Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Clamans - Page 32

  • Luc 19. Jésus ne regarde pas l'apparence, mais les blessures intérieures.

    Luc 19

    4.7.2010

    Jésus ne regarde pas l'apparence, mais les blessures intérieures.

    Luc 15 : 1-7,  Luc 19 : 1-10

    Télécharger la prédication : P-2010-07-04.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    C'est la première fois que je prêche sur ce récit de Zachée. Pour moi, il a un goût d'enfance : une retraite d'enfant à Crêt-Bérard sur ce récit et une chanson, "C'était un homme, haut comme trois pommes…" Et puis cette fin très moralisatrice d'un homme qui fait don de la moitié de sa fortune et promet de réparer les torts financiers qu'il a commis. Est-ce qu'on a encore envie d'entendre qu'il faudrait renoncer aux biens matériels pour être un bon chrétien ? Tout ça fait que je n'ai jamais eu trop envie de me lancer dans une prédication autour de ce personnage.

    Pourtant, il y a quelque chose qui doit être différent dans ce récit. Ce n'est pas un récit de tristesse, mais de joie. Au centre de ce récit, il y a la joie de Zachée. Cette joie est l'exact contrepoint de la fin du récit de l'homme riche qui repart tout triste après sa rencontre avec Jésus et que Luc nous raconte un chapitre plus tôt dans son Evangile (Lc 18:18-30).

    Zachée est joyeux de sa rencontre avec Jésus. Donc quelque chose a changé pour lui dans sa rencontre avec Jésus. Partons à cette recherche. Qui est Zachée ? Luc nous le présente en nous donnant son nom, son métier : il est chef des agents des impôts et son statut social : il est riche. Plus loin, il nous dit qu'il est de petite taille.

    De ce portrait social, il faut esquisser un portrait un peu plus psychologique. De par son métier, qui implique une collaboration avec les romains et les autorités, il est craint, mais aussi méprisé voire haï. Les gens à qui il prélève l'impôt ne l'aiment pas et les élites intellectuelles ou religieuses le voient comme compromis avec l'occupant et jouissant de richesses pas propres.

    Il fait partie des exclus, avec la contrepartie — étant riche — qu'il peut acheter ce qu'on ne lui donne pas. Personne ne l'invite chez soi, mais il peut inviter à ses banquets, et on ne peut sûrement pas refuser ses invitations. Mais il doit bien sentier que les gens viennent chez lui contre leur gré, par obligation. Zachée peut faire de grandes fêtes, tout y est, la nourriture, le vin, les danseuses et les jongleurs, mais quelle valeur à la fête si le cœur des convives n'y est pas ?

    C'est là que la rencontre avec Jésus va être décisive. (Je passe sur l'épisode du sycomore — on pourrait sûrement y voir toutes sortes de symboles. Pour moi ce passage anecdotique, mais inutile dans la logique du récit et du message évangélique, atteste juste de l'authenticité de la rencontre.) Le point central de cette rencontre, c'est le contraste entre le mépris de la foule vis-à-vis de Zachée — et par ricochet vis-à-vis de Jésus qui parle à Zachée — et le fait que Jésus choisit justement de s'inviter chez lui.

    Remarquez bien, ce n'est pas Zachée qui invite Jésus chez lui, malgré son désir de voir Jésus, malgré son stratagème pour le voir en montant sur l'arbre au risque de voir se multiplier les quolibets à son égard. Oui, Zachée a envie de voir Jésus, non ce n'est pas lui qui l'invite. C'est Jésus qui s'invite chez Zachée. C'est Jésus qui prend l'initiative de s'inviter.

    Je ne pense pas que Jésus s'impose, je pense que Jésus s'invite chez Zachée pour lui signifier deux choses : (i) c'est mon désir de venir chez toi, sous-entendu, je ne viens pas par obligation; (ii) tu es digne de me recevoir, parce que je ne fais pas de différence entre les personnes. Toutes les personnes ont de la valeur aux yeux de Jésus, parce que Jésus regarde au cœur des gens.

    Jésus ne regarde pas l'apparence, mais il regarde les blessures intérieures, pour venir y mettre le baume de son amour. A la limite, pour Jésus, plus grande est la blessure, plus il va s'occuper de cette personne. Plus grand est le manque d'amour, plus grand est le besoin d'être aimé, plus Jésus va consacrer de temps à cette personne. "Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus" dit la fin du récit.

    Voilà que Jésus s'invite chez celui qui ne voyait défiler chez lui que des gens forcés, achetés, dégoûtés. Voilà enfin quelqu'un qui s'intéresse à lui, à ce qu'il est vraiment, un être humain, avec sa part d'ombre, mais aussi sa part de lumière — celle que tous les autres lui dénient.

    Où est-il dit que Zachée, avant sa rencontre avec Jésus, était foncièrement mauvais, un escroc, un voleur ? C'est la foule qui le dit, pas le narrateur. (Est-ce que vous avez fait le calcul proposé par le récit ? J'ai toujours aimé les maths et je me suis toujours dit : il y a quelque chose qui cloche dans ce récit. Comment Zachée peut-il en même temps donner la moitié de sa fortune aux pauvres et rembourser quatre fois ceux à qui il a trop demandé si toute sa fortune reposait sur des malversations ?)

    Zachée n'était pas forcément plus malhonnête que la moyenne des gens ! Ni complètement intègre, ni complètement malhonnête. Faut-il dire comme un banquier suisse ?

    Revenons à Jésus. Ce qu'il donne à Zachée, c'est ce qu'il n'avait jamais reçu : une place. Une place dans son peuple "c'est aussi un enfant d'Abraham" dit Jésus. Une place, une filiation, un enracinement, une considération. Voilà ce qui libère intérieurement Zachée.

    Jusque-là il devait acheter sa place dans la société. Maintenant que cette place lui est donnée, il n'a plus besoin de son argent dans ce rôle. L'argent peut maintenant servir à autre chose qu'à assurer son être. Zachée peut disposer de son argent autrement. La valeur de Zachée n'est plus dans sa fortune, elle est dans son être. Jésus a déplacé cette valeur. C'est là le point intéressant de ce texte, qui peut nous amener à réfléchir à notre place et à notre valeur.

    D'où tenons-nous notre place ? Qui nous la donne ? D'où tenons-nous notre valeur ? Qui nous la donne ? Ou en d'autres termes : où est notre manque ? Qu'est-ce qui nous comble ? Comment cherchons-nous à combler notre manque ?

    Comme Zachée, nous sommes en quête d'être comblés. Nous sommes en route, nous cherchons — et nous ne sommes pas mauvais de ne pas avoir complètement trouvé — comme Zachée.

    Retenons — comme avec Zachée — que Jésus déplace le sens de notre quête, renverse l'ordre des choses. C'est lui qui nous invite. C'est lui qui se met à notre recherche lorsque nous sommes perdus. Il n'attend pas que nous soyons guéris pour nous rencontrer, il vient à notre rencontre pour nous guérir.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Luc 6. Dimanche des réfugiés : étendre la main et l'ouvrir

    Luc 6

    20.6.2010

    Dimanche des réfugiés : étendre la main et l'ouvrir

    Télécharger en pdf : P-2010-6-20.pdf

    Luc 6 : 1-5, Luc 6 : 6-11

     

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Voyez vous le contraste entre ces deux récits de l'Evangile ?

    D'un côté ces mains qui s'activent, qui arrachent et frottent les épis, ces mains qui travaillent, qui apaisent la faim ! Mais voilà que les autorités du lieu déclarent à Jésus : "C'est illégal ! Tes disciples sont dans l'illégalité. C'est un jour de sabbat !"

    De l'autre côté, cette main desséchée, paralysée, incapable de se tendre, ni pour donner ni pour recevoir. Et Jésus qui veut redonner vie à cette main. Mais voilà que les autorités du lieu déclarent à Jésus : "C'est illégal ! Ne te lance pas dans l'illégalité. C'est un jour de sabbat !"

    Le jour du sabbat a été donné dans le Décalogue pour en faire un jour pour se souvenir du don de la création, un jour fait pour recevoir, recevoir la Création, recevoir autrui, se recevoir. Un jour fait pour rendre grâce, pour être dans la reconnaissance face au Créateur et face à autrui, en qui reconnaître le visage et la présence de Dieu. Un jour pour se souvenir d'une libération qui rend la vie à nouveau possible. Quelle dérive a poussé le sabbat de la libération à l'interdit ?

    Ces épis arrachés et frottés le jour du sabbat pour apaiser la faim des disciples nous rappellent que nos mains sont faites pour la liberté, libérées pour servir la vie, pour s'ouvrir et permettre la rencontre, pour se tendre et pour recevoir. Ces épis arrachés et frottés le jour du sabbat, ce geste des disciples — interdit pas la loi juive mais autorisé par Jésus — nous rappellent que nous vivons d'une libération et d'un don reçus du Christ.

    Mais vivons-nous vraiment avec les mains libres ? Avons-nous les mains libres pour recevoir ? Cette main desséchée, paralysée, mise en avant aux yeux de tous, nous questionne. Pourquoi cette tentation constante de revenir à l'interdit ?

    Lorsque nos lois, nos méfiances, nos préjugés façonnent une société qui paralyse l'autre et le prive de ses capacités de contribuer, de donner : que sommes-nous en train de faire ?

    Quand celui qui ne travaille pas assez vite, quand celui qui n'est plus assez rentable, quand celui qui est malade, quand celui qui est réfugié est stigmatisé : que sommes-nous en train de faire ?

