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bible - Page 39

  • 27.8.06 / Ruth 4. Le message politique du livre de Ruth

    Ruth 4
    27.8.2006
    Le message politique du livre de Ruth
    Néh 13 : 1-3 Esd 9:1-4 + 10:1-3 Rt 4 : 7-17

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant ce mois d'août, nous nous sommes penchés sur le récit du livre de Ruth. J'ai abordé ce récit de différentes manières. Dans une lecture plutôt psychologique, nous avons vu comment trois femmes, Noémi et ses deux belles-filles Orpa et Ruth, adoptaient des attitudes différentes face à un événement semblable, le deuil de leurs maris. Dans une lecture théologique, nous avons vu comment ce récit est une parabole de la Providence divine, au travers des nombreuses bénédictions qui sont reçues et échangées.
    Aujourd'hui, j'aimerais aborder une autre facette de ce récit, c'est la portée politique de ce livre ! Cela peut paraître bizarre de penser que ce récit de mariage champêtre peut revêtir une signification politique. En effet, cette dimension politique n'est pas immédiatement visible, elle est comme camouflée par le côté léger, idyllique, romantique de cette histoire. Eh bien, je crois que ce côté masqué est voulu et qu'il a permis que ce livre soit intégré dans la Bible.
    En effet, le livre de Ruth, tel que nous le lisons aujourd'hui, est porteur d'un courant politique minoritaire au moment de la formation de la Bible. Ce livre présente donc deux niveaux de lecture — dus probablement à deux étapes de rédaction.
    Le premier niveau de lecture est de l'ordre du roman qui présente des personnages, une intrigue, un drame et un dénouement heureux, l'histoire de ces femmes qui doivent reprendre pied dans l'existence et qui reçoivent les bénédictions de Dieu au travers d'un homme respectueux de la Loi, qui fait son devoir légal, puis est béni en retour par un beau mariage. A ce niveau de lecture, c'est un récit hors du temps, qui n'a pas de connexion avec la réalité historique.
    Dans un deuxième temps, dans le contexte du retour de l'Exil à Babylone, un rédacteur rajoute quelques mots à la première phrase pour inscrire ce récit dans la chronologie de l'histoire d'Israël : "A l'époque où les juges exerçaient le pouvoir en Israël…" (Rt1:1) et ajoute un demi verset à la fin du récit : Obed fut le père de Jessé, père de David." (Rt 4:17). Il complète enfin le livre par la liste des ancêtres de David depuis Pérès, déjà nommé dans le récit.
    Ces deux petites adjonctions ont deux effets. Le premier, c'est d'inscrire cette petite histoire dans la grande Histoire : maintenant elle raconte quelque chose sur les antécédents du roi David, elle prend de l'importance et cela explique pourquoi il faut l'inclure dans la liste des livres bibliques.
    Le deuxième effet — et c'est là sa portée politique — c'est de placer un femme étrangère (moabite de surcroît) dans la généalogie du roi David, le héros d'Israël, la figure du Messie. Au temps de l'Exil et après, David est le modèle du Messie à venir, celui qui devra redonner sa splendeur et son indépendance politique à Israël, malgré le fait d'avoir du sang moabite dans les veines.
    Pourquoi cette femme moabite, Ruth, a-t-elle une portée politique dans ce retour d'Exil ? Il faut rappeler que l'Exil a été une terrible épreuve pour l'identité d'Israël. Jérusalem détruite, le peuple a perdu son Roi, son Temple et sa Terre. Comment expliquer cela en gardant sa foi en Dieu ? Habituellement, lorsqu'un peuple perdait tout, on en concluait qu'il ne s'était pas adressé à la bonne divinité, puisque celle-ci n'avait pas réussi à le protéger.
    En Israël, les choses ne se sont pas passées ainsi. Ce n'est pas Dieu qui a failli, c'est la faute du peuple et surtout de ses dirigeants. S'il y a un exil, c'est à cause de la désobéissance d'Israël, c'est une punition divine, temporaire. Et le retour d'Exil est vu comme une seconde chance : dès maintenant, par l'obéissance de tous à la Loi de Moïse, le peuple d'Israël va regagner sa terre et pouvoir y rester.
    Mais pour rester sur la terre promise, il ne faut plus se laisser aller à la désobéissance et à l'idolâtrie. La sécurité passe par le culte du Dieu unique. Et un courant majoritaire se dessine (on le voit dans Esdras/Néhémie) qui accuse les étrangers implantés en terre d'Israël d'être la plus grande menace pour eux et pour le culte. Ainsi Néh 13:3 dit : "Lorsque les Israélites entendirent la lecture de cette interdiction, ils décidèrent d'exclure de leur communauté tous les étrangers." Cette interdiction lue devant le peuple se trouve dans Deutéronome 7:1-7.
    Il y a donc, en ce temps-là, post-exilique, un courant, une veine nationaliste très forte qui veut exclure les étrangers, notamment en demandant à tous les juifs qui ont épousé une étrangère de la renvoyer. Nous avons entendu cela dans le livre d'Esdras. Le mariage entre juifs et étrangères est proscrit, parce qu'il est vu comme un risque de contamination idolâtrique. Les livres d'Esdras et de Néhémie sont les principaux vecteurs de cette pensée nationaliste, à son stade le plus intransigeant.
    Cette veine nationalise, de pureté ethnique, se retrouve aussi, mais entremêlée avec une veine universaliste, dans les livres du Lévitique, du Deutéronome, de Samuel et des Rois. La veine universaliste se signale par tous les rappels "souvenez-vous que vous avez été étrangers en Egypte" (Dt 24:22, par ex.). La veine nationaliste dénonce les rois qui se laissent entraîner par leurs épouses vers les cultes étrangers (1 Rois 11:1-13 par. ex.).
    La veine universaliste pure est le combat politique du livre de Ruth, comme il l'est de la majorité des prophètes, avec, comme fer de lance, la deuxième et la troisième partie d'Esaïe.
    Ces deux veines sont donc présentes dans la Bible, comme elles sont présentes dans le monde, comme elles sont présentes en Suisse. D'un côté, les partisans — comme Esdras/Néhémie — de la pureté du peuple et de l'expulsion des étrangers, des femmes étrangères et de l'autre, les partisans du livre de Ruth qui appellent à ne pas juger par généralisation et a priori, mais de regarder la personne et la situation, indépendamment des origines et de la provenance.
    Cette lutte entre ces deux tendances se retrouve aussi au cœur du Nouveau Testament. Ainsi, Matthieu souligne l'ouverture universaliste du message de Jésus en incluant Ruth dans sa généalogie (Mt 1:5). Matthieu n'inclut que quatre femmes dans les 42 générations évoquées. Avoir choisi Ruth parmi celle-ci a certainement une signification !
    Dans le livre des Actes, on voit aussi ce combat entre l'ouverture ou la fermeture de l'Eglise aux païens prendre place entre l'apôtre Jacques, le frère de Jésus, et Pierre, puis Paul (Actes 15). Chaque époque est replacée devant ce choix.
    Le récit du livre de Ruth prend clairement position : c'est l'attitude personnelle de Ruth, vis-à-vis de sa belle-mère et de Dieu, qui en fait un personnage attachant et digne d'entrer dans la lignée du Christ. Les amies de Noémi le soulignent lorsqu'elles disent : "Ta belle-fille vaut mieux pour toi que 7 fils" (Rt 4:15).
    Aujourd'hui, chez nous, à nous de savoir si nous voulons adopter une attitude défensive et craintive ou avancer dans ce courant universaliste du livre de Ruth.
    Amen
    © 2006, Jean-Marie Thévoz

    Fait partie de la suite : Ruth 1 / Ruth 2 / Ruth 4 (il n'y a pas de Ruth 3)

  • Ruth 2. La bénédiction est le signe de la présence de Dieu

    Ruth 2
    13.8.2006
    La bénédiction est le signe de la présence de Dieu
    Dt 24 : 19-22 Rt 2 : 1-13 Rt 2 : 14-23

