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bible - Page 35

  • Jean 20. Jésus doit monter vers son Père pour nous ouvrir le chemin

    Pâques    Jean 20

    12.4.1998

    Jésus doit monter vers son Père pour nous ouvrir le chemin

    Jean 20:1-18    Col. 3:1-4

    Frères et soeurs en Christ,

    Ce matin, nous nous réjouissons de vivre à nouveau Pâques, le matin de la résurrection. Ce fut pour les disciples, hommes et femmes un matin de surprises ! Que d'inattendu ! Venus au tombeau pour les rites de deuil, les femmes et les disciples sont confrontés à un tombeau vide.
    Face au tombeau vide, le récit que nous avons entendu présente deux réactions :
    •    d'un côté celles de Pierre et du disciple que Jésus aimait,
    •    de l'autre, celle de Marie de Magdala.
    Les deux disciples, Pierre et Jean (la tradition a vu Jean dans le disciple que Jésus aimait), fondateurs des premières communautés chrétiennes, se devaient d'être présentés avec un comportement exemplaire. Aussi le récit dit-il simplement de Jean : "Il vit et il crut" (Jn 20:8).
    Pour eux, premiers témoins sur place, le simple fait de voir le tombeau vide, les bandelettes bien rangées, l'absence de corps, suffit à leur faire comprendre le mystère de Pâques. Tant mieux pour eux !
    Mais pour ceux qui viennent après eux, les premiers lecteurs de l'évangile de Jean, ou pour nous, deux millénaires plus tard, est-ce aussi facile ? Peut-on aussi croire sans voir ? Aussi vite ? Les signes "visibles" étaient-ils vraiment aussi clairs ?
    La mise en scène de Marie de Magdala vient en réponse à quelques-unes de ces questions. Marie de Magdala peut être vue comme la figure de l'Eglise qui vient après, plus tard, avec ses difficultés à croire, avec ses doutes sur l'évidence de la résurrection à partir de la vision du tombeau vide.
    Si nous avions été là en ce premier matin de Pâques, qu'aurions-nous vu ? Comment aurions-nous réagit ? Très probablement comme Marie de Magdala.
    Face au tombeau vide :
    nous aurions pensé que le corps avait été enlevé, déplacé.
    Face aux anges-messagers :
    nous aurions été aux renseignements.
    Face à cet homme debout derrière nous :
    nous aurions préféré le prendre pour le jardinier plutôt que de croire l'impossible, l'impensable... Notre cerveau aurait aussi mis une image plausible en face de nous (un jardinier), plutôt que d'affronter l'incroyable (un mort sort de sa tombe).
    Finalement, lorsque Jésus arrive à bout de toutes nos résistances et se fait reconnaître pour qui il est, nous aurions préféré le garder auprès de nous plutôt que de le laisser partir à nouveau, à peine retrouvé !
    Que d'épreuves, que d'embûches pour que Jésus puisse faire connaître sa résurrection, pour que Marie, et nous avec elle, puissions le reconnaître !
    "Ne me retiens pas" dit Jésus. Le chemin n'est pas tout à fait terminé. A peine apparu, il annonce son départ. Quel choc ! Quelle peine !Mais la résurrection n'a pas pour but la prolongation de la vie terrestre de Jésus, ce n'est pas un retour à la vie, c'est la vie dans une autre dimension, c'est la vie dans un autre but."Va dire à mes frères que je monte vers mon Père qui est aussi votre Père, vers mon Dieu qui est aussi votre Dieu" dit Jésus (Jn 20:17). Pâques ce n'est pas "Jésus 2, le retour". Pâques, c'est l'élévation, l'exaltation, la glorification de ce Jésus qui a été crucifié. Nous devons laisser aller, laisser partir Jésus pour qu'il monte vers Dieu, pour qu'il accomplisse sa mission.
    Cette montée, cette ascension vers Dieu est la finalité ultime de la vie de Jésus et du plan de Dieu. Jésus doit monter vers son Père qui est notre Père pour ouvrir le chemin vers son Dieu qui est notre Dieu. Jésus est le chemin qui mène au Père : "Je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14:6).
    Dans cette montée, tous les humains sont associés, par cette montée de Jésus, nous sommes reliés à Dieu, qui devient notre Dieu, qui devient Dieu pour nous, un Dieu accessible et proche.
    Jésus a ouvert ce chemin. Nous pouvons maintenant l'emprunter pour nous relier à Dieu, pour nous occuper des choses d'en-haut, comme le dit l'apôtre :
    "Vous avez été ramenés de la mort à la vie avec le Christ.
    Alors recherchez les choses qui sont au ciel,
    là où le Christ siège à la droite de Dieu" (Col. 3:1).
    Amen
    @ 2007 Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 28. Dans le récit de Pâques, Matthieu nous détourne du tombeau vide pour nous envoyer en Galilée

    Matthieu 28

    27.3.2005

    Dans le récit de Pâques, Matthieu nous détourne du tombeau vide pour nous envoyer en Galilée

    Rm 10:13-17    Mt 28 : 1-10    Mt 28 : 16-20

    Chers amis,
    Je trouve redoutable de prêcher sur la résurrection le jour de Pâques. Oui, je trouve cela redoutable parce que nous vivons à une époque où l'on a plus besoin de savoir que de recevoir, d'être sûr, d'être assuré que d'être appelé à s'émerveiller.
    La résurrection, c'est d'abord quelque chose d'impossible, d'incroyable, et pourtant nous voulons nous en faire une image, une représentation, nous voulons l'expliquer, en faire quelque chose qui nous rasure et nous aide à croire.
    En fait, des siècles de croyances et de traditions sont venus recouvrir notre lecture des Evangiles d'un voile, presque opaque. Ce matin, j'ai envie de laisser tomber ces filtres et retourner à la simplicité du texte, retrouver juste ce qu'il dit et ne dit pas.

    "Après le sabbat, dimanche au lever du jour, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent voir le tombeau." (Mt 28:1)
    Deux femmes viennent voir le tombeau. Chez Matthieu, il n'est pas question de toilette des morts, d'embaumement avec les fameux aromates. Les femmes ne viennent rien faire, elles viennent voir…

    "Soudain, il y eut un fort tremblement de terre; un ange du Seigneur descendit du ciel, vient rouler la pierre de côté et s'assis dessus. Il avait l'aspect d'un éclair et ses vêtements étaient blancs comme la neige. (…) L'ange prit la parole et dit aux femmes : « N'ayez pas peur. Je sais que vous cherchez Jésus, celui qu'on a cloué sur la croix; il n'est pas ici, il est revenu de la mort à la vie comme il l'avait dit. Venez, voyez l'endroit où il était couché. » (Mt 28:2-3+5-6)
    Tiens, voilà de l'extraordinaire, un tremblement de terre et un ange lumineux. On croit assister à la résurrection… mais on se trompe ! Le tombeau n'est pas ouvert pour que Jésus en sorte — "il n'est pas ici" dit l'ange — non, le tombeau est ouvert pour que les femmes puissent constater que Jésus n'y est plus !
    La scène extraordinaire ne concerne pas la résurrection, mais la révélation ! Dieu bouleverse l'ordre ordinaire des choses pour que les humains aient accès à la révélation. Mais le seul tombeau vide ne dit rein aux femmes et ne leur donne pas la foi. C'est la parole de l'ange qui les ouvre au mystère : "Il a été relevé, réveillé, il vous précède en Galilée" (Mt 28:7).
    Le tombeau vide n'est pas preuve de résurrection, l'ange non plus, l'ébranlement de la terre non plus. Voir le tombeau vide n'est pas nécessaire à la foi, la foi ne vient pas de ce qui est vu, mais de la parole qui est entendue (Rm 10:17). Matthieu en est bien conscient puisque son évangile est une prédication pour une communauté de la 2e ou de la 3e génération après Jésus. Les croyants qui lisent l'Evangile de Matthieu pour la première fois, comme nous aujourd'hui, n'ont pas accès au tombeau vide. Nous n'avons accès qu'aux paroles des femmes, des disciples, des évangélistes ou des prédicateurs.
    Le récit de Matthieu n'est donc pas une explication de la résurrection, mais une aide à la foi de l'Eglise. Il ne cherche pas à éclaircir le mystère, à expliquer le phénomène, il cherche à consolider la foi des croyants. Aussi, nous dit-il que ce n'était pas plus facile auparavant, même pour les Onze disciples :