    Lorsque nous acceptons que des hommes et des femmes — en groupe — soient dénoncés, avant enquête, comme des assistés, des profiteurs ou comme des abuseurs : que sommes-nous en train de faire ?

    Lorsque nos lois se font l'écho de nos peurs : que sommes-nous en train de faire ? N'avons-nous pas à nouveau verrouillé le sabbat. N'avons-nous pas, nous aussi, besoin d'être questionnés, interpellés, guéris ?

    Nous avons vraiment besoin de nous souvenir que tout homme, toute femme, dans ce monde, vit de pouvoir donner et recevoir. Nous qui nous définissons si souvent par ce que nous faisons, par notre travail, nous devrions le savoir. Nous devrions sentir combien il est douloureux de se voir priver de la possibilité de contribuer à la vie sociale par notre travail. Nous devrions sentir combien il est douloureux de voir ses compétences, ses talents, ses dons ignorés, laissés de côté.

    Comme êtres humains, nous savons combien nous avons besoin de donner autant que de recevoir. Donner de notre temps, donner de notre savoir-faire, mettre nos compétences au service de la société, d'une association et pourquoi pas de la paroisse.

    Pourquoi en aurions-nous besoin, mais pas eux. Eux, les chômeurs ou les retraités d'ici, trop vite mis sur la touche; eux les réfugiés qui arrivent ici avec le rêve de pouvoir participer et qui trop souvent se trouvent paralysés par nos peurs, nos préjugés, nos lois.

    Je rappellerai juste un chiffre à propos des réfugiés : ils constituaient 6 personnes pour 1'000 habitants en Suisse à fin 2009. 6 pour 1'000, cela représente 48 personnes sur les 8'000 habitants de Bussigny. Pas de quoi penser être débordés et ériger des murs juridiques.

    Pour ce dimanche des réfugiés, la campagne de l'EPER s'intitule "Miser sur les compétences." En parallèle, l'OSAR (Organisation suisse d'aide aux réfugiés) fait sa campagne avec le slogan : "Les réfugiés ont tout abandonné, sauf leur talent." C'est une façon de répéter aujourd'hui la parole de Jésus : "Etends la main" pour que des vies retrouvent leur sens, pour que des personnes puissent sortir de la paralysie à laquelle ont les a obligés.

    En Eglise, nous cheminons à la suite d'un homme libre, Jésus. Sa vie tout entière a pris la forme d'une vie sabbatique, une vie reçue de Dieu et sanctifiée par tous ses actes. Une vie qu'il a donnée à l'humanité pour nous libérer, pour nous guérir.

    A sa suite, notre vie est appelée à devenir vie sabbatique, une vie consacrée à Dieu, non pas dans l'interdit de faire quoi que ce soit de peur de transgresser un commandement, mais dans la liberté d'aller et venir, de rencontrer, de frotter des épis dans ses mains pour faire jaillir de la nourriture. Une vie qui se sait redevable, reçue d'un don premier et d'une libération. Une vie qui fait de la place à l'autre, y compris pour l'exclu, pour le réfugié afin que l'échange et le don soient possibles.Une vie qui fait de la place aux talents de chacun, afin qu'il soit possible pour tous, de donner et de recevoir, de se réjouir des compétences, des capacités, de la créativité de tous ceux qui vivent à nos côtés.

    Pour que je puisse reconnaître en mon prochain, qu'il soit suisse ou étranger de première, deuxième ou troisième génération, l'image du Dieu créateur, le Christ me dit aujourd'hui à moi aussi : "Etends la main." Soit vivant, vis ta vie, soit sans crainte, sans paralysie. Il y a une place pour toi dans ce pays ou dans le Royaume de Dieu, comme il y a une place pour chacun, pour chacune dans le cœur de Dieu.

    "Etends la main" dit Jésus.  Ensemble, nous sommes invités à être guéris, à vivre les mains déliées, ouvertes, pour recevoir de Dieu, et les uns des autres.

    Ensemble, nous sommes appelés à devenir acteurs dans la société, chacun avec ses compétences, chacun avec son savoir et son histoire. Nous sommes appelés à devenir collaborateurs d'une humanité où chacun est quelqu'un, où chaque homme, chaque femme est reconnu comme image du Dieu créateur, capable de contribuer à la construction du monde, un monde qui peut ressembler toujours davantage au Royaume des cieux que Dieu promet.

    Amen

    Texte d'après les propositions homilétiques de l'EPER : Dimanche des réfugiés du 20.6.2010.

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Genèse 1. Dans la création, Dieu se donne lui-même

    13.6.2010

    Dans la création, Dieu se donne lui-même

    Genèse 1—2:4a, Mt 6 : 25-27

    Télécharger en pdf : P-2010-6-13.pdf

    Chers habitants de Bussigny et visiteurs venus d'ailleurs,

    Nous sommes réunis ici sur cette place, dans la forêt, à l'occasion de la Charbonnière de Bussigny. Il est rare que nos paroisses se réunissent en pleine nature pour célébrer Dieu. Pourtant beaucoup de nos contemporains trouvent un ressourcement dans la nature. Ils vont en forêt ou en montagne. Ils admirent les couchers de soleil et, devant ces merveilles de la nature, vivent un sentiment de communion, un moment de spiritualité.

    Quel est notre rapport à la nature, en tant que chrétiens ? Le poème de la création que nous avons entendu (Gn 1) nous offre une confession de foi en un Dieu créateur. Il nous dit que le monde est l'œuvre de Dieu, qu'il a voulu l'existence du monde et qu'il l'a façonné d'une certaine façon.

    Pour éviter tout malentendu, je répète que ce texte est un poème et une confession de foi. Nous ne faisons pas une lecture créationniste de ce récit. Il n'est pas pour nous une explication de "comment cela s'est passé," mais une réflexion sur le sens du monde pour aujourd'hui et surtout sur notre place dans ce monde et le rapport entre Dieu et le monde.

    Le récit parle par des images pour situer chacun : Dieu, le monde, l'être humain, les uns par rapport aux autres. Lorsque le récit place Dieu à l'origine de l'univers et le façonnant par séparations successives, cela nous indique que la nature n'est pas Dieu, la nature, le monde est subordonné à Dieu. Ensuite, cela nous dit que la nature n'est pas notre mère, que nous avons une filiation au-dessus de la nature, même si nous faisons partie de cette nature.

    Le récit de la création affirme l'existence du spirituel au-dessus du matériel et notre lien, notre filiation au spirituel en même temps que notre enracinement terrestre. C'est notre foi qu'il y a un surplomb au-dessus du matériel, au-dessus de la nature.

    En d'autres mots, lorsque nous cherchons notre modèle de comportement, nous ne devons pas le chercher dans l'organisation des fourmilières ou même dans celle des chimpanzés (même s'ils sont nos cousins), mais chercher ce modèle au-dessus de nous, en Dieu. Notre port d'attache est "au ciel" même si nous sommes issus de la glaise, que nous descendons du singe et que nous vivons sur terre !

    Ce récit du premier chapitre de la Genèse, comme confession de foi, nous révèle des choses sur Dieu, sur le monde et sur nous-mêmes. J'ai déjà parlé de l'affirmation que Dieu surplombe le monde. L'autre affirmation, c'est qu'il crée de bonnes choses. Sept fois de suite, il est dit que Dieu voit que ces éléments qu'il a créés sont de bonnes choses. La terre n'est pas créée pour que les humains débarrassent le ciel pour le laisser aux dieux. Non, la volonté de base, c'est que les choses soient bien faites et que l'être humain puisse vivre dans un monde habitable.

    Si vous relisez le texte attentivement, vous verrez que les trois premiers jours, Dieu crée des habitats et que dans les jours 4-5-6, Dieu crée les habitants correspondants pour ces espaces, c'est pourquoi le soleil et la lune ne sont créés que le 4e jour alors que la lumière est là dès le premier jour.

    Cela nous dit quelque chose sur le monde, sur la terre : elle est là pour nous, elle nous est confiée, comme un cadeau. Si elle nous est confiée, cela veut dire de la confiance accordée. Vous savez comment c'est quand on fait un beau cadeau à un enfant. On le lui donne, mais on lui fait aussi des recommandations sur le bon usage. "N'use pas toutes les piles le premier jour…" Ne le casse pas, ne l'abime pas…" C'est plein de bonnes intentions, mais cela marque un manque de confiance envers l'enfant.

    Dans le récit de Genèse 1, il n'y a aucune réticence à donner de la part de Dieu. Il n'y a aucune recommandation préalable. Il nous fait confiance ! Il n'a pas mis de barrières. Sommes-nous à la hauteur ? C'est là qu'on voit que le récit parle aussi de l'être humain. Il est fait à la ressemblance de Dieu. Il lui est donné du pouvoir sur la création. Il a pour mission de transmettre la vie. On ne peut pas dire que Dieu mette des bâtons dans les roues de l'être humain.

    C'est un Dieu généreux qui se donne lui-même dans la création. Il met en nous une part de lui-même, pour que nous ayons une ressemblance, une parenté avec lui, ce que j'ai appelé au début cette filiation, cette filiation qui nous permet de l'appeler Notre Père, même si nous avons aussi deux parents ici-bas.

    Ce récit est un texte plein de confiance puisqu'il nous ouvre l'espace de la terre comme "terrain de jeu" qui n'est pas encore assorti d'un règlement limitatif. Ne faudrait-il pas dire que Dieu est trop confiant à notre égard ?