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous continuons notre exploration du livre de Ruth, l'histoire de cette veuve Moabite, donc étrangère à Israël, qui s'attache à sa belle-mère Noémi et la raccompagne à Bethléem. Une fois réinstallées, elles doivent vivre, subvenir à leurs besoins. C'est pourquoi Ruth s'en va glaner dans les champs, puisque c'est le temps de la moisson.
    Glaner, c'est chercher les épis que les ramasseurs qui suivent les moissonneurs oublient ou perdent dans les champs. C'est récolter les miettes qui tombent de la table des riches. La Loi de Moïse que nous avons entendue dans le Deutéronome, essaie de donner un peu plus de chance aux glaneuses : elle interdit aux propriétaires ou aux moissonneurs de passer deux fois dans leurs champs. Mais le résultat du travail des glaneuses restera toujours précaire et aléatoire.
    Les glaneuses dépendent du bon vouloir du propriétaire. Et là — ce que le récit nous montre— c'est que Booz est un propriétaire généreux. Booz accueille Ruth, il la protège en avertissant ses ouvriers pour qu'ils ne l'importunent pas. Il l'invite à partager son repas. Il la favorise même discrètement en demandant à ses ouvriers de laisser exprès des épis par terre !
    Lorsque Ruth revient à la maison et raconte sa journée, Noémi réagit tout de suite en s'exclamant : "Que Dieu bénisse celui qui a été bon pour toi" (Rt 2:19). Le bien que Booz fait transforme la vie de ces deux femmes. A leur tour elles souhaitent du bien à leur bienfaiteur et ainsi la bénédiction circule des uns aux autres.
    C'est une des caractéristiques de ce livre de Ruth : la bénédiction, le bien, va en s'amplifiant en circulant d'une personne à une autre. Cette amplification du bien, de la bénédiction, est le signe de la présence de Dieu dans ce récit. Une présence discrète, silencieuse, mais constante. Elle n'a rien de spectaculaire, puisqu'elle passe par des gestes tout humains, mais elle est là et rend la vie plus facile, plus légère.
    Booz fait du bien, pour le plaisir de faire du bien, pour enrichir le monde de bonté. Booz n'a aucune arrière-pensée, il ne calcule pas, il ne poursuit pas de but. Nous qui connaissons la suite de l'histoire pourrions penser que Booz agit ainsi en vue de son mariage avec Ruth. Mais ce n'est pas ce qui se passe. Le texte montre bien — dans le 3e chapitre — que c'est Ruth qui prend toutes les initiatives.
    Booz fait le bien pour le bien, car il a compris le fonctionnement de la bénédiction (il n'est pas agriculteur pour rien !) : on récolte ce qu'on sème. C'est ainsi dans la vie, l'amour donné gratuitement revient sous de nouvelles formes, souvent inattendues. Il ne grandit que lorsqu'il circule sans arrière-pensées ou calculs. C'est ainsi que Noémi reconnaissante demande à Dieu de bénir Booz en retour.
    Le thème de la bénédiction divine est un thème qui parcours toute la Bible, même si souvent nous la négligeons. J'ai souvent entendu, dans mes visites de classes, des enfants demander : "Mais pourquoi Dieu n'agit-il plus aujourd'hui comme au temps de Moïse, lorsqu'il a ouvert la mer ?"
    C'est vrai que de nos jours, nous n'arrivons plus à voir Dieu intervenir visiblement dans le cours de l'Histoire. Mais quand nous disons cela, nous négligeons au moins la moitié de la Bible, Ancien Testament compris. Bien sûr, il y a, dans le Pentateuque, le noyau important de la sortie d'Egypte où Dieu intervient par des événements extraordinaires. Mais la Bible affirme aussi, avec insistance et longuement, que Dieu agit dans la vie des humains au travers de ses actes de bénédiction.
    Tout le livre de la Genèse, depuis Noé jusqu'à Joseph, en passant par Abraham, Isaac et Jacob, nous montre comment Dieu bénit l'humanité au travers des naissances et des liens de filiations. A travers les généalogies, la vie continue, la vie renaît, recommence. Et chaque naissance est un renouveau et une bénédiction, un avenir ouvert ! La suite des générations est une bénédiction divine.
    Et puis le livre du Deutéronome qui clôt le Pentateuque met, lui, l'accent sur la bénédiction que constitue le don d'une terre, d'un pays où coulent le lait et le miel. La production de la terre, le produit du travail des humains, sont vus comme une bénédiction divine.
    Et c'est bien ainsi que le conçoit Booz. Il reçoit tout comme venant de la main de Dieu. Ensuite il est plus facile de donner, d'être généreux, si l'on considère que tout ce que l'on possède ou tout ce que l'on acquiert nous a été donné comme une bénédiction.
    Dans le récit, Booz devient la figure de la Providence divine, celui qui accueille, celui qui invite à partager son repas, celui qui protège, celui qui favorise en nous donnant l'occasion de recevoir.
    Qu'est-ce qui nous empêche de voir dans nos vies la présence de cette bénédiction continue de Dieu ? Qu'est-ce qui nous empêche de la reconnaître dans ce qui nous arrive ? Qu'est-ce qui nous empêche de la recevoir et de la communiquer autour de nous ?
    Nous voyons bien que le monde et plutôt engagé sur le chemin de la vengeance et dans la spirale de la violence. Le livre de Ruth nous apprend que la spirale du bien est aussi une option. Que jour après jour Dieu place quelques épis de bonheur que nous pouvons glaner dans le champ de notre existence, si nous nous faisons assez humbles pour partir glaner plutôt que d'attendre ce qui nous revient de droit !
    Engageons-nous dans le cycle, la spirale de la bénédiction pour semer le bonheur et la joie autour de nous et il y aura toujours quelqu'un pour dire "Que Dieu bénisse celui qui a été bon pour toi !"
    Amen
    © 2006, Jean-Marie Thévoz

    Fait partie de la suite : Ruth 1 / Ruth 2 / Ruth 4 (il n'y a pas de Ruth 3)

  • Ruth 1. Après le deuil, le bonheur est-il possible ?

    Ruth 1
    6.8.2006
    Après le deuil, le bonheur est-il possible ?
    Rt 1 : 1-22

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pour ces prochains dimanches du mois d'août, j'ai choisi de vous parler de l'histoire de Ruth la Moabite. On a l'habitude de l'entendre comme une jolie histoire d'amour champêtre où la jeune et jolie Ruth s'éprend de (ou séduit) Booz, le riche propriétaire… et tout cela finit par un beau mariage.
    Cette lecture — façon Collection Arlequin — risque cependant de nous faire perdre les aspects plus piquants, voire choquants, et plus dramatiques de l'histoire. Cette lecture romantique risque aussi de nous faire passer à côté des vraies leçons de vie du récit, et même de ses implications politiques. Je ferai donc trois lectures de ce récit : aujourd'hui une lecture plutôt psychologique, dimanche prochain une lecture théologique et finalement le dimanche 27 août, une lecture politique.
    L'histoire de Ruth est une belle histoire, puisqu'elle finit bien. Ruth se marie avec l'homme qu'elle a choisi, elle enfante un fils, ce qui l'inscrit dans la lignée généalogique d'où sortira le roi David et le Christ. Voilà un destin merveilleux qui semble sortir tout droit d'un conte de fée.
    Ce qui différencie ce récit du conte de fée cependant, c'est que ce bonheur s'est construit dans la douleur. Il n'y a pas de princesse, il a une veuve, Ruth — belle-fille d'une autre veuve — qui arrive comme étrangère dans un pays qu'elle ne connaît pas. Il n'y a pas de prince charmant, il y a deux hommes qui ont des droits sur Ruth et qui peuvent l'acheter sans qu'elle ait son mot à dire. Il n'y a pas de château, il y a la pauvreté qui oblige Ruth à aller glaner dans les champs, ramasser les restes négligeables abandonnés derrière les moissonneurs, moissonneurs qui ne manqueront pas de l'importuner, voire de la violenter si elle n'a pas de protecteur.
    Comment donc, à partir de cette situation de départ, veuvage, dépendance, pauvreté, vulnérabilité, cette histoire peut-elle déboucher sur le bonheur ?
    C'est justement à cause de cela, à cause de cette distance franchie entre le malheur et le bonheur que ce texte est un récit si attachant. Il pose en effet crûment la question : le bonheur est-il possible ? Et il répond oui, mais il ne le fait pas par des artifices merveilleux ou une atténuation de la dureté de la réalité.
    Le récit part de situations réelles, fréquentes, banales. Le récit part de la réalité la plus pénible pour l'être humain : le deuil. Le récit ne nous présente donc pas un bonheur construit sur du bonheur, mais un bonheur qui sort, qui s'extirpe du malheur. Quand le malheur frappe, la route du bonheur n'est pas fermée ! Contrairement à ce qu'on croit d'habitude.
    Comment voit-on cela dans le récit ? Nous sommes en présence de trois femmes, toutes veuves. Trois femmes blessées dans leur chair, dans leur relation conjugale. Trois femmes et trois chemins différents.
    D'abord Noémi, partie avec son mari et ses deux fils pour fuir la famine et chercher un nouvel horizon, une nouvelle vie. Le pays qui devait leur apporter la prospérité se révèle le pays du deuil. Noémi perd son mari. Ses fils se marient, mais décèdent à leur tour. Noémi le dira elle-même : "Je suis partie les mains pleines et je reviens les mains vides" (Rt 1:16-17).
    Elle quitte Moab et retourne dans son pays, retour au point de départ, retour vers ses racines, mais aussi pour elle retour en arrière. Elle voit sa situation comme pire qu'auparavant. On peut ajouter qu'elle ne voit que le négatif, elle ne remarque pas ce qu'elle a ou ce qu'elle a en plus : elle est à nouveau sur sa terre, dans son peuple; elle a gagné une belle-fille, Ruth.
    L'écueil au bonheur que nous présente le caractère de Noémi, c'est de ne pas regarder tout le champ de la réalité, c'est de ne pas compter — à cause de sa souffrance — la partie positive de la réalité qui existe à côté de ses malheurs et de sa souffrance. Certes, le positif n'annule pas le négatif, mais il est là comme un terreau, une plate-forme où un nouveau bonheur peut prendre racine.
    Ensuite, il y a Orpa, la première belle-fille de Noémi. Elle vit aussi le deuil de son mari, le fils de Noémi. Elle pense accompagner Noémi dans son retour en Israël, mais ne le fait pas, finalement. Elle est tentée par une nouvelle vie, ailleurs que dans le lieu de son malheur, mais elle renonce. Elle a sûrement de bonnes raisons. En restant sur sa terre, elle évite le statut d'étrangère qu'elle aurait en Israël. Elle évite de perdre son statut de femme libre (en terre de Moab, la société était matriarcale ! v.8 "rentrez chez votre mère" dit Noémi). Ainsi donc Orpa renonce au changement et préfère rester sur la terre de son deuil.
    Cela me fait penser à la phrase de Max Frisch : "Quand on a plus peur du changement que du malheur, comment éviter le malheur ?"
    Ruth, elle, va choisir le chemin du changement. elle veut quitter la terre du malheur. Elle préfère partir vers l'inconnu que rester dans le malheur. Elle prend des risques, ceux que sa belle-sœur n'a pas voulu affronter : être étrangère, perdre ses droits de femme libre. Elle fait le choix du départ et le choix de l'attachement. Ce départ n'est pas une fuite loin du malheur, c'est un acte de foi en la vie, en l'attachement à Noémi et à son Dieu. Avec eux elle peut affronter l'inconnu et la nouveauté.
    Cette audace — « je change de pays, je change de parenté, je change de Dieu » — est bien ce qui caractérise Ruth. Elle n'est pas une jeune fille naïve qui se laisse aller aux hasards de la vie. C'est ce qu'on voit dans les chapitres suivants. Dans l'espace minuscule que lui laissent les contraintes sociales de son temps, elle prend sa vie en main (Rt 2:2), elle donne de petites impulsions pour faire basculer son destin dans les bras de l'homme qu'elle choisi (Rt 3:9).
    Le bonheur de Ruth n'est pas construit sur des circonstances favorables et l'absence d'épreuves ou de malheurs. C'est au travers de sa confiance dans la vie — marquée par son attachement à Noémi et à Dieu — qu'elle arrive à voir les situations favorables et ainsi petit à petit faire basculer son destin.
    Nous verrons dimanche prochain comment cette confiance en la vie, en la générosité de la vie, est confessée comme un don de Dieu dans le livre de Ruth.