    "Les onze disciples se rendirent en Galilée, sur la colline que Jésus leur avait indiquée. Quand ils le virent, ils l'adorèrent; pourtant ils eurent des doutes." (Mt 28:16-17)
    Les disciples voient Jésus, mais ils doutent ! Même eux — peut-on dire — ont de la peine à croire, Mais comment cela est-il possible ? Comment peuvent-ils douter alors qu'ils ont Jésus sous les yeux ? Eh bien, parce que ce ne sont pas les yeux qui donnent la foi. Parce que ce qu'on voit n'est pas toujours très clair ni très objectif, malgré ce qu'on veut nous faire croire à l'ère du tout télévisuel. La vue ne donne pas le sens de ce qui est vu, c'est sujet à interprétation.
    Je vous donne un exemple : Vous voyez arriver quelqu'un près d'un parc à vélo. Il secoue plusieurs vélos jusqu'à ce qu'il en trouve un qui n'a pas de cadenas et s'en va le plus vite possible. Qu'avez-vous vu ? Ce qu'on croit avoir vu, c'est un voleur de bicyclette. Mais ce pourrait aussi être un pompier qui doit rejoindre d'urgence son service et dont la voiture est en panne. Seule une parole vous dira ce que vous avez vu !
    Dans son récit, Matthieu nous dit cela : Ce n'est pas la vue qui donne la foi. Pour que la foi naisse et grandisse, il faut que l'ange explique aux femmes le sens de ce qu'elles voient; il faut que les femmes disent aux disciples ce qu'ils vont voir en Galilée; il faut que Jésus dise aux disciples ce qu'ils doivent faire, pour qu'ils comprennent et que la foi naisse de leurs doutes.
    Le doute est normal face à la résurrection. D'ailleurs, le mot que Matthieu utilise pour parler du doute est un mot qui s'applique toujours aux disciples dans son Evangile, il décrit le doute à l'intérieur de la foi. Il décrit ce moment d'équilibre instable où l'on hésite entre la foi et l'incrédulité, entre le "c'est merveilleux" et le "c'est trop incroyable" entre "je n'en crois pas mes yeux" et "je ne crois que ce que je vois", entre la confiance et la défiance.
    Matthieu comprend cette hésitation, elle habite toute personne en quête de la vérité. Et à celui qui est sur le ballant, Matthieu dit  — étrangement — retourne en Galilée, c'est là que Jésus te précède et t'attend. Pourquoi en Galilée, alors que dans les autres Evangiles, Jésus apparaît à ses disciples à Jérusalem ?
    Je crois que Matthieu nous renvoie au ministère de Jésus, à la montagne où il a prononcé son sermon sur la montagne, aux lieux de ses rencontres et de ses guérisons. Matthieu nous dit — dans un langage un peu crypté — si tu hésites encore, eh bien retourne aux premières pages de mon Evangile et suis Jésus encore une fois, retrouve-le et suis-le, surtout écoute-le.
    Car, comme le dit l'apôtre Paul :
    "La foi vient de ce qu'on écoute la nouvelle proclamée et cette nouvelle est l'annonce de la Parole du Christ." (Rm 10:17)
    Dans cette bonne nouvelle se trouve la puissance de la résurrection.
    Amen
    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 9. Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

    Genèse 9

    25.3.2007

    Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

    Gn 6 : 9-22 Gn 9 : 8-13 Jn 18 : 28-40

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Jeudi de cette semaine, 25 paroissiens ont suivi une visite guidée de l'exposition "Visions du Déluge" à Lausanne et samedi j'y ai emmené 16 catéchumènes. Cette exposition nous présente une série d'œuvres — des gravures et des peintures — de la Renaissance jusqu'au XIXe siècle qui tournent autour du thème du Déluge. C'est évidemment la partie inondation, engloutissement de l'humanité, qui donne lieu aux représentations les plus dramatiques. À l'opposé, la survie de Noé et de sa famille est peu spectaculaire et n'intéresse pas beaucoup les peintres.
    Ce qui est remarquable dans cette exposition, c'est de voir l'évolution des mentalités de la société à propos du récit du Déluge. Les peintres présentent le Déluge, mais aussi un point de vue sur le Déluge, sur la décision divine.
    Ainsi, au Moyen Age et à la Renaissance, les peintres mettent l'accent sur le châtiment mérité de cette humanité violente et méchante. Il y a foule sur les tableaux, les gens se battent entre eux pour défendre qui son radeau, qui sa barque ou son tonneau. Le spectateur n'est pas invité à la pitié mais plutôt à la peur, à la peur du châtiment.
    Au XVIe siècle, le déluge est souvent représenté comme un avertissement, il préfigure le jugement dernier et nous invite — toujours par la peur — à nous détourner du mal.
    Au XVIIe siècle, les peintres diminuent le nombre de personnages sur leurs tableaux et invitent plutôt les spectateurs à l'émotion et à la compassion.
    Aux XVIIIe et XIXe siècles, les peintres ne représentent plus que quelques personnages, 6 ou 4, voir même seulement deux et attirent notre attention sur l'injustice de leur sort. Comment cette femme, cet enfant pourraient-ils être coupables d'un tel châtiment ? Il y a là, dans des tableaux qui précèdent et suivent la Révolution française, un mouvement de révolte contre les morts innocentes, notamment causées par les tremblements de terre (Lisbonne et Messine) et les éruptions volcaniques (Vésuve, Etna).
    D'un juste châtiment, les représentations du Déluge sont passées à l'expression de l'injustice de la mort innocente. Cette révolte, qui ne nous étonne pas aujourd'hui, s'accompagne d'un rejet de Dieu, du Dieu du Déluge. Les peintres remplacent d'ailleurs souvent le Déluge par d'autres catastrophes pour révéler l'injustice du monde.
    Les tableaux, comme la société, expulsent de plus en plus le thème biblique et le Dieu juge du Déluge. On passe de la représentation du Déluge à celle de la catastrophe, de la représentation du châtiment à celle de l'injustice, de la représentation de la Bible à celle de l'athéisme et du rejet de Dieu. Ce mouvement est très fort et entraîne encore les sociétés actuelles. Faut-il s'en plaindre ou s'en réjouir ?
    Je pense que ce mouvement est inscrit au cœur même de la Bible et du christianisme. C'est la puissance libre de l'évangile qui est à l'œuvre !
    Ce mouvement — révolte contre l'injustice et contre la mort de l'innocent, finalement contre le Dieu qui menace et punit — s'est développé à l'extérieur du christianisme établi parce que (autour de la Révolution française) l'Eglise officielle était trop liée au pouvoir et à la royauté, elle avait perdu son sel évangélique, elle défendait les puissants et non les petits, les exclus, les affamés.
    Ce mouvement qui crie la révolte de voir l'innocent écrasé — même par les catastrophes — c'est l'essence même du christianisme.
    Cette exposition s'arrête sur la représentation de deux personnages, deux amoureux, qui vont périr dans le Déluge, deux amoureux aux cœurs purs qui ne méritent pas la mort. Pourquoi l'exposition s'arrête-t-elle à deux personnages ? N'y a-t-il aucun tableau qui représenterait une seule personne injustement condamnée dans les réserves du Musée cantonal des Beaux-Arts ?
    Ponce Pilate déclare à ceux qui accusent Jésus : "Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme" (Jn 18:29). Voilà le personnage unique, innocent, mais condamné par tous, qui manque pour achever cette exposition.
    Le récit de la mort de Jésus — l'innocent cloué sur la croix — n'est-il pas le modèle premier de dénonciation de la mort innocente qui a fait comprendre, petit à petit, à l'humanité combien est révoltant toute mort d'innocents ?
    La graine de la révolte contre le châtiment du Déluge, c'est Dieu lui-même qui l'a plantée dans le cœur de l'homme en nous montrant la croix de Jésus. Dénoncer les morts innocentes, ce n'est pas s'en prendre à Dieu, c'est prendre son message au sérieux !
    C'est parce que l'évangile de la Passion est lu et relu chaque année dans nos Eglises que la société ne peut plus accepter le châtiment du Déluge, ne peut plus accepter les catastrophes sans aller porter secours, ne peut plus accepter les maladies sans financer la recherche médicale et les soins, ne peut plus accepter les accidents sans chercher de nouveaux moyens de prévention.
    En cela, la mort de Jésus a parfaitement réussi — avec et parfois malgré l'Eglise et les pratiquants — à changer le monde, à changer notre façon de regarder les événements autour de nous.
    Il est donc important de ne pas jeter Dieu avec l'eau du Déluge.
    Il est important que l'histoire de la Passion soit relue, reméditée, redite continuellement.
    Il est important de renforcer notre témoignage chrétien en répétant avec force qu'aucun intérêt ne peut justifier le sacrifice de qui que ce soit.
    Il est important de relever que nos valeurs modernes (démocratie, droits humains, égalité) sont enracinés dans l'évangile de la Passion, même si elles ont été laïcisées.
    Il est important de refuser que le christianisme soit renvoyé dans la sphère privée — hors de l'espace public, politique et économique — ce serait la mort de nos valeurs occidentales.
    Nous pouvons être fiers de porter en nous les valeurs de l'évangile. Nous pouvons être fiers d'être fidèles à cette tradition qui a formé et porte encore notre société. Nous pouvons être fiers et le dire autour de nous.
    Amen

  • Ephésiens 6. Jésus nous arme pour affronter les épreuves de la vie.

    Ephésiens 6

    28.3.2004

    Jésus nous arme pour affronter les épreuves de la vie.

    Mat 7 : 24-27    Eph 6 : 10-19    Luc 22 : 39-46

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avançons vers Pâques, le temps de la Passion, la souffrance et la mort de Jésus, puis sa résurrection mystérieuse. Sur ce chemin, Jésus est avec quelques disciples au Mont-des-Oliviers, dans un lieu appelé Gethsémané. Il fait nuit — au propre comme au figuré — Jésus prend conscience qu'il va affronter la mort et il prie  "Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe de douleur" (Lc 22:42).
    Nous savons maintenant que rien n'a été épargné à Jésus. Et nous savons et voyons autour de nous que le fait d'être croyant, de prier, de faire du bien autour de soi, n'écarte pas les malheurs de notre route. La foi en Dieu n'est pas une assurance contre les risques, les malheurs, la maladie, les deuils. Alors, "à quoi bon ?" peut-on se demander. Qu'est-ce que cela change d'être chrétien, si les malheurs de la vie sont inévitables ?
    L'apôtre Paul nous donne une piste lorsqu'il écrit :