    Le récit laisse vraiment penser que Dieu nous fait suffisamment confiance pour penser que nous — les humains — allons nous organiser pour cultiver la terre et la maintenir belle et propre. Il devait penser que nous serions suffisamment intelligents pour reconnaître cette confiance et faire non seulement bon usage de cette confiance et de cette liberté, mais encore que nous saurions remercier l'auteur de cette confiance et de cette liberté ? A voir le monde actuel, nous avons dû dérailler quelque part, non ?

    Et si nous essayions de nous remettre sur les rails, de revenir dans le chemin de confiance sur lequel Dieu nous attend ? Regardons la nature autour de nous et contemplons tout ce que Dieu nous a donné. N'est-il pas temps de le remercier, de nous tourner vers lui et d'honorer sa confiance ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Luc 17. Guérir dix lépreux et un aveugle

    Luc 17

    6.6.2010

    Guérir dix lépreux et un aveugle

    Col 3:12-15, Luc 17 : 11-19

    Télécharger en pdf : P-2010-6-6.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Jésus guérit dix malades, dix lépreux. Voilà un grand miracle et une bonne nouvelle pour ces dix personnes qui souffraient. Elles sont guéries. Voilà ce que semble raconter ce passage de l'Evangile. Mais moi je vous dis que ce n'est pas ce que ce texte veut nous faire voir. Ce récit nous parle de la guérison d'un aveugle et je vais essayer de vous en persuader.

    Jésus ne guérit pas dix lépreux, il guérit un aveugle ! Vous voyez maintenant ? Si vous ne voyez rien, je vais vous demander de fermer les yeux. Maintenant, vous pensez à votre voisin de banc et vous essayez de vous souvenir de quels habits il porte. Vous y arrivez ? Vous l'avez vu en entrant dans l'église et pourtant vous n'arrivez pas à retrouver son image.

    Il y a des choses qu'on voit tous les jours, mais qu'on ne regarde pas. Ou bien des choses qu'on voit, mais qu'on ne déchiffre pas, qu'on n'arrive pas à lire : les traces d'animaux, une échographie. Dans la vie, on voit, mais sans voir vraiment, sans enregistrer ou sans faire les liens.

    Je reprends le récit de la guérison des dix aveugles ! Oui, le texte dit qu'ils sont lépreux mais moi je vous dit qu'ils sont aveugles, comme nous. Jésus croise dix lépreux sur son chemin. Ils lui disent "aie pitié de nous !", c'est une façon de dire : fais quelque chose pour nous, nous sommes malheureux.

    Jésus les regarde, il les regarde vraiment, comme pour mesure leur malheur, leur souffrance. Et il les envoie voir les prêtres. Il faut comprendre qu'en ce temps-là, ce sont les prêtres qui examinent les malades pour regarder s'ils sont guéris ou encore malades. Les prêtres doivent regarder si ces lépreux ont encore des taches de lèpre ou s'ils sont guéris.

    Ce qui est intéressant, c'est que les dix lépreux doivent se décider à aller là-bas avant de savoir si ça va marcher ou pas, avant de savoir s'ils sont guéris. C'est une question de confiance en Jésus. Le texte nous dit que la guérison se passe en chemin. Et il y en a un de ces lépreux qui voit qu'il est guéri. Un seul d'entre eux voit — je dirai que les autres restent aveugles. Et quand celui-ci voit ce qui lui arrive, alors, il fait demi-tour pour retourner vers Jésus et il loue Dieu en chantant d'avoir été guéri. Il se précipite aux pieds de Jésus pour le remercier, pour dire toute sa joie de voir qu'il est guéri.

    Jésus demande pour les neuf autres : "Ils n'ont pas été guéris ?" N'ont-ils pas été guéris puisqu'ils ne reviennent pas ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Moi je pense qu'ils ont été guéris de la lèpre, mais qu'il n'ont rien vu. Ils sont toujours aveugles. Ils sont toujours aveugles, comme nous ! Guéris, mais aveugles !

    Nous ne voyons pas que nous sommes en bonne santé. Un grand professeur français disait que la santé, c'est le silence des organes. Et si nous sommes malades, nous nous apercevons alors combien la santé était précieuse et combien elle nous manque, et combien nous ne nous rendions pas compte à quel point c'était fabuleux d'être en bonne santé. Malheureusement, dans notre société, nous ne nous rendons compte de notre bonheur qu'après l'avoir perdu.

    " Tant qu'on a la santé…" Vous avez déjà entendu cette phrase. "Tant qu'on a la santé… tout va" mais aussi "Tant qu'on a la santé… on ne se préoccupe de rien." On ne fait pas le lien avec celui qui nous donne la vie. On ne fait pas demi-tour pour louer Dieu et dire notre bonheur et notre reconnaissance.

    Le récit nous alerte : nous avons tous reçu la vie, nous avons tous un grand nombre de privilèges — ici plus qu'ailleurs — mais nous ne nous retournons pas pour savoir d'où ça vient, de qui nous tenons tout cela.

    Nous restons aveugles au bonheur, nous ne voyons rien. Ce récit raconte comment dix lépreux ont été guéris et comment un aveugle retrouve la vue, comment il ouvre les yeux sur la vie, sur sa vie et voit tout à coup tout ce qu'il a reçu, tout ce dont il jouit, tout ce dont il profite. Alors il fait demi-tour et dit toute sa joie.

    La reconnaissance est une attitude face à la vie qui se décline en trois phases. Dans un premier temps, il s'agit d'ouvrir les yeux. C'est un acte volontaire. Je vais regarder autour de moi ce qui me rend heureux, ce que j'ai reçu, ce que je reçois chaque jour.

    Le deuxième temps, c'est de ressentir, laisser descendre ne soi ce qu'on voit. C'est une démarche émotionnelle. Se laisser ressentir comme cela fait du bien, d'être-là, de recevoir le sourire d'un ami, d'avoir réussi quelque chose. C'est ce qui est indiqué par le demi-tour du lépreux. Il a vu (première phase), il ressent et ça le met en mouvement (deuxième phase).

    Enfin — et c'est l'étape la plus difficile pour le vaudois — c'est d'arriver à exprimer ce qu'on a ressenti. Dire ce bonheur, cette reconnaissance autour de soi. A celui ou ceux qui nous ont fait du bien, de qui on a reçu quelque chose. Et finalement à l'auteur de nos jours, à celui qui nous a donné la vie et mis toute la création à notre disposition.

    L'homme guéri de la lèpre fait le lien entre Jésus et sa santé retrouvée et il vient le lui dire. L'homme est non seulement guéri dans son corps, il est à nouveau relié aux autres et à Dieu. Il a vu ce qu'il a reçu. Il a fait demi-tour et il exprime sa reconnaissance. Il a retrouvé la vue de son lien entre sa vie et Dieu. Il peut dire son bonheur.

    A nous maintenant d'ouvrir les yeux sur notre vie et sur tous les cadeaux qui nous ont été faits et de trouver qui en remercier.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Améliorations

    On m'a signalé qu'on ne pouvait plus imprimer les textes affichés à l'écran sans en faire un copier/coller dans un autre programme.

    Pour faciliter votre lecture si vous voulez imprimer mes prédications, j'ai inclu une version téléchargeable en format pdf.

    Je l'ai fait rétroactivement pour les prédications de 2010.

    Merci de votre visite sur mon site et meilleures salutations à vous mes lecteurs.

  • Jean 20. Le don du souffle et de l'apaisement.

    23.5.2010

    Le don du souffle et de l'apaisement.

    Télécharger en pdf : P-2010-5-23.pdf

    Jér. 31 : 31-34      Jean 20 : 19-23

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Cinquante jours après Pâques, nous fêtons la Pentecôte, la fête qui nous rappelle que Dieu nous donne son Esprit après le départ de Jésus à l'Ascension. Notre calendrier a été établi à partir des récits de Luc dans son Evangile et dans les Actes des Apôtres.

    L'Evangile de Jean ne se préoccupe pas de calendrier, mais de signification. Ainsi, comme nous l'avons entendu dans la lecture ce matin, Jésus donne l'Esprit saint aux disciples le premier jour, lors de sa première rencontre avec l'ensemble de ses disciples. Ce qui est important pour Jean, c'est de montrer le lien entre la résurrection et le don de l'Esprit. C'est le Christ ressuscité qui rencontre ses disciples et qui leur donne l'Esprit saint.

    Comment se passe cette Pentecôte pour l'Evangéliste Jean ? D'abord, il y a quelques mots sur la situation des disciples. Ils se sont rassemblés dans un local fermé, fermé à clé, verrouillé. Les disciples ont peur. Ils ont peur des autorités. N'étaient-ils pas comparses — il n'y a qu'un pas vers complices — d'un condamné à mort ? On pourrait s'en prendre à eux. Nous sommes le soir du premier jour de la semaine. Les disciples sont encore sous le choc de la mort, de l'exécution de leur maître. Ils sont en deuil. Aujourd'hui, on dirait qu'ils sont en état de choc post-traumatique. Un ensemble de personne qui ne sait pas quoi penser après les nouvelles bouleversantes et contradictoires des témoins : Jésus a été mis au tombeau le vendredi soir, on ne l'a pas retrouvé ce matin. Le tombeau était vide. Est-ce vrai ? Est-ce du déni ?

    Et ensuite voilà que — dans cette situation de confusion — Jésus se tient debout au milieu d'eux. On ne nous dit pas qu'il entre, ni qu'il surgit, ni qu'il apparaît. Il est là, au milieu d'eux, au centre de leur groupe. Au cœur de nos désarrois, au cœur de nos inquiétudes, de nos deuils, de nos malheurs, Jésus est là, il se tient au milieu de nous. Il salue et montre ses mains et son côté, comme pour dire : "Vos souffrances, je les porte dans mon corps, je suis vraiment avec vous."

