réjouissons-nous de le faire voir autour de nous. Que nos actes parlent à nos contemporains et qu’ils voient une Eglise qui fait envie, qu’ils voient une communauté qui se réjouit d’être accueillie et aimée de Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 22. Culte du souvenir : réaliser qu’on ne perd pas tout.

    Matthieu 22
    19.10.2014
    Culte du souvenir : réaliser qu’on ne perd pas tout.

    Exode 3 : 9-15       Jean 12 : 20-25     Matthieu 22 : 23-33
    Téléchargez le texte : P-2014-10-19.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons entendu qu’on vient poser à Jésus une question sur la résurrection. L’idée de résurrection fait problème aujourd’hui, Mais, comme on l’a perçu dans le récit biblique, elle faisait déjà problème à l’époque de Jésus.
    Les pharisiens croyaient à la résurrection, à la fin des temps, une résurrection qui devait précéder le jugement dernier. De leur côté, les sadducéens n’y croyaient pas, elle posait trop de problèmes pratiques à leurs yeux. Ce groupe vient donc poser une question à Jésus, mais plus pour le mettre dans l’embarras ou pour montrer l’absurdité de l’idée de résurrection que pour recevoir une réponse.
    Mais Jésus les prend au sérieux. Il partage même avec eux l’idée que la résurrection est absurde si elle aboutit à une sorte de société de revenants qui reproduit notre réalité dans un autre monde. La résurrection n’a pas de sens si c’est la répétition de nos vies actuelles.
    La réponse de Jésus efface tous les cas particuliers. Jésus revient toujours aux fondamentaux, à la relation à Dieu. A chaque question, Jésus renvoie à la Bible et, dans la Bible, aux récits fondamentaux. Jamais il ne discute de l’application d’un cas particulier, d’une situation particulière en lien avec un commandement de la loi de Moïse. Jésus replace tout directement devant Dieu, comme s’il disait : Mais qu’en pense Dieu lui-même ? Jésus va toujours directement à l’essentiel.
    Là, il est question de la vie et de la mort. Où est Dieu quand il s’agit de vie et de mort ? Jésus déclare : « Dieu est le Dieu des vivants et non des morts. » Comment comprendre cette affirmation ? Surtout si on lit la phrase entière : « Dieu dit « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » le Dieu des vivants et non des morts » (Mt 22:32).
    Or nous savons qu’Abraham, Isaac et Jacob sont décédés ! Il y a très longtemps. Comment Dieu est-il le Dieu des vivants et le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui sont morts ? Si Dieu n’est le Dieu que des vivants, qui est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et le Dieu de nos morts ? Dire ces deux phrases, c’est dire que Dieu possède une puissance de vie qui transcende, qui dépasse la mort.
    Mais revenons à notre réalité. Quand un de nos proches décède, nous avons le sentiment de tout perdre, d’être amputé d’une partie de nous-même. Quelque chose qui nous faisait vivre nous est arraché. Que pouvons-nous opposer à cette perte ? Par nous-mêmes : rien. Nous nous sentons dans l’impuissance, nous nous sentons abandonnés, démunis.
    Nous avons à faire un travail de récupération pour nous relever du deuil. Je vais prendre une l’image d’une autre perte (peu comparable en intensité, mais peut-être éclairante). Vous perdez votre téléphone portable. Vous pourrez probablement récupérer certaines choses : votre numéro de téléphone, peut-être vos contacts, peut-être encore certaines données si votre téléphone était synchronisé avec votre ordinateur ou que vous avez sauvegardé des données sur le « cloud ».
    Nous pouvons faire un travail de récupération, de mémoire pour nous réapproprier ce que nous avons perdu lors de la séparation d’avec un proche. Lors d’un décès, la relation est brusquement interrompue. Il n’y aura pas de nouveau dialogue. Par contre, ce qui a été vécu, ce qui a été échangé, reçu, tout cela subsiste. Dans une relation, on a développé beaucoup de choses, on a été nourri. On est beaucoup plus riche après avoir connu cette personne qu’avant. Il est donc important de retrouver tout cela et de le nommer.
    Accepter l’absence, c’est retourner en arrière, rechercher les souvenirs, rechercher tout ce qui nous appartient dans cette relation.  Rechercher autant ce qui nous a nourri que ce qui nous a blessé ; ce qu’on a aimé et ce qu’on a regretté ; ce qu’on a vécu ensemble et ce qui nous a manqué.
    Ce travail de mémoire permet de laisser aller le mort, tout en récupérant ce qu’on a développé grâce à lui ou elle. Ce travail de mémoire permet de quitter le mort en tant que mort, et de garder ce qui est vivant de lui, une image de lui qui peut nous accompagner dans la vie et vers la vie. Faire ce travail de mémoire permet d’être plus riche après cette traversée du deuil qu’avant. Il permet de laisser la dépouille ou les cendres au cimetière et d’emporter le souvenir de son image vivante avec nous, pour avancer dans la vie et grandir. Faire son travail de deuil, c’est se bagarrer pour être plus vivant après qu’avant.
    Et si Jésus dit que Dieu est le Dieu des vivants et qu’il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, comme s’ils étaient vivants, c’est parce qu’Abraham, Isaac et Jacob nous ont laissé un héritage d’actes et de paroles qui les rendent vivants et qui nous permettent d’être vivants aujourd’hui.
    Nous n’avons rien à faire de leurs tombeaux, si nous sommes habités par leurs paroles vivantes. Celui qui peut garder d’un proche — quitté dans le chagrin — une parole qui le soutienne, un geste qui le nourrit, une image encourageante, celui-là sera plus vivant et plus fort.
    La mort nous fait perdre des êtres chers, elle nous rappelle aussi notre propre fragilité. Dès la naissance, nous pouvons mourir. La mort installe la réalité dans nos vies. Ce que nous vivons n’est pas « pour beurre » ! C’est très inconfortable, mais cela nous confronte aux vraies questions, celles que nous voudrions escamoter. Pourquoi la vie ? Pourquoi la mort ? Tout est-il absurde ?
    Si la mort nous apprend la fragilité de la vie, elle nous dit aussi que la vie est un vrai cadeau, dont on peut se réjouir. Méditer sur la mort, c’est méditer sur la vie ! Et cela afin d’être plus vivants, plus présents à la vie.
    Si la mort nous force à nous séparer, elle nous apprend aussi à rester en lien — malgré la séparation. Elle nous apprend à choisir nos attachements, à maintenir nos attachements malgré les pertes.
    Apprendre à vivre, c’est apprendre à perdre et à réaliser qu’on ne perd pas tout ! Quelque chose demeure ! Quelque chose vit ou revit !
    Jésus disait « Si le grain ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12:25). Dieu nous promet que nos pertes ne nous font pas tout perdre. Dieu est un Dieu de vie qui remet de la vie là où nous croyions avoir tout perdu. Dieu promet de nous relever et de nous donner toujours plus de vie dans nos vies, en gardant vivants, au dedans de nous, ceux que nous chérissons.
    Amen