    "Saisissez maintenant toutes les armes de Dieu ! Ainsi quand viendra le jour mauvais, vous pourrez résister à l'adversaire et, après avoir combattu jusqu'à la fin, vous tiendrez encore fermement votre position." (Eph 6:13)
    Paul, comme nous, sait que l'adversité surgit toujours, un jour ou l'autre. Alors, pour ne pas être abattu, pour tenir debout, il nous invite à nous préparer, à saisir la panoplie de moyens que Dieu met à notre disposition. Le rôle de Dieu n'est pas de nous faire échapper à la vie, mais de nous donner les forces pour l'affronter.
    L'évangile est une  source de force pour affronter l'adversité, sans se faire balayer, renverser, démolir. Pour nous faire découvrir cela Jésus avait raconté la parabole des maisons construites sur le sable ou sur le roc. Ce roc, c'est l'ensemble des paroles et des actes de Jésus.
    Dans sa lettre, Paul utilise une autre image, cette du guerrier qui s'harnache pour le combat, et Paul cite : la ceinture, la cuirasse, les chaussures, le bouclier, le casque et l'épée. Cela, c'est la panoplie du guerrier, mais Paul n'invite pas à la guerre, au djihad, il s'agit de l'évangile de la paix.
    La panoplie du chrétien, c'est la vérité, la justice, le zèle à annoncer l'évangile de paix, la foi, le salut et la Parole de Dieu. C'est la vérité pour ceinture qui fait tenir tout l'équipement, qui assure la cohérence entre nos paroles et nos comportement. La justice comme une cuirasse. Le zèle à annoncer l'évangile comme des chaussures qui nous permettent d'avancer, de progresser. La foi comme un bouclier pour se défendre, pour assurer sa sécurité intérieure. Le salut comme un casque qui protège nos pensées, nos décisions. Et finalement, la Parole de Dieu comme une épée, seule arme "offensive", une Parole de Dieu qui se dit dans une parole si désarmante : "Dieu est amour" (1 Jn 4:8).
    L'adversaire à combattre — Paul le dit explicitement — n'est pas formé d'êtres humains. Ce sont des puissances, des autorités, des pouvoirs. Ce sont les réalités abstraites qui dirigent la vie des hommes. Et même si, au XXIe siècle, il nous semble que nous avons quitté ce monde magique de puissances célestes, je pense que nous leur avons simplement donné de nouveaux noms.
    On ne dit jamais que Monsieur Untel veut licencier 100 ou1'000 personnes. On nous dit : "pour rester concurrentiel, il faut...", "la logique des marchés nous oblige à ...", "la mondialisation veut que...", "la bourse a sanctionné..." Voilà les puissances et les pouvoirs d'aujourd'hui qui décident de milliers de destins humains. L'adversaire, c'est l'adversité qui peut tomber sur quiconque, à n'importe quel moment, sans rapport avec le mérite personnel ou la qualité du travail effectué.
    Il en est de même pour la maladie et le deuil. Ces événements arrivent, et lorsqu'ils arrivent, nous ne pouvons pas les changer. Ce qui est en notre pouvoir, de notre ressort, c'est notre façon de les affronter, la façon dont nous les laissons nous affecter.
    C'est là que nous avons une responsabilité à prendre — et si possible prendre à l'avance ?

    "Saisissez maintenant les armes de Dieu !" (Eph 6:13)
    Aujourd'hui nous pouvons construire notre personnalité, nous pouvons nous fortifier, nous armer contre l'impact du malheur.
    C'est une tâche personnelle de voir comment nous vivons, comment nous construisons nos relations, notre travail, nos loisirs, comment nous préparons notre retraite ou encore notre grand âge.
    Que garderons-nous dans nos têtes, notre esprit et notre âme, si nous devenons dépendants, si nous perdons notre mobilité, si nous perdons nos proches.
    C'est aussi une tâche parentale, éducative de fournir ces armes à nos enfants, leur montrer comme la vérité agit comme une ceinture, c'est-à-dire tient tout ensemble, donne une cohérence au langage et au comportement. Comme la foi, la confiance agit comme un bouclier, c'est-à-dire protège, sécurise. C'est notre rôle de leur permettre de montrer leurs émotions et mettre les bons mots dessus.
    Avec l'ensemble de ces armes (qui n'ont pas de buts agressifs, mais défensifs) il est possible d'accéder à la paix, une paix intérieure et une paix avec les autres. Avec cette panoplie — à condition de ne pas la laisser à la cave — il est possible de tenir debout par soi-même — ce qui ne signifie pas être debout tout seul — mais ne pas reposer sur le sable, sur des choses éphémères.
    Dieu nous donne cette panoplie de moyens pour résister à l'adversité, pour s'appuyer sur le roc. N'attendons pas le malheur pour chercher cet appui, apprenons dès maintenant à nous enraciner en Jésus-Christ.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Jean 2. "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !"

    Jean 2

    26.3.2000

    "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !"

    1 Cor 1 : 22-25    Jn 2 : 13-22

    "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !" (Jn 2:19)On savait que Jésus ne devait pas être la figure mièvre et falote qu'on voit sur les images d'Epinal. Là, on a vraiment de quoi s'en rendre compte ! On trouve ici Jésus dans un des épisodes les plus violents de son ministère : il chasse les marchands du Temple à coups de fouet et il répond, à ceux qui l'interpellent, par la plus monstrueuse provocation qu'un juif pouvait prononcer :"Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !"Provocation !  Telle est la première lecture que nous pouvons faire de cette phrase de Jésus. Voilà à peine 46 ans que les juifs se sont attelés à la reconstruction du troisième Temple — à la grande gloire du Très-Haut — et voilà que celui qui se prétend venir de Dieu parle de détruire ce Temple. Nous sommes-là au coeur du scandale et de la folie dont nous parlait l'apôtre Paul. Dieu intervient au coeur du monde d'une façon inouïe, "scandale pour les juifs, folie pour les grecs" (1 Cor 1:23).
    Dieu intervient en renversant tous les édifices humains, non seulement les temples de pierre, mais toutes nos constructions logiques sur lesquelles nous édifions nos vie, nos relations, ou nos fortunes. Dieu renverse l'idée que le sens surgira dans notre vie comme par miracle, sans que nous ne fassions rien. Dieu renverse aussi l'idée que le sens viendra de notre propre discipline et de notre quête inlassable de sagesse.
    Le sens provient de ce qu'on n'attend pas, d'un scandale, d'un homme qui donne sa vie sur la croix.
    *    *    *
    "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !"
    Vous savez que l'Evangéliste Jean est un spécialiste des phrases-tiroirs, des doubles ou triples sens. La provocation et le scandale est le premier sens donné aux interlocuteurs contemporains de Jésus. Un deuxième sens est suggéré, indiqué par la notion des "trois jours" et par le verbe traduit ici par "rebâtir" qui signifie littéralement "relever". Ce deuxième sens s'adresse aux disciples qui connaissent la fin de l'histoire. En effet, pour tout lecteur, celui qui est "relevé après trois jours", c'est Jésus, le Christ, après la Passion.
    Ce dialogue de Jésus avec les chefs des juifs devient prophétie pour les disciples. Cette prophétie devient une affirmation de foi de tous les croyants : Jésus, le Christ, celui qui a souffert, qui est mort sur la croix et que Dieu a relevé d'entre les morts, c'est le nouveau Temple, c'est-à-dire le lieu qui est habité par Dieu, que Dieu a choisi lui-même pour demeurer parmi l'humanité. En Jésus, c'est Dieu qui a visité sou peuple. Jésus est le nouveau Temple, nous dit Jean, nouveau lieu de culte, culte en Esprit (comme Jésus le dit dans sa rencontre avec la Samaritaine, Jean 4).
    L'épître aux Hébreux ira encore plus loin en disant que Jésus est le nouveau grand-prêtre de ce Temple, où il officie — sans sacrifices — pour intercéder pour chaque être humain auprès de Dieu. Christ est le seul médiateur entre les humains et Dieu.  C'est pourquoi, on peut définitivement se passer de Temple.
    *    *    *

    "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !"
    Allons à la recherche d'un troisième sens. A la fin de cette dispute, Jean ajoute un petit commentaire pour le lecteur de son Evangile, il dit : "Mais le temple dont parlait Jésus, c'était son corps" (Jn 2:21) Bien sûr, cette phrase pourrait simplement renforcer le deuxième sens, en indiquant seulement la résurrection. Cependant, pour nous au moins — je ne sais pas si c'est valable pour la communauté de Jean — parler du "corps du Christ", c'est parler de son peuple, de son Eglise, de nous. Cette phrase nous parle donc de la fondation même du christianisme.
    Le Temple a été détruit symboliquement par Jésus pour faire place à un édifice, une construction nouvelle, formée d'hommes et de femmes. Les croyants d'hier et d'aujourd'hui forment ce temple que le Christ a rebâti et qu'il ne cesse de relever chaque jour.
    Si le Temple de pierre est remplacé par un corps, attention à nous de ne pas pétrifier ses articulations, à ne pas ankyloser ses muscles, à ne pas paralyser ses fonctions.
    *    *    *
    "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai !"
    Sur le chemin de la passion, cette phrase nous rappelle le caractère fou et scandaleux du message de Jésus. Ne gommons pas son interpellation !
    Cette phrase nous rappelle que cette folie s'est manifestée dans la destinée souffrante de Jésus, et nous a ouvert le chemin à Dieu.
    Cette phrase nous rappelle qu'aujourd'hui, nous sommes partie prenante de ce nouveau temple qu'est le corps du Christ.
    Restons attachés à ce corps pour en tirer notre vie, la vraie vie. Restons actifs et dynamiques dans la foi et dans notre relation à Dieu, pour refléter — devant le monde — la vie qui nous est donnée.
    Amen
    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 8. Après le Déluge, Dieu décide de changer