    Jésus salue ses disciples en leur disant : "La paix pour vous." Je n'ai pas trouvé si c'était la façon ordinaire de dire bonjour à Jérusalem en ce temps-là, comme on dit "Salam aleikoum" en arabe aujourd'hui, en hébreu ce serait "Shalom lakhem." Mais comme Jésus répète cette même phrase encore une deuxième fois plus tard, je crois qu'il faut la prendre à la lettre. Jésus souhaite vraiment nous donner la paix, sa paix, le shalom, la plénitude de l'apaisement au cœur de nos turbulences et de nos épreuves.

    En fait, Jésus donne trois choses à ses disciples dans cette rencontre. Il leur donne la paix dans la salutation. Il leur donne l'Esprit saint quand il souffle sur eux. Et il leur donne une mission — il les envoie à leur tour — avec le pouvoir sur les péchés. La paix est le but final, le souffle est l'inspiration qui leur permet d'avancer vers ce but, et le moyen d'aller vers ce but est résumé dans le pouvoir de lâcher ou retenir les péchés.

    Dès qu'on parle de péché, il faut préciser et recadrer ! Jésus ne parle jamais du péché comme d'une faute morale, mais toujours comme d'une séparation, d'un éloignement des autres ou de Dieu. On a toujours mis l'accent sur la faute commise — qui peut effectivement nous séparer des autres, briser les relations. Mais souvenons-nous qu'il y a tout l'ensemble du mal subi, des malheurs, des épreuves qui nous mettent tellement à mal que cela perturbe aussi toutes nos relations.

    Pour mieux comprendre ce que Jésus donne comme pouvoir à ses disciples, je vais remplacer le mot "péché" par le mot "tension" (même si ce mot ne recouvre pas tout le champ du péché) parce que vous savez comme on peut empoisonner la vie des autres lorsque nous sommes sous tension, trop tendus.

    Jésus nous dit que lorsque nous lâcherons nos tensions, elles seront relâchées, mais que si nous gardons (maintenons, retenons) nos tensions, elles ne disparaîtront pas comme par enchantement. Nous avons-là un pouvoir et une responsabilité — en tant que chrétiens.

    Nous inspirer du Christ — recevoir son Esprit — c'est chercher la paix en nous libérant de nos tensions, en relâchant la pression, en nous et sur les autres. C'est la mission qu'il nous donne, qu'il nous confie : défaire nos tensions pour arriver à l'apaisement et communiquer cette paix autour de nous.

    Pour donner son Esprit à ses disciples, le texte nous dit que Jésus souffle sur eux. Dans la Bible, le même mot est utilisé pour dire l'esprit (ou Esprit), le souffle, voir le vent (RUa'H en hébreu et pneuma en grec). De tout temps, les spirituels ont lié l'Esprit et la respiration; et la respiration à l'apaisement.

    Prenez un instant conscience de votre position assise sur votre banc. Ces bancs en bois ne sont pas confortables. Je suis sûr que pour rester assis, il y a quelques-uns de vos muscles qui sont tendus, peut-être inutilement tendus. En respirant profondément, vous pouvez détendre tout ce qui est inutilement tendu en vous. Cet exercice sur le corps, nous pouvons aussi le faire pour notre âme ou notre vie.

    Au cœur de nos tensions, de nos difficultés, Jésus se tient-là, debout, pour nous apporter la paix. Il souffle sur nous, il souffle en nous son Esprit de paix pour que nos tensions puissent se relâcher et nous conduire à l'apaisement. Apprenons à accueillir ce souffle et cet apaisement.

    Amen

     

  • Genèse 1. En créant l'être humain, Dieu se dévoile lui-même

    9.5.2010

    En créant l'être humain, Dieu se dévoile lui-même

    Télécharger en pdf : P-2010-5-9.pdf

    Gn 1:1-5 - Gn 1:24-31 - Gn 2:1-4a

     

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    La Bible nous présente Dieu comme quelqu'un qui fait alliance avec l'être humain. La Bible nous présente trois alliances successives : une alliance avec Noé, une alliance avec Abraham et le peuple d'Israël et une alliance au travers de Jésus-Christ.

    L'alliance avec Noé a pour signe l'arc-en-ciel. L'alliance avec Abraham et le peuple d'Israël a pour signe la circoncision. Et l'alliance au travers de Jésus-Christ a pour signe le baptême. Mais ces trois alliances reposent sur un socle, sur une fondation, c'est la création. C'est la foi que Dieu — avant ces trois alliances — avait déjà une intention pour le monde, pour l'univers et pour l'être humain.

    Le premier chapitre de la Bible nous offre un poème qui cherche à dire la première intention de Dieu pour l'être humain. Un poème qui cherche à exprimer le sens du monde dans lequel nous vivons et la place que nous occupons dans ce monde.

    Dans ce poème qui exprime la création en six strophes, l'être humain apparaît dans la 6e strophe, le 6e jour. C'est le même jour que les animaux terrestres, mais l'être humain n'est pas créé au milieu d'eux. L'être humain est à part, il est le fruit d'une délibération, d'un dialogue avec lui-même : "Faisons les êtres humains, qu'ils nous ressemblent vraiment." (Gn 1:26). Dieu n'a pas dit cela des animaux, c'est réservé aux êtres humains. Et Dieu confie une mission, une responsabilité aux êtres humains : "Qu'ils soient les maîtres des poissons, des oiseaux, des gros animaux et des petites bêtes." (Gn 1:26). Dieu fait, en quelque sorte, de l'être humain le roi de la création.

    Dieu donne à l'être humain du pouvoir avec l'espace du monde, il lui assujettit la nature. Mais il est intéressant d'observer que ce pouvoir est organisé pour qu'il puisse s'exercer sans violence. Pour leur nourriture, Dieu donne aux hommes les céréales et aux animaux l'herbe verte. Comme si, dans un premier temps, dans la création idéale, l'homme était végétarien et tous les animaux herbivores. Le pouvoir donné à l'être humain n'est pas celui dont nous usons aujourd'hui, avec le risque de détruire la planète.

    Concernant la création de l'être humain, le texte ajoute : "Dieu créa les êtres humains à sa propre ressemblance, il les créa homme et femme." (Gn 1:27). Nous avons là deux éléments très importants.

    D'abord, dès le début, l'être humain est créé homme et femme. C'est une volonté de Dieu qu'il y ait deux êtres qui soient différents, mais qui se correspondent. Différents, mais qui puissent s'accorder. Différents pour qu'il y ait dialogue et discussion. Je ne sais pas vous, mais moi, je n'engage pas la discussion avec le type que je vois dans le miroir quand je me rase le matin ! La différence crée la richesse du dialogue, de l'échange. Et c'est peut-être bien dans cette différence, dans cette altérité de l'homme et de la femme, qu'il faut voir notre ressemblance avec Dieu.

    Et voilà le deuxième élément important : en créant l'être humain, Dieu se dévoile lui-même, il se fait connaître — comme l'artiste révèle quelque chose de lui dans son œuvre d'art. En créant l'être humain, homme et femme, Dieu révèle sa soif de dialogue, d'entrer en conversation avec quelqu'un. Et ce quelqu'un, c'est nous aujourd'hui !

    Reprenons ces particularités. En créant l'être humain, Dieu fait un être à part dans la création. Il lui donne du pouvoir, il lui donne une mission ("Peuplez la terre et dominez-la"), il le fait comme un vis-à-vis à sa ressemblance, il le fait comme un être de dialogue.

    Tout cela rassemblé fait de l'être humain un être libre, indépendant, qui peut se donner ses propres buts. Vous aurez remarqué que la mission donnée ne porte pas en elle-même de buts, d'objectifs. Dieu ne dit pas à l'être humain : Je te donne le pouvoir pour… que tu me construises des pyramides, que tu me serves, que tu ailles sur la lune…

    Dieu prend le risque de laisser à l'être humain la liberté de choisir ses buts, de choisir ce qu'il veut faire de son énergie, de sa vie. Dieu se dépossède — dès la création — du pouvoir de nous diriger comme des robots ou des marionnettes !

    Dieu prend des risques avec nous. Il nous donne une entière liberté, en espérant que nous aurons envie d'entrer en dialogue avec lui. Avec le Christ, il nous a montré jusqu'où il se dépouille de sa puissance pour que nous soyons libres de le rejoindre — non par contrainte, mais par amour.

    C'est pourquoi, au fil du temps, Dieu nous propose d'entrer dans son alliance, d'entrer en dialogue avec lui. Depuis la création du monde, Dieu veut notre bonheur, dans la liberté, parce qu'il n'y a de vrai amour que dans la liberté.

    Comment allons-nous lui répondre ? Comment allons-nous orienter notre vie pour répondre à cette main que Dieu nous tend à travers sa création, à travers l'arc-en-ciel, à travers l'alliance avec le peuple d'Israël, à travers le baptême et l'Eglise ? La balle est dans notre camp, elle est dans nos mains.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Marc 13. Quand tout s'écroule à l'extérieur, comment ne pas s'écrouler à l'intérieur ?

    25.4.2010

    Quand tout s'écroule à l'extérieur, comment ne pas s'écrouler à l'intérieur ?