    ...suite demain dans Ruth 2

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

    Fait partie de la suite : Ruth 1 / Ruth 2 / Ruth 4 (il n'y a pas de Ruth 3)

  • 9.7.06 / Marc 2. Le pardon libère une telle énergie que le paralytique peut s'en aller debout.

    Marc 2
    9.7.2006
    Le pardon libère une telle énergie que le paralytique peut s'en aller debout.
    Michée 7 : 7-8 + 18-20 Mc 2 : 1-12

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il n'est pas facile dans notre monde moderne de parler des miracles de Jésus, des guérisons de Jésus. Cela ne paraît pas compatible avec les raisonnements scientifiques, la pensée rationnelle, etc. Le miracle n'existe que dans l'Antiquité ou dans les esprits crédules, pense-t-on.
    C'est mettre — je crois — trop d'importance sur l'aspect matériel du miracle. Les miracles de Jésus sont avant tout des signes, qui signalent autre chose, qui attirent l'attention sur une autre réalité. Jésus n'utilise pas le miracle pour son aspect merveilleux. Il l'utilise comme une parabole, en marge de son message, pour montrer que son message s'inscrit bien dans la réalité, dans la vie.
    La parole fait bouger la réalité, la transforme. Il y a des paroles efficaces, "performatives" en langage technique, qui changent la réalité. Lorsque je vous demande de vous lever pour chanter, vous vous levez; lorsqu'un président de Conseil communal dit "le vote est terminé" personne ne peut plus voter après cela, etc.
    Dans le récit qui nous occupe, le miracle est marginal, il vient simplement confirmer que la parole de Jésus sur le pardon est efficace : ce qui est pardonné est vraiment pardonné. Alors, nous pouvons laisser de côté l'obstacle que représente le miracle pour comprendre vraiment le message de ce récit.
    Ce récit parle d'abord de la foi et c'est ce que Jésus voit en premier : "Jésus vit la foi de ces hommes." C'est la foi des personnes qui accompagnent le paralytique. D'abord la foi qu'il se passera quelque chose de bon pour l'homme paralysé s'il pouvait approcher de Jésus, le rencontrer, le toucher. On ne nous dit pas ce que ces gens espéraient, mais ils sont prêts à affronter tous les obstacles.
    Toute la foule est là pour voir et entendre Jésus et bloque tous les accès. Cela fait penser à l'interdiction pour les infirmes et les grands malades d'entrer dans le Temple de Jérusalem. Alors, là aussi le paralysé est interdit d'accès vers Jésus ? Qu'à cela ne tienne, les hommes trouvent un autre accès, ils passent par le toit. Il ne faut pas hésiter dans sa quête vers Dieu à utiliser tous les chemins possibles !
    Lorsque le paralysé est enfin devant Jésus, Jésus voit la foi de ses porteurs. Oui, il est des situations où c'est la foi de la communauté qui fait le travail pour amener quelqu'un devant Jésus. On peut être bloqué, paralysé dans sa vie et accepter l'aide des autres pour avancer, pour franchir des obstacles, pour accéder à Jésus.
    Jusque-là, le paralysé n'a rien dit, n'a rien demandé, n'a rien fait, mais Jésus intervient en déclarant (dans la formule traditionnelle) : "Tes péchés sont pardonnés" (Mc 2:5).
    Là nous risquons d'être piégés par les ornières de la tradition et penser : les péchés sont des fautes, s'il est paralysé, c'est que ce sont des fautes terribles et l'on se met à lier faute et maladie. Non, ce que la Bible appelle le péché, c'est tout ce qui nous coupe de la relation avec Dieu ou avec les autres. Et ce qui nous coupe de cette relation, ce ne sont pas automatiquement des fautes commises.
    On se coupe aussi des autres parce qu'on a le sentiment d'avoir été traité injustement ou bien parce qu'on a subi du mal ou des abus. On peut se couper de Dieu parce qu'on pense que le malheur qui nous arrive vient de lui. Combien un infirme peut-il en vouloir au ciel, s'il pense que Dieu a décidé de son handicap ? Le mal que l'on a subi nous coupe souvent des autres ou de Dieu et alors l'amour réparateur ne peut plus circuler. On vit avec des boulets aux pieds, avec de la colère ou une tristesse insurmontable.
    Ce que Jésus dit à l'homme paralysé, c'est : "Tous tes boulets, tous tes fardeaux, je les écarte de ton être, ils ne viendront plus encombrer ta vie, paralyser ton existence."
    Est-ce que chacun d'entre nous peut entendre que Jésus s'adresse à lui aujourd'hui ? "Je suis venu te décharger de ta hotte de souci, de rancune, de tristesse, de jalousie, d'insatisfaction. Tous les boulets que tu traînes depuis si longtemps sont écartés, supprimés. Toute l'énergie que tu mettais à les traîner derrière toi, tu peux maintenant la mettre à vivre, à avancer, à te réjouir de ta vie avec les autres."
    Ne pensez-vous pas qu'après cela celui qui était paralysé se trouve transformé, revitalisé ? Le miracle est dans le pardon, dans cette énergie libérée pour la vie. Que le paralysé puisse se lever, prendre sa natte et marcher n'est que la suite logique de cette énergie libérée après avoir été bloquée pendant des années.
    Le pardon que l'on reçoit, comme le pardon que l'on accorde, a un pouvoir énorme de libération et de remise en route, voilà ce que nous dit ce récit.
    Que notre vie soit paralysée par des fautes que nous n'arrivons pas à nous pardonner, ou par des malheurs qui nous sont arrivés et qui creusent en nous les sentiments d'injustice, de révolte ou de tristesse sans fonds, il est possible d'accéder à Jésus et d'être déliés de ces fardeaux.
    Peut-être devrons-nous demander de l'aide à quelques-uns pour nous frayer un chemin jusqu'à la guérison de notre être, peut-être faudra-t-il trouver des chemins inédits et passer par le toit, mais dans tous les cas, Jésus attend de remarquer notre foi, notre espoir d'être relevés.
    Il y a pour chacun et chacune une promesse de vie, d'une vie à parcourir debout avec une énergie libérée.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • 1 Rois 3. Croire vraiment en la générosité de Dieu

    1 Rois 3
    18.6.2006
    Croire vraiment en la générosité de Dieu
    1 R 3 : 5-14 Jn 13 : 12-17

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chères familles des nouveaux baptisés,
    Vous venez de confier ces enfants à Dieu dans le baptême. Vos enfants et vous-mêmes, au travers de vos engagements, vous entrez dans une relation nouvelle ou renouvelée avec Dieu. Chacun d'entre vous qui êtes venus dans cette église ce matin, vous entrez dans la relation avec Dieu. La relation est un dialogue, un échange où chacun peut demander quelque chose à l'autre. En effet, nous venons pour demander des choses à Dieu, puisque nous venons prier : nous souhaitons que Dieu nous aide dans nos difficultés, nous apporte du soulagement ou de la consolation, nous apporte de la joie ou du répit.
    Alors qu'est-ce que Dieu va nous demander en retour ? Dieu ! me demander quelque chose ! Peut-être que l'appréhension monte ? Oui, bien sûr, dans ce dialogue, Dieu nous demande quelque chose, il attend de nous une réponse. C'est ce qui s'est passé lorsque Salomon est entré en dialogue avec Dieu au sanctuaire de Gabaon.
    Dieu est apparu à Salomon dans un rêve et lui a demandé :