    Genèse 8

    18.2.2007

    Dieu décide de changer

    Extraits de Genèse 6-7-8 Voir la note "Déluge, premier récit"    Osée 2 : 20-22


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Combien de fois n'entendons-nous pas des gens dire : "Si Dieu existait, il mettrait fin aux guerres, il mettrait fin à la violence des humains!" Ces personnes ont raison de s'interroger sur la présence du mal, et du mal radical, dans notre monde. Mais quand on demande que Dieu éradique le mal de la surface de la terre, on ne sait pas ce qu'on demande !  On ne sait pas le risque qu'on prend ! On ne sait pas si nous en apprécierions les conséquences ! Et si Dieu nous prenait au mot ?
    S'il fallait éradiquer toute violence, ne faudrait-il pas détruire toute vie sur terre, comme le récit du Déluge nous le rapporte ?  Et pas seulement les humains, les animaux aussi ! La loi de la nature est violente : manger ou être mangé. La nature si adorable que nous contemplons est aussi cruelle. Le coucou que nous aimons entendre chanter ne grandit qu'en chassant les oisillons du nid où il prend place. Et la guêpe qui pond ses œufs dans le corps d'une chenille qui va être dévorée de l'intérieur…
    L'être humain — quel qu'il soit — a toujours une part d'ombre en lui-même. Cette part d'ombre est bien cachée par le vernis social, mais on a vu —pendant l'invasion américaine en Irak — les pillages des banques et des musées dès que le pouvoir s'est effondré.
    Le récit du Déluge dans la Bible essaie de trouver une réponse à ce problème de la présence du mal dans le monde. Comment expliquer sa présence et que nous puissions malgré tout vivre avec ce mal ? Il est à remarquer que ce récit est le contraire d'un paradis perdu.
    Le récit dit que nous vivons dans un deuxième temps de l'histoire et que le premier temps —antédiluvien, avant le Déluge — était un enfer de violence et de confusion. Un tel enfer de violence et de confusion que Dieu a décidé de l'anéantir et de donner la possibilité d'un nouveau départ. Ce récit du déluge est donc un texte pour les rescapés que nous sommes, depuis Noé.
    Quelques mots sur la composition du texte du Déluge (Gn 6-9). Dans la Bible, ces 4 chapitres nous relatent deux récits du Déluge qui ont été entremêlés. Un texte ancien — celui qui est présenté plus haut — qui est de la même plume que Gn 2-3 l'histoire d'Adam et Eve, l'arbre et le serpent, Gn 4 Caïn et Abel et Gn 11, l'histoire de la tour de Babel. L'autre texte, qui date probablement de l'Exil, est de la même plume que le poème de la création de Gn 1 et les généalogies de Gn 5 et 10. Les deux récits du Déluge ont des accents théologiques différents. Aujourd'hui, je ne m'attache qu'au récit le plus ancien.
    Dans ce récit, il est intéressant de voir les places et les rôles respectifs de Dieu et de Noé. Dans le début de notre texte, c'est Dieu qui est aux commandes. Il constate la domination du mal, il est attristé, il prend la décision double d'anéantir la vie sur terre et de sauver Noé, sa famille et les animaux. Dans ce récit, l'arche est déjà prête. Noé peut embarquer. Dernier geste de Dieu : il ferme la porte de l'arche. Noé est passif jusqu'à la fin des 40 jours du Déluge.
    Après les 40 jours de décrue, Noé se met à agir en ouvrant la fenêtre et en procédant au lâcher des oiseaux. Puis il ôte le toit de l'arche pour faire sortir sa famille et les animaux. Enfin, il offre un sacrifice à Dieu. Ainsi, au fil du récit, Dieu laisse la place à l'être humain, il donne à l'être humain le pouvoir sur sa destinée et sa vie, il se fait moins intervenant. Cependant, Dieu n'abandonne pas Noé et les humains. A la suite du sacrifice de Noé, Dieu énonce sa promesse de maintenir les rythmes de la nature (l'arc-en-ciel et le thème de l'alliance appartiennent à l'autre récit). Voici la promesse de Dieu :
    « Désormais je renonce à maudire le sol à cause de l'homme. C'est vrai, dès sa jeunesse l'homme n'a au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce désormais à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. »
    22 Tant que la terre durera,
    semailles et moissons,
    chaleur et froidure,
    été et hiver,
    jour et nuit
    ne cesseront jamais. (Gn 8: 21b-22)
    Ce qui est intéressant dans cette promesse, c'est que Dieu reconnaît que le mal persiste ! Le mal est inscrit dès le début au fond du cœur de l'être humain. Quel constat décevant. En quelque sorte, le Déluge a raté sa mission, cela n'a servi à rien. Quel gâchis !
    Oui, l'être humain et les lois de la nature n'ont pas été changées, alors Dieu prend un décision incroyable, inouïe : il décide que — puisque l'être humain ne change pas malgré le châtiment — c'est lui Dieu qui va changer ! Dieu change de stratégie pour modifier sa relation à l'être humain, il renonce à détruire, il renonce à sa puissance, à sa force pour contraindre l'être humain au changement.
    Dieu réalise : "on ne peut pas changer l'autre," aussi faut-il changer soi-même d'abord pour que la relation change. Alors Dieu change, il ne sera plus le maître et l'homme l'esclave. Dieu a choisi d'ouvrir la relation au partenariat. Plus fort encore, Dieu choisit la formule du mariage. Dieu renonce à l'obéissance et à la soumission de l'être humain, il veut un mariage d'amour.
    Dieu engage — à la suite du Déluge — une entreprise de conquête amoureuse, une démarche de séduction. Cette conquête, il l'entreprend en prenant la décision d'aimer l'être humain tel qu'il est. Il décide de laisser exister l'être humain tel qu'il est et de l'aimer ainsi quelle que soit la route qu'il emprunte.
    N'est-ce pas aussi le chemin que nous sommes invités à suivre : aimer les autres sans vouloir les changer ? C'est ainsi qu'Osée peut dire ces paroles de la part de Dieu envers son peuple :

    "Israël, c'est pour toujours que je t'obtiendrai en mariage. Pour t'obtenir, je paierai le prix : la loyauté et la justice, l'amour et la tendresse." (Osée 2:21)
    Oui, ce n'est pas le Déluge que Dieu nous envoie, mais une déclaration d'amour.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • 1 Samuel 24. Une force intérieure pour résister à la violence

    1 Samuel 24

    11.2.2007

    Une force intérieure pour résister à la violence

    1 S 24 : 1-8    1 S 24 : 9-19    Mt 7 : 1-5

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Lors de notre dernière rencontre de catéchisme 1ère et 2e année, nous avons abordé le problème de la violence. Nous savons tous combien la violence est présente dans les médias et dans la vie quotidienne. De plus en plus, on nous parle de la violence des jeunes comme un problème grandissant. Alors, oui, il y a problème, mais je crois que c'est davantage un problème d'adultes que de jeunes.
    D'abord si l'on parle des jeunes violents, ils sont une toute petite minorité, on ne parle pas de ceux qui ne commettent pas de violence et construisent leur vie avec application. Ensuite, il faut se rendre compte de la violence de notre monde d'adultes. Ce sont des gouvernements formés d'adultes qui déclarent et mènent les guerres, et les justifient. Sans parler du monde économique qui ne parle que de "se battre" pour "gagner" des parts de marché. Pour obtenir une place de travail, il faut "se vendre", il faut "s'imposer" etc. Ne nous étonnons pas que certains appliquent cela à la lettre, au premier degré, et se battent — avec des couteaux — et s'imposent — par la force.
    Commençons donc par regarder la poutre qui est dans notre œil avant de regarder la paille qui est dans l'œil de nos jeunes. Adultes, comme jeunes, nous avons à apprendre la non-agression (pas seulement physique). Regardons en nous-mêmes comment garder la force du changement qu'il y a dans la violence tout en abandonnant la force de destruction qui s'y trouve également. Après cela nous pourrons aussi l'enseigner aux jeunes et à nos enfants. Il ne s'agit pas d'adopter un comportement mou et sans réaction, une sorte de non-violence de désengagement, mais de choisir des actes forts, mais qui ne blessent pas, pour que les choses changent.
    Je pense que le récit de la rencontre de David et Saül peut nous éclairer sur ce processus. Petit rappel du vécu de ces deux personnages qui les amène à être en conflit l'un contre l'autre. Saül est roi sur Israël, il a été sacré roi par le prophète Samuel, sur l'ordre de Dieu (1 S 9). Saül, cependant, ne suit pas la conduite voulue par Dieu et Dieu rejette Saül, qui continue cependant à régner (1 S 15). Dieu conduit Samuel à choisir le prochain roi : c'est David, un petit berger encore inconnu (1 S 16). David prouvera son intelligence et sa bravoure en tuant le géant Goliath (1 S 17). Alors Saül l'invite à sa cour. David devient un "chevalier" auprès de Saül qui lui donne sa fille Mikal en mariage (1 S 18). David brille tellement sur les champs de bataille que Saül y voit un rival dangereux pour son trône, il essaie à plusieurs reprises de le tuer (1 S 21).
    Saül — avec 3'000 hommes — est à la poursuite de David, lorsqu'il entre dans cette caverne, sans se douter de rien. Saül est un roi guerrier. De son côté, David est un chef de bande victorieux de nombreux combats. On n’est donc pas en présence d’enfants de chœur qui hésiteraient à tirer l’épée ou provoquer une bataille.  On peut donc s’attendre à un affrontement violent.
    C’est sans compter l’intelligence de David. David connaît les limites de l’utilisation de la force armée. Ici, David a peut-être 20, 50, maximum 100 compagnons. En face de lui, il y a 3'000 hommes. Ils sont dehors, lui est acculé au fond d’une caverne. Militairement, avec la violence, il est perdu. Soit il combat et meurt, soit il se rend prisonnier. La logique de la violence est purement quantitative : si vous avez plus d’armes vous gagnez, sinon vous perdez.
    Mais, c’est sans compter l’intelligence de David. L’esprit est plus fort que les armes, l’esprit peut changer le rapport de force. L’esprit peut prendre l’ennemi à rebours et le désarmer complètement. Ainsi, la force de David, c’est de ne pas utiliser la violence, l’agression, c’est d’y renoncer pour déséquilibrer son adversaire. David fait du judo mental. La force de David est d’abord intérieure et c’est cette force-là que nous devons arriver à développer en nous.
    David contrôle sa pulsion guerrière (j’ai mon ennemi à ma merci, mais je retiens mon envie de le détruire).
    David refuse de se laisser entraîner à la violence par ses compagnons. Il n’écoute que sa voix intérieure : « Je ne dois pas tuer celui qui reste mon roi, même s’il est mon ennemi et cherche à me tuer. »
    David garde l’esprit libre de l’influence des autres, il garde son propre jugement du bien et du mal, même si d’autres le désapprouvent, il garde sa ligne intérieure, son intégrité personnelle.
    David casse le miroir qui nous piège dans les relations, miroir qui nous entraîne à être contaminé par les émotions de l’autre : il est fâché alors je dois me fâcher. David ne se laisse pas contaminer par la haine de Saül.
    Que de force intérieure pour résister à son envie de vengeance, à l’influence de ses compagnons, à la haine de son ennemi ! David n’est pas seul dans ce combat intérieur. Il s’appuie sur Dieu de deux façons. (i) c’est Dieu qui a désigné Saül comme roi, c’est donc Dieu qui décidera quand il devra cesser de régner. À chacun son domaine. Dieu a aussi désigné David pour succéder à Saül, en faisant confiance en Dieu, le tour de David viendra. (ii) David a appris de Dieu à faire la différence entre le bien et le mal. Il peut s’appuyer sur cet enseignement pour lutter contre les influences extérieures qui lui disent de faire le mal.
    Vous avez entendu la fin de l’histoire. Par cette force intérieure, David arrive à persuader Saül qu’il n’est pas une menace pour le trône d’Israël, qu’il ne lui veut aucun mal. Comme Saül ne se sent plus attaqué, il n’a pas besoin de rester sur la défensive et peut reconnaître l’intégrité de David. Saül finira par dire : « Tu m’as fait du bien alors que je te voulais du mal. » (1 S 24 :18)
    La situation de conflit est momentanément résolue (pas définitivement, comme vous pourrez le découvrir en lisant les chapitres suivants, 1 S 26). Ce que nous pouvons cependant retenir, c’est que la vraie force vient de l’intérieur et que l’on peut sortir gagnants — les deux adversaires — en faisant place à l’intelligence et au dialogue après avoir renoncé à l’affrontement violent.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Marc 1. Une parole d'amour pour nous permettre de régner sur nos vies