    Télécharger en pdf : P-2010-4-25.pdf

    Marc 13 : 1-5 + 21-37

    D'une voix forte et menaçante:

    Repentez-vous, car la fin du monde est proche ! Regardez les signes, regardez : la terre a tremblé trois fois. Voyez comme la terre dit sa colère, par les flammes, la lave et la fumée. Le jugement arrive, le monde actuel s'écroule. Les avions sont cloués au sol : c'est le signe que le ciel se refuse aux humains.

    La fin des temps est proche : changez de comportement pour ne pas être engloutis par la prochaine catastrophe. Démarquez-vous des méchants, pour être parmi les élus au jour du jugement. Changez…

    Bon, je m'arrête… ce n'est pas mon style et ce n'est pas le style de notre Eglise d'annoncer la fin du monde et l'apocalypse pour demain. Pourtant, il y a quelques textes de nature apocalyptique dans notre Bible, y compris dans le Nouveau Testament.

    Le mot "apocalypse" a deux sens. Le sens étymologique, la racine du mot, veut dire "révélation." Les textes apocalyptiques veulent révéler des choses secrètes, ou dévoiler le sens caché des événements qui se passent autour de nous. De là dérive le second sens, celui de "catastrophique." Ce sont bien les événements qui sortent de l'ordinaire — qui sont extra-ordinaires, comme les catastrophes — qui demandent à être expliqués, déchiffrés.

    La littérature apocalyptique a donc pour fonction de donner du sens au chaos, d'expliquer l'inexplicable. Donner du sens, c'est aussi rassurer, reprendre la maîtrise des choses, réorganiser le chaos.

    Ainsi, les textes apocalyptiques vont nous dire, d'abord, que l'écroulement des valeurs et des repères n'est qu'apparent. Ceux qui voient les signes savent que Dieu tient tout dans ses mains, derrière le chaos apparent. Pour ces textes, la gravité de la situation est une illusion, puisqu'on attend le retournement final. Ensuite, ces textes nous disent que tout cela n'est que temporaire, puisque ces événements annoncent la fin des temps. Tout cela va se terminer, il n'y a qu'à faire le gros dos et tenir bon en serrant les dents. Enfin, cela n'est pas si grave puisque cela conduit au retournement final, à la victoire et au salut éternel que Dieu va faire triompher pour ses élus.

    Voilà ce que croient les disciples de Jésus lorsqu'ils demandent des signes pour savoir quand viendra la fin des temps. Ils veulent savoir combien de temps ils devront tenir avant la fin.

    Mais Jésus ne voit pas les choses comme cela. Jésus n'entre pas dans cette poudre aux yeux apocalyptique. D'abord, Jésus a annoncé la destruction du Temple, pas la fin du monde. Ce sont les disciples qui pensent que le monde va disparaître si le Temple disparaît !

    Oui, Jésus leur parle bien de certaines catastrophes et de temps de détresse, mais il en parle parce que cela fait partie de la nature du monde et de la condition humaine. Ce qui importe à Jésus — dans son enseignement aux disciples — c'est cette question : Comment faire, quand tout s'écroule à l'extérieur, pour ne pas s'écrouler à l'intérieur ? Pour Jésus, la fin du Temple, en tant que monument, ne doit pas être la fin de la vie spirituelle personnelle, intérieure.

    Alors Jésus réinterprète, réoriente le message apocalyptique. Il affirme d'abord que l'écroulement des choses fait partie de la nature du monde et de la condition humaine. Malheureusement, les catastrophes n'ont rien d'exceptionnel. Et il ajoute que ces événements ont des conséquences (persécutions, fuite, exil, déplacements). Ces événements sont douloureux. Ces événements nous révèlent notre impuissance à maîtriser le monde et à la comprendre.

    Jésus nous appelle à reconnaître la réalité, à ne pas nous bercer d'illusions. Personne — si ce n'est le Père, donc cela nous est inaccessible — ne comprend ni ne maîtrise le pourquoi des événements. Alors Jésus invite ses disciples, nous invite, à quitter les signes extérieurs pour aller vers une attitude intérieure. Il faut abandonner l'idée de trouver du sens dehors, pour s'attacher à créer du sens dedans, au dedans de nous.

    L'impuissance face à l'extérieur, aux événements ne signifie pas l'impossibilité d'acquérir une solidité intérieure, une sérénité d'âme. Dans les difficultés de la vie, nous souffrons, nous nous sentons impuissants, mais Jésus nous affirme que nous pouvons y survivre, plus encore, nous pouvons être relevés, rendus à nous-mêmes.

    Jésus oppose la fragilité du monde qui peut disparaître à la solidité de sa Parole, qui reste solide, ferme. "Le ciel et la terre disparaîtront, tandis que mes paroles ne disparaîtront jamais." (Mc 13:31) Cette Parole de Dieu, que Jésus nous transmet, c'est l'affirmation que "le Royaume de Dieu s'est approché" (Lc 10:11) et qu'il est en parmi nous (dans la communauté), et qu'il est en nous. C'est la Parole faite chair (Jn 1:14), dans le Christ, mais aussi dans chaque personne.

    Nous sommes habités par Dieu, par l'Esprit saint. Il n'y a rien à chercher à l'extérieur (du côté du Temple), mais tout à chercher à l'intérieur (Paul dira que le corps est le Temple du saint Esprit. 1 Co 3:16).

    De là, on pourrait aller vers le repli sur soi ou sur la communauté. Mais Jésus termine son apocalypse par la parabole du maître de maison en voyage. Il a donné un tâche à chacun. Chacun a donc une mission à remplir, une tâche à accomplir dans sa vie : pour le maître.

    Quand tout s'écroule à l'extérieur, la mission reste, la tâche subsiste qui nous maintient en alerte, qui nous tient réveillés. Cette tâche, cette mission, c'est de faire vivre cette flamme divine en nous et de la transmettre, de la communiquer aux autres. Oui, la vie vaut la peine d'être vécue — quelles que soient les tribulations que nous traversons — parce que Dieu habite en nous.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz. 2010

  • Actes 10. Le message de Jésus n'est pas réservé à une terre, à un peuple.

    4.4.2010

    Le message de Jésus n'est pas réservé à une terre, à un peuple.

    Télécharger en pdf : P-2010-4-4.pdf

    Luc 24:1-10, Actes 10: 34-45

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Pâques, la fête de la résurrection ! C'est la fête que nous commémorons tous les dimanches : premier jour de la semaine où les femmes sont allées au tombeau après le sabbat, jour de repos qui clôt la semaine.

    La résurrection — pierre angulaire de la foi chrétienne— est pourtant si mystérieuse, tellement inexplicable. Résurrection, pierre d'achoppement pour nombre de nos contemporains et — osons le dire — très souvent pour nous aussi. Comment dire l'impossible, l'inédit, l'indicible ? Comment croire sans comprendre, sans explication ?

    Nous vivons dans une société rationnelle et scientifique. Tout doit trouver sa description et son explication. Et c'est bien. Mais la résurrection échappe à cela. Déjà, les évangiles se dérobent ou, à choix, préservent le mystère.

    Les textes, dans les quatre évangiles, passent du dépôt du corps de Jésus au tombeau le vendredi soir, à la découverte du tombeau vide le dimanche matin par les femmes. Entre deux : rien. Pas une ligne, pas un mot. Un blanc, un vide, un silence.

    Le mystère de Pâques ne se trouve donc pas là. Ne répétons pas le geste de la femme de Lot de regarder en arrière (Gn 19:26). Il n'y a rien en arrière, tout est en avant, devant soi et là il y a beaucoup de choses. C'est bien ce que disent les anges : "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ?" (Lc 24:5).

    Tout est en avant, devant soi. Et les femmes le comprennent : elles quittent le tombeau pour aller porter la nouvelle aux disciples. Les femmes sont les premiers témoins de la bonne nouvelle. Aujourd'hui, cela sonne comme normal. Mais c'est inouï, incroyable, c'est comme si on nous annonçait qu'il y avait sept femmes au Conseil fédéral !

    Le premier miracle de Pâques, c'est que Dieu choisit ce qui ne comptait pour rien dans la société (excusez-moi Mesdames) pour annoncer la nouvelle la plus important de toute l'histoire de l'univers ! D'ailleurs les disciples ne croient pas les femmes. Dieu fait confiance à ces femmes, mais pas les disciples. C'est toute l'histoire de Dieu avec le genre humain. Le manque de foi dans l'action de Dieu pour nous ! Nous sommes incrédules, nous ne croyons pas à la force transformatrice de Dieu, à sa puissance de renouveau, de résurrection !

    Cela arrive à nouveau dans les Actes, dans le récit que nous venons d'entendre. L'Eglise était alors composée des disciples et des juifs qui reconnaissaient Jésus comme le Messie. Pierre s'occupe de cette communauté. Ils ont l'air bien ensemble — entre eux. Ça marche… Mais Dieu a plus d'ambition, le message de Jésus n'est pas réservé à une terre, à un peuple. D'autres barrières doivent tomber et Dieu manifeste son Saint Esprit à Pierre pour qu'il s'ouvre aux autres peuples de la terre, les grecs, les romains, tous les non-juifs.

    La puissance de la résurrection, c'est que le message de Dieu n'est pas là pour garantir notre façon de penser, mais pour élargir nos pensées à la dimension de celles de Dieu. Et Dieu pense large, Dieu voit grand.

    Sous la poussée de l'Esprit Saint, sous la pression de Dieu, Pierre découvre que Dieu ne fait pas de différence entre les humains. Dieu n'est pas partial. Dieu n'est pas communautariste. Dieu est universel et entretient le même rapport d'amour avec tous les humains, sur toute la terre.