    "— Que pourrais-je te donner ? Demande-le-moi." (1 R 3:5)
    Observez bien la délicatesse de la demande ! Dieu — qu'on imagine tout savoir — ne vient pas dire à Salomon : « Je sais ce dont tu as besoin et je vais te le donner. » Non, Dieu ne veut rien imposer, il demande vraiment ce que désire Salomon. Dieu respecte la liberté de Salomon. Dieu ne fait pas le bien des gens contre leur volonté. Dieu nous demande de poser les objectifs de notre vie et de demander ce dont nous avons besoin pour les atteindre.
    Avant de dire ce qu'il désire, Salomon dit à quel point il est reconnaissant envers la générosité de Dieu, pour son père David et pour lui-même. Ensuite, il reconnaît qu'il a reçu son titre de roi, c'est un don qu'il a reçu et qui ne dépend pas de ses mérites, de ses actions, il est simplement le fils du roi précédent. Enfin, il reconnaît ses propres limites : il est jeune et sans expérience, il a besoin de recevoir une intelligence, une sagesse pour accomplir sa mission. Aussi demande-t-il "un cœur plein de sagesse" pour conduire son peuple et pour discerner le bien du mal.
    Avec le recul, on pourrait dire que cette demande est déjà pleine de sagesse et d'intelligence. Cette demande plaît à Dieu. Non seulement Dieu va lui accorder ce qu'il demande, mais en plus il va lui donner ce que Salomon avait renoncé à demander : une longue vie, la richesse et les victoires.
    Cela vaut la peine de se lancer dans le dialogue avec Dieu et de prendre le risque d'écouter ce qu'il nous demande et de lui répondre !
    Le Dieu de la Bible, le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu généreux et bienveillant : après le don de la vie, il veut encore nous combler comme Salomon. Peut-on croire que Dieu nous fait, à chacun, la même demande, la même offre qu'il a faite à Salomon ?
    Bien peu de monde y croit ! On a tellement l'habitude d'entendre dire "Dieu est généreux, Dieu est bienveillant, Dieu est amour" que, paradoxalement, cela ne nous touche plus, cela ne nous atteint plus, nous n'y croyons pas.
    Il faut que cela soit reformulé différemment, et surtout hors Eglise, pour que les gens l'entendent : "La vie est généreuse"; "Rien n'arrive par hasard"; Chacun a son ange gardien, apprends à le connaître et il te guidera…"; "Crois en ton destin, demande ce que tu veux à la vie et cela te sera donné."
    Le point commun de toutes ces affirmations, c'est d'ouvrir notre esprit à une présence mystérieuse; c'est de faire de la place pour un être bienveillant au-dessus de nous; c'est de recevoir les événements de la vie comme des dons, des cadeaux; c'est d'avoir conscience de sa petitesse, de ses limites et que cette conscience devient une force; c'est d'avoir conscience qu'il existe une sagesse qui vient du fond des âges et peut nous guider.
    Eh bien, ici — dans l'Eglise — nous donnons au destin, à la force de vie, à la présence mystérieuse, le nom de "Dieu" ou celui de "Jésus-Christ." Jésus-Christ était un "maître" comme il le dit à ses disciples après le lavement des pieds, mais il n'est pas venu comme un tyran, mais comme un serviteur. Au service de la vie, au service de la relation, de l'amour.
    Jésus nous offre la même sagesse que celle qu'il a donnée à Salomon. Cette sagesse est là dans les paroles de Jésus qui se trouvent dans la Bible, un véritable mode d'emploi de la vie et du bonheur, si seulement nous voulions nous en inspirer !
    Dieu ne nous offre pas seulement la vie à la naissance, il nous offre la possibilité du bonheur, quelles que soient les circonstances de l'existence. Il n'offre pas le bonheur aux seuls gens heureux, cela n'aurait pas de sens.

    "Je suis venu chercher et sauver ce qui était perdu" dit Jésus (Luc 19:10).
    C'est à chacun de nous — dans la situation que nous vivons — que Dieu adresse la même demande qu'à Salomon : "— Que pourrais-je te donner ? Demande-le-moi."
    Oserons-nous dire à Dieu nos désirs secrets et accepter la générosité de sa main ? Avons-nous assez confiance en lui ?
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • 11.6.2006 / Matthieu 7, Le chemin du bonheur est étroit parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant"

    Matthieu 7
    11.6.2006
    Le chemin du bonheur est étroit parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant"
    1 Rois 17 : 5-16 Mt 7 : 7-14

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers membres de l'Abbaye,
    J'ai retrouvé récemment deux livres amusants, mais plein de sagesse. L'un s'intitule : « Comment réussir à échouer » et l'autre : « Faites vous-même votre malheur »*. Je crois que ces deux livres sont de parfaites illustrations de la parole de Jésus :

    "Entrez par la porte étroite ! Car large est la porte, facile est le chemin qui mènent à la ruine, et nombreux sont ceux qui les utilisent. Mais étroite est la porte, difficile est le chemin qui mènent à la vie, et peu nombreux sont ceux qui les trouvent." (Mt 7:13-14).
    Larges sont les boulevards pour échouer, pour pourrir sa vie, pour faire son propre malheur. Mais combien plus difficile est-il de créer du bonheur, de vivre heureux. Pourtant le bonheur est quelque chose à quoi nous aspirons tous, c'est une quête fondamentale de l'être humain. C'est même sûrement ce qui nous différence le plus de l'animal, cette capacité d'organiser sa vie, de prévoir (ou choisir) ses actions, en vue d'un but et la conscience de réussir ou d'échouer.
    Lorsque les évangélistes Matthieu ou Luc rapportent cette parole de Jésus, cette injonction : "Entrez par la porte étroite…" ce n'est donc pas une brimade. Bien sûr, on ne peut pas passer sous silence les quelques siècles où cette parole a été interprêtée comme un appel au renoncement et à la condamnation de bien des plaisirs terrestres, dénoncés comme lieux de tentations… Mais je ne crois pas que ce soit le sens que Jésus voulait y mettre.
    Jésus prononce cette phrase comme une véritable invitation au bonheur. Mais il est conscient qu'il est plus facile d'échouer et de faire son propre malheur que de trouver le bonheur, d'où cette mise en garde : "Large est le chemin qui mène au malheur, étroit est le chemin qui mène à la vie, à la vie en plénitude."
    Nous aspirons tous au bonheur, mais nous sommes maladroits à le recevoir et nous sommes prompt à le voir là où il n'est pas, à nous laisser tromper par des miroirs aux alouettes. On nous propose effectivement plusieurs modèles sociaux du bonheur. Les plus anciens (santé, amour et fortune) contiennent un peu plus qu'une apparence de bonheur — ils sont des ingrédients qui rendent la vie plus facile — mais ne sont pas encore en eux-mêmes le bonheur.
    Bien sûr, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade… dit la sagesse populaire : on s'en serait bien douté. Mais n'y a-t-il aucun espoir de bonheur pour ceux qui ne correspondent pas à ces critères prescrits ? Celui qui perd son travail, son conjoint ou la santé, n'a-t-il plus aucune chance d'être heureux ? Eh bien l'Evangile nous dit que le bonheur peut survenir dans toutes les situations de vie, mais sans sous-estimer l'effort et l'énergie que cela demande.
    J'ai parlé des modèles anciens (santé, amour et fortune), il y en a de plus récents, érigés par notre société médiatique qui sont : la consommation, la célébrité et l'évasion. Pas besoin de longues explications pour voir à quel point ces idéaux sont fragiles, illusoires et éphémères.
    Mais j'aimerais revenir sur le problème de la précarité qui semble être le plus grand obstacle d'aujourd'hui au bonheur. Comment trouver un bonheur durable dans une société qui rend précaire aussi bien l'unité du couple que la durée d'un contrat de travail ?
    C'est là que j'aimerais prendre l'exemple de la Veuve de Sarepta à qui Elie demande à manger. Elle et son fils sont dans une précarité totale : demain, ils n'auront plus rien. Pourtant, le lendemain et les jours suivants, la farine et l'huile ne sont pas épuisées, elles se renouvellent. Evidemment, c'est un miracle et comme événement impossible, cela me dérange : c'est trop facile de s'en sortir comme ça ! Tout arranger par un miracle, c'est du chiqué, nous savons que cela ne se passe pas comme ça dans la vie ordinaire.
    Alors que faut-il comprendre de ce récit ? Deux choses. Si c'est impossible matériellement, qu'en penser ? D'abord, prenons au sérieux que c'est impossible matériellement. Prenons acte qu'il est impossible de nous satisfaire matériellement. Il y aura toujours une voiture plus puissante que la mienne, un ordinateur plus rapide que celui que je viens d'acheter, une nourriture plus fine que celle de ma table, des vacances plus belles que mes dernières. Et nous n'aurons pas tout ça ! Si nous attendons un bonheur matériel, il sera toujours quelques pas devant nous et nous pourrons courir derrière pendant toute notre vie sans jamais le rattraper. Allons-nous créer notre propre malheur en gémissant toute notre vie sur ce fait ? A nous de choisir…
    Deuxième chose, si nous prenons le récit à un autre niveau, il illustre que chaque jour est un jour nouveau qui apporte son lot de possibilités. Chaque jour, le "pot de la vie" est réapprovisionné, en chance de bonheur, de vraie vie. Le destin, la vie, ou Dieu, nous sert chaque jour un nouveau pot avec de la farine et de l'huile pour nourrir notre bonheur. Savons-nous saisir cette chance ?
    Enfin, le piège final — qui récapitule les autres — et que nous créons nous-mêmes, c'est de croire que le bonheur est toujours ailleurs ou pour plus tard. Il est avec le nouveau produit, le nouvel objet; avec un autre travail ou un autre patron; avec un autre conjoint; lorsqu'il fera beau temps; après ce culte; après les vacances; quand j'aurais enfin du temps; demain, après-demain, mañaña, etc…
    Large est le chemin, l'éventail des possibilités où le bonheur pourrait venir, si… Avec cela nous faisons notre malheur, parce que tout cela est en dehors de nous, hors de notre maîtrise.
    Le chemin du bonheur est étroit, parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant", dans l'instant présent que je vis ! Juste maintenant — que puis-je apporter à ma vie? Dans l'instant, que puis-je recevoir, trouver, comment puis-je entrouvrir la porte au bonheur ?
    La promesse divine, c'est que chaque jour est le lieu et le moment de l'ouverture au bonheur, chaque jour apporte sa farine et son huile. Chaque jour : demandez la touche de bonheur et vous la recevrez, cherchez le bonheur et vous le trouverez.
    Large est le temps de passer à côté du bonheur: il y a tout le passé à regretter et tout l'avenir à espérer ou à craindre. Etroit est le temps du bonheur puisque ce n'est que dans le "juste maintenant" et pourtant c'est le moment que nous ne cessons de vivre, tout le temps. Personne n'est privé du moment présent, quelles que soient les circonstances de la vie. Ce moment présent est donné à tous, constamment et c'est là que se trouve le moment du bonheur, juste maintenant… et maintenant… et maintenant… et lorsque je trinquerai avec mon voisin de table; le bonheur d'un vrai regard échangé, de personne à personne.
    Oui, pétrissons la galette de vie de ce moment-là, juste maintenant.
    Amen


    *Paul Watzlawick, Comment réussir à échouer, Paris, Seuil, 1984.
    Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Paris, Seuil, 1988.