    Marc 1

    8.3.98

    Une parole d'amour pour nous permettre de régner sur nos vies

    Ps 2 : 2+4-12    Rm 8 : 11-17    Mc 1 : 6-13


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui, nous allons méditer sur le baptême de Jésus. Jésus a tenu à se faire baptiser par Jean Baptiste. Le récit ne nous dit rien des motivations de Jésus, des raisons qu'il avait de demander le baptême de repentance de Jean, lui qui n'a pas de péchés. Je ne vais donc pas faire de spéculations là-dessus, puisque le texte n'en dit rien.
    Le récit nous dépeint une scène très animée:
    - Jésus remonte de sous l'eau
    - le ciel se déchire
    - l'Esprit-Saint descend sur Jésus
    - une voix off fait une déclaration : "Tu es mon fils bien-aimé; en toi est ma joie, mon affection".
    Essayez d'imaginer la scène et la signification de ces 4 éléments :
    •    Jésus remonte et l'Esprit descend. C'est la rencontre, une réunion à mi-chemin entre le ciel et la terre.
    •    le ciel se déchire, les portes du ciel s'ouvrent et une voix qui vient du ciel déclare : "Tu es mon fils bien-aimé".
    Cette phrase, nous l'avons entendue dans le Ps 2:7 "C'est toi qui est mon fils, c'est moi qui suis ton père". C'est une formule d'adoption, c'est aussi la formule d'intronisation, de consécration d'un roi. Et dans ce psaume, il est bien question d'un nouveau roi que Dieu intronise pour régner sur les nations (v.8).
    Jésus, lors de son baptême, reçoit de Dieu la royauté, le pouvoir de régner sur tous les êtres humains. On retrouve cette royauté lors de la passion : Jésus est condamné pour le motif qu'il se serait proclamé "Roi des Juifs".
    A première vue on voit mal les conséquences de cette royauté de Jésus sur nous. J'y reviendrai après avoir examiné la phrase dite par cette voix qui vient des cieux. Cette phrase, "Tu es mon fils bien-aimé, je mets en toi toute ma joie" a un rôle clé pour la vie de Jésus, mais aussi pour la nôtre.
    Commençons par entendre vraiment ce mot d'amour : "Tu es mon fils /ma fille bien-aimé(e)". Laissons ces mots descendre en nous, comme la colombe descendait du ciel. Laissons-nous être imprégnés par ces paroles. De qui aurions-nous eu besoin de les entendre ? Les avons-nous entendues aux moments cruciaux de notre existence ?
    Heureux ceux qui les ont entendues et reçues au bon moment ! Si ces paroles vous ont manqué, l'Esprit de Dieu les répète maintenant à votre oreille, pour vous "Tu es mon fils /ma fille bien-aimé(e), en qui j'ai mis toute mon affection". On ne peut revenir sur le passé, mais aujourd'hui, cette parole peut vous parvenir, vous pouvez l'accepter parce qu'elle vous est destinée.
    Cette parole d'adoption, l'Esprit de Dieu nous l'adresse, à chacun et chacune, aujourd'hui. L'Esprit de Dieu, le texte de Paul aux Romains en parle en ces mots (Rm 8:14-15) : "Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Car l'Esprit que vous avez reçu n'est pas un esprit qui vous rende esclaves et vous remplisse à nouveau de peur; mais c'est l'Esprit Saint qui fait de vous des fils de Dieu et qui nous permet de crier à Dieu : Mon père!".
    La voix du baptême de Jésus, c'est l'Esprit de Dieu. Recevoir l'Esprit, c'est recevoir cette parole d'adoption, de reconnaissance, d'amour. Cette parole ne fait pas de nous des esclaves — obéissants soigneusement et scrupuleusement à Dieu — cette parole nous institue fils de Dieu, ou même rois.
    Cette parole d'amour nous offre la royauté de nos vies. Devenir roi, régner sur sa vie, c'est agir plutôt que réagir, c'est prendre des initiatives plutôt que subir. Régner sur sa vie, c'est refuser de glisser dans un statut de victime, pour avoir un statut d'acteur, d'agent; c'est réaliser que notre bonheur ou notre malheur ne dépend pas des autres, même si nous ne sommes pas maîtres de tout. Lorsqu'une relation est difficile, ce n'est pas seulement à cause de l'autre. Nous sommes partie prenante dans la relation et notre position joue son rôle dans la relation. Régner sur sa vie, c'est choisir son scénario de vie plutôt que suivre les scénarios dictés par d'autres.
    Dieu nous encourage à assumer la direction de notre vie, sans fausse humilité. Notre liberté n'est pas en concurrence avec la volonté de Dieu. Comme nous l'avons vu dimanche dernier, la volonté de Dieu est que nous soyons libres.
    Recevoir cette parole d'amour de Dieu, ou recevoir l'Esprit Saint — c'est la même chose — nous donne la force d'affronter l'existence avec ses difficultés. Aussitôt après son baptême, revêtu de cette force, Jésus est conduit au désert pour affronter le mal.
    Lorsque nous sommes baptisés — dans la mort et la vie nouvelle du Christ — nous recevons cette parole, cet Esprit, cette force pour vivre notre vie. Cet amour a permis à Jésus de donner sa vie pour ses amis — c'est là le sens de Pâques. Cet amour nous le recevons aussi. Le baptême en a été, en est une marque. Nous pouvons en vivre dès maintenant et chaque jour que Dieu fait.

    Amen.
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    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Marc 10. Abandonner ce qui fait obstacle à la quête de la vraie vie