    La puissance de la résurrection ne se voit pas en se retournant pour savoir ce qui s'est passé entre samedi et dimanche, mais en regardant ce qui a été transformé dans les jours qui suivent :

    - des femmes sont chargées — en premier — de témoigner de la puissance de Dieu,

    - des disciples sont amenés à laisser tomber leurs œillères et à élargir leur vision de l'amour de Dieu,

    - des hommes et des femmes se mettent au service de Dieu pour annoncer et vivre cette égalité de tous en partageant des repas et des célébrations ensemble.

    Nous ne savons pas ce qui s'est passé dans la nuit de Pâques, mais nous voyons que cela a changé la face du monde. Nous voyons aussi que tout n'est pas accompli, il y a encore trop de barrières qui ne sont pas tombées. Il y a encore besoin de témoins de la puissance de Dieu dans le monde. Comme ces femmes, comme Pierre, comme tous ces croyants qui nous ont précédés, nous avons un trésor, des valeurs à partager.

    Nous avons surtout l'assurance que la puissance de Dieu nous précède sur ce chemin. Il a ouvert le tombeau, il ouvre le chemin, il ouvre les cœurs. Acceptons que Dieu fait tomber toutes les barrières au matin de Pâques et qu'un chemin de fraternité avec tous s'ouvre devant nous.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010

  • Conte : De Noël à la Croix

    2.4.2010 - Vendredi-Saint

    Télécharger en pdf : P-2010-4-2.pdf

    Luc 23 : 26-49

    Histoire du petit ange qui ne chanta pas

    Il y avait, en ce temps-là, dans la multitude de l'Armée des Cieux un petit ange. Il était beau, de la beauté immatérielle des créatures célestes, et son âme était limpide comme une goutte de rosée. Aussi les autres anges, serviteurs du Très-Haut, lui réservaient-ils leurs plus doux sourires et leurs plus innocentes gâteries.

    Les plus jeunes, qui servent d'estafettes et de courriers, et qui sillonnent constamment l'éther d'un astre à l'autre pour distribuer les consignes de la journée, l'appelaient de loin pour jouer avec lui. Les anges adultes, qui ont reçu le gouvernement d'une province de l'espace céleste : soleil, nébuleuse ou constellation, lui apportaient en cadeau des fleurs cueillies sur de lointains rivages. Quand aux archanges, qui ne se dérangent que dans de très rares occasions, parce qu'ils se tiennent constamment en présence du Seigneur, il l'appelaient pour le faire sauter sur leurs genoux.

    Mais, il n'est pas bon, même pour un petit ange, d'être gâté. Certes, nous savons que le Malin n'a point accès dans le Royaume des Cieux où les enfants de Dieu sont gardés contre toutes ses atteintes; cependant, à force d'être choyé, notre petit ange était devenu capricieux. Et comme il n'est point d'usage, là-haut, de contraindre personne, on ne faisait qu'en sourire doucement.

    Or, la nuit où Jésus naquit, un grand cri retentit dans le Ciel, et les anges de Dieu s'assemblèrent des contrées les plus distantes pour aller, sur la terre, apporter aux hommes le message de Noël. Ils étaient douze légions.

    Ils descendirent à travers l'espace, et la Judée resplendit de leur surnaturelle clarté. Les bergers qui vivaient aux champs, virent cette grande lumière, et le cantique inoubliable s'éleva :

    Gloire à Dieu, au plus haut des Cieux ! Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes !

    Jamais, depuis lors, l'univers n'a retenti de pareils accents. Les anges, êtres spirituels, chantent non seulement de leur bouche, mais de tout leurs corps, de toute leur pensée, de toute leur âme. Ils chantent, pleins d'amour, sans fatigue, sans effort; leur être tout entier résonne et vibre de joie comme un violon.

    Les anges s'abaissèrent encore, et c'est sur cette terre elle-même autour de l'étable de Bethléem qu'ils vinrent camper. Ils entourèrent le lieu saint d'un rempart de beauté et d'harmonie. Quelques-uns, même purent entrer; Jésus reposait dans la crèche; les bergers et les mages s'étant approchés se mirent à genoux et les anges se joignirent à eux. Toutes les voix célébraient leur reconnaissance envers Dieu.

    Seul, au premier rang, le petit ange, la bouche close se taisait.

    Il avait décidé qu'il ne chanterait pas. Simple caprice ? Oui, mais la bouche n'a-t-elle pas été créée pour la louange de Dieu ? Quand nos lèvres s'ouvrent, la gloire du Seigneur remplit notre cœur, et le mal n'a point de prise sur nous. Mais quand nos lèvres se ferment, en un si beau jour… et que nous sommes sur la terre…

    Et le Malin, qui guette la moindre de nos défaillances, aperçut le petit ange qui ne chantait pas. Il pénétra aussitôt dans son cœur et lui ouvrit les yeux : il lui montra l'humilité de la crèche et la fragilité du bébé Jésus, identique aux enfants des hommes. Il lui fit voir Joseph et Marie comme de pauvres paysans incultes. Il lui fit trouver ridicule la dévotion éperdue des adorateurs.

    « Et c'est pour cet enfant-là, songeait-il, que sont toutes ces musiques, tous ces cadeaux, tous ces hommages ! On dit bien qu'il est le Messie; cependant, il n'est pas aussi beau que moi, et puis, il a faim, il a soif, et il pleure comme les petits des hommes; depuis qu'il est né, plus personne ne fait attention à moi; tout le monde se tourne vers lui. »

    C'est la jalousie qui inspirait au petit ange ces vilaines pensées : non, ah! non, il ne pouvait pas se réjouir de la gloire d'un autre enfant. Il ne voulait plus se souvenir que l'enfant de la crèche était le Fils bien-aimé du Père, et que toute créature dans les Cieux et sur la Terre n'a été appelé à la vie que pour célébrer ses louanges.

     

    La nuit de Noël s'achevait. Les anges remontèrent au Ciel. Et quand leur petit compagnon d'un mouvement instinctif voulut les suivre, il ne le put pas, car ses ailes étaient tombées de ses épaules. Il resta seul dans la nuit.

    Et quand les bergers, au petit jour, sortirent de l'étable, ils trouvèrent devant la porte un enfant vêtu d'une longue robe blanche, et qui semblait avoir froid. Comme leur cœur était, ce matin-là, rempli de bonté, ils le couvrirent et l'emmenèrent chez eux, pour en faire un berger. Et ils lui donnèrent le nom de "Tolac" ce qui signifie "vermisseau".

    Les bergers ne furent pas récompensés de leur bon mouvement. Tolac était beau de figure et très intelligent, mais il dédaignait ses parents adoptifs, qu'il trouvait pauvres et grossiers. Le travail lui répugnait. Dès qu'il fut en âge de se débrouiller, il s'en alla vers la grand-ville, avec l'intention d'y devenir un prince de ce Monde.

    Nous ne raconterons pas ici les étapes de sa vie. Ce serait une bien longue et triste histoire : en effet, plus il grandissait, plus le souvenir de ses origines le poussait à mépriser les hommes qu'il savait inférieurs.

    S'il avait au moins accepté d'être un homme comme les autres, son intelligence lui eût permis de devenir l'un des premiers d'entre eux. Mais il se sentait d'une autre race. Toutes ses pensées, ses paroles et ses actes étaient dictés par le culte qu'il avait de lui-même. Sa jalousie envers tout ce qui le dépassait était tellement insatiable, qu'il ne pouvait même plus entendre parler de Dieu sans une sourde irritation. Le culte qu'on adressait à la divinité exaspérait son orgueil.

    Lorsqu'il eut atteint l'âge adulte, Tolac parcourut la mer, apprit le grec, visita Athènes, Rome et Alexandrie.

    Partout son charme et sa science lui attiraient des amis. Les succès qu'il remportait lui faisaient espérer les meilleures places, mais son incapacité de s'attacher à autre chose qu'à soi-même, éloignait bientôt de lui tous les cœurs. Il s'en irritait et s'aigrissait et quand ses amis l'abandonnaient, il s'en allait ailleurs.

    N'ayant pu l'emporter par la science, Tolac se jeta dans la débauche. Rentré en Judée, il étonna ses contemporains par le faste de sa vie scandaleuse. Sa maison devint le rendez-vous des moqueurs auxquels il enseignait à blasphémer. A trente-cinq ans, le corps déjà usé, animé d'une fureur croissante contre l'humanité, il rassembla quelques désespérés et se livra au brigandage. Il n'épargnait aucun voyageur, pas même les femmes et les enfants. Il pénétrait dans les synagogues le jour du sabbat et insultait Dieu. Il frappait les rabbins et s'emparait des prémices et de l'argent consacré. Sa cruauté était telle que tout le monde le redoutait. Les Juifs s'adressèrent à Ponce Pilate pour qu'il les débarrassât de lui. Tolac fut pris et conduit enchaîné à Jérusalem où le gouverneur ordonna qu'il fût crucifié.

    Le lendemain, on l'emmena au Calvaire avec deux autres condamnés : un brigand comme lui et un patriote galiléen, qui prétendait-on, avait prêché la révolte contre Rome. Sur la poitrine de ce dernier oscillait un écriteau ironique ainsi rédigé : Le Roi des Juifs.

    Tolac éprouva tout d'abord pour ce compagnon d'infortune une certaine sympathie, mais il fut bientôt écoeuré par son attitude pitoyable. Tandis que les deux brigands marchaient crânement, la tête haute à travers la foule imbécile, le Galiléen, trébuchant sous sa croix, pleurait avec des femmes et des enfants qui se lamentaient sur lui.