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • 14.5.2006 / Luc 2. La double paternité de Jésus est révélatrice de toute la condition humaine

    Luc 2
    14.5.2006
    La double paternité de Jésus est révélatrice de toute la condition humaine
    Mc 10 : 13-16 / Luc 2 : 41-51

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, Chers Amis,
    Cette semaine, j'étais en visite dans une classe de 2e année (avec des enfants d'environ 8 ans). Je répondais à leurs questions sur le programme d'histoire biblique, sur Dieu, sur Jésus, etc… Et voilà qu'une fille me pose la question : "Mais qui est le père de Jésus ?" On sent en même temps la curiosité et le doute sous-jacent. Elle a entendu différentes choses qui — toutes mises ensemble — ne donnent pas une réponse claire.
    Et si la scène se passait au temps de Jésus ? On imagine assez bien les disciples empêcher les enfants d'approcher Jésus pour qu'ils ne posent pas de questions aussi embarrassantes. "Dis, Jésus, c'est qui ton papa ?"
    Cette enfant avait senti qu'il se pose-là une question importante, essentielle, explosive ! Cette question est posée à propos de Jésus déjà dans les Evangiles. Elle et soulevée par Luc dans l'épisode de Jésus au Temple. Marie et Joseph cherchent Jésus. Lorsqu'ils le trouvent, Marie dit : "Ton père et moi nous étions très inquiets" (Lc 2:48) et voici que Jésus répond : "Il fallait que je sois dans la maison de mon Père." (Lc 2:49).
    Jésus se présente bien comme ayant deux pères, Joseph et Dieu ! Mais si cette question est posée à propos de Jésus, elle nous concerne tous, même sans remettre en rien la question de notre filiation biologique. Quelle est notre origine ? D'où vient la vie qui nous habite ? Qui nous met vraiment au monde ? De qui voulons-nous recevoir / porter / transmettre l'héritage ? Pouvons-nous nous contenter de la réponse biologique, matérielle ?
    C'est là que la double paternité de Jésus est révélatrice de toute la condition humaine. Lorsque Jésus dit à ses parents : "Je dois m'occuper des affaires de mon Père," il révèle d'existence d'un monde parallèle à notre monde. D'habitude les mondes parallèles apparaissent seulement dans les livres de science-fiction. Pourtant, je crois que Jésus nous présente un monde parallèle chaque fois qu'il nous parle du Royaume de Dieu.
    Il y a une réalité terrestre dans laquelle parents et enfants sont liés biologiquement. Mais il existe un autre niveau de réalité, au-delà des apparences. Au premier niveau "nos enfants sont nos enfants." Mais au deuxième niveau "nos enfants ne sont pas nos enfants" comme le dit le poète Kahlil Gibran. Et cette deuxième phrase est tout aussi vraie que la première ! C'est ce que Jésus dit à ses parents.
    Jésus cherche à nous élever à ce deuxième niveau de réalité. Il y a quelque chose de plus que la réalité biologique, matérielle. Il y a une dimension subtile, qui donne du relief, de la substance, du sens à ce qu'on vit. Bien sûr on vit et on est plongé dans la réalité matérielle et biologique. Un simple mal de dent nous ramène à cette réalité bien terre à terre. Loin de moi l'idée de la nier.
    Cependant, il est possible — et c'est le privilège de l'être humain — de vivre cette réalité en prenant un petit peu de recul. Etre en même temps celui qui vit et celui qui regarde cette vie. Petit décalage qui s'appelle "avoir conscience de…" Petit décalage qui fait passer de la physique à la métaphysique ! De bien grands mots pour exprimer des choses toutes simples : décalage entre manger et se nourrir, entre vivre et exister, entre respirer et inspirer / expirer.
    On respire tout le temps, c'est un réflexe, on n'a même pas besoin d'y penser (heureusement). Mais de temps en temps, prendre une inspiration, puis se laisser expirer. Ou le contraire, expirer tout l'air de ses poumons, puis se relâcher et l'inspir se fait tout seul. Essayez.
    Faire les choses avec conscience, c'est peut-être simplement cela entrer dans le Royaume de Dieu. Ouvrir sa conscience à l'existence d'une autre réalité, une réalité très subtile, on ne peut pas la toucher, la saisir, s'en emparer, mais on peut la laisser venir, éclore, nous toucher.
    Cette autre dimension, c'est celle de la relation, du lien, une dimension immatérielle, mais tellement réelle. C'est dans cette dimension que s'inscrit le bonheur, la joie, les émotions. C'est dans cette dimension que sont gravés les premiers sourires de nos enfants, les premiers émois amoureux, les amitiés indéfectibles. Et personne ne peut nous les retirer. Ce sont les trésors amassés dans le ciel — dont parle l'Evangile (Mt 6:20) — qui ne peuvent ni pourrir, ni rouiller et que personne ne peut dérober.
    C'est à cette dimension que nous sommes appelés à nous ouvrir — ce que Jésus appelle "la maison de son Père," de notre Père. C'est vers cette dimension que nos enfants nous entraînent par l'exemple de leur émerveillement devant la vie. C'est vers cette dimension que nous avons à projeter nos enfants comme l'arc envoie la flèche vers l'avenir, comme de dit le poète :

    "Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
    L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
    pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
    Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
    Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable." Khalil Gibran
    Ayons conscience de cette mission que Dieu nous confie.
    Amen


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Apocalypse 1. Reformuler l'évangile avec les mots d'aujourd'hui.

    Apocalypse 1
    7.5.2006
    Reformuler l'évangile avec les mots d'aujourd'hui.
    Col 4 : 12-18 Rom 16 : 25-27 Apoc 1 : 4-8

    Chères paroissiennes, chers paroissiens de toute la Région,
    Nous sommes rassemblés ici pour vivre un culte sous le signe de l'Eglise universelle ! La plupart d'entre vous êtes sortis de votre paroisse pour venir ici vivre ce culte et nous nous ouvrons encore pour étendre cette communion à l'Eglise malgache. Nous voulons marquer notre espérance de l'instauration du règne de Dieu et d'une Terre nouvelle par les gestes que nous ferons aujourd'hui : écrire une carte postale et partager notre offrande.
    Ouvrir notre culte à la dimension de l'Eglise universelle, ce n'est pas seulement franchir une frontière géographique, c'est franchir une frontière mentale : c'est abolir la frontière des différences qui font peur, des éloignements qui créent l'indifférence, des privilèges qui nous isolent.
    En proposant d'écrire un message de fraternité, de foi, à une autre communauté, à d'autres personnes, nous nous inscrivons dans une longue tradition ! La moitié du Nouveau Testament est constituée de lettres, écrites à des Eglises ou à des personnes. Ces lettres contiennent aussi bien des enseignements théologiques que des messages personnels, des encouragements que des salutations individuelles.
    La lettre était un moyen de communication à la portée de tous, à la différence de la stèle ou du livre en parchemin. On pourrait dire que la lettre était à cette époque ce que le blog sur internet est à la nôtre : un moyen facile, léger et multipliable de diffuser un message. Cependant, pour rester léger, il ne fallait pas écrite des volumes entiers, il fallait être bref, concis, condensé. Il fallait dire beaucoup en pu de caractères, comme sur un SMS. C'est pourquoi on trouve dans ces lettres du Nouveau Testament des formules très courtes, très résumées, de véritables perles, d'une grande richesse théologique.
    J'ai choisi deux de ces messages courts, qui expriment en quelques mots la foi de leurs auteurs. Le premier nous est livré par l'apôtre Paul dans la louange finale de sa lettre adressée à l'Eglise de Rome (Rom 16:25-26).
    L'apôtre parle de l'évangile qu'il annonce comme d'un "plan secret" (voilà qui devrait aiguiser l'appétit des amateurs de mystères !). Ce plan secret, ce mystère a longtemps été tenu secret; puis Dieu a décidé de le révéler, de le mettre en lumière, d'abord par les livres des prophètes (voilà une bonne occasion de relire l'Ancien Testament), puis pleinement au travers de Jésus-Christ, avec l'objectif de toucher "toutes les nations."
    Le plan de Dieu est donc bien universel, il concerne tout le monde, il nous concerne. En effet, si nous sommes-là ce matin, c'est que nous avons reçu ce message et sommes mis dans la confidence de ce plan secret. Nous sommes les maillons d'une chaîne, une chaîne de transmission pour que cet évangile atteigne toutes les nations de la terre.
    Ici, Paul, cependant, n'explique pas ce mystère, il ne lui donne pas de contenu dans ce passage. A nous de remplir le vide laissé par Paul, à nous de trouver le langage actuel pour expliquer ce plan mystérieux à nos contemporains. Nous n'avons pas à nous laisser enfermer dans les mots d'un auteur — fût-il biblique. D'ailleurs, au sein du Nouveau Testament, il y a diversité d'expression.
    Avec des mots différents, Jean l'Ancien donne un contenu, bref et résumé, de ce mystère. En quelques mots, il parle de Dieu, de l'œuvre de Jésus-Christ et de son effet sur l'être humain (Apoc 1:4-8). Les théologiens nous diront que ces mots sont très riches et portent une très haute spiritualité. Ils étaient sûrement compréhensibles pour la communauté de Jean, mais le sont-ils pour nous et surtout pour ceux qui se sont distancés de l'Eglise ?
    Que veut dire aujourd'hui la formule — devenue liturgique — "Le Seigneur qui est, qui était et qui vient" ? Que sont les 7 esprits évoqués ? Que veut dire "premier-né d'entre les morts" ? Comment expliquer cela à nos voisins ou à nos catéchumènes ?
    Aussi bien Paul que Jean arrivent en quelques lignes à condenser le message de l'évangile, la bonne nouvelle. Mais les mots qu'ils utilisent ne sont plus ceux de la vie de tous les jours. Pour comprendre Paul ou Jean, nous avons besoin de traducteurs et souvent d'explications. Notre tâche, aujourd'hui, reste celle de transmettre cette bonne nouvelle, mais nous avons un gros effort de reformulation à faire.
    Nous tous qui avons été touchés par l'évangile, nous avons à faire l'effort de le redire dans nos propres mots. Nous ne pouvons nous contenter de répéter les mots de Paul, de Jean, … ou de notre pasteur. L'évangile, comme le Christ, est vivant. La parole biblique nous touche dans nos vies, dans nos vies réelles. Alors, dans tous nos lieux d'Eglise, dans tous nos services communautaires, dans tous nos lieux d'enseignement (la formation d'adulte, le catéchisme, le culte de l'enfance, les groupes de prière ou de parole) nous avons à chercher de nouveaux mots, de nouvelles formulations, un nouveau langage, pour exprimer — en vérité — le langage de notre cœur, le langage de notre vie, le langage de notre être.
    Le chemin pour y arriver n'est pas de devenir plus savant, plus versé dans le vocabulaire biblique. Il s'agit plutôt — à mon sens — de prendre conscience en nous-mêmes où le Christ et la bonne nouvelle nous touche, où il transforme nos vies et nos relations, comment il nous aide à affronter les difficultés et les épreuves.
    Nos voisins, nos catéchumènes ne recherchent pas un savoir, une leçon, un mode d'emploi. Ils ont besoin d'exemples de croyants, de modèles de personnalités qui marchent dans la vie en faisant envie. C'est un grand défi, mais nous pouvons le relever.
    Que l'Esprit de Dieu, qui s'adresse aux Eglises du monde entier, nous remplisse tous de l'élan de communiquer l'amour que nous avons reçu, avec une vraie présence.
    Amen