    Marc 10

    1.3.98

    Abandonner ce qui fait obstacle à la quête de la vraie vie

    Genèse 2 : 7-9 + 15-17    Galates 3 : 23-29    Marc 10 : 17-22

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Vous avez certainement tous reconnu dans la dernière lecture le récit de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche. Cela fait plusieurs mois que ce récit tourne dans ma tête. En effet, c'est typiquement un de ces textes dont on n'écoute plus les mots parce qu'on l'a déjà entendu. Il ne fait que réactiver notre mémoire et notre mémoire masque le récit.
    Un exemple : on parle du jeune homme riche. Pourtant, il ne s'agit que d'un homme qui observe les commandements depuis sa jeunesse dans le texte de Marc. Chez Luc, c'est même un notable, donc quelqu'un de mûr, voire d'âgé. Il n'y a que Matthieu qui dise de lui qu'il est jeune. Ici, et pour aujourd'hui, pour être fidèle au texte de Marc, c'est un homme adulte, d'âge indéterminé.
    Le masque de notre mémoire retient généralement de ce texte trois leçons :
    1. Il ne suffit pas d'obéir aux commandements, il faut en faire plus, obéir jusqu'à l'impossible.
    2. On ne peut suivre Jésus qu'en renonçant à ce qui nous est précieux, à ce qui nous tient à coeur.
    3. On doit se reconnaître dans l'homme riche, mais ne pas devenir triste comme lui.
    Eh bien je crois que ces trois leçons ne sont pas dans le texte. Le texte a autre chose à nous dire. Cette rencontre de Jésus est une bonne nouvelle, pour l'homme riche et pour nous. Voyons cela.
    D'abord, l'homme court vers Jésus pour lui poser la question de sa vie, la question qui le tracasse depuis longtemps : «Comment hériter de la vie durable, de la vraie vie ?»
    1. Jésus ne fait pas une réponse compliquée, n'énonce pas d'exigences spéciales, il cite simplement une partie du décalogue. Et c'est l'homme qui relance Jésus : «J'ai pratiqué tout cela, mais ma question reste en moi.» Cette pratique ne lui suffit pas, ne remplit pas sa vie, ne lui donne pas tout son sens. L'obéissance ne lui suffit pas, ne le comble pas.
    Lorsque Jésus dit à l'homme : «Il te manque quelque chose», il n'invente rien, il confirme, il valide simplement le sentiment profond de l'homme, il reconnaît autant l'obéissance de l'homme que le manque qu'il vient d'énoncer. Jésus n'affirme pas qu'il faut encore obéir à quelque chose de plus. Jésus refuse la logique de demander "un peu plus de la même chose". L'homme fait suffisamment.
    Jésus entre sur le terrain de l'homme qui cherche la vraie vie. Il le considère pour lui-même, "il le regarde et se prend à l'aimer" dit le texte de Marc. L'homme étant en manque, en demande d'autre chose, Jésus lui suggère un changement d'attitude, de comportement face à la vie.
    L'homme a rempli sa vie de l'observance des commandements. Il vivote dans son obéissance stricte. Il ne s'y épanouit pas, il est peut-être rempli de scrupules, de culpabilité, de doutes. (Ai-je bien fait ? En ai-je assez fait ? etc.).
    Jésus va le placer sur un autre terrain. «Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres». Jésus ne lui demande pas de transposer sa façon d'être (scrupuleux, comptabilisateur) dans sa façon de donner aux pauvres (Ai-je assez donné ?). Au sein de cette vie bien rangée, Jésus lui propose un coup de folie, une extravagance, un acte extraordinaire qui échappe à tout calcul, à toute mesure. Il lui propose quelque chose qui le délierait de toutes les conventions, de tous les usages, de toutes les obéissances. Jésus propose cela, non pas pour que l'homme devienne parfait, mais pour le délier, le libérer, lui rendre un accès à la vraie vie, aux richesses du Royaume de Dieu.

    2. Jésus ne propose pas à l'homme un renoncement pour le plaisir de Dieu. Jésus lui propose cela parce que — à ce moment de l'existence de cet homme, à cause de la quête de cet homme — c'est la meilleure chose qui puisse lui arriver, qu'il puisse faire.
    C'est là que la bizarre introduction du récit prend son sens. «Ne m'appelle pas "bon maître", Dieu, l'Unique, est bon». Au début de cette rencontre, Jésus devait rappeler à cet homme que Dieu n'est pas un maître sadique et cruel qui veut écraser l'être humain sous les corvées et le renoncement. Dieu, l'Unique, est celui qui a libéré son peuple de l'esclavage et l'a conduit au Sinaï pour lui donner la loi qui lui permettra de rester libre. Le but de la loi n'est pas l'obéissance, mais la liberté. C'est cela que Dieu veut, et c'est en cela qu'il est bon pour l'être humain.
    Donc si Jésus propose à l'homme de vendre ses biens, c'est parce que, à ce moment-là de la quête spirituelle de cet homme, ces biens sont devenus un obstacle sur son propre chemin. Cette fortune est un poids. L'homme est retenu par elle. C'est comme s'il avait les pieds coulés dans du béton, il est paralysé. Cette fortune, peut-être un héritage, l'empêche d'avancer, de sauter, de danser, d'être libre comme un oiseau. Sa sécurité l'empêche d'être libre et de grandir.

    3. Cet homme a tout pour être heureux, pourtant sa quête n'est pas accomplie, il avait besoin de courir la dire à Jésus. L'homme reçoit confirmation de son manque et une suggestion de Jésus. A cette réponse «il prit un air sombre et s'en alla tout triste».
    On a toujours interprété cela comme un refus. On peut aussi le lire différemment. La tristesse est l'émotion qui nous rapproche le plus de nous-mêmes, de notre être intérieur, de notre vrai "moi".
    L'homme avec sa tristesse commence son cheminement intérieur, un retour vers son propre passé pour comprendre ce qu'il vit, ce qu'il a vécu. Le passage par la tristesse est essentiel pour reprendre contact avec le "soi intérieur", avec l'être vrai qui est en nous. Jésus est justement celui qui nous reconnecte avec notre être intérieur. Cela peut passer par la tristesse.
    L'homme — confronté à la vérité de la rencontre avec Jésus — doit réaliser à quel point ses biens, ses héritages, sont ce qui le paralyse, l'immobilise, l'empêche de marcher avec la vie, à la suite de Jésus. La quête de l'homme tourne autour de l'héritage. Sa question primordiale est : "Comment hériter la vraie vie ?" tout en trimbalant ses héritages . Ces héritages qu'il doit vendre, dont il doit se débarrasser pour devenir lui-même à la suite de Jésus, cela peut être aussi bien cette fortune, ou cette obéissance apprise, ou un autre boulet accroché à son pied dans son passé.
    L'homme a de quoi pleurer sur son passé pour retrouver la liberté d'être lui-même, pour évacuer tout ce qui l'a empêché de grandir, d'évoluer en liberté,  en suivant sa propre voie. Il doit réaliser tout ce qui a été canalisé dans une obéissance stricte et comment cette obéissance sans réflexion n'est pas l'aboutissement, l'accomplissement de la volonté de Dieu.
    Obéir ou être libre, ce n'est pas la même chose.
    Jésus offre à cet homme — et à chacun d'entre nous — la liberté. Cela demande de se séparer de fardeaux placés sur nos épaules tôt dans la vie, fardeaux qui font maintenant obstacle à cette liberté.
    Jésus veut le meilleur pour nous, c'est pourquoi il nous offre de déposer sur terre les poids, les liens qui nous entravent pour marcher léger à sa suite, avec un trésor dans le ciel.

    Amen.

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Luc 3. Sommes-nous des disciples de Jean-Baptiste ou de Jésus ?

    28.1.2007

    Luc 3.
    Sommes-nous des disciples de Jean-Baptiste ou de Jésus ?
    Luc 3 : 1-3 Luc 5 : 27-32 Luc 5 : 33-35

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, je vous invite à vous pencher avec moi sur le personnage de Jean-Baptiste, celui que les Evangiles dépeignent comme le Précurseur de Jésus. Tous les Evangiles mentionnent Jean-Baptiste, sa prédication, le fait qu'il baptise Jésus et qu'il est tué par Hérode. Mais tous les Evangiles prennent bien soin de souligner que Jean-Baptiste n'est qu'un messager, qu'il n'est pas le Messie, même s'il est un prophète, et que c'est Jésus le personnage important. Cela reflète bien la pensée des chrétiens, de notre époque comme celle des chrétiens de la première Eglise.
    Mais cela ne reflète probablement pas leur importance respective de leur vivant. Il est fort probable que, dans ces années 30 de notre ère, Jean-Baptiste ait été beaucoup plus important, beaucoup plus connu que Jésus. Plusieurs indices plaident dans ce sens.
    D'abord, c'est Jean-Baptiste qui baptise Jésus, ce qui donne à Jean-Baptiste une ascendance certaine sur Jésus. Ensuite, cette insistance des Evangiles à assurer que Jésus est plus important que Jean-Baptiste et que Jésus baptise davantage de disciples que Jean (Jn 4:1) et que Jean-Baptiste affirme n'être pas le Messie, tout cela nous laisse imaginer qu'il fallait convaincre des gens qui étaient persuadés du contraire à cause de ce qu'ils avaient vu ou entendu. Enfin, le grand historien de l'histoire juive, Flavius Josèphe, mentionne Jean-Baptiste appelant les juifs à se détourner du péché et à se faire baptiser ainsi que son exécution par Hérode, alors qu'il n'écrit pas un mot sur Jésus !
    Ainsi donc, on peut en déduire que, pour les contemporains de Jésus et de Jean-Baptiste, ce dernier était plus important et plus connu que Jésus de Nazareth. Pourtant, aujourd'hui, c'est le contraire. Les disciples de Jean ont disparu et les chrétiens sont nombreux sur toute la terre. Qu'est-ce que cela signifie pour nous aujourd'hui ?
    Je crois que cela veut dire d'abord que le succès immédiat n'est pas synonyme de vérité absolue ou de pérennité. Cela signifie aussi que le message de Jésus a une portée plus profonde, plus fondamentale pour l'être humain que le message de Jean-Baptiste, même s'il a pu — en son temps — drainer les foules et attirer l'attention d'un historien. Alors, voyons quels sont les messages de chacun et en quoi la différence est significative.
    Quel est le message de Jean-Baptiste ? « Changez de comportement, faites-vous baptiser et Dieu pardonnera vos fautes » (Luc 3:3). Jean-Baptiste appelle à un changement de vie, à un changement de comportement pour adopter une vie qui plaise à Dieu. Le baptême est le signe de cette volonté de changement.
    On reconnaît là un appel à la conversion comme premier pas dans sa vie avec Dieu, une conversion comme condition d'une réconciliation avec Dieu. Voici la prédication de Jean-Baptiste, elle paraît très évangélique, très proche de la prédication de Jésus.
    En quoi la prédication de Jésus diffère-t-elle de celle de Jean-Baptiste ? Il est important de connaître cette différence, parce que c'est ce qui a fait que les disciples de Jean-Baptiste ont disparu et que ceux de Jésus-Christ se sont répandus sur toute la terre. En plus, il est essentiel pour soi, pour vivre comme un chrétien et pas — à son insu — comme un disciple égaré de Jean-Baptiste au XXIe siècle.
    La prédication de Jean-Baptiste avait trois temps : 1. changer, 2. être baptisé, 3. être pardonné. Jésus renverse fondamentalement ce schéma. En tout premier, il pardonne (voir la guérison du paralytique quelques lignes plus haut : Luc 5:17-26), ensuite, il relève ou il appelle (voir Lévi à sa table de péage : Luc 5:27-32), enfin, en réponse à ce geste premier de Dieu, le disciple répond, se lève, marche, suit Jésus.