    Les trois hommes furent crucifiés. Le supplice de la soif atroce et du lent déchirement de leur chair commença. La foule se moquait du malheureux roi des Juifs : « Il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même ! S'il est le roi d'Israël, qu'il descende de sa croix et nous croirons en lui ! Il s'est confié en Dieu, que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime ! »

    Tolac, en ricanant, tordait déjà sa bouche pour joindre ses insultes aux leurs, lorsqu'un cri des passants l'arrêta : « Si tu est le Fils de Dieu, descends de ta croix ! »

    « Si tu es le Fils de Dieu ? … » Tolac tourna la tête vers le Galiléen et son regard d'ange déchu reconnut aussitôt, sous la couronne d'épines, l'enfant de Bethléem, le Fils de Dieu !

    Alors son cœur se souleva d'une haine triomphante : « Ah ! te voilà, mon rival ! disait-il en lui-même. Tu as voulu les hommages du monde entier, tu m'as enlevé la part d'admiration qui me revenait, tu m'as fait chasser du Paradis, tu as cru que les hommes s'agenouilleraient devant toi, comme les anges de la nuit de Noël ! Voilà ce que l'on gagne à vouloir faire le Sauveur ! Mais sur la terre, ce n'est pas Dieu qui règne, c'est le Malin ! Tu es vaincu. J'ai la satisfaction d'avoir contribué à ta défaite et d'assister, mourant à ta déchéance. Ta honte. C'est l'abaissement de Dieu lui-même. Je vais disparaître, mais je t'entraîne dans le néant avec moi ! »

    Comme s'il avait entendu les paroles que Tolac avait prononcées au-dedans de lui-même, Jésus tourna le tête et regarda le brigand. Tolac soutint fièrement ce regard : il était prêt à la lutte. Il attendait que Jésus répondît à sa haine par de l'indignation. Il y aurait de dures paroles peut-être, mais Tolac ne se laisserait pas abaisser !

    Or Jésus ne dit rien. Ses yeux étaient extrêmement tristes et extrêmement bons. Ils semblaient dire :

    « Je te reconnais, moi aussi, je sais qui tu es : l'ange déchu de ma nativité. Tu as voulu m'abattre et tu as réussi. C'est bien à cause de toi que je suis ici, à cause de ta jalousie et de celle de tous les hommes. C'est par ton crime que je vais mourir. »

    Mais, chose étrange, le langage des yeux de Jésus n'offrait à Tolac l'occasion d'aucune revanche.

    Si Jésus s'était mis en colère, Tolac se serait senti le plus fort, il se serait réjoui de l'avoir fait descendre à son niveau. Mais il ne s'attendait pas à une telle douceur.

    Et les yeux de Jésus continuaient de parler :

    « Oui, c'est à cause de toi et pour toi que je meurs. J'aurais pu te rejeter. C'est ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Eh bien, non ! Tu ne m'empêcheras pas de t'aimer, pauvre ange déchu. Je remporte sur toi la victoire de l'amour en donnant ma vie pour toi. »

    Et soudain le regard brillant et dur de Tolac se mouilla de larmes. Sous les yeux de Jésus, il baissa la tête.

    Or, à ce même instant, l'autre brigand, excité par la foule, se mit à injurier Jésus : « N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! »

    Tolac ne put supporter d'entendre insulter par un autre Celui qui volontairement s'était abaissé pour lui. Sans comprendre encore ce qui se passait en lui, il redressa la tête, ouvrit la bouche et se mit à défendre d'une voix forte son nouvel ami : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? »

    Et d'avoir ainsi, de sa bouche, confessé le Dieu qu'il avait tant haï, Tolac se trouva soudain libéré de sa jalousie. Il se souvint aussitôt du cantique appris jadis pour la nuit de Noël et se mit à chanter les strophes :

    Gloire à Dieu, au plus haut des Cieux ! Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes !

    Ce n'était certes plus la voix pure d'un enfant, ni la voix céleste d'un ange qui s'élevait ainsi, mais la voix rauque d'un homme tombé très bas, et près de mourir.

    Ce n'était certes par un chant harmonieux, mais un hymne quand même et un témoignage rendu devant l'autre brigand. Et quand Tolac eut terminé la strophe de Noël, il y ajouta la strophe de Vendredi-Saint :

    « Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes, mais celui-ci n'a rien fait de mal. »

    « Jésus n'a rien fait de mal ! songeait Tolac. Il était saint et c'est moi qui l'ai conduit à la mort en voulant me mettre à sa place ! Ah ! si je pouvais, à la dernière heure, tenter quelque chose pour le délivrer ! Mais il est trop tard. Jésus va mourir et moi aussi. Dieu est tout de même vaincu ! »

    Le regard de Tolac se tourna vers Jésus pour quêter au moins un peu d'espoir, mais la tête du Sauveur était penchée en avant, et ses yeux semblaient déjà voilés par la mort. Alors comme la vie de Tolac s'enfuyait également de son propre corps et que l'ombre de la mort envahissait son âme, sa bouche, plus croyante que son cœur, confessa de nouveau le Rédempteur en criant d'une voix forte : « Fils de Dieu, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. »

    Les lèvres de Jésus bougèrent à peine, mais Tolac entendit distinctement la réponse : « Je te le dis, en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis. »

    En cet instant, Tolac reconnut ce qu'il avait toujours su, lorsqu'il était encore un ange et même lorsqu'il reniait son Dieu.

    « L'amour est plus fort que la mort. Dieu ne peut périr. Celui qui vient de me donner sa vie ressuscitera. Par lui, je ressusciterai aussi. »

    Et il se laissa glisser dans la mort.

    © Récit de André Trocmé, Des anges et des ânes, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 9-16

  • Marc 15. La neutralité vis-à-vis de Jésus conduit à l'opposition à Jésus.

    Marc 15

    14.3.2010

    La neutralité vis-à-vis de Jésus conduit à l'opposition à Jésus.

    Télécharger en pdf : P-2010-3-14.pdf

    1 Co 1 : 21-25    Mc 15 : 1-15

    Chers catéchumènes, chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Le procès de Jésus, sa mise en accusation, son jugement, sa condamnation et son exécution, sont au cœur du christianisme. Si nous sommes chrétiens, c'est que nous croyons que cet homme, Jésus, condamné par tous et exécuté est bien le Christ, l'envoyé de Dieu, le révélateur de Dieu.

    Alors qu'est-ce qui se passe dans ce jugement, de procès qui est si important pour les chrétiens ? Si important, que la croix — un instrument de supplice — est devenu le signe du christianisme ?

    Nous allons accompagner Pilate dans son jugement, suivre son parcours pour comprendre ce qui arrive à Jésus et voir où nous nous situons dans ce parcours. Nous allons voir ce qui nous rapproche ou nous éloigne de Pilate.

    Pilate est appelé à juger une cause, un homme. Il n'a rien cherché, il est l'autorité suprême en tant que chef des romains à Jérusalem. Comme procurateur romain, il a seul le pouvoir de décider de la peine de mort C'est son boulot et il veut l'exercer au mieux.

    Ainsi donc, il entend ceux qui accusent et ensuite il interroge le prisonnier sur l'accusation qui est portée : "Es-tu le roi des juifs ?" (Mc 15:2). Je crois que c'est une question honnête de Pilate, une question factuelle. La réponse de Jésus n'est pas claire : "Tu le dis." Est-ce que c'est "Tu le dis, c'est juste" ou "Tu le dis, mais c'est faux" ? Ou encore : "Est-ce que c'est toi qui le dis ?"

    Alors Pilate se fâche devant ce silence de Jésus. Pilate se fâche parce qu'il a l'impression que Jésus ne voit pas tout le pouvoir que Pilate possède, un pouvoir de vie et de mort sur Jésus. Ce silence est une contestation du pouvoir de Pilate : une façon pour Jésus de dire : "Tu n'as aucun pouvoir, tu ne peux rien contre moi parce que j'ai déjà accepté de mourir, c'est moi qui ai déjà choisi et tu ne peux rien faire, ni me perdre, ni me sauver." Rien n'est plus vexant pour Pilate, lui le chef d'une province romaine !

    Mais Jésus reste toujours silencieux. Alors là, Pilate est vraiment ébranlé. Les traductions disent "étonné", mais c'est la même attitude décrite pour les gens qui sont étonnés, déconcertés, devant un miracle, devant quelque chose qui ébranle toutes nos certitudes, qui remet en cause tout ce qu'on a cru depuis toujours.

    Oui, Pilate est désarçonné devant cet accusé qui ne se défend pas, qui ne supplie pas, qui n'implore pas. C'est le monde à l'envers, Jésus est plein d'assurance et Pilate perd la sienne. Pilate perd pied et se demande comment sortir de cette situation. Une porte de sortie s'offre à lui avec la coutume de relâcher un prisonnier à Pâque.

    Pilate va proposer de relâcher Jésus plutôt que Barrabas, un meurtrier. Pilate entre dans un marchandage avec la foule : "Qui voulez-vous que je relâche ?" (Mc 15:9). Pilate croit garder le contrôle du pouvoir en proposant cet échange, mais en fait il est en train de donner son pouvoir à la foule. Pilate veut gouverner selon les sondages.

    Combien de fois agissons-nous aussi comme cela ? Que vont penser les autres si je dis cela ? Que vont penser les autres si je fais cela ? Mes amis, mes copains pensent cela, je ne vais pas dire le contraire, Suivons la mode, soyons tendances… suivons la foule.