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Ephésiens 6. Nous avons tout misé sur le faire et nous ne croyons plus à la force de l'être.

    Ephésiens 6

    30.4.2006
    Nous avons tout misé sur le faire et que nous ne croyons plus à la force de l'être.
    Dt 6 : 1-7 Eph 6 : 1-4 Luc 6 : 27-28

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers invités au baptême d'Elise,
    Mercredi soir, la TSR organisait le débat d'Infrarouge autour de la violence des jeunes. Jeudi soir, nous avons eu une longue discussion en Assemblée Régionale sur un nouveau projet de catéchisme. Aujourd'hui, nous avons vécu un baptême, baptême qui engage les parents, parrain et marraine à donner à leur enfant et filleule une éducation chrétienne.
    Mais qui sait aujourd'hui ce qu'est une éducation chrétienne, ou plus simplement comment l'on doit éduquer les enfants… et les adolescents, tâche plus périlleuse encore ! Il y a une véritable remise en question du système éducatif et de l'école, beaucoup d'interrogations. Comment élever un enfant aujourd'hui, comment réussir son éducation, lui transmettre des valeurs, lui donner les bons repères ?
    Nous sommes tous confrontés à ces questions, même si nous ne sommes pas directement parents, puisque nous côtoyons des enfants ou des jeunes, ne serait-ce que sur les places publiques, dans les trains ou les bus.
    Alors j'ai commencé ma petite recherche biblique sur l'éducation… Eh bien, j'ai été plutôt effrayé ! Dans l'ancien Testament, je n'ai trouvé que des passages sur la répression. Petit échantillon :
    Prov 19:18, "Corrige tes enfants tant que tu as l'espoir de les aider, mais ne t'emporte pas au point de vouloir leur mort."
    Dt 21 : 18-21, Je résume : Le fils rebelle qui ne se soumet pas doit être lapidé.
    Dans le Nouveau Testament, l'éducation se joue en termes de hiérarchie. L'enfant doit obéir à ses parents (comme la femme à son mari et l'esclave à son maître) (Col 3:20). Et des enfants obéissants sont des marques de respectabilité pour les pères (qui peuvent alors accéder à des responsabilités dans l'Eglise) (1 Tim 3:4-5). Que faire à partir d'un tel constat ?
    1) Accepter que les lois de l'Ancien Testament — à l'exception du décalogue — n'ont plus de valeur légale, normative pour nous.
    2) Pour le Nouveau Testament, tenter d'ôter la gangue sociologique qui masque le message évangélique des textes en approfondissant notre lecture, par exemple du texte d'Ephésiens 6 : 1-4.
    Que dit l'apôtre ? Il rappelle la loi divine (l'un des dix commandements), il rappelle la promesse positive qui motive ce commandement et il replace tout cela dans le contexte, sous l'autorité ou plutôt sous l'exemple du Seigneur, le Christ. "Elevez vos enfants en leur donnant une éducation inspirée par le Seigneur." (Eph 6:4). Donc trois éléments, la loi, la promesse de bonheur et l'exemple du Christ.
    A. Le rappel de la loi est important, c'est peut-être quelque chose qui avait été un peu perdu ou mis de côté ces dernières décennies, à cause de tous les abus d'autorité et toutes les rigidités inutiles pour lesquels la loi était devenue un alibi.
    Il faut donc relever que la loi dont il s'agit — et à laquelle les enfants doivent obéir — n'est pas la loi des parents, mais la loi divine — loi divine à laquelle les parents sont aussi soumis. En tant qu'adultes (et parents), nous sommes aussi soumis à la loi et c'est bon de le dire à nos enfants ! La loi est une protection contre la tyrannie et contre l'abus, elle est donc bonne, pour les parents comme pour les enfants.
    B. C'est pourquoi la loi est assortie d'une promesse, une promesse de bonheur et de longue vie. Il est intéressant ici de noter le parallèle entre ce passage de la lettre aux Ephésiens et celui du Deutéronome (Dt 6:4-7). Nous y retrouvons le schéma loi - promesse - exemple. La loi divine n'est pas là pour opprimer (c'est la croyance du serpent de Genèse 2), mais pour nous libérer pour le bonheur. Il y a une promesse de vie attachée à la loi, à la parole de Dieu. Ce qu'un psychologue a résumé ainsi : Dans la relation parent-enfant, l'affection est de l'amour pour tout de suite, la norme est de l'amour pour plus tard.
    C. Il y avait la loi, il y a la promesse de vie, il y a enfin l'exemple, celui du Christ. "Une éducation inspirée par le Seigneur" dit l'apôtre (Eph 6:4). Là, je crois qu'il est important de faire une distinction entre l'enseignement et l'éducation. L'enseignement porte sur un contenu à apprendre, l'éducation porte sur des exemples à intégrer.
    Søren Kierkegaard, le théologien-philosophe danois, avait souligné* cette distinction en différenciant clairement Socrate qui éveille à la connaissance et Jésus qui invite à le suivre (Nachfolge). Socrate est un enseignant qui a des élèves, Jésus est un maître qui a des disciples. La sagesse populaire a résumé ironiquement cela en quelques mots : "Faites ce que je dis, pas ce que je fais" ce qui révèle a contario que l'éducation ne passe pas par des discours, mais par l'exemple.
    Et c'est là que le bât blesse dans notre société ! Nous avons perdu le sens de la transmission des valeurs, parce que nous avons tout misé sur le faire (et le dire) et que nous ne croyons plus à la force de l'être.
    Par certains aspects, c'est même encore pire, puisque tous les médias ne nous offrent même plus une vitrine de l'action héroïque, mais seulement du paraître et du mensonge, que sont la mode, la célébrité et la publicité.
    Nous ne croyons plus à la force de l'être, disais-je. Parmi les personnes vivantes aujourd'hui — si je cherche quelqu'un qui rayonne pour son être — je ne vois guère que le Dalaï-lama. Il incarne cette force de l'être. Où sont les chrétiens ?
    Que veut dire être, simplement, tout faire reposer sur l'être ? Je crois que Jésus en donne une clé dans les paroles que nous avons entendue dans l'Evangile de Luc (Lc 6:27-28). Etre, c'est être soi-même quelles que soient les circonstances, en gardant inviolable à l'intérieur de soi un espace d'amour et de paix.
    Je vais essayer de transposer ces paroles de Jésus pour faire comprendre ce que peut être ce "être soi-même quelles que soient les circonstances."
    Je peux être l'être aimant que je voudrais être, même si le monde est injuste, brutal et cruel.
    Je peux faire le bien, même si je rencontre de l'opposition et que mes actes sont repoussés.
    Je peux dire du bien et voir du positif, même chez ceux qui me critiquent et m'humilient.
    Et si tous ceux-là sont encore imperméables à ce que je suis et à ce que je leur offre, je peux encore les confier à Dieu dans la prière. Le fait que mon amour, ma bienfaisance ou ma bénédiction ne sont pas reçus, n'enlève rien au fait que j'en ai eu l'élan, que je les ai déployés et que j'ai eu plaisir à le vivre.
    Mon bonheur est dans cet état d'être, dans cet élan, il n'est pas dans la réussite ou dans l'hypothétique changement de l'autre. L'amour du Christ n'est pas anéanti par tous ceux qui ne croient pas en lui. Il est vivant parce que son être n'a pas cessé de dispenser son amour autour de lui — quoi qu'il arrive. Et nous savons ce qui est arrivé…
    Alors, pour conclure, j'affirmerai que l'éducation chrétienne n'est pas un enseignement à donner à ses enfants, mais d'abord une éducation de soi-même à croître en être, au contact de la source de tout amour qu'est Dieu.
    Montaigne disait : "Un enfant n'est pas un vase qu'on remplit, c'est un feu qu'on allume !" Faisons croître le feu de l'être qui est en nous pour que ceux qui nous côtoiement s'enflamment à leur tour.
    Amen