    Cette prédication a largement puisé dans l’interview avec Alix Noble dans l’émission sur RTS « A vue d’esprit » La mort en fumée (3_5) du 5 mars 2014.

    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 21. Plus personne ne donne l’ordre à son fils d’aller travailler dans la vigne !

    Matthieu 21
    5.10.2014
    Plus personne ne donne l’ordre à son fils d’aller travailler dans la vigne !

    Matthieu 7 : 15-23        Matthieu 21 : 28-32

    Télécharger la prédication : P-2014-10-05.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Jésus raconte une parabole : un homme avait deux fils, mais ce n’est pas la parabole du fils prodigue. Jésus se trouve à Jérusalem, il est dans le Temple et il enseigne. Des prêtres et des anciens viennent alors lui demander ce qu’il fait là, de quelle autorité il se permet d’enseigner dans le Temple.
    C’est donc dans une atmosphère de conflit d’affrontement que Jésus leur raconte cette parabole. Ce n’est d’ailleurs qu’un début dans la polémique. Juste après cette parabole, Jésus raconte la parabole des méchants vignerons, puis des invités qui refusent de venir au banquet du royaume. Et cette partie se terminera par l’annonce de la destruction du Temple ! Nous avons donc là une parabole polémique, adressée aux autorités du Temple.
    Jésus engage donc le dialogue en leur demandant leur avis sur une situation : Un père donne le même ordre à ses deux enfants. Le premier dit non, mais fait le travail. Le second dit ou, mais ne fait pas ce qui lui est demandé. Qui a donc agit selon la volonté du père ? Les responsables du Temple sont d’accord que c’est celui qui a agit, même s’il a commencé par renâcler.
    Et c’est là que Jésus prononce son jugement sur ceux qui l’entourent. Le premier fils — qui dit non, mais qui fait le travail — ce sont les foules, les gens du peuple méprisés qui ont suivi Jean Baptiste et qui suivent maintenant Jésus. Le deuxième fils — celui qui dit qu’il va faire, mais ne fait rien — ce sont ceux qui tiennent des discours religieux, mais qui n’ont suivi ni Jean Baptiste, ni Jésus.
    [Une remarque sur la transmission de ce récit dans les manuscrits. Après la scission entre la synagogue et les judéo-chrétiens, cette parabole a été lue comme étant l’image du peuple juif qui a refusé Jésus et des païens qui l’ont accepté, au point que dans certains manuscrits, la parabole a été réécrite dans « l’ordre chronologique » : le premier fils étant celui qui dit oui et n’y va pas, le second fils étant celui qui dit non et qui y va. La bonne réponse donnée est alors le deuxième fils. Entre ces deux versions, celle du premier fils qui dit non et y va quand même a plus de chance d’être celle que Jésus a prononcée.]
    Restons sur la formule de Jésus. Il est question de paroles et d’actes. Et il est clair — Jésus l’a déjà dit dans le Sermon sur la Montagne — c’est l’action qui est déterminante. « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume de Dieu, mais seulement ceux qui font la volonté de mon Père » (Mt 7:21) ou encore : « un bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits » (Mt 7:18).
    On pourrait croire qu’on est dans une théologie des œuvres où le salut dépendrait de ses bonnes actions. Je crois plutôt qu’on est là face à la cohérence d’une vie. Les actes sont révélateurs de la vie intérieure. Tenir un discours et agir de manière inverse, c’est de l’incohérence ou de l’hypocrisie. C’est pourquoi Jésus s’attaque aux responsables religieux et qu’il met en garde son troupeau contre les faux prophètes qui sont des loups déguisés en agneaux. Jésus dit « vous les reconnaîtrez à leurs actions » (Mt 7:16).
    C’est ce que nous voyons souvent dans le fanatisme religieux : de grands discours sur la pureté — pureté du mouvement à l’interne et méchanceté de tous les autres — grands discours qui débouchent sur des appels, au minimum à la séparation, au pire à la violence.