    Pour expliquer cela avec deux images, on peut dire que Jean-Baptiste dit ceci : "Marchez 30 km et au bout vous aurez un repas pour prix de vos efforts." Mais Jésus dit : "Venez, mangez, recevez ce dont vous avez besoin, ensuite vous aurez la force de marcher ces 30 km." Pour Jésus, il n'y a pas de conditions pour obtenir l'amour de Dieu. Cet amour existe, il est là en abondance sur la table, chacun est accepté à ce banquet sans conditions.
    C'est bien ce que les pharisiens ont observé en comparant les disciples de Jean-Baptiste avec ceux de Jésus : « Les disciples de Jean, de même que les nôtres, jeûnent souvent et font des prières; mais tes disciples, eux, mangent et boivent. » (Luc 5:33) Oui, ce n'est pas drôle de peiner chaque jour pour acquérir la bienveillance de Dieu, si d'autres, à côté, font la fête en obtenant cette même bienveillance, sans effort. La colère des pharisiens, c'est la colère du fils aîné de la parabole du fils prodigue (Luc 15).
    Le chrétien est celui qui fait confiance à Dieu qu'Il lui donne en abondance, avant la route. Et cela devient un plaisir que de faire la route, d'avancer dans la vie en sachant que tout ce dont nous avons besoin nous est donné à chaque instant.
    Bien sûr, cela ne signifie pas que la route soit toujours facile. Elle peut être tortueuse, pleine d'épreuves et d'embûches, mais nous n'y sommes pas seuls et chaque matin, avant de nous y engager, nous pouvons demander à Dieu ce dont nous avons besoin pour la journée. Alors n'oublions pas d'avancer comme des disciples de Jésus, aimés, pardonnés et nourris, avant même que nous nous levions chaque matin.
    Amen

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Marc 8 . Pierre déçu de la messianité souffrante de Jésus

    Marc 8
    14.2.99
    Pierre déçu de la messianité souffrante de Jésus
    Marc 8 : 27-36

    — Qu'est-ce que vous en pensez ? J'ai besoin de votre conseil. Je ne sais plus que faire.
    Je crois qu'il vaut mieux que je vous raconte mon histoire depuis le début !

    Voilà, tout a commencé un matin, nous rentrions de la pêche, mon frère André et moi. Mon frère et moi, on a une petite compagnie de pêche sur le lac de Galilée. Ça marche pas trop fort depuis que les Romains sont là. Avec leur Union Romaine, ils ont ouvert les frontières et ils ont fait tomber le prix du poisson. Quoi, les temps sont durs. Cela fait un bout de temps qu'André et moi on se demande jusqu'à quand on va tenir; si on ne ferait pas mieux de se convertir. La pêche, ça ne nourrit plus son homme.

    Donc ce matin-là, nous rentrions de la pêche, et il y avait une grande foule massée sur le rivage. Cette foule écoutait un homme. Oh, ce n'était pas n'importe qui. On en avait déjà entendu parler lorsque nous allions retrouver Jean-Baptiste. Jean nous disait : "— Celui qui doit venir après moi est plus puissant que moi. Moi, je vous ai baptisé avec de l'eau, mais lui, il vous baptisera avec le Saint-Esprit". Et Jean nous avait désigné Jésus. C'était justement ce Jésus qui parlait, sur le sable, à la foule. Une fois débarqué, nous nous sommes approché pour l'écouter. Nous n'avions rien d'autre à faire, la pêche n'avait rien donné cette nuit-là. C'était désespérant.

    Ce jour-là, il y avait tant de monde avec lui qu'il a demandé une barque pour pouvoir parler à la foule sans être poussé dans l'eau. Je l'ai fait monter dans ma barque. Je tenais les avirons pour le mener devant la foule et maintenir le bateau. C'est comme ça que je l'ai entendu pour la première fois. Et ce qu'il a dit m'intéressait. Mais je n'étais pas prêt à m'y impliquer — je suis un homme de la mer, pas un vagabond, encore moins un prêcheur !

    Mais lorsqu'on a regagné la terre, il renvoya la foule et parla avec nous. Il nous a surtout écouté nous plaindre. Oh, je sais, on ne devrait pas se plaindre, il y en a de plus à plaindre que nous. Enfin, tout à coup, il nous a bien regardé, il s'est adressé directement à mon frère, puis à moi, en me regardant droit dans les yeux — un regard que je n'oublierai jamais, qui allait jusqu'au fond de l'âme (je ne pourrai jamais l'oublier) — et il nous a dit :
    — Toi André, toi, Simon Pierre, venez avec moi et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes.
    Je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire par là, mais j'y suis allé ! Je l'ai suivi et je n'ai pas été déçu.

    Il m'a emmené avec lui faire le tour des villages environnants. En plus de mon frère, il y avait encore deux autres frères, pêcheurs comme nous, qu'il avait ramassé, les fils de Zébédée, Jacques et Jean. On le suivait et ce qu'on a vu tout de suite, c'est qu'il attirait le monde autour de lui, comme un aimant. En fait les gens venaient pour l'écouter et ils repartaient tout allégés. On en voyait qui repartaient en chantant ou en sautillant. Nous, on était nouveau, et on ne comprenait pas très bien ce que Jésus faisait, mais les gens venaient malades et repartaient guéris.

    C'était fascinant. Je l'ai suivi avec les autres pendant plusieurs jours. Il parcourait la Galilée, il guérissait les malades du corps ou de la tête. Il parlait à chacun. Il réconfortait. On voyait qu'il portait attention à chacun. La vie avec lui avait, avait quelque chose de plus que tout ce que j'avais vécu auparavant.
    Avec lui, tout prenait une dimension incroyable. Avec lui, je ferais n'importe quoi, j'irais partout où il voudrait aller. Tenez ! si un jour, il me demandait — en plein midi — de prendre ma barque et d'aller pêcher — alors que je n'aurais rien pris de toute la nuit — et bien j'irais et je jetterai mes filets — rien que parce qu'il me l'aurait demandé. Le comble avec lui, c'est qu'il y aurait des chances que le filet soit plein à craquer et que je n'arrive pas à tout ramener au bord. Oui, c'est comme ça que ça se passe, avec Jésus.

    J'ai passé des mois comme ça avec lui, jusqu'à hier. Oui justement, hier il s'est passé quelque chose qui m'a tellement troublé... enfin je saute trop de choses, il faut encore que je vous raconte quelque chose. Après vous pourrez me dire ce que je dois faire.
    Donc, Jésus avait rassemblé autour de lui une petite équipe de 12 fidèles. Il nous confiait des choses qu'il ne disait pas aux foules. Nous avions pleine confiance en lui et lui en nous. Moi, à voir les boiteux qu'il faisait remarcher, les aveugles à qui il rendait la vue, j'en était arrivé à la conviction qu'il était le Messie, celui que Dieu devait nous envoyer pour libérer le pays et tout remettre en ordre, comme c'est annoncé dans le Livre !

    Je n'en parlais pas autour de moi, parce que je voyait bien que Jésus ne voulait pas trop que ça se sache. Chaque fois qu'il guérissait quelqu'un, il lui recommandait de ne pas le dire autour de lui. Je crois que Jésus avait peur que les Romains découvrent trop tôt son intention de les chasser du pays. C'est vrai que c'était un danger. Mais moi, quand j'ai deviné tout cela, et bien, je n'ai plus voulu quitter Jésus un seul instant. J'entends bien être son second dans cette histoire-là.

    Et puis, il y a eu quelques troubles. La famille même de Jésus a voulu le reprendre et l'enfermer. Sa mère et ses frères disaient qu'il était devenu fou, qu'il avait perdu la raison. Ensuite, ce sont tous les habitants de Nazareth, puis le fort parti des Pharisiens qui ont commencé à le diffamer et à l'attaquer. Entre temps, Jean-Baptiste a été exécuté par le roi Hérode. Ça commençait à se gâter tout autour. Il fallait que Jésus se décide à se dévoiler et en appeler aux armées célestes et à tous les volontaires prêts à tuer du romain. La situation était mûre à mon avis.
    Finalement, c'est hier que Jésus s'est dévoilé à nous. Nous étions en chemin et il nous a demandé :
    — Que disent les gens à mon sujet ?
    On a répondu :
    — Certains disent que tu es Jean-Baptiste, d'autres que tu es Elie, et d'autres encore que tu es l'un des prophètes.
    — Et vous, qui dites-vous que je suis ?
    Alors là, j'ai su que le moment était arrivé de dire ce que j'avais deviné : — Tu es le Messie, Seigneur.

    Jésus nous a alors simplement demandé de n'en parler à personne. Dans ces circonstances, j'ai trouvé normal qu'il nous demande de garder le secret. Mais un peu plus tard — alors ça je n'ai pas pu l'accepter — il nous a dit quelque chose qui me reste en travers de la gorge :
    — Il faut que le Fils de l'homme (il parlait de lui-même comme cela tout le temps) que le Fils de l'homme souffre beaucoup; il sera rejeté; il sera mis à mort, et après trois jours, il reviendra à la vie.
    Là, je n'ai pas pu me retenir. Je lui ai dit : Tu es le Messie, cela ne peut pas t'arriver. Tu vaincras.