    * Søren Kierkegaard, Riens philosophiques, Paris, NRF, Gallimard.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Ezéchiel 37. Pâques : une force pour créer une communauté nouvelle

    Ezéchiel 37
    16.4.2006
    Pâques : une force pour créer une communauté nouvelle
    Ez 37 : 1-14 Jn 20 : 1-10

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans sa grande vision des ossements desséchés qui reviennent à la vie, le prophète Ezéchiel nous présente le processus exactement inverse de ce qui se passe dans un tombeau. La réalité biologique et matérielle du monde dans lequel nous vivons, c'est que tout va vers sa dégradation, vers l'éparpillement, vers la mort et la destruction.
    Ce qui est lavé et propre se salit, ce qui est neuf devient usagé, ce qui est pur se mélange ou se fait contaminer, ce qui est uni se désunit, ce qui est accordé se désaccorde, etc… Les scientifiques ont même trouvé un mot pour définir cette dérive inexorable; ils appellent cela l'entropie.
    Eh bien, voilà que Dieu fait participer Ezéchiel à un mouvement contraire, opposé. Dieu invite Ezéchiel à voir et à être l'acteur d'un phénomène inverse. Ce qui était mort, perdu, dégradé, ce qui était désespérément desséché va revivre.
    Il faut dire là quelques mots sur le moment de l'histoire où Ezéchiel reçoit cette vision et à qui il la raconte ensuite. Ezéchiel est prophète du peuple juif exilé à Babylone. Jérusalem a été prise, le Temple détruit, le roi déchu, le peuple déporté, la terre promise perdue. Les Israélites sont dans une situation désespérée, ils sentent mourir leur identité, ils se sentent comme des ossements desséchés.
    C'est dans cette situation — apparemment sans espoir — qu'Ezéchiel est témoin de cette vision d'une résurrection de son peuple ! Dieu va redonner vie à son peuple, il va faire du neuf avec ce qui semble irrécupérable et perdu. Il va renverser le mouvement de l'entropie et du désespoir pour faire triompher la vie.
    Il est intéressant de voir que dans cette vision, Ezéchiel n'est pas un spectateur passif, assis dans un fauteuil de cinéma. Dieu demande à Ezéchiel d'agir, d'être acteur du changement, de la transformation. Ezéchiel doit même donner des ordres à l'Esprit divin — c'est le monde à l'envers !
    Ou plutôt — comme nous les savons maintenant — c'est l'habitude, le mode de faire préféré de Dieu d'impliquer l'être humain dans ses projets. Nous avons-là une préfiguration de l'incarnation. Dieu ne travaille pas sans nous, sans nos bras, sans nos mains, sans nos bouches. Dieu ne veut pas se passer de l'être humain pour réaliser ses desseins. Il a continué à le faire avec Jésus, avec les disciples et les apôtres et continue avec nous aujourd'hui.
    Les Evangiles sont comme des développement de cette vision d'Ezéchiel. Dans son ministère, Jésus travaille à rassembler, à susciter la force de la vie contre les forces destructrices. Il travaille à rassembler ce qui semblait perdu pour en faire du neuf, les prémices du Royaume.
    Les Evangiles racontent ce combat de Jésus contre les forces de mort. Ce combat n'est pas un combat mythologique où des dieux s'affrontent dans un Olympe lointain. Ce combat se passe sur terre, en plein cœur de la vie humaine, au cœur des préoccupations, des souffrances humaines. Chaque miracle de Jésus est un signe de la volonté de Dieu de soulager la souffrance humaine, chaque parole de Jésus et un pas pour reconstituer la communauté humaine. Comme les os desséchés sont remis ensemble, réunis par les nerfs, habillés de chair et recouverts de peau, ainsi la communauté humaine, sociale, est retissée, rhabillée et remise en contact.
    Et Jésus nous donne les outils de cette re-création d'une communauté humaine soudée : le pardon, la réconciliation, le non-jugement, l'acceptation de soi, la bienveillance, l'amour du prochain.
    Le temps de la Passion que nous venons de vivre nous rappelle cependant que d'énormes obstacles se dressent sur cette route, que les forces de mort sont présentes, que l'affirmation du bien ne se fait pas sans difficultés, sans sacrifices ! Jésus y a laissé sa vie !
    La mort semblait l'avoir emporté, mais le matin de Pâques nous rappelle que malgré les apparences, Dieu fait triompher la vie, Dieu continue à agir à travers Jésus, comme il l'avait fait au travers d'Ezéchiel : Il redonne vie aux ossements desséchés, aux espoirs perdus.
    Jésus était mort, victime de la violence des humains, mais Dieu l'a relevé d'entre les morts. Le gain de la mort n'était qu'un apparence, comme un brouillard qui s'évanouit devant le soleil de Dieu.
    Comme Dieu avait engagé Ezéchiel pour être acteur dans la vision des ossements transformés en communauté vivante, Dieu enrôle maintenant les disciples pour être les acteurs dans la création d'une communauté nouvelle qui annonce l'Evangile : puissance de vie et de re-création.
    La vie a le dernier mot et Dieu nous engage pour témoigner de cette victoire. Il nous engage à former une communauté, un peuple vivant témoignant du Dieu de Vie.
    Amen


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Jean 19. Jean présente Jésus sur la croix comme l'agneau de la Pâque

    Jean 19
    14.4.2006
    Jean présente Jésus sur la croix comme l'agneau de la Pâque
    Ex 12:1-8+12-14 Jn 19:16-30 Jn 19:31-37

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui, vendredi saint, nous commémorons, nous nous souvenons de la mort de Jésus. Il est difficile d'imaginer comment les disciples de Jésus ont vécu la condamnation et l'exécution de leur maître, cela d'autant plus que les Evangiles nous disent que tous les disciples étaient dispersés et que seules des femmes étaient au pied de la croix. En fait, dès l'arrestation de Jésus, tout était fini pour les disciples ! Une fin désastreuse, une fin sans espoir, pour eux qui avaient pourtant tout laissé pour le suivre.
    Le récit des pèlerins d'Emmaüs nous donne le ton de ce que devait être le ressenti des disciples : un échec, un beau gâchis, que d'espoirs perdus. On ne peut s'empêcher de penser que tout se serait arrêté là s'il n'y avait pas eu le miracle de la résurrection. Sans elle, la mort de Jésus n'aurait été qu'une exécution de plus dans un temps troublé. Les disciples auraient fait leur deuil et tout se serait arrêté.
    Mais parce qu'il y a eu les apparitions de Jésus, parce que Dieu n'a pas voulu que l'histoire s'arrête-là, les disciples ont été mis en route, stimulés, poussés à comprendre ce mystère de la Passion de Jésus.
    Si Dieu a relevé ce Jésus d'entre les morts, alors sa vie, sa prédication et sa mort devaient avoir un sens que nous n'avons pas perçu lorsqu'il était parmi nous. Il faut reprendre — mot à mot — tout ce qu'il nous a dit; pas à pas — tout ce qu'il a fait pour trouver un sens à tout ce qui est arrivé et surtout à cette mort infamante sur la croix. Ainsi peut-on imaginer le début de la recherche qui a conduit à la rédaction des Evangiles.
    Toute mort, par son côté absurde, nous pousse à chercher des raisons de sa survenue. Pourquoi ? et pour… quoi ? quel sens peut avoir la mort ? Les explications vont généralement dans deux directions : vers le passé, vers les causes. Qu'est-ce qui a provoqué cette mort ? Et vers l'avenir. Quelle leçon peut-on en tirer, quel élan peut-elle donner, quel avancement peut-elle apporter ?
    Je crois que les récits de la Passion dans les Evangiles poursuivent ces deux directions, vers la cause et vers le but. Les récits de la Passion nous présentent une analyse, comme un descriptif, le pas à pas des dernières heures de Jésus. Ils identifient tous les acteurs, tous les faits et gestes, toutes les circonstances qui ont conduit et entouré la mort de Jésus et sa mise au tombeau.
    Et puis, ces récits insèrent au fil du texte des références qui ont pour but de donner des sens aux événements, ce sont des références à l'Ecriture, à l'Ancien Testament. Ces références sont là pour montrer que ce qui se passe est en lien avec un univers de sens plus vaste.
    Les événements ne se déroulent pas au hasard, on peut leur donner un sens, une raison, un but. La mort de Jésus n'est pas absurde, elle s'inscrit dans un mouvement plus large, dans une histoire plus vaste, dans une alliance et une relation entre Dieu et son peuple, une histoire de vie et de salut.
    Les citations renvoient au Ps 22 qui ressemble à une description d'une mort sur une croix : "Ils ont percé mes pieds et mes mains" (v.17); "Ils se partagent mes habits, ils tirent au sort mes vêtements" (v.19). C'est le Psaume qui commence par le verset : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné" (v.1) que citent Marc et Matthieu. Jean cite encore la parole sur la croix "J'ai soif" qui renvoie au Ps 69:22 qui décrit le juste indûment persécuté.
    Et puis Jean continue avec un passage qui ne se trouve dans aucun autre Evangile, l'épisode où les soldats doivent briser les jambes des crucifiés pour hâter leur mort afin qu'ils puissent tous être dépendus avant le début du sabbat.
    Mais Jésus est déjà mort, ses jambes ne sont donc pas brisées. Un soldat le transperce au côté pour s'assurer de sa mort. Cela permet à Jean de citer deux fois l'Ecriture : "Aucun de ses os ne sera brisés" (Ex 12:46, Nb 9:12) et "Ils verront celui qu'ils ont percé" (Za 12:10). Cette dernière citation fait référence à un texte messianique. Jean nous confirme par là que Jésus est bien le Messie.
    Mais j'aimerais revenir sur la citation précédente : "Aucun de ses os ne sera brisés." Cette phrase est un commandement de Moïse concernant l'agneau qui est sacrifié et mangé lors de la Pâque. Jean développe ainsi un thème, une interprétation de la mort de Jésus qui lui et chère : Jésus est " l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde." C'est la phrase que Jean Baptiste prononce lorsqu'il voit arriver Jésus pour lui demander le baptême : "Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde" (Jn 1:29).
    Ainsi donc, dans son récit de la Passion, Jean glisse encore — par la mention qu'aucun de ses os n'ont été brisés — que Jésus est l'agneau sans tache ni défaut qui est sacrifié à Pâque. En indiquant que la crucifixion de Jésus a lieu juste après midi, Jean la fait coïncider avec l'heure où commencent les sacrifices des agneaux dans le Temple.
    Jean nous donne donc là une clé importante de sa compréhension de la mort de Jésus. Comme les Hébreux en Egypte ont été sauvé du fléau exterminateur en appliquant du sang de l'agneau sur les montants des portes de leurs maisons, de même, le sang de Jésus versé sur la croix protège le chrétien des puissances destructrices.
    Jésus, sur la croix, est la victime pure et sainte (Cantique 286), l'agneau sans tache et sans défaut qui donne sa vie pour le salut de tous. Jésus fait cadeau de sa vie pour tous les humains, il efface — d'un geste un latéral, inconditionnel — toute dette que nous avions à l'égard de Dieu. Il délie tous les liens, tous les fardeaux, tous les boulets qui nous retiennent en Egypte, pour que nous puissions avancer, comme des êtres libérés, libres vers la Terre promise.
    La mort de Jésus n'avait rien d'absurde — en fin de compte. Elle s'inscrit dans le don, incommensurable, de l'amour que Dieu a pour nous. Dieu n'a qu'un message pour nous : Par amour, je vous donne ce que j'ai de plus précieux, je donne ma vie pour que vous viviez.
    Amen