    C’est malheureusement ce qu’on voit aujourd’hui avec le pseudo-état islamique en Irak et au Levant. De grands discours et l’imprécation du nom d’Allah et des violences innommables qui révèlent la vraie nature de ce mouvement.
    On pourrait se dire : mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Ce n’est pas ici, ce n’est pas notre religion. Le problème, c’est qu’il y a des gens de chez nous qui s’en vont là-bas, se battre et endosser cette idéologie. Ça c’est notre problème ! Qu’avons-nous manqué, en tant que société, pour que des jeunes de chez nous soient séduits par de tels prophètes ?
    Que voyons-nous chez nous ? (1) Sur le plan religieux, il y a peu de discours, peu d’actes, peu d’actions. Tout ce que notre société propose aux jeunes, c’est d’entrer dans la consommation et le divertissement. Les parents ont peur d’imposer quoi que ce soit à leurs enfants. Le parent propose, l’enfant dispose ! Il doit constamment choisir par lui-même, sans savoir la préférence de ses parents.
    Cela conduit à un deuxième constat. (2) Notre société a renoncé a toute prescription. Il n’y a plus de père qui donne l’ordre à son fils d’aller travailler dans la vigne. Il n’y a plus d’ordre, il n’y a plus de mission, il n’y a plus de désignation d’une tâche à faire pour que le monde tourne. Tout est optionnel, donc il semble que tout est égal, que tout est de même valeur.
    Il n’y a plus d’instance qui dise : il y a ce travail, cette tâche qui vaut la peine d’être réalisée. Plus personne ne dit qu’il y a des valeurs pour lesquelles il vaut la peine de se battre, ou bien des maux contre lesquels il vaut la peine de se battre. Alors des jeunes vont se battre là où on leur donne une raison, même mauvaise. Sommes-nous à ce point désillusionnés que nous ne pouvons plus nous mobiliser et appeler les jeunes à se mobiliser avec nous pour se battre, pacifiquement.
    En faveur de quoi pourrait-on se mobiliser aujourd’hui ? Essayez d’y réfléchir quelques secondes. L’absence de réponse qui saute aux yeux est bien révélatrice du problème.
    Voilà quelques causes pour lesquelles se mobiliser, se battre. Pour plus de justice, plus d’équité, plus de tolérance. Moins de discrimination, moins de machisme. Plus de respect, plus de transparence économique. Moins d’exploitation, moins de mépris ou de xénophobie, etc.
    Il y en a des objectifs pour lesquels se battre utilement. Mais qui les nomme ? Qui appelle à aller travailler dans la vigne ? Notre société n’est même plus dans les cas de figure qu’énonce Jésus ! Dire quelque chose et ne pas le faire ou ne rien confesser mais le faire.
    Aujourd’hui, c’est inquiétant, il y a comme un consensus à ne plus rien dire et à ne plus rien faire, on reste vautré devant son écran.
    Nous avons le droit, nous avons le devoir de dire nos valeurs, d’être prescripteur (prophètes) pour la justice, le droit, le respect, l’entraide… Ensuite chacun aura le choix d’y aller ou pas. Mais l’Eglise manque à sa tâche, à son but si elle ne dit plus rien, si ses fidèles ne disent plus où est l’Evangile.
    Nous avons à dire qu’il y a du travail dans la vigne. Si nous renonçons à ce rôle de prescripteur, de prophète, alors ce seront d’autres qui seront là, à notre place, avec d’autres valeurs et souvent comme des loups déguisés en agneaux. A nous d’agir.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

    Dans le même sens, cet éditorial paru le JE 9.10.2014 dans Le Temps :

    Leur djihad, notre vide  Par Par Sylvain Besson

    Pour triompher des combattants fanatisés de l’Etat islamique, l’Occident doit redonner un sens à sa propre civilisation... (suite pour les abonnés... droits réservés)
    fin de l'article : "Parler de liberté et de prospérité ne suffira pas. Toucher le public cible des terroristes – des jeunes en quête d’engagement existentiel – implique de discuter de notions évacuées de nos vies comme Dieu, la mort, le sacrifice. Et ce faisant, de retrouver la conviction que nos sociétés ont des valeurs plus nobles à offrir que la technique, l’amusement ou le confort matériel."