    Alors Pilate fait son sondage pour se décider : "Que voulez-vous que je fasse de celui que vous appelez le roi des juifs ?" (Mc 15:12). Pilate a vraiment abdiqué. Il va se faire dicter sa conduite par la foule.

    De quoi dépend notre attitude face à Jésus ? Est-ce un choix personnel ou bien sommes-nous comme Pilate, dépendant de l'avis de la foule ?

    Jésus n'est pas à la mode. L'Eglise n'est pas tendance. Qu'est qui est tendance aujourd'hui ? Gagner des millions en écrasant les autres. Placer sa liberté avant celle des autres. Jouer à des jeux violents parce que c'est cool. S'éclater sans penser à l'avenir, sans penser à la planète. Alors : tous avec la foule, laissons tomber les responsabilités, replions-nous dans notre maison et que chacun se débrouille de son côté ? Et crions tous ensemble à Pilate ce qu'il doit faire : débarrasse-nous de ce Jésus, cloue-le sur une croix !

    Vous n'êtes pas tout à fait d'accord ? Ça vous gène un peu ? Je vous comprends, ça gène même un peu Pilate ! Oui, même Pilate trouve cela excessif. Il ne comprend pas les raisons de la foule, alors il leur demande quand même : "Qu'a-t-il fait de mal ?" (Mc 15:14). Pilate a un doute, plus qu'un doute. Pilate pense que Jésus est innocent de ce qu'on lui reproche. Pilate essaie de sauver Jésus. Pilate se rend compte de l'injustice qui se profile.

    Pilate essaie d'être neutre dans cette affaire. Il essaie de sauver Jésus, mais il ne peut pas prendre parti. Il ne veut pas risquer de contrarier la foule. Il ne peut pas risquer de se mettre le peuple à dos. Non, Pilate ne veut pas prendre de risque pour lui-même. Alors Pilate se soumet à la foule, il ne veut pas prendre le risque de s'engager pour Jésus. Il n'est pas contre Jésus, mais il ne veut pas s'engager pour lui, alors il l'abandonne à la mort.

    La neutralité vis-à-vis de Jésus conduit à l'opposition à Jésus. Ne rien faire, c'est faire quelque chose, laisser couler. Ne rien faire, c'est abandonner son pouvoir et sa liberté à la foule qui veut la mort de Jésus.

    Comme Pilate, plus que Pilate même, nous avons toutes les pièces en main pour juger Jésus et prendre parti. Sommes-nous avec lui ou contre lui ? Sommes-nous à ses côtés — avec les risques que cela comporte ? Sommes-nous à ses côtés pour lutter contre la violence aveugle, contre les violations des droits humains, contre l'exploitation, contre les injustices, contre la torture, contre la loi du plus fort.

    La croix au centre du christianisme, c'est ces luttes-là au sein de notre monde. Le procès de Jésus, c'est le rappel qu'on ne peut pas rester neutre — en dehors. On doit prendre parti, pour ou contre l'humanité qui souffre, pour ou contre l'individu condamné.

    Amen

  • Jean 1. "Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde."

    7.3.2010

    "Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde."

    Télécharger en pdf : P-2010-3-7.pdf

    Esaïe 53 : 1-8, Apoc 7 : 9-12, Jn 1 : 23-29

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Le temps du Carême, temps de la Passion, est propice pour se redemander comment comprendre la mort annoncée de Jésus. Comment comprendre le parcours de Jésus, y compris sa mort ? Les évangiles et les lettres du Nouveau Testament nous proposent plusieurs interprétations, nous exposent plusieurs significations.

    L'évangéliste Jean nous propose de voir Jésus comme l'agneau de Dieu. Ce sont les mots qu'il met dans la bouche de Jean Baptiste : "Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde" (Jn 1:29). Dans le récit de la Passion, l'évangéliste Jean associe la mort de Jésus au sacrifice de l'agneau de l'Exode. Enfin, l'Agneau est très présent dans l'Apocalypse, il règne en souverain auprès de Dieu.

    Dire de Jésus qu'il est l'agneau de Dieu permet de donner sens à la mort tragique de Jésus et permet de montrer comment la mort de Jésus ouvre au salut, offre une bénédiction à tous les humains.

    A. Dire que Jésus est l'agneau de Dieu, c'est associer Jésus à la Pâque juive, c'est faire un transfert de signification de l'un à l'autre. L'agneau pascal de la fête juive, c'est le rappel de l'Exode : un peuple en servitude va être libéré. Des êtres menacés de mort vont être sauvés. Le sang de l'agneau doit être badigeonné sur les montants et le linteau de la porte de la maison pour que la Mort passe son chemin.

    L'agneau doit être mangé — en famille — pour prendre des forces avant un voyage long et difficile qui doit mener en terre promise. Le sang et la chair de l'agneau donnent la vie, comme le corps et le sang du Christ consommés dans la Cène.

    Dans la fête de la Pâque, Dieu est encore en vis-à-vis des humains — en face, de l'autre côté de la barrière, à l'extérieur — mais il offre, à travers l'agneau, un moyen de protection, un élément protecteur.

    B. Lorsque Jean Baptiste dit de l'agneau de Dieu qu'il ôte le péché du monde, il fait référence aux poèmes du Serviteur souffrant qu'on trouve chez le prophète Esaïe : "Le serviteur a grandi comme une simple pousse, il était celui qu'on dédaigne, la victime, le souffre-douleur. Or il supportait le malheur qui aurait dû nous atteindre. Il a subi notre punition et nous sommes acquittés. Il s'est laissé maltraiter comme un agneau qu'on mène à l'abattoir." (Es 53:1-8 extraits).

    Le serviteur, l'agneau, est celui qui accepte de souffrir avec, qui souffre du malheur des autres, qui compatit. Même plus, il porte la douleur des autres, il accepte de se substituer aux autres. Il renonce à la force, à son droit, à la puissance. Il est celui qui chemine avec ceux qui souffrent, qui les accompagne sur leur chemin de douleur. Parfois il est celui qui se sacrifie pour leur éviter du mal. Combien de fois, comme parents, nous voudrions assumer ce rôle pour nos enfants, leur éviter les tourments et les malheurs. Nous pouvons les accompagner, être avec eux, plus rarement nous substituer.

    Jésus — comme l'agneau de Dieu — n'est plus dans le vis-à-vis, il est dans le compagnonnage, dans l'être-avec; Emmanuel, Dieu avec nous. Il chemine à nos côtés, nous accompagne et nous porte, sans que cela ne nous évite les écueils de la route. Mais nous ne sommes plus seuls sur notre chemin.

    Sur notre chemin terrestre, Jésus est à nos côtés; vers notre chemin céleste, Jésus se substitue à nous, il a endossé le poids de nos fautes et obtient pour nous l'acquittement pour tout ce qui nous accable et nous culpabilise.

    Pour nous suivre sur notre route terrestre, Jésus a renoncé à toute puissance divine, il a accepté notre impuissance humaine à changer les choses, à éviter le malheur et la mort. C'est en cela qu'il est un agneau et non un lion.

    C. Alors, il est bizarre de lire que l'Agneau de l'Apocalypse règne à la droite de Dieu et l'emporte sur tous les adversaires des humains ! Oui, dans l'Apocalypse, l'Agneau est un souverain, un juge qui réhabilite les victimes dans leur position, un maître qui efface les larmes et établit une terre nouvelle.

    Je crois qu'il y a, là, la révélation (c'est le sens du terme "Apocalypse" — en anglais ce livre s'appelle Revelation) d'un processus que nous pouvons aussi expérimenter. Jésus, comme agneau de Dieu, accepte l'impuissance de la condition humaine : nous pouvons certes faire beaucoup de choses, mais nous sommes impuissants à faire quoi que ce soit contre le malheur, le deuil, la mort. Nous sommes impuissants, nous n'avons pas de baguette magique.

    Mais si nous reconnaissons cette impuissance, si nous reconnaissons que nous ne pouvons rien faire, nous pouvons entrer dans une autre dimension, — quitter le pouvoir du faire quelque chose — pour entrer dans la dimension de l'être, de l'être avec les autres. Nous pouvons quitter l'illusion de la puissance pour accepter que nous ne pouvons qu'être-là, auprès de, à côté de, dans l'empathie, dans la compassion, dans l'accompagnement. Deux êtres qui partagent une même présence, une même souffrance.

    Je vous donne un exemple très concret. Il y a quelques années, la Gendarmerie vaudoise a réalisé que lorsqu'elle doit gérer un décès tragique, elle sait faire un tas de chose : sécuriser la place, appeler les secours, annoncer le décès. Mais une fois qu'il n'y a plus rien à faire et que le gendarme se retrouve face à quelqu'un qui pleure, il se sent impuissant. Alors la Gendarmerie a demandé de pouvoir passer le relais à un service des Eglises : l'assistance spirituelle d'urgence.

    Quand il n'y a plus rien à faire, il y a encore quelque chose qu'on peut faire : simplement être-là et accompagner la douleur, la souffrance du cœur. Simplement être en communion, en communion d'humanité.

    L'agneau de Dieu accepte cette impuissance pour réinvestir la puissance de l'être, l'être-là, l'être avec, l'être en communion. Reconnaître son impuissance à faire quelque chose, c'est se donner la possibilité de retrouver cette autre puissance, cette autre richesse que Dieu a placé au plus profond de chacun d'entre nous : être humain.

    L'agneau de Dieu nous précède, nous accompagne sur ce chemin-là.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2010