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

  • Josué 5. 40 ans pour sortir de nos Egyptes et accéder à la Terre des bénédictions

    Josué 5
    19.3.2006
    40 ans pour sortir de nos Egyptes et accéder à la Terre des bénédictions
    Jos 5 : 3-12 Néh 9 : 5b, 9-23 Ac 7 : 20-37

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pour marquer l'ouverture de cette année des 40 ans de la paroisse, on m'a demandé de parler de la place et de la signification du nombre 40 dans la Bible. C'est vrai que le nombre 40 est souvent utilité par les auteurs bibliques. Il est utilisé pour des mesures du Temple (Ez 41:2), pour compter des fils (Jg 12:14), ou des vaches (Gn 32:15), même pour compter des coups de fouets (Dt 25:3), des jours ou des années.
    Aujourd'hui, je ne prendrai en compte que les années. Que signifie une durée de 40 ans dans la Bible. Je crois qu'il n'est pas possible de remonter jusqu'à l'origine première, à l'acte ou l'événement fondateur qui a donné un sens particulier à cette période de 40 ans. Mais on sent qu'il y a une transformation, une évolution de ce laps de temps dans l'histoire.
    Plus on avance dans les siècles et dans la rédaction du texte biblique, plus cette période de temps de 40 ans est lourde de sens et devient figée. Figée dans le sens d'un moule dans lequel doivent venir se fondre les réalités, au prix de toute vraisemblance historique.
    L'illustration claire de ce phénomène se trouve dans le discours d'Etienne lorsqu'il récapitule la vie de Moïse. Il découpe la vie de Moïse en trois tranches de 40 ans, avec pour conséquence une vie d'une durée de 120 ans. La symbolique est forte, le respect de l'histoire est faible. L'origine doit donc se trouver à l'autre bout de cette trajectoire, là où l'histoire est forte et la symbolique naissante.
    Il est possible — mais ce n'est qu'une hypothèse personnelle — que l'on puisse retrouver la force de l'histoire et la naissance de cette symbolique dans la durée des règnes des rois David et Salomon. David et Salomon sont les figures royales les plus importante de l'Ancien Testament. Elles sont aussi reliées au Temple. David en a choisi le lieu, Salomon l'a fait construire.
    Chacun de leur règne a duré 40 ans nous disent les récits bibliques. Je pense que c'est historique, que ce n'est pas une construction littéraire. Manipuler les durées des règnes dans une généalogie, c'est créer de gênants décalages. Par contre, se servir de ces modèles et de la coïncidence de cette durée pour en faire une durée exemplaire et faire naître une symbolique est tout à fait plausible. Comme ces deux rois sont aussi des exemples — pas sur tous les aspects de leur vie cependant — de cheminement et de foi en Dieu, ces 40 ans deviennent une durée, un temps idéal fixé par Dieu.
    A partir de là, ce " temps idéal fixé par Dieu " peut être appliqué là où manquent des données historiques fiables. On trouve quelques exemples dans le livre des Juges (3:11; 5:31; 8:28; peut-être 3:30, 80=2x40 ans et à l'opposé 13:1) où l'action d'un Juge est suivie de 40 ans de paix dans le pays. Dans ce cas, ces 40 ans peuvent être considérés comme une très longue période, une période de longueur inespérée pour de la paix : je dirais "une éternité à dimension humaine."
    Mais la portée symbolique la plus forte se retrouve dans la durée du séjour des Israélites dans le désert : "Les enfants d'Israël mangèrent la manne pendant 40 ans (…) jusqu'à leur arrivée aux frontières du pays de Canaan." (Ex 16:35) Comme nous l'avons entendu dans la lecture de Jos 5, cette durée est assimilée au temps d'une génération.
    J'ai été frappé, dans ma recherche sur cette période au désert, comme l'interprétation de cette période peut amener à des visions opposées :
    - d'un côté une période maudite :
    "Pendant 40 ans cette génération n'a suscité en moi que du dégoût" dit Dieu (Ps 95:10)
    - de l'autre, une période de salut :
    "Durant 40 ans, Seigneur, tu as pris soin d'eux, dans le désert, ils n'ont manqué de rien. Leurs vêtements ne se sont pas usés, leurs pieds n'ont pas enflé. (Neh 9:21).
    Deux visions complètement opposées pour une même période. Cela rend peut être bien compte de la complexité de l'existence humaine, faite en même temps de révolte, d'épreuves et de bénédictions, sans qu'on puisse toujours dire dans nos vies ce qui tient plus de l'une ou de l'autre.
    Peut-être que le récit de la circoncision du peuple effectuée par Josué permet une sorte de synthèse, en montrant que les 40 années passées au désert sont des années de transformation. Symboliquement, la génération révoltée qui a dressé le Veau d'or est abandonnée au désert comme une vieille tunique, une vieille peau, pour laisser émerger une génération nouvelle et bénie, qui entre sur la Terre promise, où coule le lait et le miel.
    L'apôtre Paul a thématisé cette transformation en parlant d'abandonner de vieil homme pour revêtir — en Christ — l'homme nouveau, passer de la chair à l'esprit, de la circoncision de la chair à la circoncision du cœur.
    J'ai trouvé intéressant, dans le texte de Josué, le passage — au sens fort — qui se fait dans cette première Pâque célébrée après le passage du Jourdain : finie la manne du désert, on mange des épis grillés. Au niveau culinaire, cela me fait penser à cesser de manger du tofu bouilli pour déguster un steak grillé au barbecue. Au niveau théologique, dans le récit de l'Exode, la manne — bien que venant de Dieu — est plutôt un pain d'amertume. Littéralement MaNaH, la manne, veut dire "qu'est-ce que c'est ?" en hébreu. "Qu'est-ce que c'est que ce truc ?" Le désert, c'est aussi le temps de l'ignorance et de l'incertitude : combien de temps cela va-t-il durer ? Est-ce qu'on va s'en sortir ? Dans quoi est-ce qu'on est embarqué ? C'est pourquoi les plaintes ne cessent de monter vers Moïse et vers Dieu et que cette génération est qualifiée de rebelle.
    Dès le passage du Jourdain, cependant, les Israélites trouvent des épis cultivés. Ils passent, si j'ose dire, de l'ignorance à la culture. C'est pourquoi ces 40 ans sont aussi le symbole de la maturation, de l'accession à la maturité. Et l'on comprend mieux pourquoi il est dit que Moïse traverse trois phases de 40 ans dans sa vie, 40 ans pour découvrir le malheur de son peuple, 40 ans pour mûrir sa relation avec Dieu et 40 ans pour conduire son peuple vers la liberté.
    Pour récapituler, 40 ans représente le temps choisi, déterminé par Dieu; une éternité à dimension humaine; un temps de transformation, d'évolution, de maturation. C'est un temps suffisant pour sortir de nos Egyptes et accéder à la Terre des bénédictions.
    40 ans, aujourd'hui, c'est le temps d'une vie active, en tout cas aux yeux des caisses de pension. Aujourd'hui, il nous est même souvent donné des années, ou des décennies en plus. Est-ce que je mets ce temps à profit ?
    - pour une transformation de mon être entre les mains de Dieu ?
    - pour accéder à une sagesse qui me fait voir les bénédictions de la vie ?
    - pour transmettre ma foi, ma relation avec le Dieu qui nous conduit ?
    - pour dire ma reconnaissance pour le don des années reçues ?
    Est-ce que je vais donner quelque chose de ma personne pour être une pierre vivante dans l'édifice de l'Eglise et de la société de sorte que le monde ne se perdre pas dans le mal ?
    Nous avons passé le Jourdain, 40 ans de maturation sont derrière nous, un pays neuf s'ouvre devant nous : qu'allons-nous construire ?
    Amen


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.