    Je lui ai donc expliqué que je trouvais que c'était le bon moment pour qu'il se déclare comme le Sauveur d'Israël, qu'il rassemble une armée et qu'il impose le Règne de Dieu.
    — Tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les hommes, Pierre, m'a-t-il dit. Tu n'as pas compris quelque chose, mon père a renoncé à s'imposer par la violence. Il pourrait renverser les Romains, mais il ne veut pas que cela se passe comme cela, et je suis d'accord avec lui.
    Tu vois, moi-même, j'ai été tenté dans le désert par la toute-puissance. On m'a proposé de réaliser tous mes voeux. J'aurais pu dire oui et, comme on l'entend souvent aujourd'hui, je pourrais dire "et je serai le maître du monde".

    Mais j'y ai renoncé, parce que si je devenais le maître du monde, vous seriez des esclaves, mes serviteurs. Ce qui m'importe c'est que vous soyez pour moi des frères. Que je sois pour vous un frère, que je vive ce que vous vivez, que je souffre avec vous lorsque vous souffrez. Je ne veux pas échapper au destin de tout homme. C'est pourquoi le Messie vient comme un serviteur. Le Fils de l'Homme va souffrir, comme tout être souffre au cours de sa vie. C'est ainsi que va s'accomplir la volonté de Dieu.
    Maintenant, Pierre, tu peux choisir, tu peux choisir de vivre ta vie d'homme et chercher le triomphe par la force, ou bien , tu peux vivre ta vie d'homme en me suivant. Tu peux choisir, maintenant.

    Voilà ce que Jésus m'a dit. C'était hier. Et maintenant, aujourd'hui, je dois choisir.
    C'est pour cela que je vous ai raconté tout cela. J'aimerais votre conseil...
    A ma place, vous, qu'est-ce que vous feriez ? Allez-vous suivre Jésus ?

    © 2007, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 5. Les Béatitudes

    Matthieu 5
    6.2.2005
    Les Béatitudes
    Ps 1 : 1-3 Mt 16 : 21-26 Mt 5 : 1-10

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    L'Evangile de Matthieu contient le texte le plus connu des évangiles — après le Notre Père — les Béatitudes. Ces Béatitudes ouvrent un discours de Jésus qu'on a surnommé le Sermon sur la Montagne. Jésus y expose en quelque sorte son programme, le cœur de sa pensée : Il est venu accomplir la Loi de Moïse; à travers lui, le Royaume des Cieux s'est approché.
    Cette présence du Royaume des Cieux, cette proximité de Dieu change, transforme, transfigure la réalité vécue des croyants. Des relations nouvelles sont instaurées qui remplacent les relations anciennes, périmées. L'enseignement de Jésus porte sur cette nouveauté de l'irruption de Dieu dans l'existence humaine. En tant que Fils de Dieu, de Dieu prenant forme humaine — ce qu'on appelle l'incarnation — Jésus est lui-même Dieu qui s'approche de nous.
    Jésus transmet cette bonne nouvelle à ses disciples qui sont tout près de lui, sur cette montagne, mais Matthieu précise aussi que la foule est là. L'enseignement de Jésus n'est pas réservé à des initiés, il est destiné à tous. Et Jésus commence par déclamer les Béatitudes.
    Chacun de nous a cette musique des Béatitudes dans l'oreille, avec une traduction préférée. Mais comme il s'agit toujours de traductions, et bien il y a des variations, qui essaient, chacune, de dire au mieux ce qui a été dit par Jésus. Mais qu'a dit exactement Jésus ? Il s'exprimait sûrement en araméen ou en hébreu, or les Evangiles nous sont parvenu en grec, donc déjà en traduction.
    Disposer de plusieurs traductions, c'est comme avoir plusieurs instruments dans un orchestre, il faut les écouter ensemble et en retenir leur harmonie. Voici quelques variations sur la première Béatitude :
    Celle du Psautier (189) "Heureux ceux qui ont l'esprit de pauvreté, le Royaume des Cieux est à eux.
    TOB : "Heureux les pauvres de cœur…
    Français courant : "Heureux ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes…
    Moins classiques, Chouraki : "En marche, les hommes au souffle de pauvres…
    La Nouvelle Traduction : "Joie de ceux qui sont à bout de souffle…
    J'aime bien cette transformation du littéral "pauvres en esprit" en concret "à bout de souffle." N'était-ce pas la condition de ceux qui suivaient Jésus — peut-être à bout de souffle de l'avoir rejoint en hâte au sommet de la montagne — mais surtout la condition de ces gens des campagnes, laissés pour compte de la vie économique et sociale, ces gens sans importance aux yeux des propriétaires ou des commerçants des villes, juste bons à être de la main d'œuvre bon marché, exploitable à merci, parce qu'incapables de se défendre.
    A la première lecture, les Béatitudes c'est beau, c'est harmonieux, c'est idéal. Mais si l'on y réfléchit, si on lit vraiment ce qui est écrit : Joie pour eux qui sont à bout de souffle, Joie pour les éplorés, Joie pour les persécutés… n'est-ce pas déplacé de parler de joie, de bonheur, n'est-ce pas déplacé de faire des promesses à ces pauvres, à ces laissés-pour-compte, n'est-ce pas un jeu cruel ou démagogique que de les laisser espérer quelque chose qui ne se réalisera jamais dans cette vie, sur cette terre ?
    A la deuxième lecture, les Béatitudes ne sont pas raisonnables, n'ont pas de sens, tout est à l'envers ! Heureux ceux pleurent ! Heureux les doux ! Dans notre monde, il faut être fort, il faut se battre, lutter, être compétitifs, c'est le seul moyen d'être heureux, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ce qu'on nous dit, ce qu'on nous répète, ce qu'on nous serine ?
    Où est la vérité ? Où est la réalité ? Ces Béatitudes sont tout le contraire de notre monde, c'est le monde à l'envers, lorsqu'on écoute les personnes importantes, les décideurs.
    Alors je vous propose de les retourner pour les remettre à l'endroit, pour voir l'effet que cela fait. Allons-y.
    Heureux les riches, les pleins d'eux-mêmes…
    Heureux les violents…
    Heureux ceux qui rigolent…
    Heureux ceux qui sont écœurés par la justice…
    Heureux les sans coeurs…
    Heureux les cœurs partagés, divisés…
    Heureux ceux qui sèment le trouble, la discorde…
    Heureux ceux qui vivent tranquilles et qui ne se mêlent de rien.
    Ça fait un drôle d'effet, cette troisième lecture ! Les Béatitudes semblaient à l'envers, mais une fois qu'on les retourne pour les mettre à l'endroit aux yeux du monde, la nouvelle formule paraît encore plus insensée ! Bon, cela ressemble bien à ce que le monde vit maintenant. Mais ce monde, n'est-ce pas lui qui est à l'envers ? N'a-t-il pas besoin, et nous avec, d'entendre les Béatitudes à l'endroit ! Après ce parcours, les Béatitudes reprennent sens.
    Bien sûr, Jésus n'a jamais dit qu'il venait ôter le malheur et les souffrances du monde. Il a dit qu'il venait pour souffrir, pour vivre notre souffrance. Le contraire du bonheur, ce n'est pas le malheur, c'est la désespérance, la perte du sens. Jésus vient redonner de l'espérance à l'humanité, il vient pour redonner du sens dans nos malheurs.
    Si l'on observe attentivement les situations décrites dans les Béatitudes, ce ne sont certainement pas des situations confortables, mais par contre, ce sont des situations, des attitudes, des comportements où se vit quelque chose de vrai, d'authentique, de profond. On peut rire superficiellement, du bout des lèvres, mais je n'ai jamais vu quelqu'un pleurer pour le paraître ! Lorsque Jésus dit : "Heureux…" il veut signifier que l'on touche à la vraie vie, à ce qui donne du sens à la vie, à ce qui lui donne du poids.
    Lorsque nous sommes sans voix, à bout de souffle, il nous ouvre l'horizon offert par Dieu. Lorsque nous sommes en pleurs, il nous dit que dans les pleurs même, il y a vie et consolation. Et il promet une vie peine de sens — mais pas sans épreuves — à ceux qui font preuve de compassion, qui créent des conditions de paix, qui luttent pour la justice et à ceux qui vivent les rétorsions que leur valent leur combat ou leur foi.
    Jésus n'a jamais promis la tranquillité à ses disciples. C'est lui-même qui ouvre la route en annonçant qu'il va monter à Jérusalem pour souffrir. Ce n'est qu'après avoir ouvert la route lui-même, qu'il engage ses disciples à porter leur croix et à entrer dans le paradoxe de la vie chrétienne :

    "Celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la retrouvera." (Mt 16:25)
    Et j'aimerais conclure par ces mots du scientifique et croyant Théodore Monod :
    "Imaginez que le Sermon sur la Montagne devienne la règle de vie de tous les humains, à commencer par les chrétiens : le lendemain, il n'y aurait plus ni guerre, ni esclavage, ni torture, ni cruauté. C'est là l'évidence. Mais bien des choses en nous nous empêchent d'appliquer à la lettre le Sermon sur la Montagne. Voilà pourquoi je n'ai jamais dit que le christianisme avait échoué; j'ai toujours dit qu'il n'avait pas encore été essayé. Le jour où nous essaierons le christianisme, ce jour-là, quelque chose se produira; le monde changera. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Alors, soyons modestes !"*
    Amen

    *Citation tirée de "Itinéraires" no 49, hiver 2005, page de couverture II.

    © 2007, Jean-Marie Thévoz